Discours 1991 - Samedi, 23 mars 1991


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DE LA COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE

Jeudi, 11 avril 1991



Monsieur le Cardinal,
Chers amis,



1. C’est avec joie que je vous accueille aujourd’hui, dans la belle lumière du temps pascal, à l’occasion de l’Assemblée plénière de la Commission biblique pontificale, et je remercie vivement Monsieur le Cardinal Ratzinger des paroles qu’il vient de m’adresser en m’assurant de votre généreux dévouement à la tâche qui vous est confiée au service de la Bible et de l’Église.

Cette session de vos travaux présente, me semble-t-il, un aspect de résurrection, car elle survient après une période d’interruption et le renouvellement partiel des participants. Je vous salue tous très cordialement, anciens et nouveaux membres de la Commission biblique, et je souhaite spécialement la bienvenue à ceux d’entre vous qui ont été nommés l’an dernier et participent pour la première fois à vos travaux. Je suis heureux de voir représentés ici les biblistes catholiques des cinq Continents, unis dans une recherche commune.



2. Poursuivant l’étude commencée il y a deux ans, vous vous efforcez de bien situer l’interprétation de la Bible dans l’Église. Ce problème vital a pris, en effet, des dimensions nouvelles et plusieurs circonstances lui donnent un regain d’actualité. Il y a quelques mois, nous célébrions le vingt-cinquième anniversaire de la promulgation de la Constitution conciliaire sur la Révélation divine, «Dei Verbum», dans laquelle la Sainte Ecriture occupe naturellement une place privilégiée. Et deux autres anniversaires importants se profilent déjà à l’horizon: le centenaire de l’encyclique «Providentissimus Deus», publiée par Léon XIII le 18 novembre 1893, et le cinquantenaire de l’encyclique «Divino Afflante Spiritu», publiée par le Pape Pie XII le 30 septembre 1943.

Ces deux anniversaires attireront l’attention sur la question que vous étudiez actuellement, celle de «l’interprétation de la Bible dans l’Église». Je vous encourage vivement à profiter de cette occasion pour susciter partout un intérêt renouvelé à l’égard de cette question essentielle, et pour aider les hommes et les femmes de notre temps à mieux la comprendre, de façon à pouvoir mieux se nourrir de la Parole de Dieu, dans sa signification authentique.



3. A cette fin, il faut d’abord, évidemment, que vous fassiez vous-mêmes le point sur la question, sans négliger aucune de ses dimensions principales. Je sais que telle est votre préoccupation et je vous en félicite.

Venant après l’encyclique «Divino Afflante Spiritu» et continuant dans la même ligne, la Constitution dogmatique «Dei Verbum» a donné grande satisfaction aux exégètes catholiques en approuvant officiellement, pour l’interprétation de la Bible dans l’Église, le recours aux méthodes scientifiques modernes. Cette prise de position était d’autant plus significative qu’elle venait apaiser les polémiques violentes soulevées par ces méthodes au début du Concile. Les exégètes sont heureux de lire et de relire la déclaration très nette de «Dei Verbum»: «Le saint Concile encourage fortement les fils de l’Église qui se consacrent aux sciences bibliques à poursuivre jusqu’au bout le travail heureusement entrepris, avec une énergie chaque jour rénovée, une ardeur totale, et conformément au sens de l’Église» [1]. Je me fais une joie de vous répéter cela aujourd’hui.

Comme l’avait déjà fait l’encyclique «Divino Afflante Spiritu», le Concile a approuvé spécialement l’étude scientifique des «genres littéraires», nécessaire «pour vraiment découvrir ce que l’auteur sacré a voulu affirmer» [2]. D’autres méthodes se sont développées depuis, pour l’interprétation des textes en général, comme la sémiotique, l’analyse rhétorique ou narrative, ou celle des textes bibliques en particulier, comme l’approche canonique. Il vous appartient d’examiner ces méthodes avec grande ouverture d’esprit et d’en évaluer les mérites et l’utilité. Rien n’est à négliger de ce qui peut contribuer à mettre en lumière les multiples richesses des textes bibliques.

Il convient aussi, naturellement, de rester lucides sur les limites des nouvelles méthodes et d’éviter ce que peuvent avoir d’unilatéral certaines «modes» exégétiques, qui, en réagissant contre un excès, tombent dans l’excès opposé et passent, par exemple, d’un abus de l’analyse historique, dite «diachronique» à une analyse exclusivement «synchronique», dépourvue de toute dimension historique. Une exégèse qui choisit d’être unilatérale cesse par là même de mériter le nom de catholique, car ce nom exprime l’ouverture à toute l’ampleur de la réalité.

