II-II (Drioux 1852) Qu.11 a.3

ARTICLE IV. — l'éguse doit-elle recevoir ceux qui renoncent a

l'hérésie (4)?

Objections: 1. Il semble que ceux qui abjurent l'hérésie doivent être complètement reçus par l'Eglise. Car le prophète fait dire au Seigneur (Jr 3,1) : Fous vous êtes souillée avec beaucoup d'individus qui vous aimaient ; cependant revenez à moi, dit le Seigneur. Or, le jugement de l'Eglise est le jugement de Dieu, d'après ces paroles de la loi (Dt 1,17) : Fous entendrez le petit comme le grand, vous n'aurez égard à la condition de personne, parce que c'est le jugement de Dieu. Par conséquent s'il y en a qui se soient souillés par l'infidélité qui est la fornication spirituelle, on doit néanmoins les recevoir.

2. Le Seigneur ordonne à Pierre (Mt 18) de pardonner au pécheur non-seulement sept fois, mais soixante-dix fois sept fois, ce qui signifie, d'après saint Jérôme, que toutes les fois qu'un individu a péché, on doit lui pardonner. Par conséquent toutes les fois que quelqu'un pèche en retombant dans l'hérésie, l'Eglise doit le recevoir.

3. L'hérésie est une infidélité. Or, les autres infidèles qui veulent se convertir sont reçus par l'Eglise. Donc elle doit aussi recevoir les hérétiques.

En sens contraire Mais c'est le contraire. (Decret. lib. v, tit. vii, cap. 9). Le droit dit : que si, après avoir abjuré leur erreur, les hérétiques retombent dans l'hérésie qu'ils avaient abjurée, on doit les abandonner au juge séculier. L'Eglise ne doit donc pas les recevoir.

CONCLUSION. — Quoique les hérétiques qui reviennent à la foi doivent toujours être admis à la pénitence toutes les fois qu'ils retombent, néanmoins on ne doit pas toujours les recevoir et les réintégrer dans la participation des biens de ce monde.

Réponse Il faut répondre que l'Eglise d'après l’institution du Seigneur étend sa charité à tout le monde, non-seulement à ses amis, mais encore à ses ennemis et à ses persécuteurs, suivant cette parole de l'Evangile (Mt 5,54) : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Or, il appartient à la charité de vouloir et de faire du bien au prochain. Mais il y a deux sortes de bien. Le bien spirituel, c'est-à-dire le salut de l'âme qui est l'objet principal de la charité; car la charité nous fait toujours un devoir de vouloir ce bien aux autres. C'est pourquoi toutes les fois que les hérétiques reviennent de leur erreur, l'Eglise les admet à la pénitence et leur ouvre par ce moyen la voie du salut (2). L'autre bien qui est l'objet secondaire de la charité, c'est le bien temporel, comme la vie corporelle, les possessions terrestres, la bonne renommée, les dignités ecclésiastiques ou séculières. La charité ne nous oblige à vouloir ces biens aux autres que par rapport à leur salut et à celui de leur prochain. Par conséquent si la conservation d'un de ces biens par un individu peut être un obstacle au salut éternel d'une foule d'autres, la charité ne nous fait pas un devoir de lui vouloir ce bien, mais elle nous oblige plutôt à désirer qu'il en soit privé; soit parce qu'on doit préférer le salut éternel au bien temporel ; soit parce que le bien de la multitude l'emporte sur celui d'un particulier. Or, si l'on recevait toujours les hérétiques qui reviennent de leur erreur et qu'on leur conservât la vie et tous les autres biens temporels, cette conduite pourrait être préjudiciable au salut des autres, soit parce que s'ils retombaient, ils les corrompraient ; soit parce que s'ils n'étaient pas punis, les autres retomberaient avec plus de sécurité dans l'hérésie. Car, comme le dit l'Ecriture (Qo 8,11): Parce que la sentence de condamnation n'est pas immédiatement prononcée contre les méchants, les enfants des hommes commettent le crime sans aucune crainte. C'est pourquoi, pour ceux qui reviennent une première fois de leur erreur, l'Eglise les reçoit non-seulement à la pénitence, mais encore elle leur conserve la vie et leur rend quelquefois par des dispenses les dignités ecclésiastiques qu'ils possédaient auparavant, s'ils paraissent véritablement convertis. L'histoire nous apprend qu'on a souvent suivi cette conduite pour le bien de la paix. Mais quand ceux qui ont été reçus tombent de nouveau, c'est une preuve de leur inconstance dans la foi -, c'est pourquoi on les admet encore à la pénitence, mais on ne les délivre pas de la peine de mort (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ceux qui reviennent sont toujours reçus au jugement de Dieu, parce que Dieu est le scrutateur des coeurs, et qu'il connaît ceux qui reviennent véritablement ; mais l'Eglise ne peut l'imiter. Car elle présume que ceux qui retombent après être revenus n'étaient pas sincères; et c'est pour cette raison qu'elle ne leur ferme pas la voie du salut, mais qu'elle ne les met pas non plus à l'abri de la mort.

