Discours 1991 - Salle du Synode, Mercredi, 15 mai 1991


A UN GROUPE D'ÉVÊQUES ET PRÊTRES AFRICAINS VENUS À ROME POUR CÉLÉBRER LE XXVe ANNIVERSAIRE DE LEUR ORDINATION SACERDOTALE

Samedi, 18 mai 1991



Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,

C'est avec joie que je vous accueille et que je vous offre mes meilleurs voeux à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de votre ordination sacerdotale. Vous avez voulu marquer ce jubilé par une rencontre fraternelle à Rome en tant qu’anciens condisciples du Collège romain de la Propagation de la Foi: je suis heureux que vous puissiez faire ce pèlerinage, qui est un retour aux sources de votre formation apostolique au lieu même où saint Pierre, saint Paul et les premiers chrétiens ont donné un éloquent témoignage au Christ par le don de leur vie.

Avec vous, je rends grâce à Dieu pour ces vingt-cinq années de fidélité à son appel et pour le labeur accompli, au service de l’Évangile, dans le ministère épiscopal et sacerdotal. Étant donné que le trésor de la vocation, «nous le portons en des vases d’argile» [1], suivant les paroles de saint Paul, j’implore pour vous les grâces de l’Esprit de Pentecôte afin que vous soyez affermis dans votre mission d’annoncer la Bonne Nouvelle, d’être de fidèles intendants des mystères divins et de guider le peuple des baptisés sur les chemins de la foi.

En particulier, je souhaite que vous apportiez, au poste qui vous a été confié, votre contribution enthousiaste à la préparation de l’Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique afin que l’Église, sur votre continent, devienne encore plus conforme à l’image voulue par le Seigneur, qu’elle puisse «répandre sur tous les hommes la clarté du Christ»[2] et aussi prendre sa part active et généreuse face aux épreuves que connaissent vos pays.

En vous recommandant à Notre-Dame, Reine des Apôtres, je vous donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique en cette heureuse circonstance et je l’étends bien volontiers à vos proches ainsi qu’au Peuple de Dieu que vous servez.

[1] 2Co 4,7.
[2] Lumen Gentium, LG 1.



AUX DIRIGEANTS DE LA CONFÉDÉRATION FRANÇAISE DES TRAVAILLEURS CHRÉTIENS

Lundi, 20 mai 1991




Monsieur le Président, chers amis,



Pèlerins à Rome à l’occasion du centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum», je suis heureux d’accueillir en vous les actifs continuateurs des premiers syndicats chrétiens de votre pays, contemporains du Pape Léon XIII. En 1987, je m’étais volontiers associé par un message au centenaire que vous célébriez à Versailles. Aujourd’hui, je vous remercie de venir auprès du successeur de Pierre témoigner de la vitalité de la Confédération française des Travailleurs chrétiens, au moment même où les chrétiens sont particulièrement attentifs au Magistère en matière de doctrine sociale dont l’époque moderne a commencé il y a un siècle.

J’ai eu l’occasion de souligner, dans ma récente encyclique, non seulement le fait que la réflexion de Léon XIII a tenu compte des études et des réalisations des divers mouvements sociaux chrétiens de son temps, parmi lesquels se rangent vos précurseurs[1], mais aussi l’influence décisive qu’a exercé par la suite le Mouvement ouvrier pour avancer vers la réalisation des réformes préconisées par le Pape. D’ailleurs, comment ne pas rappeler aujourd’hui que votre syndicat, à sa fondation, s’est référé explicitement à «Rerum Novarum» dans ses statuts?

