Discours 1992 - Vendredi, 29 mai 1992


À UN GROUPE DI MEMBRES DU BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL

Samedi, 30 mai 1992



Monsieur le Président,
Mesdames,
Messieurs,

1. C’est avec beaucoup de joie que je vous reçois aujourd’hui, Monsieur le Président du Conseil d’administration du Bureau International du Travail, ainsi que des membres de cette prestigieuse Institution qui vous accompagnent. Votre visite ravive en moi le souvenir de l’accueil chaleureux qui me fut réservé à Genève en 1982. Cela me donne l’occasion d’exprimer une nouvelle fois devant vous l’estime que je porte aux nations et aux organisations que vous représentez.

2. Je vous remercie des deux dossiers que vous présentez aujourd’hui: «L’enseignement social de l’Église catholique et le monde du travail», ainsi que «La commémoration du centième anniversaire de "Rerum Novarum"». Je me réjouis de l’attention spéciale portée par l’Organisation à l’enseignement de l’Église et j’apprécie ses convergences de perspectives avec la doctrine sociale de l’Église. Récemment encore, le colloque «Travail, culture et religions» a mis en relief des intérêts et des soucis communs pour les questions sociales contemporaines.

3. On assiste aujourd’hui à une mondialisation des questions de société. Les difficultés des pays de l’Est et du Sud ont des retentissements sur les marchés internationaux. Les rapides changements politiques de ces dernières années sont à l’origine de transformations radicales des structures économiques. Ces transformations engagent davantage la responsabilité de tous les acteurs sociaux, dirigeants des nations, chefs d’entreprise et travailleurs. L’évolution lente et laborieuse de nombreux pays, qui ont choisi de suivre les règles de l’économie de marché et les voies de la démocratisation, renforce incontestablement la mission et la vigilance de l’Organisation Internationale du Travail. Car on dit parfois que vous êtes «la conscience sociale du monde».

4. Selon la Déclaration de Philadelphie, il revient à votre Organisation de favoriser le dialogue et la collaboration tripartites, entre les gouvernants, les chefs d’entreprise et les représentants des travailleurs, pour trouver des solutions qui placent l’homme au centre des réalités économiques. Il lui revient aussi de mobiliser les énergies de la Communauté internationale pour lutter contre la pauvreté issue du chômage ou du sous emploi, du manque de formation et des déficiences de santé dans les populations. La pauvreté apparaît comme un des obstacles majeurs à la justice sociale.

Ces objectifs assignés à votre Organisation nécessitent des efforts d’imagination et des décisions cohérentes et courageuses, qui ne pourront pas ne pas comporter quelque sacrifice pour les nations les plus riches, afin d’améliorer substantiellement la situation catastrophique de populations entières. La collaboration avec le Fonds monétaire international et avec la Banque mondiale est aussi nécessaire pour endiguer ce fléau de la pauvreté, fléau dont le recul sera le signe d’un incontestable progrès social. Pour cela, on peut souhaiter une plus grande transparence dans les décisions politiques et économiques. Les seules exigences financières et budgétaires ne sauraient justifier la méconnaissance de la dimension sociale dans les choix à faire. La dignité inaliénable de la personne humaine et la protection des travailleurs, valeurs primordiales de toute gestion d’une collectivité, ne peuvent être impunément bafouées. Ici encore, vos préoccupations rencontrent celles de l’Église: l’homme doit occuper la place centrale dans les restructurations économiques, politiques et sociales entraînées par la libéralisation des marchés, l’avènement progressif de la démocratie, comme le rappelle le Directeur général du Bureau International du Travail dans son rapport à la Conférence qui s’ouvrira prochainement.

5. Le développement social passe par le dialogue tripartite, et vous avez pour vocation de favoriser et d’accroître ce dialogue aux quatre coins du monde. Mais on ne peut se satisfaire de réunir des responsables politiques et économiques, des employeurs et des travailleurs. Le dialogue doit pouvoir conduire les parties en présence à devenir toujours plus partenaires et acteurs du développement, constructeurs d’une société plus juste avec le souci, dans les négociations, de ne pas servir simplement des intérêts catégoriels, mais la cause de l’humanité. Aux gouvernants, reviennent en particulier les rôles d’incitateur du développement économique et de régulateur du dialogue social. Aux chefs d’entreprise et aux représentants des travailleurs, il appartient de se structurer pour parler et agir en vérité pour le bien de tous.

