Discours 1992 - Lundi, 22 juin 1992


À UNE DÉLÉGATION DE L’ASSOCIATION DES JOURNALISTES CATHOLIQUES DE BELGIQUE

Vendredi, 26 juin 1992



Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Fidèles à une tradition belge établie depuis longtemps, vous venez jusqu’ici remettre à l’Évêque de Rome la contribution offerte par vos lecteurs aux charges que lui imposent le service de toute l’Église. C’est avec gratitude que je vous accueille, vous qui représentez l’Association des Journalistes catholiques de Belgique, en vous disant combien j’apprécie la générosité de nombreux fidèles de votre pays et la démarche que vous renouvelez aujourd’hui.

Les gestes que vous avez suscités traduisent l’attachement des catholiques de votre patrie à celui qui a reçu la charge de veiller à la communion dans tout le monde catholique. Vous avez certainement su leur montrer que l’exercice du ministère de Pierre suppose de nombreuses collaborations: celles de personnes assurant à Rome la continuité du service des divers organismes de la Curie, celles des Cardinaux et des Évêques membres des Congrégations et des Conseils, venus des cinq continents, celles de nombreux experts, celles des Représentants pontificaux auprès des Églises locales et des nations. Cette pluralité de personnes et de fonctions permet à l’Évêque de Rome de maintenir un lien vivant avec les communautés dispersées à travers le monde, d’être à l’écoute de leurs expériences, de connaître leur vitalité, d’encourager leur participation à la mission confiée par le Christ à ses disciples pour le monde entier, de stimuler l’entraide entre elles. Il est clair que, sans le dévouement et les contributions matérielles de nombreuses personnes, il serait bien difficile de conduire de telles activités.

Je remercie votre Président pour la manière très positive dont il a évoqué le récent document de réflexion et d’orientation du Conseil pontifical pour les Moyens de Communication sociale. Je tiens à manifester à nouveau ici mon estime pour le travail d’information sur la vie de l’Église que font les journalistes, de même que pour l’éclairage chrétien qu’ils donnent à leurs lecteurs sur les événements et les faits de société. Car on constate trop souvent que l’opinion manque de points de repère solides et d’une présentation objective et accessible des principes que l’Église défend par fidélité au message évangélique qui lui est confié. Cela suppose que les communicateurs chrétiens prennent du recul par rapport au flux journalier des nouvelles et sachent les interpréter de manière fondée, afin de permettre aux destinataires de leurs informations de se faire un jugement objectif et de mieux approcher de la vérité de l’homme.

...en flamand...

Juillet 1992



À S.E. MONSIEUR IVE LIVLJANIC, PREMIER AMBASSADEUR DE LA RÉPUBLIQUE DE CROATIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Vendredi, 3 juillet 1992




Monsieur l’Ambassadeur,

1. C’est avec joie que je reçois des mains de Votre Excellence les Lettres qui l’accréditent auprès du Saint-Siège en qualité de premier Ambassadeur de la République de Croatie. Dans les relations de cette nation avec le Siège Apostolique, cette audience marque un jalon historique que je tiens à souligner. Les liens du peuple croate avec l’Église de Rome sont fort anciens, comme vous venez de le rappeler, Monsieur l’Ambassadeur. Désormais, la Croatie ayant recouvré son indépendance, ces liens deviennent plus étroits. Et je voudrais d’emblée en définir l’esprit à partir de l’estime qu’inspirent votre histoire et votre culture, des sentiments d’amitié et de respect que je porte à votre peuple, de la communion dans la foi catholique que partage la majorité de vos compatriotes.

Vous avez vous-même évoqué l’itinéraire du peuple croate, vivant sur sa terre depuis treize siècles, sa culture et ses convictions religieuses profondes. J’ai été sensible à la ferveur avec laquelle vous avez traduit vos sentiments et ceux de vos compatriotes, au moment d’inaugurer votre mission. Et je vous saurai gré de remercier Son Excellence Monsieur Franjo Tudjman, Président de la République de Croatie, ainsi que les membres du Gouvernement, pour le message de déférence et de confiance qu’ils vous ont confié à mon intention.

