Discours 1991 - Siège de la Nonciature Apostolique (Budapest), Samedi, 17 août 1991


AUX PÈLERINS DU SÉNÉGAL

Vendredi, 6 septembre 1991




Chers Frères et Soeurs du Sénégal,



C’est avec joie que je vous accueille en cette demeure à l’occasion de l’étape romaine du pèlerinage que vous avez entrepris en Terre Sainte et dans d’autres sanctuaires chers à nos coeurs de croyants. A tous, j’adresse mes salutations cordiales et je salue particulièrement Monseigneur Théodore Adrien Sarr, Évêque de Kaolack, qui vous accompagne.

Vous avez eu la chance de parcourir le pays où Jésus a vécu et vous vous êtes pénétrés à nouveau de son message. Je suis sûr que bien des pages d’Évangile auront désormais pour vous une saveur particulière lorsque vous les entendrez au cours de célébrations liturgiques.

Maintenant, vous voici à Rome, où vous êtes venus, entre autres, honorer les deux figures de proue de l’Église naissante, Pierre et Paul, qui nous ont transmis les paroles du Maître et ont versé leur sang par amour pour lui. A la suite de tant de pèlerins qui vous ont précédés au cours des âges, vous avez prié pour demander la même fidélité dans l’amour du Christ et aussi pour obtenir la grâce de vivre en frères à l’image des premiers chrétiens.

À l’approche de la Nativité de la Sainte Vierge Marie, jour où se sont mis à souffler les vents annonciateurs du salut, comme le chantent nos frères des Églises d’Orient, je vous invite à tourner vos regards vers celle qui nous précède dans le pèlerinage de la foi, et que, bientôt, vous prierez à Lourdes. Demandez à Marie de faire de vous d’authentiques disciples du Christ. Demandez-lui de vous aider à retenir et à méditer dans votre coeur tout ce qui a trait à son Fils, comme elle a su si bien le faire; qu’elle vous renouvelle dans votre mission de baptisés! Puissiez-vous, une fois de retour dans vos paroisses, collaborer généreusement à l’enracinement de l’Évangile dans vos communautés chrétiennes!

En février prochain, s’il plaît à Dieu, j’aurai la grande joie de me rendre dans votre pays, de marcher moi aussi en pèlerin sur votre sol, de rencontrer l’ensemble de vos compatriotes et de célébrer la foi chrétienne avec les catholiques sénégalais. Je puis faire miennes les paroles que l’Apôtre Paul adressait jadis aux Romains: «J’ai un vif désir de vous voir, afin de vous communiquer quelque don spirituel, pour vous affermir, ou plutôt éprouver le réconfort parmi vous de notre foi commune à vous et à moi» [1].

Que la visite de l’Évêque de Rome soit dès maintenant pour vous un stimulant dans votre vie de foi! Puisse-t-elle vous apporter, ainsi qu’à vos pasteurs, un nouvel élan pour l’annonce active du message de paix de notre Seigneur Jésus-Christ, dans le respect de l’identité religieuse des personnes avec lesquelles vous vivez!

Confiez ce prochain voyage pastoral à la Vierge Marie, que vous aimez invoquer sous le vocable de Notre-Dame de la Délivran de de Poponguine.

Je vous remercie d’être venus me voir. De grand coeur, je vous bénis ainsi que toutes vos familles et vos amis du Sénégal.

[1] Rm 1,11.






AUX PARTICIPANTS AU PREMIER CONGRÈS DE L'INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS DÉMOCRATES-CHRÉTIENS

Mardi, 10 septembre 1991



Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Au lendemain du premier congrès de l’Internationale des Travailleurs Démocrates-Chrétiens qui vous a désignés pour diriger cette organisation nouvelle, vous avez tenu à me rendre visite. Accédant à ce désir, je vous accueille volontiers et je vous souhaite la bienvenue dans cette maison.

Notre rencontre se situe au cours de l’Année que j’ai consacrée à la doctrine sociale de l’Église. Nous avons commémoré l’encyclique «Rerum Novarum», désormais centenaire, et son message a été approfondi un peu partout dans le monde. Pour ma part, j’ai poursuivi son enseignement par un nouveau document. J’ai d’ailleurs noté, dans ma récente encyclique, que le Pape Léon XIII avait été attentif aux expériences et aux réflexions sociales des chrétiens de son temps [1]. Cela suffit à montrer l’intérêt que présente l’engagement des travailleurs eux-mêmes dans une action inspirée par l’éthique chrétienne de la vie économique et politique.

Les circonstances présentes, avec les changements survenus dans le monde ces dernières années, amènent à reprendre une réflexion de fond sur ce qu’implique la vie économique: il s’agit d’avoir une claire conscience des enjeux avant tout humains que présentent les conditions du travail, de la production ou des échanges. Ces termes abstraits ne doivent jamais faire oublier la dignité des personnes qui sont en cause, à commencer par les plus défavorisées et les plus vulnérables. Les responsabilités exercées dans l’ordre politique comme dans l’ordre économique, bien souvent en étroite corrélation, prennent leur réelle grandeur lorsque c’est le service de tout l’homme qui motive en vérité les décisions. C’est en ce sens que l’Église développe son enseignement social. J’apprécie le fait que vous y trouviez l’inspiration de votre action; et je souhaite que vous vous donniez les moyens de l’étudier et de la mettre en oeuvre avec toutes les exigences qu’elle comporte.

