Discours 1991 - Samedi, 12 janvier 1991


AUX DIRIGEANT DES LABORATOIRES «SURGIKOS-FRANCE»

Vendredi, 18 janvier 1991



Monsieur le Directeur général,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous recevoir aujourd’hui et je vous accueille d’autant plus cordialement dans cette maison que, dans une large mesure, vos préoccupations rencontrent celles de l’Eglise.

Votre profession consiste à former les chirurgiens et leurs équipes travaillant en milieu hospitalier à la meilleure utilisation possible des matériels conçus et fabriqués par votre entreprise, les Laboratoires Surgikos-France. Vous vous consacrez ainsi à une activité à la fois scientifique et pratique pour le bien des malades par l’intermédiaire de la communauté médicale.

Je rends hommage à votre compétence et à votre dévouement, car vous les mettez au service de vos frères et soeurs souffrants, quelle que soit leur patrie, leur race ou leur idéologie. Tout être humain est à vos yeux digne d’entière attention, et cela nous permet de parler de points de vue communs entre nous.

Votre intérêt passionné pour la vie corporelle est justifié par la dignité mystérieuse de l’homme et de la femme. Ils sont faits à l’image de Dieu. Ils sont la demeure de l’Esprit Saint. Ils sont appelés à vivre dans l’intimité du Seigneur qui les a créés et rachetés au prix du sang du Christ.

C’est cette personne, digne de respect et d’estime, qui remet son corps souffrant au personnel sanitaire, se fiant notamment à la qualité de vos appareils. En un sens, votre métier comporte une expression réelle de la charité et de la compassion. Il est exaltant, et je vous invite à y mettre toute votre science, votre grandeur d’âme et votre délicatesse de sentiments. Je vous encourage à donner à vos rencontres avec le personnel hospitalier et avec les malades eux-mêmes un caractère profondément humain, en dépassant le plan purement technique et en vous inspirant du vif sens de l’homme qui naît de l’amour évangélique.

«J’étais malade et vous m’avez visité» [1], a dit le Christ. Que ces paroles du Sauveur des hommes soient pour vous un stimulant dans vos contacts! Comme celles-ci également: «Amen, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» [2].

Je vous remercie de votre visite et je vous exprime ma vive et cordiale gratitude pour les produits médico-chirurgicaux que vous m’offrez généreusement. Soyez assurés qu’ils trouveront une destination utile! Mes voyages à travers le monde m’ont donné maintes occasions de côtoyer la misère des malades et de constater le dénuement de nombreux centres de soins. Je souhaite vivement que l’Eglise puisse développer encore sa contribution dans ce domaine.

Que le Christ, qui souffre dans la chair de chaque personne malade, vous soutienne dans vos initiatives professionnelles! J’invoque sur vous-mêmes, sur vos collègues ainsi que sur vos familles l’aide de Dieu, et je vous donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.

[1] Mt 25,36.
[2] Ibid. Mt 25,40.





AU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE POUR L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

Lundi, 28 janvier 1991



1. Je vous remercie vivement, Mgr le doyen du tribunal de la Rote romaine, des belles expressions de salutation et de souhaits par lesquelles vous avez interprété les sentiments communs d'estime, d'affection et d'engagement au service de l'Eglise.

J'adresse mes salutations cordiales à tout le collège des juges de la Rote, aux officiers, aux membres du Studio rotal et au groupe des avocats.

Je considère cette rencontre annuelle comme l'occasion d'exprimer à tous ma reconnaissance pour le travail délicat accompli au service de l'administration de la justice dans l'Eglise, celle aussi de souligner quelque aspect qui concerne une institution aussi importante, délicate et complexe que le mariage. Je voudrais aujourd'hui réfléchir avec vous aux conséquences sur le mariage des rapports entre foi et culture.

