Discours 1992 - Vendredi, 6 mars 1992

À S.E. MONSIEUR ÖMER ENGIN LÜTEM, NOUVEL AMBASSADEUR DE TURQUIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi, 7 mars 1992


Monsieur l’Ambassadeur,


1. En recevant de Votre Excellence les Lettres qui L’accréditent auprès du Saint-Siège, ma pensée se porte d’abord vers le peuple turc si gravement endeuillé ces derniers jours par une catastrophe minière d’une exceptionnelle ampleur. En ces circonstances, je tiens à renouveler l’expression de ma vive sympathie pour toutes les personnes atteintes par ce drame.

Je suis sensible au message déférent dont vous a chargé Son Excellence Monsieur Turgut Özal, Président de la République de Turquie, et je vous serais obligé de lui transmettre mes remerciements ainsi que les voeux que je forme pour sa personne et l’accomplissement de sa mission au service de ses compatriotes.

Monsieur l’Ambassadeur, vous êtes ici le bienvenu. Les paroles que vous venez de m’adresser traduisent heureusement l’esprit constructif dans lequel vous abordez votre tâche. Avec vous, je souhaite que soient encore resserrées les relations confiantes qui existent entre le Saint-Siège et votre pays.

2. Les événements survenus ces dernières années en Europe, comme aussi au Proche-Orient et au Moyen-Orient, revêtent une importance que vous avez soulignée et offrent à votre pays l’espoir d’évolutions positives, sans que l’on puisse négliger divers dangers. Aussi demeure-t-il nécessaire que toutes les nations se concertent et fassent converger leurs efforts pour maintenir la paix, pour donner aux peuples qui viennent de recouvrer leur liberté des conditions stables de vie civique, économique, culturelle et spirituelle. C’est dans cet esprit, vous le savez, que le Saint-Siège participe notamment à la Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe. En fonction de ses compétences propres, il n’épargne aucun effort pour soutenir les personnes ou les communautés les plus exposées aux discriminations, particulièrement de nature ethnique ou religieuse. Cela constitue un des motifs essentiels de la présence active du Siège Apostolique dans la vie internationale, où il cherche à attirer l’attention sur les dimensions humaines des grandes questions de notre temps et sur les implications d’ordre moral et social des décisions prises dans les domaines politique ou économique.

3. Monsieur l’Ambassadeur, vous avez rappelé opportunément le développement du dialogue inter-religieux que favorise le Saint-Siège et auquel vous accordez vous-même un vif intérêt. C’est en effet au niveau d’un échange loyal et ouvert des convictions les plus hautes qu’un terrain d’entente peut être trouvé pour progresser dans la reconnaissance mutuelle et la tolérance qui sont nécessaires à une vie paisible et digne. Comme vous, je songe à ceux de vos compatriotes qui ont été amenés à s’expatrier, en souhaitant qu’ils soient partout respectés dans leur culture et leurs traditions religieuses.

En Turquie même, les institutions s’efforcent de prendre en considération les exigences spirituelles des diverses communautés et j’en prends acte. Je forme pour vos compatriotes des diverses obédiences religieuses le souhait que des conditions favorables leur permettent, précisément dans un esprit de dialogue, d’apporter leur contribution à la vie nationale avec loyauté, tout en assurant la vitalité de leurs communautés, l’éducation de leurs enfants dans l’esprit de leurs croyances, la possibilité de former librement leurs ministres du culte, pour ne prendre que quelques exemples.

En septembre dernier – vous en évoquiez le souvenir –, j’ai eu le plaisir d’être associé aux manifestations qui ont honoré le grand mystique Yunus Emre, si aimé de votre peuple. Cela m’a permis de constater l’attachement de votre nation à ce noble chantre de la présence de Dieu dans la création et de l’amour fraternel que tous les hommes doivent vivre comme une louange au Dieu unique. À tout le peuple turc, je souhaite de rester inspiré par une aussi haute conception du sens de la vie humaine sous le regard de Dieu.

4. Dans votre pays, les fidèles de l’Église catholique sont une minorité modeste que je voudrais saluer chaleureusement à l’occasion de cette audience. Ils sont particulièrement les dépositaires de la mémoire d’un patrimoine spirituel précieux pour tout le christianisme, puisque, dès les temps apostoliques, l’Évangile a été porté dans vos régions et l’Église y a été fondée. Et, dans la suite des siècles, bien des fils de votre terre ont été de hautes figures de la pensée chrétienne et de la sainteté. Je sais que les catholiques de Turquie sont attachés au bien de leur patrie qu’ils désirent servir, en collaboration avec les autres composantes de la nation. Qu’ils soient assurés de l’affection que leur porte le successeur de l’Apôtre Pierre!