Le regroupement dans votre organisation de travailleurs de différentes nations et de plusieurs continents correspond sans doute à la dimension internationale de plus en plus importante des problèmes que vous rencontrez et aussi à l’impossibilité de les résoudre dans un cadre trop restreint. Comment pourrait-on concevoir maintenant une défense de la justice sociale qui s’arrêterait à une frontière, et qui ignorerait le sort d’innombrables frères et soeurs, certes étrangers, mais en vérité proches, quels que soient leurs pays ou leurs cultures?

Et lorsqu’on parle de justice, à plus forte raison dans une optique chrétienne, on ne peut passer sous silence une exigence de solidarité. La présence parmi vous de représentants des travailleurs du Tiers Monde illustre bien ce propos. Les clivages entre nations ayant des niveaux de développement tragiquement inégaux ne pourront être surmontés, ou au moins atténués, que si la préoccupation de la solidarité est partagée sincèrement par l’ensemble des partenaires: l’action politique est nécessaire, mais elle n’atteint ses objectifs que grâce à la coopération de toutes les forces vives d’une société ou aux initiatives qu’elles prennent. Le thème de la solidarité a marqué depuis longtemps le monde du travail; il faut aujourd’hui lui donner toute la dimension qu’appelle la situation de l’humanité dans son ensemble.

Mesdames, Messieurs, en espérant que votre organisation apportera une contribution notable au progrès social dans le monde, j’invoque sur vous le soutien de la grâce divine et la Bénédiction du Seigneur.

[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Centesimus Annus, CA 4.






À S.E. MONSIEUR RENÉ ALA, NOUVEL AMBASSADEUR DE FRANCE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi, 13 septembre 1991



Monsieur l’Ambassadeur,

1. En me présentant les Lettres qui vous accréditent auprès du Saint-Siège en qualité d’Ambassadeur de la République Française, vous avez exprimé le sens et la portée de votre mission dans des termes délicats et chaleureux dont je vous remercie. J’ai été sensible à la manière dont vous avez marqué votre attention à certaines orientations essentielles de mon ministère et à maintes préoccupations du Saint-Siège.

En accueillant aujourd’hui Votre Excellence, je suis heureux de recevoir le diplomate qui poursuivra l’activité d’une des plus anciennes Ambassades auprès du Siège Apostolique.

Avec votre entrée dans le Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, je suis sûr que nous bénéficierons de votre vaste expérience, notamment, permettez-moi de le relever, au Liban, où vous avez été proche de cette nation lourdement éprouvée, dont l’avenir me tient tellement à coeur.

2. Vous avez évoqué, Monsieur l’Ambassadeur, l’influence durable des valeurs chrétiennes dans la vie de votre nation. De fait, la France conserve l’héritage d’une longue histoire où l’évangélisation dès les premiers siècles de notre ère, la vie ecclésiale, la présence monastique, l’activité intellectuelle, les fondations apostoliques sans cesse renouvelées l’ont profondément marquée. Et ces siècles de culture imprégnée de christianisme ne sont pas étrangers à la conception de l’homme que votre peuple a répandue dans le monde entier; elle peut se résumer, en quelque sorte, dans la célèbre devise que vous avez rappelée et que j’ai moi-même parfois commentée. On doit à la France, dans une large mesure, la prise de conscience, plus vive parmi les dernières générations, des droits de l’homme, de son inaliénable dignité, de ses devoirs aussi. Et l’on se réjouit de voir la protection de ces droits rendre de plus en plus d’ampleur et de poids dans la vie internationale.

Notre rencontre me donne l’heureuse occasion de former des voeux chaleureux pour vos compatriotes, avec une pensée particulière pour ceux d’entre eux qui souffrent des difficultés économiques de cette période, notamment en ce qui concerne l’emploi. Je souhaite au peuple de France de vivre pleinement la fraternité que proclame sa devise, entre générations, entre personnes de niveaux de formation différents, entre nationaux et étrangers. Je lui souhaite de demeurer fidèle aux valeurs qui ont fait la qualité de sa culture au long de l’histoire, sur le plan intellectuel, dans les domaines de l’éthique sociale et familiale, dans son art de vivre.

3. Bien naturellement, Monsieur l’Ambassadeur, je voudrais exprimer ici mes sentiments d’affection et d’estime pour l’Église catholique en France. Et tout d’abord, en ces jours, comment ne pas évoquer la haute figure du Cardinal Henri de Lubac qui vient de nous quitter? À lui seul, il réunissait les meilleures qualités que l’on trouve chez les catholiques de France: sa grande culture, sa pensée ferme, son regard ouvert sur le monde moderne et les autres traditions spirituelles, son sens de l’Église et l’intensité de sa vie intérieure; et je ne saurais oublier sa clairvoyance et son courage aux sombres heures de la deuxième guerre mondiale.

Un passé prestigieux, un rayonnement apostolique et intellectuel hors des frontières, tout cela n’épargne pas aux catholiques français la traversée de bien des épreuves à notre époque. Je voudrais rendre hommage au sens pastoral et à l’abnégation des pasteurs, des prêtres, des religieux et des religieuses, également au dévouement de chrétiens laïcs qui font vivre leurs communautés, et qui multiplient les initiatives constructives. De nombreux diocèses poursuivent les concertations actives de leurs synodes, signe de vitalité et de meilleure collaboration entre les diverses composantes des communautés locales.