2. Les graves événements qui ont entouré la proclamation et la reconnaissance de l’indépendance de la Croatie ont retenu, vous le savez, toute l’attention du Saint-Siège qui n’a cessé d’élever la voix pour demander que se taisent les armes et que s’instaure le dialogue. L’Église ne se lassera pas de proclamer que la défense des droits des personnes et des peuples ne peut se faire par la violence, mais seulement dans un dialogue loyal et persévérant. En vous recevant aujourd’hui, je forme à nouveau le voeu que l’ensemble des citoyens de votre République connaissent une paix solidement établie.

Il s’agit à présent pour le peuple croate, riche de son identité culturelle, de bâtir son avenir sur des fondements solides. Seul un État de droit, où chaque habitant jouit du respect des autres, où chaque personne voit ses droits reconnus, où chaque citoyen a la possibilité de s’exprimer librement et d’oeuvrer pour le bien commun, peut assurer la dignité et le bonheur de tous. Vous avez vous-même rappelé que l’Église insiste sur les droits de l’homme, des individus et des peuples. Elle le fait en raison de sa haute conception de la nature de l’homme, créature aimée et sauvée par Dieu, et de la vocation de l’homme, appelé à former une société solidaire et fraternelle, guidée par le souci d’assurer le bien de tous ses membres. Les droits de la personne sont reconnus de la manière la plus sûre lorsqu’ils font l’objet d’un consensus clair et libre et lorsqu’ils inspirent une action publique orientée vers la prospérité, l’épanouissement physique, intellectuel et spirituel des personnes, des familles, des communautés.

Votre nation se trouve devant la tâche d’affermir ses institutions dans un tel esprit. Personne ne peut être laissé sur le bord du chemin. Il est important notamment, et l’expérience souvent douloureuse de votre peuple en témoigne, de permettre aux minorités de trouver leur juste place dans le pays. La cohésion de la société ne peut évidemment pas être acquise au prix d’exclusions, quels qu’en soient les motifs, ni au nom d’un nationalisme exacerbé. C’est la noblesse d’un peuple que de savoir coexister sereinement avec d’autres peuples, en demeurant ouvert et accueillant.

Monsieur l’Ambassadeur, vous avez marqué avec force le désir de la Croatie de participer pleinement à la vie du continent européen. Pour sa part, le Saint-Siège, du point de vue qui lui est propre, favorise les diverses formes de coopération et d’échanges qui portent les pays d’Europe à une meilleure entente. Depuis la déflagration de la deuxième guerre mondiale, des progrès notables ont été accomplis dans le sens de la paix. La situation présente sur votre terre et dans votre région montre combien il reste à faire. Aussi souhaitons-nous, en particulier, que la Conférence sur la Sécurité et la Paix en Europe permette de mieux en mieux de régler sans violence les différends et de promouvoir l’entraide entre des nations que l’histoire a rendues proches les unes des autres. Dans un tel cadre, les nations qui ont récemment recouvré ce que j’aime appeler leur «personnalité» devraient participer activement à la vie internationale et trouver les soutiens qui leur sont nécessaires.

3. La majorité de vos compatriotes, Monsieur l’Ambassadeur, appartient à l’Église catholique, avec une fidélité qui s’est confirmée au long des siècles. Aussi, accueillant le Représentant de la Croatie, je tiens à adresser un salut particulièrement affectueux aux catholiques de ce peuple, liés au Siège de Pierre, comme en témoignent les nombreux pèlerins que j’ai la joie de rencontrer à Rome.

Pour sa part, l’Église ne recherche aucun privilège, mais elle désire avoir sa place spécifique, également dans la vie sociale, ce dont le régime communiste lui avait dénié le droit. Je sais que, chez vous, les fidèles s’emploient à mettre au service de leur pays leurs talents, leur esprit évangélique et leur sens fraternel. Je souhaite qu’ils apportent leur contribution généreuse à la vie de la nation, inspirés par la foi et éclairés par les saints et les grands témoins qui ont construit une belle tradition. Les épreuves ont pesé lourdement sur eux au cours des dernières décennies: je m’incline devant tous ceux qui ont souffert pour demeurer fidèles aux promesses de leur baptême et à leur appartenance à l’Église et, comme vous l’avez fait, j’évoque avec émotion la grande figure du Cardinal Alojzije Stepinac. Au cours des événements récents, les communautés catholiques ont partagé les grandes souffrances infligées à la population; leurs églises et leurs institutions ecclésiales ont connu maintes destructions; elles ont aussi su accueillir leurs frères et soeurs qui ont dû tout quitter et chercher un refuge. À ce propos, j’exprime le souhait que la communauté internationale ne ménage pas son aide à ces réfugiés très nombreux, victimes d’un conflit si déplorable.

