II-II (Drioux 1852) Qu.21


Nous avons à nous occuper en dernier lieu des préceptes qui regardent l'espérance et la crainte. — A ce sujet deux questions se présentent. Nous traiterons : 1° Des préceptes qui regardent l'espérance. — 2- Des préceptes qui regardent la crainte.


 ARTICLE I. — était-il à propos d'établir quelque précepte à l'égard de l'espérance?


Objections: 1. Il semble qu'on ne devait établir aucun précepte qui eût rapport à l'espérance. Car ce que l'on peut faire suffisamment au moyen d'une seule chose, il n'est pas nécessaire d'en employer une seconde pour le produire. Or, l'homme est suffisamment porté par son inclination naturelle à espérer le bien. Il n'était donc pas nécessaire qu'il y fût encore obligé par un précepte de la loi.

2. Puisque les préceptes ont pour objet les actes des vertus, les principaux préceptes doivent se rapporter aux actes des principales vertus. Or, les trois vertus théologales, la foi, l'espérance et la charité, sont les vertus les plus importantes. Par conséquent, puisque les principaux préceptes de la loi sont les préceptes du Décalogue auxquels tous les autres reviennent, comme nous l'avons dit (I* 2", quest. c, art. 3), il semble que s'il y avait quelque précepte à l'égard de l'espérance, il devrait se trouver dans le Décalogue. Et puisque le Décalogue n'en renferme pas, il s'ensuit qu'il ne doit pas y en avoir dans la loi.

3. C'est la même raison qui fait ordonner un acte de vertu et défendre l'acte du vice opposé. Or, on ne trouve pas de précepte qui défende le désespoir qui est contraire à l'espérance. Il semble donc qu'à l'égard de l'espérance il n'ait pas été convenable d'établir des préceptes.

En sens contraire Mais c'est le contraire. A l'occasion de ces paroles de saint Jean : Le précepte que je vous donne, c'est de vous aimer les uns les autres, saint Augustin dit (Tract. 83 in JN) : Combien avons-nous reçu de préceptes sur la foi ! combien sur l'espérance! Donc il était convenable qu'il y eût des préceptes à l'égard de cette dernière vertu.

CONCLUSION. — Il a été nécessaire avant la loi d'établir par manière de promesse des préceptes sur l'espérance pour porter les hommes à l'observation de la loi, et après la loi il a fallu renouveler ces mêmes préceptes par manière d'ordre ou d'admonition pour que les hommes observent la loi avec le plus grand soin.

Réponse Il faut répondre que dans l'Ecriture sainte on trouve deux sortes de préceptes ; les uns sont de la substance de la loi et les autres en sont le préambule. Les préceptes qui servent de préliminaire à la loi sont ceux sans lesquels la loi ne peut exister. Tels sont les préceptes qui regardent l'acte de foi et l'acte d'espérance-, parce que par l'acte de foi l'esprit de l'homme est porté à connaître l'auteur de la loi, c'est-à-dire celui à qui il doit se soumettre, et par l'espoir de la récompense l'homme est excité à en observer les préceptes. Les préceptes qui sont de la substance de la loi, ce sont ceux qui sont imposés à l'homme déjà soumis et disposé à obéir et qui ont pour objet la sainteté de la vie. C'est pour cette raison que ces préceptes sont exprimés dans la législation elle-même sous la forme d'un ordre. Les préceptes qui regardent l'espérance et la foi ne devaient pas être exprimés de cette manière, parce que si l'homme n'avait pas préalablement la foi et l'espérance, ce serait en vain qu'on lui donnerait une loi. Par conséquent, comme le précepte de la loi a été exposé sous forme de récit et de mémorial, ainsi que nous l'avons dit (quest. xvi, art. 1), de même le précepte de l'espérance a dû être exprimé dans la législation primitive par manière de promesse. Car celui qui promet des récompenses à ceux qui obéissent excite par là même à l'espérance ; d'où il résulte que toutes les promesses renfermées dans la loi sont autant de motifs d'espérance. Mais, comme après qu'une loi a été établie, il appartient aux sages d'exciter non-seulement les bommes à en observer les préceptes, mais encore et à plus forte raison à en conserver les fondements, c'est pour ce motif qu'une fois que la loi fut promulguée, on trouve dans l'Ecriture une multitude de passages qui portent l'homme à espérer non-seulement par manière de promesse, mais encore par manière d'avertissement ou de précepte; comme on le voit par ces paroles du Psalmiste (Ps 61,9) : Espérez en lui, vous tous qui composez rassemblée de son peuple, et par beaucoup d'autres passages semblables (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la nature nous porte suffisamment à espérer le bien qui lui est proportionné, mais pour espérer le bien surnaturel il a fallu que l'homme y fût porté par l'autorité de la loi divine; tantôt par des promesses, tantôt par des avertissements ou des préceptes. Toutefois relativement aux choses vers lesquelles la raison naturelle nous porte, comme les actes des vertus morales, il a été nécessaire que la loi divine établit des préceptes pour affermir nos résolutions, et surtout parce que la raison naturelle de l'homme a été obscurcie par les convoitises du péché (2).

