Discours 1994 - Samedi 5 mars 1994


AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DE HAÏTI EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi 18 mars 1994




Chers Frères dans l’épiscopat,

1. Il y a un an et demi, alors que la Providence dirigeait mes pas vers le Nouveau Monde pour les célébrations du Vème centenaire de l’évangélisation de votre continent, vous veniez à ma rencontre à Saint-Domingue avec une délégation de votre peuple. Aujourd’hui, c’est au Vatican que nous nous revoyons à l’occasion de votre visite « ad limina » et je suis très heureux de vous y accueillir. Je remercie vivement Monseigneur François Gayot, Archevêque de Cap-Haïtien et Président de la Conférence épiscopale, des paroles très aimables qu’il m’a adressées en votre nom.

Les visites aux tombeaux des Apôtres, que font périodiquement les évêques en communion avec le Siège Apostolique, sont pour les chefs des diocèses un moyen de renforcer la conscience de leur responsabilité de Successeurs des Apôtres et de vivre plus intensément les liens qui les unissent au successeur de Pierre. Elles sont donc une manifestation visible de la communion vitale entre l’Eglise de Rome et les Eglises particulières, ainsi que l’expression d’une même sollicitude pastorale à l’oeuvre dans l’Eglise entière. Cette profonde communion entre les pasteurs fonde celle qui unit les fidèles partout dans le monde.



2. Si j’ai tenu à évoquer le sens de la visite « ad limina » et l’importance de la communion ecclésiale, dont elle est un signe, c’est pour vous encourager, chers frères, à maintenir bien vivant ce qui a fait jusqu’à présent et doit toujours faire à l’avenir la véritable force de l’Eglise en Haïti: son union avec les Eglises-Soeurs et, en particulier, son union avec le Successeur de Pierre.Affaiblir ces liens de communion ecclésiale serait affaiblir l’action de l’Eglise qui est en Haïti.

En vous redisant cela, j’ai présents à l’esprit surtout vos collaborateurs immédiats, les prêtres, et tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, sont appelés à coopérer avec vous dans l’oeuvre de l’évangélisation conformément à vos directives pour les différents domaines de l’apostolat; je pense en particulier aux religieux et aux religieuses, qui représentent une partie considérable parmi les ouvriers de l’Evangile en Haïti.

En effet, l’oeuvre de l’évangélisation concerne tous les membres de l’Eglise; elle suppose une communion de grâce, d’esprit et de coeur, de sentiment et d’action. A ce sujet, le Pape Paul VI écrivait: « Le testament spirituel du Seigneur nous dit que l’unité entre ses disciples n’est pas seulement la preuve que nous sommes siens, mais aussi la preuve qu’il est envoyé du Père, test de crédibilité des chrétiens et du Christ lui-même »[1]. Les évangélisateurs doivent donc tous offrir - poursuivait mon vénéré prédécesseur - « non pas l’image d’hommes divisés et séparés par des litiges qui n’édifient point, mais celle de personnes mûries dans la foi, capables de se rencontrer au-delà des tensions réelles grâce à la recherche commune, sincère et désintéressée de la vérité » [2].



3. Parvenu à ce point de mon discours, chers frères, je voudrais vous exprimer toute mon estime pour la façon dont vous exercez votre ministère dans les circonstances particulièrement difficiles que vous vivez et aussi vous encourager dans le don généreux de vos personnes au service du peuple qui vous est confié, en cherchant à surmonter les craintes suscitées par les difficultés actuelles de votre pays et en demeurant physiquement près de vos fidèles pour qu’ils sentent concrètement votre solidarité.

En effet, la lecture de vos rapports quinquennaux témoigne des nombreux obstacles que vous devez affronter quotidiennement dans l’accomplissement de vos tâches: l’absence d’infrastructures, qui rend vos déplacements laborieux; la carence de moyens de communications convenables, qui gêne les échanges nécessaires entre vous; à cela s’ajoutent les problèmes obsédants créés par l’instabilité politique et l’embargo économique, et, plus que tout, le spectacle bouleversant d’un peuple en détresse, qui se débat au jour le jour pour survivre.

A ce propos, qu’il me soit permis de renouveler à toutes les composantes de la société haïtienne l’appel au dialogue que j’ai lancé lors de ma rencontre avec les membres du Corps Diplomatique le 15 janvier dernier, afin que l’on recherche ensemble le vrai bien de la nation! C’est aux Haïtiens eux-mêmes de bâtir leur avenir selon les principes que vous leur avez rappelés récemment.