2. Le mariage est une institution de droit naturel dont les caractéristiques sont inscrites dans l'être lui-même de l'homme et de la femme. Dès les premières pages de la Sainte Ecriture, l'auteur sacré présente la distinction des sexes comme voulue par Dieu: «Dieu créa l'homme à son image; à l'image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa» (Gn 1,27). Le Livre de la Genèse rapporte de même, dans l'autre récit de la création, que le Seigneur Dieu dit: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul: il faut que je lui fasse une aide qui lui soit assortie» (Gn 2,18).

Le récit poursuit: De la côte qu'il avait tirée de l'homme, Dieu façonna une femme et l'amena à l'homme. Alors celui-ci s'écria: «Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair» (Gn 2,22). Le lien qui se crée entre l'homme et la femme dans le rapport matrimonial est supérieur à tout autre lien inter-humain, même à celui que l'on possède avec ses parents. L'auteur sacré conclut: «C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair» (Gn 2,24).

Le mariage est marqué par les cultures et l'histoire

3. Précisément parce qu'il est une réalité profondément enracinée dans la nature humaine elle-même, le mariage est marqué par les conditions culturelles et historiques de chaque peuple.Celles-ci ont toujours laissé leur trace sur l'institution matrimoniale. L'Eglise ne peut donc pas en faire abstraction. Je l'ai rappelé dans mon exhortation apostolique Familiaris consortio: «Le dessein de Dieu sur le mariage et sur la famille concerne l'homme et la femme dans la réalité concrète de leur existence quotidienne dans telle ou telle situation sociale et culturelle. C'est pourquoi l'Eglise, pour accomplir son service, doit s'appliquer à connaître les situations au milieu desquelles le mariage et la famille se réalisent aujourd'hui» (FC 4).

C'est dans le cheminement de l'histoire et dans la diversité des cultures que se réalise le projet de Dieu. Si, d'une part, la culture a marqué parfois de manière négative l'institution matrimoniale, y imprimant des déviations contraires au projet divin, comme par exemple la polygamie et le divorce, elle a souvent été par ailleurs l'instrument dont Dieu s'est servi pour préparer le terrain à une compréhension meilleure et plus profonde de son intention originelle.

4. L'Eglise, dans sa mission de présenter aux hommes la doctrine révélée, a dû continuellement entrer en confrontation avec les cultures. Dès les premiers siècles, le message chrétien, lors de la rencontre avec la culture gréco-romaine, a trouvé un terrain favorable sous divers aspects. En particulier, le droit romain, sous l'influence de la culture chrétienne, perdit beaucoup de sa rugosité, se laissant imprégner de l'humanitas évangélique et offrant à son tour à la nouvelle religion un excellent instrument scientifique pour l'élaboration de sa législation sur le mariage. Tandis qu'elle y introduisait la valeur de l'indissolubilité du lien matrimonial, la foi chrétienne trouvait dans la réflexion juridique romaine sur le consentement l'instrument pour exprimer le principe fondamental qui est à la base de la discipline canonique en la matière. Ce principe a été rappelé avec fermeté par le pape Paul VI lors de la rencontre qu'il eut avec vous le 9 février 1976. Il affirmait alors, entre autres, à propos du principe «le mariage naît du consentement des conjoints», que «ce principe, auquel toute la tradition canonique et théologique attribue une importance capitale, est souvent proposé par le magistère de l'Eglise comme l'un des principaux fondements tant du droit naturel de l'institution matrimoniale que du précepte de l'Evangile» (supra, p. 143). Ceci est donc fondamental dans l'ordre juridique canonique (cf. CIC CIC 1057 §1).