2. Il faut répondre au second, que les préceptes du Décalogue appartiennent à la loi primitive. C'est pourquoi parmi ces préceptes on n'a pas dû en établir qui se rapportent à l'espérance (3). Il a suffi d'exciter à cette vertu par quelques promesses, comme on le voit dans le premier et le quatrième commandement.

3. Il faut répondre au troisième, qu'à l'égard des choses que l'homme est tenu d'observer à titre de devoir, il suffi t de donner un précepte affirmatif sur ce que l'on doit faire ; par là même on comprend ce que l'on doit éviter, et il n'est pas nécessaire de le défendre. Ainsi il y a un précepte qui oblige à honorer les parents, mais il n'y en a pas qui défendent de leur manquer de respect, à moins qu'on ne considère comme un précepte prohibitif la peine portée dans la loi contre ceux qui commettent ce crime. Parce qu'il est nécessaire au salut de l'homme d'espérer en Dieu, on a dû l'y engager par l'une des manières que nous avons énoncées et faire à ce sujet une sorte de précepte affirmatif dans lequel se trouve comprise la défense du contraire.


ARTICLE II. — ÉTAIT-il a PROPOS Qu'lL y EUT QUELQUE PRÉCEPTE a L'ÉGARD de la crainte (4) ?


Objections: 1. Il semble qu'il ne devait pas y avoir de précepte dans la loi à l'égard de la crainte. Car la crainte de Dieu a pour objet ce qui sert de préliminaire à la loi, puisqu'elle est le commencement de la sagesse. Or, les choses qui servent de préliminaires à la loi ne tombent pas sous les préceptes de la loi elle-même. Il ne doit donc pas y avoir dans la loi de précepte au sujet de la crainte.

2. En posant la cause on pose l'effet. Or, l'amour est la cause de la crainte; car toute crainte procède d'un amour quelconque, comme dit saint Augustin (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 33). Donc en établissant le précepte de l'amour, il aurait été superflu de faire un précepte à l'égard de la crainte.

3. La présomption est contraire à la crainte d'une certaine manière. Or, il n'y a pas dans la loi de prohibition qui regarde la présomption. Il semble donc qu'il ne doive pas y en avoir non plus à l'égard de la crainte.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est écrit (Dt 10,12) : Maintenant, Israël, qu'est- ce que le Seigneur votre Dieu demande de vous, sinon que vous craigniez le Seigneur votre Dieu. Or, Dieu exige de nous ce qu'il nous ordonne d'observer. Donc la crainte de Dieu est l'objet d'un précepte.

CONCLUSION. — Comme il a fallu établir des préceptes à l'égard de l'espérance, de même il a fallu en établir à l'égard de la crainte filiale et de la crainte servile.