2. Il faut répondre au second, que le Seigneur parle à Pierre du péché commis contre la personne de cet apôtre (2). On doit toujours le pardonner, parce qu'on ne doit jamais repousser un frère qui revient de ses erreurs. Mais il ne s'agit pas là du péché que l'on commet contre Dieu ou le prochain. Car il n'est pas en notre pouvoir de le remettre, comme le dit saint Jérôme (Sup. Mt 18). C'est à la loi à statuer à ce sujet de la manière qui convient le mieux à la gloire de Dieu et aux intérêts du prochain.

3. Il faut répondre au troisième, que les infidèles qui n'ont jamais reçu la foi et qui se convertissent n'ont jamais donné des preuves de leur inconstance en cette matière, comme les hérétiques relaps. C'est pourquoi il n'y a pas de parité entre eux.

(2) L’Eglise ne refuse jamais aux coupables quels qu'ils soient les biens spirituels.
(b) Cet article est une justification du droit canonique qui était en usage à cette époque à l’égard des hérétiques.



QUESTION XII.

DE L'APOSTASIE.


Après avoir parlé de l'hérésie, nous avons à nous occuper de l'apostasie. — Sur ce point deux questions se présentent: 1° L'apostasie appartient-elle à l'infidélité? — 2° L'apostasie exempte-t-elle les sujets de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs une fois que ceux-ci deviennent apostats ?


ARTICLE I — l'apostasie appartient-elle a l'infidélité?


Objections: 1. Il semble que l'apostasie n'appartienne pas à l'infidélité. Car ce qui est le principe de tout péché ne semble pas appartenir à l'infidélité, parce qu'il y a beaucoup de péchés qui existent sans elle. Or, l'apostasie paraît être le principe de tout péché, puisqu'il est dit (Si 10,2) • Le commencement de r orgueil de l'homme c'est d’apostasier Dieu, et plus loin : L'orgueil est le commencement de tout péché. Donc l'apostasie n'appartient pas à l'infidélité.

2. L'infidélité consiste dans l'intellect, tandis que l'apostasie semble consister plutôt dans l'action extérieure, dans la parole ou dans la volonté intérieure. Car il est dit (Pr 6,42) : L'homme apostat est un homme inutile à tout; ses actions démentent sa bouche, il fait des signes des yeux, frappe du pied, parle avec ses doigts, médite le mal dans la corruption de son coeur et sème des querelles en tout temps. En effet si quelqu'un se faisait circoncire ou qu'il adorât le tombeau de Mahomet, il passerait pour un apostat. L'apostasie n'appartient donc pas directement à l'infidélité.

3. L'hérésie est une espèce particulière d'infidélité, parce qu'elle appartient à ce vice. Par conséquent si l'apostasie appartenait à l'infidélité, il s'ensuivrait que ce serait une espèce particulière d'infidélité, ce qui ne semble pas conforme à ce que nous avons dit (quest. x, art. 5). Donc l'apostasie n'appartient pas à l'infidélité.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Jean dit (Jn 6,17) : Une foule de ses disciples se retirèrent de sa suite, ce qui signifie qu'ils apostasièrent. Or, c'était d'eux que le Seigneur avait dit : Il y en a parmi vous qui ne croient pas. Donc l'apostasie appartient à l'infidélité.

CONCLUSION. — L'apostasie absolue par laquelle on renonce à la foi est une espèce d'infidélité, mais il n'en est pas de même de l'apostasie qui a rapport aux ordres et aux engagements de religion.