4. Cette observation ne vaut pas seulement pour l’utilisation des méthodes. Elle vaut aussi pour la façon d’accueillir l’enseignement de la Constitution «Dei Verbum». Des voix autorisées ont remarqué, à ce propos, une sorte d’unilatéralité de la part de certains exégètes: leur unique réaction a été celle de proclamer, avec grande satisfaction, que le Concile a approuvé l’utilisation des méthodes scientifiques pour l’interprétation de l’Écriture Sainte. C’est là se limiter à un seul aspect des déclarations conciliaires et ignorer un autre aspect, non moins important, exprimé dans le même paragraphe de «Dei Verbum» [3]. Aussitôt après avoir approuvé - et même exigé - l’étude scientifique des textes bibliques, le Concile déclare, pour compléter la perspective, que «la Sainte Écriture doit être lue et interprétée à la lumière du même Esprit qui la fit rédiger»[4]. La Bible est assurément écrite en langage humain - et son interprétation requiert donc l’utilisation méthodique des sciences du langage -, mais elle est Parole de Dieu; l’exégèse serait donc gravement incomplète si elle ne mettait pas en lumière cette portée théologale de l’Écriture.

L’exégèse chrétienne, il ne faut pas l’oublier, est une discipline théologique, un approfondissement de la foi. De ce fait, sa situation est inconfortable, car elle comporte une tension intérieure entre deux orientations différentes, celle de la recherche historique, fondée sur des données vérifiables, et celle de la recherche d’ordre spirituel, fondée sur une adhésion de foi à la personne du Christ. La tentation est grande d’éliminer cette tension intérieure en renonçant à l’une ou à l’autre des deux orientations, et de se contenter soit d’une exégèse subjective, qu’on qualifie faussement de «spirituelle», soit d’une exégèse positiviste, qui rend les textes stériles.

5. Le Peuple de Dieu a besoin d’exégètes qui, d’une part, fassent très sérieusement leur travail scientifique et qui, d’autre part, ne s’arrêtent pas à mi-chemin, mais au contraire poursuivent leurs efforts jusqu’à mettre en pleine valeur les trésors de lumière et de vie contenus dans les Saintes Écritures, afin que pasteurs et fidèles puissent y accéder plus facilement et en profiter plus pleinement.

Vos travaux de ces jours-ci et ceux que vous accomplirez ultérieurement contribueront, j’en ai le ferme espoir, à donner aux exégètes catholiques une conscience plus vive de l’ampleur de leur tâche et de son importance pour la vie de l’Église. Je vous en dis ma sincère gratitude et, pour que le Seigneur favorise la réalisation de cet espoir, je vous donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.

[1] Dei Verbum, DV 23.
[2] Ibid. DV 12.
[3] Ibid. DV 12.
[4] Ibid. DV 12.



AUX PARTICIPANTS À UN COLLOQUE ORGANISÉ PAR L'ÉCOLE FRANÇAISE

Samedi, 20 avril 1991



Monsieur le Cardinal,
Mesdames, Messieurs,

1. En vous accueillant, je suis heureux de constater que l’École Française de Rome est, une fois encore, au rendez-vous de l’histoire religieuse. Après les colloques consacrés à mes prédécesseurs Paul VI et Pie XI, et au Concile Vatican II, vous avez organisé ce nouveau Colloque international, avec le Centre national français de la Recherche scientifique, à l’occasion du centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum» de Léon XIII. Je vous salue cordialement, et tout particulièrement votre Directeur, Monsieur Charles Pietri, qui est aussi membre du Comité international du Conseil pontifical pour la Culture.

Je tiens à vous féliciter pour la part que vous prenez à l’événement que constitue ce centenaire. Je me réjouis de voir des historiens de qualité consacrer leur talent à scruter une page significative de la vie de l’Eglise inscrite dans le riche patrimoine de la culture chrétienne.

Historiens, vous avez tout naturellement consacré vos efforts à l’écriture, au contenu et à la réception de l’encyclique «Rerum Novarum». Votre colloque occupe de ce fait une place singulière dans l’ensemble déjà imposant des rencontres qui, tout au long de cette année centenaire, ont commémoré la publication de cet important document, le premier d’une série devenue déjà longue, que je compte moi-même prolonger d’ici peu.

Le retour au texte devrait être le souci de tous. Combien en effet se font les chantres ou les critiques des textes pontificaux, sans en lire attentivement le texte, ni en étudier le contexte! Une encyclique s’inscrit dans la continuité d’un enseignement et renouvelle sa formulation en fonction aussi bien du changement des problématiques de la société que des nouvelles exigences éthiques qu’elles entraînent pour la foi.

2. De votre relecture du texte, vous êtes passés à l’étude de sa réception. En effet, il ne suffit pas qu’un document, même remarquable, soit publié, pour être compris, et plus encore, mis en pratique. L’accueil des textes du magistère et les réactions qu’ils suscitent sont un élément constant de la tradition catholique. Si votre étude privilégie, pour des raisons évidentes, la France et l’Italie, vous élargissez votre enquête à de nombreux pays, où les situations sociales sont fort différentes, de même d’ailleurs que la présence et l’action de l’Eglise. Un ensemble de monographies précises vous permet de formuler des jugements nuancés, voire contrastés.

Vous rendez ainsi service à l’histoire. Et, je puis l’ajouter, vous rendez aussi service à l’Eglise. La pastorale ecclésiale a besoin de s’appuyer sur des données fondées sur des analyses rigoureuses et des comparaisons suggestives. Rien n’est plus nocif à cet égard que des affirmations sommaires et tranchantes. Tel document, affirme-t-on sans nuance, se heurte à un rejet massif, ou suscite une adhésion sans réserves. Il n’en va pas ainsi dans l’histoire complexe des sociétés humaines. Et il est important de se faire une idée plus exacte du passé, afin de mieux comprendre le présent et d’exercer une action conforme au dessein d’amour de Dieu sur le monde.

