Discours 1993 - Jeudi, 28 octobre 1993


AUX COLLABORATEURS DE L’«INSTITUT DES SOURCES CHRÉTIENNES»

Samedi, 30 octobre 1993



Mon Révérend Père,
Chers amis,

1. C’est avec joie que je vous reçois à l’occasion de la célébration du 50ème anniversaire de la collection « Sources Chrétiennes ». J’imagine sans peine vos sentiments de légitime fierté en une telle circonstance et je m’y associe très volontiers.

L’oeuvre fondée voici un demi-siècle par les Cardinaux Jean Daniélou et Henri de Lubac, avec le Père Claude Mondésert, a donc porté du fruit, un fruit bien visible, comme l’atteste aujourd’hui la publication du 400ème volume de la collection. Ce développement des études patristiques me tient à coeur, car il n’existe pas de formation véritable de l’intelligence chrétienne sans un recours constant à la tradition de nos Pères dans la foi.

Ainsi que je le disais dès les débuts de mon pontificat, dans la lettre «Patres Ecclesiae», «l’Eglise ne cesse de recourir à leurs écrits – pleins de sagesse et d’une perpétuelle jeunesse – et de faire continuellement revivre leur souvenir»[1].

2. La collection « Sources chrétiennes » eut, dès l’origine, le souci d’effectuer un travail scientifique, qu’il me plaît de saluer, tout en permettant au plus grand nombre possible de lecteurs de goûter la richesse de la tradition chrétienne, la grandeur et la beauté de la foi de nos devanciers. Après les Mauristes au XVIII siècle, après l’Abbé Migne au siècle dernier, votre collection a donné une impulsion nouvelle à l’édition des textes patristiques en France. Je suis certain que tous vos amis, unissant l’amour des lettres au désir de Dieu, se réjouissent aujourd’hui de voir les beaux résultats auxquels vous êtes parvenus.

Nombreux sont ceux qui, par leur dévouement, ont contribué à donner à « Sources chrétiennes » le statut de collection scientifique à la réputation universellement reconnue. Il faut saluer l’humilité, la patience et l’acharnement de tels travaux. L’établissement du texte à partir d’une investigation de la tradition manuscrite, la traduction qui s’efforce de rendre ce texte avec fidélité, la composition d’apparats critiques et d’index détaillés, la rédaction d’introductions et de notes explicatives, tout concourt à faire entrer le lecteur d’aujourd’hui dans une pensée d’hier mais de valeur durable.

3. Les Pères de l’Eglise n’ont cessé de méditer le Mystère du Christ et de chercher à transmettre à leurs contemporains ce qu’ils avaient eux-mêmes reçu. Ils ont su rester libres à l’égard du contexte culturel de leur temps et lui donner sa véritable dimension. Je pense ici à saint Justin et à sa célèbre expression de semina Verbi. Dans les meilleures réalisations du monde païen se trouvaient des pierres d’attente pour l’annonce de l’Evangile.

4. L’un des mérites principaux des Pères, comme le motif de leur valeur permanente, fut d’avoir, en leur temps, perçu et montré l’unité de l’Ancien et du Nouveau Testaments dans la personne du Christ. On sait que saint Augustin résumait cette donnée fondamentale de l’exégèse chrétienne dans l’axiome: « Novum Testamentum in Vetere latebat; Vetus nunc in Novo patet ». Il s’inspirait en cela des intuitions de la première génération chrétienne, notamment de saint Paul et de sa réflexion sur l’allégorie, « contrecoup du fait de l’Incarnation », selon l’heureuse expression du Cardinal de Lubac.

5. Exégètes des deux Testaments, les Pères sont aussi à l’origine de la réflexion théologique et des premières grandes formulations dogmatiques. Ils permirent à la foi chrétienne de se donner l’expression rationnelle qui la rendrait assimilable par des intelligences venues du paganisme. Ils furent les premiers théologiens, car ils surent scruter le Mystère du Christ en recourant à des notions empruntées à la pensée de leur temps, n’hésitant pas à les remodeler, le cas échéant, pour leur donner un contenu universel. C’est donc en grande partie grâce à eux que le Concile Vatican II a pu dire de la théologie qu’elle « s’appuie sur la parole de Dieu écrite, inséparable de la sainte Tradition, comme sur un fondement permanent »[2].