Je sais que l’Église catholique jouit d’une large estime dans la nation et entretient le plus souvent de bonnes relations tant avec les autorités qu’avec les concitoyens appartenant à d’autres traditions. Elle apporte volontiers sa contribution au bien commun, et aussi à la coopération généreuse que poursuit votre pays, au-delà de ses frontières, avec d’autres nations beaucoup moins favorisées. Et je souhaite que, dans le type de société pluraliste que connaît votre pays, les membres de l’Église puissent continuer à participer aux grands débats, à assurer la formation religieuse et l’éducation générale de leurs enfants dans de bonnes conditions, à être respectés dans leurs convictions comme ils respectent celles de leurs concitoyens.

4. Dans la vie internationale, le Saint-Siège connaît nombre de préoccupations qu’il est amené à partager avec les membres du Corps Diplomatique, et particulièrement avec le Représentant de la France. Vous avez évoqué la situation en Europe. Le souci de la paix est malheureusement le plus immédiat: nous espérons que la collaboration de toutes les nations du continent, notamment dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, permettra à des peuples qui nous sont chers de surmonter les tensions et les conflits meurtriers qui ont douloureusement marqué ces dernières semaines.

Nous espérons aussi que la solidarité de tout le continent, qui devient plus uni, permettra aux nations ayant récemment recouvré leur liberté d’affermir leurs institutions, de développer leurs économies, d’intensifier leurs relations avec le reste du monde dans tous les domaines. Vous faisiez allusion au Synode que j’ai convoqué pour l’Europe: cette Assemblée devrait donner une impulsion nouvelle à des échanges fructueux dans le domaine spirituel entre les Églises particulières, et aussi au dialogue oecuménique. D’une manière générale, il faudrait maintenant rétablir une harmonie heureuse entre des peuples divers, respectés dans leur identité, sans oublier que cela passe par l’atténuation des disparités de leurs conditions de vie, conséquences de décennies d’oppression dans toute une partie du continent.

Votre itinéraire de diplomate vous a conduit à oeuvrer, je le rappelais il y a un instant, au milieu du peuple libanais, attaché à votre pays depuis des siècles, et pour lequel je nourris une affection profonde, renforcée par les longues épreuves dont nous avons été des témoins malheureusement trop souvent privés des moyens d’apporter un soutien efficace. Mais nos efforts fraternels ne cesseront pas, et nous espérons que la communauté internationale aidera ce peuple à retrouver durablement la paix, à préserver la maîtrise de sa terre, à édifier un avenir sûr. Votre présence auprès du Saint-Siège contribuera sans nul doute à rendre plus sensible à tous le sort de ce peuple bien-aimé. Et, comme vous-même le faisiez observer, nous ne pouvons pas ne pas évoquer en même temps tous les habitants du Proche et du Moyen-Orient, en particulier ceux qui vivent sur la Terre à laquelle sont si attachés tous les fidèles du Dieu unique et qui a été rendue sainte par l’Incarnation du Christ Jésus. Pour tous nous désirons paix et prospérité.

Vous avez bien voulu rappeler, Monsieur l’Ambassadeur, les interventions que j’ai tenu à faire en faveur des peuples du Tiers Monde, notamment en Afrique. Votre Pays, vous le disiez, est lié avec beaucoup d’entre eux. Permettez-moi d’exprimer aujourd’hui à nouveau le voeu ardent de voir les coopérations s’intensifier entre les pays du Nord et ceux du Sud, des coopérations dont les modalités doivent être sans cesse améliorées, afin que des peuples jeunes, dynamiques mais pauvres, puissent mettre en valeur leurs ressources, fournir du travail à leurs fils et à leurs filles, protéger la santé des enfants et des adultes, dispenser l’éducation et la formation professionnelle sans lesquelles leur progrès ne pourrait être assuré durablement, affermir les institutions publiques permettant à chacune des nations d’épanouir ses qualités spécifiques et de participer pleinement à la vie de la communauté internationale. Je sais que votre pays travaille avec générosité dans ce sens, que ce soit par l’action des pouvoirs publics ou par les initiatives d’organisations non gouvernementales dynamiques; et j’espère que la mise en oeuvre d’une solidarité concrète avec les pays du Tiers Monde ne souffrira pas de retard du fait de la situation nouvelle du continent européen qui, à plus ou moins long terme, ne tirerait aucun bénéfice d’un repli sur soi contraire aux intérêts de toute l’humanité.

5. En concluant cet entretien, Monsieur l’Ambassadeur, je tiens d’abord à vous prier de faire savoir à Son Excellence Monsieur le Président de la République française, en lui transmettant mes salutations déférentes, combien j’apprécie son désir d’entretenir avec le Siège Apostolique des relations constructives. Les préoccupations communes que nous venons d’évoquer marqueront certainement le déroulement de la mission que vous inaugurez aujourd’hui et dont je vous souhaite un très heureux accomplissement. Je puis vous assurer que vous trouverez auprès de mes collaborateurs un accueil attentif et l’aide que vous pourrez désirer.

J’espère que vous-même et votre famille retirerez beaucoup de satisfactions de votre séjour romain. Sur vous, sur vos proches et sur vos collaborateurs, j’invoque volontiers la Bénédiction de Dieu.



