Discours 1994 - Lundi 5 septembre 1994


AUX PARTICIPANTS À L'ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE DU CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX »

Palais Pontifical de Castel Gandolfo, Jeudi 29 septembre 1994




Messieurs les Cardinaux,
Chers Frères dans l’Épiscopat,
Chers amis,



1. Je suis très heureux de vous rencontrer à l’occasion de l’Assemblée plénière du Conseil pontifical «Justice et Paix», dont le thème d’études est: «L’Église face aux grands changements actuels dans le monde». Je remercie M. le Cardinal Etchegaray pour la présentation de vos travaux et je salue cordialement les membres du Conseil, venus de toutes les parties du monde, ainsi que les collaborateurs du dicastère.

Cette audience me permet de vous exprimer de vive voix ma gratitude pour la part que vous prenez avec générosité aux nombreuses initiatives du Siège Apostolique, qui désire aider les hommes à se conduire dans l’esprit de la béatitude évangélique des « artisans de paix »[1]. Il y a seulement quelques semaines, en vue de la visite que je prévoyais à Sarajevo et de celle que j’ai effectuée à Zagreb, l’Évangile de la paix a inspiré une prière instante et un ardent appel au pardon. L’oeuvre de paix, dans le cadre de la mission pastorale de l’Église, doit devenir pour tous les fidèles un engagement toujours plus concret.



2. A juste titre, votre réflexion s’est portée sur les principaux changements en cours dans le monde. D’une manière paradoxale, en effet, la fin du système bipolaire – dont j’ai parlé dans l’encyclique « Centesimus Annus » –, au lieu de favoriser l’entrée dans une ère de paix, a conduit à une profonde modification des équilibres mondiaux. Et cela provoque un sentiment d’instabilité et d’incertitude qui va parfois jusqu’à alimenter certains regrets de ce qu’on avait raison d’appeler l’équilibre de la terreur. Devant cette situation nouvelle inquiétante, on ne doit pas désespérer ni renoncer à s’engager. Au contraire, l’espérance chrétienne invite au courage; il faut examiner la situation mondiale avec la conviction qu’il est possible d’aller vers un développement authentique et vers une paix durable, dans le respect de l’homme et de la création. Toute l’Église est appelée à l’espérance et à la confiance pour travailler sur ce terrain. C’est dans cet esprit qu’à Zagreb j’ai affirmé la conviction chrétienne que la paix n’est pas une utopie, mais qu’elle est possible, si on la veut réellement, tandis que la guerre est privée de toute justification.



3. Notre regard sur la situation historique, éclairé par l’espérance chrétienne, nous permet d’aborder un des aspects les plus caractéristiques des changements actuels: je pense aux revendications de ceux qui animent l’économie de marché, désirant élargir leur liberté d’action. Dans les théories et les pratiques de l’économie libérale, les exigences de la justice, de l’équité et de la solidarité risquent de paraître contraires à la recherche de l’efficacité. Mais le Magistère de l’Église, de « Rerum Novarum » jusqu’à « Centesimus Annus », dans sa critique pondérée du capitalisme, a toujours refusé la prétendue rationalité de telles théories. Il enseigne plutôt que le respect des obligations morales n’entrave pas l’efficacité, mais, en réalité, y contribue.

Dans le domaine économique, il convient de bien situer le rôle de l’État: il lui revient de garantir la liberté économique mais, en même temps, d’assurer l’exercice de cette liberté dans le respect du bien commun. D’ailleurs, nous avons la satisfaction de constater que l’enseignement social de l’Église retient de plus en plus l’attention de nombreux économistes et de beaucoup de responsables de la vie économique et politique.

Le Saint-Siège apportera sa contribution propre sur ces thèmes importants à la Conférence mondiale sur le développement social, prévue par les Nations unies pour l’an prochain. Cette Conférence devra encourager les efforts des nations et de la communauté internationale pour soutenir un ordre économique capable de promouvoir la participation de tous, spécialement par le travail. Elle devra tracer des voies nouvelles afin d’éviter la désagrégation de la société, d’éliminer la pauvreté et de garantir la protection sociale, surtout en faveur des plus démunis. Investir pour le développement humain, le rendre accessible à tous dans la dignité et la sécurité, ce sont là des objectifs prioritaires pour la politique économique des nations.