Mais le centenaire que nous célébrons n’aurait que peu d’intérêt si nous nous contentions de tourner nos regards vers le passé. Un tel jubilé est une occasion de faire le point et de trouver un dynamisme nouveau, dans le cadre d’une tradition vivante, d’un enseignement qui s’enrichit et cherche à répondre aux «choses nouvelles», pour une action qui doit faire face aux problèmes de l’heure. Je n’en ferai pas l’analyse dans les limites de notre brève rencontre; je désire simplement vous encourager à poursuivre votre participation au dialogue social par la mise en oeuvre de la doctrine qui est un bien commun aux chrétiens et qui est proposée à tous les hommes de bonne volonté. Je pense, à titre d’exemple important, au sens réel d’une lutte pour préserver et développer l’emploi: il y va de la dignité de millions d’hommes et de femmes qui doivent vivre décemment en famille tout en épanouissant leurs capacités personnelles et qui doivent donc pouvoir accéder à une formation adaptée. Dans les divers secteurs du monde du travail, l’inspiration chrétienne invite aussi à placer toujours au premier plan le souci de la solidarité, d’une solidarité qui ne s’arrête pas à un groupe déterminé, et qui, de proche en proche, concerne toute l’humanité, osons le dire en un temps où l’on ne peut encore parler d’un seul monde, mais de plusieurs «mondes» placés dans un ordre numérique! Les distances qui les séparent entachent la solidarité, qui devrait être une, et elles se traduisent par les drames humains que vous connaissez.

Chers amis, au lendemain de la fête de Pentecôte, je ne puis que vous souhaiter de mener votre action avec la vigueur brûlante de l’Esprit, dans l’amour qu’il met dans nos coeurs d’abord pour les plus démunis, dans la vérité qu’il nous permet de connaître, dans la recherche d’un progrès vers l’unité entre les membres divers de la société. Souvenez-vous du prix qu’a votre travail aux yeux de Dieu, véritable offrande, présentée au Père avec le Christ, d’un monde où les laïcs «s’appliquent de toutes leurs forces à obtenir que les biens créés... soient mieux distribués entre les hommes et qu’ils acheminent selon leur nature à un progrès universel dans la liberté humaine et chrétienne»[2].

Que Dieu vous bénisse, ainsi que vos proches et vos amis!

[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Centesimus Annus, CA 4.
[2] Lumen Gentium, LG 36.






AUX MEMBRES DE L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES FILLES DE LA CHARITÉ DE SAINT VINCENT DE PAUL

SUR LE THÈME: «COMMENT ÊTRE, DANS ET POUR LE MONDE D'AUJOURD'HUI, D'AUTHENTIQUES FILLES DE LA CHARITÉ?»

Salle Clémentine, Lundi, 27 mai 1991




Chères Soeurs,



1. Vous êtes les déléguées de 30.000 Filles de la Charité. Quelle joie et quelle responsabilité! En vous saluant de tout coeur, je rejoins en esprit chacune de vos Soeurs et les remercie vivement au nom de l’Église et de tous ceux qui bénéficient de leur charisme vincentien. A vous, Soeur Juana Elizondo, je renouvelle mes voeux fervents de sagesse et de force d’âme. Les Supérieures générales qui vous ont précédées étaient issues de la terre de France, comme saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac. Vos racines familiales sont de l’autre côté des Pyrénées. Votre élection éclaire d’une lumière nouvelle le caractère déjà très international de la Compagnie, dans la certitude que l’esprit des Fondateurs sera maintenu avec fermeté et enthousiasme, sur les pas de Soeur Suzanne Guillemin, de Soeur Lucie Rogé récemment décédée, de Soeur Anne Duzan, qui vous ont transmis ce qu’elles-mêmes avaient reçu d’une remarquable lignée de Supérieures générales.



2. En ces quelques mots du coeur, je voudrais faire écho au thème si important de votre Assemblée générale: «Comment être, dans et pour le monde d’aujourd’hui, d’authentiques Filles de la Charité?». Vous avez été fondées uniquement pour servir le monde des déshérités, des «petits». Je vous exhorte plus que jamais à partager la misère du monde contemporain, comme vos saints Fondateurs l’ont fait en leur temps et le feraient encore aujourd’hui.

La source vivifiante de votre service des pauvres est la contemplation quotidienne du Christ, partageant concrètement les souffrances, l’insécurité, le rejet, l’humiliation, le désespoir des pauvres. Contemplation bouleversante en elle-même! Contemplation qui vous inspire aussi dans la recherche d’un service efficace, que ce soit auprès des jeunes, des adultes, des vieillards, des malades, tous frappés par le fléau des misères engendrées par de nombreuses causes que vous connaissez, entre autres, par l’évolution rapide et mal contrôlée de la société actuelle.