5. Monsieur l’Ambassadeur, au moment où vous commencez votre mission auprès du Saint-Siège, je vous souhaite de l’accomplir en connaissant la satisfaction de renforcer nos relations et de développer notre compréhension mutuelle. Pour cela, vous savez que mes collaborateurs sont tout disposés à faciliter votre tâche et à vous apporter les concours dont vous pourrez avoir besoin.
De tout coeur, j’invoque l’aide du Très-Haut pour votre peuple et ses dirigeants, pour votre personne, pour vos proches et vos collaborateurs.




AUX ÉVÊQUES DE LA RÉGION APOSTOLIQUE CENTRE-EST DE FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 28 mars 1992




Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Pendant cette visite «ad limina» où vous avez la joie de vivre entre évêques de la région apostolique Centre–Est un moment de fraternité et d’étroite collaboration, je suis heureux de vous accueillir pour que se manifeste la communion qui vous unit au Siège de Pierre, et pour partager notre mission commune de successeurs des Apôtres. Vos journées de prière et d’échanges avec mes collaborateurs vous permettront de renouveler votre service pastoral dans cette région de France qui fut la première de l’antique Gaule à accueillir et à vivre l’Évangile, parfois jusqu’au don du sang.

Je remercie le Président de votre région, Monseigneur Hubert Barbier, qui vient d’évoquer quelques-unes des préoccupations de votre immense tâche de Pasteurs. Dans le rapport régional que vous m’avez fait parvenir, vous soulignez les espérances qui animent vos diocèses riches en ressources scientifiques et humaines. Cependant, comme vous le soulignez, des populations sont gravement touchées par la récession économique, de nombreux étrangers présents dans votre pays, terre d’asile, ne reçoivent pas l’accueil normalement dû à tout être humain; des régions rurales sont désertées car elles ne permettent plus la subsistance des familles; la mobilité croissante des personnes déstabilise la société. Autant d’éléments douloureux dans la vie des hommes de ce temps qui requièrent votre sollicitude et qui nécessitent l’attention des communautés chrétiennes pour qu’elles aident leurs frères les plus démunis. J’encourage les chrétiens à trouver des moyens inspirés par l’Évangile pour vivre avec leurs concitoyens le plus grand commandement que nous a laissé le Christ, celui de l’amour. À cela, tous nous reconnaîtront. Je porte aussi avec vous dans la prière cette écharde dans la chair que représentent le petit nombre de jeunes qui répondent à l’appel du Christ pour le suivre dans le sacerdoce ou la vie religieuse ainsi que le manque de jeunes prêtres. Cependant, vous avez à coeur de tout mettre en oeuvre pour pourvoir aux besoins du peuple de Dieu.

2. Les transformations multiples et rapides, vécues à notre époque, sont autant de défis pour le respect de la dignité de l’homme et pour la transmission de l’Évangile. Cela me donne l’occasion d’évoquer avec vous les questions morales qui découlent de l’Évangile. Car la Parole de Dieu invite chaque chrétien à un comportement conforme à l’appel du Christ, maître de vie. Comme vous le constatez, la société moderne est tentée par le relativisme qui rend beaucoup de personnes sceptiques. Les mutations culturelles et les progrès scientifiques tout particulièrement semblent bouleverser les critères de discernement en matière de vie morale. Les valeurs et les repères moraux objectifs sont peu reconnus. L’individualisme et le subjectivisme deviennent les caractéristiques dominantes de réflexion et de décision éthiques. Il apparaît parfois que des comportements sont considérés comme normaux et moralement acceptables seulement parce qu’ils sont le fait d’un grand nombre de personnes. Une confusion règne lorsqu’on laisse croire que ce qui est légal est de soi moral, en particulier là où la loi civile contredit les exigences de la morale. Chez beaucoup de nos contemporains qui n’ont pas encore été ouverts à l’espérance du salut chrétien et au sens du péché, de nouvelles formes d’angoisse sont apparues. Elles peuvent conduire à un pessimisme existentiel.

