Discours 1991 - Mardi, 19 novembre 1991


AUX PARTICIPANTS AU FORUM INTERNATIONAL DE LA DÉMOCRATIE CHRÉTIENNE

Samedi, 23 novembre 1991




Excellences,
Messieurs les Présidents, Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,

1. L’encyclique «Rerum Novarum» a provoqué et inspiré un engagement résolu des laïcs catholiques dans la société pour améliorer les conditions de vie du prolétariat industriel et, en général, des pauvres. À l’activité caritative intense qui a toujours été importante dans l’Église, s’ajouta, à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, un ensemble d’initiatives hardies dans les domaines social et politique, et cela conduisit à la fondation de syndicats et de partis prêts à travailler pour mettre en oeuvre les principes chrétiens dans l’ordre social avec les méthodes de la démocratie. C’est dans ce contexte que se situent la naissance et le développement des partis démocrates chrétiens dans plusieurs pays européens et aussi dans d’autres continents, surtout en Amérique Latine.

Il est donc profondément significatif que, à l’occasion du centenaire de la publication de l’encyclique «Rerum Novarum», les plus importants dirigeants et responsables de ces partis se retrouvent à Rome pour commémorer cet événement et, en même temps, pour réfléchir à leur engagement au service de leurs nations et de l’humanité entière à la lumière de l’enseignement social chrétien.

Je remercie Monsieur Arnaldo Forlani des paroles qu’il vient de prononcer en votre nom à tous. Je salue avec déférence toutes les personnalités dont j’apprécie la présence en cette circonstance. Et je voudrais adresser un salut particulier aux personnalités appartenant à d’autres confessions chrétiennes ou à d’autres traditions religieuses qui ont bien voulu se joindre à ce Forum et accorder une attention bienveillante aux points de vue de l’Église catholique sur la vie sociale et politique.

2. Au cours des cent années qui nous séparent de «Rerum Novarum», le lien entre la démocratie et le christianisme a été approfondi. L’Église considère que l’État de droit et les méthodes démocratiques de solution des conflits par la négociation, par le dialogue et par la participation de tous, représentent des éléments importants pour la sauvegarde et l’exercice des droits de l’homme dans le monde actuel. La chute des totalitarismes confirme la pertinence de ces choix. Cependant, le rapport entre la démocratie et le christianisme doit être repensé et approfondi par chaque génération, et particulièrement en cette heure.

En effet, la tentation existe actuellement de fonder la démocratie sur un relativisme moral qui revient à refuser toute certitude sur le sens de la vie de l’homme et de sa dignité, sur ses droits et ses devoirs fondamentaux. Lorsqu’une telle mentalité s’instaure, tôt ou tard se produit une crise morale des démocraties. Le relativisme empêche de pratiquer le discernement nécessaire entre les diverses requêtes qui s’expriment à la base de la société, entre le bien et le mal. La vie d’une société repose sur des décisions qui ne peuvent pas ne pas présupposer une ferme conviction morale. Quand on n’a plus confiance dans la valeur même de la personne humaine, on perd de vue ce qui fait la noblesse de la démocratie; elle est alors mûre pour céder à diverses formes de corruption et de manipulation de ses institutions. Les chrétiens engagés en politique ont précisément le devoir de lutter pour sauvegarder le respect de la personne humaine, créée et aimée par Dieu. Contrairement à ce que l’on entend affirmer parfois, une foi sincère ne conduit pas nécessairement au fanatisme ou au mépris des convictions opposées. Nous considérons que l’homme parvient à la vérité et au bien par l’activité de son intelligence et de sa volonté, aidé par la grâce divine. C’est dans cette approche que réside le fondement assuré de la démocratie.

3. À l’occasion du centenaire de l’encyclique «Rerum Novarum», par l’encyclique «Centesimus Annus» j’ai voulu célébrer cet anniversaire et réactualiser les enseignements de mon grand prédécesseur Léon XIII. J’y ai réaffirmé les principes de la doctrine sociale chrétienne en les proposant comme des orientations pour l’action, tandis que l’homme est à un carrefour où ses grandes espérances se trouvent face à des craintes graves et justifiées.