Vous-mêmes, humbles servantes des pauvres, renouvelez sans cesse votre «goût» de la pauvreté, d’une pauvreté volontaire et digne, en renonçant à tout ce qui n’est pas nécessaire à votre vocation caritative. Le souffle de Pentecôte qui passa sur l’Église en état de Concile lui inspira de vouloir être davantage «servante et pauvre». Certes, l’Église s’efforce de vivre cet idéal. Cependant le poids des habitudes peut en éloigner. L’influence des modes de vie dans les pays les plus aisés et le besoin de moyens modernes et coûteux qu’il est légitime de mettre en oeuvre pour l’apostolat, tout cela est à maîtriser et à équilibrer en pleine fidélité à l’esprit de vos fondateurs.



3. Permettez-moi, mes Soeurs, de souligner un autre élément de votre service des pauvres, d’ailleurs proposé à la réflexion de votre Assemblée générale: à savoir, le soutien que vous devez trouver dans votre vie communautaire et fraternelle. Sainte Louise de Marillac ne disait-elle pas: «Dieu soit béni de la bonne intelligence et sainte paix qui est entre vous; c’est ainsi qu’il faut vivre pour être chrétienne, à plus forte raison pour être Fille de la Charité» [1]? Vous enrichissez d’autant plus cette vie fraternelle qu’elle est nourrie au jour le jour par une prière communautaire vivante, à laquelle chaque Soeur apporte fidèlement le meilleur d’elle-même et de sa foi.

Chères Soeurs, au nom du Christ et de l’Église, j’ose vous mobiliser de nouveau pour le monde immense et très diversifié de la pauvreté. Que la grâce toute-puissante du Seigneur fasse des merveilles dans vos vies, qui sont déjà et seront davantage encore un appel - je le souhaite ardemment - pour les jeunes de notre temps, particulièrement sensibles à la misère! Avec mon affectueuse Bénédiction Apostolique!
[1] Sainte Louise de Marillac, Maximes de vie, n.73.






AUX PARTICIPANTS À LA XIVe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DE LA «CARITAS INTERNATIONALIS»

Mardi, 28 mai 1991




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,
Chers amis,

1. La quatorzième assemblée générale de Caritas internationalis a lieu au cours de l’Année de la doctrine sociale de l’Église, dans les jours où nous commémorons l’encyclique Rerum Novarum. Je remercie votre Président pour les paroles aimables qu’il vient de m’adresser et je suis heureux de vous accueillir en ce moment, car le thème choisi pour inspirer vos travaux, «Charité chrétienne, solidarité humaine», met en valeur un aspect fondamental de l’attitude chrétienne dans la vie sociale.

Le symbole graphique que vous avez adopté pour vos assises superpose à la carte du monde un réseau serré de relations; c’est une image suggestive des liens multiples de la solidarité et de la charité qui franchissent librement les frontières. Cette image évoque l’interdépendance entre les peuples de la terre; au-delà du fait lui-même, il nous revient de lui donner son sens de compréhension mutuelle, en dépouillant le nom d’«étranger» de ce que son emploi peut comporter de distance ou d’indifférence; il nous revient de traduire l’interdépendance dans des termes fraternels; il nous revient de créer entre les personnes, les groupes ou les nations les liens d’une entraide désintéressée, respectueuse de la dignité des personnes, ouverte à une véritable communion.



2. La solidarité, que l’on peut comprendre comme une valeur ou une vertu, exprime à un niveau humain fondamental les liens qui doivent unir les personnes et les peuples, non pas à la manière du constat d’une réalité imposée, mais comme un principe dynamique d’action pour la construction de la société humaine. Dans la vie sociale, elle représente une force, un facteur de progression pour la mise en oeuvre de la justice et l’édification de la paix, selon ce que j’ai appelé «le principe de "tous avec tous", "tous pour tous"». Du point de vue moral, la solidarité représente une vertu nécessaire, une obligation qui découle de la nature même de l’homme bien inséré dans la communauté humaine. Le Concile Vatican II demandait aussi «que tous prennent très à coeur de compter les solidarités sociales parmi les principaux devoirs de l’homme d’aujourd’hui, et de les respecter» [2].