6. La saisie intellectuelle des mystères de la foi ne suffirait pas à la vie chrétienne si elle n’était une expérience spirituelle nourrie par la pratique des sacrements et l’ensemble de la vie liturgique. Or, sur ce point aussi, les Pères nous livrent le fruit de leur contemplation du Verbe Incarné. Lorsqu’en pleine nuit de Noël, saint Léon commence son homélie en s’écriant: « Hodie Christus natus est », il rappelle à ses auditeurs présents et à ses lecteurs à venir que le Mystère du Christ est à la fois d’un temps et de tous les temps. Dans l’acte liturgique, l’« hodie » de Dieu s’identifie – par Sa volonté – à l’« hodie » des hommes.

Puisse donc la publication des plus grands textes patristiques faciliter la réflexion sur les mystères de la vie du Seigneur, la perception de leur actualité dans la vie des chrétiens, la louange au Dieu Eternel pour le salut offert à tous les hommes, aujourd’hui et toujours!

7. Que les saints Docteurs de l’Eglise d’Occident et de l’Eglise d’Orient, témoins d’une même foi, ne cessent de vous assister! Que la passion du chercheur et la joie du lecteur vous soient chaque jour données en partage par Celui qui est la Sagesse véritable et qui ne se laisse trouver que pour être davantage encore cherché!

Je m’associe avec grand plaisir à la célébration de l’heureux événement du cinquantenaire de « Sources chrétiennes » et je forme des voeux chaleureux pour la poursuite de l’oeuvre entreprise à Lyon voici un demi-siècle. De tout coeur, je vous accorde ma Bénédiction Apostolique.

[1] Ioannis Pauli PP. II Patres Ecclesiae, die 2 ian. 1980: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, III, 1 (1980) 51 ss.
[2] Dei Verbum, DV 24.



SALUT AUX FIDÈLES MARONITES D'EUROPE

Samedi, 30 octobre 1993


Cher Frère dans l’Episcopat,

Je suis heureux de vous accueillir, vous qui avez été ordonné évêque en septembre dernier, au Liban, et qui commencez maintenant votre ministère de Visiteur apostolique des Maronites de l’Europe occidentale et septentrionale. Je salue aussi les prêtres et les fidèles qui accompagnent Monseigneur Khoury et qui représentent les diverses communautés maronites de notre continent. Ils sont appelés à collaborer avec l’Evêque, qui aura à soutenir les communautés déjà organisées et à étendre sa sollicitude pastorale aux communautés qui n’ont pas encore de pasteurs et à celles qui sont les plus isolées, avec l’assistance de la grâce et de la miséricorde divines.

Dans les pays où vous vivez, avec vos frères en humanité et avec l’ensemble des Catholiques, vous participez activement à la construction de la société civile nationale et de la grande Europe où chacun aura sa place et sera reconnu dans sa dignité, l’Europe de la paix et de l’entente entre les peuples. Tout en restant fermement attachées au Liban, terre éprouvée, mais foyer de grandes richesses spirituelles, les communautés maronites de la diaspora sont dynamiques et ont le souci des collaborations avec les communautés latines. Votre spiritualité particulière est une richesse dans laquelle il vous convient de puiser, pour annoncer l’Evangile, par la parole et par le témoignage d’une vie conforme à l’enseignement du Christ et de son Eglise. C’est aussi grâce à la communion entre toutes les communautés catholiques des différents rites que se manifeste de manière visible l’universalité du Corps mystique du Christ. Que cette communion soit dans l’Europe la gloire de Dieu et l’honneur de l’Eglise!

En vous confiant à l’intercession de saint Maron et à la sollicitude maternelle de Notre-Dame du Liban, je vous donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique, que j’étends volontiers aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, ainsi qu’à tous les fidèles maronites et leurs proches dispersés en Europe.



AUX RELIGIEUSES PARTICIPANT AU CHAPITRE GÉNÉRAL DE L'INSTITUT DE LA SAINTE-FAMILLE DE BORDEAUX

Samedi, 30 octobre 1993


Chères Soeurs,

1. Au terme de votre Chapitre général, je suis heureux de vous accueillir, vous qui représentez les Soeurs de la Sainte-Famille de Bordeaux, répandues dans de nombreux pays du monde. Je salue particulièrement Soeur Joy Smith qui vient d’être élue Supérieure générale, ainsi que les membres du Conseil, et je les assure de mes voeux et de ma prière pour l’accomplissement de leur charge.

Ces tout derniers jours, vous avez célébré le deuxième centenaire de la mort du vénérable Pierre-Bienvenu Noailles, votre fondateur. Je partage votre joie et votre action de grâce, car les intuitions spirituelles et apostoliques de ce serviteur de Dieu n’ont cessé de produire des fruits abondants dans les diverses branches qui constituent ce qu’il avait lui-même nommé l’Association de la Sainte-Famille.

