Discours 1991 - Salle du Trône, Vendredi, 4 octobre 1991


AUX PARTICIPANTS À UN CONGRÈS ORGANISÉ PAR LES COMMISSIONS SOCIALES DES ÉPISCOPATS DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE EUROPÉENNE

Vendredi, 11 octobre 1991



Chers Frères dans l’Épiscopat,
Chers amis,

1. En cette année du centenaire de Rerum Novarum, que j’ai consacrée à la Doctrine sociale de l’Église, vous vous réunissez au nom des Commissions sociales des Épiscopats des pays de la Communauté économique européenne. Vos réflexions communes portent sur le thème: «Économie de marché et solidarité en Europe dans la perspective de 1993».

Ce thème est d’actualité, car beaucoup de barrières économiques, et même politiques, doivent tomber le 1 janvier 1993 entre les pays de la Communauté; cela constituera une première ébauche de l’Europe unie, dont les conséquences sociales et humaines seront considérables.



2. Il est vrai que l’organisation progressive de cette union européenne partielle n’a pu tenir compte des changements décisifs survenus au cours de ces dernières années, sur le plan même des réalités sociales et politiques. On en était resté à une Europe qui semblait divisée durablement. On se trouve maintenant face à un continent où, au moins en principe, les barrières ont cédé.

En tant que pasteurs responsables des questions sociales dans vos pays, vous avez voulu étudier avec des spécialistes la problématique créée par cette situation nouvelle, en vous inspirant de la récente encyclique Centesimus Annus. Vous vous proposez de réfléchir aux rapports et à l’interaction entre l’économie de marché et la solidarité.


3. Après la chute du marxisme et du «socialisme réel», l’économie centrée sur la liberté du marché a été présentée comme la panacée pour tous les maux dont ont souffert les pays d’Europe Centrale et Orientale. Dans Centesimus Annus, j’ai certes souligné l’importance et la valeur de la libre initiative dans le domaine économique: «Il semble que, à l’intérieur de chaque pays, comme dans les rapports internationaux, le marché libre soit l’instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins» [1]. Mais je tenais à en signaler aussitôt les limites: «Il y a de nombreux besoins humains qui ne peuvent être satisfaits par le marché» [2]. En effet, combien d’êtres humains restent privés de la possibilité d’entrer dans un «système d’entreprise», d’avoir un emploi stable ou d’acquérir une formation professionnelle!



4. Vous êtes conscients de ce que le problème de fond est d’ordre humain. Si la liberté économique doit être appréciée et défendue, c’est dans la mesure où elle est une «dimension particulière» de la «liberté humaine intégrale» [3]. La dimension humaine de la vie sociale est affectée par le système économique et politique, car celui-ci influe sur les conditions de vie des personnes, au-delà du cadre de leur travail productif. Et cela n’est pas sans rapport avec la destinée authentique de l’homme, la vérité de l’homme dans sa dimension culturelle et religieuse.

Au cours des dernières décennies, tout cela n’a guère été respecté au Centre et à l’Est de l’Europe, comme malheureusement en bien d’autres régions du monde. Mais on est en droit de se demander, précisément à l’approche de 1993, si l’Ouest a lui-même pleinement respecté ces mêmes valeurs humaines, s’il ne connaît pas de son côté, avec un appauvrissement des valeurs, d’autres formes d’exploitation et d’aliénation. «Une société est aliénée quand, dans les formes de son organisation sociale, de la production et de la consommation, elle rend plus difficile» le don de soi que l’homme est appelé à faire «et la constitution de [la] solidarité entre les hommes» [4].



5. A ce point de vue, une rencontre comme la vôtre est une excellente occasion de faire un examen de conscience et d’appeler les personnes responsables à s’y soumettre. Il faut s’interroger sur ce que les peuples de l’Ouest de l’Europe, notamment dans la Communauté économique européenne, sont invités à donner à eux-mêmes dans la nouvelle étape du 1 janvier 1993. Et il faut aussi se demander, de manière grave et urgente, ce qu’ils sont en train de donner à leurs frères et soeurs de l’autre partie du Continent désormais plus proches. Quelle est la portée, quel est le sens de leur solidarité? Quels sont leurs projets?