L’État social, malgré les mérites qu’il s’est acquis en offrant les réponses de la solidarité aux besoins humains fondamentaux, est en crise partout, et des pressions croissantes s’exercent pour le démanteler. Il semble que, parmi les motifs de la crise, il y ait l’incapacité de distinguer entre les besoins sociaux authentiques et des besoins sociaux fallacieux, et aussi des choix de politique sociale qui déresponsabilisent la famille et les autres «sociétés intermédiaires», au lieu de les placer au centre de la vie sociale, comme il serait juste en vertu du principe de subsidiarité. C’est précisément la valorisation du rôle social de la famille et des autres sociétés intermédiaires qui peut présenter des critères sains pour une réforme de l’État social sans en compromettre les bienfaits et, en même temps, aider à surmonter l’aliénation contemporaine en aménageant des milieux de vie plus humains. Car on trouve vraiment ses raisons de vivre dans l’expérience de l’amour interpersonnel authentique dans la famille puis dans les différentes communautés entre lesquelles s’organise la société.

L’Église a toujours reconnu en l’homme le sujet premier de l’ordre économique. C’est de ses initiatives et de sa créativité que dépendent le bien-être des nations; et la liberté dans le domaine économique est une condition nécessaire de la liberté de la société en général. Cependant, toute la liberté humaine ne se ramène pas à la liberté économique. Il y a des besoins humains fondamentaux que le marché ne peut pas honorer, et pourtant, au nom de la solidarité humaine, ils doivent être satisfaits car ils constituent un droit fondamental. On pense ici aux besoins des personnes âgées, des enfants, des femmes, ou de tous ceux qui ne peuvent se suffire à eux-mêmes provisoirement ou définitivement. Si le marché est un élément de base dans une société humaine et libre, la solidarité en est un autre. Il y a en outre des biens humains qui ne peuvent et ne doivent être l’objet d’aucune transaction économique, parce qu’ils touchent à la dignité même de la personne humaine: il s’agit des biens spirituels dont la privation dépouille l’homme de la liberté d’être lui-même. La société humaine ne peut être réduite au seul domaine de la production et des échanges de biens économiques. La véritable portée de la vie sociale n’est pas d’ordre économique mais d’ordre éthique.

4. Ces dernières années, le monde entier a été marqué par les bouleversements étonnants qui sont intervenus dans les pays de l’Est et par la chute du communisme. Cela a souvent détourné des pays du Sud l’attention de l’opinion publique et des hommes politiques; et pourtant ces régions continuent à voir croître les besoins et les souffrances de foules immenses d’êtres humains. J’ai eu maintes occasions de lancer des appels aux riches et aux puissants de cette terre, aux peuples de ce qu’on appelle le Premier Monde: il n’est pas possible de continuer à vivre dans une île d’abondance entourée par un océan de souffrance. Il faut d’urgence prendre des mesures énergiques et courageuses, en utilisant en particulier les moyens considérables que l’arrêt de la course aux armements permet de dégager. Certes, la responsabilité première du développement revient aux peuples qui ont à s’organiser eux-mêmes. Leurs gouvernements ont le devoir de prendre les mesures appropriées pour renforcer le plus possible les capacités d’initiative et de travail de leurs peuples. Sur cette voie, il est vrai qu’ils ont encore besoin d’une réelle solidarité des peuples les plus riches pour leur permettre d’accéder dans des conditions d’égale dignité au marché mondial. Ils entreront ainsi de manière correcte et loyale dans la compétition avec les autres systèmes et les autres économies. Seules des mesures cohérentes et sages, prises en temps utile, peuvent éviter que la pauvreté dans laquelle vivent d’immenses foules entraîne des conflits sanglants, des mouvements migratoires de grande ampleur qui posent de graves problèmes aux pays hôtes comme aux pays d’origine et qui provoquent d’énormes souffrances.

La résurgence des nationalités constitue une caractéristique de notre époque. Des peuples, étouffés par le communisme en Europe centrale et orientale, revendiquent leurs droits à une autonomie nationale. Il est légitime que leurs choix soient pris en considération. Pour sa part, l’Église défend les droits des nations et elle a souvent représenté pour elles un appui solide. En effet, les droits de l’homme ne deviennent effectifs qu’à l’intérieur des communautés naturelles où se déroule la vie. Mais il existe aussi une autre communauté envers laquelle nous sommes tous responsables, l’humanité entière, avec ses différentes composantes géographiques et culturelles. Les nations doivent apprendre à vivre ensemble dans le respect mutuel, en s’appuyant souvent sur les structures juridiques communes de caractère supranational, à l’échelle continentale ou même mondiale. Ces institutions sont particulièrement nécessaires aujourd’hui pour bannir l’usage de la force comme moyen de résoudre des conflits, de même que pour organiser la coopération économique et le développement.

