Discours 1992 - Jeudi, 26 novembre 1992


À S. E. MONSIEUR HENRY SÖDERHOLM, NOUVEL AMBASSADEUR DE FINLANDE PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi, 28 novembre 1992


Monsieur l’Ambassadeur,


C’est avec joie que j’accueille Votre Excellence à l’occasion de la présentation des Lettres qui L’accréditent auprès du Siège apostolique en qualité d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République de Finlande.

Je suis sensible aux paroles que vous m’avez adressées rappelant la cordialité et la qualité des relations qui unissent le Saint-Siège et votre pays. Je vous remercie, en particulier, de m’avoir transmis le message courtois et déférent de Son Excellence Monsieur Mauno Koivisto, Président de la République de Finlande. Je vous saurais gré de lui exprimer mes vives salutations, en lui redisant combien je garde en mémoire l’accueil chaleureux qui m’a été offert par les autorités civiles comme par le peuple finlandais, lors de ma visite pastorale en 1989.

Par votre présence dans ces lieux et par votre message, Monsieur l’Ambassadeur, vous témoignez de l’estime et de l’intérêt que votre nation porte aux questions humaines, morales, spirituelles et religieuses. Pour l’ensemble des États européens, votre pays revêt une signification importante et demeure un exemple dans le contexte actuel. Pendant toute la période où l’idéologie communiste maintenait fermement l’Europe de l’Est sous le joug de l’oppression, votre nation et ses dirigeants ont conservé leur unité nationale, affermi la démocratie représentative à l’intérieur de leurs frontières et sauvegardé leur indépendance dans leurs relations avec les États voisins. Mais cette tradition s’accompagne aussi d’une grande attention aux hommes d’autres pays et d’un souci constant d’ouverture et de solidarité qui honorent la Finlande.

On retrouve ces qualités spécifiques dans les grands moments de l’histoire de la Finlande. Elles ont été reconnues par l’ensemble des dirigeants des nations à l’Est comme à l’Ouest, et elles ont permis à des gouvernements qui s’opposaient d’être accueillis sur votre sol, de se rencontrer et d’engager de sérieuses négociations au sein de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe, forum d’une portée et d’une ampleur considérables dans le domaine des relations internationales.

Ainsi, votre capitale est devenue un lieu hautement symbolique de la construction d’une Europe fraternelle. Désormais, depuis la signature de l’Acte final, le 1er août 1975, le nom d’Helsinki reste lié à des aspects essentiels de la coopération entre les États du continent européen.

Le Saint-Siège, qui fut un des premiers à s’engager dans le processus qui a donné le jour à la CSCE, demeure très attaché, comme vous le souligniez, à une Europe dont une des bases fondamentales est la paix. Malheureusement, la guerre en Bosnie-Herzégovine reste une plaie au coeur du continent. Au sein de la force des nations Unies, certains de vos compatriotes apportent leur contribution au processus de paix et au nécessaire devoir humanitaire à l’égard des populations concernées. La croissance des personnes et des peuples ne peut se faire sans que soient pleinement respectées et reconnues par tous les valeurs morales fondamentales, qui trouvent leur heureuse expression dans l’Acte final de la Conférence et dans la Charte de Paris: le respect des personnes, quelle que soit leur appartenance ethnique, ainsi que des libertés essentielles comme celles de pensée, de conscience, de religion ou de conviction, le respect des limites territoriales, la non-ingérence dans les affaires intérieures et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la collaboration entre les États pour une vie plus conviviale et une solidarité qui dépasse les limites nationales, sans oublier l’engagement pris par tous les signataires de régler leurs différends par des moyens pacifiques.

Je forme des voeux fervents pour que, motifs d’espérance, les dispositions de l’Acte final d’Helsinki contribuent à affermir la paix entre les personnes et entre les peuples, une paix qui passe nécessairement par la réconciliation où chacun, faisant taire les tensions et les divisions du passé par une purification de la mémoire et une conversion du coeur, s’engage au service de son pays comme de la communauté internationale.