Réponse Il faut répondre que l'apostasie implique un certain éloignement de Dieu (1) ; cet éloignement se produit diversement selon les différentes manières dont l'homme est uni à Dieu. En effet l'homme est 1° uni à Dieu par la foi-, 2° par la volonté qui lui est légitimement soumise, en obéissant à ses préceptes ; 3° par des liens spéciaux qui touchent à des engagements de subrogation (2, tels que les engagements de religion et la cléricature ou les ordres sacrés. Ce qui vient en dernier lieu étant détruit, ce qui précède subsiste, mais non réciproquement. Il arrive donc que l'on apostasie soit en sortant d'un ordre religieux où l'on a fait profession (3), soit en renonçant à un ordre sacré que l'on a reçu (4), et c'est ce qu'on appelle l'apostasie d'ordre, ou de religion. On peut encore apostasier par la révolte de l'esprit contre les ordres de Dieu (5). Toutefois malgré ces deux sortes d'apostasie l'homme peut encore rester uni à Dieu par la foi. Mais s'il s'écarte de la foi, alors il semble s'écarter de Dieu complétement. C'est pourquoi on donne simplement et absolument le nom d'apostasie à celle par laquelle l'homme s'éloigne de la foi et qu'on appelle une apostasie de perfidie. C'est ainsi que l'apostasie proprement dite est une espèce d'infidélité (6).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette objection repose sur la seconde apostasie qui implique cette rébellion de la volonté aux ordres de Dieu-, ce qui se rencontre dans tout péché mortel.

2. Il faut répondre au second, que la foi comprend non-seulement l'adhésion du coeur, maïs encore l'expression de la foi intérieure par des paroles ou des actes extérieurs; car la confession est un acte de foi. En ce sens les paroles ou les actions extérieures appartiennent à l'infidélité, parce qu'elles en sont des signes, comme on dit que se bien porter est le signe de la santé. Quant au passage de l'Ecriture que l'on allègue, quoiqu'on puisse l'entendre de toute espèce d'apostasie, il s'applique cependant plus véritablement à l'apostasie de la foi. Car comme la foi est le premier fondement des choses que l’on doit espérer et que sans la foi il est impossible de plaire à Dieu, du moment où on la perd, il n'y a plus rien dans l'homme qui puisse être utile au salut éternel. C'est ce qui fait dire à l'Ecriture (Pr 6,10) : L'homme apostat est un homme inutile. En effet, la foi est la vie de l'âme, suivant cette expression de l'Apôtre (Rm 1,17) : Le juste rit de la foi. Par conséquent, comme on voit, après la destruction de la vie corporelle, tous les membres et toutes les parties du corps s'écarter de la disposition qu'ils doivent avoir, de même quand la vie de la justice qui fonctionne par la foi est détruite, le désordre se manifeste dans tous les membres. On s'en aperçoit : 1° par la bouche, dont le coeur se sert pour se manifester le plus ouvertement-, 2° par les yeux ; 3° par tous les instruments du mouvement-, 4° par la volonté qui tend au mal. De là il arrive que celui qui en est là sème la discorde, et qu'il tend à éloigner les autres de la foi, comme il s'en est éloigné lui-même.

3. Il faut répondre au troisième, que les espèces d'une qualité ou d'une forme ne sont pas diversifiées par la chose qui est le terme du mouvement à quo ou du mouvement ad quem (1), mais on considère plutôt au contraire les espèces des mouvements d'après leurs termes. Or, l'apostasie se rapporte à l'infidélité comme au terme vers lequel (ad quem) tend le mouvement de celui qui s'écarte de la foi. Par conséquent l'apostasie n'implique pas une espèce particulière d'infidélité, mais une circonstance aggravante, d'après ces paroles de saint Pierre (2P 2,21) : Il était mieux pour eux de ne pas connaître la vérité que de l'abandonner après l'avoir connue.

(I) Ce n'était pas l'Eglise qui prononçait contre eux la peine de mort, c'était le pouvoir civil ; mais, d'après la législation ecclésiastique, les hérétiques relaps lui étaient abandonnés.
(2) Nous devons pardonner toutes les injures qui sont faites contre nous personnellement, mais il n'en est pas de même de celles qui sont faites contre Dieu ou le prochain. C'est le sens du texte de l'Evangile.
Cette signification repose sur l'étymologie même du mot.
Ces engagements particuliers se rapportent à la pratique des conseils.
(5) Celui qui abandonne un ordre religieux dans lequel il a fait profession pèche gravement, quand même il continuerait à en porter l'habit.
(4) Quand on a reçu les ordres sacrés, on ne peut de soi-même rentrer dans l'état séculier sans pécher très-grièvement.
(o) C'est ce qu'on fait toutes les fois qu'on pèche mortellement.
(6) Elle diffère de l'hérésie du plus au moins ; car l'hérétique nie une partie des vérités qui sont de foi, et l'apostat les nie toutes.