À l’occasion de cette rencontre, je tiens à élever la voix, une fois encore, pour demander la justice et la paix en faveur des peuples de Yougoslavie et, en particulier, pour celui d’entre eux qui souffre le plus, le peuple croate. C’est pour l’Europe un devoir de conscience de dénoncer sans équivoque les atrocités qui sont actuellement perpétrées si près de nous et qui touchent des populations sans défense. C’est un devoir de les dénoncer quels qu’en soient les auteurs. L’Europe doit mettre fin à ce conflit et montrer sa capacité d’assurer à tous les peuples du continent les conditions d’un libre développement, digne de son histoire et de ses traditions. Dieu veuille que, face à ce problème, l’inertie ou l’insuccès de la communauté internationale n’encouragent pas l’explosion d’autres conflits encore plus graves!

5. À travers les problèmes, les difficultés et les chances de notre temps, que j’ai brièvement évoqués, l’histoire met de nouveau l’homme face à la nécessité de faire un choix pour ou contre la vérité sur lui-même et sur le monde. Elle renouvelle sans cesse les conditions de la rencontre entre la liberté de l’homme et la grâce de Dieu. L’Église éclaire le déroulement de l’histoire en s’appuyant sur la vraie conception de l’homme que Dieu a révélée dans le Christ, en même temps qu’il se révélait lui-même. Dans les nécessités, les désirs, les combats, les victoires et les défaites de l’histoire, l’Église lit toujours le dessein de Dieu qui continue à proposer le salut au monde par son Fils Jésus-Christ. C’est en puisant à la source de cette sagesse de Dieu que le Pape peut proposer des orientations dans les vicissitudes du monde, sans jamais se substituer aux responsabilités proprement laïques qui appartiennent aux hommes politiques et aux dirigeants des peuples. En accomplissant son devoir d’annoncer la vérité du Christ qui est pour tout l’homme et qui éclaire et transforme tout homme, même dans sa vie terrestre, l’Église offre aux responsables du gouvernement des peuples, comme à tous les hommes, le soutien de la Sagesse éternelle.

À vous qui exercez de hautes charges dans vos pays, j’offre mes meilleurs voeux afin qu’il vous soit donné de servir la société généreusement pour le bien de tous vos compatriotes. Je prie Dieu de vous combler de ses bénédictions.




AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES, MONSIEUR JAVIER PÉREZ DE CUÉLLAR

Samedi, 23 novembre 1991



Monsieur le Secrétaire général,




C’est avec une vive satisfaction que je vous accueille alors que vous allez vous adresser à un Congrès organisé par le Saint-Siège et que vous effectuez un voyage dans plusieurs capitales européennes.

Ce n’est pas la première fois que vous me rendez visite et je voudrais profiter de cette nouvelle rencontre pour vous assurer à nouveau de la confiance que le Siège Apostolique a envers l’Organisation des Nations Unies, de l’intérêt actif et du soutien que, dans les limites de ses compétences, il désire lui apporter.

Tandis que, dans quelques semaines, votre mission de Secrétaire général prendra fin, je voudrais vous exprimer ma haute estime pour l’oeuvre que vous avez accomplie au sein de l’Organisation des Nations Unies pendant près de dix années d’inlassable dévouement personnel en faveur des grandes causes de l’humanité.

Sous votre impulsion, l’Organisation a connu une heureuse évolution. Après une période difficile de crise économique et de tensions multiples, elle peut aujourd’hui aborder sa mission avec plus d’espoir de succès. Elle s’est attachée à servir les grands objectifs qui ont motivé sa fondation, à la suite des deux conflits mondiaux: maintenir la paix dans la justice, promouvoir les droits de l’homme et traiter les problèmes qui ont une dimension mondiale. D’une part, cela a été rendu possible par une meilleure coordination entre les diverses instances, notamment entre le Secrétaire général et le Conseil de Sécurité. D’autre part, la situation d’ensemble dans le monde s’est modifiée sensiblement; des conjonctions d’intérêts puissants et des oppositions entre des groupes de pays, qui paraissaient jusque-là insurmontables, se sont atténuées ou bien ont fait place à des coopérations nouvelles. Dans un contexte international largement renouvelé au cours des dernières années, l’opportunité d’une réforme des institutions ou des mécanismes de décision est à présent plus clairement perçue, afin de toujours mieux affirmer l’interdépendance des peuples, de leurs intérêts et de leurs responsabilités.