Mais le problème des cultures est devenu particulièrement aigu aujourd'hui. L'Eglise en a pris acte avec une sensibilité renouvelée au cours du Concile Vatican II. «Entre le message de salut et la culture — affirme la Constitution Gaudium et spes —, il y a de multiples liens. Car Dieu, en se révélant à son peuple jusqu'à sa pleine manifestation dans son Fils incarné, a parlé selon des types de culture propres à chaque époque» (GS 58). Dans la ligne du mystère de l'Incarnation, «l'Église, qui a connu au cours des siècles des conditions d'existence variées, a utilisé les ressources des diverses cultures pour répandre et exposer par sa prédication le message du Christ à toutes les nations, pour mieux le découvrir et mieux l'approfondir, pour l'exprimer plus parfaitement dans la célébration liturgique comme dans la vie multiforme de la communauté des fidèles» (ibid. GS GS 58). Mais toute culture doit être évangélisée, c'est-à-dire confrontée au message évangélique, et doit s'en laisser imprégner: «La Bonne Nouvelle du Christ renouvelle constamment la vie et la culture de l'homme déchu; elle combat et écarte les erreurs et les maux qui proviennent de la séduction permanente du péché» (ibid GS 58). Les cultures, disait Paul VI dans l'exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, «doivent être régénérées par la rencontre avec la Bonne Nouvelle» (EN 20).

Influences positives et négatives de la culture contemporaine

5. Parmi les influences que la culture contemporaine exerce sur le mariage, il faut en souligner quelques-unes qui tirent leur inspiration de la foi chrétienne. Par exemple, la régression de la polygamie et d'autres formes de comportement auxquelles la femme était soumise par l'homme, l'affirmation de l'égalité de l'homme et de la femme, l'orientation croissante vers une vision personnaliste du mariage, compris comme communauté de vie et d'amour, sont des valeurs qui font désormais partie du patrimoine moral de l'humanité.

La reconnaissance de l'égale dignité de l'homme et de la femme s'accompagne en outre de la reconnaissance toujours plus large du droit à la liberté du choix, aussi bien celui de l'état de vie que celui du partenaire dans le mariage.

Cependant, la culture contemporaine présente aussi des aspects qui suscitent la préoccupation.Dans certains cas, ce sont ces valeurs positives mêmes auxquelles je viens de faire allusion qui, parce qu'elles ont perdu leur lien vital avec la matrice chrétienne originelle, finissent par apparaître comme des éléments désarticulés et sans guère de signification, qu'il n'est plus possible d'intégrer dans le cadre organique d'un mariage correctement compris et authentiquement vécu.

Particulièrement dans le monde occidental, opulent et axé sur la consommation des biens, ces aspects positifs risquent d'être faussés par une vision immanentiste et hédoniste qui avilit le sens vrai de l'amour conjugal. Il peut être instructif de relire sous l'angle du mariage ce que dit le Rapport final du Synode extraordinaire des évêques sur les causes extérieures qui font obstacle à la mise en oeuvre du Concile. «Dans les pays riches, une idéologie caractérisée par l'orgueil du progrès technique développe de plus en plus un certain immanentisme qui porte à l'idolâtrie des biens matériels (ce qu'on l'on appelle la société de consommation). Il peut en résulter une sorte d'aveuglement à l'égard des réalités et des valeurs spirituelles» (I, 4). Les conséquences en sont néfastes «Cet immanentisme est une réduction de la vision intégrale de l'homme qui conduit, non pas à sa libération, mais à une nouvelle idolâtrie, à l'esclavage des idéologies, à une vie prisonnière des structures réductrices et souvent oppressives de ce monde» (II, 1,1). D'une telle mentalité découle souvent la méconnaissance du caractère sacré de l'institution matrimoniale, pour ne pas dire le refus de l'institution même du mariage, qui ouvre la route à l'expansion de l'amour libre.

Même là où elle est acceptée, l'institution est souvent déformée aussi bien dans ses éléments essentiels que dans les propriétés qui sont les siennes. Cela se produit, par exemple, quand l'amour conjugal est vécu dans une fermeture égoïste, comme une forme d'évasion, qui se justifie par elle-même, s'accomplit par elle-même.

De même, la liberté, aussi nécessaire qu'elle soit pour donner ce consentement sur lequel se fonde le mariage, si elle est absolutisée, mène à la plaie du divorce. On oublie alors que, devant les difficultés du rapport, il est nécessaire de ne pas se laisser dominer par l'impulsion de la peur ou le poids de la fatigue, mais de savoir trouver dans les ressources de l'amour le courage d'être cohérent avec les engagements que l'on a pris.