3. L’enseignement social de l’Eglise n’a pas d’autre but: traduire le message du Christ en des principes moraux et des orientations pratiques qui mettent en oeuvre, dans le tissu changeant des sociétés humaines, les valeurs permanentes de justice et de charité, de liberté et de solidarité, au service de l’homme, de tout homme, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu.

Grâce à Léon XIII, cet humanisme chrétien a trouvé une formulation systématique lors de la première industrialisation qui devait durablement ébranler les structures de la société et les valeurs morales. Ces temps nouveaux appelaient une nouvelle réflexion en matière sociale. L’analyse des textes, l’appréciation des courants de pensée, l’étude des grandes personnalités et des organisations catholiques, tout cela montre la lente et patiente maturation de la pensée sociale de l’Eglise, notamment dans l’enseignement pontifical, où les principes évangéliques permanents et universels s’inspirent des orientations pratiques au service des personnes et des communautés humaines.

Vos travaux contribuent ainsi à mettre en lumière le caractère propre, essentiellement religieux et moral, de l’enseignement social de l’Eglise, sa finalité éthique et spirituelle, et son mode d’influence spécifique au niveau le plus profond de la réalité humaine, la conscience. Car «Rerum Novarum» mobilise la conscience chrétienne pour la défense de l’homme.

Préparée par d’intenses consultations, nourrie de longues enquêtes, informée des réflexions et des initiatives courageuses des catholiques sociaux, l’encyclique «Rerum Novarum» a inauguré un mode spécifique d’enseignement pontifical fondé à la fois sur la théologie et sur l’analyse sociale. «La misère imméritée des travailleurs, la cupidité d’une concurrence effrénée, une usure vorace, le monopole exercé par un petit nombre de riches et d’opulents qui opposent un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires»: cette situation dramatique décrite en termes lapidaires appelle l’intervention de l’Eglise, porteuse du message du Christ qui transforme les sociétés par son action sur les consciences. L’originalité de Léon XIII a été de réagir à la situation nouvelle des travailleurs, en insistant sur l’importance des associations professionnelles pour créer un ordre social plus juste, et orienter l’évolution sociale et économique.

4. Après tant d’années, nous constatons aujourd’hui que ce texte garde toute sa saveur évangélique, et sa profonde sève humaine.

Pourquoi ces vues si sages et si généreuses furent-elles comme ensevelies sous la poussée d’idéologies ruineuses qui, après avoir promis le paradis terrestre, se sont effondrées dans leur mensonge? Des recherches ultérieures nous éclaireront peut-être davantage sur ces cheminements, sur l’interaction des courants de pensée et des mouvements socio-politiques. A un siècle de «Rerum Novarum», l’effondrement du modèle qui lui était directement opposé réveille des énergies étouffées et demande un renouveau de la pensée et de l’action sociales. Le travail des historiens met cette exigence en lumière et nous incite à penser avec audace et à agir avec détermination pour que cet héritage centenaire soit porteur d’avenir et semeur d’espérance.

La question sociale est aujourd’hui mondiale. La question sociale au seuil du nouveau millénaire est désormais la question de l’homme. Puisse le message de l’Eglise apporter toujours plus clairement à l’humanité la lumière évangélique!

Chers amis, je vous remercie de votre travail approfondi et je vous offre tous mes voeux personnels. Que le Seigneur vous bénisse!




AUX PÈLERINS VENUS À ROME POUR LES BÉATIFICATIONS

Lundi, 22 avril 1991




1. … en italien

2.

3.

4. Je suis heureux de saluer les pèlerins de Belgique, avec les Filles de la Croix, conduits par Monseigneur Albert Houssiau, évêque de Liège, et son prédécesseur Monseigneur Guillaume Van Zuylen. Avec vous je rends grâce pour la personnalité de Marie-Thérèse Haze, désormais honorée et proposée comme modèle par l’Eglise.

Plus encore que par le passé, les Filles de la Croix poursuivront leur vie religieuse et leur apostolat dans l’esprit de cette fondatrice rayonnante. Chères Filles, chacune de vous peut recevoir ce que la Bienheureuse écrivait un jour à Soeur Roberta: «Vous ne serez jamais ni pauvre, ni triste, quand vous penserez que Dieu est votre père, Jésus votre frère, et le Saint-Esprit votre conducteur». Pour le don total de vous-mêmes qu’implique votre vie religieuse, Mère Marie-Thérèse vous a laissé un bel exemple, comme en témoignent ses propres paroles: «Je puis dire avec vérité que je suis pour jamais à Dieu seul, liée par les voeux que j’ai faits, et mille fois plus liée par l’amour qui me les a fait faire».