Réponse Il faut répondre qu'il y a deux sortes de crainte, la crainte servile et la crainte filiale. Comme on est porté à observer les préceptes de la loi par l'espérance des récompenses, de même on est porté à les observer par la crainte des châtiments, et cette crainte est la crainte servile. Et comme, d'après ce que nous avons dit (art. prée.), on n'a pas dû établir dans la loi de précepte positif à l'égard de l'espérance, mais qu'on a dû y porter les hommes par des promesses; de même on n'a pas dû donner de précepte formel à l'égard de la crainte qui a pour objet le châtiment ; mais on a dû y engager les hommes par des menaces. C'est ce qui a été fait dans les préceptes mêmes du Décalogue et ensuite par voie de conséquence dans les préceptes secondaires de la loi. Et comme les sages et les prophètes qui avaient pour mission d'affermir les hommes dans l'observance de la loi, leur ont enseigné l'espérance par manière d'avertissement ou de précepte, de même ils leur ont inspiré la crainte. — Quant à la crainte filiale qui témoigne à Dieu du respect, elle appartient en quelque sorte à l'amour divin, et elle est le principe de toutes les choses que le respect envers Dieu nous fait observer. C'est pourquoi il y a dans la loi des préceptes sur la crainte filiale, comme il y en a sur l'amour, parce que l'un et l'autre servent de préliminaire aux actes extérieurs que la loi ordonne et auxquels se rapportent les préceptes du Décalogue. C'est pour cette raison que la loi exige de l'homme la crainte pour marcher dans la voie du Seigneur en l'honorant et pour l'aimer.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la crainte filiale est un préliminaire à la loi, non comme une chose extrinsèque, mais comme étant le principe de la loi, et il en est de même de l'amour. C'est pourquoi il y a sur la crainte et sur l'amour des préceptes qui sont en quelque sorte les principes généraux de toute la loi (1).

2. Il faut répondre au second, que la crainte filiale vient de l'amour, comme les autres bonnes oeuvres qui sont le fruit de la charité. C'est pourquoi, comme après le précepte de la charité il y a des préceptes sur les autres actes de vertu, de même il y a aussi des préceptes qui se rapportent simultanément à la crainte et à l'amour de la charité. C'est ainsi que dans les sciences démonstratives il ne suffit pas d'établir les premiers principes, si l'on n'établit en même temps les conclusions qui en découlent d'une manière prochaine ou éloignée.

3. Il faut répondre au troisième, que l'exhortation à la crainte suffit pour exclure la présomption, comme l'exhortation à l'espérance sulïit pour exclure le désespoir, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 3).

(1) (Ps 30) : Spera in Domino et fac bonitatem. (Ps 30) : Viriliter agite omnes, qui speratis in Domino. (Os 12) : Misericordiam et indicium custodi, et spera in Deo semper.
(2) Ce qui revient à la pensée de saint Thomas sur la révélation en général, quand il dit qu'elle a été nécessaire, non-seulement pour nous faire connaître les vérités surnaturelles, mais encore les vérités de l'ordre naturel que la raison n'aurait pu par elle-même conserver (part. I, quest. i. art. t\
(5) Parce que les premiers préceptes de la loi supposent la foi et l'espérance pour fondements.
(4) L'Ecriture dit (Dt 4) : Congrega ad me populum... et discant timere me omni tempore, (Dt 10) : Dominum Deum tuum timebis et illi soli servies, (Dt 17) : Leget qui illud excmplum legil, ut discat timere Dominum suum. (Jos 24): Timete Deum et servile ei.
(I) Lc sage résume ainsi toute la loi (Kcrl, xii) : Deum time et mandata ejus observa.




QUESTION XXIII.

DE LA CHARITÉ CONSIDÉRÉE EN ELLE-MÊME.