Tous ces peuples, dans l’une et l’autre partie de l’Europe, ont besoin d’une organisation politique et économique qui suive les lignes directrices de la démocratie et de ce que j’ai décrit comme «une société du travail libre, de l’entreprise et de la participation» [5]. Nécessaire dans les pays récemment libérés du communisme, une telle organisation ne demeure-t-elle pas un idéal à poursuivre même à l’intérieur des frontières de la Communauté économique?



6. Si l’on met l’accent actuellement sur la solidarité en Europe avec le Centre et l’Est du continent, ce qui est un «devoir de conscience», il ne faudrait pas non plus ignorer l’appel à la même solidarité que nous lancent nos frères et nos soeurs démunis et souvent marginalisés à l’intérieur des frontières des pays prospères et saturés de l’Ouest: ce que l’on a été obligé de nommer le «Quart Monde».

D’autre part, il faut le redire ici encore, de nombreux peuples de la partie du globe désignée conventionnellement comme le «Sud» connaissent une véritable détresse. L’Europe ne peut, en conscience, arrêter l’élan de solidarité aux limites de ses propres terres. Il y a assurément des urgences, certaines priorités légitimes, mais elles sont à déterminer en tenant compte de ce que nous avons appelé l’«option préférentielle pour les pauvres», «une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne» [6]. Il est une unité essentielle de la famille humaine qui doit se traduire par une attitude fraternelle, quelles que soient les distances. Il est aussi des devoirs qui résultent de l’histoire des derniers siècles auxquels les Européens ne peuvent se dérober.



7. Votre réflexion commune sur le rôle de toutes les forces sociales en ce temps de grandes mutations dans le continent européen peut constituer un apport notable à la préparation de l’Assemblée spéciale du Synode des Évêques qui aura lieu dans quelques semaines: je vous en suis reconnaissant.

Elle pourra surtout, par l’action des Commissions sociales ici représentées et par leur collaboration, continuer à former des hommes et des femmes qui sachent répondre à ce qu’attend l’Europe, au présent carrefour de son histoire, des chrétiens fidèles à leur vocation à la fois terrestre et transcendante, des chrétiens appelés à la construction du Royaume de Dieu au milieu des réalités quotidiennes dont ils sont responsables.

Je confie ces intentions au Seigneur, Maître de l’Histoire, par l’intercession des saints patrons de l’Europe. Et, de tout coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique.


[1] N. CA 34.
[2] Ibid. CA 34
[3] Cf. ibid., n. CA 42.
[4] Ibid., n. CA 41.
[5] Ibid., n. CA 35.
[6] Sollicitudo rei socialis, n. SRS 42.



AUX SPÉCIALISTES EUROPÉENS PARTICIPANT AU SYMPOSIUM PRÉSYNODAL SUR «CHRISTIANISME ET CULTURE EN EUROPE: MÉMOIRE, CONSCIENCE, PROJET»

Salle du Synode, Jeudi, 31 octobre 1991



Monsieur le Cardinal,
Excellence,
Mesdames, Messieurs,



1. Au seuil du troisième millénaire chrétien, la construction, l’union et l’évangélisation de l’Europe se présentent comme autant de défis majeurs. À la fois une et multiple, par son enracinement chrétien et la diversité de ses cultures, l’Europe se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Les événements survenus au cours de ces deux dernières années ont profondément bouleversé notre continent et notre manière de le percevoir. C’est pour une réflexion en profondeur sur les exigences de la situation nouvelle que j’ai convoqué, depuis le coeur de cette Europe fécondée par le zèle apostolique des saints Cyrille et Méthode, l’Assemblée spéciale pour l’Europe du Synode des Evêques qui se tiendra ici même dans quelques semaines, sur le thème: «Témoins du Christ qui nous a libérés».

La gravité des problèmes à traiter et la nécessité de comprendre leur enracinement culturel pour les résoudre m’ont conduit à solliciter votre coopération en tant qu’experts des différentes traditions culturelles de l’Europe. J’aurais aimé partager davantage vos travaux. Si je n’ai pu le faire selon mon désir, je suis heureux de vous rencontrer au terme de vos débats pour vous saluer cordialement et vous exprimer ma gratitude. Vous apportez en effet votre compétence et votre témoignage d’hommes et de femmes particulièrement aptes à exprimer la mémoire, la conscience et le projet de ce continent à l’heure actuelle. Je salue avec affection ceux d’entre vous qui appartiennent à d’autres confessions chrétiennes. J’apprécie votre collaboration fraternelle qui constitue un jalon précieux sur la route de l’unité que nous désirons tracer. J’en suis certain, et cela doit être pour vous tous un motif de satisfaction, l’ensemble de l’Europe recueillera les fruits de vos échanges, sans distinction de culture, de nation ou de religion.