6. Je souhaite que les mandants et le personnel du Bureau International du Travail poursuivent avec ténacité leur action afin d’humaniser le monde du travail et d’instaurer la justice sociale. Qu’il me soit aussi permis de souligner les efforts notables que votre Organisation accomplit en faveur des catégories sociales les plus défavorisées de notre époque, les migrants, les réfugiés, les enfants au travail. Ces personnes, en situation de fragilité et souvent laissées sans défense, ont besoin d’assistance et de soutien. Il vous appartient de rappeler à la communauté internationale qu’elle doit agir toujours mieux pour que tous soient acteurs et bénéficiaires du développement.

En terminant, je forme les voeux les meilleurs pour la prochaine Conférence internationale du Travail qui va se tenir dans quelques jours à Genève. Je prie le Seigneur pour qu’il fasse des membres de l’Organisation Internationale du Travail des serviteurs de l’homme, image du Créateur, appelé à être gérant de la création. Et je vous bénis de grand coeur, ainsi que vos familles.




AUX PÈLERINS D'AUTUN, CHALON ET MÂCON PARTICIPANTS AU RITE SOLENNEL DE CANONISATION DU BIENHEUREUX CLAUDE LA COLOMBIÈRE

Dimanche, 31 mai 1992



Chers amis,

Après la canonisation de Claude La Colombière, je suis heureux de vous retrouver un instant, pèlerins des diocèses d’Autun, Chalon et Mâcon, conduits par Monseigneur Raymond Séguy. Vous êtes venus partager la joie de l’Église entière de compter au nombre des saints ce fils de votre terre, ce grand témoin de l’histoire spirituelle de votre pays.

En vous accueillant, les précieux souvenirs de mon pèlerinage à Paray-le-Monial sont ravivés. Je suis heureux de saluer en vous les représentants de cette cité de longue tradition monastique et religieuse, toujours vivante, sans cesse renouvelée, et particulièrement illustrée par la sainte Visitandine Marguerite-Marie et le saint Jésuite Claude.

Au XVIIème siècle, le choix du Seigneur a, en quelque sorte, fait surgir une nouvelle source dans votre ville, une source d’amour miséricordieux et infiniment généreux, à laquelle des générations de pèlerins ont puisé. La fécondité de grâce qui s’attache au culte du Sacré Coeur se manifeste particulièrement par les développements que connaît le pèlerinage de Paray depuis quelques années. Avec le diocèse, les différentes communautés présentes ont contribué à faire partager à beaucoup la richesse du message confié aux saints de votre cité.

Je me réjouis de savoir que Paray nourrit la spiritualité de beaucoup de prêtres et de religieux, et inspire la première formation d’un certain nombre de candidats au sacerdoce. Les sessions qui rassemblent notamment des jeunes et des familles sont un vrai motif d’espérance pour la vitalité de l’Église dans votre pays, sans oublier la participation de pèlerins d’autres nations. Vous avez aussi le souci de donner une large part à l’art sacré qu’il est bon de favoriser, pour que nos contemporains puissent mieux exprimer la louange de Dieu et célébrer les trésors de son amour.

À tous ceux qui travaillent à la vie pastorale quotidienne et à l’animation des pèlerinages et des sessions, j’adresse mes encouragements: je pense, en particulier, aux communautés monastiques, aux prêtres du diocèse, aux Pères Jésuites, à la Communauté de l’Emmanuel, aux fidèles de la ville et de Saône-et-Loire, ainsi qu’à tous ceux qui s’unissent à eux dans la même ferveur. Que saint Claude La Colombière et sainte Marguerite-Marie vous soutiennent de leur intercession, et obtiennent du Seigneur de rendre toujours plus rayonnant le foyer spirituel qu’il a voulu faire de Paray-le-Monial!

Dans la joie de ce jour de fête, j’appelle bien volontiers sur vous la Bénédiction de Dieu.


Juin 1992



AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE BULGARIE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Lundi, 1er juin 1992




Chers frères dans l’Épiscopat,

1. Ma joie est grande de vous accueillir et de vous saluer «in osculo pacis», auprès du Siège et du tombeau de saint Pierre, du tombeau de saint Paul, l’Apôtre des nations, et sur les lieux où tant de martyrs des premiers siècles ont donné leur vie. C’est avec émotion que j’ai écouté les paroles de Monseigneur Stratiev, Président de la Conférence épiscopale de Bulgarie; je le remercie de son témoignage.