 ARTICLE II. — un prince perd-il par l'apostasie sa puissance sur ses sujets, de telle sorte que ceux-ci ne soient plus tenus de lui obéir (2)?


Objections: 1. Il semble qu'un prince ne perde pas par suite de son apostasie son empire sur ses sujets, au point que ceux-ci ne soient plus tenus de lui obéir. Car saint Ambroise dit, ou plutôt saint Augustin, à l'occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps 124) : Non relinquet Dominus virgam, et nous lisons que l'empereur Julien, quoiqu'il fut un apostat, eut toujours sous ses ordres des soldats chrétiens, et que quand il leur disait : « Tirez le glaive pour la défense de l'Etat, » ils lui obéissaient. Donc, par suite de l'apostasie du prince, les sujets ne sont pas dispensés de lui obéir.

2. En apostat est un infidèle. Or, nous trouvons des saints qui ont servi fidèlement des maîtres qui étaient infidèles. Ainsi Joseph servit Pharaon, Daniel Nabuchodonosor, et Mardochée Assuérus. Donc l'apostasie ne doit pas permettre aux sujets de refuser d'obéir à leurs princes.

3. Comme l'apostasie éloigne de Dieu, de même tout péché quel qu'il soit. Par conséquent si par l'apostasie le prince perdait le droit de commander à ses sujets, pour la même raison les autres péchés lui enlèveraient cette même puissance-, ce qui est évidemment faux. Donc l'apostasie ne doit pas dispenser les sujets de l'obéissance qu'ils doivent aux princes.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Grégoire VII dit (Caus. iv, xv, quest. vii): D'après les décrets rendus par nos illustres prédécesseurs, nous déclarons, en vertu de notre autorité apostolique, déliés du serment de fidélité tous ceux qui ont fait ce serment à ceux qui sont excommuniés, et nous leur défendons de toutes les manières de l'observer jusqu'à ce que nous en ayons obtenu satisfaction. Or, les apostats sont des excommuniés aussi bien que les hérétiques, comme on le voit (Decret. extra de haeret. cap. Ad abolendam). Donc on ne doit pas obéir aux princes qui apostasient.

CONCLUSION. — Quand un prince est judiciairement dénoncé comme excommunié pour apostasie, ses sujets sont par le fait même déliés du serment de fidélité.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. x, art. IO), l'infidélité considérée en elle-même ne répugne pas à la puissance, parce que la puissance a été établie par le droit des nations qui est un droit humain, tandis que la distinction des fidèles et des infidèles est de droit divin, et que le droit divin ne détruit pas le droit humain. Mais celui qui pèche par infidélité peut être dépouillé par une sentence de son pouvoir, comme il peut aussi l'être quelquefois par suite d'autres fautes. A la vérité il n'appartient pas à l'Eglise de punir l'infidélité dans ceux qui n'ont jamais reçu la foi, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 5,12): Pourquoi entreprendrais-je de juger ceux qui sont hors de l'Eglise? Mais elle peut punir judiciairement l'infidélité de ceux qui ont reçu la foi ; et c'est avec raison qu'elle les punit en leur retirant le pouvoir qu'ils ont sur les fidèles. Car ce pouvoir pourrait tourner au grand détriment de la foi ; parce que, comme nous l'avons dit (art. préc. arg. 2) : L'apostat médite le mal dans la corruption de son coeur et sème des querelles, en s'efforçant d'éloigner de la foi ses semblables. C'est pourquoi aussitôt que quelqu'un est frappé de la sentence d'excommunication "pour apostasie, ses sujets sont par le fait même déliés du serment de fidélité qui les obligeait à lui obéir (I).

Solutions: 1. faut répondre au premier argument, que dans ces premiers temps l'Eglise à sa naissance n'avait pas encore le pouvoir de châtier les princes de la terre-, c'est pourquoi elle laissait les fidèles obéir à Julien l'apostat dans les choses qui n'étaient pas contraires à la foi, pour éviter à la religion un plus grand péril.

