Discours 1992 - Samedi, 4 avril 1992


AUX ÉVÊQUES DE GRÈCE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi, 9 avril 1992




Chers Frères dans l’Épiscopat et dans le Sacerdoce,

1. En cette année où il m’est donné d’accueillir tous les évêques d’Europe, je suis heureux de vous recevoir au cours de votre visite «ad limina». Vous venez d’un pays pour lequel le Pape a une très grande estime. Vous représentez la culture grecque qui est à l’origine de la culture européenne et qui est un trésor pour l’humanité entière. Nous nous reconnaissons héritiers de la tradition hellène.

Nous sommes redevables à votre pays de l’évangélisation de l’Occident. En effet, c’est à l’appel d’un homme de votre nation que Paul a entrepris sa mission de porter la Bonne Nouvelle aux limites de l’Empire romain: «Passe en Macédoine, viens à notre secours»[1]. Puis, les saints Cyrille et Méthode, pleins d’amour pour la communion de l’Église en Orient comme en Occident, ont porté l’Évangile aux peuples slaves d’Europe centrale, mais aussi la culture grecque qui constituait comme un écrin pour la pensée chrétienne.

Votre visite est l’occasion de renforcer vos liens de collaboration et d’unité, par la prière commune, par la Messe célébrée sur la tombe des Apôtres ainsi que par les rencontres avec les différents Dicastères de la Curie romaine. Nos rencontres permettent d’accroître la communion entre vous-mêmes, les communautés catholiques de Grèce et le Successeur de Pierre. Vous repartirez confortés dans votre ministère pour exercer la charge confiée à Pierre et au collège des Douze, dans votre diocèse et dans le cadre de la Conférence épiscopale.

Je remercie votre Président, Monseigneur Antoine Varthalitis, pour les paroles qu’il vient de m’adresser en votre nom. Les rapports que vous m’avez fait parvenir pour préparer notre rencontre me permettent d’être proche de vous par la prière, et de mesurer les signes d’espérance qui germent au sein de vos communautés chrétiennes et les questions parfois douloureuses qui vous préoccupent.

2. Ma pensée rejoint d’abord ceux qui sont vos plus proches collaborateurs, les prêtres. Malgré leur très petit nombre et les difficultés qu’ils peuvent rencontrer, rappelez-leur toujours que le Christ n’abandonne pas son troupeau et que, par son Esprit, il aide ses serviteurs à porter le poids du jour. Compte tenu de la dispersion des fidèles de leurs communautés, leur ministère est précieux, mais il peut leur imposer une grande solitude. Il est important que, grâce à des contacts réguliers, ils puissent, entre eux et avec vous, vivre une affection fraternelle pour exercer la mission commune que le Christ a confiée à son Église. Il vous appartient de veiller avec sollicitude à ce qu’ils ne manquent pas du nécessaire, tant sur le plan spirituel que matériel, pour accomplir avec joie et dynamisme leur tâche quotidienne.

L’absence cruciale de séminaristes demeure pour chacun d’entre vous une question grave. Vous constatez combien la jeunesse est davantage attirée par les miroirs de bonheur que propose la vie moderne. Vous prenez soin de détacher des personnes compétentes pour accompagner les jeunes et pour leur transmettre l’appel du Christ. Le Seigneur les invite à réaliser leur vocation chrétienne dans le mariage, dans la vie religieuse ou dans le sacerdoce. Dans une vie exigeante et orientée vers le bien, ils trouveront le vrai bonheur. Seuls l’Évangile et la marche à la suite du Christ peuvent offrir une vie pleinement épanouie. N’ayez pas peur de rappeler aux communautés qu’elles ont la charge de susciter chez les jeunes l’amour de Jésus et d’implorer le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour la moisson.

3. Vous appréciez grandement le travail des religieux et des religieuses qui collaborent à la pastorale diocésaine, dans la vie apostolique ou dans la vie contemplative. Par leurs communautés fraternelles, ils manifestent que l’Église est appelée à devenir une grande famille dans laquelle chacun contribue à la construction du Royaume. Ils se dévouent dans de nombreux secteurs d’activité. Rappelez-leur, ainsi qu’aux Supérieurs généraux des Congrégations, combien vous appréciez leur présence et leur action, en particulier dans les domaines de l’éducation de la jeunesse, de l’intelligence de la foi, des oeuvres hospitalières et de la vie liturgique. Portez-leur les encouragements du Pape pour qu’ils n’aient pas la tentation de baisser les bras lorsque les fruits de leur travail ne sont pas immédiatement à la mesure des efforts entrepris. Que tous soient sûrs que c’est Dieu qui, dans le secret, par l’action de l’Esprit, donne la croissance à l’oeuvre que chacun fait par amour pour le Christ et pour son Église!