Je suis reconnaissant au Conseil pontifical pour la Culture qui, avec le Secrétariat général du Synode des Évêques et les divers responsables de la Cité du Vatican, a organisé ce Symposium avec beaucoup de soin. Et je puis dès maintenant vous remercier de ce que vous ferez, les uns et les autres, afin d’en étendre le rayonnement à travers toute l’Europe.



De la mémoire chrétienne au projet d’aujourd’hui

2. Pour la première fois depuis l’écroulement de la grande muraille idéologique et policière qui avait tragiquement divisé l’Europe, vous nous apportez l’expérience de cultures, de civilisations et de traditions spirituelles, liturgiques, théologiques, philosophiques, artistiques ou littéraires différentes et complémentaires. Ces traditions composent organiquement le patrimoine de l’Europe. Il nous est bon de respirer enfin pleinement à deux poumons, dans la liberté retrouvée et la solidarité à instaurer. Les sources bibliques communes et un riche héritage patristique et mystique unissent l’Europe d’Est en Ouest.

La prise de conscience renouvelée de cette mémoire chrétienne millénaire est un don de Dieu pour lequel je rends grâce avec vous. C’est aussi un appel à un projet que le Seigneur nous demande de mettre en oeuvre en cette Europe bouleversée par les crises ethniques, politiques et économiques, par le brusque reflux d’idéologies qui paraissaient toutes-puissantes et par le vide qui risque de s’installer en des esprits désemparés. Les chrétiens doivent suivre la voie de l’Évangile: être dans ce monde, mais non pas de ce monde [1], être des témoins de la Vérité, savoir accompagner nos frères et soeurs sur le chemin qui mène à la Vérité. Nous savons que le but ne peut être atteint par les moyens de ce monde et par la conquête du pouvoir matériel. Le rayonnement de la Vérité ne sera opérant dans la culture de l’Europe que si nous puisons sans cesse à la source éternelle de lumière qu’est le Christ, et si nous laissons agir en nous la grâce de son mystère d’amour rédempteur et sanctificateur.



Le dialogue avec l’Évangile, constitutif de la culture en Europe

3. La culture européenne ne saurait être comprise en dehors de la référence au christianisme: l’Évangile en constitue un fondement, l’Évangile qui fut inlassablement proclamé et intensément vécu depuis vingt siècles par d’intrépides apôtres et d’innombrables fidèles. Modelée par la Parole vivifiante de Dieu, l’Europe a joué dans l’histoire du monde un rôle unique, et sa culture a remarquablement contribué au progrès de l’humanité. Le dynamisme de la foi chrétienne a suscité dans la culture européenne une créativité extraordinaire. L’histoire du monde est riche de civilisations disparues, de cultures brillantes dont l’éclat s’est depuis longtemps éteint, tandis que la culture européenne s’est continuellement renouvelée et enrichie en un dialogue parfois malaisé, souvent conflictuel, mais toujours fécond avec l’Évangile: ce dialogue même est constitutif de la culture européenne.À présent, devant le foisonnement des courants intellectuels, devant la diversité des conceptions de la vocation de l’homme, et aussi devant les désillusions de nombreux contemporains, il importe que le dialogue se poursuive dans la clarté et le respect mutuel entre les disciples du Christ et leurs frères et soeurs qui ont d’autres convictions.

Riche mosaïque aux lignes harmonieuses, l’Europe culturelle, nous le savons, est antérieure à l’Europe politique et économique qui retient davantage l’attention actuellement. Aujourd’hui libérée des oppressions idéologiques, mais affrontée à de multiples difficultés et menacée par tout ce que nos sociétés comportent de moins humain, une Europe nouvelle apparaît. Il faudra mieux discerner les fondements culturels de cette renaissance. Les interventions politiques et économiques, si nécessaires qu’elles soient, ne peuvent suffire à guérir l’Européen blessé, culturellement fragilisé et désemparé. Il ne retrouvera son équilibre et sa vigueur que dans la mesure où il renouera avec ses racines profondes, ses racines chrétiennes. L’Europe, disait Goethe, est née en pèlerinage et le christianisme est sa langue maternelle.