2. Il faut répondre au second, que l'on ne doit pas raisonner de la même manière à l'égard des infidèles qui n'ont jamais reçu la foi, comme nous l'avons dit (in cor p. art.).

3. Il faut répondre au troisième, que l'apostasie sépare complétement l'homme de Dieu, comme nous l'avons dit (in corp. art.)\ ce qui n'a pas lieu dans tous les autres péchés (2).


(1) Le terme à quo est le point de départ, et le terme ad quem le point d'arrivée.(2) Saint Thomas examine ici ex professo le droit des souverains pontifes sur les princes chrétiens, et il appuie de sa logique la doctrine de saint Grégoire vu.





QUESTION XIII.,

DU BLASPHÈME EN GÉNÉRAL.


Après avoir parlé de l'apostasie, nous avons à nous occuper du blasphème qui est un péché contraire à la confession de la foi. Nous traiterons: 1° du blasphème en général ; 2° du blasphème qu'on appelle un péché contre l'Esprit-Saint. — Sur le blasphème en général, quatre questions se présentent : 1° Le blasphème est-il contraire à la confession de la foi ? — 2- Le blasphème est-il toujours un péché mortel? — 3° Le blasphème est-il le plus grand péché ? — 4° Le blasphème existe-t-il dans les damnés ?

(1) Cette doctrine a été universellement soutenue par les théologiens du moyen âge.
(2) Cajétan fait remarquer que l'Eglise n’a pas seulement le droit d'excommunier pour le crime d'apostasie, mais qu'elle peut encore le faire pour tout autre crime, si elle le juge convenable
foi, on se persuade que ces paroles sont vraies. Le confesseur doit interroger à cet égard le pénitent, parce que, dans le cas d'hérésie, il a besoin de pouvoir tout particulier pour l’absoudre.

2 Il y a des théologiens qui disent qu'il n'y a que le blasphème accompagné d’hérésie qui soit opposé à la confession de la foi, les autres sont plutôt opposés  à la vertu de religion qui nous fait rendre à Dieu et aux saints le culte et les honneurs qui leur sont dus.



ARTICLE I. le BLASPHÈME est-il contraire a la confession de la foi?


Objections: 1. Il semble que le blasphème ne soit pas contraire à la confession de la foi. Car blasphémer c'est outrager ou injurier le Créateur. Or, ceci se rapporte plutôt à la malveillance de l'homme contre Dieu qu'à l'infidélité. Le blasphème n'est donc pas contraire à la confession de la foi.

2. A l'occasion de ces paroles de l'Apôtre : Blasphemia tollatur à vobis (Ep 4), la glose dit que le blasphème se fait contre Dieu ou les saints. Or, la confession de la foi ne paraît se rapporter qu'aux choses qui concernent Dieu, qui est l'objet de la foi. Donc le blasphème n'est pas toujours opposé à la confession de la foi.

3. Il y en a qui disent qu'il y a trois espèces de blasphème; l'une consiste à attribuer à Dieu ce qui ne lui convient pas; l'autre à nier de lui ce qui lui convient, et la troisième à attribuer à une créature ce qui est le propre de Dieu ; par conséquent il semble que le blasphème ne se rapporte pas seulement à Dieu, mais encore aux créatures. Et puisque la foi a Dieu pour objet, il s'ensuit que le blasphème n'est pas opposé à la confession de la foi.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Tm 1) : J’ai été d'abord blasphémateur et persécuteur ; puis il ajoute : J'ai fait tout cela dans l'ignorance, n’ayant pas la foi. D'où il semble que le blasphème appartienne à l'infidélité.

CONCLUSION. — Le vice du blasphème appartient à l'infidélité en ce sens que c'est par elle que l'homme attribue à Dieu de coeur ou de bouche, selon son intelligence ou sa volonté, ce qui ne lui convient pas, ou qu'il lui dénie ce qui lui convient.