Après avoir parlé de l'espérance, nous devons traiter de la charité : 1° de la charité elle-même ; 2° du don de sagesse qui lui correspond. — Touchant la charité il y a cinq choses à considérer : 1° la charité elle-même; 2° l'objet de la charité; 3° ses actes; 4° les vices qui lui sont opposés; 5° les préceptes qui s'y rapportent. — La charité elle- même doit être envisagée sous deux aspects. Il faut examiner : 1° la charité en elle- même; 2° la charité par rapport au sujet. — A l'égard de la charité considérée en elle- même huit questions se présentent : 1° La charité est-elle l'amitié? — 2° Est-elle quelque chose de créé dans l'âme? — 3° Est-elle une vertu ? — 4° Est-elle une vertu spéciale ? — 5° Est-elle une seule vertu?— 6° Est-elle la plus grande des vertus? — 7° Peut-il y avoir sans elle une vertu véritable ? — 8° Est-elle la forme des vertus ?


ARTICLE I. — la charité est-elle l'amitié (1)?


Objections: 1. Il semble que la charité ne soit pas l'amitié. Car il n'y a rien qui caractérise autant l'amitié que de vivre ensemble, comme le dit Aristote (Eth. lib. viii, cap. 5). Or, la charité unit l'homme avec Dieu et arec les anges qui n'ont point de commerce avec les hommes, selon l'expression de Daniel (Da 2,41). Donc la charité n'est pas l'amitié.

2. L'amitié n'existe pas sans une réciprocité d'affection, selon la remarque d'Aristote (Eth. lib. viii, cap. 2). Or, la charité se rapporte aux ennemis, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 5,44) : Aimez vos ennemis. Donc la charité n'est pas l'amitié.

3. D'après Aristote (Eth. lib. viii, cap. 3), il y a trois espèces d'amitié : l'une qui est fondée sur l'agréable, l'autre sur l'utile et la troisième sur l'honnête. Or, la charité n'est pas une amitié utile ou agréable ; car saint Jérôme dit (Epist, ad Paulin.) : La véritable amitié, celle que l'onction du Christ consacre, n'est pas produite par l'utilité de la chose dont on use, ni par la seule présence des corps, ni par une adulation trompeuse, mais par la crainte de Dieu et l'étude de la sainte Ecriture. Elle n'est pas non plus l'amitié qui repose sur l'honnête, puisque par la charité nous aimons même les pécheurs, tandis que l'amitié de l'honnête ne se rapporte qu'aux gens vertueux, selon la remarque du philosophe (Eth. lib. viii, cap. 4). Donc la charité n'est pas l'amitié.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Christ dit à ses disciples (Jn 15,15) : Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais je vous dirai mes amis. Or, il ne leur parlait ainsi qu'au point de vue de la charité. Donc la charité est l'amitié.

CONCLUSION. — La charité est une amitié particulière qui existe entre l'homme et Dieu.

Réponse Il faut répondre que, d'après Aristote (Eth. lib. viii, cap. 2 et 3), tout amour n'est pas de l'amitié, il n'y a que l'amour accompagné de bienveillance, c'est-a-dire quand nous aimons quelqu'un de manière  à lui vouloir du bien (2). Si nous ne voulons pas du bien aux choses que nous aimons et si nous désirons ce qu'elles ont de bon pour nous-mêmes, comme quand on dit que nous aimons le vin, les chevaux ou toute autre chose semblable, alors nous n'avons pas un amour d'amitié, mais un amour de concupiscence. Car il est ridicule de dire qu'on a de l'amitié pour le vin ou pour un cheval. Toutefois la bienveillance ne suffit pas pour constituer l'amitié, il faut encore une réciprocité d'amour (I), parce que l'ami doit être aimé de son ami. Or, cette bienveillance réciproque repose sur une communication quelconque (2). Par conséquent puisqu'il y a une communication de l'homme à Dieu par laquelle il nous communique sa béatitude (3), il faut qu'il y ait une amitié quelconque fondée sur cette communication. C'est de cette communication que parle l'Apôtre quand il dit (1Co 1,9) : Dieu par lequel vous avez été appelés à la société de Jésus-Christ son Fils est fidèle. Et comme l'amour fondé sur cette communication est la charité, il s'ensuit évidemment que la charité est une amitié de l'homme avec Dieu.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il y a dans l'homme deux sortes de vie : l'une extérieure qui résulte de sa nature sensible et corporelle ; par cette vie nous n'avons aucune communication, aucun commerce avec Dieu et les anges. L'autre est la vie spirituelle de l'homme selon son âme ; par cette vie nous conversons avec Dieu et les anges ici-bas quoique imparfaitement. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre (Ph 3,20) : Notre conversation est dans les deux. Or, cette conversation trouvera son perfectionnement dans le ciel quand les serviteurs de Dieu le serviront et verront sa face, comme le dit l'Apocalypse (Ap 21,3). C'est pourquoi la charité est ici-bas imparfaite, mais elle sera parfaite dans le ciel.