Vous serez le premier, Monsieur le Secrétaire général, à souligner la gravité des problèmes qu’il est urgent d’affronter en maintes régions du monde et aussi à l’échelle planétaire, de manière résolue. Je sais que vous travaillez avec une très louable persévérance à ne pas laisser négliger les fléaux qui affectent, comme autant de plaies, un nombre terriblement élevé d’hommes, de femmes et d’enfants, au seuil du troisième millénaire: pauvreté, analphabétisme, maladies, prolifération des trafics de drogue, extension de la criminalité, dégradation de l’environnement, pour ne mentionner que certains des plus manifestes.

L’honneur de l’Organisation, dès ses origines, est d’avoir placé au premier plan la définition, la défense et la promotion des droits de l’homme. Des progrès notables ont été accomplis et se poursuivent, depuis la Déclaration universelle adoptée en 1948. On a davantage fait ressortir les liens entre les droits individuels et les droits des communautés culturelles et spirituelles, des peuples et des nations. On comprend mieux aussi que, au-delà d’une sauvegarde en quelque sorte passive, il faut permettre à tous les membres de la famille humaine de s’épanouir et de progresser. On ne peut plus aborder maintenant le thème primordial du développement en restant sur le seul plan économique, mais il faut inclure dans les perspectives la promotion de l’éducation, de la famille, de la culture, des responsabilités civiques librement exercées, bref c’est tout l’homme qui en est le sujet digne et responsable. Vous savez combien ces préoccupations retiennent l’attention de l’Église, qui cherche à développer dans ce sens sa doctrine sociale. Et je vous remercie d’avoir publiquement manifesté l’attention que vous portiez à l’enseignement social du Saint-Siège, tout récemment encore pour le centenaire de l’encyclique Rerum Novarum.

De nombreuses initiatives des Nations Unies ont été prises au cours de vos deux mandats pour éveiller les consciences, approfondir la réflexion et susciter des mesures efficaces et coordonnées. Je pense en particulier aux prochaines conférences convoquées pour 1992 sur l’environnement et le développement, ou pour 1994 sur la population. Le Saint-Siège souhaite apporter à ces concertations sa collaboration, dans toute la mesure de ses moyens et conformément à sa mission. Il tient aussi à faire valoir les points de vue qui lui paraissent essentiels pour la sauvegarde de la dignité des individus et des peuples, désirant que des organismes spécialisés n’aillent pas jusqu’à invoquer le crédit des Nations Unies pour imposer, notamment dans le domaine démographique, des politiques qui feraient violence à la liberté et au sens des responsabilités des personnes dans toutes les régions du monde. L’inspiration d’une action internationale face à l’ensemble des problèmes actuels ne peut-être que l’intuition fondamentale des Nations Unies: le service de la paix et de la justice grâce à la collaboration de tous et à une meilleure répartition des ressources de la terre.

Le spectacle du monde ne présente pas seulement des disparités dans le développement ou dans l’exercice des droits fondamentaux; il nous montre jour après jour un douloureux ensemble de conflits dans presque tous les continents. Le langage des armes se fait plus entendre que celui de la concorde. Tout près de nous, par exemple, se déroule une guerre fratricide et inutile qui entraîne des populations entières dans le malheur et la désolation. Je me réfère bien évidemment aux combats qui ont lieu en Yougoslavie. L’accumulation inquiétante des armes ne peut pas ne pas entraîner leur usage, nous ne la voyons que trop. Je voudrais cependant saluer et encourager les efforts accomplis par les Nations Unies pour que l’on progresse sur la voie du désarmement, dans l’espoir qu’ils seront poursuivis avec conviction, que l’on rendra inutiles des arsenaux si menaçants et que l’on fera un meilleur usage tant du potentiel économique rendu stérile que des énergies humaines mobilisées pour des causes si contestables.