Par ailleurs, la renonciation aux responsabilités propres, au lieu de porter à la réalisation de soi, mène à une aliénation progressive de soi-même. On tend en effet à attribuer les difficultés à des mécanismes psychologiques, dont le fonctionnement est compris dans un sens déterministe, avec pour conséquence un recours hâtif aux déductions des sciences psychologiques et psychiatriques pour réclamer la nullité du mariage.

La loi canonique est parfois négligée

6. Comme on le sait, il y a encore dans le monde des peuples chez lesquels la coutume de la polygamie n'a pas encore totalement disparu. Eh bien, même parmi les catholiques, il y en a qui, au nom du respect de la culture de ces peuples, voudraient d'une certaine façon justifier ou tolérer une telle pratique dans les communautés chrétiennes. Au cours de mes voyages apostoliques, je n'ai pas manqué de réaffirmer la doctrine de l'Eglise sur le mariage monogamique et sur l'égalité des droits de l'homme et de la femme.

On ne peut en effet ignorer que, dans ces cultures, il reste encore beaucoup de chemin à faire dans le domaine de la pleine reconnaissance de l'égale dignité de l'homme et de la femme. Le mariage est encore, dans une large mesure, le fruit d'accords entre familles, qui ne tiennent pas compte comme on doit le faire de la libre volonté des jeunes. Lors de la célébration elle-même du mariage, les coutumes sociales rendent parfois difficile de déterminer le moment de l'échange des consentements et de la naissance du lien matrimonial, donnant lieu à des interprétations qui ne sont pas en consonance avec la nature consensuelle et personnelle du consentement matrimonial.

Même en ce qui concerne la phase du procès, on relève bien des négligences à l'égard de la loi canonique; pour les justifier, on invoque des coutumes locales ou des particularités de la culture de tel ou tel peuple. À cet égard il conviendra de rappeler que des négligences de ce genre n'impliquent pas simplement l'omission de certaines lois formelles concernant les procès, mais le risque de violation du droit à la justice, qui appartient à tous les fidèles, avec en conséquence une dégradation du respect dû à la sainteté du mariage.

7. Aussi l'Eglise, avec certes l'attention que l'on doit porter aux cultures de tous les peuples et aux progrès de la science, devra-t-elle toujours veiller à ce que le message évangélique sur le mariage soit à nouveau proposé intégralement aux hommes d'aujourd'hui, tel qu'il a mûri dans sa conscience à travers la réflexion séculaire menée sous la conduite de l'Esprit Saint. Le fruit de cette réflexion est aujourd'hui consigné avec une particulière abondance dans le Concile Vatican II et dans le nouveau Code de droit canonique, qui est un des documents les plus importants de la mise en oeuvre du Concile.

Avec un soin maternel, l'Eglise, attentive à la voix de l'Esprit et sensible aux requêtes des cultures modernes, ne se borne pas à rappeler les éléments essentiels que l'on doit sauvegarder mais, usant des moyens mis à sa disposition par les progrès scientifiques modernes, elle s'efforce de recevoir tout ce qui est apparu comme valable dans la pensée et les coutumes des peuples.

C'est sous le signe de la continuité avec la tradition et de l'ouverture aux requêtes nouvelles que se situe la nouvelle législation du mariage, fondée sur les trois pivots que sont le consentement matrimonial, la capacité des personnes et la forme canonique. Le nouveau Code a reçu les acquisitions conciliaires, en particulier celles relatives à la conception personnaliste du mariage. Sa législation touche des éléments et protège des valeurs dont l'Eglise veut qu'elles soient garanties au niveau universel, au-delà de la diversité et du caractère changeant des cultures parmi lesquelles vit chaque Eglise particulière. En réaffirmant ces valeurs et les procédures nécessaires pour leur sauvegarde, le nouveau Code laisse par ailleurs un espace notable à la responsabilité des conférences épiscopales ou des pasteurs de chaque Eglise particulière, pour des adaptations conformes à la diversité des cultures et à la variété des situations pastorales. Il s'agit d'aspects que l'on ne peut considérer comme marginaux ou de peu d'importance. Aussi est-il urgent de procéder à la préparation des normes adéquates que le nouveau Code requiert à cet égard.