Pendant quarante-huit ans, vous avez connu de grandes souffrances, avec les prêtres et les fidèles de l’Église catholique en Bulgarie. C’est la première fois que vous venez, en tant que Conférence épiscopale, dans la maison du successeur de Pierre pour manifester votre fidélité et votre communion.

En raison de votre attachement à l’Église catholique, vous avez courageusement supporté de dures persécutions au cours des dernières décennies. La première période d’entraves et d’isolement commença en réalité dès 1944, lorsqu’un régime athée arriva au pouvoir. Vous avez assisté à une tentative de destruction progressive de l’Église et de la foi: on confisqua les écoles de l’Église, les institutions caritatives, les monastères des religieux et des religieuses; en 1948, ces derniers se virent interdire toute activité, et les religieux étrangers durent quitter le pays. Ce fut une perte immense pour l’animation de la vie spirituelle et les oeuvres de charité.

2. Mais c’est en 1952 qu’arriva le véritable calvaire, quand de nombreux laïcs et la majorité des prêtres furent emprisonnés. Avec émotion, et aussi avec reconnaissance, je voudrais évoquer ici les Pasteurs qui, martyrs de la foi, furent condamnés à mort et exécutés dans la nuit du 11 au 12 novembre 1952: Eugenio Bossilkov, Évêque de Nicopoli, et trois Pères assomptionnistes, Kamène Vitchev, provincial et supérieur du séminaire, Pavel Djidjov, économe du séminaire, et Josaphat Chichkov, curé de l’église catholique de Varna. L’évêque de Plovdiv, Ivan Romanov, condamné à douze ans d’incarcération, mourut en prison.

Je ressens le devoir de rendre hommage aujourd’hui à la mémoire de ces confesseurs de la foi, et d’unir à leur mémoire celle de nombreux prêtres, religieux et laïcs qui ont enduré des tortures et des souffrances dans les prisons ou les camps de concentration. Vraiment, ils ont vécu totalement les paroles de l’Apôtre des nations: «J’ai servi le Seigneur en toute humilité, dans les larmes et au milieu des épreuves... Je n’attache aucun prix à ma propre vie, pourvu que je mène à bonne fin ma course et le ministère que j’ai reçu du Seigneur Jésus: rendre témoignage à l’Évangile de la grâce de Dieu»[1].

En m’adressant à vous, ma pensée pleine d’admiration et de gratitude va aux innombrables croyants qui ont gardé la foi pendant leur très longue épreuve, et qui ont montré, parfois au prix de leur vie, leur fidélité au Christ, à son Église et au Siège Apostolique.

3. Les événements importants qui, ces dernières années, ont marqué l’Europe centrale et orientale ont ouvert des voies nouvelles pour l’Église dans votre pays. En une période délicate et difficile de changements dans la société, des possibilités inespérées d’apostolat s’offrent maintenant à la communauté des croyants.

Une phase nouvelle de la vie de l’Église commence, tandis que, rendus forts par l’expérience d’un passé dramatique, vous vous apprêtez à reconstruire les structures de vos diocèses. On peut souhaiter que vos contacts avec les Autorités gouvernementales permettent de parvenir à des solutions équitables pour les questions qui concernent la présence de l’Église catholique dans la société et, notamment, au sujet des biens dont elle a été spoliée.

Vous vous trouvez donc face à une mission immense et exigeante. Vous avez à aménager les structures matérielles nécessaires pour une vie pastorale active et bien organisée, et celles qui contribuent à édifier le temple vivant qu’est la communauté des croyants, en particulier grâce à l’élaboration d’un programme pastoral commun, afin que vos voix s’adressent à l’unisson aux fidèles et à la société. Je salue ici notamment les efforts que vous menez à bien pour assurer et développer la catéchèse des jeunes et des adultes, et je vous encourage dans ce travail qui ne manquera pas d’être fécond.

L’unité entre vous, vivifiée par l’écoute de la Parole de Dieu et par la participation à l’unique Eucharistie, «sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité»[2], vous soutiendra pour faire face aux problèmes qui se présenteront et pour donner à votre activité pastorale une impulsion nouvelle.

L’Esprit Saint réalise aujourd’hui encore les merveilles de la Pentecôte. De nouveaux fruits de justice et de sainteté mûriront dans vos communautés ecclésiales.