AU NOUVEL AMBASSADEUR DES PAYS-BAS PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S.E. LE COMTE ROLAND HUGO VON LINBURG

Lundi, 30 septembre 1991




Monsieur l’Ambassadeur,

1. Il m’est agréable d’accueillir Votre Excellence et de recevoir les Lettres par lesquelles Sa Majesté la Reine des Pays-Bas L’accrédite en qualité d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire près le Saint-Siège. Je suis sensible aussi à l’aimable message dont la Souveraine a chargé Votre Excellence à mon intention, et je La prie d’exprimer à Sa Majesté la Reine Beatrix mes salutations déférentes, dans l’heureux souvenir de l’accueil prévenant qu’Elle m’a naguère réservé dans son pays.

Je vous sais gré, Monsieur l’Ambassadeur, des paroles très courtoises que vous venez de m’adresser. J’y reconnais l’attention qu’accordent les autorités de votre État à maintes préoccupations du Siège Apostolique, car elles constituent des axes essentiels de la mission spécifique que nous nous efforçons de remplir auprès des fidèles de l’Église catholique et aussi, dans le cadre des compétences propres qui sont les nôtres, au sein de la communauté internationale.

2. Evoquant l’évolution importante qu’a connue le Continent européen au cours de ces dernières années, vous avez souligné des motifs d’espérance et d’inquiétude. On doit bien voir, à l’heure actuelle, que de nombreux peuples d’Europe éprouvent la joie d’être affranchis de pesantes contraintes, mais qu’en même temps ils sont saisis par l’angoisse devant de sévères difficultés qui persistent ou renaissent. De fait, la situation nouvelle qui est apparue entraîne de la part de tous le devoir ardent de travailler à sauvegarder la paix, à mettre en oeuvre toutes les ressources de la solidarité humaine pour la rendre durable. Il s’agit de permettre à tous, non seulement de surmonter des conflits dont le prolongement blesserait profondément des peuples entiers, mais aussi d’assurer aux personnes et aux communautés nationales, dans le respect de leurs meilleures traditions, les conditions de leur bien-être et de leur développement légitime.

C’est avec un vif intérêt que je vous entends qualifier le rôle qui échoit en ce moment aux Pays-Bas dans la Communauté européenne, car ceux qui en assurent la présidence ne cherchent pas seulement le progrès d’une intégration d’ordre économique, mais la prise en compte des dimensions sociales et humaines de l’union entre les peuples, ainsi que leur ouverture généreuse aux nations les moins favorisées de la planète.

3. Vous avez rappelé, Monsieur l’Ambassadeur, l’intérêt qu’a suscité chez vos dirigeants l’enseignement social de l’Église, mis en relief ces derniers mois à l’occasion du centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum» de mon prédécesseur Léon XIII. Il est juste, en effet, tout en retraçant le chemin parcouru en un siècle, d’insister sur les tâches qui s’imposent au monde actuel. Dans chacune des nations, on semble mieux mesurer ce qu’implique pour l’humanité un progrès véritable. C’est, bien sûr, la communauté entière qu’il faut servir, afin de permettre aux personnes de s’épanouir physiquement, intellectuellement et spirituellement, ou, pour le dire en un mot, dans leur pleine dignité. Pour sa part, le Saint-Siège, vous pourrez en être quotidiennement le témoin, s’efforce de clarifier les enjeux majeurs de l’activité humaine, à la lumière du message évangélique. Et nous sommes conscients de la nécessité d’une saine conception spirituelle et morale de la vocation humaine afin que l’on comprenne en profondeur les exigences de la paix avec notamment le contrôle des armements, le sens du respect de l’environnement, la nécessité d’écarter les menaces qui pèsent sur la santé physique et psychique des personnes.

4. En accueillant le Représentant des Pays-Bas, il m’est naturel de saluer cordialement tous ses compatriotes, et d’évoquer la visite que j’ai effectuée dans leur pays il y a quelques années. Et ma pensée se porte, en particulier, vers ceux qui font partie de l’Église catholique. Ils affrontent les difficultés qui ont marqué partout les dernières générations; ils doivent faire face à des évolutions vécues parfois comme des bouleversements; ils connaissent dans leur foi et leur vie ecclésiale de réelles épreuves. Je désire qu’ils sachent que j’apprécie tous les efforts entrepris en vue de la communion ecclésiale et que je forme des voeux affectueux pour l’avenir de leurs communautés. Je sais aussi combien ils sont attachés à leur patrie et avec quel désintéressement ils mettent leurs talents et leurs compétences à son service.

5. Il est un aspect des préoccupations des chrétiens que vous avez mis en relief, Monsieur l’Ambassadeur: c’est la recherche de l’unité entre les disciples du Christ, entre les hommes et les femmes qui accueillent son message sans parvenir encore à la communion parfaite. Le cours de l’histoire a conduit vos compatriotes à se trouver directement concernés par le mouvement oecuménique qu’ils ont notablement contribué à développer. C’est une marche longue et ardue, car elle suppose que l’on approfondisse inlassablement la fidélité à Celui qui apporte aux hommes la lumière de Dieu dans l’infinie grandeur de son amour. Puisse l’Esprit du Seigneur pénétrer tous ceux qui travaillent avec persévérance et lucidité à promouvoir l’unité des chrétiens! A Rome, vous l’avez mentionné, les Néerlandais poursuivent dans cet esprit de communion l’ancienne tradition de leur présence près du Siège de Pierre; j’espère que leur prière et leur témoignage traduiront toujours mieux cette aspiration essentielle en notre temps.