8. Dans sa fidélité à Dieu et à l'homme, l'Eglise agit comme le scribe devenu disciple du Royaume des cieux: «Il tire de son trésor du neuf et du vieux» (Mt 13,51). Dans une adhésion fidèle à l'Esprit Saint qui l'éclaire et la soutient, l'Eglise, comme peuple de la Nouvelle Alliance, «parle toutes les langues, comprend et embrasse dans sa charité toutes les langues» (Ad gentes AGD 4).

En vous invitant tous, ouvriers de la justice, à regarder le mariage à la lumière du projet de Dieu, pour en promouvoir la mise en oeuvre avec les moyens dont vous disposez, je vous exhorte à persévérer avec générosité dans votre travail, convaincus de rendre un grand service aux familles, à l'Eglise, à la société elle-même.

Le pape vous suit avec confiance et affection et, avec ces sentiments, vous accorde sa bénédiction apostolique.



AUX PARTICIPANTS À LA XXe ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX »

Mercredi, 30 janvier 1991



Chers Frères dans l’Episcopat,
Chers amis,

À l’occasion de l’Assemblée plénière du Conseil «Iustitia et Pax», vous avez souhaité venir vous unir à ma prière dans la célébration de l’Eucharistie. Je vous y accueille d’autant plus volontiers aujourd’hui que votre mission ecclésiale consiste précisément à travailler pour la paix que nous désirons tellement voir revenir dans le monde.

Beaucoup d’efforts ont été déployés pour éloigner la violence de la guerre. Mais, dans trop de régions, l’humanité n’a pas su faire prévaloir le recours au dialogue et la négociation sur le langage des armes: je pense en particulier à la région du Moyen-Orient, à la Somalie, sans oublier, plus près de nous, les populations des Pays Baltes. Destructions, blessures, morts, menaces répétées, continuent d’accabler nos frères et de nous attrister.

A nouveau, nous implorons ensemble le Christ, dans la célébration du Sacrifice de la Croix, pour qu’il console ceux qui pleurent, pour qu’il rassure ceux qui ont peur, pour qu’il libère tous les coeurs de la haine meurtrière. Nous lui demandons instamment d’inspirer à ceux qui ont le pouvoir de décision la volonté sincère de parvenir à la paix, d’engager les négociations qui s’imposent, d’agir dans le respect de la justice, de sauvegarder le droit de peuples entiers à accomplir leurs tâches d’hommes dans la quiétude et sur une terre préservée de destructions insensées.

Nous nous tournons humblement vers le Seigneur. Nous le prions de répandre sur nous et sur tous nos frères du monde les bienfaits de sa miséricorde. Nous appelons sa grâce qui purifie et transforme. Nous lui offrons la peine et les sacrifices des hommes pour qu’il les unisse au sacrifice de sa propre vie et ouvre ainsi aux peuples de la terre les voies de l’espérance et de la paix.



Février 1991


AUX PARTICIPANTS À LA SESSION PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA PROMOTION DE L'UNITÉ DES CHRÉTIENS

Vendredi, 1\2er\0 février 1991




Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,

1. Vous savez combien je m’efforce, dans le ministère qui est le mien, de répondre à ce que le Seigneur attend de chacun d’entre nous pour «promouvoir la restauration de l’unité entre tous les chrétiens» [1]. Aussi est-ce vraiment avec joie et un vif intérêt que je vous reçois aujourd’hui, vous tous qui participez depuis lundi à la session plénière du Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens. Je vous remercie pour votre participation active à ces travaux qui bénéficient de votre compétence et de votre dévouement dans la recherche de cette unité.