4. L’équilibre qui caractérise la doctrine de l’Église dans le domaine économique et social permettra aussi de contribuer utilement à la solution des grandes difficultés résultant de l’opposition préoccupante entre, d’une part, le processus d’internationalisation et de mondialisation des problèmes et, d’autre part, des revendications inspirées par le nationalisme et le régionalisme. Là encore, il s’agit de susciter un rapport de réciprocité entre ces différentes réalités. La doctrine sociale de l’Église reconnaît la valeur de l’appartenance à une nation [2]; mais elle a toujours nettement refusé le point de vue de ceux qui en font un facteur naturel de concurrence et d’opposition. On doit plutôt faire en sorte que, dans la culture des nations et des gouvernements, se développe le sens de la communauté internationale dans un esprit de solidarité[3]. L’objectif des nations et des États ne doit pas être de se servir de la communauté internationale à seule fin d’augmenter leur puissance et leur bien-être; il devrait comprendre, au contraire, les services que l’on peut rendre à l’ensemble de la communauté humaine avec les moyens disponibles. Dans cette perspective si importante à nos yeux, les chrétiens sont appelés à travailler avec cohérence et largeur de vue, en s’inspirant de l’enseignement social de l’Église aussi bien dans la théorie que dans la pratique.



5. Devant les problèmes complexes de notre temps, les chrétiens doivent rendre compte de l’espérance qui est en eux [4]. Ils ont conscience de la valeur universelle de leur foi, qui a une incidence dans tous les domaines de l’existence. Le Christ, notre salut, nous éclaire sur le sens de la vie humaine et sur le destin du monde; il nous rend libres pour relever les défis multiples que nous opposent les profonds changements actuels, dramatiques pour beaucoup de nos frères et soeurs.

La doctrine sociale de l’Église, inspirée par l’Évangile, est l’instrument approprié pour que les chrétiens de notre temps se mesurent à ces défis, conscients de la richesse et de l’irréductible originalité de leur héritage, défenseurs d’une conception de l’homme et de l’histoire en harmonie avec leur foi.

Le Conseil pontifical « Justice et Paix » a pour mission d’accomplir une oeuvre considérable de formation, afin de permettre aux chrétiens de donner à leur engagement social et politique une qualité spirituelle et culturelle qui réponde aux exigences du moment présent. Je tiens à remercier ici les responsables du Conseil, ses membres et tous ses collaborateurs pour le service compétent qu’ils rendent avec générosité au Saint-Siège et à toute l’Église.

A tous, j’accorde volontiers la Bénédiction Apostolique.

[1] Mt 5,9.
[2] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Centesimus Annus, CA 50.
[3] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Sollicitudo Rei Socialis, SRS 39-40.
[4] Cfr. 1P 3,15.






AU PREMIER AMBASSADEUR DE L'ÉTAT D'ISRAËL PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S.Exc. M. SHMUEL HADAS À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Jeudi 29 septembre 1994




Monsieur l'Ambassadeur,

1. C'est avec une vive satisfaction que j'accueille Votre Excellence pour la remise des Lettres qui L'accréditent en qualité de premier Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de l'Etat d'Israël auprès du Saint-Siège. L'importance de cette cérémonie sera reconnue de tous, car les relations diplomatiques récemment établies sont ainsi rendues effectives par la présence d'un Chef de mission du rang le plus élevé, en application de l'Accord fondamental signé le 30 décembre 1993 à Jérusalem.

Dans le passé, il m'est agréable de le rappeler aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de recevoir ici plusieurs hautes personnalités de l'Etat d'Israël, ainsi que mes Prédécesseurs l'avaient fait auparavant. Ces contacts ont permis, tout en tenant compte de points de vue différents sur certains sujets, de s'acheminer vers le dialogue organique qui a été confié, voici plus de deux ans, à la Commission bilatérale permanente de travail. Je tiens à exprimer ma gratitude aux membres de cette Commission; de part et d'autre, ils se sont consacrés avec compétence aux échanges de vues approfondis qui ont conduit à la signature de L'Accord fondamental, ouvrant une ère nouvelle dans nos relations.



2. Monsieur l'Ambassadeur, je vous remercie pour les paroles que vous venez de m'adresser, et auxquelles je suis fort sensible. Ainsi que vous le soulignez, il est vrai que les relations diplomatiques ne constituent pas une fin en soi, mais qu'elles représentent un point de départ pour une collaboration spécifique, compte tenu de la nature propre du Saint-Siège et de l'Etat d'Israël. L'étude de diverses questions bilatérales se poursuit, ainsi qu'en a disposé l'Accord du 30 décembre dernier en instituant deux sous-commissions qui devraient permettre d'avancer en commun sur la voie d'une collaboration fondée sur des bases solides.