6. Alors que Votre Excellence inaugure sa mission auprès du Saint-Siège, je L’assure de l’aide que Lui apporteront volontiers mes collaborateurs pour en faciliter l’accomplissement. Je Lui offre mes voeux cordiaux, pour sa personne, ses proches et ses collaborateurs. Et je prie Dieu de combler de ses dons Sa Majesté la Reine, sa famille et tous les habitants des Pays-Bas.



Octobre 1991


À DES REPRÉSENTANTS DE LA SOCIÉTÉ BIBLIQUE SUISSE

Jeudi, 3 octobre 1991


Excellences, Chers Frères et Soeurs,


1. C’est avec une grande joie que je reçois aujourd’hui votre visite, à quelques jours de la commémoration liturgique de saint Jérôme. Ce grand Docteur a inlassablement scruté les Écritures pour y rencontrer l’Époux bien-aimé, le Christ, et pour conformer son existence tout entière à la connaissance du Seigneur. Il voyait dans le Christ la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu, et il était bien conscient que «celui qui ne connaît pas les Écritures ne connaît ni la puissance de Dieu ni sa sagesse». Il allait jusqu’à dire que «l’ignorance des Écritures est ignorance du Christ» [1].



2. L’exemple de Jérôme renforce notre ardeur à servir la Parole du Père faite chair, Jésus-Christ. C’est Lui qui sans cesse se révèle à nous dans les pages sacrées transmises par la Tradition vivante de l’Église. Fidèles à l’enseignement du Concile Vatican II, notamment à la Constitution dogmatique «Dei Verbum» sur la Révélation divine, nous sommes fermement convaincus que «cette sainte Tradition et la Sainte Écriture de l’un et l’autre Testament sont comme un miroir où l’Église en son cheminement terrestre contemple Dieu, dont elle reçoit tout, jusqu’à ce qu’elle soit amenée à le voir face à face [2]» [3]. Et nous affirmons avec le texte du Concile que «Dieu, qui parla jadis, ne cesse de converser avec l’Épouse de son Fils bien-aimé» et que «l’Esprit Saint introduit les croyants dans la vérité tout entière et fait que la parole du Christ réside en eux avec toute sa richesse [4]» [5].

3. C’est grâce aux principes doctrinaux et pastoraux élaborés et énoncés par le Concile, que la coopération interconfessionnelle des chrétiens au service de la parole de Dieu est, elle aussi, devenue intense et féconde: la rencontre d’aujourd’hui en est un autre témoignage évident. Comme l’ont enseigné les Pères conciliaires, «il faut que toute la prédication ecclésiastique, comme la religion chrétienne elle-même, soit nourrie et régie par la Sainte Écriture» [6]. «Il faut [par conséquent] que l’accès à la Sainte Écriture soit largement ouvert aux chrétiens» [7] grâce à des traductions appropriées et correctes, préparées si nécessaire en collaboration avec les frères chrétiens et pouvant «être utilisées par tous les chrétiens» [8]. En outre, selon ce qui est dit dans le Décret «Unitatis Redintegratio» sur l’oecuménisme, nous reconnaissons la grande valeur que revêt l’Écriture sainte pour le progrès du mouvement oecuménique: «Les Paroles divines sont, dans le dialogue lui-même, des instruments insignes entre les mains puissantes de Dieu pour obtenir cette unité que le sauveur offre à tous les hommes» [9].

4. La présence ici de représentants éminents, tant de l’Alliance biblique universelle que de la Fédération biblique catholique, atteste l’existence de liens fraternels qui se sont développés pendant le Concile et par la suite, dans le contexte des mouvements bibliques et du mouvement oecuménique qui caractérisent ce siècle. Nous prions pour que les chrétiens du monde entier soient de plus en plus unis dans le témoignage à rendre à l’Évangile.

5. Je voudrais saluer en particulier le nouveau secrétaire général de l’Alliance biblique universelle, le Révérend Docteur John Erickson. Je salue aussi les Évêques Alberto Albondi et Paul Dacoury-Tabley, ainsi que le pasteur Martin Hoegger. Je sais qu’avec tous les responsables de la Société biblique suisse ils s’efforcent, en collaborant avec les autorités catholiques ainsi qu’avec l’UNESCO, de promouvoir les traductions bibliques en «français fondamental». Je sais aussi combien ces textes sont utiles pour l’évangélisation des groupes ou des populations qui poursuivent en même temps un programme d’alphabétisation. C’est pourquoi j’apprécie vivement les réalisations accomplies dans ce domaine, notamment en Côte-d’Ivoire et en Équateur. Je souhaite que l’exemple du regretté Monseigneur Leonidas Proaño suscite un nouvel effort d’évangélisation et de service des pauvres partout où la Parole de Dieu est annoncée et reçue. En ce sens, je me réjouis spécialement qu’une édition française de l’Écriture Sainte en braille ait été mise à la disposition des non-voyants que Jésus, Lumière du monde, a tant aimés. Evidemment, cela n’enlève rien à la nécessité d’avoir des études et des éditions érudites des Saintes Écritures, parmi lesquelles la Traduction oecuménique de la Bible est, à juste titre, hautement appréciée.