2. Il faut répondre au second, que l'amitié s'étend à une personne de deux manières : 1° Elle se rapporte à la personne même ; en ce sens l'amitié n'existe jamais qu'elle n'ait pour objet un ami. 2° Elle s'étend à un individu par rapport à une autre personne. Par exemple, si l'on a de l'amitié pour un homme, on aime à cause de lui tous ceux qui lui appartiennent, ses enfants, ses serviteurs et tout ce qui se rattache de quelque façon à sa personne. L'amitié que nous avons pour un ami peut être si grande qu'à cause de lui nous aimions ceux qui lui appartiennent, quand même ils nous offenseraient ou nous haïraient. C'est de la sorte que l'amitié de la charité s'étend à nos ennemis que nous aimons par rapport à Dieu qui est l'objet principal de la charité.

3. Il faut répondre au troisième, que l'amitié fondée sur l'honnête ne se rapporte qu'aux gens vertueux, comme à son objet principal -, mais en vue de la personne à laquelle on est attaché on aime ceux qui lui appartiennent, quand même ils ne seraient pas vertueux. C'est ainsi que la charité, qui est l'amitié de l'honnête par excellence, s'étend aux pécheurs que nous aimons par charité à cause de Dieu.

(1) L'Ecriture indique ce caractère de l'amitié dans une foule d'endroits (Jc 2,23) : Abraham amicus Dei appellatus est. (Ps 138): Nimis honorificati sunt amici tui, Deus.
(Jn 15) : Vos amici mei, si feceritis quae proecipio vobis.
(2) Cet amour de bienveillance existe entre Dieu et l'homme; car l'homme jouit des perfections


ARTICLE II.—la charité est-elle une chose créée dans l'âme (4)?


Objections: 1. Il semble que la charité ne soit pas une chose créée dans l'âme. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. viii, cap. 8) : Celui qui aime le prochain doit conséquemment aimer l'amour même. Or, Dieu est amour, et par con- séquent on doit l'aimer par-dessus toutes choses. Et ailleurs le même docteur ajoute (De Trin. lib. xv, cap. 17) : Il est dit : Dieu est charité, comme il est dit : Dieu est esprit. Donc la charité n'est pas une chose créée dans l'âme, mais c'est Dieu lui-même.

2. Dieu est spirituellement la vie de l'âme, comme l'âme est la vie du corps, d'après ces paroles (Dt 30,20) : Il est votre vie. Or, l'âme vivifie le corps par elle-même. Donc Dieu vivifie l'âme par lui-même; et comme il la vivifie par la charité, d'après ces paroles de saint Jean (1Jn 3,14) : Nous reconnaissons à l'amour que nous avons pour nos frères que nous sommes passés de Ici mort à la vie, il s'ensuit que Dieu est la charité même.