La dimension spirituelle de l’homme au centre de la culture

4. La culture européenne est marquée par le sens de la transcendance de la personne humaine, car elle plonge ses racines dans le terreau fécond de la foi chrétienne pour laquelle l’homme est un être créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, fils du Père céleste par grâce et appelé à partager son bonheur surnaturel. Par le mystère de l’Incarnation, par sa Passion et sa Résurrection, le Christ ouvre le temps à la dimension de l’éternité, il donne aussi son sens à l’épreuve et son élan à la lutte contre le péché.

Des idéologies athées imposées par la violence de pouvoirs totalitaires, avaient systématiquement poursuivi la ruine de cette culture forgée par les croyants. Mais l’homme européen a résisté par la force de sa conscience morale et de sa liberté spirituelle de personne modelée par ces deux mains du Père céleste, comme le disait saint Irénée, le Fils et l’Esprit Saint [2].

Le christianisme nourrit cette dimension essentielle de la vie humaine qu’est la dimension spirituelle. L’Europe, comme les nations qui la constituent, comme les personnes qui la composent, se laisse saisir en tant que réalité spirituelle marquée du sceau chrétien. Vous êtes des hommes et des femmes de culture, et donc enracinés dans la mémoire collective, témoins de la conscience et porteurs de projets. Vous saurez nous inspirer des voies nouvelles dans la fidélité au patrimoine hérité du passé, sans céder à la nostalgie d’un temps écoulé. Mieux que quiconque, vous comprenez que les merveilles techniques dont notre siècle est le bénéficiaire ne sont pas toujours innocentes. Quand les progrès scientifiques s’affranchissent de toute référence éthique, ils aboutissent à la grave crise que connaît l’humanité dont l’existence même est menacée. Parmi les questions cruciales de notre siècle, celle du «sens» a pris une importance croissante au fur et à mesure que la vacuité des idéologies laissait l’homme privé de référence comme le naufragé sans boussole et balloté par la tempête. L’homme se perd lorsque son temps terrestre n’est plus éclairé par la lumière éternelle qui le préserve du fatalisme d’une histoire réduite à une mécanique aveugle et à des affrontements meurtriers. Et l’avenir des Européens dépend, pour une large part d’un sursaut de la conscience morale que seul peut susciter le Christ, origine et fin de l’histoire humaine.



Nouvelle évangélisation: l’homme libéré dans une vraie rencontre avec le Christ Sauveur

5. Chers amis, certains d’entre vous, chrétiens d’Europe centrale et orientale, qui participez à ce Symposium après un demi-siècle d’oppression athée, ont connu la persécution à cause de leur foi. J’accueille votre témoignage avec émotion et gratitude. Éprouvés au creuset de la souffrance, dépouillés de tout, vous avez redécouvert dans la solitude la puissance de la vie intérieure et la conscience de votre dimension irréductible, spirituelle et religieuse. Privé de libertés extérieures, l’homme sait que dans son intériorité il demeure libre et responsable et que personne ne pourra jamais le séparer de la présence surnaturelle de Dieu. Continuez à être les témoins intrépides du Christ qui vous a libérés! Après de douloureux ébranlements, des accomplissements nouveaux deviennent possibles: après la nuit du Vendredi Saint brille la lumière de Pâques.

L’Église a conscience de libérer l’homme, lorsqu’elle lui ouvre l’accès au mystère du Christ Sauveur. La nouvelle évangélisation de l’Europe est une tâche longue et ardue qui exige des chrétiens l’héroïsme de la sainteté. Votre concours nous aidera à dévoiler à l’homme européen la richesse de ses racines et la grandeur de sa vocation, à éclairer sa vie personnelle et sociale, à poser avec justesse les questions fondamentales qui le touchent, pour lui faire découvrir le vrai bonheur en Celui qui délivre de l’emprise du mal et de la perte du sens de la mort, en Celui qui est «le Chemin, la Vérité et la Vie» [3].