En pasteurs zélés, vous continuez à réconforter et à guider votre peuple sur sa route, comme par l’émouvant message de Noël que vous avez adressé à vos fidèles et à tous les hommes de bonne volonté. Ce message manifeste une fois de plus votre souci, dans la présente conjoncture du pays, de venir en aide à vos communautés, de leur redonner espoir et d’allumer des phares pour leur action.

Face à la dégradation de la qualité de la vie, face à l’oubli de la dignité de l’homme, face au refus du progrès, vous rappelez les principes fondamentaux de la morale chrétienne et notamment de la doctrine sociale de l’Eglise. Je souhaite que votre enseignement soit entendu et mis en pratique afin que soient satisfaites les aspirations à la vérité, à la justice, à la liberté et à l’amour, qui sont au coeur de vos compatriotes.

Comme je vous le disais à Saint-Domingue, je porte devant Dieu les peines des uns et des autres, et je vous renouvelle l’assurance de ma sollicitude paternelle. Et je redis pour les habitants d’Haïti ce que je déclarais au sujet des populations martyrisées des Balkans, à la messe du 23 janvier dans la Basilique Vaticane: « Qu’ils ne se sentent pas seuls et abandonnés: vous n’êtes pas abandonnés, nous sommes avec vous et nous serons toujours plus avec vous! ».



4. La célébration de l’Année de la Famille m’offre naturellement l’occasion de vous dire un mot de cette « route » sur laquelle l’homme est appelé à cheminer, « route commune, tout en étant particulière, absolument unique, comme tout homme est unique; une route dont l’être humain ne peut s’écarter » [3].

La promotion de la vie conjugale et des structures familiales selon le dessein de Dieu, dont l’Eglise a la charge, est un de vos objectifs pastoraux les plus importants. L’an passé, en visitant une île de votre région, la Jamaïque, j’ai parlé du rôle indispensable de la famille. Des formes systématiques d’exploitation telles que l’esclavage ont donné naissance dans votre société à des modèles d’irresponsabilité sexuelle ou à des états de vie non conformes à la dignité chrétienne, comme le « plaçage ».

Aussi convient-il que vous proclamiez à temps et à contretemps l’enseignement de l’Eglise sur la famille.

L’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une intime communauté de vie et d’amour, a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur. De par sa nature elle est ordonnée au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants. Pour les baptisés, elle a été élevée par le Christ à la dignité de sacrement. En outre, la famille est apte, de façon unique, à communiquer des valeurs culturelles, éthiques, sociales et spirituelles, essentielles au développement de l’homme. Tout ce que vous aurez fait pour l’édification de vraies familles portera à long terme des fruits de justice, de bonheur et de prospérité pour votre pays et pour l’Eglise, sans parler de l’éveil de vocations sacerdotales ou religieuses dont les familles chrétiennes authentiques constituent le meilleur terreau.



5. La question de la formation des séminaristes et de la constitution de bonnes équipes de formateurs pour l’accompagnement des candidats au sacerdoce demeure aussi pour vous une tâche prioritaire.

Je vous encourage à faire face à ce problème avec détermination. C’est un domaine de très grande importance, car il y va de l’avenir de l’Eglise. Les évêques sont les premiers responsables de leurs futurs collaborateurs: aussi est-il normal qu’ils suivent de près la marche de leurs séminaires. Le document « Directives pour la préparation des éducateurs de séminaire », publié le 4 novembre 1993 par le Saint-Siège, vous sera précieux à cette fin.

Je vous invite à rester fermes pour l’admission des candidats à la vie sacerdotale; il convient de leur présenter d’emblée les exigences de cet état. Les demandes d’admission dans les séminaires haïtiens sont en augmentation. Sans doute, étant donné les incertitudes actuelles dans le pays, certains jeunes peuvent être tentés de rechercher un refuge au séminaire ou d’obtenir ainsi une promotion sociale. Un discernement approfondi des appels de Dieu n’en est que plus nécessaire.

Comme le recommande l’exhortation « Pastores Dabo Vobis » [4], je souhaite que le séminaire soit vraiment, au coeur de l’Eglise locale, une « communauté éducative en cheminement » qui forme les futurs prêtres par l’enseignement et l’action des responsables, mais aussi grâce à la qualité de la vie communautaire dirigée et animée spirituellement par toute l’équipe des formateurs. Plus qu’un groupe d’étudiants, la communauté du séminaire est une communauté de disciples du Christ, unie dans la célébration de l’Eucharistie, dans l’écoute de la Parole de Dieu, dans la charité fraternelle ainsi que dans le partage d’aspirations et de projets apostoliques.