Je voudrais saluer tout spécialement ceux qui s’emploient à diffuser la culture, la théologie et la spiritualité de l’Église catholique, dans le but d’une meilleur compréhension de ce qui fait la richesse de sa tradition. J’adresse un encouragement particulier à l’équipe qui assure la rédaction, la composition et la diffusion du journal hebdomadaire «Katholiki». C’est un organe appréciable pour l’information sur la vie et le Magistère de l’Église. Il est aussi un lien entre toutes les communautés et un moyen de formation pour chacun de ses membres. Il permet à nos frères des autres communautés ecclésiales de connaître l’action pastorale et la réflexion théologique qui sont propres au catholicisme.

4. Dans vos rapports, vous soulignez combien les relations avec les chrétiens orthodoxes sont, en règle générale, fraternelles et pleines de respect mutuel. J’en rends grâce au Seigneur. Vous avez parfois l’occasion de vous connaître davantage par des actions caritatives communes. Dans les écoles et les foyers d’étudiants catholiques, l’accueil de nombreux jeunes orthodoxes manifeste le désir de l’Église de Rome d’être au service de l’oecuménisme et de participer à la construction de la Grèce de demain pour que chacun soit fidèlement attaché à servir son pays au sein de la grand Europe.

Le dialogue oecuménique est un chemin difficile et souvent douloureux. Au moment où le Christ affronte la terrible épreuve de la Croix, il intercède auprès de son Père pour l’unité des enfants dispersés. C’est au pied de la Croix que nous devons réaliser l’unité. Il faut beaucoup de patience, d’humilité, d’amour de l’autre, de respect des sensibilités et des démarches pastorales spécifiques, ainsi que de prière, pour faire un pas vers l’autre, selon la volonté de Dieu.

Toute reconnaissance mutuelle suppose d’abord un approfondissement théologique et spirituel de sa propre tradition religieuse. Le dialogue oecuménique doit se situer avant tout sur le terrain religieux et pastoral. De part et d’autre, tout doit être tenté pour que la réconciliation des frères désunis, qui a pris un tournant nouveau depuis mon Prédécesseur le Pape Paul VI, s’accomplisse enfin.

5. Comme vous me l’avez dit, vos communautés sont peu nombreuses et n’ont pas toujours les moyens et les ressources humaines nécessaires pour réaliser des actions pastorales de grande ampleur. Qu’elles ne désespèrent pas. Le grain de blé tombé en terre donnera du fruit en son temps. Transmettez à tous vos diocésains les encouragements du Pape! Parmi les signes d’espérance, vous notez que des laïcs, toujours plus nombreux, prennent part à la vie sociale en ayant le souci de réfléchir aux liens essentiels entres les réalités humaines et le Donné révélé. Vous soulignez aussi leur participation accrue aux tâches pastorales et à la vie liturgique. Leur engagement sera d’autant plus intense qu’ils auront une formation spirituelle et théologique plus profonde, source d’une indéniable vitalité. Ils ont particulièrement à coeur de puiser le dynamisme nécessaire à l’accomplissement de leur mission baptismale dans la célébration des Saints Mystères pour lesquels vous vous attachez à réaliser des traductions des livres liturgiques.

Je salue aussi les efforts déployés pour une plus grande collaboration entre les prêtres et les laïcs. Dans le cadre de la prochaine rencontre de Syros, sur le thème «Église, communauté, communion», vous souhaitez unir vos forces pour préparer des chemins nouveaux et engager l’action pastorale des dix prochaines années. À tous les membres de cette assemblée, portez les voeux de l’Évêque de Rome.

6. Votre pays, grâce à sa tradition d’hospitalité, attire de nombreux immigrés qui veulent s’y établir pour vivre en paix et pour nourrir leur famille. Malgré la faiblesse de vos moyens, veillez à ce qu’ils ne manquent pas d’assistance spirituelle; c’est d’autant plus important que l’absence de racines peut diminuer leur attachement aux valeurs chrétiennes et morales.

Votre terre, avec ses paysages évocateurs et les richesses culturelles et spirituelles dont l’Europe actuelle a tant reçu du point de vue politique, philosophique et religieux, attire beaucoup de touristes. Vous ne pouvez faire face, seuls, à l’accueil, pastoral et au besoin d’évangélisation de ces nombreux hôtes dont vous avez un grand souci. Il appartient à la Pastorale des migrants et du tourisme des différents pays d’Europe de vous aider à élaborer de nouveaux programmes dans lesquels chacun pourra prendre une part active. Ainsi un pas de plus se fera dans le sens de l’Europe chrétienne où il n’y aura plus de barrière linguistique et culturelle, où Dieu sera tout en tous.