Monsieur le Secrétaire général, je désire ici rendre hommage à l’action persévérante que vous avez menée personnellement ces dernières années pour parvenir à résoudre des conflits parmi les plus difficiles à apaiser. On vous a vu, semeur de paix, dans tous les continents. Ainsi votre action diplomatique tenace et sage a obtenu un accord de cessez-le-feu qui a mis un terme au conflit entre l’Iran et l’Irak. La Namibie vous doit d’avoir enfin accédé à l’indépendance. Vous avez contribué aux accords concernant l’Afghanistan. Votre médiation a permis des progrès libérateurs en plusieurs pays d’Amérique Centrale longtemps déchirés par des conflits meurtriers. Vous n’avez cessé d’accorder votre attention à la situation préoccupante de Chypre. Tout récemment, grâce à votre engagement patient et discret, des otages retenus au Proche-Orient pendant des années ont retrouvé leur liberté. En ce moment même, les Nations unies accompagnent le peuple cambodgien sur la voie de la pacification et de la renaissance. Et je ne puis évoquer tous les domaines où vous avez en personne participé à une action positive des Nations Unies, ne serait-ce que dans l’évolution des rapports entre l’Est et l’Ouest. Pour tout cela, je me fais l’interprète de la gratitude des peuples au service desquels vous avez mis toutes vos qualités et tout votre dévouement.

Mon souhait le plus fervent, Excellence, est que vous connaissiez, après dix années de responsabilité internationale, la satisfaction de voir votre oeuvre poursuivie, de voir les impulsions que vous avez données continuer d’entraîner des progrès dans les nombreux domaines qui concernent les Nations Unies.

Pour vous-même, Monsieur le Secrétaire général, pour vos collaborateurs et vos proches, je forme les meilleurs voeux de bonheur. Et je prie le Tout-Puissant de vous accorder sans cesse son soutien et ses bénédictions.




AU NOUVEL AMBASSADEUR DU BENIN, S.E. MONSIEUR EDMOND CAPKO-TOZO, À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Lundi, 25 novembre 1991




Monsieur l’Ambassadeur,



Soyez le bienvenu en cette demeure, où j’ai la joie d’accueillir Votre Excellence à l’occasion de la présentation des Lettres qui l’accréditent comme Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République du Bénin.

Je vous remercie vivement des paroles aimables que vous venez de m’adresser et auxquelles j’ai été très sensible. En ce moment, ma pensée va en premier lieu vers Son Excellence Monsieur le Président Nicéphore Soglo: je vous serais obligé de lui présenter mes salutations déférentes et de lui exprimer ma gratitude pour le message courtois dont vous vous êtes fait l’interprète. Je forme les meilleurs voeux pour sa personne ainsi que pour tous ceux qui collaborent avec lui au service de la nation béninoise. Enfin, je salue de grand coeur les hommes et les femmes de votre pays engagés dans la longue et exaltante construction d’une société qui réponde à leurs aspirations. Bien volontiers, je prie Dieu de bénir les efforts de tous dans l’édification d’un Bénin toujours plus digne et prospère. Également, vous pouvez être assuré de l’engagement du Saint-Siège à encourager l’élaboration d’un nouvel ordre économique international, inspiré par une vraie solidarité, et nécessaire pour soutenir le développement des pays qui cherchent à résoudre les difficultés résultant des conditions défavorables de ces dernières décennies.

Il m’est agréable de constater, suivant vos propos, Monsieur l’Ambassadeur, l’estime des Béninois pour l’«État de droit», dans lequel la souveraineté appartient à la loi et non pas à l’arbitraire des hommes. Ainsi que je le rappelais dans l’encyclique Centesimus Annus, «une démocratie authentique n’est possible que dans un État de droit et sur la base d’une conception correcte de la personne humaine. Elle requiert la réalisation des conditions nécessaires pour la promotion des personnes, par l’éducation et la formation à un vrai idéal, et aussi l’épanouissement de la "personnalité" de la société, par la création de structures de participation et de coresponsabilité» [1].