6. Vous avez déjà surmonté bien des difficultés pour réaliser ces projets; cela montre que nous devons nous unir étroitement dans la foi pour venir à bout des obstacles qui subsistent. Ainsi, devant les nouveaux horizons de l’annonce évangélique, du renouveau biblique et liturgique et de l’engagement oecuménique qui s’ouvrent en tant de régions du monde - et surtout, aujourd’hui, en Europe centrale et orientale -, nous sommes appelés à unir nos efforts pour servir l’Évangile. Lumière et énergie pourront nous venir d’une contemplation humble et passionnée de la parole de Dieu, telle qu’on l’apprend par l’exercice assidu de la Lectio divina, dans la prière et au sein de la communauté chrétienne. A ce propos, saint Augustin a écrit une page lumineuse qui peut encore nous servir de guide: «Plus le désir [de la gloire divine] dilate notre coeur, et plus nous devenons capables d’accueillir Dieu. L’Écriture divine, l’assemblée du peuple, la célébration des mystères, le saint baptême, le chant de louange à Dieu, notre prédication elle-même contribuent à éveiller en nous ce désir: tout est destiné à semer et à faire germer ce désir, mais aussi à faire en sorte qu’il puisse croître et se développer toujours plus jusqu’à pouvoir accueillir ce qu’aucun oeil n’a jamais vu, ni aucune oreille n’a jamais entendu, ni aucun coeur d’homme n’a jamais pu imaginer» [10].

7. Pour former les fidèles à cette école de la parole de Dieu, il pourrait être très utile de promouvoir une «semaine» ou un «Mois de la Bible» là où les circonstances s’y prêtent. L’Alliance biblique universelle et la Fédération biblique catholique pourraient éventuellement encourager et organiser ensemble de telles sessions d’études. Vos Associations ont, d’ailleurs, déjà élaboré de sérieux programmes d’action au cours de leurs assemblées plénières respectives, à Budapest en 1988 et à Bogotá en 1990. J’espère que ces programmes seront largement connus et réalisés, et qu’ils contribueront, pour leur part, à la croissance du Règne de Dieu. Je vous rejoins dans la prière, en reprenant les paroles de l’Apôtre Paul: «Que le Dieu de l’espérance vous comble de joie et de paix dans la foi, afin que vous débordiez d’espérance par la puissance de l’Esprit Saint!» [11].

[1] S. Ieronimi Comm. in Is., Prol.: PL 24, 17.
[2] Cfr. 1Jn 3,2.
[3] Dei Verbum, DV 7.
[4] Cfr. Col 3,16.
[5] Dei Verbum, DV 8.
[6] Ibid. DV 21.
[7] Ibid. DV 22.
[8] Ibid. DV 22
[9] Unitatis Redintegratio, UR 21.
[10] S.Augustini Trac. in Io. Evang., 40, 10: CCL 36, 356.
[11] Rm 15,13.






AUX PARTICIPANTS AU SYMPOSIUM DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES ET DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LA CULTURE

Salle du Trône, Vendredi, 4 octobre 1991



Monsieur le Cardinal,
Monsieur le Président,
Excellences, Mesdames, Messieurs,

1. C’est avec joie que je vous accueille au terme de vos journées de réflexion organisées, en la Cité du Vatican, sous les auspices de l’Académie pontificale des Sciences et du Conseil pontifical pour la Culture. Opportunément, votre symposium sur «la science dans le contexte de la culture humaine» fait suite à celui qui s’est déroulé ici même au mois d’octobre 1990. Ce thème, judicieusement choisi, est d’actualité; il sera utile de poursuivre les recherches qu’il suggère.



2. Vous savez tout l’intérêt que l’Église et le Saint-Siège apportent aux progrès de la science et à ses rapports avec la culture. Depuis le début de mon pontificat, j’ai tenu à promouvoir la réflexion sur la culture et toutes ses composantes. Le sort de l’homme en dépend. Les événements qui secouent le monde, ébranlent les sociétés et menacent la paix nous le confirment.

Votre symposium marque une étape dans la collaboration, nécessaire mais difficile, entre la science, la culture et la religion. Malgré les préjugés réciproques, anciens ou actuels, qui ont pu les éloigner les unes des autres, vos travaux mêmes attestent notre volonté commune d’oeuvrer pour le bien de l’homme. Je me réjouis donc tout spécialement de cette initiative qui réunit des hommes et des femmes de culture, de science et de foi. Je vous exprime ma reconnaissance, à vous tous qui avez accepté de participer à cette réflexion. Je souhaite qu’une telle forme de collaboration puisse se renouveler à l’avenir. Je remercie tout particulièrement l’Académie pontificale des Sciences et le Conseil pontifical pour la Culture qui ont permis le bon déroulement de cette rencontre. Ces deux institutions du Saint-Siège seront certainement appelées, chacune selon sa compétence, à jouer un rôle croissant dans le dialogue entrepris. Je suis certain qu’elles rempliront généreusement cette mission essentielle.


3. La fragmentation des connaissances, provoquée par la spécialisation de chacune des sciences et la parcellisation de leurs applications techniques, empêche souvent de percevoir l’être humain dans son unité ontologique et de saisir l’harmonieuse complexité de ses facultés. De fait, le risque n’est pas illusoire de voir science et culture s’éloigner l’une de l’autre, jusqu’à s’ignorer. Or, elles sont toutes les deux au service de l’homme dans son intégralité. L’Église respecte profondément les hommes de science et de culture, car ils sont investis d’une responsabilité spécifique inaliénable vis-à-vis du genre humain et de son avenir, spécialement en cette veille du troisième millénaire, au coeur d’un monde en profonde mutation, où le sort des hommes est plus que jamais entre leurs propres mains.