3. Face à cela, le Christ, lorsqu’il s’adresse au jeune homme riche, fait une proposition radicale en vue de la vie éternelle: «Si tu veux être parfait,...viens, suis-moi»[1]. Et l’Apôtre Jacques rappelle clairement qu’une foi qui n’agit pas est une foi morte[2]. Saint Irénée le confirme: «À ceux qui le suivent et le servent, Dieu procure la vie incorruptible et la gloire éternelle»[3]. L’Église a le devoir de rappeler que la pratique morale est avant tout une invitation au bonheur faite par Dieu pour que l’homme et le monde aient la vie en abondance.

Comme le relève le catéchisme des Évêques de France, la vie morale appartient à l’Alliance que Dieu a scellée avec les hommes, une Alliance dans laquelle l’homme s’engage par la foi et par ses actes. L’Église veut révéler au monde que la vie morale, prenant appui sur la pratique de la loi, est une façon nouvelle de vivre en se tournant résolument vers le salut, offert par grâce. De ce fait, l’enseignement moral suppose une catéchèse sur le sens de l’être et de l’agir humains, sur la théologie de la création et des fins dernières, du péché et de la grâce.

Sans encourir les risques d’une certaine désespérance pour ses membres, une société ne peut se construire sans préceptes moraux et surtout sans référence à une vision de l’homme comme être spirituel appelé, par nature, à la perfection, en définitive sans une saine anthropologie. Le Christ, dans son Incarnation, nous a dévoilé l’homme parfait. Dans le mystère de l’Assomption, nous contemplons en Marie le don qui nous est réservé. L’Écriture nous révèle la nature de l’homme créé à la ressemblance de Dieu, miroir de la splendeur trinitaire qu’aucune faiblesse, qu’aucun péché ni aucun handicap ne peut totalement obscurcir ou altérer. L’humanité de l’homme est l’iconostase de Dieu. De ce fait, l’être humain est un bien si précieux qu’aucun autre ne peut lui être comparé lors de la décision morale. Ce message, inscrit dans l’Écriture, procure à l’homme une grande espérance et une joie intense que nul ne peut lui ravir.

Le discernement et l’agir moral droit sont les réponses de l’homme qui, exerçant ses capacités les plus hautes, son jugement et sa raison, accepte de se tourner vers Dieu et d’entrer dans l’Alliance définitivement scellée dans le Christ. Cette Alliance comporte deux aspects conjoints, le décalogue présent dans l’Ancien et le Nouveau Testament, et la loi d’amour qui le porte à son terme. Ce sont les deux poumons de la vie morale. Toute démarche humaine est exigeante car il ne peut s’agir de se laisser guider par le désir de l’instant mais il faut au contraire unifier sa vie et son être pour les orienter vers le bien. La loi morale est un des éléments nécessaires pour que cette orientation soit source d’une authentique liberté. Elle n’est pas une affaire privée et purement subjective, car la grandeur de la vocation humaine dépasse l’existence individuelle. De plus, elle n’a pas à épouser les idées du temps car elle est ordonnée aux biens essentiels et joue, de ce fait, un rôle prophétique. En effet, elle ouvre l’homme à la dimension de l’espérance qui exige de chacun un engagement radical. La loi d’amour peut alors se déployer en vérité; elle conduit à l’adhésion au Christ pour être, comme Lui, au service de nos frères.

Les vertus théologales et morales sont la clé d’une telle manière de vivre. Rappelez aux hommes que la joie véritable vient de l’ascèse, de l’exigence et de la lutte pour que le péché ne l’emporte pas sur le bien.

4. Faire saisir aux hommes les enjeux de la vie morale, leur donner les moyens de discerner le bien et de vivre en vérité ainsi que former les consciences, sont des tâches essentielles et urgentes de votre ministère épiscopal. Je salue les efforts qui sont faits dans votre région, spécialement aux Facultés catholiques de Lyon, pour redonner sa place à la recherche en matière morale, particulièrement dans le domaine de la famille et des droits de l’homme. L’Université catholique, sous votre responsabilité, a la haute charge d’enseigner la foi vivante de l’Église et la rectitude morale comme le rappelle le serment de fidélité prêté par le corps enseignant. Je vous encourage à faire appel à des personnes – des prêtres, des religieux et des laïcs –, qui ont une maturité et un équilibre suffisants ainsi qu’une vie personnelle droite. Ils pourront acquérir les compétences et les diplômes requis pour l’enseignement et la recherche et deviendront des professeurs de philosophie, de métaphysique et de théologie morale capables d’offrir aux séminaristes, aux prêtres et aux fidèles un enseignement de qualité, puisant dans l’Écriture, dans la tradition vivante, dans la théologie des Pères et des grands Docteurs, dans la théologie spirituelle ainsi que dans le Magistère de l’Église, les éléments nécessaires à la formation des consciences en vue de permettre les choix moraux. Rappelez aux enseignants, aux étudiants et à tous ceux qui participent à une intelligence et un approfondissement du message chrétien, combien leur travail est important pour l’ensemble de l’Église.