7. Au terme de notre entretien, je voudrais vous renouveler ma confiance et mon soutien pour votre ministère accompli dans la fidélité à la mission reçue du Seigneur et en attachement au Siège de Pierre, le Prince des Apôtres auquel Jésus a confié l’Église. Je demande au Christ de vous assister de son Esprit et de vous combler de sa joie, une joie qui demeure. Aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, à tous vos diocésains, portez le salut cordial du Pape. Qu’ils maintiennent vivante en eux l’espérance du salut! À l’approche des fêtes pascales, je souhaite que chacun accueille la lumière de la Résurrection pour en être témoin jusqu’aux extrémités de la terre. En vous confiant à la garde de la «Théotokos» et des saints de vos diocèses, j’invoque sur vous tous la Bénédiction de Dieu.

[1] Ac 16,9.



AU CONSEIL DE L’UNION MONDIALE DES ENSEIGNANTS CATHOLIQUES

Mercredi, 29 avril 1992



Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux de vous accueillir en ces jours où le nouveau Conseil de l’«Union mondiale des Enseignants catholiques» se réunit à Rome, après son quatorzième Congrès général. Vous avez souhaité rencontrer le Successeur de Pierre pour manifester votre attachement et votre fidélité à l’Église. Je salue particulièrement Monsieur Harry Mellon qui achève son mandat à la Présidence de votre Union. Je le remercie vivement pour son dévouement et pour le dynamisme dont il a fait preuve dans l’exercice de ses hautes fonctions. Je remercie également Monsieur Arnoldus Backs qui assume la charge de guider l’Union jusqu’à la prochaine Assemblée générale. Dites aussi à tous les enseignants catholiques de vos Associations nationales l’estime et la confiance du Pape pour l’apostolat auquel ils se consacrent.

Dans le cadre scolaire, que ce soit dans l’École catholique ou dans l’Enseignement laïc, vous avez le souci d’être au service des jeunes pour contribuer au développement global de leur personnalité, pour garantir le respect des personnes, pour promouvoir la liberté religieuse et pour rendre possible l’enseignement de la religion catholique. Par leur mission spécifique, les enseignants catholiques réalisent cette part importante de la mission de l’Église qu’est l’éducation humaine, morale et spirituelle[1]. L’accès au savoir et plus généralement à la culture accroit la dignité des personnes.

L’objectif primordial de vos Associations est la formation permanente des maîtres. Vous vous attachez spécialement à former des enseignants qui seront des éducateurs et des témoins, des maîtres en matière de doctrine chrétienne et des témoins par toute leur vie. Les jeunes générations ont aujourd’hui besoin que leurs aînés leur montrent les valeurs et les exigences de vie qui conduisent au bonheur mais elles ont aussi besoin que les adultes soient, par une vie morale droite et fidèle au Magistère de l’Église, des modèles à suivre pour construire leur personnalité. En tant qu’enseignants mais aussi en tant que parents chrétiens, il vous revient d’accompagner avec patience les jeunes jusqu’aux portes de l’âge adulte afin qu’ils sachent discerner l’appel du Christ et faire les choix de vie qui leur permettront de répondre à leur vocation propre dans le mariage, dans la vie religieuse ou dans le sacerdoce.

Votre mission éducative s’enracine dans votre mission baptismale. Pour devenir chaque jour témoins, il est nécessaire d’être d’abord disciples de l’unique Maître, le Christ. Pour cela, il convient de nourrir sa vie spirituelle par la prière, par l’écoute de la Parole de Dieu, par la participation à la vie sacramentelle ainsi que l’adhésion à l’enseignement de l’Église.

Après le retour à la liberté dans les pays d’Europe orientale, des enseignants catholiques de ces nations ont adhéré à votre Union. Je voudrais vous dire que j’apprécie particulièrement l’aide précieuse que vous leur apportez en assurant la formation permanente de nombreux maîtres, en vous rendant chez eux ou bien en les accueillant chez vous. Vos traditions d’enseignants chrétiens sont une contribution inégalable pour former des générations qui demain auront la charge de conduire des pays qui retrouvent peu à peu un régime démocratique, ayant reconquis leur liberté. Par ces gestes, vous mettez en pratique une solidarité chrétienne en aidant les peuples et les personnes à construire une société dans laquelle chacun peut faire grandir les talents qu’il a reçus et donner le meilleur de lui-même à ses frères.