Dans la formulation de votre thème, vous avez lié la charité et la solidarité. A ce propos, je rappellerai les termes employés par le Pape Pie XII lorsque, devant un monde déchiré, il dénonçait «l’oubli de cette loi de solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien par la communauté d’origine et par l’égalité de la nature raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu’ils appartiennent, que par le sacrifice de rédemption offert par Jésus-Christ sur l’autel de la Croix à son Père céleste en faveur de l’humanité pécheresse» [3]. Il exprimait bien ainsi la connexion étroite qui existe entre la nature humaine créée par Dieu dans une solidarité fondamentale et la puissance de l’amour rédempteur qui surmonte les ruptures du péché. Dans l’enseignement social de l’Église, vous le savez, la solidarité ne se sépare pas de la charité; il serait même excessif de les placer dans des ordres différents.

De fait, l’option fondamentale de Caritas les associe, puisqu’il s’agit, pour ses nombreuses branches locales, d’animer des communautés chrétiennes «de justice, de charité et de paix». Comment pourrait-on isoler la solidarité de la justice, de la paix fraternelle, de l’amour «répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit» [4]? Nous avons à méditer sans cesse les appels de l’Apôtre Paul: «Par la charité, mettez-vous au service les uns des autres. [...] Puisque l’Esprit est notre vie, que l’Esprit nous fasse aussi agir. [...] Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la Loi du Christ» [5]. A quelques jours de la Pentecôte, ces paroles sont éloquentes: l’Esprit de Dieu nous pousse à être solidaires par amour!

3. Selon cette orientation essentielle, votre première mission est d’être des vivants porte-parole des appels de la charité, de montrer à tous les fidèles les voies qu’il est urgent de suivre pour réaliser une réelle communion d’amour entre frères et soeurs en humanité, sans oublier aucun des plus démunis. Il importe, pour que cela prenne une forme concrète et efficace, que, dans les diverses communautés, des organismes assurent la coordination des initiatives nécessaires, en liaison directe avec les Pasteurs des diocèses et avec les conférences épiscopales. Notre Conseil pontifical Cor Unum, dont Caritas Internationalis est membre, remplit cette mission d’harmonisation et de réflexion pour l’Église universelle.

A juste titre, une de vos préoccupations est d’arriver à une prise en charge moderne, techniquement bien conçue, du partage des biens matériels et spirituels qui s’impose aux fidèles pour donner tout son sens concret à la communion ecclésiale. Vous employez volontiers le mot de «diaconie» pour désigner cette action structurée: le terme évoque bien la dimension de service des pauvres présente dans l’Église dès les temps apostoliques. Aujourd’hui, le recours aux moyens modernes invite à élargir les champs de la solidarité; veillez à renforcer d’autant les implications personnelles de ceux qui agissent. C’est là votre contribution spécifique à la pastorale sociale de l’Église.



4. En parcourant le programme de vos travaux, j’apprécie l’ampleur des tâches que vous vous proposez. Je m’en tiendrai à certains aspects. Vous avez le souci de donner aux agents qui se consacrent à l’action des Caritas une formation non seulement technique ou professionnelle, mais aussi spirituelle et théologique. Je vous encourage vivement à ne jamais perdre de vue cet équilibre: en effet, on ne peut se contenter, dans les domaines de la solidarité et de la charité, d’une efficacité pratique. On ne peut franchir les obstacles considérables qui freinent l’entraide entre personnes différentes et entre nations sans être poussé par la force de l’amour qui vient de Dieu, guidé par l’intelligence de la foi qui éclaire sur le sens de la vie donnée par Dieu à tous, animé par l’espérance qui ouvre dans le monde les voies du Royaume en passant par la Personne du Christ. Permanents et volontaires bénévoles des Caritas seront d’autant mieux les animateurs de l’entraide qu’ils seront plus conscients de leur condition de disciples du Sauveur et plus ouverts à sa grâce.

Parmi vos préoccupations spécifiques, je voudrais en évoquer trois qui me tiennent particulièrement à coeur. Je pense d’abord à l’aide que nous devons apporter aux réfugiés, si nombreux actuellement, notamment en Afrique. D’autre part, il y a tous les problèmes liés à la santé, aux épidémies inquiétantes qui sévissent en ce moment; certaines pourraient être enrayées si les moyens de prévention et de soins étaient mieux répartis; pour d’autres, et c’est le cas du sida, on ne dispose pas encore des moyens de guérir; tout cela nous invite à redoubler de générosité pour prévenir l’extension des fléaux et soigner les victimes. Enfin, je mentionnerai l’aide que méritent tant de familles qui ont du mal à vivre, à accueillir et à éduquer leurs enfants et à assurer une vieillesse digne aux anciens: leur condition constitue un souci premier pour l’Église, car la vie de famille touche aux sources vives de chaque personne, de ses chances de s’épanouir et d’être fidèle à sa vocation. Vous pouvez grandement contribuer à ce que l’on ne reste pas indifférent ou inactif devant leurs difficultés.