5. Le devenir de la famille vous préoccupe par-dessus tout. Vous avez inscrit ce thème au programme de la prochaine Assemblée générale de la Conférence des Évêques de France à Lourdes, au cours de cette année 1992. À plusieurs reprises, vous m’avez signalé combien les conditions de vie, les horaires de travail et les contraintes de logement avaient une incidence sur la vie familiale de vos contemporains; mais plus profondément, c’est l’institution même du mariage qui est ébranlée dans ces fondements. Je souhaite que vos travaux contribuent à raviver, dans les communautés chrétiennes, le souci de cet aspect central de la Pastorale de vos diocèses et puissent offrir aux familles, à l’exemple de ce que proposait saint François de Sales aux laïcs de son époque, une aide pour construire leur vie spirituelle et pour surmonter les difficultés quotidiennes. Vous vous attachez à promouvoir dans vos diocèses le service de Pastorale familiale qui a la charge de coordonner l’éducation des jeunes en matière de vie affective et la préparation au mariage, ainsi que d’aider les familles. Des mouvements de laïcs apportent leur contribution généreuse à ces actions.

La prise de conscience des valeurs liées au sacrement de mariage suppose une pédagogie de longue haleine. Dès l’enfance, mais surtout pendant la période de l’adolescence, il est important que les jeunes trouvent à leurs côtés des adultes équilibrés capables de répondre clairement aux questions qu’ils portent en eux-mêmes. Je sais que vous ne manquez pas d’encourager les mouvements de laïcs qualifiés pour les accompagner dans cette période de leur existence si importante pour la construction de leur personnalité.

Dans cette formation, les parents doivent avoir la première place même si leurs enfants ne se tournent pas spontanément vers eux. Rappelez-leur qu’ils transmettent les valeurs essentielles, la beauté et la profondeur du mystère de la vie à travers leur propre façon de vivre leur amour. Les enfants savent reconnaître la grandeur d’une rectitude morale et d’une pureté de vie. La famille est le lieu de la première formation morale. On y apprend les attitudes du respect de la vie. Par cet enseignement, elle préserve la qualité de l’amour. Elle offre aux jeunes un regard sur le sens de l’existence, des relations amoureuses ainsi que des vertus de chasteté et de continence. Il semble aussi essentiel de rappeler le sens de la sexualité humaine et de retrouver la valeur des fiançailles.

Je sais que vous avez à coeur de former des prêtres et des époux chrétiens aptes à préparer les fiancés au mariage. Sans négliger l’apport des sciences humaines, il est important de montrer que le sens du sacrement de mariage est fondé sur l’Écriture, sur la Tradition et sur le Magistère de l’Église. Le mariage suppose un esprit de don et de sacrifice, et un accueil de l’autre capable d’aller jusqu’au pardon. Vous constatez que l’ambiance actuelle, souvent orientée vers une recherche hédoniste, n’invite pas à vivre un tel engagement qui, cependant, peut seul ouvrir à une vie conjugale et familiale responsable, édifiée sur la profondeur du mystère de l’Alliance. La construction d’une famille repose sur un oui définitif et indéfectible. Par le sacrement de mariage, les époux ont la charge insigne de rendre présent l’amour de Dieu pour son peuple et l’amour du Christ pour son Église. S’engager dans cette Alliance rend responsable non seulement de sa propre fidélité mais aussi de la fidélité du conjoint. À tous ceux qui se dévouent au service des familles, dans les organisations diocésaines, ou dans les mouvements, portez les encouragements du Pape.

Les hommes et les femmes qui vivent dans des situations irrégulières du point de vue religieux ont besoin de l’assistance spirituelle et de l’aide pleine de sollicitude affectueuse de l’Église, et en premier lieu les divorcés–remariés, comme je l’ai dit dans l’exhortation apostolique «Familiaris Consortio». Cependant, cela ne peut se réaliser hors du cadre fixé par le Droit et le Magistère de l’Église, car l’Église est gardienne et non maîtresse des sacrements institués par le Christ. J’encourage les pasteurs à accueillir les personnes vivant dans de telles situations, et à rester attentifs à leurs besoins pour leur permettre de vivre leur vie baptismale.