Votre Conseil a la charge de soutenir les différentes Associations adhérant à votre Union et de les encourager pour que, par leurs actions, elles s’attachent à promouvoir l’éducation et les valeurs chrétiennes. Au sein des Organisations internationales vouées à l’instruction et au développement de la culture, vous apportez votre savoir et votre expérience fondée sur les principes évangéliques. En communion avec les Organisations internationales catholiques et les organismes du Saint-Siège vous participez à la belle tâche qui consiste à développer en chaque homme le germe de vie déposé par le Créateur.

Au terme de cette rencontre, je voudrais vous encourager pour les différents domaines d’activité que je viens d’évoquer. Que l’Esprit Saint éclaire la réflexion que vous menez au cours de votre rencontre pour que vous soyez des témoins du Ressuscité! De grand coeur, je vous bénis, je bénis vos familles et tous ceux qui à travers le monde oeuvrent au sein de l’UMEC pour l’éducation des hommes de demain.

[1] Gravissimum Educationis, GE 7-8.




AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU BURKINA-FASO ET DU NIGER EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Jeudi, 30 avril 1992




Cher Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Il y a plus de deux ans déjà, j’avais la joie de vous rencontrer au Burkina-Faso au milieu de votre peuple, dont j’appréciais pour la seconde fois la chaleureuse hospitalité, selon la belle tradition de vos pays.

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous accueillir à Rome, à l’occasion de votre visite «ad limina». Je remercie vivement Monseigneur Jean-Marie Untaani Compaoré, Évêque de Fada N’Gourma et Président de la Conférence des Évêques du Burkina-Faso et du Niger pour les paroles très aimables qu’il vient de m’adresser en votre nom.

Comme le font périodiquement les Évêques du monde entier, vous êtes venus vous entretenir du progrès de l’Évangile avec le Successeur de Pierre ainsi qu’avec ses collaborateurs dans les divers dicastères de la Curie romaine. Ce faisant, vous manifestez l’union des Églises locales avec l’Église de Rome et vous exprimez d’une manière tangible les liens qui nous unissent dans la grande famille des baptisés. En même temps, vous apportez au Pape le témoignage d’attachement des fidèles de vos pays: j’y suis d’autant plus sensible que je garde bien vivants dans la mémoire de mon coeur les temps forts que nous avons vécus ensemble en 1990, à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso.

Puisse votre pèlerinage à la tombe des saints Apôtres raviver encore davantage votre foi et votre amour pour le Christ! C’est avec une profonde affection que je désire vous confirmer dans cette foi et dans votre mission de pasteurs du Peuple de Dieu au Burkina-Faso et au Niger, pour l’oeuvre qui nous est commune de l’évangélisation du monde.

2. À l’occasion du soixante-quinzième anniversaire de l’évangélisation du pays, en 1975, la pastorale d’ensemble a connu un souffle nouveau: vous avez cherché à promouvoir des communautés chrétiennes au sein desquelles le laïcat formé prendrait ses responsabilités matérielles, spirituelles et apostoliques en collaboration avec les pasteurs. Deux ans plus tard, en avril 1977, ces orientations devaient faire l’objet d’un document-clé intitulé «Options fondamentales pour un nouveau départ». L’engagement était pris de bâtir une «Église-famille de Dieu»: une Église où tous et chacun deviendraient davantage solidaires, responsables et unis, pour son avenir. Sous ses différents aspects, la mise en place de l’Église-famille tend à donner de plus en plus à l’Église burkinabè son visage local.

Vous avez donc encouragé l’édification de communautés fraternelles où l’on vit cet esprit de famille; et vos efforts dans ce domaine ont déjà porté du fruit: je salue l’ensemble des fidèles laïcs qui, chez vous, prennent généreusement leur part de la mission d’évangélisation, dans les paroisses ou dans les petites communautés, ou encore dans la catéchèse, dans les mouvements, dans les groupes de prière, dans les divers services ecclésiaux tels que les énumère l’encyclique «Redemptoris Missio»[1]. Je souhaite qu’avec votre aide ces chrétiens engagés continuent à se former à la lumière de la Parole de Dieu et grâce à une participation toujours plus fructueuse aux sacrements. Les catéchistes, en particulier, sont «des évangélisateurs irremplaçables, qui représentent la force de base des communautés chrétiennes»[2], et il est important de leur assurer «une préparation doctrinale et pédagogique approfondie, un constant renouvellement spirituel et apostolique»[3].