2. Vous gardez de votre fondateur une spiritualité très vigoureuse, liée à sa propre expérience spirituelle qu’il a bien su transmettre. Dès le temps du séminaire, il s’était voué à « Dieu seul »; il notait ainsi sa prière: « Vous seul êtes la voie et le bonheur. Enveloppez-moi de Vous-même. Que je ne voie plus que Vous... Que je ne vive plus que pour Vous »[1]. Il découvrait en Dieu « cette vie du coeur qui est un amour immense »[2], ce qui lui faisait entrevoir la richesse du Mystère trinitaire, reflété dans la sainte Famille de Nazareth, puis dans l’Eglise.

La profondeur de la vie intérieure des membres de la Sainte-Famille allait être le véritable point d’appui des fondations du Père Noailles. Dans « l’esprit de Dieu seul », dans l’imitation des vertus de Jésus, de Marie et de Joseph, vous trouvez, aujourd’hui comme hier, la véritable source de votre consécration au service de Dieu et de votre apostolat. La règle de 1844 disait déjà: « Les Soeurs de la Sainte-Famille... seront comme les Apôtres, dévorées du désir de faire aimer Notre Seigneur et d’étendre son Règne de toutes parts ». Les travaux approfondis que vous avez menés toutes ces dernières années, en lien avec le Saint-Siège, confirment votre fidélité au charisme fondateur de votre institut et favoriseront, j’en suis convaincu, son rayonnement.

3. Cette rencontre me donne l’occasion de vous exprimer la gratitude de l’Eglise pour tout ce que vous apportez en prenant votre part de sa mission d’évangélisation. Je sais que vos communautés agissent sur les cinq continents, et particulièrement dans des régions éprouvées par la pauvreté et par des conflits difficiles à résoudre. Dans ces conditions, votre témoignage et votre dévouement actif prennent d’autant plus d’importance, et, en filles de la Sainte-Famille, vous êtes de précieuses artisanes de paix et de réconciliation.

Je tiens aujourd’hui à vous dire la confiance de l’Eglise et je vous encourage à demeurer unies avant tout par l’amour de Dieu, afin de poursuivre votre apostolat ecclésial. Dans ce sens, veillez à la qualité de la formation des jeunes femmes qui vous rejoignent, en les ouvrant à une vie spirituelle intense, dans la communion de l’Eglise, pour un zèle missionnaire si nécessaire devant les attentes des hommes et des femmes de notre temps.


4. Me souvenant que votre fondateur vous invite à prolonger l’invocation à « Dieu seul » dans la devise « Tout par Marie», je confie particulièrement les Soeurs de la Sainte-Famille, dans la vie apostolique ou dans la vie contemplative, à la Mère du Seigneur. Qu’elle vous précède sans cesse dans votre pèlerinage de foi et les oeuvres dont vous avez la charge! Qu’elle suscite et soutienne des vocations, nécessaires pour la vitalité de votre Institut et pour son service ecclésial!

De grand coeur, je vous accorde ma Bénédiction Apostolique que j’étends à toutes vos Soeurs et à toutes les personnes qui vous sont associées.


[1] Pierre-Bienvenu Noailles, Notes d'Issy, 1817.
[2] Ibid.

Novembre 1993


À S. Exc. MONSIEUR LÉONARD H. LEGAULT, NOUVEL AMBASSADEUR DU CANADA PRÈS LE SAINT-SIÈGE

Samedi 6 novembre 1993


Monsieur l’Ambassadeur,

C’est avec grand plaisir que je souhaite la bienvenue à Votre Excellence, au moment où Elle présente les Lettres qui L’accréditent auprès du Saint-Siège, en qualité d’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Canada.

J’ai été sensible à la courtoisie de vos propos qui manifestent une compréhension pénétrante de l’action et de la mission du Siège Apostolique.

Vous voudrez bien transmettre mes remerciements au Très Honorable Ramon John Hnatyshyn, Gouverneur général du Canada, pour l’aimable message dont vous êtes porteur. A mon tour, je forme des voeux fervents et cordiaux pour l’heureux accomplissement de sa tâche au service de ses compatriotes; et j’unis dans ces voeux les membres du Gouvernement fédéral ainsi que les dirigeants des provinces de votre grand pays.

Vous avez présenté, Monsieur l’Ambassadeur, des réflexions pertinentes sur divers aspects de la vie internationale, en rappelant à juste titre la place active qu’y occupe le Canada. Les champs d’action sont nombreux dans le monde où l’on rencontre vos compatriotes, présents officiellement au nom des autorités, ou participant à diverses organisations généreuses d’initiative privée. Il faut en effet conjuguer le bon vouloir de tous pour travailler le plus efficacement possible à la consolidation de la paix, à la défense de la dignité humaine, au développement, ou encore à la protection du patrimoine naturel de l’humanité.