3. Rien de créé n'a une vertu infinie, mais toute créature est plutôt une chose vaine. Or, la charité n'est pas une vanité, mais elle lui est plutôt contraire, et elle a une vertu infinie puisqu'elle mène l'âme de l'homme à un bien infini. Elle n'est donc pas dans l'âme une chose créée.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De doct, christ, lib. m, cap. 10) : j'appelle charité le mouvement de l'esprit qui nous porte à jouir de Dieu à cause de lui-même. Or, le mouvement de l'esprit est une chose créée dans l'âme. Donc la charité est aussi quelque chose de créé.

CONCLUSION. — La charité est une béatitude créée dans l'âme par laquelle l'homme est porté à tous les actes de vertu à cause de Dieu, pour qu'il les produise promptement et facilement.

Réponse Il faut répondre que le Maître des sentences approfondit cette question (lib. i, dist. 17) et établit que la charité n'est pas une chose créée dans l'âme, mais qu'elle est l'Esprit-Saint lui-même habitant dans nos coeurs. Son intention n'a pas été de prouver que le mouvement d'amour par lequel nous aimons Dieu est l'Esprit-Saint lui-même, mais que ce mouvement vient de l'Esprit-Saint sans l'intermédiaire d'aucune habitude (1), tandis que les autres actes de vertu procèdent de l'Esprit-Saint au moyen d'habitudes particulières, telles que l'habitude de la foi, de l'espérance ou de toute autre vertu. Et il s'est ainsi exprimé à cause de l'excellence de la charité. — Mais si l'on juge la chose à son vrai point de vue, cette exception tourne plutôt au détriment de la charité. En effet, le mouvement de cette vertu ne procède pas de l'Esprit-Saint qui meut l'âme humaine de telle sorte qu'elle soit mue seulement, sans être d'aucune manière le principe de ce mouvement, comme quand un corps est mû par un moteur extérieur. Car ce serait contraire à la nature même du volontaire dont le principe doit être en lui-même, comme nous l'avons dit (la 2% quest. vi, art. 1). D'où il suivrait que l'amour ne serait pas volontaire, ce qui implique contradiction, puisque l'amour est essentiellement un acte de la volonté. — On ne peut pas dire non plus que l'Esprit-Saint meuve la volonté à l'égard de l'amour, comme on meut un instrument, qui tout en étant le principe de l'acte n'a cependant pas en lui-même la faculté d'agir ou de ne pas agir. Car dans ce cas on détruirait la nature du mérite, quoique nous ayons dit plus haut (I-II, quest. cxiv, art. 4) que l'amour de la charité est radicalement ce qui nous fait mériter (2). Par conséquent si la volonté est mue par l'Esprit-Saint pour aimer, il faut qu'elle soit elle-même la cause efficiente de l'acte. Or, aucun acte n'est produit parfaitement par une puissance active, s'il ne lui est rendu naturel par une forme quelconque qui soit le principe de son action. De là il arrive que Dieu qui conduit tous les êtres à leurs fins légitimes, donne à chaque chose les formes qui doivent les porter aux fins qu'il a préalablement établies, et c'est ce qui fait dire à la Sagesse qu'il dispose tout avec suavité (Sg 8,4). Mais l'acte de la charité surpassant évidemment les forces naturelles de la volonté, si l'on n'ajoutait à cette faculté naturelle une forme quelconque qui la porte à aimer, l'acte d'amour serait plus imparfait que les actes naturels et que les actes des autres vertus ; il ne serait ni facile, ni agréable. Ce qui est évidemment faux; car il n'y a pas de vertu qui soit portée aussi vivement à produire son acte que la charité, et il n'y en a pas qui opère avec autant de jouissance. Il est donc absolument nécessaire, pour l'acte de charité, qu'il y ait en nous une forme habituelle surajoutée à la puissance naturelle qui la porte à produire cet acte et qui la rende apte à l'opérer d'une manière facile et agréable.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'essence divine est charité, comme elle est sagesse et bonté. Ainsi comme on dit que nous sommes bons de la bonté qui est Dieu et sages de la sagesse qui est Dieu (parce que la bonté qui nous rend bons formellement est une participation de la bonté divine, et la sagesse qui nous rend sages formellement est une participation de la divine sagesse), de même la charité par laquelle nous aimons le prochain formellement est une participation de la divine charité. Les platoniciens avaient coutume de s'exprimer ainsi, et saint Augustin était tout pénétré de leur doctrine; c'est pour n'avoir pas fait cette remarque que plusieurs auteurs ont été induits en erreur par ses paroles (1).