Votre pays, éperonnant en quelque sorte d’autres membres de la famille des nations du continent africain, a entrepris un vaste effort de renouvellement; vous ne manquez pas d’observer, cependant, que le plus grand des chantiers, «très délicat à rebâtir, c’est l’homme lui-même». Pour cette entreprise, l’Église catholique souhaite offrir, aujourd’hui comme par le passé, l’apport stimulant du message évangélique. Elle a reçu de la Révélation divine le «sens de l’homme» et, quand elle annonce le salut à tout être humain, quand elle oriente sa vie par les commandements de l’amour de Dieu et du prochain, elle contribue à l’enrichissement de la dignité de l’homme. Au Bénin, les fidèles de l’Église catholique demeurent prêts à contribuer au développement de la nation, sous la conduite de leurs pasteurs, en fraternelle collaboration avec les membres d’autres confessions religieuses et dans le respect des croyances de chacun. Ils le feront dans les domaines où ils sont déjà présents, comme ceux de l’éducation ou de la santé; ils le feront plus spécifiquement en mettant en pratique la doctrine sociale de l’Église, comme les y engage leur baptême.

Précisément, vous me permettrez, Monsieur l’Ambassadeur, de leur adresser, par votre intermédiaire, un salut cordial et de leur dire que je les garde dans ma prière. Puissent-ils continuer à participer avec compétence au progrès de la société béninoise en s’efforçant de promouvoir, suivant l’esprit de l’Évangile, les grandes valeurs de justice, de fraternité et de paix!

Au moment où commence votre mission, je vous offre mes meilleurs voeux. Soyez assuré que vous trouverez toujours ici un accueil attentif et une compréhension cordiale.

Sur Votre Excellence, sur Monsieur le Président de la République, le gouvernement et le peuple du Bénin, j’invoque l’abondance des Bénédictions divines.


[1] N. CA 46.





AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE EPISCOPALE RÉGIONALE DU NORD DE L'AFRIQUE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Mardi, 26 novembre 1991



Chers Frères dans l’épiscopat,




1. C’est avec une grande joie et avec toute mon affection dans le Seigneur que je vous accueille en votre qualité de membres de la Conférence épiscopale régionale du Nord de l’Afrique, à l’occasion de votre visite «ad limina». À travers vos personnes, je salue cordialement le clergé, les religieux et les religieuses ainsi que les fidèles laïcs de vos pays ou de vos communautés ecclésiales internationales, qui donnent vraiment une image de l’universalité de l’Église. Ma pensée rejoint également le cher Cardinal Duval, absens corpore sed mente praesens, et je remercie vivement son successeur sur le siège d’Alger, Monseigneur Henri Teissier, Président de la Conférence, de l’adresse très aimable qu’il vient de prononcer en votre nom.

En venant ainsi vous entretenir avec le Successeur de Pierre et ses collaborateurs dans les divers dicastères de la Curie romaine, vous exprimez d’une manière tangible les liens qui nous unissent dans la grande famille des baptisés. A une époque où la société tend elle aussi à rendre les échanges entre ses membres plus fréquents et plus directs, il convient de promouvoir la communion permanente entre les Églises particulières et le Siège Apostolique, par le partage de la sollicitude pastorale sur les questions, les expériences, les problèmes, les orientations et les projets de travail relatifs à l’annonce de la Bonne Nouvelle. En plus du bénéfice de l’information réciproque, une telle démarche exprime l’esprit collégial grâce auquel l’Église vit son unité dans la diversité.

Au terme de votre pèlerinage à Rome, puissiez-vous éprouver le réconfort et le soutien que vous en attendiez afin que, de retour au milieu de votre peuple, votre service épiscopal soit encore plus qualifié et plus confiant dans l’heureuse issue de la mission reçue du Christ: «Telle est la victoire qui a triomphé du monde: notre foi» [1]!



2. Il est dans l’Évangile des paraboles où l’action de Dieu dans le monde est comparée à celle de la nature. Le Royaume, dit saint Marc, est comme une semence mise en terre: «Il en est du Règne de Dieu comme d’un homme qui jette le grain dans son champ: nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit, il ne sait comment» [2]. Cette loi de la vie et de la croissance s’applique au Corps du Christ tout entier. L’Esprit Saint agit avec une force mystérieuse, mais son action suppose le concours d’êtres humains qui, à l’exemple de Marie, consentent à coopérer avec une entière disponibilité à l’oeuvre salvatrice du Seigneur. Avec l’aide de l’Esprit, les chrétiens cherchent à se détourner du péché et à croire en l’Évangile, afin de grandir dans la sainteté en vivant toujours davantage de la foi, de l’espérance et de l’amour. Ainsi, ils deviennent des signes de salut pour tous les autres membres de la famille humaine. Ces signes, afin de garder leur portée réelle, doivent rester visibles et compréhensibles pour ceux à qui ils s’adressent; ils doivent conduire à la découverte de Dieu et de ses témoins.