Il reste à poursuivre le travail considérable qui consiste à éveiller toujours davantage au coeur des baptisés leur vocation à être «le sel de la terre», à faire en sorte que l’impact des chrétiens burkinabè et nigériens dans les affaires temporelles, suivant l’esprit de l’Évangile, soit encore plus réel. Le devoir des laïcs a été et reste d’imprégner toujours plus vigoureusement de l’Esprit du Christ les différents domaines de la vie en société: d’où la nécessité pour eux, comme le faisait remarquer Monseigneur Compaoré, d’avoir une connaissance suffisante de la doctrine sociale de l’Église. Votre lettre pastorale du 18 juin 1991 rappelait, à bon droit, qu’il ne doit pas y avoir chez les chrétiens de «divorce entre la foi dont ils se réclament et leurs comportements quotidiens. On ne peut créer d’opposition artificielle entre les activités professionnelles, politiques, ou sociales et la vie de foi»[4]. Enfin, la poursuite de la formation intégrale de tous les fidèles, qui demeure partout une priorité pastorale, est le meilleur rempart contre les sollicitations des sectes ou les tentations de retour à d’anciennes formes africaines de vie religieuse.

3. Pour assurer cet important travail de formation du laïcat, vous avez besoin de prêtres qualifiés en nombre suffisant. Et il vous faut des cadres pour bien préparer ces prêtres à leurs tâches, ainsi que le souligne la récente Exhortation Apostolique post-synodale «Pastores Dabo Vobis» dont il convient de méditer, entre autres, ce qui est déclaré à propos des protagonistes de la formation sacerdotale[5].

Je sais que vos collaborateurs immédiats dans le sacerdoce sont généreusement dévoués à la mission de l’Église et réalisent un travail considérable. Puissent-ils s’attacher toujours davantage à la personne du Christ qui les aidera à dépasser les sollicitations de tous genres venant, soit de leurs familles, soit d’un environnement moralement ébranlé! Qu’ils aient le courage de lutter à contre-courant pour rester des témoins authentiques et limpides du Christ, de son message de salut et de sainteté! Votre directoire «Prêtres du Christ ? Pasteurs et Serviteurs dans l’Église-famille» leur offre d’excellentes orientations pour qu’ils demeurent des prêtres tels que le veut l’Église, éclairée par une tradition séculaire, et aussi tels que le monde africain d’aujourd’hui en a besoin.

4. Dans leur ministère, les prêtres sont soutenus et épaulés par les religieux et les religieuses, actifs ou contemplatifs, qui sont une grande force dans votre «Église-famille» et que les Évêques sont appelés à promouvoir. La vie religieuse étant d’abord une école de sainteté, les personnes consacrées sont en mesure d’être pour les membres de l’Église-famille de vrais maîtres spirituels. Intimement liées à la mission du Christ, elles cherchent à servir, à son exemple. Totalement prises par l’amour du Père, elles se veulent aussi entièrement livrées, dans l’Esprit, à l’oeuvre de salut du Fils.

Je souhaite que, sous votre responsabilité, religieux et religieuses autochtones développent leur contribution spécifique à l’édification du Corps du Christ, en harmonieuse collaboration avec ceux et celles qui, venus d’ailleurs, témoignent de la communion avec l’Église universelle par leur présence active toujours très appréciée.

5. Prêtres, religieux, religieuses, catéchistes, laïcs engagés et aussi les jeunes sont conscients qu’après avoir reçu jadis la Bonne Nouvelle des missionnaires étrangers, ils doivent, eux les évangélisés d’hier, devenir à leur tour des évangélisateurs pour leurs frères et soeurs, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur pays.Je sais que vos communautés ont le sens missionnaire et je les encourage à le développer. Comme le déclarait l’un d’entre vous, dans votre peuple, on donne non pas parce qu’on est riche, mais par amour et par désir d’aimer autrui. C’est dans cet esprit que l’Église au Burkina-Faso aide l’Église au Niger. Soyez félicités pour cette entraide fraternelle et puissiez-vous continuer à partager les dons de Dieu pour que se construise le Corps du Christ!

6. Au cours de ma visite pastorale chez vous, m’adressant aux fidèles réunis à Bobo-Dioulasso, je faisais remarquer que l’édification du Corps du Christ passe par la force de vie qui anime les familles-chrétiennes. Les époux, par leur alliance monogame irréversible, donnent une image de l’amour qui vient de Dieu. À leur tour, ils font naître la vie; ils ouvrent les voies de l’espérance pour les enfants qui grandissent dans la joie d’être aimés. Ils font de leur foyer un signe visible du bonheur d’être chrétiens, et c’est par la famille que progresse l’évangélisation.

Que la famille continue donc à être l’objet de votre action pastorale! Tout ce que vous semez dans la terre profonde des réalités familiales portera des fruits de prospérité pour votre patrie et pour l’Église.