Que votre sollicitude pour le troupeau qui vous est confié et vos efforts pour répandre et affermir les prémices du Royaume de Dieu s’inspirent toujours du commandement que le Seigneur a donné à ses disciples à la Cène: «À ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres»[3]! À la lumière du commandement de l’amour, vénérés frères dans l’épiscopat, soyez des apôtres intrépides de la vérité et des bâtisseurs d’une communauté fraternelle, demeurant à l’écoute de Celui qui vous a consacrés[4], pour témoigner avec miséricorde de la bienveillance divine envers tous.

D’autre part, les conditions présentes vous permettent de poursuivre le dialogue oecuménique avec vos frères des autres traditions chrétiennes. On se doit de répondre à la prière du Christ à la veille de sa mort: «Que leur unité soit parfaite; ainsi, le monde saura que tu m’as envoyé»[5].

4. Avec une sollicitude constante, soyez des pères pour vos prêtres, vos premiers et précieux collaborateurs dans la vigne du Seigneur. Que la prise en charge des futurs ministres soit pour vous un souci prioritaire. N’oubliez pas que toute vocation doit être cultivée avec dévouement et même au prix de sacrifices, sans négliger aucun aspect de la formation humaine, intellectuelle, pastorale et spirituelle.

Les Instituts religieux sont un don de la Providence pour vos diocèses: il vous appartient d’en discerner les charismes et de soutenir leur témoignage évangélique avec tous les moyens disponibles.

Sans la contribution des fidèles et le soutien de la famille chrétienne, l’Église ne pourrait parvenir à sa pleine vitalité. C’est pourquoi je vous invite à prendre la Famille de Nazareth comme modèle dans votre action missionnaire. Que votre programme pastoral place au centre des préoccupations ce qui fait grandir l’unité et l’amour dans la famille: le respect et la défense de la vie en refusant des pratiques telles que le divorce et l’avortement qui la désagrègent et la détruisent, l’éducation des enfants comme premier devoir des parents, et le développement de la vie spirituelle.

Je souhaite que, pour l’ensemble de vos initiatives pastorales, vous receviez les appuis spirituels et matériels qui vous sont nécessaires, en vertu de la solidarité des Églises particulières du continent qui s’est si vivement manifestée lors de la récente Assemblée spéciale du Synode des Evêques pour l’Europe.

5. Votre tâche est un défi missionnaire: préparer l’Église du troisième millénaire en reprenant l’initiative de l’évangélisation par des efforts redoublés. L’Esprit du Rédempteur, qui vous a guidés jusqu’ici, ne vous laissera pas seuls dans cette nouvelle étape de votre histoire. Votre visite ad limina souligne heureusement votre union avec l’Évêque de Rome et votre appartenance au Collège épiscopal: que ce soit pour vous un soutien!

Je voudrais vous demander de dire mes encouragements affectueux à tous les serviteurs de l’Évangile de vos diocèses, les prêtres, les religieux et les religieuses, les laïcs qui prennent des responsabilités et assurent maintes tâches pour la communauté, ainsi qu’à tous les fidèles.

Que les saints frères Cyrille et Méthode, qui sont très vénérés par la nation bulgare depuis des siècles, vous obtiennent de Dieu que l’Évangile fleurisse à nouveau sur cette terre où ils l’ont semé!

Je confie à la Très Sainte Vierge Marie, Mère de l’Église, les projets, les espérances et les difficultés de l’heure présente. Je lui confie votre patrie: puisse la Bulgarie connaître le printemps auquel elle aspire et un véritable progrès moral et social, sous le patronage de la céleste Theotokos!

Dans ces perspectives, j’invoque la Bénédiction du Seigneur sur vous-mêmes, sur les prêtres, les religieux, les religieuses et les fidèles de la nation bulgare qui m’est si chère.

[1] Ac 20,19 Ac 20,24.
[2] Vatican II, Sacrosanctum concilium, no. SC 47.
[3] Jn 13,35.
[4] Cf. Is 61,1.
[5] Jn 17,23.



MESSAGE DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II AUX PATRIARCHES, ARCHEVÊQUES ET ÉVÊQUES CATHOLIQUES DU LIBAN


Aux Patriarches,
Archevêques,
et Évêques catholiques du Liban,

Vénérables Frères,

Par deux fois déjà, en tant que successeur de l’Apôtre Pierre et à ce titre chargé de paître les brebis du Seigneur[1], je me suis adressé à vous, successeurs des Apôtres en terre libanaise, pour vous dire combien me tenait à coeur la difficile situation de votre pays et combien je souhaitais le voir se relever de ses ruines, matérielles et spirituelles, fruits amers de seize ans d’une guerre dévastatrice et terrible.