Dans ces domaines, les préoccupations que vous avez évoquées rejoignent naturellement celles de l’Eglise pour laquelle les exigences de la paix sont inséparables des aspirations profondes de l’homme à la réalisation de soi, à la convivialité et à la solidarité effective, au-delà des frontières de tous ordres. Les événements qui se succèdent depuis quelques années, en Europe et ailleurs dans le monde, confirment la nécessité d’une intense coopération des peuples et des Etats pour la résolution des conflits, le soutien aux sociétés les plus fragiles et la protection des droits humains. Le Saint-Siège a la satisfaction de rencontrer au Canada une large convergence de points de vue sur les graves préoccupations que je ne fais ici qu’évoquer en peu de mots.

Monsieur l’Ambassadeur, en vous accueillant, je voudrais exprimer ma sympathie pour toute la nation canadienne que vous représentez. Les souvenirs de mes visites sur votre terre resurgissent en mon esprit, comme des moments heureux de rencontre avec des assemblées caractérisées par une chaleur humaine et une vigueur intellectuelle et spirituelle que je ne puis oublier. Comme vous l’avez vous-même rappelé, le Canada doit faire face aux difficultés qui affectent l’ensemble du monde développé, du point de vue économique sans doute, mais simultanément sur le plan des ressorts les plus profonds de la vie des personnes. Hommes et femmes d’aujourd’hui ont à retrouver leurs vraies raisons de vivre, l’ouverture à l’autre nécessaire à la vie en société, les valeurs essentielles qui sous-tendent l’éducation, les qualités d’une vie de famille épanouissante pour toutes les générations, la mémoire précieuse des meilleures traditions culturelles, la dimension spirituelle qui est un trait fondamental de la personne humaine.

Vos efforts pour ne laisser aucun de vos frères et soeurs sur le bord de la route, votre souci de donner à chacun la chance de s’épanouir dans sa propre culture et de s’exprimer dans sa propre langue – je pense ici notamment aux dispositions prises pour répondre aux attentes des autochtones de votre terre –, votre désir d’élargir l’horizon de chacun aux dimensions du monde, tout cela témoigne de la vitalité d’une nation qui fait face aux défis de l’époque. C’est avec sympathie que je forme des voeux pour la prospérité du Canada, assuré que son peuple possède tout le dynamisme voulu pour construire son avenir.

Cette année, vous le savez, les Evêques canadiens effectuent leur visite « ad limina »; j’ai donc l’occasion de m’entretenir avec eux de la vie de l’Eglise dans votre pays. Mais je n’en tiens pas moins, au cours de cette audience solennelle, à adresser un salut chaleureux aux catholiques des diverses régions de votre vaste pays. Ils sont les héritiers de grandes lignées de fondateurs, de pasteurs, de spirituels, d’hommes et de femmes à l’audace et à la charité évangélique impressionnantes, comme en témoignent les canonisations et les béatifications qu’il m’a été donné de célébrer. J’ai été heureux de vous entendre évoquer la plus récente de ces béatifications, celle de Dina Bélanger, figure presque contemporaine, fleur de sainteté épanouie dans une des nombreuses communautés religieuses qui ont contribué à façonner la physionomie de l’Eglise au Canada.

Certes, les diocèses, les paroisses, les institutions diverses où vit et agit l’Eglise chez vous sont affrontés aux conséquences des changements notables intervenus dans la société ces dernières décennies. J’ai confiance que, accueillant courageusement les exigences spirituelles et morales de l’Evangile, leurs efforts pour renouveler le tissu ecclésial seront récompensés. Et je sais qu’ils ont le désir de contribuer généreusement à la vie de la nation tout entière, par leur action loyale de citoyens comme par leurs apports spécifiques: ainsi il est heureux que, gardant la possibilité de donner une éducation chrétienne à leurs enfants, ils puissent offrir aux jeunes générations le meilleur de leur sens de l’homme. J’apprécie leur présence dynamique dans le monde de la culture. Ils ont particulièrement le souci de soutenir la qualité de la vie de famille et, participant à tous les aspects de la vie sociale, d’être les témoins d’une fraternité particulièrement sensible aux plus démunis. C’est dans cet esprit que les catholiques ont la conviction de servir au mieux leur pays.