Les actions que vous conduisez au niveau local, national ou international vous amènent naturellement à diverses collaborations qui peuvent être très utiles. L’action caritative invite heureusement à unir les efforts des catholiques avec ceux des chrétiens d’autres communautés ecclésiales; elle constitue un terrain de dialogue oecuménique qu’il convient d’encourager comme une des avancées possibles sur les chemins de l’unité. Dans certaines régions, une collaboration analogue avec des croyants d’autres religions peut favoriser positivement le dialogue interreligieux. Pour cela, on restera en liaison constante avec les Pasteurs des diocèses et avec les instances responsables. Au cours de mes voyages, j’ai eu l’occasion de constater que les efforts menés en commun de cette manière portent leurs fruits.

D’un mot, j’ajouterai que les relations des organisations caritatives de l’Eglise avec les Organisations internationales, gouvernementales ou non, paraissent positives, non seulement en raison des compléments de ressources ainsi obtenues, mais également pour échanger les expériences de part et d’autre, et pour rendre largement présente une réflexion inspirée par l’esprit évangélique sur l’action sociale.



5. Au terme de notre entretien, je voudrais vous redire ma confiance et mes encouragements. Votre mission se situe au coeur de la pastorale sociale qui est un témoignage évangélique. Continuez, avec l’ardeur de l’amour qui vient de Dieu, à vivre la charité dans l’Église, et à la manifester dans la société tout entière.

Que la Vierge Marie, qui se hâtait à travers la montagne pour aller visiter Elisabeth, guide vos pas! Que le Seigneur, venu pour manifester l’amour du Père en se mettant au service de ses frères, vous soutienne chaque jour!

Que Dieu vous bénisse!

[1] Gdansk, 11 juin 1987.
[2] Gaudium et spes, GS 30.
[3] Encycl. Summi pontificatus, III.
[4] Rm 5,5.
[5] Ga 5,22 Ga 5,25 Ga 6,2.

Juin 1991



VOYAGE APOSTOLIQUE EN POLOGNE


AU CORPS DIPLOMATIQUE ACCRÉDITÉ À VARSOVIE

Nonciature Apostolique de Varsovie, Samedi, 8 juin 1991




Excellences,
Mesdames, Messieurs,



1. C’est pour moi une vive satisfaction de recevoir le Corps Diplomatique accrédité à Varsovie au siège de la Nonciature Apostolique. Celle-ci fait partie des plus anciennes d’Europe: dès 1555, en effet, le Nonce Luigi Lippomano venait en Pologne. Depuis cette époque, la présence d’une Nonciature s’est poursuivie en Pologne jusqu’en 1796, lorsque, après le troisième partage de la Pologne, le dernier représentant du Siège Apostolique dut quitter le pays. Cent vingt-deux ans plus tard, l’indépendance étant retrouvée en mai 1918, la représentation du Saint-Siège fut rétablie, sous la direction de Mgr Achille Ratti qui fut plus tard le Pape Pie XI.

Après la tragédie de la deuxième guerre mondiale, et à la suite de la dénonciation unilatérale du concordat de 1925, de nouveau le Nonce fut absent de Pologne pendant plusieurs dizaines d’années. Pour la société polonaise, cette absence était humiliante et douloureuse parce qu’elle était provoquée, contre la volonté de la nation, par le totalitarisme imposé à la Pologne, un régime hostile à l’Église.

Le rétablissement complet des relations diplomatiques n’eut lieu qu’il y a deux ans, le 17 juillet 1989, en raison des changements politiques survenus en Pologne. La présence à Varsovie d’un Représentant du Siège Apostolique constitue un signe de la souveraineté retrouvée de l’État, fondée sur la plénitude des droits de la société qui y vit. Une situation analogue se présente depuis peu dans plusieurs autres États de cette région de l’Europe, États qui ont également repris leurs relations diplomatiques avec le Siège Apostolique en retrouvant leur pleine autonomie.