D'ailleurs, la collaboration ne concerne pas seulement le Saint-Siège et l'Etat d'Israël, elle implique également une relation confiante entre les Autorités israéliennes et les différentes Institutions de l'Eglise catholique présentes sur le sol de la Terre Sainte.



3. Vous l'avez dit, au-delà des négociations bilatérales, le Saint-Siège et l'Etat d'Israël ont à promouvoir, chacun selon les compétences et les moyens d'action qui lui sont propres, les principes essentiels que rappelle leur Accord fondamental. Ils s'attachent, en premier lieu, au respect du droit de liberté de religion et de conscience, qui est une condition indispensable au respect de la dignité de tout être humain. Ils collaborent pour s'opposer à toute forme d'intolérance, quelle que soit la manière dont elle s'exprime. Très spécialement, ils s'opposent avec vigilance à tout antisémitisme, sachant qu'on a dû en constater récemment encore de déplorables manifestations.



4. Dans beaucoup de parties du monde, des conflits violents continuent malheureusement de meurtrir de nombreux peuples. Le Saint-Siège n'épargne pas ses efforts, compte tenu de sa mission spécifique, pour que l'on surmonte les oppositions ou les ressentiments, souvent d'origine lointaine, afin d'ouvrir les voies de la paix. Sans la paix, le développement intégral de l'homme est entravé, la survie de groupes entiers, compromise, la culture et l'identité même de plus d'une nation, menacée d'effacement.

On ne peut donc qu'encourager le processus de paix au Moyen-Orient que le Saint-Siège appelait de ses voeux depuis longtemps. Le chemin à parcourir reste long et ardu, mais il ne paraît désormais plus utopique de dire que la confiance mutuelle entre les peuples du Moyen-Orient peut s'instaurer. En prenant acte avec satisfaction de ce qui a déjà été accompli par les responsables d'Israël et de toute la région, j'invoque sur eux l'aide du Tout-Puissant afin qu'il leur soit donné de poursuivre leurs efforts avec l'audace de la paix.



5. Vous avez évoqué également, Monsieur l'Ambassadeur, le désir de voir les institutions culturelles de votre Etat intensifier leur coopération avec les institutions culturelles de l'Eglise catholique. J'accueille d'autant plus volontiers ces propos que les échanges universitaires, déjà entrepris en diverses circonstances, me paraissent tout à fait souhaitables. C'est vrai d'une manière générale, car la vie intellectuelle en bénéficie naturellement. C'est particulièrement opportun dans la mesure où une part importante de nos racines culturelles nous sont communes, à commencer par les écrits de la Bible, le Livre des Livres, source toujours vivante. Entre Juifs et membres de l'Eglise, la conception de l'homme, de sa vocation spirituelle et de sa moralité reçoit des Livres saints un éclairage singulier. Il ne peut être qu'utile aux uns et aux autres de mettre leur savoir en commun pour approfondir l'intelligence des Ecritures, et mieux connaître les civilisations et le cadre historique où elles se sont développées au long de tant de siècles, notamment par le recours à l'archéologie, à la philologie ou à l'étude des traditions religieuses doctrinales et spirituelles.



6. Le caractère particulier des relations entre l'Etat d'Israël et le Saint-Siège résulte, bien évidemment, du caractère unique de cette Terre vers laquelle se portent les regards de la majorité des croyants, Juifs, Chrétiens et Musulmans du monde entier. Cette Terre a été rendue sainte par la Révélation du Dieu unique aux hommes; elle en porte à jamais la marque et ne cesse d'être un lieu d'inspiration pour ceux qui peuvent s'y rendre en pèlerinage. Très particulièrement, les croyants des grandes religions monothéistes se tournent vers la Cité Sainte de Jérusalem, dont nous savons qu'elle est encore aujourd'hui le théâtre de divisions et de conflits, mais qui demeure « un patrimoine sacré pour tous ceux qui croient en Dieu »[1] et, ainsi que le signifie son admirable nom, un carrefour et un symbole de paix. Il est à souhaiter, en outre, que le caractère unique et sacré de cette Ville Sainte soit l'objet de garanties internationales qui assureront aussi son accès à tous les croyants. Comme j'ai eu naguère l'occasion de l'écrire, « je rêve au jour où les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans se salueront entre eux à Jérusalem avec la salutation de paix » [2].