Excellence, au terme de cet entretien, je vous redis mes voeux cordiaux de bienvenue. Soyez assuré que, pour remplir les obligations de votre mission, vous pouvez compter sur la disponibilité et l’appui de mes collaborateurs.

Je prie Dieu de vous accorder l’abondance de ses dons, à vous-même et à votre famille, aux membres de votre Ambassade, ainsi qu’à tout le peuple canadien et à ses dirigeants.



AUX PARTICIPANTS À LA XIVème ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL POUR LES LAÏCS

Lundi 8 novembre 1993


Monsieur le Cardinal,
Chers frères dans l’épiscopat,
Chers amis, membres et collaborateurs du Conseil Pontifical pour les Laïcs,


1. C’est avec plaisir que je vous accueille à l’occasion de la XIVème Assemblée plénière de votre dicastère et je vous remercie de venir exprimer ici votre fidélité et votre disponibilité pour le service de l’Eglise et de sa mission.

En particulier, je suis heureux de renouveler en votre présence mes félicitations à Monsieur le Cardinal Pironio, Président de votre Conseil, qui célèbre en ces jours le 50ème anniversaire de son ordination sacerdotale. Nous rendons grâce ensemble pour tout ce que le Seigneur lui a donné d’accomplir au cours de ses années de ministère, avec un dévouement généreux et une foi rayonnante.

2. Le thème de votre Assemblée plénière est central dans la compétence du Conseil pour les Laïcs: la participation des fidèles laïcs à la vie de l’Eglise. Il s’agit de la vocation des baptisés qui participent à la vie et à la mission du Christ lui-même; en effet, l’Eglise est appelée à rendre présent son Seigneur dans l’histoire et dans le monde.

Dans sa réflexion sur le peuple de Dieu, et particulièrement sur les fidèles laïcs, le Concile Vatican II a bien situé la condition de ces derniers: « Etant incorporés au Christ par le baptême, intégrés au peuple de Dieu, faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du Christ, [ils] exercent pour leur part, dans l’Eglise et dans le monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien »[1].

La vocation des laïcs – leur « être dans le Christ » – est d’abord un appel exigeant à la sainteté: ils ont à s’unir à l’offrande sacerdotale du Christ qui se donne tout entier et qui présente le monde au Père. Seul l’Esprit Saint répandu dans les coeurs peut ouvrir à cette participation intérieure. Et alors, rendus forts par la grâce des sacrements, éclairés par la Parole de Dieu, constituant le peuple saint et royal qui appartient au Seigneur, tous les fidèles peuvent et doivent rendre visible aujourd’hui, en témoins dignes de confiance, la lumière venue dans le monde[2].

Votre Assemblée se propose d’établir un bilan de l’application des enseignements et des orientations du Concile sur la participation des laïcs à la vie de l’Eglise; je pense que votre réflexion prendra appui d’abord sur cette intuition centrale de Vatican II: le baptême introduit dans l’ordre de la grâce, il libère les hommes de leur condition de pécheurs pour les rendre « fils dans le Fils ». Là se trouve la source véritable de toute action et de toute responsabilité dans l’Eglise.

3. Loin d’être une réflexion purement théorique, ces rappels fondamentaux permettent de mieux situer les divers aspects de l’activité des laïcs et d’éviter certains déséquilibres. La tentation existe de ne concevoir la participation à la vie de l’Eglise que selon les lois de l’efficacité propre à l’ordre temporel ou selon une logique du pouvoir étrangère à l’esprit ecclésial.

Il est vrai que l’Eglise, mystère de communion à la vie de Dieu, est en même temps la communauté visible et bien concrète des croyants, qui doit être structurée comme tout corps social et qui doit faire face à de nombreuses nécessités. Il convient de répartir les tâches dans les meilleures conditions. Dans leur diversité, les mouvements, les associations de fidèles ou les communautés doivent répondre à des critères d’ecclésialité que votre Conseil est souvent appelé à préciser et à apprécier[3]. D’autre part, vous êtes bien placés pour connaître la richesse des églises locales, avec leurs physionomies variées, et pour inviter au partage des ressources spirituelles et matérielles, demeurant toujours dans l’unité de la Catholica.

A travers tous les efforts d’information mutuelle, de réflexion, d’organisation, vous êtes amenés à constater les fruits que portent les nombreux sarments de la vigne, à quelque trente années du Concile. L’histoire de l’Eglise en notre siècle est riche de la créativité et de la merveilleuse générosité manifestées notamment par les laïcs engagés à son service et dans sa mission. La source en est, je le redis ici, l’enracinement toujours plus profond dans le Christ et l’adhésion à l’offrande qu’il fait de l’humanité au Père. Nous rendons grâce au Seigneur pour l’ampleur de l’oeuvre accomplie par le peuple de Dieu tout entier, et les fidèles laïcs en particulier.