6. Les nouvelles découvertes et les avancées légitimes des recherches scientifiques sont une chance à saisir pour le devenir de l’humanité. Au moment où la page du scientisme semble peu à peu se tourner, elles imposent aux chercheurs comme à tous les hommes de s’interroger sur les critères de moralité de l’agir humain et sur la qualité des décisions qui sont prises. Le monde de la santé et de la recherche est au service de la vie pour permettre à l’homme de vivre toutes les phases de son existence dans la dignité et le poids d’humanité qui lui appartiennent en propre. La société et les autorités civiles ont le devoir de protéger les personnes, et spécialement les plus fragiles, face aux éventuels excès des sciences et des techniques.

De nombreuses questions se posent dans les choix scientifiques ou thérapeutiques. Cependant, les décisions ne peuvent pas être prises sans tenir compte de la nature infiniment respectable de tout être humain, créature aimée de Dieu, qui a un droit inaliénable à la vie et qui doit être protégé depuis sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Refuser la vie aux plus faibles et aux handicapés est une véritable injure à tous ceux qui, pour de multiples raisons, vivent ces situations. Cela constitue un inavouable eugénisme. En outre, quel que soit le pronostic, on ne peut jamais justifier des choix thérapeutiques radicaux en fonction d’une définition arbitraire et subjective de la qualité de la vie et des seuls critères médicaux ou scientifiques. Dans un sursaut d’humanisme, les personnels de santé doivent faire apparaître les références évangéliques qui éclairent leurs décisions thérapeutiques et morales, à savoir la dignité de tout être humain. Je salue tous ceux qui travaillent dans le monde de la santé au service de l’homme et de la vie et qui se dévouent, dans une présence attentive, auprès des personnes éprouvées par la maladie. Assurez de ma fervente prière les malades, les handicapés ainsi que les équipes d’aumôneries qui les accompagnent avec délicatesse et qui ont charge de manifester l’amour du Christ pour tout homme. Mes encouragements vont aux Congrégations religieuses qui perpétuent une longue tradition caritative et hospitalière au service des plus faibles et des plus petits.

7. Chers Frères, en terminant cet entretien, je voudrais vous renouveler mon soutien pour les efforts que vous déployez dans votre mission pastorale. J’en connais les difficultés et je demande au Christ de vous combler de sa joie et de son Esprit pour que vous puissiez donner au peuple de Dieu la nourriture spirituelle dont il a besoin et faire découvrir la vérité qui rend libre. Portez le salut cordial du successeur de Pierre à tous les laïcs de vos diocèses, aux prêtres, aux diacres, aux religieux et aux religieuses qui se dévouent pour que, dans toutes les situations de son existence, l’homme vive dignement. Dites–leur mes encouragements pour continuer à transmettre au monde le salut et l’espérance, dans l’attention au souffle de l’Esprit. Qu’en ce temps de Carême, chacun laisse purifier ses sens pour vivre dans la liberté des fils de Dieu. Je vous confie à la garde de la Mère du Christ et des saints de vos diocèses et j’invoque sur vous tous la Bénédiction de Dieu.

[1] Mt 19,21.
[2] Jc 2,14-26.
[3] S. Irenaei Adversus Haereses, 14, 1.
[4] Ioannis Pauli PP. II Familiaris Consortio, FC 79-84.



Avril 1992



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE LA RÉGION APOSTOLIQUE «MIDI» DE FRANCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Samedi, 4 avril 1992



Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Votre visite ad Limina vous amène à prendre appui sur ces colonnes de l’Église que sont les Apôtres Pierre et Paul pour un élan nouveau de votre ministère pastoral. Nos rencontres me permettent de mieux connaître vos inquiétudes et vos motifs d’espérance et de confirmer les liens forts qui unissent les évêques avec le successeur de Pierre et qui situent les Églises particulières dans la communion de l’Église universelle.

En vous écoutant, je mesure le poids de votre charge, mais j’entrevois en même temps votre ardeur, la vitalité de vos communautés dans la foi et le courage désintéressé des ouvriers qui sont à la tâche dans le champ du Seigneur. Je remercie votre Président, Monseigneur Jacques de Saint-Blanquat de m’avoir présenté votre région, avec ses contrastes, vos diocèses, avec le dépouillement qu’ils connaissent, mais aussi avec leur fidélité active à la mission confiée par le Christ.