Avec une générosité puisée dans l’amour manifesté par le Christ sur la Croix, la Bienheureuse Marie-Thérèse a su répondre à tous les appels qui lui venaient des plus pauvres. Je sais que ses filles aujourd’hui, et tous ceux qui travaillent avec elles, agissent dans le même sens, par les tâches pastorales d’évangélisation, les missions d’éducation, le soutien fraternel aux plus démunis. Je vous encourage dans vos oeuvres. Et j’espère que les jeunes en formation prendront activement le relais et que d’autres les rejoindront nombreuses pour étendre encore votre action.

C’est aussi toute l’Eglise à Liège, en Belgique et en bien d’autres pays, qui se réjouit. La Bienheureuse Marie-Thérèse savait entendre les appels des Pasteurs et prendre part à la mission de toute la communauté ecclésiale. Puisse-t-elle inspirer ceux qui sont appelés aujourd’hui à témoigner de l’amour du Christ dans les champs variés de l’apostolat, particulièrement auprès des plus faibles de nos frères et soeurs! Puisse-t-elle aider les fidèles d’aujourd’hui à unir aussi bien qu’elle la profondeur de la vie de foi et l’ardeur de la charité!

A tutti ora imparto di gran cuore la Benedizione Apostolica.




AUX SUPÉRIEURS ET AUX SUPÉRIEURES GÉNÉRAUX D'INSTITUTS FONDÉS PAR LES OBLATS DE MARIE IMMACULÉE

Salle du Trône, Vendredi, 26 avril 1991


Dear Brothers and Sisters in Christ,

1. … en anglais

2.
[3].

3. Le deuxième caractère commun à toutes vos familles est la mission. Vos Instituts, qui ont vu le jour en général dans des pays de mission pour répondre aux défis missionnaires des divers milieux culturels et religieux, sont destinés à vivre intensément leur engagement à annoncer le Christ à ceux qui ne le connaissent pas. La mission est toujours d’une très grande actualité aujourd’hui; elle est la tâche principale de l’Église; elle est une nécessité urgente pour notre temps. Vous qui êtes réunis ici, vous exprimez, en quelque manière, la variété des voies missionnaires, tandis que par les dons particuliers de votre vie consacrée, vous illustrez dans l’Église les multiples visages de la charité et de la contemplation, de l’annonce de l’Évangile et de la promotion de la personne humaine, du dialogue et de l’inculturation. «On ne peut témoigner du Christ sans refléter son image, qui est rendue vivante en nous par la grâce et par l’action de l’Esprit... Celui qui a l’esprit missionnaire éprouve le même amour que le Christ pour les âmes et aime l’Église comme le Christ» [4].

4. Tout charisme vient de l’Esprit et se développe dans l’Église, en contribuant a répondre aux nouveaux défis de la mission [5]. La mission parmi les non chrétiens, la nouvelle évangélisation de ceux qui ne sont plus chrétiens, et l’approfondissement de la foi des chrétiens qui vivent dans un monde en profonde mutation [6] sont des défis considérables et liés entre eux pour l’Église entière. Les personnes consacrées sont en mesure d’apporter une contribution spécifique aux nouveaux engagements de l’Église en vertu de la qualité de leur vie et de la variété de leurs charismes.

C’est pourquoi je désire vous redire à vous aussi, et d’une façon particulière, ce que j’ai demandé instamment à toute l’Église: appliquez-vous sans cesse, spécialement vous, les personnes consacrées, à vous demander d’un coeur ouvert et généreux si vous pouvez faire davantage encore pour la diffusion de l’Évangile. Je vous le redis aujourd’hui et je souligne à nouveau que l’appel à la mission est l’appel à la sainteté.

5. Qu’une dévotion ardente envers la Vierge Immaculée, protectrice spéciale de toutes vos familles religieuses, soutienne votre zèle et votre espérance dans votre cheminement spirituel et dans votre ministère. La Mère de Jésus est un modèle de vie pour tous les croyants, et en particulier pour vous qui lui êtes consacrés. Appelés à suivre le Christ de plus près avec un amour ardent et sans partage, vous pourrez lui rendre témoignage dans le monde par votre vie, avant même de le faire par vos paroles. Que la protection de la Vierge, l’intercession de vos nombreux Fondateurs et Fondatrices, de tant de confrères missionnaires, sanctifiés par le ministère et par le martyre, obtienne à vos divers Instituts de se renouveler spirituellement et d’augmenter en nombre!

En vous offrant ces voeux, je vous donne ainsi qu’à vos Communautés respectives ma Bénédiction Apostolique.

[1] Pauli VI Homilia occasione sollemnis Beatificationis Episcopi Eugenii de Mazenod, die 19 oct. 1975: Insegnamenti di Paolo VI, XIII (1975) 1145.
[2] Cfr. Perfectae Caritatis, PC 1.
[3] Lumen Gentium, LG 47.
[4] Ioannis Pauli PP. II Redemptor Missio, RMi 87 RMi 89.
[5] Cfr. Mutuae Relationes, 11.
[6] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Redemptor Missio, RMi 33.




AUX MEMBRES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE SUISSE

Lundi, 29 avril 1991



Liebe Mitbrüder im Bischofsamt!

1. … en allemand

2.

“[6].

3. En ces journées des 29 et 30 avril 1991, le programme de nos travaux comprend plusieurs points qui constituent les thèmes dont les participants ont déjà pris connaissance.