Je suis sûr que l’espérance et l’audace demeurent dans les coeurs des pasteurs et des fidèles pour rebâtir, avec la grâce de Dieu, une vie ecclésiale tournée vers l’avenir, unissant toutes les générations dans la communion voulue par le Seigneur. C’est le temps de la conversion et de la réconciliation toujours à reprendre. J’encourage vos compatriotes catholiques à poursuivre, malgré les difficultés, le dialogue avec leurs frères des autres communautés chrétiennes dans un esprit ouvert, dans la recherche patiente de l’unité entre ceux qui ont reçu le don du même baptême.

Les Pasteurs, ainsi que les Autorités de l’État, m’ont invité à venir accomplir une visite pastorale à l’Église en Croatie. Vous avez renouvelé cette invitation qui rejoint un désir qui m’est cher. Lorsque les circonstances le permettront, j’espère pouvoir effectuer ce pèlerinage et venir affermir dans la foi mes frères et soeurs croates catholiques et rencontrer tout votre peuple sur sa terre tant aimée.

4. Voici donc que commence votre mission de Représentant de la République de Croatie auprès du Saint-Siège. Pour leur part, les relations diplomatiques traduisent des liens profonds déjà noués à travers l’histoire: j’espère qu’ils seront de plus en plus étroits et confiants. Vous pouvez être assuré que vous trouverez ici, auprès de mes collaborateurs, l’appui dont vous aurez besoin. Je souhaite que votre activité vous donne satisfaction et qu’elle soit fructueuse.

J’invoque sur tous les Croates l’intercession des saints apôtres des Slaves, Cyrille et Méthode, saint Nicolas Tavelic, saint Léopold Bogdan Mandic, et les autres saints qui ont marqué l’histoire spirituelle de ce peuple, que Notre-Dame, Reine de la Croatie, leur apporte son appui maternel!

De grand coeur j’appelle sur vous-même, sur les Autorités de votre pays, sur vos proches et sur vos collaborateurs, ainsi que sur tous vos compatriotes la Bénédiction de Dieu.



AUX ÉVÊQUES DE BELGIQUE EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 3 juillet 1992



Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’Épiscopat,

1. Soyez les bienvenus dans la maison de l’Évêque de Rome qui est heureux de vous accueillir aujourd’hui en raison des liens d’unité et de communion qui unissent tous les évêques, successeurs des Apôtres, autour du successeur de Pierre. Je remercie votre Président, Monsieur le Cardinal Godfried Danneels, pour la présentation qu’il vient de faire de quelques aspects de votre charge et des préoccupations qui vous sont communes. Je souhaite que votre visite «ad limina», ce pèlerinage, qui vous rappelle l’origine apostolique de votre ministère épiscopal reçu par grâce, ravive la mission pastorale qui est la vôtre au service du peuple de Dieu qui est en Belgique.

2. en flamand...


Pour la prochaine année pastorale, vous avez choisi, avec bonheur, comme thème commun à tous les diocèses de Belgique «l’année du Seigneur», afin de redonner sa place à la vie liturgique et sacramentelle, qui est au coeur de la vie des paroisses. Les différentes fêtes rythment le temps de l’Église et permettent de dévoiler l’ensemble du mystère chrétien. L’assemblée dominicale est ce temps où la communauté rassemblée reçoit de son Seigneur la vie en abondance et la mission d’en être témoins. Je sais combien le clergé a à coeur de communiquer, par un enseignement catéchétique et homilétique, le sens des célébrations pour que les chrétiens puissent en retirer tous les fruits. En particulier, j’invite chacun à méditer le don que le Christ nous fait en nous dispensant les sacrements, par son Église, et tout d’abord l’Eucharistie et la Pénitence où l’homme est racheté et pardonné. Que chaque communauté s’interroge sur la place qu’elle fait à la liturgie et à la célébration des sacrements, dans le respect des rites voulus par l’Église, dont il importe de mesurer la plénitude!