7. Monsieur l'Ambassadeur, vous avez vous-même insisté sur la signification historique de la présente cérémonie, au-delà des conventions diplomatiques habituelles. Une nouvelle époque s'ouvre, en effet, dans les relations entre le Saint-Siège et l'Etat d'Israël, par un dialogue suivi et une collaboration active dans les domaines que je viens d'évoquer. Tout cela va contribuer à rendre plus intense le dialogue entre l'Eglise catholique et le Peuple juif d'Israël et du monde entier. La compréhension mutuelle à déjà fait d'importants progrès, notamment sous l'impulsion du deuxième Concile du Vatican [3]. Je souhaite que se poursuivent et s'approfondissent ces échanges judéo-chrétiens, et qu'ils permettent aux uns et aux autres de mieux servir les grandes causes de l'humanité.



8. Excellence, vous vous êtes fait l'interprète des sentiments du Président de l'Etat d'Israël et du Gouvernement du pays, et de leurs voeux en une circonstance si riche de sens. Je vous prie de transmettre aux hautes Autorités de l'Etat d'Israël l'expression de ma gratitude pour leur message et de mes souhaits sincères pour l'accomplissement de leurs tâches au service de la concorde et de la paix désirées par tous leurs concitoyens.

À vous-même, Excellence, j'offre également mes voeux chaleureux pour l'heureux déroulement de votre mission et de votre séjour dans la Ville de Rome. Vous pouvez être assuré que mes collaborateurs vous accueilleront toujours volontiers et vous apporteront l'aide dont vous aurez besoin.

En bénissant le Très-haut qui a permis cette rencontre historique, je Le prie de vous accorder, ainsi qu'à vos proches et à tous vos compatriotes, l'abondance de ses dons.

[1] Ioannis Pauli PP. II Litterae Apostolicae « Redemptoris Anno » de Ierusalem civitate, die 20 apr. 1984: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 1069 ss.
[2] Ibid., p. 1071.
[3] Nostra Aetate.



Octobre 1994



AU NOUVEL AMBASSADEUR DU LIBAN PRÈS LE SAINT-SIÈGE, S.Exc. M. YOUSSEF ARSANIOS À L'OCCASION DE LA PRÉSENTATION DES LETTRES DE CRÉANCE

Samedi 1\2er\0 octobre 1994




Monsieur l’Ambassadeur,



1. Il m’est agréable d’accueillir Votre Excellence, en cette cérémonie qui marque le commencement de sa mission d’Ambassadeur du Liban par la présentation des Lettres qui L’accréditent auprès du Saint-Siège. Ce sont des sentiments d’affectueuse sympathie pour toute la nation libanaise que j’éprouve en ce moment, tant ce pays a été présent dans ma pensée et dans ma prière au cours des années écoulées.

Je vous remercie, Monsieur l’Ambassadeur, des paroles que vous venez de m’adresser. Vous avez exprimé profondément l’esprit dans lequel vos compatriotes ont à bâtir un avenir plus sûr et plus heureux, après des années d’épreuve dont il faut guérir les blessures.

Sensible au message que vous me transmettez de la part de Son Excellence le Président de la République Libanaise, je vous prie de bien vouloir lui exprimer ma vive gratitude et mes voeux fervents pour sa personne, pour les dirigeants et le peuple libanais tout entier.



2. La longue période de crise traversée par le Liban a provoqué bien des souffrances qui ne sont pas encore aujourd’hui toutes apaisées. Des familles ont été meurtries dans leurs membres, éloignées de leur terre et de leur maison; elles ont à retrouver les moyens spirituels et matériels de mener une vie plus sereine. Le retour à la normale de la vie politique, sociale et économique pourra renforcer la confiance nécessaire pour surmonter les craintes qui subsistent et surtout pour guérir les blessures qui marquent encore les coeurs des Libanais. Je tiens à dire ici que je demeure très proche de vos compatriotes. Je connais et je partage leurs peines. Je sais aussi qu’ils n’ont jamais renoncé à rétablir pleinement la convivialité traditionnelle de votre peuple, fidèle à un passé extrêmement riche de culture et de sens religieux, animé également par la ténacité dans l’action. Aussi puis-je vous assurer, Monsieur l’Ambassadeur, que je réponds volontiers au souhait que vous exprimiez vous-même: oui, le Saint-Siège fait confiance au peuple libanais et il désire apporter à sa patrie tout son soutien, afin que ce pays recouvre sa pleine souveraineté.