Durant votre session plénière, vous avez voulu faire une évaluation approfondie des relations actuelles de l’Eglise Catholique avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales, dans le but de les améliorer et de les intensifier. Examiner le travail accompli, les étapes franchies, les difficultés rencontrées, les méthodes et les moyens utilisés, tout cela est très profitable pour exercer toujours mieux une responsabilité que nous recevons de par la volonté même du Seigneur.

Nous devons prendre davantage conscience de cette responsabilité. Aucune difficulté héritée du passé ou créée par une situation présente ne doit nous arrêter. La recherche de l’unité des chrétiens a été «un des buts principaux» [2] du deuxième Concile du Vatican, et le «Code de Droit Canonique» en a fait un engagement pastoral très important: «Il appartient en premier lieu au collège des Evêques tout entier et au Siège Apostolique d’encourager et de diriger chez les catholiques le mouvement oecuménique dont le but est de rétablir l’unité entre tous les chrétiens, unité que l’Eglise est tenue de promouvoir par la volonté du Christ» [3].

[1] Unitatis redintegratio, UR 1.
[2] Ibid. UR 1
[3] CIC 755, § 1.


2. Les relations oecuméniques constituent une réalité complexe et délicate qui implique tout à la fois l’étude et le dialogue théologique, le contact et les relations fraternelles, la prière et la collaboration pratique. Nous sommes appelés à oeuvrer dans tous ces domaines. Se limiter à l’un d’entre eux ou à quelques-uns et négliger les autres ne peut que produire des résultats stériles. Cette vision globale de l’action oecuménique doit être toujours gardée en mémoire quand nous présentons et expliquons notre engagement.

L’Eglise catholique est entrée en dialogue théologique au niveau universel par la création de douze commissions mixtes, avec presque toutes les Eglises et Communautés ecclésiales d’Orient et d’Occident. Le panorama de ces dialogues est très varié. Ils s’ouvrent sur tous les horizons théologiques. Tout en se distinguant les uns des autres par leur but immédiat, les thèmes abordés, les résultats déjà obtenus et bilatéraux sont situés dans la perspective générale de l’unité.

Avec la grâce de Dieu, ces dialogues commencent à porter leurs fruits. Des convergences sont apparues et fondent maintenant une réelle espérance dans la foi, même si demeurent des problèmes sérieux qui réclament des approfondissements ultérieurs, des échanges plus actifs et plus de patience et de sérénité d’esprit.



3. Les dialogues en cours renforcent les liens de la communion vraie et profonde, même si elle reste imparfaite, qui unissent les autres chrétiens à l’Eglise. C’est précisément sur la réalité de cette koinonia, de cette communion, que le deuxième Concile du Vatican a fondé les relations avec tous les baptisés. Le décret sur l’oecuménisme affirme clairement: «Ceux qui croient au Christ et ont reçu validement le baptême se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Eglise catholique» [4].

Et la Constitution dogmatique sur l’Eglise explicite les «nombreuses raisons» de cette communion partielle: «Il en est beaucoup, en effet, qui tiennent en honneur la Sainte Ecriture comme leur règle de foi et de vie, manifestent un zèle religieux sincère, croient de tout leur coeur au Dieu Père tout-puissant et au Christ Fils de Dieu et Sauveur, sont marqués par le baptême qui les unit au Christ, et même reconnaissent et reçoivent d’autres sacrements dans leurs propres Eglises ou dans leurs communautés ecclésiales. Plusieurs d’entre eux jouissent même d’un épiscopat, célèbrent la sainte Eucharistie et entourent de leur piété la Vierge Mère de Dieu. A cela s’ajoute la communion dans la prière et dans les autres bienfaits spirituels, bien mieux, une véritable union dans l’Esprit Saint, puisque, par ses dons et ses grâces, il opère en eux aussi son action sanctifiante et qu’il a donné à certains d’entre eux la force d’aller jusqu’à verser leur sang» [5]. Cette description évoque la diversité des autres Eglises et Communautés ecclésiales qui sont dans une certaine communion avec l’Eglise Catholique.