3. Dans votre pays, comme dans beaucoup d’autres du continent européen, la faiblesse du nombre de séminaristes demeure alarmante. Mais on ne doit pas désespérer, d’autant que vous recevez des jeunes qui sont, pour la plupart, déjà mûrs: ils ont effectué des études profanes ou quelques années de travail qui les ont préparés à être des serviteurs de l’Évangile auprès de leurs contemporains. Grâce à une formation philosophique et théologique profonde, objet de votre vigilance, ils deviendront vos collaborateurs soucieux d’annoncer la Bonne Nouvelle en tenant compte de la culture de leur temps. Nous nous rappellons le Cardinal Cardijn, au XXVème anniversaire de sa mort. Il avait la passion de l’Évangile qu’il faut greffer dans la culture des hommes de son temps. Mais la formation ne pourra conformer les séminaristes à leur mission sacerdotale et unifier leur être que dans la mesure où leurs formateurs leur donneront les moyens de vivre une vie spirituelle sacerdotale enracinée sur la lectio divina, la récitation de l’office divin et la célébration quotidienne de l’Eucharistie, source et sommet de la vie du prêtre.

4. Dans la société sécularisée qui professe parfois un humanisme athée incapable de rendre compte du sens de l’homme et de l’histoire, le témoignage des fidèles, expression concrète du sacerdoce des baptisés, est urgent, car l’amour du Christ que nous avons découvert doit être vécu et communiqué aux hommes qui attendent la parole de vérité. Chacun est appelé à vivre son baptême et à professer la foi de l’Église au Christ, le Rédempteur du monde. Le témoignage passe par la parole pour rendre compte de l’espérance chrétienne, mais aussi par une vie conforme aux exigences évangéliques et à la tradition de l’Église telle qu’elle est sans cesse reprise par le Magistère apostolique, ainsi que par la pratique de la charité. La foi et sa mise en pratique dans la vie morale ne peuvent être laissées à l’appréciation subjective, chacun retenant ce qui lui convient ou choisissant les personnes avec lesquelles il veut vivre en Église. Cela crée une situation de relativisme dogmatique et moral qui peut engendrer de graves préjudices, dénaturer la vérité objective du donné révélé et diviser les communautés.

Vous veillez à la formation intellectuelle et spirituelle des laïcs qui les aide à grandir dans leur vie chrétienne. Comme le montre la parabole du semeur[3], une foi qui ne s’enracine pas dans une recherche incessante, en relation intime avec le Christ, court le danger d’être étouffée par les réalités du monde. Ainsi, forts de l’approfondissement de leurs connaissances et de leur expérience spirituelle, les chrétiens auront davantage le souci de manifester et de défendre les valeurs évangéliques authentiques dans tous les domaines de leur existence, et notamment dans la vie politique, économique et sociale, dont ils sont les principaux évangélisateurs. Ceci est d’autant plus important en ces années de fin de siècle où nous nous acheminons vers une organisation inédite de l’Europe, où se tissent des liens nouveaux entre les États qui la composent mais aussi avec les autres continents, organisation qui nécessite la promotion de la dimension morale des relations humaines.

Les baptisés, en tant que membres du Corps du Christ, ont à prendre une part spécifique à la mission de l’Église sous la conduite des pasteurs qui représentent le Christ-Tête[4]. Les critères d’ecclésialité que j’avais énoncés dans l’exhortation apostolique Christifideles Laici[5], pour les associations de laïcs, peuvent aussi permettre de préciser les rôles des partenaires dans la mission, afin d’éviter des situations rendues difficiles par l’imprécision du statut des personnes engagées dans les tâches apostoliques. Il ne peut y avoir de mission fructueuse sans une relation organique entre les laïcs et les ministres ordonnés, relation de confiante collaboration où les attributions ne sont pas interchangeables. Par exemple, les conseils pastoraux sont un des lieux importants de cette collaboration. À chacun, en fonction de son état de vie et de sa vocation, revient une tâche spécifique dans la communauté. Le sacrement de l’ordre, parce qu’il est d’institution divine et qu’il est le signe visible du Christ qui conduit son Église avec amour, confère à ceux qui l’ont reçu la charge du service[6] et le pouvoir de gouvernement[7], auquel peuvent collaborer les fidèles laïcs.