C’est ainsi, Mesdames et Messieurs, que je puis vous rencontrer ici pour la première fois, à la Nonciature, au cours de mon quatrième pèlerinage dans ma patrie. Je saisis cette occasion pour vous prier de transmettre aux Gouvernements et aux Nations que vous représentez à Varsovie, l’expression de mon profond respect et les voeux fervents que je forme à leur intention.



2. Dans la conscience que l’Église a aujourd’hui de sa mission, le souci de voir affermis les droits de toute nation et de toute société prend une particulière importance. Cela ressort notamment du fait que ma présente rencontre avec les membres du Corps Diplomatique se déroule dans un de ces pays qui, au cours de l’année 1989, sont devenus en quelque sorte les étapes d’une longue route vers la liberté. Cela nous invite à réfléchir au chemin parcouru. A cause de sa mission d’évangélisation, l’Église a pris la défense des droits de tout homme et de toute la société humaine, droits fondés sur la nature humaine commune à tous et sur la loi naturelle, droits confirmés par le Christ dans l’Évangile.

A ce propos, il est difficile de ne pas souligner ici le rôle spécifique de l’Église et du christianisme dans les pays et dans les sociétés où est intervenu un profond changement de situation.

Nous n’oublions pas que, dans cette partie du continent, parfois après un millénaire de présence de l’Église et du christianisme en un pays donné, l’Église se trouva confrontée au défi lancé par l’idéologie du matérialisme dialectique en s’appuyant sur la force d’un État totalitaire qui considérait toute religion comme un facteur d’aliénation de l’homme. C’est ici que l’affirmation des vérités élémentaires sur la dignité de l’homme et sur ses droits, et l’affirmation du fait que l’homme est le sujet de l’histoire et pas seulement «un reflet des rapports socio-économiques» devaient être indissolublement liées à la défense des droits appartenant à chaque homme et à toute la communauté nationale, comme l’a fait l’Église en Pologne. Ce service était rendu, entre autres, en accomplissant courageusement une fonction critique à l’égard de la structure des rapports sociaux imposée par la force, en sensibilisant les consciences à l’égard des différentes menaces que comportait la vie publique et aussi à l’égard des obligations morales qui en résultaient dans le cadre de la culture nationale, de l’instruction, de l’éducation et de la mémoire historique.Dans cette partie de l’Europe, l’Église figurait souvent comme l’institution la plus crédible de la vie collective, et la religion comme l’unique point d’appui solide, dans une situation où le système officiel des valeurs, totalement discrédité, inspirait la défiance.

Quelques hommes sont devenus les symboles de cette attitude de l’Église qui se trouvait à l’unisson des aspirations de toute la société: je pense au Cardinal Stefan Wyszynski, au Cardinal Josef Beran, au Cardinal Alojzije Stepinac, au Cardinal József Mindszenty, au Cardinal František Tomášek, toujours présent à Prague et à d’autres encore. L’Abbé Jerzy Popieluszko, cruellement assassiné en 1984, devint aussi un symbole dans le même sens, lui que l’on considère souvent comme le protecteur spirituel du monde du travail polonais.

Il convient encore d’apprécier et de souligner tout le bénéfice et tout le soutien que l’Église elle-même a reçu des hommes de bonne volonté et des mouvements sociaux contemporains dans sa progression vers une plus grande maturité pour vivre ses rapports avec le monde. C’est donc dans cet esprit que je reprendrai les paroles que j’ai adressées, peu après les événements d’Europe centrale et orientale, aux membres du Corps Diplomatique accrédité près le Siège Apostolique: «Nous devons rendre hommage aux peuples qui, au prix d’immenses sacrifices, ont courageusement entrepris [ce pèlerinage].... Ce qu’il y a d’admirable dans les événements dont nous avons été témoins, c’est que des peuples entiers ont pris la parole; des femmes, des jeunes, des hommes ont surmonté la peur. La personne humaine a manifesté les inépuisables ressources de dignité, de courage et de liberté qu’elle recèle. Dans des pays où, des années durant, un parti a dit la vérité à croire et le sens à donner à l’Histoire, ces frères ont montré qu’il n’est pas possible d’asphyxier les libertés fondamentales qui donnent sens à la vie de l’homme: la liberté de pensée, de conscience, de religion d’expression, de pluralisme politique et culturel» [1].