Enfin, il faut poursuivre la formation après l’ordination dans le but de permettre aux prêtres de rester en phase avec leur temps et de relever les nouveaux défis pastoraux. Cette formation peut être dispensée non seulement lors de séminaires ou d’ateliers, mais aussi par l’étude personnelle. A ce sujet, je vous invite à profiter de l’offre qui vous a été faite d’envoyer à Rome certains de vos prêtres afin qu’ils y reçoivent un enseignement complémentaire pour l’enrichissement de leur vie sacerdotale.



6. L’importance que l’enfance et la jeunesse présentent pour l’avenir de l’Eglise ne peut être exagérée: vous en êtes conscients. Les jeunes ne doivent pas être regardés seulement comme l’objet de la sollicitude pastorale de l’Eglise: ils sont en fait et ils doivent être encouragés à être sans attendre des sujets actifs de l’évangélisation et à prendre part eux-mêmes à la rénovation sociale du pays.

Avec leur sensibilité, les jeunes perçoivent profondément les valeurs de justice, de non violence et de paix; leur coeur est ouvert à la fraternité et à la solidarité. Ils se mobilisent volontiers en faveur de causes telles que la qualité de la vie ou la conservation de la nature. Ils ont aussi leurs inquiétudes et leurs peurs.

Il convient donc d’avoir une pastorale adaptée à leurs besoins pour engager avec eux un dialogue cordial et courageux, dans la plus grande clarté. Les activités pour les jeunes et les associations de jeunesse doivent avoir pour but non pas simplement le bien-être de leurs membres, mais la formation de témoins de la foi auprès de leurs pairs.



7. La tâche de l’inculturation, c’est-à-dire le processus par lequel la foi chrétienne s’incarne dans une culture, est inhérente à l’annonce même de l’Evangile. C’est aussi pour vous, pasteurs haïtiens, une grande préoccupation.

La population d’Haïti, au charme reconnu et aux talents artistiques réels, est traversée par un courant dominant qui, parfois, tendrait à réduire la culture haïtienne aux dimensions du Vodou. Même s’il emprunte de nombreux éléments à l’expression religieuse haïtienne, le Vodou - vous le reconnaissez dans vos rapports - ne s’identifie pas à la culture haïtienne.

Il serait même dangereux de favoriser, à travers lui, un nationalisme de mauvais aloi. C’est un domaine qui requiert de votre part un discernement judicieux et une grande prudence, en même temps qu’une prise de position claire en vue d’éviter le danger de confusion, d’éclectisme ou de syncrétisme religieux.



8. Dans la perspective du Synode des Evêques sur la Vie consacrée, j’invite les religieux et les religieuses en Haïti à un approfondissement renouvelé du sens de leurs engagements. Ils sont nombreux à donner sur le terrain un exemple admirable de dévouement et de grande proximité avec le peuple fidèle, se faisant porteurs d’espérance auprès des plus démunis.

Je les encourage à poursuivre, dans la plus parfaite communion avec vous qui êtes les pasteurs de l’Eglise, leur travail multiforme et bienfaisant dans les domaines de la catéchèse, de la santé, de l’éducation, de l’accueil, de l’action sociale et de la promotion humaine. Ils devront également continuer d’aider avec vous les fidèles laïcs à grandir dans la ligne des principes de la foi, à fortifier leurs connaissances chrétiennes, à faire face à leurs engagements dans la vie sociale et politique, et aussi à répondre au défi du prosélytisme des sectes.



9. Avant de terminer, je voudrais recommander à votre prière la toute prochaine Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques: c’est un événement qui vous intéresse aussi et auquel vous participerez par votre représentant, Monseigneur Joseph Lafontant, Administrateur Apostolique « sede plena » de Port-au-Prince.

Enfin, je renouvelle le voeu que l’Eglise en Haïti demeure plus que jamais, grâce à son unité, une force spirituelle et morale à l’influence grandissante.

Plus spécialement, je souhaite que se développe un souci profond de l’homme et du caractère sacré de la vie. Avec vous, je prie pour que disparaisse tout ce qui entretient la peur et la haine, la division et l’injustice. Je le demande à Dieu par l’intercession de Notre-Dame du Perpétuel Secours et, de très grand coeur, je vous donne ainsi qu’à vos communautés diocésaines ma Bénédiction Apostolique.

[1] Pauli VI Evangelii Nuntiandi, EN 77.
[2] Ibid. EN 77
[3] Ioannis Pauli PP. II Gratissimam Sane, 2.
[4] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Pastores Dabo Vobis, PDV 60-62.




À L'ASSEMBLÉE PLENIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL DE LA CULTURE

Vendredi 18 mars 1994




Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l'Episcopat,
Chers Amis,



1. C'est avec joie que je vous accueille ce matin, membres, consulteurs et collaborateurs du Conseil pontifical pour la Culture, réunis sous la présidence du Cardinal Paul Poupard en cette première Assemblée plénière du Dicastère tel qu'il est constitué depuis l'union des précédents Conseils pontificaux pour le Dialogue avec les Non-Croyants et pour la Culture, selon le Motu proprio Inde a Pontificatus du 25 mars 1993.