Je voudrais adresser un salut particulier à Monseigneur André Lacrampe, Prélat de la Mission de France, qui accomplit sa visite ad Limina en même temps que les évêques de la Région apostolique du Midi. En sa personne, je salue les prêtres, les séminaristes et tous les associés de la Mission de France; je leur adresse mes encouragements à approfondir sans cesse leur grande tradition missionnaire, leur dialogue avec la culture contemporaine souvent marquée par l’incroyance, et leur vie spirituelle solidement fondée sur la personne du Christ.

2. En attendant de conclure mes entretiens avec les évêques de France à la fin de cette année, j’ai choisi d’aborder avec vous quelques aspects de la vocation et de la mission des laïcs, pour reprendre le thème de l’exhortation post-synodale «Christifideles Laici». Comme vos rapports le soulignent, l’activité des laïcs dans l’Église s’est enrichie et diversifiée depuis Vatican II, et le panorama de vos communautés diocésaines a notablement évolué.

À bien des égards, en parlant aujourd’hui des laïcs, je rejoins les propos que j’ai tenus avec vos confrères d’autres régions de France venus avant vous. En effet, nous avons évoqué, au sujet du ministère des prêtres, la collaboration avec les laïcs. Devant les caractéristiques présentes de la société dans votre pays, dans les villes comme dans les zones rurales, il est clair que le témoignage spécifique des fidèles laïcs apparaît primordial pour affirmer, et défendre, les valeurs évangéliques qui contribuent à la pleine humanisation de la vie économique, sociale ou culturelle. Les relations de votre Église avec celles des autres pays d’Europe ou du reste du monde concernent non seulement les clercs mais chaque chrétien, solidaire de ses frères en humanité. Par ailleurs, vous êtes amenés à opérer des réorganisations de paroisses ou d’autres instances ecclésiales qui impliquent tous les membres du peuple de Dieu. Il en va de même encore de la pastorale des jeunes, de la famille, de la santé, de la réflexion et de l’enseignement dans les divers domaines de la morale. Pour tout cela, les laïcs ont une mission active à remplir qui s’intègre dans l’ensemble de la mission ecclésiale. Sans revenir sur ces points, je voudrais maintenant poser quelques jalons pour une perspective d’ensemble.

3. La multiplicité des tâches et des services confiés aux fidèles laïcs les plus disponibles ne peut faire perdre de vue que ce sont tous les baptisés qui, par vocation, ont à prendre leur part de la mission de l’Église. Un certain nombre de laïcs ont renouvelé leur conscience de la responsabilité qui résulte de leur baptême; mais trop d’entre eu restent assez passifs. On se trouve en face de la baisse de la pratique religieuse et de communautés peu nombreuses où les différentes générations sont inégalement représentées. La tendance se répand de revendiquer une autonomie de jugement du point de vue du contenu de la foi et des règles de vie. Cela revient, au nom d’une subjectivité souveraine, à prendre ses distances par rapport à l’institution ecclésiale, tout en maintenant souvent une certaine demande de sacrements qui n’implique pas une adhésion personnelle au Christ.

Dans les conditions particulières de vos diocèses, vous analysez cette situation et ses motifs. Cela vous invite à déployer d’autant plus d’efforts dans les divers domaines de la pastorale, en étroite collaboration entre les prêtres, les personnes consacrées et les laïcs engagés. L’annonce de l’Évangile dépend largement de la cohésion et du dynamisme de chaque communauté, appelée à rendre compte de l’espérance fondée sur le Rédempteur et à rayonner l’amour qui a été mis dans nos coeurs par l’Esprit Saint.

Parmi les tâches qui s’imposent, vous soulignez souvent celles qui sont liées à la formation des laïcs. De fait, je vous encourage à maintenir une véritable dynamique catéchuménale. Devant la faiblesse de la culture religieuse et la confusion ambiante, il faut que l’effort d’intelligence de la foi atteigne le plus grand nombre, en allant à l’essentiel, en évitant les polémiques dommageables; il s’agit de faire percevoir la vérité qui rend libre. Et lorsqu’on parle de formation, il ne faut pas négliger l’initiation au sens de la pratique sacramentelle et du cycle liturgique, et à la prière privée, pour la maturation de la personnalité spirituelle. Seuls des chrétiens qui vivent une ardente communion dans l’Église peuvent être des témoins convaincants de la Bonne Nouvelle auprès de leurs frères: il faut retrouver l’esprit des Actes des Apôtres.