Un an s’est écoulé depuis l’annonce de la convocation de l’Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Évêques et avec celle-ci j’indiquais déjà les objectifs à atteindre pour que cette initiative soit couronnée de succès: les Églises catholiques du Liban doivent tout d’abord s’interroger sur elles-mêmes, sur leur fidélité au message évangélique et sur leur engagement à le vivre avec cohérence; enfin, elles doivent aussi s’efforcer de redécouvrir les racines de leur foi pour un renouvellement spirituel de leurs communautés.

Dès le mois de septembre 1991, le Secrétaire général du Synode des Évêques, Monseigneur Jan Schotte, CICM, se rendait sur place tant pour prendre un premier contact avec la réalité libanaise que pour clarifier et expliquer aux différents groupes ecclésiaux libanais les buts et les moyens de l’Assemblée spéciale. Dans le même temps, il lançait une consultation préliminaire informelle ouverte à toutes les personnes de bonne volonté dans le but de mieux connaître les attentes du peuple libanais à propos du Synode.

Au début de cette année, la préparation est passée à l’étape suivante avec la nomination des dix membres du Conseil du Secrétariat général du Synode des Évêques pour l’Assemblée spéciale du Liban. Parmi ces derniers, j’ai choisi un Évêque-Coordinateur pour la préparation in loco de l’Assemblée synodale, en la personne de Monseigneur Béchara Raï, Évêque de Jbeil des Maronites. Ce Conseil s’est réuni une première fois à Rome, en mars dernier, et une seconde fois ces jours-ci, à Beyrouth. Le travail déjà accompli laisse bien présager pour l’avenir.

En effet, la situation actuelle du pays nécessite des solutions radicales, mais, avant tout, exige de tous les Libanais une véritable conversion des coeurs et des esprits, conversion que seul Dieu, dans sa «divine philanthropie», peut accorder. Les chrétiens, en particulier, auront à coeur de se laisser guider par l’Esprit Saint, Esprit de consolation et d’amour, Esprit de réconciliation et de pardon mutuel, pour apporter leur contribution spécifique au renouvellement de toute la société.

Nombre de fois déjà dans le passé, et souvent de façon héroïque, le Liban a su témoigner de son attachement au Christ. Aujourd’hui encore, et plus qu’hier, les chrétiens du Liban se doivent de rendre compte de l’espérance qui est en eux[2], brillant comme une lampe dans l’obscurité[3] et brûlant de la douce charité du Christ[4].

C’est pourquoi, pour stimuler ce mouvement de conversion intérieure tant désiré et attendu comme signe avant-coureur du redressement général de la société libanaise, je tiens désormais à rendre public le thème de cette Assemblée spéciale pour le Liban du Synode des Évêques. J’ai opté pour ce thème, sur proposition des membres du Conseil du Secrétariat général du Synode des Évêques et après en avoir évalué les motifs. En effet, il rappelle que le Christ est la source de tout bien, que le but recherché est la conversion des coeurs, conversion dont la solidarité et le témoignage sont les conséquences directes, et que c’est l’amour du Christ qui pousse ses fidèles à se mettre ensemble au service, tant spirituel que matériel, de leurs frères. La formulation en est à la fois sobre et complète: «Le Christ est notre espérance: renouvelés par son Esprit, solidaires, nous témoignons de son amour».

Pour favoriser la ferveur des chrétiens et la dévotion populaire, en vue de la préparation des coeurs et des esprits à ce grand moment ecclésial, j’ai pensé qu’il serait opportun d’offrir aux fidèles une prière spéciale pour ce Synode. Puisse-t-elle les conforter dans leur désir de retour au Dieu de miséricorde[5].

«O Père céleste, riche en miséricorde, Toi qui as comblé tous les hommes par le mystère de ton amour infini, soutiens l’Église de ton Fils Unique dans sa marche synodale. Fais que ces jours soient pour elle un temps de bénédiction et de salut, un temps d’ouverture et de réconciliation, un temps de pénitence et de renouveau, un temps de foi et d’espérance, au coeur même de la tourmente, car Tu es Tout-Puissant et Miséricordieux. À Toi, toutes grâces à jamais.