Vous savez que, dès le début de mon Pontificat, j'ai insisté sur la grande portée des rapports entre l'Eglise et la culture. Dans la Lettre de fondation du Conseil Pontifical pour la Culture, je rappelais qu'« une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n'est pas pleinement accueillie, entièrement pensée et fidèlement vécue» (cf. Discours du 16 janvier 1982).

Une double constatation s'impose: la plupart des pays de tradition chrétienne font l'expérience d'une grave rupture entre l'Evangile et de larges secteurs de la culture, alors que dans les jeunes Eglises se pose avec acuité le problème de la rencontre de l'Evangile avec les cultures autochtones. Cette saturation indique déjà l'orientation de votre tâche: évangéliser les cultures et inculturer la foi. Permettez-moi de l'expliciter sur certains points qui me semblent particulièrement importants.



2. Le phénomène de la non-croyance, avec ses conséquences pratiques que sont la sécularisation de la vie sociale et privée, l'indifférence religieuse ou même le rejet explicite de toute religion, reste l'un des sujets prioritaires de votre réflexion et de vos préoccupations pastorales: il convient d'en rechercher les causes historiques, culturelles, sociales et intellectuelles, et en même temps de promouvoir un dialogue respectueux et ouvert avec ceux qui ne croient pas en Dieu ou ne professent aucune religion; l'organisation de rencontres et d'échanges avec eux, comme vous l'avez fait dans le passé, ne peut que porter des fruits.



3. L'inculturation de la foi est l'autre grande tâche de votre dicastère. Des centres spécialisés de recherche pourront vous aider dans son accomplissement. Mais il ne faut pas oublier que c'est «l'affaire de tout le peuple de Dieu et pas seulement de quelques experts, car on sait que le peuple reflète l'authentique sens de la foi» (Redemptoris missio RMi 54). L'Eglise, par un long processus d'approfondissement, prend peu à peu conscience de toute la richesse du dépôt de la foi à travers la vie du peuple de Dieu: dans le processus de l'inculturation, on passe de l'implicite vécu à l'explicite connu. De manière analogue, l'expérience des baptisés qui vivent dans l'Esprit Saint le mystère du Christ, sous la conduite de leurs pasteurs, les amène à discerner progressivement les éléments des diverses cultures compatibles avec la foi catholique et à renoncer aux autres. Cette lente maturation demande beaucoup de patience et de sagesse, une grande ouverture de coeur, un sens averti de la Tradition et une belle audace apostolique, à l'exemple des Apôtres, des Pères et des Docteurs de l'Eglise.


4. En créant le Conseil pontifical pour la Culture, j'ai voulu «donner à toute l'Eglise une impulsion commune dans la rencontre sans cesse renouvelée du message du salut de l'Evangile avec la pluralité des cultures ». Je lui confiais aussi le mandat de «participer aux préoccupations culturelles que les dicastères du Saint-Siège entretiennent dans leur travail, de manière à faciliter la coordination de leurs tâches pour l'évangélisation des cultures, et à assurer la coopération des institutions culturelles du Saint-Siège » (Lettre du 20 mai 1982). C'est dans cette perspective que je vous ai confié la mission de suivre et de coordonner l'activité des Académies pontificales, en conformité avec leurs buts propres et leurs statuts, et d'entretenir des contacts réguliers avec la Commission pontificale pour les Biens culturels de l'Eglise, « de manière à assurer une harmonie de finalité et une féconde collaboration mutuelle » (Motu proprio Inde a Pontificatus, 25 mars 1993).



5. Pour mieux accomplir votre tâche, vous êtes appelés à établir des rapports plus étroits avec les Conférences épiscopales et spécialement avec les commissions pour la culture qui devraient exister au sein de toutes les Conférences, comme vous le leur avez récemment demandé. Ces commissions sont appelées à être des foyers de promotion de la culture chrétienne dans les différents pays et des centres de dialogue avec les cultures étrangères au christianisme. Les organismes privilégiés de promotion de la culture chrétienne et de dialogue avec les milieux culturels non chrétiens sont assurément les centres culturels catholiques, nombreux à travers le monde, dont vous soutenez l'action et favorisez le rayonnement. A cet égard, la première rencontre internationale que vous venez d'organiser à Chantilly permet d'espérer d'autres échanges fructueux.