Ma pensée se tourne vers l’ensemble de vos concitoyens. Je souhaite qu’au sein de l’Europe ils puissent partager avec leurs frères le sens du dialogue et le désir de la pacification dont ils ont souvent su faire preuve. Mon regard se tourne aussi vers les catholiques de Finlande. Ils sont peu nombreux, mais ils souhaitent participer activement à la vie sociale de leur pays, grâce aux relations constructives qu’ils entretiennent avec les communautés d’autres confessions religieuses, dans un esprit oecuménique et de charité fraternelle, et grâce au bon accueil que les autorités ont réservé aux pasteurs venus prendre soin des fidèles catholiques.

Au moment où commence votre mission de Représentant de la République de Finlande, je souhaite, Monsieur l’Ambassadeur, que votre séjour vous apporte beaucoup de joie. En contemplant la Ville depuis la colline du Janicule et en en découvrant les multiples richesses, vous pourrez percevoir les liens entre la culture à laquelle vous appartenez et la culture romaine, pour en faire apparaître la complémentarité. Pour leur part, les relations diplomatiques traduisent la confiance mutuelle qui nous unit. Soyez assuré que vous trouverez toujours auprès de mes collaborateurs un soutien attentif et un accueil cordial.

Sur Votre Excellence, sur le peuple finlandais et sur ses dirigeants, j’invoque de grand coeur l’abondance des Bénédictions divines.


Décembre 1992


ALLOCUTION DU SAINT-PÈRE JEAN-PAUL II À LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LA NUTRITION

Samedi, 5 décembre 1992



Monsieur le Président,

Messieurs les Directeurs généraux,
Messieurs les Ministres,
Messieurs les Représentants permanents,
Mesdames, Messieurs,

1. J'ai accueilli avec une vive satisfaction votre invitation à prendre la parole lors de l'ouverture de la Conférence internationale sur la nutrition, qui rassemble les plus hauts responsables mondiaux dans ce secteur d'une si grande importance. Vous venez de pays très divers et vos cultures aussi présentent une grande diversité, mais c'est, pour l'essentiel, le même service qui, chaque jour, vous mobilise afin d'arriver à ce que chaque être humain jouisse d'un niveau de vie plus conforme à sa dignité de personne: en la présente circonstance, je suis sûr que vous ne manquerez pas de progresser ensemble dans ce sens.

Je voudrais rendre hommage aux deux grandes Organisations intergouvernementales qui ont pris cette initiative et la font aboutir grâce à leurs efforts communs et à l'expérience qu'elles ont acquise au service de l'humanité: l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture, et l'Organisation mondiale de la Santé. L'engagement personnel de leurs Directeurs généraux, Monsieur Saouma et Monsieur Nakajima, est le premier signe d'une volonté commune de ne pas faire de cette Conférence une manifestation formelle, mais le point de départ d'une action renouvelée et plus vigoureuse, inspirée par les devises des deux Organisations: «Alimentation pour tous» et «Santé pour tous».

Grâce au dynamisme de vos Organisations, l'alimentation et la santé sont devenues des priorités pour la communauté internationale qui cherche à faire en sorte que personne n'en soit privé. L'Eglise ne cessera jamais de montrer sa sympathie pour ces efforts, de les soutenir par sa parole et par son action, fidèle à l'enseignement de son fondateur, lui qui, face à une multitude affamée, a fait preuve d'une compréhension généreuse (cf. Mt 15,32).

2. Par son thème, votre Conférence rappelle que la nutrition, qu'il s'agisse de l'approvisionnement ou des conditions sanitaires, constitue un élément fondamental dans la vie de chaque personne, de chaque groupe, de chaque peuple de la terre. Mais la Conférence montre aussi que, malgré les efforts déjà accomplis par la communauté internationale, il existe des obstacles et des déséquilibres - et souvent ils s'aggravent - qui empêchent des millions d'hommes et de femmes de pourvoir convenablement à leur nutrition. C'est là un grave avertissement pour la conscience commune de l'humanité.