4. En un moment décisif de l’histoire, dans les conditions changeantes du monde et face aux nouveautés belles ou tristes de notre époque, le Seigneur appelle tous les fidèles à proclamer son salut à ceux qui attendent sa Bonne Nouvelle. L’été dernier, nous avons vécu à Denver un temps de grâce pour l’évangile, reçu par les jeunes et confié aux jeunes. La qualité de l’expérience faite par de nombreux jeunes à l’occasion de leur Journée mondiale doit beaucoup à l’important travail du Conseil pontifical pour les Laïcs. Je vous en remercie et je rends grâce au Seigneur pour les fruits de cette manifestation.

5. Les tâches d’animation qui reviennent à votre Conseil vous amènent à donner une grande importance à la formation des laïcs: formation humaine et formation chrétienne. Il ne s’agit pas tant de se préoccuper des compétences techniques, certes indispensables, que de susciter chez les fidèles un engagement toujours plus grand dans le monde où ils vivent, de les provoquer à la disponibilité et au service, à l’échange des dons d’une région du monde à l’autre, en même temps qu’à l’assimilation des fondements du message chrétien, car ils sont souvent les témoins les plus directement en contact avec ceux de leurs contemporains qui n’ont pas encore accueilli l’Évangile.

Je suis heureux de savoir que votre Assemblée plénière va être suivie par un Symposium sur le Catéchisme de l’Eglise Catholique, instrument privilégié pour la formation et pour l’évangélisation. Vous mettrez en relief l’utilité de cet instrument pour assurer l’unité dans la foi et dans la vie à la suite du Christ.

6. Au terme de cette rencontre, je souhaite que votre Assemblée et le Symposium qui va suivre soient des moments forts dans l’action de votre Conseil: renouvelez votre élan missionnaire et celui des personnes qui oeuvrent dans tous les mouvements. Devant les questions angoissantes de nos frères et soeurs sur le sens de la vie et de l’existence humaine, faites redécouvrir la « nouveauté » du Christ, Rédempteur de l’homme, fondement de notre espérance.

Pour vous ici rassemblés, pour l’ensemble de ceux dont vous animez la participation à la vie de l’Eglise, j’invoque l’intercession de Notre-Dame, Mère du Christ et Mère de l’Eglise. Et je vous donne de grand coeur ma Bénédiction Apostolique.

[1] Lumen Gentium, LG 31.
[2] Cf. Jn 1,9.
[3] Cf. Christifideles laici, CL 30.



AU GROUPE DE TRAVAIL SUR LE GÉNOME HUMAIN ORGANISÉ PAR L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES

Samedi 20 novembre 1993



Excellences,
Mes Révérends Pères,
Mesdames, Messieurs,

1. Vos journées de travail, sur le thème « Les aspects légaux et éthiques relatifs au projet du génome humain », se déroulent à un moment particulièrement opportun. De récentes communications sur des expérimentations en génétique humaine ont bouleversé la communauté scientifique et beaucoup de nos contemporains. Face aux progrès scientifiques rapides, la réflexion éthique et juridique sur des questions aussi graves paraît urgente en cette fin de siècle.

2. Il me faut tout d’abord saluer les nombreux efforts des scientifiques, chercheurs et médecins qui s’attachent à décrypter le génome humain et à en analyser les séquences pour avoir une meilleure connaissance de la biologie moléculaire et des bases géniques de nombreuses maladies. On ne peut qu’encourager ces études, à condition qu’elles ouvrent des perspectives nouvelles de soins et de thérapies géniques, respectueux de la vie et de l’intégrité des sujets, et tendant à la sauvegarde ou à la guérison individuelle de patients, nés ou à naître, atteints de pathologies le plus souvent létales. On ne doit pas cependant occulter que ces découvertes risquent d’être utilisées pour opérer des sélections entre les embryons, en éliminant ceux qui sont atteints de maladies génétiques ou porteurs de caractères génétiques pathologiques.

L’approfondissement permanent des connaissances sur le vivant est de soi un bien, car la recherche de la vérité fait partie de la vocation primordiale de l’homme et constitue la louange première à l’égard de celui « qui a formé le genre humain et qui est à l’origine de toute chose »[1]. La raison humaine, aux puissances innombrables et aux activités variées, est tout à la fois raison scientifique et raison éthique. Elle est capable de mettre au point les procédures de connaissance expérimentale de la création et, en même temps, de rappeler à la conscience les exigences de la loi morale au service de la dignité humaine. Le souci de connaître ne peut donc pas être, comme on est parfois tenté de le penser, le seul motif et la seule justification de la science au risque de mettre en péril le but de la démarche médicale: rechercher, de manière indissociable, le bien de l’homme et de l’humanité entière.