6. Dans le même ordre d'idées, vous collaborez avec les Organisations internationales catholiques, spécialement avec celles qui regroupent des intellectuels, des scientifiques et des artistes, prenant «des initiatives appropriées concernant le dialogue entre la foi et les cultures, et le dialogue interculturel» (cf. Motu proprio Inde a Pontificatus, art, 3).

Par ailleurs, vous suivez la politique et l'action culturelle des gouvernements et des Organisations internationales, telles que l'Unesco, le Conseil de coopération culturelle du Conseil de l'Europe, et d'autres organismes, soucieux de donner une dimension pleinement humaine à leur politique culturelle.



7. Votre action, directe ou indirecte, dans les milieux où s'élaborent les grands axes de la pensée du troisième millénaire, vise à donner une nouvelle impulsion à l'activité des chrétiens en matière culturelle, qui a sa place dans l'ensemble du monde contemporain. Dans cette vaste entreprise, aussi urgente que nécessaire, vous avez à conduire un dialogue qui paraît plein de promesses avec les représentants de courants agnostiques ou avec les non-croyants, qu'ils s'inspirent d'antiques civilisations ou de démarches intellectuelles plus récentes.

8. «Le christianisme est créateur de culture dans son fondement même» (Discours à l'Unesco, 2 juin 1980). Dans le monde chrétien, une culture réellement prestigieuse s'est épanouie tout au long des siècles, tant dans le domaine des lettres et de la philosophie que dans celui des sciences et des arts. Le sens même du beau dans l'antique Europe est largement tributaire de la culture chrétienne de ses peuples, et son paysage a été modelé à son image. Le centre autour duquel s'est construite cette culture est le coeur de notre foi, le mystère eucharistique. Les cathédrales comme les humbles églises des campagnes, la musique religieuse comme l'architecture, la sculpture et la peinture, rayonnent du mystère du Verum Corpus, natum de Maria Virgine, vers lequel tout converge dans un mouvement d'émerveillement. Pour la musique, j'évoquerai volontiers cette année Giovanni Pierluigi da Palestrina, à l'occasion du quatrième centenaire de sa mort. Il semblerait qu'en son art, après une période de troubles, l'Eglise retrouve une voix pacifiée par la contemplation du mystère eucharistique, comme une calme respiration de l'âme qui se sait aimée de Dieu.

La culture chrétienne reflète admirablement le rapport de l'homme avec Dieu, renouvelé dans la Rédemption. Elle ouvre à la contemplation du Seigneur, vrai Dieu et vrai homme. Cette culture est vivifiée par l'amour que le Christ répand dans les coeurs (cf. Rm 5,5) et par l'expérience des disciples appelés à l'imitation de leur Maître. De telles sources ont fait naître une conscience intense du sens de l'existence, une force de caractère épanouie au coeur des familles chrétiennes et une finesse de sensibilité inconnue auparavant. La grâce éveille, libère, purifie, ordonne et dilate les puissances créatrices de l'homme. Et si elle invite à l'ascèse et au renoncement, c'est pour libérer le coeur, liberté éminemment favorable à la création artistique comme à la pensée et à l'action fondées sur la vérité.



9. Aussi, dans cette culture, l'influence exercée par les saints et les saintes est-elle déterminante: par la lumière qu'ils répandent, par leur liberté intérieure, par la puissance de leur personnalité, ils marquent la pensée et l'expression artistique de périodes entières de notre histoire. Qu'il suffise d'évoquer saint François d'Assise: il avait un tempérament de poète, ce qu'attestent amplement ses paroles, ses attitudes, son sens inné du geste symbolique. Se situant bien loin de toute préoccupation littéraire, il n'en est pas moins créateur d'une culture nouvelle, dans les domaines de la pensée et de l'expression artistique. Un saint Bonaventure et un Giotto ne se seraient pas épanouis sans lui.

C'est dire, Chers Amis, où réside la véritable exigence de la culture chrétienne. Cette merveilleuse création de l'homme ne peut découler que de la contemplation du mystère du Christ et de l'écoute de sa parole, mise en pratique avec une totale sincérité et un engagement sans réserve, à l'exemple de la Vierge Marie. La foi libère la pensée et ouvre de nouveaux horizons au langage de l'art poétique et littéraire, à la philosophie, à la théologie, ainsi qu'à d'autres formes de création propres au génie humain.

C'est à l'épanouissement et à la promotion de cette culture que vous êtes appelés: les uns par le dialogue avec les non-croyants, d'autres par la recherche de nouvelles expressions de l'être-chrétien, tous par un rayonnement culturel plus vigoureux de l'Eglise en ce monde en quête de beauté et de vérité, d'unité et d'amour.

Pour accomplir vos tâches si belles, si nobles et si nécessaires, ma Bénédiction Apostolique vous accompagne, avec mon affectueuse gratitude.