3. Nous espérons que le Liban pourra rebâtir ce qui a été détruit et retrouver le dynamisme de sa vie nationale, grâce aux services rendus à ses citoyens par un Etat libre et indépendant, en mesure d’assurer le respect des droits fondamentaux de toute société en toutes circonstances, ainsi qu’une croissance économique profitable à chacun. Ce sont là des conditions primordiales pour le bonheur des habitants; et ce bonheur sera pleinement retrouvé dans le dialogue que vous appelez tant de vos voeux, Monsieur l’Ambassadeur. Il s’agit, dans une concertation ouverte, de permettre à chacun de prendre librement part à la vie nationale. Aux plus démunis, la solidarité généreuse, qui fait partie des qualités de votre peuple, assurera le soutien nécessaire. Le système scolaire et universitaire permettra aux jeunes de recevoir une formation humainement complète et d’acquérir des compétences utiles pour leur avenir personnel de même que pour toute la communauté, dans la haute tradition culturelle du Liban. Je sais que les membres de l’Eglise catholique ont à coeur de servir leur pays et de prendre part de manière responsable à la vie sociale du pays, tant par l’engagement des personnes que par l’oeuvre qu’accomplissent les institutions sociales et éducatives des différentes communautés.



4. Les circonstances ne m’ont pas permis d’accomplir la visite pastorale que je projetais de faire au Liban il y a quelques mois. Je garde l’espoir d’effectuer ce voyage dès que cela sera possible. Mon désir est de manifester à toutes les communautés religieuses qui composent le peuple libanais mon estime et ma sympathie. En particulier, je voudrais aujourd’hui, par votre entremise, adresser aux catholiques libanais des diverses communautés rituelles un message affectueux. Ils préparent en ce moment des assises synodales d’une grande importance, qui aideront l’Eglise catholique à renouveler généreusement son dynamisme évangélique et qui contribueront à approfondir le dialogue fraternel avec les croyants de toutes les traditions spirituelles, chrétiens et musulmans, avec lesquels ils partagent la vie quotidienne. J’espère que la réflexion, les échanges et la prière qui préparent cet événement conduiront les fidèles à faire du Synode pour le Liban une étape positive dans leur histoire.



5. Monsieur l’Ambassadeur, je sais que le Liban désire voir entièrement assurée la paix dans son territoire comme dans toute la région qui l’entoure. Des étapes positives ont été franchies; mais un long chemin reste encore à parcourir sur cette voie. C’est mon souhait très ardent que les processus actuellement en cours aboutissent, grâce au dialogue entre toutes les parties, à la consolidation de la paix et à la pleine reconnaissance du droit qui appartient à tout pays et à tout peuple de vivre en sécurité, dans la liberté, la justice et la dignité. Vous disiez vous-même que l’existence du Liban en dépend. Pour ma part, je ne puis que répéter aujourd’hui combien il importe à mes yeux que, grâce aux « riches et séculaires traditions de la collaboration entre chrétiens et musulmans », le Liban demeure « plus qu’un pays, un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident » [1].



6. Je vous souhaite, Excellence, de trouver dans l’accomplissement de votre mission à Rome de réelles satisfactions. Vous pouvez être assuré que mes collaborateurs ne vous ménageront pas le soutien qui s’avérerait utile pour votre tâche. Vous serez toujours le bienvenu auprès d’eux.

Je confie à Dieu, le Très-Haut, les voeux fervents que je forme pour votre nation et j’appelle sur vous-même, sur vos proches et sur vos collaborateurs, comme sur tous vos compatriotes, l’abondance des Bénédictions divines.

[1] Ioannis Pauli PP. II Epistula de Libani civili et politica condicione, 5. 6, due 7 sept. 1989: Insegnamenti di Giovannni Paolo II, XII, 2 (1989) 496 s.



AUX PARTICIPANTS À LA SESSION PLÉNIÈRE DE L'ACADÉMIE PONTIFICALE DES SCIENCES

Vendredi 28 octobre 1994




Excellences, Messeigneurs, Mesdames, Messieurs,



1. C’est pour moi une grande joie de vous rencontrer au cours de la Session plénière annuelle de l’Académie pontificale des Sciences. J’adresse à chacun de vous un salut déférent et cordial, en vous renouvelant l’assurance de mon attention et de mon estime pour vos activités au sein de l’Académie.