Parce qu’elle nous fait découvrir l’infiniment grand et l’infiniment petit, et qu’elle obtient des résultats impressionnants, la science est séduisante et fascinante. Mais il convient de rappeler que, si elle a la capacité d’expliquer le fonctionnement biologique et les interactions entre les molécules, elle ne saurait cependant énoncer à elle seule la vérité ultime et proposer le bonheur que l’homme souhaite atteindre, ni dicter les critères moraux pour parvenir au bien. En effet, ces derniers ne sont pas établis sur la base des possibilités techniques et ne se déduisent pas des constats des sciences expérimentales, mais ils doivent « être recherchés dans la dignité propre à la personne »[2].

3. Le projet qui consiste à décrypter les séquences du génome humain et à en étudier la structure macromoléculaire pour établir la carte génique de chaque personne met à la disposition des médecins et des biologistes des connaissances dont certaines applications peuvent dépasser le champ médical; il peut faire peser sur l’homme des menaces redoutables. Il suffit d’évoquer les multiples formes d’eugénisme ou de discrimination, liées aux utilisations possibles de la médecine prédictive. Pour garantir le respect dû à la personne, face aux recherches nouvelles, la responsabilité de la communauté humaine tout entière est engagée. Selon leurs compétences, les familles spirituelles, les moralistes, les philosophes, les juristes et les autorités politiques exerceront leur vigilance pour que toute démarche scientifique respecte l’intégrité de l’être humain, « nécessité imprescriptible »[3].

4. Il importe donc de prendre la mesure des problèmes moraux qui portent, non sur la connaissance elle-même, mais sur les moyens d’acquisition du savoir ainsi que sur ses applications possibles ou prévisibles. En effet, nous savons que l’on est capable aujourd’hui d’acquérir la connaissance du génome humain sans pour autant léser l’intégrité du sujet. Le premier critère moral, qui doit guider toute recherche, est donc le respect de l’être humain sur lequel se fait la recherche. Mais certaines découvertes, qui se présentent comme des exploits techniques et comme des prouesses de la part des scientifiques, peuvent être à la source d’une certaine tension pour l’esprit scientifique lui-même: cela suscite, d’une part, l’admiration devant l’ingéniosité déployée et, d’autre part, la crainte souvent fondée que la dignité de l’homme ne soit gravement blessée et menacée. Cette tension est tout à l’honneur de celui qui réfléchit sur les valeurs qui guident ses choix en matière de recherche, car elle dénote le sens éthique, naturellement présent dans toute conscience.

5. Il ne revient pas à l’Eglise de fixer les critères scientifiques et techniques de la recherche médicale. Mais, il lui revient de rappeler, au nom de sa mission et de sa tradition séculaire, les limites à l’intérieur desquelles toute démarche demeure un bien pour l’homme, car la liberté doit toujours être ordonnée au bien. L’Eglise contemple dans le Christ, l’Homme parfait, le modèle par excellence de tout homme et le chemin de la vie éternelle; elle souhaite offrir des pistes de réflexion pour éclairer ses frères en humanité et proposer les valeurs morales nécessaires à l’action, qui sont aussi les points de repère indispensables pour les chercheurs amenés à prendre des décisions dans lesquelles le sens de l’homme est engagé. En effet, seule la Révélation ouvre à la connaissance intégrale de l’homme que la sagesse philosophique et les disciplines scientifiques peuvent appréhender de manière progressive et merveilleuse, mais toujours incertaine et incomplète.

6. Chaque être humain doit être considéré et « respecté comme une personne dès le moment de sa conception »[4], constituée d’un corps et d’une âme spirituelle et ayant une valeur intrinsèque[5]: tel est pour l’Eglise le principe qui guide le développement de la recherche. La personne humaine ne se définit pas à partir de son action présente ou future, ni du devenir que l’on peut entrevoir dans le génome, mais à partir des qualités essentielles de l’être, des capacités liées à sa nature même. A peine fécondé, le nouvel être n’est pas réductible à son patrimoine génétique, qui constitue sa base biologique et qui est porteur de l’espérance de vie du sujet. Comme le dit Tertullien, « il est déjà homme celui qui doit devenir un homme »[6]. En matière scientifique comme dans tous les domaines, la décision morale juste nécessite d’avoir une vision intégrale de l’homme, c’est-à-dire une conception qui, dépassant le visible et le sensible, reconnaisse la valeur transcendante et prenne en considération ce qui l’établit comme être spirituel.