Avril 1994



À UN GROUPE DE JEUNES DE ROUEN

Lundi 25 avril 1994




Chers amis,

Je remercie votre Archevêque, Monseigneur Duval, de vous conduire jusqu’à moi. C’est avec un vif plaisir que je vous accueille ici. Je souhaite que votre pèlerinage à Rome soit une belle occasion de bien saisir toutes les dimensions de l’Eglise. Vous venez auprès des tombeaux de Pierre et de Paul: ils sont les premiers qui ont établi l’Eglise à Rome. Ils demeurent des colonnes du Corps du Christ, répandu à travers le monde. Vous marchez ici sur les traces de nombreux martyrs et de saints aux vocations très diverses: ils ont modelé le visage de l’Eglise en reflétant, chacun à sa manière, le visage du Christ.

A Rome aussi, vous pouvez entrevoir ce qui fait la vitalité de l’Eglise aujourd’hui: c’est un carrefour pour les chrétiens de tous les continents. En ce moment, se déroule l’Assemblée pour l’Afrique du Synode des Evêques; mais l’Eglise universelle est concernée: priez pour vos frères et soeurs d’Afrique, priez pour leurs Eglises, pour la paix et le développement humain de leurs pays trop souvent blessés et défavorisés; inspirez-vous aussi de leur enthousiasme pour la foi et de leur sens très vif de la communauté.

Vous êtes à des étapes fondamentales de votre formation: je vous invite à recevoir la Parole de Dieu qui est parole de vie: par les Apôtres et les Evangélistes, le Seigneur s’adresse à vous, il vous appelle à le suivre, il vous transmet les dons de la foi, de l’espérance et de l’amour.

Chers amis, puissiez-vous dire avec saint Paul: « Je sais en qui j’ai mis ma foi » [1]! A partir de là, vous saurez reconnaître la grandeur de la vocation de l’homme. Vous vous engagerez à toujours respecter sa vie. Vous vous préparerez à fonder une famille qui reflète la communion d’amour qui est en Dieu. Vous serez des artisans de relations sociales justes et fraternelles. Vous défendrez la dignité du travail pour le bien de tout homme. Vous participerez activement à la vie de l’Eglise, et, si l’appel vous est adressé, vous vous engagerez totalement à son service.

La communauté ecclésiale compte sur vous. En confiant votre avenir chrétien au Seigneur, mort et ressuscité pour que nous ayons la vie, je vous bénis de tout coeur.

[1] 2Tm 1,12.






AUX ÉVÊQUES DE LA CONFÉRENCE ÉPISCOPALE DU BURUNDI EN VISITE «AD LIMINA APOSTOLORUM»

Vendredi 29 avril 1994




Chers frères dans l’épiscopat,



1. Je suis heureux de vous accueillir en ces lieux pour votre visite ad limina, la première depuis mon mémorable voyage pastoral dans votre pays, en septembre 1990, et la rencontre privée que nous avons eue à la Nonciature de Bujumbura. Je remercie de tout coeur Monseigneur Bernard Bududira, Evêque de Bururi et Président de la Conférence des Evêques catholiques du Burundi, des paroles très aimables qu’il m’a adressées en votre nom.

Cette année, votre venue à Rome coïncide avec la tenue de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des Evêques, en un moment où l’Eglise universelle est en quelque manière invitée à vivre à l’heure de votre continent. C’est une conjoncture bénie pour exprimer vos liens de communion avec le Successeur de Pierre, entouré, en ces jours, de tant de membres du collège épiscopal. Ce temps de grâce vous permet de partager vos préoccupations et vos espoirs avec des pasteurs d’autres pays, tout en recevant d’eux encouragement et soutien fraternels. C’est une occasion favorable de rendre encore plus éloquente votre prière aux tombeaux des saints Apôtres, alors que de nombreux amis de l’Afrique intercèdent avec vous. Puisse votre visite ad limina de 1994 compter parmi les plus fructueuses, pour le bien de l’Eglise qui est au Burundi et pour le bien de votre nation!



2. Certes, nous aurions aimé que cette réunion se fasse dans une atmosphère toute sereine. Malheureusement, elle demeure empreinte de gravité, en raison du drame que vit depuis quelques mois le peuple burundais, aux côtés d’une nation soeur déchirée par une guerre civile atroce.

Je renouvelle aujourd’hui devant vous les appels que j’ai récemment lancés en faveur du Burundi. Plus de massacres, ni de violences, ni de pillages. Je forme le voeu ardent que l’on renonce aux pensées de haine et de vengeance, et que, pratiquant le pardon, à l’exemple du Christ, on s’engage sur la voie du dialogue, afin que la paix devienne réalité au Burundi - cette paix qui est le don du Christ ressuscité, comme nous le rappelle le temps pascal.