Selon le Concile, le degré le plus intense de cette communion est celui qu’ont avec nous les Eglises orthodoxes et les Anciennes Eglises d’Orient: «Ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements - principalement en vertu de la succession apostolique: le sacerdoce et l’Eucharistie - qui les unissent intimement à nous» [6].

Les dialogues bilatéraux avec les différentes Eglises et Communautés ecclésiales tiennent compte de cette diversité des degrés de communion. Chaque dialogue bilatéral doit aborder des problèmes spécifiques à cause de la nature des divergences qui existent avec nous.

Pour surmonter les obstacles, «parfois fort graves, à la pleine communion ecclésiale» [7], les théologiens des commissions mixtes seront prêts à étudier, avec un grand amour pour l’Eglise et dans le souci de la pureté de la doctrine [8], les caractères spécifiques des questions traitées. Leur dévouement à la cause de la pleine communion ecclésiale, qui reste le but ultime du dialogue oecuménique, leur méritera la profonde reconnaissance de l’Eglise et de son Magistère. Je suis heureux personnellement de les remercier pour le travail positif déjà accompli. Tout en étant multiforme, le dialogue doit prendre en compte tous les éléments de cette communion, les mettre en rapport pour qu’ils se fondent sur une solide unité organique dans la foi, dans les sacrements et dans le ministère pastoral.

La Parole de Dieu, telle qu’elle est dans les Ecritures et telle qu’elle a été vécue par la grande Tradition de l’Eglise, est la base sûre d’une recherche qui doit parvenir à d’heureux résultats. La vision de la pleine communion est notre espérance et elle est pour nous le motif d’un engagement dynamique et incessant de dialogue, d’étude et de prière.

[4] Unitatis redintegratio, UR 3.
[5] Lumen Gentium, LG 15.
[6] Unitatis redintegratio, UR 15.
[7] Ibid., UR 3.
[8] Cf. ibid., UR 11.


4. Les relations de fraternité avec les membres et les Autorités des Eglises et des Communautés ecclésiales sont une réalité étroitement liée au dialogue théologique. C’est une dimension qu’il faut promouvoir toujours davantage. Les contacts facilitent la connaissance réciproque et renforcent le désir de la pleine communion. Les relations fraternelles peuvent aussi permettre de traiter certaines questions pratiques qui parfois pèsent lourdement sur le dialogue théologique lui-même.

Je tiens aussi à rappeler que l’esprit de dialogue doit animer tous ceux qui exercent une responsabilité pastorale aux divers niveaux de l’Eglise catholique.

- Quand l’autorité de l’Eglise les a approuvés, il est opportun que les documents élaborés par les commissions mixtes soient connus et étudiés; leurs résultats doivent être accueillis par tous et intégrés dans la prédication, l’enseignement et la vie ecclésiale.

- Avec une urgence toujours plus forte, la dimension oecuménique réellement fondée et constamment assurée est requise dans la formation théologique, en particulier dans celle des futurs prêtres. Le Concile en avait clairement signalé la nécessité [9]. Les exigences de la mission de l’Eglise requièrent actuellement une collaboration oecuménique qui ne peut se réaliser sans une préparation spirituelle, doctrinale et culturelle appropriée.

- Il est souhaitable que les commissions nationales et diocésaines pour l’oecuménisme, qui jusqu’à maintenant ont rendu d’appréciables services, développent leur action. Elles peuvent apporter une aide précieuse aux pasteurs dans l’exercice de leur responsabilité.

[9] Cf. ibid., UR 10.


5. Intensifier les relations oecuméniques est une tâche complexe dont les différents aspects sont complémentaires. Un plein accord sur une commune profession de foi est la condition fondamentale de l’unité vers laquelle nous tendons. Le dialogue théologique est l’instrument le plus adapté pour y parvenir. Il doit examiner les divergences et tenter de les surmonter, avec la grâce de l’Esprit, dans la fidélité à l’intégralité de la doctrine. Pour cela, nous prions et nous espérons.

J’invoque la Bénédiction de Dieu sur votre session plénière afin qu’elle donne une nouvelle impulsion au dialogue oecuménique et à toute l’action oecuménique.