Réponse Il faut répondre que le mot blasphémé (4) semble impliquer une dérogation à une bonté excellente et surtout à la bonté divine. Or, Dieu, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 1), est l'essence même de la vraie bonté. Par conséquent tout ce qui convient à Dieu appartient à sa bonté, et tout ce qui ne lui appartient pas est étranger à la bonté parfaite qui est son essence. Ainsi donc, quiconque nie de Dieu ce qui lui convient (2) ou en affirme ce qui ne lui convient pas (3), déroge à la bonté divine. Ce qui peut se faire de deux manières : 1° par la seule pensée de l'esprit (4); 2° par la haine de la volonté qui s'y surajoute ; comme dans un sens contraire la foi est perfectionnée par l'amour divin. Cette dérogation à la bonté divine résulte donc ou de l'intellect seulement ou de l'intellect et de la volonté. Si elle n'existe que dans le coeur, c'est un blasphème du coeur; si elle se produit au dehors par la parole, c'est un blasphème de bouche ; et c'est ainsi que le blasphème est opposé à la confession de la foi (5).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que celui qui parle contre Dieu avec l'intention de l'outrager, déroge à la bonté divine, non-seulement d'après la pensée fausse qu'il a dans l'esprit, mais encore suivant la dépravation de la volonté, qui déteste et qui détruit autant qu'il est en elle l'honneur dû à Dieu ; et c'est ce qui rend le blasphème complet.

2. Il faut répondre au second, que comme on loue Dieu dans ses saints en ce sens qu'on loue les oeuvres qu'il produit en eux, de même le blasphème qu'on prononce contre les saints rejaillit conséquemment sur Dieu (4).

3. Il faut répondre au troisième, que d'après ces trois choses on ne peut pas, à proprement parler, distinguer différentes espèces de blasphème. Car attribuer à Dieu ce qui ne lui convient pas ou lui dénier ce qui lui convient, ce sont des choses qui ne diffèrent pas autrement que l'affirmation et la négation. Cette diversité de rapport ne constitue pas une distinction dans l'espèce, parce que c'est par la même science que nous reconnaissons la fausseté des affirmations et des négations, et c'est la même ignorance qui nous induit en erreur sur l'une et l'autre, puisque la négation se prouve par l'affirmation (I. Post. text. 40, et Met. lib. iv, text. 49). Quand on attribue aux créatures ce qui est propre à Dieu, il semble que dans ce cas on attribue à Dieu ce qui ne lui convient pas. Car tout ce qui est propre à Dieu est Dieu lui-même, et attribuer à une créature ce qui est propre à Dieu, c'est dire que Dieu est la même chose que la créature.

nere suo, c'est à-dire qu'il n'admet pas de légèreté de matière. S'il devient véniel, ce n'est pds en raison de la matière, mais c'est par suite du défaut d'advertance, comme saint Thomas l'observe dans sa réponse au troisième argument.


ARTICLE II. — le blasphème est-il toujours un péché mortel?


Objections: 1. Il semble que le blasphème ne soit pas toujours un péché mortel. Car à l'occasion de ces paroles de l'Apôtre (Col 3,8) : Nunc autem deponite et vos omnia, etc., la glose dit (Ord. Arnb.) : Après les grandes choses il défend les petites, et dans ces dernières se trouve le blasphème. Donc le blasphème est compté au nombre des péchés les plus petits qui sont des péchés véniels.

2. Tout péché mortel est contraire à un précepte du Décalogue. Or, le blasphème ne semble pas être opposé à un de ces préceptes. Il n'est donc pas un péché mortel.

3. Les péchés que l'on commet sans délibération ne sont pas des péchés mortels. C'est pour cela que les mouvements premiers ne sont pas des péchés mortels, parce qu'ils précèdent la délibération de la raison, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (1) (4 2% quest. lxxiv, art. 40). Or, on blasphème quelquefois sans délibération. Ce n'est donc pas toujours un péché mortel.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est écrit (Lv 24,46) : Celui qui aura blasphémé le nom du Seigneur sera puni de mort. Or, la peine de mort n'est infligée que pour un péché mortel. Donc le blasphème est un péché mortel.

CONCLUSION. — Puisque par le blasphème les hommes dérogent à la bonté divine qui est l'objet de la charité, il est nécessairement en son genre un péché mortel.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (la 2*, quest. lxxii, art. 5), le péché mortel est ce qui sépare l'homme du premier principe de la vie spirituelle, qui est la charité de Dieu. Par conséquent, toutes les choses qui répugnent à la charité sont en leur genre (ex genere suo) des péchés mortels, Or, le blasphème répugne en son genre (2) à la charité divine, parce qu'il déroge à la bonté de Dieu, comme nous l'avons dit (art. préc.), et que cette bonté est l'objet de la charité. C'est pourquoi le blasphème est un péché mortel en son genre.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la glose ne veut pas dire que toutes les choses qui suivent sont des péchés véniels ; mais elle signifie que plus haut l'Apôtre n'a parlé que de choses graves, et qu'ensuite il en ajoute qui le sont moins, bien que parmi celles-ci il y en ait aussi de très-importantes.            ,,,