En un temps où, pour beaucoup, l’affirmation du «droit au bonheur» s’allie au mépris des droits de la vie, hommes et femmes de culture, vous êtes appelés à exercer une fonction de médiation pour que la nouvelle évangélisation soit une vraie rencontre entre la Parole de Vie et les cultures de l’Europe. Vous aiderez à rétablir les liens distendus et parfois rompus entre les valeurs du monde et leur fondement chrétien. Aux hommes en quête de bonheur, l’Église propose le défi de la sainteté, source authentique de joie véritable et inépuisable. Elle se veut fidèle à l’Apôtre Paul: «Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi» [4].



S’unir, collaborer, pour surmonter les traumatismes et renouveler la culture chrétienne

6. Chers amis, votre témoignage et votre réflexion nous sont nécessaires pour éclairer notre route. Comment faire alliance entre le passé souvent douloureux et l’avenir incertain, entre la vérité du Christ fidèlement transmise et la liberté jalouse d’elle-même? Comment favoriser l’unité et la coopération entre les personnes et les communautés, entre les nations et les peuples, dans le respect de leurs diversités? Comment parvenir à des relations saines entre les Églises et les sociétés?

Seule une culture chrétienne renouvelée nous aidera à surmonter les traumatismes du passé et les déchirements du présent, grâce au lien mystérieux et profond qu’elle établit au coeur des nations. Après des décennies où le mensonge et la haine ont régné, l’Europe aspire à une civilisation de l’amour et de la vérité qui réponde aux désirs secrets des âmes et les ouvre à la plénitude d’un idéal fraternellement partagé.



Reconstituer l’essentielle communauté dans le Christ

7. Après tant de sang versé et de larmes répandues, tant de ruines accumulées sur le sol de l’Europe par les Européens eux-mêmes, oublieux de leur fraternité dans le Christ, le temps est venu pour eux de reconstituer l’essentielle communauté, la «Sobornost» dans le Christ. Renouvelant sa fidélité au Rédempteur, l’Europe retrouvera son antique vocation d’unité spirituelle entre frères du Christ, frères en Christ. Votre présence en est un gage porteur d’espérance.

Aussi est-ce avec joie que j’invoque sur vous et sur vos familles, ainsi que sur vos nations, les Bénédictions du Seigneur et vous confie à la Vierge Marie, la Sainte Mère de Dieu, Mère du Christ, et Mère des hommes.

[1] Cfr. Gn 17,14.
[2] Cfr. S. Irenaei Adversus Haereses, IV, 7, 4.
[3] Jn 14,6.
[4] Ga 2,20.






AU NOUVEL AMBASSADEUR DE BELGIQUE PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S.E. MONSIEUR HENRI BEYENS, À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi, 31 octobre 1991




Monsieur l’Ambassadeur,

C’est avec plaisir que j’accueille aujourd’hui Votre Excellence, à l’occasion de la présentation des Lettres par lesquelles Sa Majesté le Roi des Belges L’accrédite auprès du Saint-Siège.

Soyez le bienvenu ici, Monsieur l’Ambassadeur! Je vous remercie pour vos paroles, car elles traduisent les sentiments élevés qui vous animent au moment où commence votre mission.

Votre présence ravive en moi les précieux souvenirs de l’accueil que m’avait réservé la Belgique lors de ma visite pastorale en 1985. J’avais alors pu mesurer une nouvelle fois les qualités et la richesse des traditions d’un peuple souvent placé au coeur des grandes tourmentes qui ont ébranlé le continent européen depuis des siècles, tout en forgeant sa physionomie originale. À travers la diversité culturelle qui le caractérise, de profondes valeurs, issues pour une large part des sources chrétiennes, ont constitué des points de repère essentiels au long de son histoire.

Vous avez évoqué la nouvelle étape que franchit actuellement la nation en travaillant à parfaire ses institutions afin de mieux satisfaire les aspirations de ses diverses composantes. Permettez-moi de former le voeu sincère d’un heureux aboutissement des transformations en cours, pour le plein épanouissement de tous vos concitoyens qui continueront de mettre en oeuvre généreusement leur traditionnelle solidarité.