Les multitudes qui sont privées d'une nourriture appropriée et saine, au prix même de leur vie, comptent aujourd'hui sur vos travaux pour que l'on décide des interventions courageuses afin d'éloigner de l'humanité le spectre de la faim et de la malnutrition. Ces frères et soeurs vous demandent de considérer comme un devoir de justice de vous engager avec détermination dans la voie d'une solidarité toujours plus active, seul moyen pour que tous puissent partager équitablement les biens de la création. Ils attendent de cette conférence que les rappels éthiques nécessaires conduisent à des résolutions qui prennent force juridique, conformément au droit international.

Vous devez entendre ici les cris de douleur de millions de personnes devant le scandale provoqué par le «paradoxe de l'abondance», qui constitue l'obstacle principal à la solution des problèmes nutritionnels de l'humanité. La production alimentaire mondiale - vous le savez bien - est assez abondante pour satisfaire largement les besoins d'une population même en augmentation, à condition que les ressources pouvant permettre l'accès à une nutrition convenable soient réparties en fonction des besoins réels. Je ne puis que souscrire aux termes qui ouvrent votre projet de Déclaration mondiale sur la nutrition: «La faim et la malnutrition sont inacceptables dans un monde qui dispose à la fois des connaissances et des ressources voulues pour mettre fin à cette catastrophe humaine» (n. 1).

Cependant, le paradoxe continue d'entraîner tous les jours des conséquences dramatiques. D'une part, nous sommes impressionnés par les images d'une partie de l'humanité condamnée à mourir de faim à cause de calamités naturelles qui s'aggravent, à cause de désastres provoqués par l'homme,, à cause des obstacles mis à la distribution des ressources alimentaires, à cause des restrictions qui sont imposées au commerce des productions locales en privant les pays les plus pauvres des bénéfices du marché. D'autre part, nous assistons aux dénis de la solidarité: la destruction de récoltes entières, les exigences égoïstes que comportent les modèles économiques en vigueur, le refus des transferts de technologie, les conditions mises à l'octroi des aides alimentaires même dans des cas où l'urgence est évidente.

Les causes et les effets de ce paradoxe, avec ses multiples éléments contradictoires, sont soumis une fois encore à votre attention dans le cadre de cette Conférence; il suffit de rappeler ici des faits inacceptables: la faim provoque chaque jour la mort de milliers d'enfants, de personnes âgées et de membres des groupes les plus vulnérables; une partie considérable de la population mondiale n'arrive pas à se procurer l'indispensable ration alimentaire quotidienne de base; sur des multitudes pèsent lourdement la pauvreté, l'ignorance, et des conditions politiques qui les obligent à quitter par milliers leurs foyers pour aller à la recherche d'une terre où elles puissent trouver à se nourrir.

3. Aujourd'hui, Mesdames, Messieurs, vos responsabilités sont considérables. La Conférence internationale sur la Nutrition, après des recherches approfondies, présentera à la communauté internationale une analyse lucide de la situation nutritionnelle et sanitaire dans la monde; elle proposera aussi un cadre juridique et politique pour des interventions nécessaires et concrètement réalisables. Grâce à cette Conférence, toute l'humanité pourra savoir ce que les Gouvernements et les Institutions internationales décideront de faire pour agir effectivement en faveur des plus pauvres.

Il s'agit pour vous de mettre sous une nouvelle lumière le droit fondamental à la nutrition, qui appartient en propre à chaque personne humaine. La Déclaration universelle des Droits de l'homme affirmait déjà le droit de manger à sa faim. On doit maintenant assurer à tous, pour l'application de ce droit, l'accès à la nourriture, la sécurité alimentaire, une alimentation saine, une formation aux techniques de la nutrition. Bref, il faut que tous bénéficient de conditions de vie personnelles et communautaires qui permettent le développement plénier de tout être humain, à tout moment de son existence.