2. Il faut répondre au second, que le blasphème étant opposé à la confession de la foi. comme nous l'avons dit (art. préc.), on peut dire qu'il est défendu au même titre que l'infidélité à laquelle on rapporte ces paroles : Je suis le Seigneur votre Dieu, etc. — Ou bien il est défendu par ces paroles : Vous ne prendrez point le nom de votre Dieu en vain. Car celui qui affirme de Dieu une chose fausse prend son nom en vain plus que celui qui affirme au nom de Dieu une fausseté.

3. Il faut répondre au troisième, que l'on peut blasphémer par inadvertance et sans délibération de deux manières : 4° quand on ne remarque pas que ce que l'on dit est un blasphème. Ce qui peut arriver quand quelqu'un, subitement emporté par la passion, prononce des paroles qu'il imagine sans réfléchir à leur signification. Alors il y a péché véniel, et ce n'est pas, à proprement parler, un blasphème. 2° Quand on remarque, en considérant la signification des paroles, qu'elles sont un blasphème(l). Alors on n'est pas exempt de péché mortel, pas plus que celui qui dans un mouvement subit de colère tue quelqu'un assis près de lui.


ARTICLE III — le blasphème est-il le plus grand péché?


Objections: 1. Il semble que le blasphème ne soit pas le plus grand péché. Car on juge du mal d'après le tort qu'il cause, comme le dit saint Augustin (Enchir. cap. 12). Or, le péché d'homicide qui fait périr l'homme est plus nuisible que le blasphème qui ne peut aucunement nuire à Dieu. Donc l'homicide est un péché plus graveque le blasphème.

2. Celui qui fait un parjure prend Dieu à témoin d'une fausseté, et il semble par là affirmer que Dieu est faux. Or, celui qui blasphème ne va pas jusqu'à assurer que Dieu est faux. Donc le parjure est un péché plus grave que le blasphème.

3. A l'occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps 74, G) : Nolite extollere in altum cornu vestrum, la glose dit : Le plus grand vice est l'excuse du péché. Donc le blasphème n'est pas le plus grand péché.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Sur ces paroles d'Isaïe (18) : Ad populum terribilem, etc., la glose dit : Tout péché, comparativement au blasphème, est léger.

CONCLUSION. — Le blasphème est en son genre le plus grave de tous les péchés ; il aggrave encore l'infidélité qui est elle-même la plus grave des fautes.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 4), le blasphème est contraire à la confession de la foi. C'est pourquoi il a en lui-même la gravité de l'infidélité. Toutefois, le péché s'aggrave, s'il y a de plus la haine de la volonté, et il devient encore plus grave, si on manifeste par des paroles ce qu'on pense intérieurement (2) ; comme le mérite de la foi est augmenté par l'amour et la confession extérieure qu'on en fait. Ainsi l'infidélité étant en son genre le plus grand péché, comme nous l'avons dit (quest. x, art. 3), il s'ensuit que le blasphème est aussi le plus grand péché qui appartienne au même genre, et qu'il l'aggrave.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que si l'on compare l'homicide et le blasphème par rapport aux objets qu'ils offensent, il est évident que le blasphème, qui est un péché direct contre Dieu, l'emporte sur l'homicide qui est un péché contre le prochain. Mais si on les compare relativement au mal qu'ils causent, alors l'homicide l'emporte. Car l'homicide nuit plus au prochain que le blasphème ne nuit à Dieu. Cependant puisque pour apprécier la gravité d'une faute on observe le degré de perversité de la volonté plutôt que l'effet de l'action, ainsi que nous l'avons dit (d* 2*, quest. lxviii, art. 3 et 8), il s'ensuit que le blasphémateur ayant l'intention de nuire à la gloire de Dieu, pèche, absolument parlant, plus grièvement que l'homicide. Toutefois l'homicide tient le premier rang parmi les péchés que l'on commet contre le prochain.

2. Il faut répondre au second, que sur ces paroles de l'Apôtre (Ep 4) : Blasphemia tollatur à vobis, la glose dit (Ord. Aug.) : Le blasphème est pire que le parjure. Car celui qui fait un parjure ne dit pas ou ne pense pas une chose fausse à l'égard de Dieu, comme le blasphémateur ; mais il prend Dieu à témoin d'une fausseté, non parce qu'il pense que Dieu est un faux témoin, mais parce qu'il espère que Dieu ne rendra pas témoignage à ce sujet par un signe évident (4).