7. La jeunesse burkinabè et nigérienne, capital d’espérance pour la société civile et pour l’Église, est nombreuse et dynamique. Jeunes de familles chrétiennes ou jeunes catéchumènes en chemin vers la foi se réunissent volontiers pour des activités religieuses, pour des moments de prière ou pour des marches de carême: ils aiment vivre la fraternité. Puissent-ils rester les dignes héritiers des richesses humaines de vos peuples, dans le travail, par exemple, ou dans la volonté de vaincre! Face au fléau de la drogue ou dans le désarroi d’une sexualité mal comprise, il convient de leur montrer comment construire leur vie dans le sens de la vérité, de la liberté, de la solidarité et du service.

8. Dans vos pays, les catholiques vivent au milieu d’une majorité de croyants de religions traditionnelles ou de l’Islam. Avec ces frères et soeurs ne partageant pas la même foi, une entente toujours plus constructive est à cultiver, pour la gloire de Dieu et le bien commun. Efforcez-vous de protéger et de promouvoir ensemble la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté.

Enfin, laissez-moi vous encourager à poursuivre à la fois le dialogue et la proclamation de l’Évangile: il ne peut être question de choisir le premier devoir et d’ignorer l’autre. Nous devons toujours annoncer ce Dieu fondement de notre foi, raison de notre espérance et source de notre amour. Afin de poursuivre avec sincérité et dans un esprit d’ouverture le dialogue inter-religieux, qui fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église, mettez en oeuvre l’enseignement de l’Encyclique «Redemptoris Missio»[6] ainsi que les directives du document «Dialogue et annonce», publié en mai 1991 par le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples.

9. C’est précisément pour rendre cette annonce plus pertinente encore sur votre continent que se prépare l’Assemblée spéciale du Synode des Évêques pour l’Afrique. Je vous invite à faire en sorte que cet événement soit l’occasion d’une grâce de renouveau. Par la réflexion et dans la prière de tous leurs membres, vos communautés sont appelées à approfondir le sens de la «mission d’évangélisation dans la perspective de l’an 2000». Chers Frères, au cours de votre pèlerinage aux tombeaux des premiers hérauts de l’Évangile, demandez lumière et force pour ceux et celles qui aujourd’hui veulent marcher dans leur sillage afin de faire mieux connaître et aimer le Seigneur Jésus en Afrique.

10. Avant de terminer, je voudrais présenter déjà mes voeux les plus cordiaux à notre cher Cardinal Paul Zoungrana, qui célébrera le cinquantième anniversaire de son ordination sacerdotale le 2 mai prochain et que vous allez fêter le 17 mai. Je rends grâce à Dieu pour tout ce qu’il lui a été donné d’accomplir et, dans ma prière, j’unis les intentions des deux autres prêtres burkinabè ordonnés en même temps que lui et qui ont déjà rejoint la maison du Père.

Également, je vous confie le soin de transmettre mes salutations cordiales et mes encouragements aux prêtres de vos diocèses respectifs, aux religieux et aux religieuses, aux enseignants catholiques, aux responsables des mouvements, aux catéchistes, dont la collaboration régulière vous est si précieuse. Bien volontiers, je bénis d’une manière spéciale les jeunes qui se forment à la vie sacerdotale et religieuse; je bénis aussi l’oeuvre des vocations dans vos diocèses du Niger et du Burkina-Faso.

Enfin, c’est à tous les fidèles que je vous demande de porter le salut affectueux du Pape.

La première étape de ma visite pastorale au Burkina-Faso, il y a deux ans, avait été consacrée à Notre-Dame de Yagma. Il me plaît de clore notre rencontre en l’invoquant à nouveau pour vous-mêmes et pour le peuple confié à votre sollicitude pastorale. Avec vous, je lui demande de veiller sur l’Église-famille au Burkina-Faso. Enfin, sous son vocable de Notre-Dame du Perpétuel Secours, patronne de la cathédrale de Niamey, je prie Marie pour toute l’Église au Niger.

De grand coeur, je vous donne ainsi qu’à vos collaborateurs et à vos fidèles ma Bénédiction Apostolique.


[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, RMi 74.
[2] Ibid. RMi 73.
[3] Ibid. RMi 73
[4] Servir l'homme et la société, 33.
[5] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 65-69.
[6] Ioannis Pauli PP. II Redemptoris Missio, RMi 55-57.


Mai 1992

AUX PARTICIPANTS À UN PÈLERINAGE ORGANISÉ PAR L’«ASSOCIATION CALIXTE II» DE BESANÇON

Jeudi, 7 mai 1992


Chers amis,


Votre pèlerinage romain me donne le plaisir de vous accueillir dans la maison de l’évêque de Rome, vous qui êtes fidèles à la mémoire de son lointain prédécesseur Calixte II, né dans votre diocèse de Besançon. Il avait été élu Pape à Cluny; vous faites en quelque sorte le même voyage que lui-même avait fait, avec d’autres étapes il est vrai, pour rejoindre le Siège de Pierre.