Bien souvent, des situations où la paix est absente, où la justice est bafouée, où le milieu naturel est détruit, mettent des populations entières en grand danger de ne pouvoir satisfaire leurs besoins alimentaires premiers. Il ne faut pas que les guerres entre nations et les conflits internes condamnent des civils sans défense à mourir de faim pour des motifs égoïstes ou partisans. Dans ces cas, on doit de toute façon assurer les aides alimentaires et sanitaires, et lever tous les obstacles, y compris ceux qui proviennent de recours arbitraires au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un pays. La conscience de l'humanité, désormais soutenue par les dispositions du droit international humanitaire, demande que soit rendue obligatoire l'ingérence humanitaire dans les situations qui compromettent gravement la survie de peuples et de groupes ethniques entiers: c'est là un devoir pour les nations et la communauté internationale, comme le rappellent les orientations proposées à cette Conférence.


4. L'humanité se rend compte aujourd'hui que le problème de la faim ne pourra être résolu sur le plan local, mais seulement grâce à un développement global. L'accès à des ressources disponibles doit être garanti; la formation des plus défavorisés et leur participation aux responsabilités doivent être assurées. Pour atteindre ces objectifs, il est toujours plus nécessaire que se répande une conception des relations économiques qui dépasse les divisions existantes entre les pays et qui soit fondée sur une vraie solidarité et sur le partage des ressources et des biens produits.

En ce qui concerne les ressources alimentaires, on doit insister sur la nécessité non pas tellement d'augmenter globalement la production, mais d'en assurer la distribution effective, en privilégiant les zones à risques. Il importe aussi que les populations sur lesquelles pèsent les effets de la malnutrition et de la faim puissent recevoir une éducation qui les prépare à pourvoir elles-mêmes à une alimentation saine et suffisante.

La Déclaration et le Plan d'action que votre Conférence est appelée à approuver placent la cellule familiale au centre de ce programme pour l'éducation et la formation. J'en prends acte avec satisfaction. De même, il est juste d'affirmer qu'il est impossible d'envisager une éducation sérieuse à la nutrition et, plus généralement, de préparer un état du monde où seront éliminées les divisions et les souffrances actuelles, sans l'engagement pris en commun de reconnaître à la famille et à ses membres leurs propres droits, et de leur garantir les moyens indispensables pour renforcer leur rôle essentiel dans la société.

A propos de la nutrition, on pensera à mieux soutenir les femmes, en raison de leurs tâches qui deviennent capitales dans les régions rurales à risque du point de vue alimentaire: la femme est mère et éducatrice, agent économique et principale responsable de la gestion domestique. On sera aussi spécialement attentif aux enfants, afin de protéger leur droit fondamental à la vie et à la nutrition, droit qui a été proclamé récemment par la Convention sur les droits de l'enfant. On ne peut oublier non plus de reconnaître le droit du couple à décider de sa procréation et de l'espacement des naissances. Il est clair que seules des conditions de vie qui éloignent toujours davantage, pour des millions de personnes, les formes extrêmes de la pauvreté peuvent favoriser une maternité et une paternité responsables et garantir le libre exercice de ce droit fondamental du couple.

5. L'Eglise, vous le savez, lorsqu'elle remplit sa mission d'annoncer la «Bonne Nouvelle à toutes les nations», désire être particulièrement proche de l'humanité souffrante, pauvre et affamée. Il ne lui appartient pas de proposer des solutions techniques, mais elle est toujours disposée à soutenir de toutes ses forces ceux qui travaillent pour renforcer la solidarité internationale et promouvoir la justice entre les peuples. Pour sa part, l'Eglise le fait en proclamant que la loi de l'amour de Dieu et du prochain est le fondement de la vie sociale. Elle se rend bien compte aussi que «son message social sera rendu crédible par le témoignage des oeuvres» (Centesimus annus CA 57). C'est en cherchant à agir selon la loi d'amour que ses institutions et ses diverses organisations prennent de nombreuses initiatives pour se mettre directement au service des pauvres, des affamés, des malades, de ces «plus petits» qui sont l'objet de la prédilection de Dieu. Nous ne pouvons oublier qu'au terme de l'histoire nous aurons à répondre, devant le Seigneur, de notre action pour le bien de nos frères (cf. Mt 25,31-46).