5. Dans votre pays, beaucoup d’enfants et de jeunes sont scolarisés dans l’École catholique. Elle remplit un réel service publique que les instances politiques locales et nationales ont à coeur de soutenir par des aides appropriées. Des familles éloignées de la foi catholique, ou provenant d’autres confessions religieuses, font confiance aux établissements de l’Église pour la qualité de leur enseignement. Portez les encouragements du Pape à tous ceux qui participent à cette belle tâche de l’éducation de la jeunesse. Ils ont conscience que la communion avec la hiérarchie doit les aider à maintenir la spécificité éducative des établissements, sans cesser d’accueillir l’ensemble des jeunes qui veulent bénéficier de leurs compétences. Rappelez-leur que tout enseignement, même le plus technique ou le plus scientifique, peut être l’occasion, par l’approche qui en est faite, de transmettre les valeurs chrétiennes inspirées de l’Évangile. Grâce à la médiation du regard que les adultes portent sur lui, tout jeune devrait découvrir le Christ qui veut l’aider à développer le meilleur de lui-même, et à préparer au mieux son avenir humain et professionnel, pour répondre à sa vocation propre. L’école est aussi un lieu où les jeunes forment leur conscience morale. La direction et l’animation des établissements s’exercent sous votre responsabilité de pasteurs, et il vous appartient de veiller à ce que les enseignants aient une vie conforme à ce que croit et enseigne l’Église.

6. L’année 1988, que vous aviez proclamée «Année de la famille», a donné un élan nouveau à la pastorale familiale. Dans vos diocèses, des prêtres et de nombreux couples s’emploient à guider les jeunes dans leur croissance affective, et à accompagner les fiancés qui se préparent au bel engagement du mariage chrétien. Ils aident aussi les couples dans les temps difficiles qu’ils peuvent connaître. Qu’ils soient remerciés pour ce travail qu’ils accomplissent inlassablement. Dans votre pays, le nombre des divorces ne cesse de croître, occasionnant pour les couples eux-mêmes et pour les enfants de graves traumatismes et de profondes souffrances. Le mariage chrétien rappelle que la relation conjugale ne peut reposer sur la simple recherche du plaisir. Elle est fondée sur l’engagement libre et définitif des deux conjoints. Je n’ignore pas que, dans son existence, tout couple vit des temps de joies et des temps d’épreuve qui conforment son histoire à l’expérience pascale du Sauveur, expérience où se mêlent la douleur du Vendredi saint et la lumière du matin de Pâques. Ces temps sont nécessaires à la purification et à la maturation de l’amour. Vous m’avez exprimé votre souffrance et celle de beaucoup de vos diocésains à propos de la nouvelle législation sur l’avortement, face à laquelle des personnes ont eu un comportement courageux et prophétique. L’Église est invitée à manifester, à temps et à contretemps, la grandeur de toute vie humaine qui naît d’un acte d’amour responsable, où les conjoints sont appelés, par le Créateur, à collaborer à la création. Le véritable bonheur vient du don de la vie.

Dans vos diocèses, des hommes et des femmes s’emploient à soulager la souffrance des blessés de la vie et de l’amour, pour qu’ils découvrent la tendresse de Dieu qui leur permet de vivre dans la dignité. Les prêtres ont à coeur d’accueillir les divorcés-remariés pour leur donner les moyens de vivre leur vie baptismale. Mais cet accueil respectueux des personnes et des situations doit tenir compte de la parole même du Christ[8]. Une seconde union est en contradiction avec la nature du sacrement de mariage, où est signifié l’amour indéfectible du Christ pour son Église. Il convient d'éviter que des célébrations entretiennent des confusions dommageables pour les couples considérés, pour leur entourage et pour l’ensemble des chrétiens.

7. Le phénomène de l’immigration est parfois vécu douloureusement par vos compatriotes. À cela, s’ajoutent les difficultés liées à l’existence des deux communautés linguistiques qui ont à vivre ensemble au sein du royaume. À une époque où les particularismes et les exclusions de toute sorte se font sentir, j’invite les chrétiens et les hommes de bonne volonté à favoriser la paix, l’unité nationale et l’accueil de chaque personne, indépendamment de son origine et de sa culture.