Dans leur recherche du vrai et du bien, nos contemporains, souvent réticents vis-à-vis des maîtres aux démonstrations ou affirmations trop catégoriques, ont tendance à préférer les témoins authentiques et discrets. Ce fut l’intuition de base d’un grand homme de Dieu de votre région, le Père Charles de Foucauld, qui a cherché à manifester l’Évangile de façon laborieuse et cachée, dans le silence où Dieu signifie sa présence à la manière d’une «brise légère» [3]. La tâche de l’apôtre qui a ainsi rencontré Dieu est de le faire connaître à ses frères en montrant qu’Il est déjà là, caché au milieu des peuples, au coeur de toutes les cultures. Le disciple de Jésus, là où il vit, se sent responsable de tous les êtres humains par la prière et à travers la communion des saints. Son action apostolique est profondément intégrée dans la mission universelle de l’Église.



3. N’est-ce pas, chers Frères, la situation particulière que vous connaissez dans vos pays où l’Islam imprègne toute la société et ses structures? Et pourtant, pour reprendre les termes du Concile Vatican II, «l’Église, afin de pouvoir présenter à tous le mystère du salut et la vie apportée par Dieu, doit s’insérer dans tous ces groupes humains du même mouvement dont le Christ lui-même, par son Incarnation, s’est lié aux conditions sociales et culturelles déterminées des hommes avec lesquels il a vécu» [4]. C’est ce que vous faites avec courage, patience et persévérance: au nom de toute l’Église, soyez remerciés de ce labeur apostolique exigeant qui s’inspire de la vie cachée de Jésus à Nazareth et qui transfigure déjà le monde dans lequel vous vivez en y donnant une saveur chrétienne, suivant la recommandation du Seigneur: «Vous êtes le sel de la terre» [5]. Par votre vie de témoignage et de partage, par votre insertion humble et respectueuse au sein de peuples qui ont leur propre histoire et leur propre tradition culturelle et religieuse, par votre disponibilité vis-à-vis de vos partenaires musulmans, vous montrez, dans une société où Dieu est la référence, la manière de vivre la foi chrétienne et de traduire en actes l’amour du Père céleste.

Cependant, votre ministère vis-à-vis de vos frères et soeurs de l’Islam connaît des limites, notamment en ce qui concerne le dialogue. Celui-ci est difficile si certains partenaires n’arrivent pas à envisager l’autre religion dans ce qu’elle est réellement mais se laissent influencer par des préjugés médiatiques qui déforment la réalité. Malgré cela, continuez à dialoguer, avec sincérité surtout, avec sérénité également, vous attachant avant tout au dialogue de la vie et des oeuvres, en particulier des oeuvres de «miséricorde» recommandées par l’Évangile. Dans un esprit d’ouverture et de bon voisinage, partagez les joies et les peines, les problèmes et les préoccupations de l’existence; collaborez en vue du développement intégral et de la libération totale de l’homme. Vous pourrez vous inspirer en ce domaine du document «Dialogue et annonce», publié en mai dernier par le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples.

À l’exemple du Sauveur, que l’Évangile nous montre sous les traits du Dieu de miséricorde et de compassion, ayez pour tous vos frères une parole d’espérance: pour les jeunes, qui représentent soixante pour cent de la population et qui trop souvent considèrent leur avenir avec pessimisme; pour les étudiants et les adultes maghrébins, qui souffrent plus que d’autres peut-être des difficultés des relations Nord-Sud parce que la situation géographique de leurs pays les éveille davantage à ces problèmes et avive leur soif d’un meilleur partage des biens; pour tous ceux qui, dans cette région du monde et au Moyen-Orient, aspirent à la paix.

À cet égard, en raison du phénomène migratoire, si important dans vos sociétés, il convient de toujours mieux préparer les jeunes au dialogue, avec les pays méditerranéens notamment. L’Église, par les écoles et par les enseignants, peut apporter une contribution positive à la compréhension entre mondes culturels différents: tout ce qui est semé en profondeur au coeur de la jeunesse porte, à long terme, des fruits durables et récompense largement des sacrifices consentis.