C'est pourquoi le Pape vous demande, à vous qui participez à la conférence internationale sur la nutrition, d'oeuvrer afin qu'à aucune personne ne soient refusés le pain quotidien et les soins nécessaires à la santé. Il faut donc dépasser les calculs et les intérêts particuliers: il faut soutenir et développer les initiatives de l'organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture et de l'Organisation mondiale de la Santé destinées à garantir un minimum nutritionnel à tons les peuples de la planète. Par un tel engagement, on pourra donner au Plan d'action de cette Conférence l'autorité nécessaire pour que soient mis en oeuvre les principes de la Déclaration mondiale sur la Nutrition.

Il faut notamment que, partout, les Etats, les organisations inter-gouvernementales, les institutions humanitaires et les associations privées soient convaincus qu'aucun critère politique ni aucune loi économique ne peut permettre de porter atteinte à l'homme, à sa vie, à sa dignité, à sa liberté. Tous les peuples doivent apprendre à partager la vie des autres peuples, à réaliser la mise en commun des ressources de la terre que le Créateur a confiées à l'humanité tout entière.

Dans cet esprit, je forme des voeux fervents pour le succès de vos travaux et j'invoque la Bénédiction du Très-Haut sur vous-mêmes et sur tous les peuples de la terre.



AUX ÉVÊQUES FRANÇAIS DE LA RÉGION APOSTOLIQUE «PROVENCE-MÉDITERRANÉE» EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi, 11 décembre 1992



Monsieur le Cardinal,
Chers Frères dans l’Épiscopat,


1. Avec votre région apostolique Provence-Méditerranée s’achève l’ensemble des visites ad Limina des Évêques de France. Je suis heureux de vous accueillir à votre tour, alors que vous accomplissez ce pèlerinage auprès des tombeaux des Apôtres fondateurs de l’Église à Rome et que vous venez réfléchir à l’accomplissement de votre charge pastorale auprès du successeur de Pierre et de ses collaborateurs.

En ce qui me concerne, les rencontres de cette année m’ont permis de mieux partager vos préoccupations. J’ai apprécié la manière lucide et confiante avec laquelle les Évêques de France m’ont exprimé les soucis qui les habitent et présenté les réalisations qui sont des signes d’espérance pour l’avenir de l’Église dans votre pays.

La région apostolique Provence-Méditerranée est une terre magnifique, vivante, accueillante. Dès la haute antiquité, l’Église y fut enracinée. Et les évangélisateurs, venus sur vos rivages, ont avancé à l’intérieur du pays; puis des générations de missionnaires sont parties de chez vous pour étendre le rayonnement de la Bonne Nouvelle, notamment en Afrique. À notre époque, vos cités et vos campagnes connaissent une évolution pleine de vitalité. Mais, vous le soulignez dans vos rapports, humainement, il reste des zones moins favorisées; la pauvreté des uns s’aggrave et contraste douloureusement avec la richesse voyante des autres. Du point de vue ecclésial, vous connaissez aussi maintes formes de pauvreté.

2. Pasteurs, vous êtes les premiers porteurs du message évangélique qui annonce à l’homme le bonheur et le vrai sens de sa vie. La route que prend l’Église est celle de l’homme, à la fois fragile et fort, avec son ouverture naturelle à la présence de Dieu. Vous êtes les témoins de la grâce du Fils venu apporter la révélation du dessein du Père, s’offrir lui-même dans le sacrifice de la Croix pour vaincre le péché et la mort et pour ouvrir les voies de la réconciliation. Au nom du Christ, l’Église appelle ceux qui sont membres de son Corps par le baptême à vivre plus intensément dans la communion d’où jaillissent d’abondants fruits spirituels.