En conséquence, utiliser l’embryon comme un pur objet d’analyse ou d’expérimentation est attenter à la dignité de la personne et du genre humain.En effet, il n’appartient à personne de fixer les seuils d’humanité d’une existence singulière, ce qui reviendrait à s’attribuer un pouvoir exorbitant sur ses semblables.

7. A aucun moment de sa croissance, l’embryon ne peut donc être sujet d’essais qui ne seraient pas pour lui un bénéfice, ni d’expériences qui impliqueraient inéluctablement soit sa destruction, soit des amputations ou des lésions irréversibles, car la nature même de l’homme serait, dans le même temps, bafouée et blessée. Le patrimoine génétique est le trésor appartenant ou susceptible d’appartenir à un être singulier qui a droit à la vie et à un développement humain intégral. Les manipulations inconsidérées sur les gamètes ou sur les embryons, qui consistent à transformer les séquences spécifiques du génome, porteur des caractéristiques propres de l’espèce et de l’individu, font courir à l’humanité des risques sérieux de mutations génétiques qui ne manqueront pas d’altérer l’intégrité physique et spirituelle non seulement des êtres sur lesquels ces transformations ont été effectuées, mais encore sur des personnes des générations futures.

Si elle n’est pas ordonnée à son bien, l’expérimentation sur l’homme qui, dans un premier temps, paraît être une conquête dans l’ordre de la connaissance, risque de conduire à la dégradation du sens authentique et de la valeur de l’humain. En effet, le critère moral de la recherche demeure toujours l’homme dans son être à la fois corporel et spirituel. Le sens éthique suppose d’accepter de ne pas s’engager dans des recherches qui offenseraient sa dignité humaine et qui entraveraient sa croissance intégrale. Ce n’est pas cependant condamner à l’ignorance les chercheurs, qui sont invités à redoubler d’ingéniosité. Avec un sens aigu de l’homme, ils sauront trouver des chemins nouveaux de connaissance et remplir ainsi le service inestimable que la communauté humaine attend d’eux. L’utilisation de la médecine prédictive, qui naît avec le séquençage du génome humain, pose aussi d’autres problèmes délicats. Il s’agit en particulier du consentement éclairé du sujet adulte sur lequel se fait la recherche génétique ainsi que du respect du secret sur les éléments qui pourraient être connus, portant sur la personne et sur sa descendance. On ne négligera pas non plus la délicate question de la communication aux personnes des données qui mettent en évidence l’existence, sous forme latente, des pathologies génétiques, autorisant des pronostics funestes pour la santé du sujet.

8. L’Eglise désire rappeler aux législateurs la responsabilité qui leur incombe en matière de protection et de promotion des personnes, car les projets d’analyse du génome humain ouvrent des voies riches de promesses mais elles comportent des risques multiples. L’embryon doit être reconnu comme sujet de droit par les lois des nations, sous peine de mettre l’humanité en danger. En défendant l’embryon, la société protège tout homme qui reconnaît dans ce petit être sans défense celui qu’il a été au début de son existence. Plus que tout autre, cette fragilité humaine des commencements demande la sollicitude de la société qui s’honore en garantissant le respect de ses membres les plus faibles. Elle répond ainsi à l’exigence fondamentale de justice et de solidarité qui unit la famille humaine.


9. Au terme de notre rencontre, je désire renouveler à la communauté scientifique mon appel pour que le sens de l’homme et les valeurs morales demeurent le fondement des décisions dans le domaine de la recherche. Je souhaite que les réflexions menées par votre groupe de travail apportent des éléments de référence aux chercheurs ainsi qu’aux rédacteurs des documents déontologiques et législatifs. Ma gratitude va à ceux qui ont coopéré de différentes manières à ces journées d’études. Vous qui avez apporté votre contribution au cours de riches échanges, je vous remercie vivement de votre participation à ce groupe de recherches dont on peut espérer de nombreux fruits et je prie le Tout-Puissant de vous assister dans vos efforts de réflexion morale ainsi que dans vos recherches.

[1] 2M 7,23.
[2] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Veritatis Splendor, VS 50.
[3] Ioannis Pauli PP. II Veritatis Splendor, VS 13.
[4] Congr. pro Doctrina Fidei Donum Vitae, 2. 8.
[5] Cfr. Jr 1,5.
[6] Tertulliani Apologeticum, IX, 8.



Discours 1993 - Jeudi, 28 octobre 1993