L’ancien archevêque de Vienne sur le Rhône fut un négociateur avisé et patient. Dans un temps où se prolongeaient des querelles vives entre les pasteurs et les souverains, Calixte II n’épargna pas sa peine pour obtenir des garanties d’indépendance en faveur de l’Église. Le concordat de Worms fut un résultat important. Dans bien d’autres domaines, il sut aussi rétablir la paix.

Pour donner plus de poids encore aux dispositions déjà prises, Calixte convoqua le premier Concile du Latran. Il eut donc le souci d’associer ses frères dans l’épiscopat à la défense des droits de l’Église et, d’autre part, à des réformes disciplinaires qui étaient alors nécessaires.

Ces souvenirs, que je ne fais qu’évoquer, votre «Association Calixte II» vous aidera à en approfondir le sens et la portée historiques. Nous ne vivons pas dans les mêmes circonstances, mais peut-être trouverez-vous aussi, chez votre compatriote devenu Pape, de quoi réfléchir à certains débats d’aujourd’hui.

Pèlerins à Rome, vous vous rappelez que le nom de Calixte II reste attaché à l’histoire même du culte rendu au Prince des Apôtres à son tombeau. Que votre démarche vous conduise à fortifier votre communion avec l’Église universelle. Portez ses intentions dans la prière. Sachez entendre son enseignement. Soyez résolus à prendre votre part de responsabilité dans sa mission, par une active collaboration entre les pasteurs et les laïcs, pour que la communauté ecclésiale tout entière témoigne, dans le monde, de l’espérance et de l’amour inséparables de la foi que nous avons reçue.

Il m’est agréable, en cette brève rencontre, d’adresser un salut cordial aux représentants de l’Archevêque de Besançon, aux personnalités civiles qui vous accompagnent, et aux responsables de votre Association.

A tous, j’accorde de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.



AUX PARTICIPANTS À L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL «COR UNUM»

Samedi, 9 mai 1992



Messieurs les Cardinaux,
Chers frères dans l’Épiscopat,
Chers amis,

1. Votre assemblée plénière me donne l’heureuse occasion de vous accueillir, alors que vous poursuivez avec une inlassable énergie votre réflexion et votre action au service de la charité évangélique à travers le monde. Je remercie vivement votre Président, le Cardinal Roger Etchegaray, pour la présentation qu’il vient de faire de vos travaux et je salue les nouveaux membres et collaborateurs de votre Conseil. Naturellement, à travers vos personnes, ma reconnaissance va à tous ceux que vous représentez et qui oeuvrent généreusement pour soutenir nos frères et soeurs les plus démunis.

L’an dernier, vous avez fêté dans une discrète intimité le vingtième anniversaire de la fondation du Conseil pontifical Cor unum par mon prédécesseur Paul VI. Aujourd’hui, notre rencontre me permet de rendre grâce avec vous pour le labeur accompli au cours de ces deux décennies. Nous avons connu bien des situations graves et beaucoup d’événements douloureux; vous n’avez cessé d’y être présents, témoins de l’amour que le Christ nous demande de porter à toute personne humaine, spécialement lorsque l’atteignent la souffrance, la détresse, la marginalisation, la persécution ou l’exil.

2. Par la diversité des activités de votre Conseil, vous remplissez au mieux une ample mission: multipliant les rencontres, les visites dans les pays les plus éprouvés et la participation aux travaux de nombreuses instances ecclésiales ou civiles, vous êtes à même d’entendre des appels pressants qui ne sont pas toujours les mieux connus de l’opinion publique. Il vous revient de discerner les besoins les plus urgents et les plus justes, tant pour susciter des opérations de secours que des appuis pour le développement à plus long terme. Ainsi, vous pouvez organiser des collaborations et coordonner des actions qui sont plus efficaces quand on évite la dispersion des efforts. En tout cela, vous savez ne jamais perdre de vue le respect essentiel de la dignité des personnes, du Nord au Sud de la planète.

3. Je tiens à souligner spécialement la qualité du travail accompli, sous votre impulsion, par les responsables de la fondation pour le Sahel, grâce à l’indépendance que lui donne son statut, grâce aussi à son animation par un conseil composé des représentants des pays mêmes où elle agit, elle offre aux habitants de ces régions des possibilités d’être les partenaires de leur propre développement.