Il est vrai que beaucoup de baptisés ne participent pas pleinement à la vie ecclésiale; en se séparant du Corps, ils se coupent de la source de la Vie nouvelle. Ils auraient besoin de redécouvrir que l’Église, qui transmet le message de la Révélation dont elle est dépositaire, est le lieu de la présence vivante de Dieu parmi les hommes et le lieu où se manifeste la rédemption. L’Église, comme le dit le Concile Vatican II, est, «dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain». Il faut toujours revenir à cette affirmation essentielle de la constitution Lumen Gentium[1] pour donner toute sa dimension à notre mission. Le visage et la fonction de l’Église ne peuvent être compris si l’on ne va pas jusqu’au fond de sa nature: en nous conférant le baptême, elle est Mère, elle nous engendre à la vie dans le Christ, elle nous sanctifie et nous transmet le don de l’Esprit Saint. Dans l’Eucharistie, offrande d’action de grâce au Père et lien de communion entre nous, il nous est donné de participer au sacrifice rédempteur du Christ. Hors de cette dimension sacramentelle, on ne peut avoir de l’Église qu’une vision superficielle, voire dénaturée.

Il me semble qu’il faut aujourd’hui ranimer chez les catholiques l’amour de l’Église qu’ils constituent ensemble et qu’ils n’ont pas à regarder comme de l’extérieur. L’Église n’est pas une simple association, mais une véritable communion. Pour illustrer ce propos, il me plaît de citer ici saint Irénée qui fut évêque de Lyon: «Au-dessus de toutes choses, il y a le Père, et c’est lui la tête du Christ; à travers toutes choses, il y a le Verbe, et c’est lui la tète de l’Église; en tous, il y a l’Esprit, et c’est lui l’Eau vive octroyée par le Seigneur à ceux qui croient en lui avec rectitude, qui l’aiment et qui savent qu’il n’y a qu’un seul Dieu Père»[2]. Conscients de leur dignité de fils responsables au sein de la famille chrétienne, les baptisés pourront mieux accueillir le message prophétique transmis par l’Église, le dépôt de la foi comme les règles morales qui en découlent.

Par ailleurs, il faut redire avec force que les fidèles ne pourraient remplir leur mission d’annoncer l’Évangile au monde s’ils n’aimaient pas aussi ce monde où le Fils de Dieu s’est incarné. Sans sympathie pour son frère, comment peut-on l’accueillir et partager avec lui ce qu’on a de plus précieux? Dans une solidarité amicale avec le monde, il n’est pas question pour autant d’amoindrir la vérité et la vigueur du message, mais de comprendre les attentes des hommes pour leur faire découvrir, en un langage approprié, la réponse du Christ qui, seule, peut les combler.

3. Ne nous lassons pas d’aider nos frères et nos soeurs à mieux saisir la portée du mystère de l’Église qui conduit au mystère du salut. Elle est un corps vivant qui se rassemble autour du Christ Sauveur grâce aux successeurs des Apôtres. Elle demeure, d’une génération à l’autre, solidaire de ses devanciers qui sont présents auprès du Père, dans la communion des saints: leur vivante mémoire nourrit la Tradition que nous sommes chargés de garder vivante aujourd’hui.

L’Église est communion dans la prière et la vie liturgique où elle célèbre et proclame sa foi, la foi commune, reçue des Apôtres. L’Esprit, comme le Christ l’a promis, fait connaître la vérité entière. Il est communiqué à chacun par le sacrement de la confirmation dont vous soulignez l’importance chez les jeunes qui le reçoivent avec une préparation sérieuse. Il avive en nous la soif de scruter l’Écriture et d’approfondir le dessein de Dieu dévoilé par le Fils à la plénitude des temps.