AUX ÉTUDIANTS ET AUX PROFESSEURS DE LA «FACULTÉ LIBRE DE PHILOSOPHIE COMPARÉE» DE PARIS

Samedi, 16 février 1991




Chers amis,

Soyez les bienvenus dans la maison du successeur de Pierre que vous avez vivement souhaité rencontrer à l’occasion de votre pèlerinage aux tombeaux des Apôtres. Merci de votre visite et des sentiments d’attachement que vous me témoignez.

Dans le cadre de l’institution privée qu’est la Faculté libre de philosophie comparée, vous avez le dessein de parvenir à une formation appuyée sur les bases les plus solides de la philosophie, en vous familiarisant notamment avec la métaphysique aristotélico-thomiste que l’Eglise considère comme une référence fondamentale. Je vous encourage dans cet effort de réflexion méthodique et d’étude critique des courants de pensée très divers et souvent opposés qui se présentent à nous. Il est clair qu’un discernement exigeant s’impose à tout chrétien, et particulièrement à ceux qui ont accès à une formation universitaire.

Au cours de notre rencontre, nécessairement brève, je voudrais attirer votre attention simplement sur deux points. En premier lieu, comme vous le savez, le centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum» m’a amené à proclamer l’année 1991 «Année de la Doctrine sociale de l’Eglise». Le rappeler à des étudiants qui ont la philosophie comme principal centre d’intérêt n’est pas hors de propos. L’enseignement de l’Eglise en matière sociale repose évidemment sur l’analyse de la nature humaine et des aspects multiples de la vie sociale. Pour mettre en valeur la pertinence des requêtes de cette doctrine, il convient que l’on reconnaisse pleinement la dignité et la vocation de l’homme, personne créée par Dieu et douée de raison, appelée à s’épanouir dans l’exercice de ses responsabilités d’être social et dans la solidarité avec son prochain, sauvée de l’emprise du péché et de la mort par le Christ qui s’est livré pour le salut de la multitude. Soyez aux avant-postes de la réflexion fondamentale sur tous les sujets liés à l’enseignement social; et, selon vos moyens propres, contribuez activement à l’amélioration des rapports sociaux, à l’usage moral des biens, à l’exercice des responsabilités dans la cité en pleine conscience de leurs implications humaines.

En second lieu, et c’est votre pèlerinage même en ce coeur de l’Eglise qui me suggère cette réflexion, je voudrais vous encourager à devenir des membres toujours plus actifs de la communauté ecclésiale, là où vous vivez. Vous répondrez d’autant mieux à votre vocation de chrétiens qui réfléchissent et approfondissent les fondements de leur foi que vous la vivrez généreusement dans la communion avec l’ensemble de vos frères, sous la conduite des Pasteurs de vos diocèses. Les tâches qui s’imposent aux chrétiens de ce temps, compte tenu des sollicitations diverses de la vie moderne, sont considérables: il faut que tous s’unissent pour donner de l’Evangile un témoignage crédible, pour manifester visiblement la communion à laquelle le Christ appelle les membres de son Corps, pour développer autant l’esprit de prière et la participation active à la liturgie que les initiatives d’apostolat et de service concret qui traduisent la fidélité des disciples du Christ à sa Parole. Ainsi vous prendrez votre part à la nouvelle évangélisation dont l’Europe a besoin au seuil du troisième millénaire.

Chers amis, un pèlerinage est toujours un appel privilégié à la conversion. En ce début du Carême, je prie le Seigneur pour qu’il vous aide à le suivre toujours plus ardemment, sur les chemins de la pénitence et de la Croix, et dans la joie du mystère du salut accompli par sa Pâque. Je demande pour vous, ainsi que pour vos maîtres, vos camarades et vos proches, l’intercession bienveillante de Notre-Dame, et je vous donne de tout coeur ma Bénédiction Apostolique.



Mars 1991



Discours 1991 - Samedi, 12 janvier 1991