3. Les murs qui séparaient encore tout récemment ces sociétés et ces peuples du monde libre et de la partie occidentale de notre continent se sont écroulés. Dans leur chemin parfois solitaire vers la vérité, ces nations avaient conscience que leur histoire collective, cruellement marquée par les vicissitudes des temps, constituent l’autre partie d’une unique culture européenne. Le Saint-Siège a salué avec une vive satisfaction la disparition des murs et l’ouverture des portes. Il ne s’était jamais résigné, en effet, au «tragique paradoxe et à la malédiction de notre temps», pour reprendre les termes dans lesquels Pie XI avait désigné les décisions de la Conférence de Yalta [2].

Les luttes les plus difficiles de l’Église et de la société dans le monde de terreur de cette époque se déroulèrent précisément pendant les années du pontificat de ce Pape. Ses constantes revendications univoques dans leur éloquence politique, en faveur des nations réduites en esclavage, en faveur de l’«Église du silence», à la différence de l’attitude prise par la majeure partie des hommes d’État de l’époque suscitaient la confiance dans le caractère non irréversible de l’histoire contemporaine et de la configuration prise par l’Europe après Yalta.

Pendant de longues années, ce fut là, dans les limites des compétences fondamentales de l’Église, le seul moyen d’action possible en faveur de l’«intégration» européenne. Sous les pontificats des Papes Jean XXIII et Paul VI, l’action diplomatique du Saint-Siège à l’égard de l’Europe centrale et orientale visait à atténuer au moins partiellement les tensions entre l’Église et les gouvernements communistes. Lorsque sont apparues de nouvelles possibilités, offertes au moment d’une certaine détente politique, le Siège Apostolique s’est activement engagé à appuyer les processus qui pouvaient rapprocher la perspective d’une intégration européenne.

L’élection d’un Pape slave entraîna un surcroît de sollicitude et de soutien responsable de la part du Saint-Siège envers les Églises et les peuples d’Europe centrale et orientale. Il n’est donc pas surprenant que, spécialement à l’heure actuelle, alors que des changements politiques majeurs dans cette partie du continent font se lever l’espoir de construire une «Europe de l’esprit», notamment avec la participation et l’appui des nations tenues en esclavage jusque très récemment, l’Église a particulièrement conscience de la place qui lui revient dans le renouveau spirituel et humain du «vieux continent». Elle désire être témoin de l’espérance mais aussi le porte-parole courageux des valeurs et des traditions qui ont forgé l’Europe autrefois et qui sont propres à la conduire aujourd’hui vers l’unité.

«Mon devoir est de souligner avec force que si le substrat religieux et chrétien de ce continent devait en venir à être marginalisé dans son rôle d’inspirateur de l’éthique et dans son efficacité sociale, c’est non seulement tout l’héritage du passé européen qui serait nié, mais c’est encore un avenir digne de l’homme européen - je dis de tout homme européen, croyant ou incroyant - qui serait compromis» [3].

C’est précisément pour cela que, devant la victoire obtenue maintenant par des peuples entiers de cette partie du continent qui aspirent vivement à épanouir la «personnalité» de leur société, l’Église ne peut renoncer à proclamer la vérité sur le caractère intégral des valeurs humaines fondamentales, car si l’on ne retient que certaines d’entre elles, cela peut miner les fondements de l’ordre social. Même les États pluralistes ne peuvent pas renoncer aux normes éthiques dans leur législation et dans la vie publique, spécialement lorsque le bien essentiel qu’est la vie de l’homme depuis le moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle exige une protection.