L’Église, dans la diversité de ses membres, est appelée à rendre un témoignage unanime au Christ, qui est mort et ressuscité pour permettre à ses frères d’entrer dans le Royaume de Dieu. Ayant en nous les sentiments qui furent ceux de Jésus, nous devons être les serviteurs attentifs des pauvres, des marginaux, des étrangers qui sont nombreux dans votre région, de tous ceux qui cherchent à tâtons comment répondre à leurs nécessités matérielles, à leur besoin de convivialité chaleureuse et aussi à leur quête de l’espérance et du bonheur.

4. Chers Frères dans l’épiscopat, si j’ai voulu rappeler ici ces quelques traits du mystère de l’Église et de sa mission, c’est parce que l’Évêque, au nom du Seigneur et en communion avec le Siège Apostolique, est le garant de l’unité du corps ecclésial dans la charité et dans la fidélité à l’Évangile.

Par votre ministère pastoral, vous avez la charge de veiller à ce que l’Église remplisse sa mission pour toute la population de votre région. Les premiers, vous avez la responsabilité de la présence de l’Église dans la société; non seulement au nom des traditions et de la culture chrétienne que vous souhaitez à bon droit garder vivantes et authentiques dans votre pays, mais par souci du service de tous. Vos rapports évoquent ceux qui bénéficient du développement économique, culturel et technique de votre région et ceux qui sont laissés en marge dans les secteurs qui se dépeuplent ou les poches de pauvreté; ceux qui connaissent, devant la foi, des difficultés résultant de leur formation et de leur activité scientifiques, et ceux qui se laissent absorber par un certain matérialisme pratique fermé à la dimension spirituelle de l’existence. Ces indications, retenues dans ce que vous m’avez confié, soulignent l’importance d’une présence active de l’Église au coeur de la vie de la cité.

Naturellement, les divers membres de la communauté diocésaine sont concernés avec vous. Les synodes diocésains ou les démarches analogues accomplies ces dernières années ont, je crois, avivé chez beaucoup de fidèles, laïcs et clercs, la conscience de leur mission commune et le désir d’une vitalité plus féconde de vos Églises particulières.

5. Dans mes rencontres avec les évêques des autres régions de France, j’ai déjà évoqué bien des aspects de la vie ecclésiale. Je ne reviendrai que sommairement aujourd’hui sur certains points. En premier lieu, le nombre réduit et l’âge élevé des prêtres diocésains, comme aussi des religieux et des religieuses, vous inquiètent. La difficulté est grande, mais il ne suffit pas de rechercher des solutions provisoires de substitution. Il faut que les communautés chrétiennes vivent le mystère de l’Eglise dans toute sa grandeur, tel que l’a si admirablement exposé le Concile Vatican II; il faut qu’elles soient assez conscientes de la nécessité vitale de l’Eucharistie et du sacerdoce ministériel, également du sens prophétique des voeux religieux, pour exprimer franchement aux jeunes l’appel à l’engagement et à la consécration de l’être dans le sacerdoce ou la vie religieuse. La pastorale des vocations doit s’enraciner à ce niveau et ne pas être laissée à la charge des seuls animateurs désignés à cet effet. Elle ne sera véritable oeuvre diocésaine que si elle est organiquement reliée à la pastorale familiale, à la pastorale des jeunes, aux mouvements ecclésiaux, anciens ou nouveaux.

6. Je voudrais encourager ici le développement de la collaboration et de la concertation confiantes de tous les membres de la communauté diocésaine: l’évêque avec le clergé et les religieux, les laïcs avec les prêtres. C’est dire l’importance des conseils presbytéraux et des conseils pastoraux qui ont désormais une existence institutionnelle, comme lieux d’échanges, d’initiatives et d’animation.