Tous ces points correspondent à des nécessités fondamentales de l’Eglise dans vos diocèses. Sur chacun d’eux, il est prévu un exposé de la part du Saint-Siège et de l’Episcopat suisse et, ensuite, un échange de vues entre tous les présents.

Les résultats de nos travaux seront publiés sous une forme dont nous serons tous co-responsables.

Comme je l’ai déjà écrit dans ma lettre au Président de votre Conférence épiscopale, «cette rencontre permettra sans doute, par des échanges fraternels, de mieux discerner les appels que Dieu adresse aux Pasteurs auxquels est confiée l’évangélisation de la Suisse. En union avec l’Evêque de Rome qui, "en sa qualité de pasteur de tous les fidèles, envoyé pour assurer le bien commun de l’Église universelle et le bien de chacune des Églises" [7], participe à votre tâche apostolique, vous vous efforcerez de toujours mieux partager avec les fidèles confiés à vos soins les richesses du Christ vivant, pain de vie dont ils ont faim» [8].

Nous centrerons notre attention sur les exigences concrètes de la parole du Christ pour tout ce qui concerne l’unité de son Église et la proclamation efficace de son Évangile. Assurément, nous aurons conscience que notre ministère apostolique nous appelle à proclamer «le Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu» [9] et d’être des témoins authentiques de Celui qui a toujours été, et qui demeure plus que jamais prophétiquement dans le monde d’aujourd’hui, par son amour, par sa douceur et son obéissance parfaite à la volonté du Père, «un signe de contradiction, afin que se révèlent les pensées intimes de bien des coeurs» [10].



4.  en italien…


[1] Vgl. Lc 10,16.
[2] Vgl. 1Co 4,15.
[3] Ibid., 1Co 4,1.
[4] Vgl. Rm 15,16; Apg 20, 24.
[5] Vgl. 2Co 3,8-9; Lumen gentium, LG 21 f.
[6] Predigt vom 12. Juni 1984, 4.
[7] Décret Christus Dominus, CD 2.
[8] Lettre du 28 février 1991.
[9] 1Co 1,24.
[10] Cf. Lc 2,34-35.
[11] Mt 18,20.
[12] Lumen Gentium, LG 23.
[13] Cf. Ac 4,33.
[14] Ap 2,7.
[15] Ac 4,33.

Mai 1991



AU TERME DE LA CÉLÉBRATION DU PREMIER CENTENAIRE DE LA PUBLICATION DE L'ENCYCLIQUE «RERUM NOVARUM»

Salle du Synode, Mercredi, 15 mai 1991


Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l’Épiscopat,
Chers Frères et Soeurs,



1. En ces jours, des milliers de pèlerins de divers continents viennent à Rome pour célébrer dans des sentiments de gratitude le centenaire de la publication de l’encyclique Rerum novarum. Un peu partout dans le monde de très nombreuses initiatives sont prises pour commémorer cette date historique. Le Saint-Siège, bien conscient de sa dette à l’égard du Pape Léon XIII, le fait avec cette séance solennelle que vous honorez de votre présence et que j’ai la joie de présider. Elle fait suite au Séminaire sur le thème bien actuel de «la destination universelle des biens» dont les participants nous accompagnent maintenant et que je tiens à saluer spécialement. Pour ces initiatives très opportunes, je voudrais remercier tout le Conseil pontifical «Justice et Paix» en la personne de son Président, Monsieur le Cardinal Roger Etchegaray, et de son Vice-Président, Monseigneur Jorge Mejía. De telles études, ouvertes aux spécialistes de différentes disciplines, poursuivent une tradition ancienne dont avait déjà bénéficié le Pape Léon XIII pour la préparation de son encyclique.

A présent, dans le cadre de ce centenaire de Rerum novarum et en rapport avec Centesimus annus, je voudrais vous proposer quelques réflexions précisément autour de la pensée sociale de l’Eglise sur la destination universelle des biens.



2. La destination universelle des biens de la terre.

Dès le début de son encyclique, le Pape Léon XIII a souligné le fait que, comme conséquence des techniques nouvelles, la production des biens augmentait rapidement et que l’humanité se trouvait face à une richesse qu’elle n’avait jamais connue dans le passé. Il ne refusait pas cette res nova en elle-même; au contraire, il voyait en elle une réalisation nouvelle de la volonté de Dieu de parfaire l’oeuvre de sa création grâce au travail de l’homme et pour le bien de l’homme. Mais le Pape s’inquiétait de voir que cette richesse nouvelle, loin d’être disponible à tout le genre humain, demeurait, en réalité, concentrée entre les mains d’un petit nombre de personnes, tandis que la masse des prolétaires était exclue de sa jouissance et devenait toujours plus pauvre.

Un tel résultat était en contradiction directe avec la volonté de Dieu qui a donné la terre à tout le genre humain pour en faire usage et en disposer. C’est pourquoi le Pape s’efforça délibérément, notamment par son encyclique, de montrer les voies et les moyens de réaliser aussi cette volonté de Dieu dans la société industrielle. Assurément, il n’était ni permis ni réaliste de vouloir y parvenir par l’abolition de la propriété privée; c’est pourquoi le Pape demandait l’attribution d’un juste salaire, la possibilité effective pour les ouvriers d’accéder à la propriété, et également l’intervention de l’État et une organisation judicieuse du travail.