8. Au terme de notre entretien, je souhaite que votre semaine de pèlerinage et vos rencontres avec mes collaborateurs vous confortent dans votre mission d’évêques, chargés de conduire et de sanctifier le peuple chrétien. Portez à tous vos diocésains, aux prêtres, aux diacres et aux laïcs les encouragements du successeur de Pierre. J’adresse un salut spécial aux religieux et aux religieuses. Vous me dites la présence inestimable qu’ils assurent dans de nombreux services d’Église et leur souci de coopérer à la pastorale de vos diocèses. Prions pour que chaque chrétien réalise pleinement sa mission de baptisé, selon le coeur de Dieu. À vous-mêmes, et à tous vos fidèles, je donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.


[1] N. 10.
[2] Mt 5,13.
[3] Mt 13,3-9.
[4] Cf. Pastores dabo vobis, nos. PDV 21-22.
[5] No. CL 30.
[6] Cf. Jn 13,15.
[7] Cf. CIC 129.
[8] Cf. Mt 19,6.



À S.E. MONSIEUR KAZYS LOZORAITIS, NOUVEL AMBASSADEUR DE LITUANIE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi, 11 juillet 1992



Monsieur l’Ambassadeur,

1. En ce jour, la venue de Votre Excellence dans la demeure de l’Évêque de Rome représente bien plus qu’une cérémonie ordinaire de présentation des Lettres de créance, car il s’agit d’une rencontre longtemps espérée par le Siège Apostolique et la Lituanie. Aussi, ma joie est-elle grande de vous accueillir avec la prédilection que l’Église a toujours manifestée à ce peuple d’Europe, le dernier à être entré dans la grande famille chrétienne, et avec la même émotion que celle qu’éprouva mon prédécesseur Benoît XV en 1918, lorsqu’il salua l’indépendance recouvrée par votre nation.

Soyez remercié, Monsieur l’Ambassadeur, pour vos paroles pleines de délicatesse et d’enthousiasme. Comme vous, je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas aujourd’hui d’établir des relations nouvelles entre la Lituanie et le Saint-Siège, mais bien de leur redonner tout leur lustre, après ce long demi-siècle au cours duquel le Palais apostolique est toujours resté ouvert à la Légation lituanienne qui maintenait à Rome la présence fidèle de votre peuple éprouvé.

Dès le treizième siècle, vous l’avez rappelé, l’histoire a rapproché les Lituaniens de la papauté. Les liens devinrent étroits lors du baptême du peuple, à la suite de Vytautas et de Jagellon. Et, par ailleurs, comment pourrais-je ne pas évoquer l’union qui fut alors conclue, et qui devait durer des siècles, entre la Pologne et la Lituanie?

Au cours des âges, le chemin parcouru par le peuple lituanien devait être bien souvent un chemin d’épreuve et de souffrance, marqué par la lutte pour sauvegarder une identité parfois près d’être obscurcie, jalonné par des martyrs de la patrie qui furent aussi des martyrs de la foi catholique. Le souvenir reste particulièrement vif et douloureux des dernières décennies, au cours desquelles la Lituanie a subi l’assaut destructeur des deux idéologies qui prétendirent imposer par la force à l’Europe et au monde des conceptions de la vie radicalement contraires à la vocation de l’homme à la liberté religieuse et civile. Nous garderons la mémoire des souffrances extrêmes de plusieurs évêques, de milliers de prêtres et de croyants, d’intellectuels et d’hommes politiques, d’ouvriers et d’agriculteurs, de familles entières, voués à la déportation, le plus souvent sans retour. Beaucoup d’entre eux figurent désormais dans la grande foule des persécutés pour la foi. Et l’histoire ne peut oublier non plus le même sort tragique que connut la communauté juive, de Vilnius et de Kaunas surtout, à cause d’un racisme atroce qui voulait la faire disparaître de la face de la terre. On ose à peine rappeler que ce funeste destin commun des fils de votre terre était inscrit dans des pactes iniques dont le secret voulait cacher le caractère ténébreux.

2. Désormais, grâce à la venue de Votre Excellence près le Saint-Siège et à la présence du Nonce Apostolique à Vilnius, les relations de la Lituanie et du Saint-Siège retrouvent leur plein exercice dans la confiance mutuelle, pour un dialogue permanent.