Au début de notre entrevue, je voudrais tout d’abord honorer la mémoire des sept membres illustres de votre assemblée qui sont morts au cours de l’année écoulée. Je prie le Seigneur de leur accorder la récompense éternelle, en souhaitant que leurs contributions au travail de l’Académie demeurent des points de repère et soient une invitation à poursuivre inlassablement la recherche, pour le service de la vérité et pour le service de nos frères, car c’est de la vérité que découle la dignité humaine [1].



2. Votre session plénière est l’occasion de publier la nomination des nouveaux académiciens, appelés à participer à la vie de l’Académie grâce à leurs compétences et à leurs travaux largement reconnus. Je suis heureux de saluer leur arrivée, qui accentue la dimension internationale de votre assemblée, ouverte ainsi à de nouvelles disciplines scientifiques. Cela vous permet d’être davantage à l’écoute des techniques et des sciences qui ne cessent de progresser dans tous les continents. Car les interrogations auxquelles notre société est affrontée requièrent de plus en plus l’éclairage des sciences, qui sont une des grandes richesses de notre monde sans cesse en développement et en mutation.

Mais, dans le même temps, on ne doit pas perdre de vue que la science ne peut prétendre rendre compte à elle seule de l’origine transcendante et de la finalité ultime de l’existence humaine; tout chercheur est invité à tenir compte des interrogations métaphysiques et morales, qui se font plus pressantes lorsque la certitude obtenue par la science est confrontée à la vérité intégrale sur l’homme.



3. Dans le programme de travail de la présente session comme dans vos précédentes réunions, vous accordez une place importante à la question du génome humain, qui est un enjeu essentiel pour l’avenir des personnes et de l’humanité. J’apprécie que, face à une telle interrogation, vous poursuiviez inlassablement la réflexion, afin de proposer à nos contemporains une analyse où se lient, sans contradiction, le constat scientifique et la vérité intégrale de ce qu’est objectivement l’homme.

La découverte progressive de la carte génétique et les précisions de plus en plus fines du séquençage du génome, investigations qui prendront encore plusieurs années, sont une avancée dans les connaissances scientifiques qui suscite tout d’abord un émerveillement légitime, en particulier en ce qui concerne la reconstitution de la chaîne d’ADN, base chimique des gènes et des chromosomes. Il semble désormais acquis que, pour toutes les espèces vivantes y compris l’homme, l’ADN soit le support des caractères héréditaires et de leur transmission à la descendance. Les multiples conséquences pour l’homme, qui ne peuvent être encore totalement discernées, sont porteuses de promesses. En effet, dans un avenir désormais assez proche, on peut raisonnablement envisager que le séquençage intégral du génome offrira de nouvelles voies à la recherche à finalité thérapeutique. Ainsi, des malades qui ne pouvaient pas être soignés de manière adéquate, par suite de pathologies héréditaires souvent létales, pourront désormais bénéficier des traitements nécessaires à l’amélioration de leur état et à une éventuelle guérison. En agissant sur les gènes malades du sujet, on pourra aussi prévenir la manifestation de maladies génétiques et leur transmission.

La recherche sur le génome permettra à l’homme de se comprendre lui-même, à un niveau jusqu’alors jamais atteint. En particulier, on pourra ainsi mieux percevoir les conditionnements génétiques, et les distinguer de ceux qui proviennent de l’entourage naturel et culturel et de ceux qui sont liés à l’expérience propre de l’individu. De plus, en mettant en lumière les réseaux de conditionnements dans lesquels se déploie la liberté de l’homme, nous parviendrons à en saisir plus clairement la réalité mystérieuse.

Certaines personnes seront peut-être tentées de rechercher une explication uniquement scientifique de la liberté humaine, et de la tenir pour suffisante. Une telle explication reviendrait à nier ce qu’elle tend à expliquer; elle irait à l’encontre de l’évidence intime et irréfutable que notre moi profond ne se réduit pas aux conditionnements dont il peut être tributaire, mais qu’il demeure en définitive le seul auteur de nos décisions.

Des progrès scientifiques comme ceux qui portent sur le génome honorent la raison de l’homme, appelé à être seigneur de la création, et ils honorent le Créateur, source de toute vie, qui a confié à l’humanité la gestion du monde. Les découvertes de la complexité de la structure moléculaire peuvent inviter les membres de la communauté scientifique, et plus largement l’ensemble de nos contemporains, à s’interroger sur la causalité première, sur Celui qui est à l’origine de toute existence et qui a façonné chacun de nous dans le secret [2].