À ce sujet, je salue volontiers les efforts faits dans de nombreux diocèses pour constituer une Église plus accueillante et plus ouverte, pour prendre en compte ce qu’il y a de meilleur dans la piété populaire, pour ranimer les pèlerinages significatifs ou pour organiser de grands rassemblements qui manifestent la communion du diocèse dans la diversité et les richesses dont il est dépositaire afin de les offrir à tous. Que toutes ces initiatives, des plus modestes aux plus amples, convergent pour renforcer la vitalité du peuple de Dieu chez vous!

4. L’exhortation «Christifideles Laici» a repris les termes dans lesquels Paul VI avait présenté «le champ propre de l’activité évangélisatrice des laïcs», c’est-à-dire, pour résumer, les différents domaines de la vie sociale, familiale, culturelle ou du monde professionnel[1]. Il faut inlassablement encourager les fidèles laïcs à se laisser éclairer par la lumière de l’Évangile dans leur vie quotidienne, afin d’y être, là aussi, pleinement chrétiens et témoins des dons reçus. Pour beaucoup, il est vrai que des choix difficiles se présentent; le risque existe d’une certaine marginalisation à cause d’options spécifiquement chrétiennes, voire d’un certain découragement devant des oppositions plus ou moins déclarées. Ces difficultés ne doivent pas faire fuir le monde ni provoquer une privatisation des convictions religieuses. Les laïcs doivent remplir leurs rôles d’hommes et de femmes avec compétence et clairvoyance. Et pour l’unité de leur vie et la fermeté de leur foi, il importe qu’ils puissent trouver un appui solide non seulement dans leur vie spirituelle personnelle mais aussi dans les apports de leurs communautés. Ils sont dans le monde des témoins d’autant plus crédibles qu’ils sont affermis par leur participation active à la vie de l’Église, que leur amour de l’homme se fonde sur l’amour de Dieu, que leurs solidarités sont nourries par la communion dans le Christ.

Comme vous le soulignez vous-mêmes, on est souvent confronté aujourd’hui à un véritable désert spirituel ou bien à un individualisme religieux qui laisse le champ libre à la séduction des sectes, ou encore au matérialisme pratique qui donne l’illusion du bonheur. Nous croyons que la mission des baptisés les amène à sortir de ces voies sans issue. L’enseignement de l’Église jalonne leurs chemins; je pense à tout ce qui précise la vocation humaine, que ce soit le respect et l’amour des plus pauvres, le sens de la dignité de la personne et de ses tâches, la solidarité sans frontières et la construction de la paix. La conception de l’homme aimé et sauvé par Dieu ou les différents aspects de la doctrine sociale, tout cela devrait contribuer à un dialogue vrai avec la culture de notre temps et à un apport substantiel de l’Église aux recherches des hommes, non seulement au niveau intellectuel, mais aussi au niveau de la vie partagée dans les villes ou les campagnes. Je le dis sommairement, mais je crois qu’il est essentiel que les pasteurs appellent sans cesse les fidèles à partager avec leurs frères les richesses humaines et spirituelles de l’Évangile au jour le jour, notamment en fonction de leur sensibilité d’hommes ou de femmes, c’est leur première et commune mission.

5. Le développement des mouvements de laïcs constitue une des grandes richesses de l’Église à notre époque. Avec la diversité de leurs inspirations, ils offrent à beaucoup de fidèles un soutien irremplaçable pour progresser dans leur vie chrétienne et remplir leur mission évangélisatrice. Les mouvements d’action catholique, les mouvements familiaux, les mouvements spirituels, les mouvements caritatifs, tous permettent à leurs membres de mieux répondre à leur vocation. Ils font grandir l’ensemble de l’Église. À la suite du synode de 1987, l’exhortation «Christifideles Laici» a rappelé que, dans les associations de laïcs très diverses, on «découvre les lignes d’une convergence large et profonde dans la finalité qui les inspire: celle de participer de façon responsable à la mission de l’Église»[2]. Et ce document a précisé les «critères d’ecclésialité» qui sont nécessaires à leur reconnaissance[3], dans le prolongement du «Code de Droit Canonique».