Par sa situation géographique, par son dynamisme intellectuel et économique, par son ouverture internationale, la Belgique joue en Europe un rôle significatif. C’est avec satisfaction que je vous ai entendu exprimer l’attachement de votre pays aux organismes qui favorisent l’entente des nations du vieux continent pour affermir la paix et faire progresser l’unité et la coopération, si désirables face aux problèmes de l’heure présente. Vous rejoignez ainsi des préoccupations majeures du Saint-Siège, comme celles qu’il manifeste par sa participation à la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe ainsi qu’au processus créé par l’ensemble des signataires des accords d’Helsinki et de la charte de Paris.

En un temps de transformations profondes en Europe et en d’autres régions du monde, il importe que le plus grand nombre de pays collaborent, à la lumière des expériences et même des souffrances du passé, pour édifier le nouvel ordre international qui devrait permettre à nos contemporains et aux nouvelles générations de mener une vie meilleure sur l’ensemble de la planète. La Belgique contribue activement, vous l’avez souligné, à l’action de l’Organisation des Nations Unies et, tout particulièrement, à l’établissement de relations plus justes et plus constructives entre les peuples du Nord et du Sud, grâce à des échanges intenses et dans le respect de la dignité des peuples et des personnes. Des pays qui vous sont proches connaissent des évolutions difficiles en ce moment; j’espère que les peuples éprouvés et démunis trouveront toujours les appuis dont ils ont un si grand besoin pour leur développement.

Vous le savez, Monsieur l’Ambassadeur, le rôle propre que l’Église catholique désire jouer dans la communauté internationale ne répond pas à d’autres ambitions que celle d’une défense claire des hommes, de leur liberté spirituelle, de leur fidélité aux richesses de leur nature et de leur vocation à former une unique famille, diverse mais fraternelle. Les perspectives que vous venez de tracer et vos réflexions sur les fondements humains indispensables de la vie internationale montrent heureusement qu’une réelle convergence existe entre la Belgique et le Saint-Siège pour le service de la communauté humaine.

En vous recevant aujourd’hui, ma pensée se porte vers les fidèles de l’Église catholique en Belgique qui ont constamment occupé une place importante dans la vie de la nation. De hautes figures de spirituels, de théologiens ou de pasteurs ont fait bénéficier l’Église universelle de leur rayonnement, il m’a été donné d’en être directement le témoin. Comme en bien d’autres lieux, les catholiques belges doivent faire face aux problèmes d’un monde qui change, mais j’ai confiance qu’ils ne cesseront de mettre leur fidélité à l’Évangile au service de la vie de l’homme dans ce qu’il a de meilleur.

Votre accréditation auprès du Saint-Siège, Monsieur l’Ambassadeur, atteste l’existence des bonnes relations que celui-ci entretient avec la Belgique; vous contribuerez, j’en suis sûr, à les poursuivre et à les développer encore. Vous pouvez compter, de la part de mes collaborateurs, sur tout l’appui nécessaire pour mener à bien votre mission.

Je vous demanderai, Excellence, de bien vouloir exprimer à Sa Majesté le Roi des Belges mes salutations déférentes et de L’assurer des voeux fervents que je forme pour sa personne, sa famille et tous ses compatriotes.

Sur vous-même, sur vos proches et vos collaborateurs, comme sur le peuple belge tout entier, j’invoque la Bénédiction de Dieu.



Novembre 1991




AU CARDINAL HENRI SCHWERY ET AUX PÈLERINS DU DIOCÈSE SUISSE DE SION

Jeudi, 7 novembre 1991



Monsieur le Cardinal,



Après la célébration du consistoire de juin dernier, au cours duquel vous êtes entré dans le collège des Cardinaux, je suis heureux de vous revoir, alors que vous venez prendre possession de l’église paroissiale romaine dont vous êtes titulaire. Et j’ai le plaisir de vous voir entouré d’un groupe nombreux de pèlerins de votre diocèse de Sion. Leur présence traduit leur confiance et leur affection à l’égard de leur évêque, de même que leur participation aux liens plus étroits qui unissent désormais leur Pasteur avec l’Église de Rome.