4. La culture, au sens prégnant du terme, est un concept englobant dont l’homme est à la fois le centre, le sujet et l’objet. Elle embrasse toutes ses capacités, dans ses dimensions personnelles comme dans sa vie sociale. Elle humanise les personnes, les moeurs et les institutions. La science, pour sa part, loin d’être en concurrence avec la culture, constitue un élément fondamental et désormais indispensable de toute culture ordonnée au bien de tout l’homme et de tout homme. Dans les domaines les plus divers, les progrès scientifiques et techniques ont pour but d’assurer à l’homme un mieux-être qui lui permette de répondre plus facilement et en plénitude à sa vocation spécifique.

5. Hommes et femmes de science, vous vous demandez: «Quelle est la signification profonde de notre vocation, en tant que chercheurs, dans la culture d’aujourd’hui?». Pour répondre à cette interrogation que partagent beaucoup de nos contemporains, il faut nous tourner vers l’homme comme être de culture, vers la personne comme sujet irréductible à tout autre être créé.

Nous assistons à un extraordinaire développement scientifique et technologique. Les limites de la connaissance nous donnent l’impression de reculer sans fin. Mais, en même temps, nous sommes comme saisis d’un frisson d’angoisse devant l’usage qui en est fait. L’histoire bouleversée de notre siècle nous met en face de nos responsabilités respectives. Aujourd’hui, nous nous rendons compte, peut-être plus qu’autrefois, de l’ambivalence de la science. L’homme peut l’utiliser pour son progrès, mais aussi pour sa ruine. La science a tant d’implications qu’elle appelle une vigilance accrue de la conscience.

Hommes et femmes de science, vous sentez au plus profond de votre être que l’homme ne peut, sans se renier, renoncer à poser les questions les plus décisives, que la science écarte à bon droit de son champ propre, parce qu’elles ressortissent à un autre champ de connaissance.

Les progrès scientifiques, en particulier dans le domaine de la génétique, tiennent la conscience en éveil et stimulent la réflexion éthique. Ils ne peuvent se réduire à des aspects techniques que l’on tiendrait pour moralement neutres, car ils concernent directement l’homme dans ce qu’il a de plus précieux: sa structure d’être personnel. Même si leurs évaluations sont divergentes et leurs doctrines politiques variées à l’extrême, nombre de responsables politiques ont créé, dans plusieurs pays, des Comités nationaux d’éthique. Par delà les divergences de vues que peuvent susciter ces institutions, le seul fait de leur création récente montre clairement que les responsables de la société civile perçoivent, avec la perte dramatique du consensus sur les convictions morales fondamentales, la complexité et la gravité des intérêts en jeu. Avec vos compétences propres, il vous revient d’aider au nécessaire développement de la conscience morale. Promouvoir la dimension éthique du progrès scientifique et technique, c’est l’aider à devenir authentiquement humain, pour édifier une société qui soit à la mesure de l’homme. Non seulement les préoccupations éthiques ne nuiront en rien à la rigueur scientifique des chercheurs et de leurs travaux, mais elles leur conféreront par surcroît un poids d’humanité jusqu’ici insoupçonné. En l’absence d’une telle réflexion éthique, l’humanité tout entière et la terre elle-même seraient en danger. Hommes et femmes de science, hommes et femmes de culture, le monde a besoin de vous, de votre témoignage et de votre engagement personnel, pour que l’éthique illumine la science et la technique, pour que soient respectés le primat de l’homme sur les choses et celui de l’esprit sur la matière, pour que science et culture méritent d’être appelées «humaines».


6. L’évolution de la pensée et la marche de l’histoire manifestent, souvent à travers crises et conflits, un mouvement incoercible vers l’unité. Les peuples prennent conscience qu’ils ne peuvent plus vivre seuls et que l’isolement conduit à un étiolement certain. Les cultures s’ouvrent à l’universel et s’enrichissent mutuellement. Les philosophies et les idéologies présomptueuses, comme le scientisme, le positivisme et le matérialisme, qui se voulaient exclusives et prétendaient tout expliquer au prix d’une démarche réductrice, sont aujourd’hui dépassées. Découverte dans son immensité et sa complexité, la réalité engendre chez les chercheurs une attitude d’humilité. La méthode expérimentale ne permet d’appréhender la réalité que sous certains aspects partiels, tandis que la philosophie, l’art et la religion l’appréhendent, dans leurs démarches spécifiques, de manière plus ou moins globale[1].

Au cours des dernières décennies, un changement significatif d’attitude a conduit nombre de scientifiques à se préoccuper non seulement de l’efficacité, mais aussi du sens de leurs travaux. Ils retrouvent l’approche ontologique qui avait été longtemps rejetée pour des motifs méthodologiques en soi légitimes. On voit bien que la nature humaine est en jeu dans les applications de la science. L’homme ne saurait impunément se désintéresser de l’universalité et de la transcendance. Redéfinir les différentes approches de la réalité sans en exclure aucune, cela aidera l’homme à se comprendre lui-même. Il aspire à l’épanouissement harmonieux de toutes ses facultés. Il ne saurait se passer ni de culture, ni de valeurs éthiques, ni de religion. La science contribue pour une part croissante à cette harmonie, dans la mesure où son but ultime et ses moyens d’action sont ordonnés au bien de l’homme. Par ses possibilités nouvelles, elle enrichit la culture, élargit le champ de la responsabilité personnelle et collective, et contribue au progrès de l’humanité.