Le Pape n’avait pas alors - et il ne faut pas s’en étonner - la possibilité de connaître ou de prévoir tous les moyens et toutes les méthodes dont nous disposons aujourd’hui, comme la formation professionnelle, la participation au capital productif, l’assistance de l’État, les diverses formes de redistribution du profit, et d’autres encore. Cependant, dans son encyclique, Léon XIII commençait par établir le fondement et l’orientation sur lesquels les encycliques suivantes se sont appuyées, que ce soit pour dénoncer des situations injustes ou pour ouvrir de nouvelles voies à la mise en pratique de la destination des biens à tous.

Pour ma part, dans l’encyclique Centesimus annus, j’ai insisté surtout sur trois problèmes actuels. Le premier concerne l’injuste répartition des biens entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement. L’Église se rend compte qu’il n’est pas facile de combler cet «abîme» d’un seul coup. Quand on souhaite et quand on demande une politique de développement, il ne faut pas être utopiste, mais, devant l’aggravation de la misère d’une part, et devant les possibilités économiques et techniques actuelles d’autre part, l’Église considère qu’il est nécessaire d’insister toujours plus et de répéter que, même graduellement, il faut d’urgence que des initiatives plus radicales et plus efficaces soient prises en faveur des pays pauvres et avec leur collaboration.



3. Le second problème concerne l’injuste distribution des biens à l’intérieur de chaque pays; et c’est là un problème qui touche les pays en voie de développement et aussi les pays industrialisés. Au cours de mes voyages pastoraux dans les pays du Tiers-Monde, j’ai souvent répété que l’injuste distribution des biens de la terre, l’exploitation du travail et le style de vie luxueux de quelques-uns sont des violations scandaleuses de la destination des biens à tous.

Mais, il faut le redire, des problèmes du même ordre se posent dans les pays industrialisés. Une partie notable de la population en Europe de l’Ouest vit dans des conditions de pauvreté qui sont sources de dures souffrances. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, le phénomène est encore plus étendu. Et cette nouvelle pauvreté n’atteint pas aujourd’hui une classe déterminée, mais elle est diffuse et touche des groupes différents qu’on oublie souvent, si ce n’est toujours, dans la société de bien-être.

Je voudrais encore mentionner un autre fait qui est lié à la destination universelle des biens. Nous savons que le capital productif, au plein sens de ce mot, augmente vite, spécialement dans les pays industrialisés. Cependant, cette augmentation ne se réalise pas toujours au bénéfice d’un grand nombre de personnes, mais le capital reste concentré entre les mains de quelques personnes. Or, la doctrine sociale de l’Église a toujours défendu la participation d’un grand nombre au capital productif, parce que la propriété est un des moyens importants de protéger la liberté et la responsabilité de la personne et, par conséquent, de la société.



4. Le troisième problème d’actualité au sujet de la destination des biens concerne les responsabilités que nous portons à l’égard de la création et à l’égard des générations à venir. Certains mettent toutes leurs espérances dans les technologies nouvelles, en pensant qu’elles pourront considérablement réduire toutes les menaces qui pèsent sur l’équilibre écologique. A vrai dire, pour l’Église, il ne s’agit pas seulement d’un problème technique, mais aussi et avant tout d’un problème moral. Il ne suffit pas d’évoquer les grands dommages causés dans le milieu naturel, il faut insister aussi, et plus peut-être, sur les souffrances quotidiennes qu’infligent aux hommes les diverses formes de pollution, les aliments altérés ou nocifs, la circulation désordonnée des véhicules qui rend l’air irrespirable. De plus, «en dehors de la destruction irrationnelle du milieu naturel, il faut rappeler ici la destruction encore plus grave du milieu humain, à laquelle on est cependant loin d’accorder l’attention voulue» [1].

[1] Centesimus annus, CA 38.

5. La «destination universelle» du service de l’autorité.

On sait que Léon XIII exprimait dans son document une deuxième préoccupation: il observait lucidement que le nouveau mode de production, découlant du capitalisme, entraînait la concentration dans les mains des détenteurs du capital d’un pouvoir économique et social tel que les ouvriers, ne disposant d’aucune propriété personnelle, pouvaient être facilement exploités et opprimés par le poids même du capital. Mais ce danger n’était pas le seul. Le Pape en prévoyait aussi un autre: le danger que le capital «prenne possession», c’est-à-dire conquière et usurpe l’autorité même de l’État, renforçant ainsi son monopole économique et social.