Dans cette capitale d’un pays qui a été victime, il y a cinquante-deux ans, d’une terrible guerre, commencement de la déchirure de l’Europe maintenue au cours de longues décennies on ne peut pas ne pas rappeler la vérité, avant tout au sujet de la dimension éthique d’une paix durable. Comme la conférence d’Helsinki sur la Sécurité et la Coopération en Europe l’a opportunément souligné, la paix ne dépend pas seulement de la sécurité militaire, mais avant tout de la confiance entre les citoyens d’un pays donné et de la confiance mutuelle entre les nations. C’est pourquoi aujourd’hui tout ce qui sert à l’édification et au renforcement de la confiance dans l’Europe qui va vers son unité revêt une si grande importance, de même qu’il faut prêter attention à ce qui pourrait remplacer les anciennes divisions par de nouvelles formes d’isolationnisme. A côté de valeurs fondamentales d’ordre social telles que la neutralité idéologique, la dignité de l’homme comme source de ses droits, le primat de la personne humaine par rapport à la société, le respect des normes juridiques démocratiquement reconnues, le pluralisme des structures sociales, il convient de souligner aussi aujourd’hui l’importance d’attitudes et d’aspirations qu’il semble particulièrement nécessaire de promouvoir dès le commencement de la formation d’un monde nouveau plus juste et d’une Europe nouvelle sans divisions. Il s’agit spécialement d’élaborer, à l’Est comme à l’Ouest une vision de l’Europe comme ensemble spirituel et matériel, qui exige, précisément dans son ensemble le développement et la garantie de la sécurité. Il s’agit de savoir également construire l’entente dans des dimensions régionales; il faut faire effort pour surmonter les préjugés et les craintes historiques; éliminer, après la période vécue dans des sociétés closes, les résurgences de nationalismes exacerbés et d’intolérances. On doit aussi penser à l’Europe future, malgré le caractère prédominant de la dimension politique des événements, comme à un continent cohérent dans sa culture. Il convient enfin d’avoir la capacité d’accueillir avec gratitude toutes les initiatives et tous les témoignages de solidarité internationale qui favorisent aujourd’hui l’oeuvre de l’intégration spirituelle et économique de l’Europe.

Dans cette oeuvre, une part de responsabilité considérable revient actuellement aux hommes politiques. Mais le défi historique concerne tous les habitants du continent, notamment les chrétiens qui, après la fin de la deuxième guerre mondiale, ont apporté une large contribution au développement de l’action civilisatrice de l’Europe occidentale.

Je m’attache avant tout aux problèmes concernant l’Europe, mais je tiens à souligner avec insistance ce que j’ai écrit dans ma dernière encyclique: «Les événements de 1989 s’avèrent importants aussi pour les pays du Tiers-Monde, qui cherchent la voie de leur développement, comme ils l’ont été pour les pays de l’Europe centrale et orientale» [4].



4. Dans les efforts déployés pour une Europe nouvelle et plus heureuse, une place importante vous revient également, à vous qui représentez en Pologne les Gouvernements et les Nations de tous les continents. Même s’il vous appartient avant tout de veiller aux intérêts de vos pays, c’est le privilège de votre noble mission de vous donner la possibilité de collaborer à la création d’un climat spirituel de réciprocité, de solidarité et de coopération internationales. Beaucoup de choses dépendent de vous et de la manière dont vous exercez les responsabilités de votre mission dans cette région de l’Europe lorsqu’il s’agit d’affermir la confiance si nécessaire dans les institutions de la vie internationale, dans les termes des accords et les garanties internationales. On attend de vous que vous preniez part à la construction des ponts indispensables à des relations suivies et à une collaboration féconde entre les nations de l’Europe post-communiste qui, tout récemment encore, étaient privées de la possibilité de communiquer entre elles directement en toute liberté.

Mesdames, Messieurs, je vous souhaite de garder la conviction qu’en accomplissant votre mission diplomatique en Pologne, en ce moment de transformations impressionnantes de cette partie du continent, vous apportez aussi personnellement une contribution précieuse à la préparation d’un monde plus humain, plus digne des hommes et du Créateur.

Je prie Dieu de vous bénir, ainsi que vos familles, votre travail, les pays et les nations que vous représentez.

[1] Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad Nationum apud Sanctam Sedem Legatos, 7, die 13 ian. 1990: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XIII, 1 (1990) 72.
[2] Pii XII Nuntius radiophonicus in pervigilio Nativitatis Domini a. 1947 missus.
[3] Ioannis Pauli PP. II Allocutio ad sodales publici legumlatorum coetus ex quibusdam Europae Civitatibus Argentorati congregatos habita, 11, die 11 oct. 1988: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, XI, 3 (1988) 1178.
[4] Ioannis Pauli PP. II Centesimus Annus, CA 26.




Discours 1991 - Salle du Synode, Mercredi, 15 mai 1991