3. Il faut répondre au troisième, que l'excuse du péché est une circonstance qui aggrave toute espèce de péché, même le blasphème, et l'on dit qu'elle est le plus grand mal parce qu'elle aggrave toute espèce de faute (2).


ARTICLE IV — les damnés blasphèment-ils?


Objections: 1. Il semble que les damnés ne blasphèment pas. Car ici-bas les méchants sont détournés du blasphème par la crainte qu'ils ont des châtiments futurs. Or, les damnés éprouvent ces peines, par conséquent ils les abhorrent davantage. Donc à plus forte raison sont-ils empêchés de blasphémer.

2. Le blasphème étant le péché le plus grave est l'acte le plus déméritoire. Or, dans la vie future il n'y a plus lieu de mériter, ni de démériter. Par conséquent il n'y a plus lieu non plus de blasphémer.

3. Il est dit (Qo 11,3) : En quelque lieu que V arbre tombe il y restera. D'où il est manifeste qu'après cette vie l'homme n'aura pas plus de mérites, ni plus de fautes qu'il n'en a eu ici-bas. Or, il y a beaucoup de damnés qui n'ont jamais, ici-bas, blasphémé. Ils ne blasphémeront donc pas non plus dans l'autre vie.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Ap 16,9) : Les hommes étant frappés d'une chaleur dévorante blasphémèrent le nom de Dieu qui avait ces plaies en son pouvoir. A ce sujet la glose dit : que ceux qui sont dans l'en- l'er, bien qu'ils sachent qu'ils ont mérité leurs peines, se plaindront néanmoins de ce que Dieu a une si grande puissance qu'il leur inflige de pareils maux. Or, ces paroles seraient en cette vie un blasphème. Donc elles en sont un aussi dans l'autre.

CONCLUSION.— Les damnés font un blasphème qui consiste aujourd'hui en ce qu'ils détestent intérieurement et du fond de leur coeur la justice divine, et qui consistera, après la résurrection, dans les paroles qu'ils prononceront de bouche extérieurement.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. et art. 4), la détestation de la bonté divine est de l'essence du blasphème. Or, ceux qui sont dans l'enfer conservent leur volonté perverse, éloignée de la justice de Dieu, en ce qu'ils aiment les choses pour lesquelles on les punit et voudraient en faire usage, s'ils le pouvaient, tandis qu'ils détestent les châtiments qu'on leur inflige pour leurs péchés. S'ils souffrent pour les péchés qu'ils ont commis, ce n'est pas parce qu'ils les détestent (1), mais c'est parce qu'ils en sont punis. Par conséquent cette haine de la justice divine qu'ils ont en eux est un blasphème intérieur du coeur. Et il est à croire qu'après la résurrection ils exprimeront par la parole ce sentiment, comme les saints auront la louange de Dieu sur les lèvres.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'actuellement les hommes sont détournés du blasphème par la crainte des châtiments qu'ils pensent pouvoir éviter, tandis que les damnés dans l'enfer n'espèrent pas pouvoir y échapper. C'est pourquoi ils sont entraînés comme des désespérés vers tout ce que leur volonté perverse leur suggère.

2. Il faut répondre au second, que le mérite et le démérite sont propres à la vie présente ; de là il arrive que les biens sont méritoires pour ceux qui vivent ici-bas, tandis que les maux sont déméritoires. Mais les bonnes actions ne sont pas méritoires pour les bienheureux -, elles appartiennent à la récompense de leur béatitude. De même les mauvaises ne sont pas déméritoires chez les damnés, elles appartiennent à la peine de leur damnation.

3. Il faut répondre au troisième, que quiconque meurt dans le péché mortel emporte avec lui la volonté de détester la justice divine sous certain rapport (2), et c'est en ce sens qu'il blasphémera.

(I) It croit qu'il ne fera pas un miracle pour le convaincre île mensonge.
(2) Par l'excuse du péché on entend ici l'acte par lequel on s'efforce d'excuser ses péchés au moyen de l'exemple des autres.
(2) Il déteste la justice divine relativement aux châtiments qu'elle lui inflige, en punition de la faute qu'il a faite




II-II (Drioux 1852) Qu.11 a.3