4. En ce qui concerne les interventions sur le séquençage du génome humain, il convient de rappeler quelques règles morales fondamentales. Toute action sur le génome doit s’effectuer dans le respect absolu de la spécificité de l’espèce humaine, de la vocation transcendantale de tout être et de son incomparable dignité. Le génome représente l’identité biologique de chaque sujet; plus encore, il exprime une part de la condition humaine de l’être, voulu par Dieu pour lui-même, grâce à la mission confiée à ses parents.

Le fait de pouvoir établir la carte génétique ne doit pas conduire à réduire le sujet à son patrimoine génique et aux altérations qui peuvent y être inscrites. Dans son mystère, l’homme dépasse l’ensemble de ses caractéristiques biologiques. Il est une unité fondamentale, dans laquelle le biologique ne peut être séparé de la dimension spirituelle, familiale et sociale, sans courir le risque grave de supprimer ce qui est la nature même de la personne et de n’en faire qu’un simple objet d’analyse. La personne humaine, par sa nature et par sa singularité, est la norme de toute recherche scientifique. Elle « est et doit rester le principe, le sujet et la fin » de toute recherche [3].

A ce propos, on se réjouit du refus de nombreux chercheurs de considérer que les découvertes effectuées sur le génome puissent constituer des brevets susceptibles d’être enregistrés. Parce que le corps humain n’est pas un objet dont on peut disposer, les résultats des investigations sont à diffuser à l’ensemble de la communauté scientifique et ne peuvent pas être la propriété d’un petit groupe.

La réflexion éthique doit aussi porter sur l’utilisation des données médicales concernant les individus, spécialement celles qui sont contenues dans le génome et qui pourraient être exploitées par la société au détriment des personnes, par exemple en éliminant les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques ou en marginalisant les sujets affectés de telle ou telle maladie génétique; on ne peut pas non plus violer les secrets biologiques de la personne, ni les explorer sans son consentement explicite, ni les divulguer pour des usages qui ne seraient pas strictement d’ordre médical et à finalité thérapeutique pour la personne considérée.

Indépendamment des différences biologiques, culturelles, sociales ou religieuses qui distinguent les hommes, il y a en effet pour chacun un droit naturel à être ce qu’il est et à être le seul responsable de son patrimoine génétique.



5. Cependant, il ne faut pas se laisser fasciner par le mythe du progrès, comme si la possibilité de réaliser une recherche ou de mettre en oeuvre une technique permettait de les qualifier immédiatement de moralement bonnes. La bonté morale de tout progrès se mesure au bien authentique qu’il procure à l’homme, considéré selon sa double dimension corporelle et spirituelle; ainsi, on rend justice à ce qu’est l’homme; en ne reliant pas le bien à l’homme, qui doit en être le bénéficiaire, il serait à craindre que l’humanité ne coure à sa perte. La communauté scientifique est sans cesse appelée à maintenir l’ordre des facteurs, en situant les aspects scientifiques dans le cadre d’un humanisme intégral; elle tiendra ainsi compte des questions métaphysiques, éthiques, sociales et juridiques qui se posent à la conscience et que les principes de la raison sont à même d’éclairer.

Dans le programme de votre présente session, je me réjouis que vous ayez eu le souci, comme hommes de science, de mettre vos connaissances au service de la vérité morale, en réfléchissant aux implications éthiques et aux adaptations législatives qu’il serait nécessaire de proposer aux gouvernements et aux équipes scientifiques. Il est souhaitable que votre voix autorisée contribue à l’élaboration d’un consensus international dans un domaine aussi délicat, consensus fondé sur la vérité objective de l’homme, appréhendée par la droite raison. A partir de là, il faut espérer que les institutions concernées s’attacheront à favoriser une réflexion approfondie, pour que chaque pays puisse se doter des réglementations qui protégeront la personne humaine et son patrimoine génétique, tout en stimulant la recherche fondamentale et la recherche appliquée à la santé des individus.



6. Ce n’est pas en raison d’une compétence scientifique particulière que le Magistère s’intéresse aux domaines qui font l’objet de vos recherches; l’existence même de l’Académie montre que l’Eglise respecte l’autonomie des disciplines scientifiques. De plus, « loin d’opposer les conquêtes du génie et du courage de l’homme à la puissance de Dieu,... les chrétiens sont au contraire bien persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable » [4]. L’Eglise n’intervient qu’en vertu de sa mission évangélique: elle a le devoir d’apporter à la raison humaine la lumière de la Révélation, de défendre l’homme et de veiller sur « sa dignité de personne dotée d’une âme spirituelle, de responsabilité morale, et appelée à la communion bienheureuse avec Dieu » [5].