3. Abordant avec vous, il y a cinq ans, la grave question ethnique, je vous disais que la patience en même temps que la détermination étaient nécessaires pour réussir à faire vivre en frères tous les habitants du Burundi, et je sais les efforts que vous avez déployés dans ce sens.

Dans l’actuelle période de crise, vous oeuvrez sans relâche, au niveau diocésain comme au niveau national, pour adopter une ligne d’action claire, dans le but de contribuer à éloigner des maux encore plus graves et de faciliter le rapprochement entre les diverses instances politiques, administratives et militaires. L’ouragan de violence qui s’est abattu sur le pays a non seulement semé la mort et fait un nombre considérable de veuves, d’orphelins, de réfugiés et de sans-abri, mais elle a profondément affecté le tissu social en révélant au grand jour une grave crise morale. Je souhaite vivement que le programme d’action pastorale que vous avez établi pour cette année suscite une profonde révision de vie et le redressement des consciences. En particulier, je forme le voeu que vous favorisiez le climat de compassion nécessaire à l’accueil charitable de tant de réfugiés ou de personnes déplacées, victimes de l’instabilité régionale.

Laissez-moi vous encourager à être toujours et partout porteurs d’espérance, afin que les membres de vos communautés diocésaines, réalisant une sincère conversion du coeur, s’engagent résolument sur la voie de la réconciliation fraternelle et cherchent à bâtir un Burundi meilleur, dans la collaboration avec leurs compatriotes d’autres croyances.

En ce temps pascal, où nous célébrons la victoire du Christ sur les forces du mal et les divisions des hommes, il convient de se rappeler les fortes paroles de saint Paul: « Vous êtes tous fils de Dieu par la foi au Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ: il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus » [1].



4. A la lecture de vos rapports quinquennaux, il apparaît qu’au nombre de vos priorités pastorales vous mettez en premier lieu la formation du clergé, tant à son stade initial dans les séminaires qu’au niveau de l’accompagnement après l’ordination.

Parmi les divers moyens indiqués dans l’Exhortation apostolique Pastores Dabo Vobis afin de promouvoir la pédagogie dans les séminaires, la préparation spécifique des éducateurs vient en tête, car ils occupent à cet égard une position-clef, qui détermine l’esprit et l’efficacité de la formation. Permettez-moi de vous renvoyer au document que la Congrégation pour l’Education Catholique a publié le 4 novembre 1993 à l’intention des évêques pour faciliter la préparation professionnelle des équipes éducatives. Egalement, étant donné l’importance que revêt la charge d’éducateur des séminaristes, je vous invite à accepter généreusement de désigner pour cette mission les prêtres de vos diocèses que vous jugeriez aptes.

En ce qui concerne la formation permanente du clergé, tout ce que vous faites pour soutenir la vie de prière des prêtres, leur ressourcement par la fréquentation de la Parole de Dieu ou leur réflexion grâce à des instances de concertation et d’étude, favorisera leur équilibre personnel et enrichira leur ministère. Le « Directoire pour le ministère et la vie des prêtres », publié le 31 mars dernier par la Congrégation pour le Clergé, vous sera utile pour cette formation permanente, qui est « un droit-devoir du prêtre » et « un droit-devoir de l’Eglise » [2].



5. Comme dans bien des pays africains, on compte chez vous, parmi les principaux acteurs de l’évangélisation, l’«armée des catéchistes hommes et femmes qui, pénétrés de l’esprit apostolique, apportent par leurs labeurs considérables une aide singulière et absolument nécessaire à l’expansion de la foi et de l’Eglise »[3]. J’ai relevé avec satisfaction que vous vous employez à donner une sérieuse formation de base aux débutants et que vous cherchez à procurer le renouvellement nécessaire à ceux qui sont déjà à l’oeuvre sur le terrain.

La préparation adéquate des catéchistes et des autres agents pastoraux, afin qu’ils s’acquittent au mieux de leur mission, est d’autant plus nécessaire qu’ils se trouvent en première ligne face au défi des sectes. En pasteurs avertis de l’ampleur de ce phénomène préoccupant, vous saurez former les uns et les autres pour qu’ils répondent avec sagesse aux besoins spirituels qui se manifestent chez les croyants et aux questions vitales posées, entre autres, sur la souffrance, la maladie et la mort.



6. Parmi les autres priorités de la pastorale diocésaine se trouve la formation des fidèles laïcs, comme le demande l’exhortation Christifideles Laici. Elle doit avoir comme objectif fondamental la découverte toujours plus claire de leur vocation personnelle et la disponibilité toujours plus grande à la vivre dans l’accomplissement de leur mission propre.