«O Jésus Christ, notre Dieu, notre Sauveur et notre Espérance, Toi qui as fondé l’Église, signe de salut pour les générations et les siècles, visite-la de ta Croix victorieuse pour que les forces de l’enfer ne l’emportent pas sur elle. Eclaire-la de ta Parole; guide-la dans ta connaissance; renouvelle-la par les enseignements de ton Évangile et par la force de ton Esprit Saint. Etablis-la solidement dans la foi; nourris-la de ton pain, le pain de la vérité; unis ses enfants par le lien de la charité et de la concorde, afin qu’elle vive de Toi et soit témoin de ton amour. À Toi, toute gloire à jamais.

«O Esprit Saint, Esprit du Père et du Fils, dispensateur des charismes, Toi qui habites dans l’Église et en fais un Temple saint, enrichis-nous de la variété infinie de tes dons pour que nous soyons des membres vivants qui s’aident les uns les autres dans l’édification de la sainte Église. Sois notre consolateur, notre guide et notre force. Fais que ce synode soit une Pentecôte permanente, afin que nous puissions porter dignement le nom de chrétiens par lequel nous avons été appelés, rendre témoignage au Christ, aux valeurs de son Évangile, et en intégrer notre société.

«Ainsi, au sein même de la diversité de nos confessions, et après de si longues souffrances, nous serons pleinement conscients que nous sommes tous frères solidaires, que notre Liban est plus qu’un pays, qu’il est, conformément à sa vocation historique, un message de fraternité, de liberté et de dialogue. À Toi, toutes louanges à jamais.

«O Vierge Marie, Mère de Dieu et notre Mère, ô Notre-Dame du Liban, toi qui as accompagné notre peuple dans les diverses étapes de sa vie et l’as préservé dans la foi, nous avons recours à Toi; sous ta protection nous mettons notre marche synodale et la confions à ta sollicitude maternelle, afin que tu nous aides à accueillir le souffle de l’Esprit et à faire ce que ton Fils nous commande. À Toi, honneur à jamais».

À nos frères des autres Églises chrétiennes, je demande de nous accompagner dans notre itinéraire synodal et de lui réserver compréhension et accueil bienveillant. Qu’ils soient assurés de notre sincère dévouement à la cause commune d’un Liban renouvelé dans l’Esprit.

J’invite aussi les Libanais de confession islamique à apprécier les loyaux efforts de leurs concitoyens catholiques, contribution sincère à la collaboration de la reconstruction d’un Liban, terre de liberté et de communion fraternelle.

Enfin, je suis certain que vous saurez, chers Frères dans l’épiscopat, insuffler à vos fidèles, par votre exemple et vos paroles, l’énergie nécessaire pour la mise en oeuvre de ce vaste projet.

«Je rends grâce à Dieu sans cesse à votre sujet pour la grâce de Dieu qui vous a été accordée dans le Christ Jésus... C’est Lui qui vous affermira jusqu’au bout, pour que vous soyez irréprochables, au Jour de notre Seigneur Jésus-Christ. Il est fidèle, le Dieu par qui vous avez été appelés à la communion de son Fils, Jésus Christ notre Seigneur»[6].

Que sa Bénédiction descende sur vous!

Du Vatican, le 20 juin 1992.

IOANNES PAULUS PP. II

[1] Cfr. Jn 21,15-17.
[2] Cfr. 1P 3,15.
[3] Cfr. 2P 1,19.
[4] Cfr. 1P 4,8.
[5] Cfr. 2Co 1,3.
[6] 1Co 1,4 1Co 1,8-9.





AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE NATIONALE DU CAMEROUN EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Lundi, 22 juin 1992




Cher Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Au terme des rencontres individuelles que j’ai eues avec vous, à l’occasion de vos visites ad Limina, je suis heureux de vous recevoir maintenant ensemble, en tant que Conférence épiscopale nationale du Cameroun.

Je remercie vivement votre Président des paroles qu’il m’a adressées en votre nom. En vous saluant tous, je rejoins, à travers vos personnes, le clergé, les religieux, les religieuses, les enseignants catholiques, les responsables des mouvements d’action catholique, les catéchistes et les fidèles laïcs des trois provinces ecclésiastiques francophones de Douala, Garoua et Yaoundé, ainsi que de la province anglophone de Bamenda. À toutes vos communautés diocésaines, je présente mes salutations cordiales: je les assure de ma prière ainsi que de ma sollicitude de pasteur désireux de les confirmer dans la foi.