Je relève avec satisfaction dans vos rapports que la concertation entre les associations de fidèles progresse ainsi que leurs liens organiques avec l’Église diocésaine. La mission s’exerce de nombreuses manières et elle évolue en fonction de l’évolution même de la société et des attentes des hommes. Ainsi l’action catholique, qui permet une présence chrétienne dans les divers milieux, a davantage le souci d’éclairer sa démarche propre par la Parole de Dieu et l’expérience ecclésiale. D’autres mettent l’accent sur la vie spirituelle de leurs membres et les entraînent à une annonce plus directe de la Bonne Nouvelle. D’autres encore s’efforcent de répondre à des besoins particulièrement urgents d’entraide et de solidarité. C’est dans l’unité des différents charismes que se construit le Corps du Christ.

Il appartient à votre charge pastorale d’accueillir les initiatives et de favoriser la complémentarité entre les mouvements d’inspirations différentes. Vous avez à veiller à l’accompagnement de ces groupes, à la formation théologique et spirituelle de leurs animateurs et à la bonne insertion de tous dans la communauté diocésaine.

6. Le Concile Vatican II a bien souligné que la mission des laïcs s’exerce dans le monde et à l’intérieur de l’Église. Depuis, on a vu se développer heureusement de nouvelles formes de participation responsable des laïcs, hommes et femmes, à la vie de l’Église. Ils entrent dans les conseils pastoraux paroissiaux ou diocésains; ils jouent un rôle croissant dans divers services spécialisés comme les secrétariats de pastorale, l’animation de la liturgie ou de la catéchèse, les aumôneries scolaires dans l’enseignement catholique ou dans les écoles publiques, les aumôneries d’hôpitaux ou de prisons, les services de presse, les services économiques, et d’autres encore. Pour une part, il s’agit de suppléances en raison du manque de prêtres ou de religieux; mais de nombreuses missions ecclésiales reviennent naturellement à des laïcs. Un certain nombre d’entre eux acceptent de s’y consacrer à plein temps pendant plusieurs années.

Évêques, vous avez à l’égard de ces laïcs une responsabilité directe dans cette situation assez nouvelle. En premier lieu, il importe d’assurer une bonne collaboration entre prêtres et laïcs, en veillant à bien distinguer ce qui relève de la spécificité du ministère sacerdotal des missions confiées à d’autres fidèles: la structure sacramentelle de l’Église impose un tel discernement. La mission confiée nécessite aussi une vie digne dans l’esprit de ce que demande l’Église. Il convient de préciser clairement les responsabilités confiées à des laïcs, ce que vous faites par la lettre de mission ordinairement donnée pour un temps limité. Le bénévolat n’étant souvent pas possible, la communauté doit prendre en charge une rémunération et une protection sociale convenables, sans que l’on puisse pour autant constituer des carrières au sens «professionnel» du terme, car prendre en charge un service de nature ecclésiale, c’est répondre à un appel et cela suppose un certain désintéressement.

D’autre part, si l’on confie des charges importantes à des laïcs, il importe aussi de veiller à ce qu’ils puissent recevoir une formation adaptée; j’apprécie les initiatives prises dans les diocèses ou les régions, souvent au prix de sacrifices considérables, pour donner à des responsables laïcs, plus qu’une compétence technique, celle d’aider leurs frères moins formés à progresser dans l’intelligence de la foi. Enfin, il est naturel que les pasteurs soient attentifs à soutenir particulièrement sur le plan spirituel ceux qui collaborent de plus près à la mission ecclésiale.

7. Chers Frères dans l’Épiscopat, je rends grâce au Seigneur avec vous pour tout ce que les laïcs accomplissent dans vos communautés et pour leur témoignage de fidélité active et responsable à leur vocation. Portez aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, aux laïcs engagés et à toute la communauté de vos diocèses l’expression de mon estime et de mes encouragements.

À l’approche de la grande célébration du Mystère pascal, prions la Bienheureuse Vierge Marie, les Apôtres ainsi que les saints de vos régions de soutenir par leur intercession le développement de la communion missionnaire dans l’Église, afin que soit rendu plus visible par elle le visage du Christ Sauveur. De grand coeur j’invoque sur vous tous la Bénédiction de Dieu.


[1] Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, CL 23; cfr. Pauli VI Evangelii Nuntiandi, EN 70.
[2] Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, CL 29.
[3] Cfr. ibid. CL 30.




Discours 1992 - Vendredi, 6 mars 1992