A une époque récente, nous avons connu le Cardinal Journet et, en vue d’un précédent consistoire, je m’étais proposé d’élever au cardinalat le regretté Père Hans Urs von Balthasar; mais, depuis longtemps, aucun évêque suisse n’avait été appelé à faire partie de ces conseillers intimes de l’évêque de Rome. Désormais, avec vous, Monsieur le Cardinal, l’Église catholique qui est dans les Cantons suisses apporte le meilleur d’elle-même auprès du Successeur de Pierre. Je me réjouis que vous mettiez ainsi davantage au service de l’Église universelle votre riche expérience de prêtre, d’éducateur averti et de pasteur, présent aux événements et aux initiatives heureuses qui jalonnent la vie du peuple de Dieu aussi bien qu’aux épreuves et aux préoccupations qui peuvent le marquer.

Notre brève rencontre me donne l’occasion d’évoquer aussi les souvenirs précieux de ma visite pastorale de 1984 en Suisse - dans votre diocèse en particulier - et de nombreux contacts à Rome avec pasteurs et fidèles. Il me plaît de souligner également la fidèle présence de la Garde suisse dont plusieurs membres sont valaisans.

Chers amis, vous qui accompagnez le Cardinal Henri Schwery pour la cérémonie de prise de possession de son titre romain, votre pèlerinage vous fait retrouver les véritables fondations de l’Église de Rome: près de l’antique via Aurelia, la paroisse à laquelle le Cardinal est désormais attaché honore les Protomartyrs romains, la première génération de ces nombreux témoins intrépides de la foi qui ont subi les tourments et la mort parce que, à la suite de Pierre et de Paul, ils se sont donnés tout entiers au Christ Sauveur et parce qu’ils ont communié à sa Croix rédemptrice. L’édifice lui-même est de construction récente, mais, dans le patronage qui a été choisi, vous pouvez voir un signe de la continuité de l’Église et de la fécondité du sacrifice héroïque de baptisés qui se sont laissés totalement saisir par le Christ. Avec les Apôtres Pierre et Paul, les premiers martyrs ont vraiment enraciné l’Église dans cette Ville. Méditez leur témoignage! Leur mémoire inspire la vie des fidèles romains; elle guidera aussi la vôtre. Le lien personnel de votre évêque avec l’Église affermie par les martyrs sera pour vous un motif nouveau de vous sentir proches de l’évêque de Rome et, par la communion des saints, solidaires de tous les membres de l’Église universelle.

Monsieur le Cardinal, je confie à Notre-Dame votre ministère d’évêque de Sion et les nouveaux services que vous rendez au Siège apostolique. De tout coeur, j’invoque pour vous et pour tous vos diocésains la protection des saints Protomartyrs romains et je vous donne ma Bénédiction Apostolique en l’étendant volontiers au clergé, aux religieux, aux religieuses et aux fidèles laïcs de Sion.




AUX MEMBRES DE L'ASSOCIATION «PRO PETRI SEDE»

Vendredi, 8 novembre 1991



Monsieur l’Aumônier général,
Mesdames, Messieurs

Votre nouvelle visite cette année me procure toujours autant de plaisir. Elle témoigne de l’admirable fidélité de l’Association «Pro Petri Sede» à l’Évêque de Rome et du soutien spirituel et matériel qu’elle tient à lui apporter. Comment vous exprimer en termes nouveaux ma reconnaissance personnelle et celle du Saint-Siège? Je demande au Seigneur d’être votre récompense, en communiquant à vos âmes ouvertes au Mystère de l’Église de nouvelles grâces de foi ardente, de courage apostolique et d’espérance rayonnante.

Je veux également vous redire ma confiance et mon soutien. Votre Association, jaillie du coeur et de la foi de vos ancêtres à l’époque de la disparition des États pontificaux, conserve toute sa raison d’être. Au cours de ces dernières décennies, bien des organismes centraux de l’Église ont connu des mises à jour, et d’autres ont été créés, afin de mieux répondre ensemble aux nécessités de l’évangélisation. En outre, les relations d’information et de travail entre les Églises particulières et les Conférences épiscopales d’une part, et le Siège de Pierre d’autre part, se sont multipliées pour le profit certain de la communion ecclésiale. En cette brève et amicale rencontre, il n’est pas nécessaire de vous démontrer que le bon fonctionnement des organismes romains qui collaborent étroitement à la mission spécifique du Pape implique une juste rétribution des personnes qui y consacrent leur temps et leurs talents. Les besoins financiers du Saint-Siège, compte tenu des efforts de rigueur budgétaire, connaissent une croissance qui requiert une plus grande solidarité de l’Église entière.