7. Hommes et femmes de science, nos contemporains se tournent de plus en plus vers vous. Ils attendent de vous et de vos recherches une protection accrue de l’homme et de la nature, la transformation de leurs conditions de vie, l’amélioration de la société, la construction et la sauvegarde de la paix. Impressionnés par des accidents ou des imprudences qui prennent des dimensions de catastrophes écologiques, ils ont davantage conscience des dangers d’un usage irrationnel de la nature mise à leur disposition par le Créateur. Ils voient que l’exploitation des ressources de la terre n’est pas sans conséquences sur les cultures et sur les hommes. Il suffit de penser, pour nous en tenir à un seul exemple, au drame des aborigènes d’Amazonie, menacés d’extinction, au fur et à mesure que le déboisement de l’immense forêt compromet leur fragile équilibre écologique et culturel. En préparant une planification raisonnable et honnête de l’exploitation des ressources naturelles de la planète, on contribuera grandement à préserver la nature, l’homme et sa culture.

Votre rôle est également de première importance à l’égard des cultures: vos compétences vous permettent de débusquer l’irrationnel, de dénoncer des comportements traditionnels aberrants et de stimuler un progrès humain authentique. Je le rappelais récemment dans l’encyclique Centesimus Annus: «La culture de la nation est caractérisée par la recherche ouverte de la vérité qui se renouvelle à chaque génération»[2]. Nous faisons tous les jours l’expérience de l’influence exercée par la culture scientifique et technique sur nos contemporains, au point de modifier profondément leurs modes de vie, voire leurs goûts, leurs centres d’intérêt ou leurs comportements personnels et collectifs. Veillez donc à ce que le progrès scientifique et technique soit vraiment au service de l’homme et n’en fasse pas un assisté, incapable de se suffire à lui-même en cas de défaillance de la technique. Et que vos découvertes aident l’homme à mettre pleinement en oeuvre ses facultés de créativité, d’intelligence, de maîtrise de soi, de connaissance du monde, de solidarité. OEuvrez ainsi à la construction d’un monde nouveau vraiment humain!


8. Suivant leurs modalités propres, religion et science sont des éléments constitutifs de la culture. Au seuil du troisième millénaire chrétien, loin de s’opposer, elles se distinguent dans une complémentarité qu’illustre la foi vécue de tant de scientifiques croyants. Les dernières décennies ont vu s’instaurer un nouveau dialogue entre les scientifiques et les religions. Ce dialogue a souvent permis de clarifier des positions mal comprises en raison de la confusion entre les méthodes et les champs de recherche spécifiques de la religion et de la science. Aujourd’hui, c’est dans une heureuse complémentarité et sans suspicion ni concurrence que les astrophysiciens étudient l’origine de l’univers et que les théologiens et les exégètes étudient la création de l’univers comme un don fait à l’homme par Dieu. Face aux mouvements antiscientifiques aux motivations irrationnelles, qui émergent comme les cris d’angoisse d’hommes qui ont perdu le sens de leur existence et que la technique écrase, l’Église défend la dignité et la nécessité de la recherche scientifique et philosophique, pour découvrir les secrets encore cachés de l’univers et éclairer la nature de l’être humain. Scientifiques et croyants peuvent constituer une grande famille spirituelle et construire une culture orientée vers la recherche authentique de la Vérité. Nul doute qu’après une séparation, voire une opposition entre science et religion, la conjonction des savoirs et des sagesses, aujourd’hui si nécessaire, n’apporte un renouveau décisif des cultures. Religion et science devront répondre devant Dieu et devant l’humanité de ce qu’elles auront tenté pour l’intégration de la culture humaine en palliant le risque d’une fragmentation qui signifierait sa destruction.


9. Monsieur le Cardinal, Monsieur le Président, chers amis, l’avenir de l’humanité «est entre les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain des raisons de vivre et d’espérer»[3]. Au terme de cet entretien que j’aurais aimé prolonger avec chacun d’entre vous, je tiens à vous encourager à poursuivre vos efforts en vue d’atteindre une harmonieuse coopération entre science, culture et foi, pour le bien de tous les hommes. A la veille du troisième millénaire, en cette heure qui connaît tant de bouleversements, la famille humaine se tourne vers vous, hommes et femmes de culture et de science, pour l’aider à améliorer ses conditions de vie et pour clarifier ses raisons de vivre. Sur cette route, vous trouverez toujours en l’Église un partenaire engagé et désintéressé.

Heureux d’avoir cette occasion de vous rendre hommage, j’invoque sur vous-mêmes, sur vos familles et sur vos collaborateurs, les Bénédictions du Seigneur, Créateur de la nature et inspirateur des cultures dont il est la source et le terme.

[1] Cf. Discours au CERN, 15 juin 1982, nn. 4-5.
[2] N. CA 50.
[3] Const. past. Gaudium et Spes, n. GS 31.







Discours 1991 - Siège de la Nonciature Apostolique (Budapest), Samedi, 17 août 1991