En cette circonstance, le premier voeu que je formule avec vous est que la Lituanie voie son avenir fondé sur des garanties qui assurent à l’homme une qualité de vie affranchie de toute crainte et dans la prospérité. Il s’agit maintenant pour votre pays de construire avec patience sa vie nationale et ses institutions démocratiques, en sachant que toutes les conséquences de l’indépendance ne peuvent être acquises qu’au cours de processus progressifs plus ou moins longs. Les changements multiples survenus au cours de l’histoire ont entraîné, en particulier, la présence d’importantes minorités dans votre territoire; je vous ai entendu avec satisfaction déclarer que les dirigeants feront en sorte que ces divers groupes voient sauvegardées leurs propres richesses culturelles dont tous bénéficieront.

Monsieur l’Ambassadeur, vous avez situé au coeur des libertés recouvrées dans votre pays, la liberté religieuse que le Conseil suprême et le Gouvernement désirent promouvoir. Cela va dans le sens de la position de l’Église, convaincue que la liberté de conscience et de religion constitue un fondement des autres libertés humaines, ce qui doit faire l’objet d’un large consensus, antérieur aux options particulières d’ordre philosophique ou religieux.

3. Tous les Lituaniens, j’en suis sûr, de même que les Autorités qui les représentent, comptent sur leurs compatriotes catholiques pour qu’ils apportent leur contribution spécifique à la vie nationale, à commencer par ceux qui font partie des instances législatives et de l’exécutif. Ils recourront à l’éclairage de la doctrine sociale de l’Église qui n’a cessé de s’enrichir à la suite du Concile Vatican II. En union avec les croyants d’autres traditions et avec leurs frères et soeurs de bonne volonté, les Lituaniens catholiques pourront s’inspirer de valeurs humaines essentielles telles que le rapport profond existant entre le développement et la paix, la dignité du travail comme condition de la dignité du travailleur, la destination universelle des biens de la terre, la sauvegarde de la création, le respect scrupuleux de la dignité de la personne, les exigences de l’amour et de la justice, l’honneur de la famille comme première cellule sociale, les droits de l’homme en commençant par le droit à la vie.

4. Pour sa part, l’Épiscopat lituanien, avec son clergé, désire s’engager dans un vaste effort de catéchèse, afin de former les chrétiens et de rendre la communauté catholique toujours plus attentive au message spirituel et social du Concile Vatican II. Ces assises capitales de l’Église ont eu lieu en un temps où de nombreux prélats, prêtres et fidèles étaient contraints à renouveler l’expérience des catacombes; à présent, il paraît d’autant plus nécessaire que son message soit connu en Lituanie. La conjoncture historique actuelle de la nation semble très favorable pour proposer ouvertement les vérités de la foi, y compris par les moyens de communication sociale, et pour que rentrent dans la vie quotidienne la solidarité, l’esprit fraternel, la charité et l’engagement pour la justice que la foi inspire. Croyant en l’Incarnation du Fils de Dieu, l’Église désire «s’incarner» dans toutes les réalités qui demandent esprit de service et don de soi.

Tout cela suppose que le clergé et le laïcat tracent de nouveaux chemins pour la sanctification des personnes et pour l’engagement fraternel au service de tout homme. Pour faire face aux difficultés résultant de décennies d’épreuves, la Conférence épiscopale, présidée par le vénéré Cardinal Vincentas Sladkevicius, est en train de se donner de nouveaux statuts, afin d’élargir et d’améliorer son action ecclésiale et sociale. Les prêtres s’ouvrent à des formes d’apostolat que, tout récemment encore, ils étaient empêchés d’accomplir. Les ordres religieux masculins et féminins sont en cours de réorganisation. Les candidats au sacerdoce reçoivent déjà une formation qui les prépare à assumer des responsabilités antérieurement exclues de leur horizon pastoral. Les grands mouvements laïcs dont l’Église s’est enrichie ces dernières décennies désirent offrir leur aide à leurs frères lituaniens. Ainsi, l’Église qui est en Lituanie se prépare à prendre une part active à la «nouvelle évangélisation de l’Europe», devenue nécessaire après la période tourmentée qui s’achève.