… en flamand




AU NOUVEL AMBASSADEUR D'ALGÉRIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S.E. MONSIEUR BOUALEM BESSAIH, À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Mardi, 19 novembre 1991




Monsieur l’Ambassadeur,



C’est avec joie que j’accueille Votre Excellence au Vatican en qualité d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République algérienne démocratique et populaire près le Saint-Siège.

Je vous remercie vivement de m’avoir transmis les salutations très aimables de Son Excellence le Président Chadli Bendjedid. En retour, je vous prierai de bien vouloir lui exprimer les voeux déférents que je forme pour sa personne et lui transmettre mes meilleurs souhaits pour l’heureux accomplissement de sa noble tâche. Je salue également les membres du gouvernement, en particulier Monsieur Lakhdar Brahimi, Ministre des Affaires Étrangères, et j’invoque l’aide de Dieu sur tous les hauts responsables qui sont au service de la nation algérienne.

Dans votre courtoise allocution, vous avez évoqué les efforts du Siège Apostolique en faveur de la paix, de la sécurité et de la justice dans le monde. L’Algérie, vous l’assurez, partage ces mêmes idéaux et apporte son soutien à leur réalisation. Il m’est agréable de vous entendre renouveler ces généreux propos de votre pays, dont l’engagement à promouvoir la concorde dans la communauté internationale s’est manifesté au sujet de douloureux conflits régionaux.

Si l’on désire maintenir entre les peuples des relations justes et pacifiques, il est important, entre autres choses, que soit pris en considération le riche domaine des valeurs spirituelles. Précisément, votre présence en ces lieux, Monsieur l’Ambassadeur, manifeste l’estime et le respect de votre nation pour les motivations d’ordre religieux. Pour sa part, l’Église catholique s’efforce de susciter et d’entretenir un authentique dialogue avec les membres d’autres croyances afin de développer la connaissance et la compréhension mutuelles, et de mieux servir ainsi la cause de la paix. Dans la lettre encyclique «Centesimus Annus», que j’ai publiée cette année, j’ai lancé un appel aux Églises chrétiennes et à toutes les grandes religions du monde pour les encourager à donner un témoignage unanime de convictions communes sur la dignité de l’homme, créé par Dieu, dans l’assurance «que les religions auront aujourd’hui et demain un rôle prépondérant dans la conservation de la paix et dans la construction d’une société digne de l’homme» [1].

Vous me permettrez, Monsieur l’Ambassadeur, de saisir l’occasion de cette rencontre pour adresser, par votre intermédiaire, un salut cordial à la communauté catholique qui est présente en Algérie. A tous ses membres, je désire exprimer ma sollicitude; je voudrais aussi les encourager à poursuivre leur ministère d’assistance fraternelle et de prière à l’intention de ceux et de celles avec qui ils vivent. Qu’ils continuent à tisser des liens de solide amitié et à contribuer, avec leurs frères et soeurs musulmans, au développement du pays! Je souhaite que ces communautés chrétiennes soient toujours en mesure d’exercer régulièrement leurs activités propres, qu’elles jouissent de la garantie du droit, de même qu’il est juste qu’en bénéficient, de leur côté, les communautés musulmanes qui se trouvent dans des pays à majorité chrétienne. Que chrétiens et musulmans, mus par leurs convictions religieuses, deviennent des facteurs d’unité, de rapprochement et de dévouement responsable au service du bien commun!

Au moment où commence votre mission, je vous offre mes souhaits sincères. Soyez assuré que vous trouverez toujours ici un accueil attentif et une compréhension cordiale.

Sur Votre Excellence, sur Monsieur le Président de la République, le Gouvernement et le Peuple algériens, j’invoque l’assistance du Très-Haut afin que votre nation poursuive sa marche vers le progrès et un développement qui réponde aux aspirations profondes de tous ses membres.

[1] Ioannis Pauli PP. II Centesimus Annus, CA 60.






Discours 1991 - Salle du Trône, Vendredi, 4 octobre 1991