En ce qui concerne plus spécialement les laïcs, il convient à la fois de les soutenir et de leur faire confiance dans leur mission d’être ordinairement ceux qui assurent la présence de l’esprit évangélique dans la société civile; je pense aux milieux professionnels, aux secteurs dont l’évolution présente des difficultés spécifiques. Et je ferai une mention particulière des préoccupations propres au diocèse d’Ajaccio, en appréciant que les chrétiens les aient abordées avec lucidité et courage au cours de vastes consultations coordonnées par leurs pasteurs.

Vous parlez souvent des efforts déployés pour la formation des laïcs. Je vous encourage à les développer, car il importe au plus haut point de mettre les chrétiens en contact approfondi avec la Parole de Dieu et avec les richesses doctrinales rassemblées par l’Église au long de sa vivante tradition depuis les temps apostoliques. Cela ne manquera pas de produire des fruits pour la vie spirituelle des communautés et pour leur élan missionnaire. Vous disposez désormais d’instruments de référence: le Catéchisme de l’Église catholique vient d’être publié, celui des Évêques de France a déjà été élaboré pour vos compatriotes. Que l’un et l’autre servent pour que les chrétiens apprennent à rendre compte de leur foi, de ce qui les fait vivre, des motifs de leurs choix dans la vie selon les commandements de Dieu, que Paul résume par la loi de l’amour! En organisant les diverses instances de formation, pensez constamment que la culture chrétienne des personnes prend toute sa dimension lorsqu’elle ouvre à une prise en charge plus active et plus avertie de la mission ecclésiale commune à tous.

J’ajouterai encore ici une invitation à progresser dans la communion de vos diocèses entre eux, avec les autres régions de votre pays, avec l’Église en Europe et dans le reste du monde, comme le suggèrent les relations fidèles que certains entretiennent avec l’Afrique notamment. Votre situation au bord de la Méditerranée, vous le soulignez vous-mêmes, a son importance: votre région a une place de choix dans les relations de l’Europe avec les pays du Sud, ce qui ne manquera pas de compter dans les années à venir. Dans cette ouverture, que vos Églises diocésaines soient présentes avec générosité et dynamisme!

7. Devant les exigences considérables de votre service ecclésial, demeurez dans l’espérance: vous savez que la grâce divine ne vous fera pas défaut. Le Seigneur nous a promis d’être avec nous jusqu’à la fin du monde. Avec les fidèles, avancez dans le pèlerinage de la foi, à la suite de Marie, Mère de l’Église, honorée dans vos nombreux sanctuaires. Que les pèlerinages aimés par vos diocésains soient pour eux l’occasion de se mettre à l’école de celle qui a tout donné pour donner au monde le Sauveur!

Au terme de cette rencontre avec vous qui venez de la région Provence-Méditerranée, ma pensée se porte aussi vers l’ensemble des évêques de France et vers les communautés dont ils sont les pasteurs. À tous, évêques, prêtres, diacres, religieux, religieuses, responsables laïcs et fidèles, je souhaite la joie de servir ensemble le Seigneur dans l’Église. Je reprendrai ce qu’écrivait Ignace d’Antioche aux Éphésiens: «Que vous deveniez un choeur, afin que, dans l’harmonie de votre accord, prenant le ton de Dieu dans l’unité, vous chantiez d’une seule voix par Jésus Christ un hymne au Père, afin qu’il vous écoute et qu’il vous reconnaisse, par vos bonnes oeuvres, comme les membres de son Fils!»[3]. Dans cette unité, don de Dieu, il devient naturel d’aimer l’Église: que tous soient fortifiés dans le désir de prendre part à sa vie et à son action avec générosité!

À l’approche des fêtes de la Nativité, je m’unis à votre prière pour l’Église qui est dans votre pays, et pour tous vos compatriotes. Je vous donne ma Bénédiction Apostolique au nom du Seigneur qui vient parmi nous pour le salut du monde.


[1] N. LG 1.
[2] Adv. Haer., V, 18, 2.
[3] IV, 2.



Discours 1992 - Jeudi, 26 novembre 1992