5. Monsieur l’Ambassadeur, dans votre pays et dans le monde, les motifs d’inquiétude ne manquent assurément pas, séquelles pénibles des années où la liberté de la nation était entravée et sa dignité bafouée. Il faut espérer que de telles difficultés seront résolues dans un climat de dialogue franc et constructif entre les États intéressés, dialogue que tous souhaitent, à commencer par les Nations Unies et les différentes instances européennes. Le Saint-Siège, pour sa part, fait confiance à ces capacités de dialogue et il est toujours prêt à y apporter sa contribution spécifique, libre de tout intérêt temporel, afin de parvenir à une solution rapide et digne de tout pays qui, démocratiquement, cherche à ouvrir de nouvelles voies à la paix et à la concorde interne et internationale. Dans les différents cadres existants, j’ai l’espoir que la Lituanie pourra apporter sa contribution originale et qu’elle trouvera les appuis dont elle a besoin aussi bien pour affermir son économie que pour assurer sa sécurité, renforcer ses institutions et développer sa vie culturelle, en un mot pour épanouir sa dignité nationale.

Mais, dans votre pays et dans le monde, les raisons d’espérer ne manquent pas non plus. A tout bien considérer, même si cela n’est pas toujours remarqué, les motifs d’optimisme l’emportent sur ceux qui inspirent le pessimisme. En particulier, il est de bon augure que progressent la conscience d’un monde toujours plus interdépendant et la conscience du devoir qui revient à la communauté internationale de bâtir une paix mieux garantie dans la solidarité. Restons aujourd’hui dans cette perspective, en rendant grâce à Dieu, et en lui demandant de donner sagesse, force et courage à tous ceux qui sont des artisans de paix.

6. Comme témoignage de l’estime et du respect que j’éprouve à l’égard de la Lituanie et des deux autres pays baltes, ses voisins géographiques qui ont partagé les mêmes épreuves, je suis heureux de saisir l’occasion de la présentation des Lettres de créance de Votre Excellence pour annoncer que j’accepte volontiers l’invitation que j’ai reçue des Autorités ecclésiales et civiles à me rendre en visite pastorale dans les pays baltes. Cette invitation, que vous venez de renouveler au nom du président du Conseil suprême et de vos compatriotes, rejoint un désir qui, depuis longtemps, m’animait, comme j’ai eu l’occasion de le manifester notamment en 1984, lors du Vème centenaire du baptême de saint Casimir, patron de la Lituanie, et en 1987, lors du VIème centenaire du «baptême» de la Lituanie. Avec l’aide de Dieu, j’espère pouvoir me rendre dans ces trois pays, l’an prochain, au mois de septembre 1993. Je confie ce projet à l’intercession maternelle de Marie que les catholiques baltes vénèrent dans les sanctuaires de la Porte de l’Aurore à Vilius, de Silova en Lituanie, et d’Aglona en Lettonie.

7. Monsieur l’Ambassadeur, je vous saurais gré d’exprimer à Son Excellence Monsieur Vytautas Landsbergis, Président du Conseil suprême, ma gratitude pour le message déférent et l’invitation dont il vous a chargé. Vous voudrez bien l’assurer de mes voeux fervents pour l’accomplissement de sa mission, ainsi que pour le bonheur de la noble et bien-aimée nation lituanienne.

Excellence, votre présence à Rome remonte à la perte de l’indépendance de votre pays; désormais, c’est en qualité d’Ambassadeur de Lituanie que vous y poursuivez votre activité. Je forme les voeux les meilleurs pour vous-même et pour votre famille; j’espère que vous connaîtrez beaucoup de satisfactions dans l’exercice de vos tâches pour développer les excellentes relations qui unissent votre pays et le Saint-Siège. Sachez que mes collaborateurs vous apporteront très volontiers l’aide et le soutien dont vous pourrez avoir besoin.

J’invoque sur tous les Lituaniens l’intercession bienveillante de Notre-Dame, de saint Casimir, du bienheureux Jurgis Matulaitis. De grand coeur j’appelle sur les dirigeants et les membres de votre nation, sur vous-même, sur votre famille et sur vos collaborateurs l’abondance des Bénédictions de Dieu.



Octobre 1992



Discours 1992 - Lundi, 22 juin 1992