Face à cette situation critique, le Pape déclarait de manière décisive: «Les travailleurs des classes prolétaires sont, par le droit naturel, des citoyens au même titre que les riches, c’est-à-dire des composantes réelles et vivantes, en tant que familles, du corps entier de la nation [...]. Comme il serait absurde de pourvoir aux besoins d’une partie des citoyens et de négliger l’autre, il est donc évident que l’autorité publique doit aussi prendre les mesures voulues pour sauvegarder la vie et les intérêts de la classe ouvrière. Si elle y manque, elle viole la stricte justice qui veut qu’on rende à chacun son dû. [...] Toutefois, dans la protection des droits privés, l’État doit se préoccuper d’une manière spéciale des petits et des pauvres, [...] tout particulièrement des travailleurs qui appartiennent à la foule des déshérités»[2]. A ce sujet, on peut établir une analogie: de même que les biens de la terre sont destinés à tous, de même les pouvoirs publics sont destinés au bien de tous, et non seulement au bien d’un groupe particulier. En insistant sur ce principe, le Pape ne prenait en aucune manière la défense de l’État collectiviste et totalitaire; au contraire, il ajoutait explicitement que la responsabilité sociale ne doit pas être concentrée exclusivement dans l’État. En effet, il répétait que les droits de la famille sont antérieurs à ceux de l’État, et que les associations libres ont le droit naturel de s’organiser et de résoudre leurs propres problèmes sociaux. De fait, il faut maintenir que la nature sociale de l’homme ne s’épuise pas dans l’État, mais que la «personnalité» de la société doit toujours être respectée, avec son autonomie et ses responsabilités propres[3].

Mise à part cette clarification nécessaire, l’insistance du Pape Léon XIII sur la «destination» des pouvoirs publics au bien de tous représenta un apport important non seulement pour soutenir les ouvriers, mais aussi en vue de dépasser la lutte des classes.

Dans ce domaine, il ne faut pas s’étonner que le Pape n’ait pas eu connaissance alors de tout ce qu’impliquait l’affirmation de la «destination» des pouvoirs publics au bien de tous. Mais ici encore, Rerum novarum énonçait un principe de base sur lequel les encycliques sociales suivantes ont pu approfondir le rôle de l’État pour la promotion du bien commun dans le domaine économique, de même que dans le domaine social et culturel, en insistant toujours autant sur sa présence nécessaire que sur le principe de subsidiarité.

[2] Rerum novarum Nn. 27. 28 cf. Centesimus annus, CA 8 CA 10.
[3] Cf. Centesimus annus, CA 13.


6. L’extension du champ d’action des pouvoirs publics fait partie, aujourd’hui encore, des problèmes les plus sérieux de l’ordre social dans les pays industrialisés comme dans les pays en voie de développement. Même si l’idéologie de la lutte des classes ne trouve plus guère de défenseurs après l’écroulement du «socialisme réel», l’État moderne se trouve face à deux dangers.

Le premier réside dans la tendance à devenir un État de l’assistance pour tous les citoyens, sans prendre spécialement en considération les personnes qui ont plus besoin d’être aidées. Dans ces conditions, les besoins de certains groupes sont ignorés ou ramenés à des catégories générales. Que l’on pense, par exemple, aux besoins spécifiques des familles nombreuses, des personnes handicapées, des personnes âgées, des réfugiés ou des immigrés. Lorsque Léon XIII parlait de la responsabilité des pouvoirs publics à l’égard de tous, il ne défendait certes pas un égalitarisme confus; il attirait au contraire l’attention des États sur leur responsabilité particulière à l’égard de ceux qui sont dépourvus des moyens de subvenir eux-mêmes à leurs besoins.

Le second danger réside dans le risque que le poids de l’assistance assurée par l’État réduise et affaiblisse ce que j’ai souvent appelé la «personnalité» de la société. Nous nous trouvons aujourd’hui face à une situation très difficile: la tendance à l’individualisme et à l’atomisation de la société s’accroît. En conséquence, on voit se développer la tendance de l’État à pallier les lacunes dans la solidarité sociale par des structures coercitives et des mécanismes bureaucratiques. Dans ces conditions, il est important que l’État moderne réussisse à rendre responsable la société et à la motiver dans les activités économiques, sociales et culturelles. Pour arriver au bien commun d’une manière vraiment digne de l’homme, il faut qu’il y ait un juste équilibre entre la coresponsabilité des membres de la société et l’engagement de l’État, comme je l’ai rappelé moi-même dans Centesimus annus [4].

La portée de cette orientation dépasse de beaucoup le seul horizon d’une nation, elle touche aussi la construction de l’unité européenne ou les efforts analogues menés en d’autres continents. Une Europe unie ne peut absorber dans des structures uniformes les initiatives économiques, sociales et culturelles spécifiques de chacun des pays, mais elle peut être d’un grand secours pour tous si les organisations continentales s’associent et se concertent avec les régions, dans le respect de leur autonomie.

[4] N. CA 48.


7. La «destination universelle» de l’annonce évangélique.

Léon XIII était convaincu que la destination des biens à tous et la «destination» des pouvoirs publics à tous étaient des principes fondamentaux aux premières époques de la société industrielle. Mais il est impressionnant de lire, dans Rerum novarum, que «tous les trésors de la grâce appartiennent en commun et indistinctement à tout le genre humain»[5] et de constater que l’ensemble du document est pénétré de la conviction que les réformes économiques et politiques ne suffisent pas par elles-mêmes à résoudre la question sociale. Les réformes de structure doivent être accompagnées, voire précédées, d’une réforme morale, inspirée par l’Évangile et soutenue par la grâce. De là découle l’appel constant du Pape à la conscience des dirigeants d’entreprise et des ouvriers, son insistance sur le fait que la religion doit être considérée comme fondamentale dans les associations des ouvriers et des dirigeants. On doit entendre dans le même sens son appel à l’État pour qu’il protège le droit des ouvriers à la pratique religieuse.