Tout récemment, je vous ai demandé de prendre soin de la fondation Populorum Progressio, reprenant l’intention du Pape Paul VI de s’associer à tous ceux qui cherchent à aider les indios, les campesinos et d’autres groupes défavorisés dans de nombreux pays d’Amérique Latine. En l’année du cinquième centenaire de l’évangélisation de ce continent, il me paraît essentiel que l’Église y intensifie son action de charité évangélique. La fondation veut signifier l’appui et la participation du Saint-Siège, et des chrétiens du monde entier, à l’action courageuse menée par les Pasteurs et les fidèles des pays concernés en faveur des pauvres, trop souvent restés en dehors du développement de leur pays et de la solidarité qu’ils pouvaient attendre des disciples du Christ.

Je relèverai encore votre collaboration suivie avec les organisations d’inspiration religieuse chrétiennes ou non-chrétiennes, avec les institutions internationales et les organisations non-gouvernementales; car il importe que toutes les bonnes volontés s’unissent devant l’ampleur des tâches nécessaires pour faire progresser l’homme et la société vers la civilisation de l’amour que nous ne pouvons renoncer à bâtir.

4. Un important travail d’étude est également mené, afin de mieux situer, à la lumière de l’Évangile, quelques-uns des problèmes les plus graves de notre monde. En particulier, vous vous apprêtez à faire entendre la voix de l’Église catholique au sujet de deux fléaux que l’on n’a pas réussi à juguler à notre époque: d’une part, vous élaborez un document sur la faim dans le monde et ses multiples implications; j’espère que vos réflexions et vos appels seront écoutés et qu’ils susciteront à la fois de nouveaux élans de générosité et les dispositions nécessaires de la part des personnes responsables à tous les échelons. D’autre part, en collaboration avec le Conseil pontifical pour les Migrants et les Personnes en déplacement, vous préparez une vue d’ensemble du douloureux problème des réfugiés et vous faites apparaître des responsabilités et des devoirs trop souvent ignorés.

5. Je voudrais m’arrêter un instant à une préoccupation centrale dans vos travaux: le thème de votre Assemblée l’exprime clairement: «Pour que notre charité évangélique grandisse».

Votre expérience des secours et de l’action pour le développement vous a montré les exigences multiples que suppose leur efficacité. Et il est indispensable d’y satisfaire le mieux possible sur le plan technique. Il n’en reste pas moins que la meilleure gestion économique et scientifique du développement risque d’être une réponse froide aux besoins humains si elle n’est pas animée par la charité, pour paraphraser saint Paul. Devant la violence qui sévit dans ce monde, devant la détresse des blessés de la vie, devant les victimes de tant d’injustices provoquées par les «structures de péché», la première réaction chrétienne doit venir de la première loi évangélique: la loi de l’amour sans autre mesure que l’amour qui vient de Dieu, que l’amour qui sauve l’humanité par l’offrande du Fils, que l’amour mis dans les coeurs par l’Esprit de sainteté.

Il faut oser le dire à temps et à contretemps: sans discrimination, les hommes et les femmes de tous les pays du monde sont des créatures aimées de Dieu; leur fraternité est fondée dans le Christ qui nous a demandé d’aimer comme il nous a aimés. Comment un croyant pourrait-il gérer les biens de la terre, défendre la justice, soulager la souffrance, promouvoir la dignité de la personne, si, à tous les instants, il n’était pénétré par le plus grand des dons et la plus grande des vertus, la charité qui ne passera jamais? Un chrétien responsable d’organisation d’entraide ou de promotion du développement, responsable dans l’ordre économique ou politique, peut-il accomplir dignement la mission de service qui lui est confiée s’il fait abstraction du premier motif d’aller vers ses frères, la charité du Christ?

Chers amis, vous avez particulièrement reçu la mission d’être animateurs de l’action caritative dans toutes ses dimensions et témoins de l’amour de l’homme. Il vous appartient de rappeler aux communautés chrétiennes que la charité concrètement exercée est le devoir de tous. Reprenez souvent la parole de Jean: «N’aimons ni de mots ni de langue, mais en actes et en vérité»[1]. L’Église compte sur vous pour inviter sans relâche les artisans de paix, les assoiffés de justice, les bâtisseurs de la civilisation, à puiser aux sources infinies de l’amour qui vient de Dieu la force de surmonter les contradictions du mal et du péché pour servir l’homme en vérité.

6. J’invoque sur vous tous, et sur les nombreux membres des organismes que vous animez, la grâce puissante du Christ Jésus, le fils de Dieu qui est venu pour être le frère de tous les hommes, mort et ressuscité pour vaincre le péché et la mort. Avec vous, je lui confie votre oeuvre de miséricorde, de justice et de paix pour qu’il l’éclaire et la rende féconde dans la vérité de son amour.

De grand coeur, je demande à Dieu de vous combler de ses Bénédictions.

[1] 1Jn 3,18.




Discours 1992 - Samedi, 4 avril 1992