Il convient d’aider les laïcs, et tout particulièrement les élites, à rechercher l’unité de leur existence. «Il ne peut y avoir deux vies parallèles: d’un côté, la vie qu’on nomme "spirituelle" avec ses valeurs et ses exigences; et de l’autre, la vie dite "séculière", c’est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d’engagement politique, d’activités culturelles» [4]. Une foi qui ne devient pas culture est une foi qui n’est ni pleinement pensée ni fidèlement vécue.

Comme je l’ai souligné dans mon homélie à la messe d’ouverture du Synode, il importe d’appliquer les principes de la doctrine sociale catholique aux nécessités de l’Afrique. Je souhaite donc que, avec les méthodes pédagogiques qui conviennent, vous donniez aux fidèles les moyens de bien connaître l’enseignement social de l’Eglise afin qu’ils sachent remplir, en baptisés, tous leurs devoirs de citoyens. La construction politique et l’organisation de la vie sociale relèvent de leur compétence.



7. La solidité de la communauté familiale a longtemps été une des richesses de la société traditionnelle burundaise. En cette Année internationale de la Famille, je ne puis que vous encourager à évangéliser cette cellule de base et à être des animateurs de la pastorale familiale, dans toutes ses dimensions: la vie chrétienne des époux, leurs responsabilités pour l’accueil de la vie et l’éducation des enfants.

Comme je l’écrivais dans ma « Lettre aux Familles », il faut inviter les hommes et les femmes de notre temps à comprendre « la grandeur des biens que sont le mariage, la famille et la vie; le grand péril constitué par le refus de respecter ces réalités et par le manque de considération pour les valeurs suprêmes qui fondent la famille et la dignité de l’être humain »[5]. Les fils et les filles d’Afrique aiment la vie: puissent-ils être fidèles à ces valeurs traditionnelles et les transmettre à nos contemporains!



8. En m’adressant à vous, à Bujumbura, lors de ma visite pastorale, je m’étais étendu assez longuement sur la pandémie du SIDA, qui atteint un nombre impressionnant de vos compatriotes. La pastorale de l’Eglise dans ce domaine, vous disais-je, est confrontée à un ensemble de défis. Il faut informer et éduquer sans accepter que le problème soit traité au mépris de l’éthique; il faut guider les hommes et les femmes vers la maturité affective et la sexualité ordonnée.

Enfin, en attendant que vienne le jour où le fléau du SIDA sera vaincu, cherchons à aider ceux qui souffrent, à soutenir les familles brisées, à prendre en charge les orphelins et à demeurer proches des personnes que certains seraient tentés de fuir. Essayons de nous faire tout à tous, à l’exemple de l’admirable apôtre des lépreux, le Père Damien de Veuster que j’aurai la joie d’inscrire au nombre des bienheureux très prochainement. Les progrès de la médecine ont permis de vaincre la lèpre, cette plaie des âges: prions afin que les scientifiques d’aujourd’hui trouvent les remèdes nécessaires pour juguler le nouveau mal des temps modernes.



9. La perspective des assises synodales d’octobre prochain me donne l’occasion de vous encourager dans votre souci de développer la vie religieuse.

Les personnes consacrées, loin d’être considérées comme de simples auxiliaires de l’apostolat dans le diocèse, attendent des pasteurs qu’ils cherchent à promouvoir leur vie religieuse comme école de sainteté, car les évêques sont eux-mêmes avant tout des maîtres spirituels.

La consécration religieuse fait aussi des personnes qui la reçoivent des artisans d’unité, des témoins des valeurs de liberté, de justice, de miséricorde et de paix. Puissent les religieux et les religieuses de votre pays apporter toujours leur bienfaisante contribution, suivant leurs charismes spécifiques, à la reconstruction d’une société burundaise pacifique, juste et fraternelle!

10. Les catholiques burundais vont célébrer, en 1998, le centenaire de l’évangélisation du pays. Je souhaite qu’ils se préparent à cet événement dans la ferveur de la prière et que tous approfondissent leur foi afin qu’elle soit la source d’un dynamisme capable de transformer la société. Confiant vos initiatives à Notre-Dame, je donne à tous, pasteurs et fidèles, ma Bénédiction Apostolique.


[1] Ga 3,26-28.
[2] Cfr. Congr. pro Clericis Directorium pro Presbyterorum Ministerio et vita, 19, die 31 ian. 1994.
[3] Ad Gentes, AGD 17.
[4] Ioannis Pauli PP. II Christifideles Laici, CL 59.
[5] Eiusdem Gratissimam Sane, 23.



Juin 1994


Discours 1994 - Samedi 5 mars 1994