4. J’aimerais maintenant jeter un regard avec vous sur certains domaines de votre ministère. Des appels pressants ont été lancés jadis pour l’envoi de religieuses dans vos communautés et on a pu répondre en partie à ces demandes.

Parmi les religieux et religieuses, il en est qui s’emploient, dans le respect des différences de sensibilité et de culture, à la formation, à l’éducation de la jeunesse, à la promotion féminine, à l’assistance des malades et des personnes handicapées. Bon nombre d’entre eux assurent une présence chrétienne dans des zones isolées, dans des quartiers populaires, dans des montagnes reculées ou en plein coeur du désert. Continuez à les encourager et à les réconforter comme vous le faites, par des visites ou des messages, leur donnant ainsi le soutien dont ils ont besoin. Je tiens à remercier les prêtres, religieux, religieuses et fidèles laïcs de vos diocèses pour le signe ainsi donné de la miséricorde de Dieu et de la sollicitude de l’Église envers l’homme souffrant et en faveur de son insertion active dans la société, manifestation discrète mais réelle de leur fidélité à la parole du Maître: «Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres» [6].



5. Les foyers de mariages mixtes sont l’objet d’une attention particulière de votre part: vous y voyez un lieu concret de dialogue, de personne à personne, sur la foi. Je souhaite que se développe de la sorte un respect toujours plus grand de la liberté de conscience de tout être humain. Comme je le rappelais dans mon message pour la Journée mondiale de la Paix de 1991, «dans la tâche capitale de formation de la conscience, la famille a un rôle de première importance. C’est un grave devoir pour les parents que d’aider leurs enfants, dès leur plus jeune âge, à chercher la vérité et à vivre conformément à elle, à chercher le bien et à le promouvoir» [7].



6. Il va de soi que l’activité pastorale trouve son ressourcement dans la prière et, plus particulièrement, dans la Messe. À la Messe, l’Église se rassemble et proclame ce qu’elle est. Elle renforce cette identité chrétienne qui, pour vous peut-être plus que pour d’autres, est une nécessité en vue d’un témoignage évangélique de qualité et en vue d’entretenir un dialogue fructueux avec les musulmans. Mémorial de la mort et de la résurrection du Christ, sacrement de sa présence parmi nous et de son sacrifice rédempteur, l’Eucharistie est la source de la vie chrétienne. Elle maintient vivante l’espérance de la pleine réalisation de ce qu’elle signifie et produit. Elle commence à rendre présent dès maintenant le monde nouveau. Au milieu des obscurités et des épreuves, elle soutient l’attente ardente du Seigneur ressuscité.

Que vos célébrations liturgiques, préparées avec soin et accomplies avec conviction et dignité, soient pour ceux qui en sont témoins une proclamation enthousiaste de la foi chrétienne! Elles aideront les fidèles à devenir toujours davantage un temple saint dans le Seigneur et elles fortifieront «leurs énergies pour leur faire proclamer le Christ» [8].



7. Chers Frères, l’Évêque de Rome se sent proche de chacun d’entre vous dans l’accomplissement de votre mission, en union avec les prêtres, les religieux et religieuses et les fidèles laïcs, pour le salut du monde. Que le Maître de la moisson soit avec vous, spécialement en ces temps où, en collaboration avec vos frères et soeurs de l’ensemble du continent, vous poursuivez la préparation de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Évêques en vue de rendre le visage de l’Église toujours plus conforme au dessein du Christ et son action salvatrice encore plus reconnue! Merci pour votre visite, pour votre témoignage d’attachement fraternel, pour votre prière. Laissez-moi ajouter un salut particulier au cher et vénérable Cardinal Duval qui a tant mérité de l’Église et de la nation à laquelle il a consacré sa vie. Que Dieu le maintienne en bonne santé!

De grand coeur, je vous donne ma Bénédiction Apostolique ainsi qu’à toutes vos communautés ecclésiales.

[1] 1Jn 5,4.
[2] Mc 4,26-27.
[3] Cf. 1R 19,12.
[4] Ad gentes, n. AGD 10.
[5] Mt 5,13.
[6] Jn 13,35.
[7] N. III.
[8] Sacrosanctum Concilium, n. SC 2.



Décembre 1991

Discours 1991 - Mardi, 19 novembre 1991