Dès que l’homme est en cause, les problèmes dépassent le cadre de la science, qui ne peut rendre compte de la transcendance du sujet ni édicter les règles morales découlant de la place centrale et de la dignité primordiale du sujet dans l’univers. Dans cet esprit, l’existence de comités d’éthique est à encourager, pour aider la science à évaluer les aspects moraux des recherches et à en déterminer les conditions éthiques.



7. Parmi les autres thèmes que vous abordez, il y a celui des énergies de substitution pour les pays en voie de développement, thème dont on mesure l’intérêt pour l’avenir de l’humanité en cette période où les questions liées à la démographie font l’objet de graves débats. Pour favoriser le dynamisme économique du monde, il est important de faire l’inventaire des solutions réalistes pour remplacer les ressources actuelles, qui risquent de s’épuiser un jour. Plus que toute autre, la génération présente a la responsabilité et le devoir de ne pas gaspiller inutilement ses richesses énergétiques. Les décisions en ce domaine doivent aussi tenir compte des générations futures. Les ressources énergétiques de notre planète sont des richesses qui doivent permettre à tous les peuples de se développer et d’avoir les moyens matériels d’une vie digne, en évitant de créer des déséquilibres économiques et écologiques. Ces ressources ne peuvent pas être utilisées par un petit nombre de pays au détriment des autres. La répartition des biens sur le sol de la planète est inégale. La solidarité et le partage sont indispensables pour créer des relations équitables entre les pays producteurs et les pays consommateurs.



8. A côté de la notion de « certitude mathématique », les recherches entreprises sur les « Principes fondamentaux en mathématique » ont conduit à reconsidérer la démarche épistémologique que les mathématiciens doivent suivre pour respecter les exigences propres à leur science, telles que la clarté, la cohérence, l’honnêteté intellectuelle et la confiance dans les capacités rationnelles de l’homme. En lien avec cette réflexion, a été forgé le concept clé d’« intelligence artificielle ». Il convient cependant de rappeler que la machine reste un instrument au service de l’homme. Son « intelligence » est limitée, car il ne s’agit pas de la raison au sens plein du terme, raison qui permet à l’homme de se penser comme créature, d’appréhender le bien, le vrai et le beau, de diriger sa vie et de se mouvoir vers sa fin grâce à l’acte volontaire.

Vous évoquez à ce propos l’importance de l’étude des corrélations entre le cerveau humain et les systèmes électroniques dans le domaine des neurosciences, pour que la machine puisse suppléer un certain nombre de déficiences humaines et améliorer la qualité de la vie de personnes handicapées. C’est la grandeur de la science que d’être particulièrement au service de ceux de nos frères qui ont le plus besoin d’aide pour mener une existence conforme à leur nature et à leur incomparable dignité.



9. Alors que nous approchons du LXème anniversaire de la refondation de cette illustre institution par Pie XI, on peut affirmer qu’elle remplit les fonctions qui avaient été assignées aux scientifiques: désignés en fonction de leur compétence, sans discrimination d’origine ou de religion, ils sont appelés à agir librement. Dans un souci de meilleure efficacité, vous avez mis à l’étude votre règlement interne, pour pouvoir remplir de manière plus adéquate la mission inscrite dans vos statuts: la participation aux progrès des sciences et l’approfondissement de la nature de la connaissance scientifique.

Au terme de notre rencontre, permettez-moi de vous remercier pour les contributions que vous apportez au Saint-Siège, sur des questions nouvelles et significatives qui requièrent des connaissances approfondies. Dans les immenses progrès du monde contemporain, il appartient à la communauté tout entière d’être particulièrement vigilante à promouvoir un humanisme intégral. C’est le sens même de l’homme qui est en cause. Je confie au Très-Haut vos efforts et vos recherches toujours ouverts aux exigences de cet humanisme.

[1] Cfr. Ioannis Pauli PP. II Veritas Splendor, VS 63.
[2] Cfr. Ps 139,15 (138), 15; Pr 24,12.
[3] Gaudium et Spes, GS 25.
[4] Gaudium et Spes, GS 34.
[5] Congr. pro Doctrina Fidei Donum Vitae, 1.






Discours 1994 - Lundi 5 septembre 1994