Léon XIII était convaincu que l’Église, en même temps que sa mission spécifique d’annoncer l’Évangile, avait le devoir d’insister sur les conséquences sociales qui en découlent. Sa grande préoccupation était de ne pas voir s’instaurer une sorte de processus d’aliénation qui séparât l’Évangile et la société industrielle et, par conséquent fît perdre à l’Évangile toute influence dans la solution des problèmes sociaux. Il disait: «D’abord, tout l’ensemble des vérités religieuses, dont l’Église est la gardienne et l’interprète, est de nature à rapprocher et à réconcilier les riches et les pauvres, en rappelant aux deux classes leurs devoirs mutuels, à commencer par ceux qui dérivent de la justice» [6]. Et il n’hésitait pas à ajouter ce motif essentiel: «Nul ne saurait avoir une intelligence vraie de la vie mortelle, ni l’estimer à sa juste valeur, s’il ne s’élève jusqu’à la considération de cette autre vie qui est immortelle. Celle-ci supprimée, toute espèce et toute vraie notion de bien moral disparaît. Bien plus, l’univers entier devient inaccessible» [7]. Et aussi: «C’est encore trop peu de la simple amitié: si l’on obéit aux préceptes du christianisme, c’est dans l’amour fraternel que s’opérera l’union. On saura, et l’on comprendra que les hommes sont tous issus de Dieu, leur père commun» [8].

Dans son histoire désormais centenaire, la doctrine sociale de l’Église a toujours affirmé que la réforme des structures doit être accompagnée d’une réforme morale, car la racine la plus profonde des maux sociaux est de nature morale, c’est-à-dire «d’une part le désir exclusif du profit et, d’autre part, la soif du pouvoir» [9]. La racine des maux sociaux étant de cet ordre, il s’ensuit qu’ils ne peuvent être surmontés qu’au niveau moral, c’est-à-dire par une «conversion», par un passage de comportements inspirés par un égoïsme incontrôlé à une culture d’authentique solidarité.

Cette affirmation conserve pleinement son sens pour la société d’aujourd’hui et pour celle de demain. Face aux graves problèmes nationaux et internationaux actuels, il importe de garder la vive espérance que même ceux qui ne professent explicitement aucune foi religieuse seront convaincus que les maux sociaux «ne sont pas seulement d’ordre économique, mais qu’ils dépendent d’attitudes plus profondes s’exprimant, pour l’être humain, en valeurs de nature absolue» [10]. J’ai fait appel à toutes les Églises et à toutes les communautés chrétiennes, ainsi qu’aux autres religions du monde, pour qu’elles collaborent afin de faire partager à tous les hommes la conviction que ce fondement moral et religieux est nécessaire à la solution des nombreux problèmes économiques, sociaux et politiques qui demeurent.

[5] Rerum novarum, 21.
[6] Ibid., 16.
[7] Ibid., 18.
[8] Ibid., 21.
[9] Cf. Sollicitudo rei socialis, SRS 37.
[10] Ibid., SRS 38.


8. Chers Frères et Soeurs, le centième anniversaire de Rerum novarum nous invite à un regard «rétrospectif», à un regard «actuel» sur les «choses nouvelles» qui nous entourent, et aussi à porter notre regard «vers l’avenir» [11]. Le regard «rétrospectif» nous invite à rendre grâce à Dieu qui a donné à l’Église un «riche patrimoine» dans le message historique du Pape Léon XIII. Notre reconnaissance va aussi à tous ceux qui, au cours de ces cent années, se sont employés à approfondir ce message et à le mettre en pratique. Le regard «actuel» nous invite à constater et à évaluer avec beaucoup d’attention les profonds changements économiques, sociaux et politiques survenus ces dernières années, afin de contribuer à la solution des problèmes qu’ils suscitent. Le regard «vers l’avenir» nous invite, aujourd’hui plus que jamais, à renouveler l’engagement que Léon XIII formulait ainsi: «Que chacun se mette sans délai à la tâche qui lui incombe, de peur que, en différant le remède, on ne rende incurable un mal déjà si grave». Et il ajoutait: «Quant à l’Église, son action ne fera jamais défaut en aucune manière» [12].

Alors qu’approche le commencement du troisième millénaire chrétien, je crois que la célébration la plus digne et la plus fructueuse de l’encyclique Rerum novarum consiste à renouveler cet engagement, à confirmer que son accomplissement généreux est un devoir. Nous osons espérer que le nouveau millénaire sera une ère de justice et de paix pour le monde entier.

Que la Bénédiction de Dieu nous aide à être toujours plus «assoiffés de la justice» et «artisans de paix» [13].


[11] Cf. Centesimus annus, CA 3.
[12] Rerum novarum, 45.
[13] Mt 5,6 Mt 5,9.



Discours 1991 - Samedi, 23 mars 1991