Votre pèlerinage aux tombes des saints Apôtres a lieu alors que nous nous préparons à honorer, le 29 juin, les deux figures de proue de l’Église naissante, Pierre et Paul. Je souhaite que votre séjour romain, à la veille de leur fête, vous donne la joie d’un vivifiant retour aux sources qui vous encourage dans la fidélité à la Tradition apostolique et à l’héritage des premiers chrétiens.

Egalement, je forme le voeu que, renouvelés dans l’amour du Christ et dans la communion avec le successeur de Pierre, vous retourniez pleins de zèle vers votre peuple pour lui porter l’Évangile avec l’ardeur et le courage de ceux qui, en cette Ville, ont présidé aux magnifiques débuts de l’Église de Rome.

2. Il y a deux ans, l’Église au Cameroun a célébré le centenaire de l’évangélisation du pays. Vous avez rendu grâce à Dieu pour l’essor des communautés chrétiennes à la suite du remarquable labeur des premiers missionnaires.

Et maintenant, vous êtes entrés dans une nouvelle étape dont les objectifs sont l’affermissement de la foi, la conversion et la transformation en profondeur des individus et de la vie sociale, de façon que les vérités et les valeurs de l’Évangile soient plus pleinement vécues. Un nouveau souffle doit donc être donné à l’oeuvre jamais achevée de l’évangélisation.

Pour cela, vous avez à vos côtés des collaborateurs privilégiés: les prêtres. Ils accomplissent un travail considérable et je les en remercie de tout coeur. Je souhaite qu’ils continuent à enseigner la Parole de Dieu avec clarté, avec une foi ardente, dans un engagement personnel, avec désintéressement et avec esprit de sacrifice, dans la fidélité au célibat et la disponibilité qu’il procure pour le service du Royaume. Ils ont une responsabilité unique pour proclamer la miséricorde de Dieu. En tant que ministres des sacrements, de l’Eucharistie et de la réconciliation surtout, ils mettent les hommes en contact avec Dieu.

Tout en me réjouissant avec vous de l’augmentation du nombre des vocations, je forme le voeu que vous gardiez toujours le souci de la qualité de la formation au sacerdoce. Dans l’exhortation apostolique Pastores Dabo Vobis, fruit des travaux synodaux, vous avez un guide pour la formation humaine, spirituelle, intellectuelle et pastorale des candidats.

L’une des urgences, dont bon nombre d’Églises prennent conscience, est d’avoir des éducateurs bien préparés à leur mission à l’égard des séminaristes. Le concours de religieux et de prêtres missionnaires d’Instituts spécialisés demeure très précieux pour une formation de qualité. Afin de préparer de vrais pasteurs et apôtres de Jésus-Christ, cette formation sera unifiée dans la foi et enracinée dans la Tradition de l’Église; elle tendra à intégrer les valeurs de la culture locale; elle cherchera à atteindre toutes les zones de la personnalité, l’affectivité comme l’intelligence.

3. Pour la poursuite de l’évangélisation, vous avez également à vos côtés les religieux et les religieuses. Dans l’Église, ils sont appelés à donner un témoignage de consécration totale à Dieu. Cette option fondamentale de leur existence est la première tâche à réaliser dans la forme de vie qui leur est propre.

Les Évêques ont à coeur de considérer la promotion de la vie religieuse comme une composante de leur charge pastorale. En particulier, ils aident les personnes consacrées à demeurer fidèles à leur charisme fondateur et à leurs voeux afin de donner l’exemple du don définitif au Seigneur. Les jeunes générations ont besoin d’avoir sous les yeux, pour façonner leur propre vie, des modèles d’engagement définitif, comme réponse appropriée au Dieu d’amour qui a contracté avec les hommes une alliance nouvelle et éternelle.

Egalement, vous aiderez les religieux et les religieuses à cultiver une conscience ecclésiale renouvelée, qui les encourage dans l’édification du Corps du Christ et dans l’oeuvre missionnaire.

4. Parmi les priorités pastorales d’aujourd’hui, il faut souligner la formation des fidèles laïcs. Dieu appelle son Peuple à grandir, à mûrir sans cesse et à porter du fruit.

Au premier rang de ceux qui aident le Peuple de Dieu à grandir, se trouvent les catéchistes. Par leurs labeurs considérables, ils contribuent singulièrement à l’expansion de la foi. Comme leur travail se complique en raison de l’évolution de la société, il convient de leur procurer une solide formation doctrinale et pédagogique ainsi qu’un constant renouvellement spirituel et apostolique, sans parler de la nécessité de leur ménager un état de vie décent.

Invitez tous les baptisés à approfondir les richesses de la foi et à en vivre. Entre autres effets positifs, cela les fortifiera pour rendre compte de l’espérance qui est en eux[1], notamment devant le phénomène des sectes. Encouragez-les à collaborer avec plus de vigueur et d’une façon plus responsable à l’évangélisation des réalités temporelles. Pour cela, il importe qu’ils se familiarisent avec l’enseignement social de l’Église afin de remplir leur devoir quotidien avec compétence professionnelle, avec honnêteté et dans un esprit chrétien.

Dans le domaine du travail, ils sauront susciter de nouvelles formes d’entreprises, provoquer une révision des systèmes économiques quand cela s’avère nécessaire et oeuvrer pour plus de justice sociale.

5. Dans la poursuite de sa mission évangélisatrice, l’Église aime recourir à l’école catholique. Celle-ci fait partie intégrante du système éducatif du Cameroun. Comme dans d’autres pays africains, on apprécie le rôle qu’elle joue, aux différents niveaux de scolarité, pour la formation d’un grand nombre de jeunes en créant dans la communauté éducative une atmosphère évangélique, en aidant les adolescents à développer leur personnalité de manière cohérente avec les exigences de leur condition de baptisés, de telle sorte que la connaissance soit illuminée par la foi.

Je souhaite que les difficultés particulières de l’enseignement catholique au Cameroun puissent être surmontées dans un climat de paix sociale, pour le bien de la société camerounaise et pour le progrès de l’Évangile.

Enfin, je suis heureux d’apprendre que l’Institut catholique de Yaoundé, dont la fondation vous tenait à coeur et qui a été inauguré le 7 décembre 1991, a commencé son activité dans des conditions satisfaisantes. Je souhaite qu’il contribue à promouvoir la pensée chrétienne dans le développement de la culture, pour la formation d’hommes de sciences et de témoins de la foi.

6. En ce qui concerne les relations avec ceux et celles qui ne partagent pas la même foi, je sais que l’entente est bonne, dans l’ensemble, avec les confessions protestantes, et je m’en réjouis. Efforcez-vous d’entretenir des rapports toujours plus constructifs, pour la gloire de Dieu et le bien commun.

Pour ce qui est des musulmans, laissez-moi vous inviter à poursuivre le dialogue interreligieux, qui fait partie de la mission évangélisatrice de l’Église. L’encyclique Redemptoris Missio vous y aidera, ainsi que le document «Dialogue et annonce», publié en mai 1991 par le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux et la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples.

7. À l’instar d’un certain nombre de pays du continent africain, le Cameroun a entrepris une démocratisation progressive de ses institutions. En cette importante période de la vie nationale, les chrétiens, plus que jamais, doivent enrichir la société du ferment évangélique qui les habite et collaborer avec tous les hommes de bonne volonté.

L’Église, pour sa part, contribue au développement intégral de la communauté humaine par son respect de la réalité politique, par sa doctrine sociale, par l’ouverture aux dimensions spirituelles. Le service du bien commun à des niveaux divers est une forme particulièrement importante de la justice et de la charité.

Ma prière s’unit à la vôtre pour que vos compatriotes cheminent d’une façon pacifique sur la voie des réformes, cherchant à répondre de leur mieux aux aspirations légitimes de leurs concitoyens. Puisse votre grand pays être, en Afrique et dans le monde, un élément apprécié de stabilité et de progrès pour la vie de la communauté des nations!

8. En terminant, chers Frères dans l’épiscopat, je désire prolonger l’action de grâce du centenaire et remercier Dieu avec vous pour tout ce qui a été accompli dans votre pays. Dans un regard aimant porté sur la réalité présente et dans la conviction que le Royaume de Dieu est déjà à l’oeuvre parmi vous, poursuivez l’annonce de l’Évangile à votre peuple en vous appuyant sur ses trésors de piété traditionnelle. Je souhaite que s’opère une symbiose plus grande encore entre la foi et l’âme camerounaise, en sorte que toutes les valeurs naturelles que portent vos compatriotes soient transfigurées par la présence du Christ.

Pour vous y aider, je vous accorde, ainsi qu’à toutes vos communautés diocésaines, ma Bénédiction Apostolique.

[1] Cf. 1P 3,15.



Discours 1992 - Vendredi, 29 mai 1992