2. Il faut répondre au second, que Dieu est effectivement la vie de l'âme par la charité et la vie du corps par l'âme; tandis que la charité est formellement la vie de l'âme, comme l'âme est formellement la vie du corps. On peut donc par là conclure que comme l'âme est immédiatement unie au corps, de même la charité est unie à l'âme.

3. Il faut répondre au troisième, que la charité opère formellement. L'efficacité de la forme est en raison de la vertu de l'agent qui produit cette forme. C'est pourquoi il est évident que la charité n'est ni vaine, ni infinie, mais qu'elle produit un effet infini, puisqu'elle unit l'âme à Dieu en la justifiant. C'est ce qui démontre l'infinité de la vertu de Dieu qui est l'auteur de la charité.

divines et les aime comme sa fin dernière, et Dieu veut à l'homme la béatitude éternelle.

(2) L'Ecriture exprime ainsi cette réciprocité d'amour entre l'homme et Dieu (Pr 8) : Ego diligentes me diligo. (Jn 14) : Qui diligit me diligetur à Patre meo et ego diligam eum.
(3) La nature de la communication détermine l'espèce d'amitié. Ainsi l'unité de consanguinité repose sur la communication du sang, l'amitié d'excellence sur la communication du supérieur avec l'inférieur, et l'amitié d'égalité sur la communication qui se fait entre compagnons ou associés.
(5) En échange nous rendons à Dieu nos travaux, notre obéissance, en un mot tout ce qui constitue nos mérites.
(i) Le concile de Trente enseigne que la charité est inhérente à l'âme (sess, vi, can. 2) : Si quis dixerit, homines iustificari, vel sola imputatione justitioe Christi, vel solâ peccatorum remissione exclusA gratid, et charitate quae in cordibus eorum per Spiritum sunc- tum diffundatur atque illis inhaereut... anathema sit.
(1) Ce sentiment du Maître des sentences n'est plus suivi. Il est en opposition avec la doctrine du concile de Trente, et il y a des théologiens qui le considerent comme étant condamné.
(2) Ce sentiment répugne à la liberté.
(I) Ce sont ces paroles de saint Augustin qui ont égare en particulier Pierre Lombard.


ARTICLE III. — la charité est-elle une vertu?


Objections: 1. Il semble que la charité ne soit pas une vertu. Car la charité est une amitié. Or, l'amitié n'est pas considérée par les philosophes comme une vertu, ainsi qu'on le voit dans Aristote (Eth. lib. viii, cap. 1). Elle n'est comptée ni parmi les vertus morales, ni parmi les vertus intellectuelles. La charité n'est donc pas non plus une vertu.

2. La vertu est le dernier degré de la puissance, comme nous l'avons dit (De caelo et mundo, lib. i, text. 116). Or, la charité n'est pas le dernier terme de la volonté, mais c'est plutôt la joie et la peine. Il semble donc que la charité ne soit pas une vertu, mais plutôt la joie et la peine.

3. Toute vertu est une habitude accidentelle. Or, la charité n'est pas une habitude accidentelle, puisqu'elle est plus noble que l'âme elle-même.

4. Comme aucun accident n'est plus noble que le sujet il s'ensuit que la charité n'est pas une vertu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De mor. Eccles. lib. ii) : La charité est une vertu (puisque c'est notre affection la plus droite) qui nous unit à Dieu et par laquelle nous l'aimons.

CONCLUSION. — La charité est une vertu, puisqu'elle s'élève à Dieu en nous unissant à lui.

Réponse Il faut répondre que les actes humains sont bons, selon qu'ils sont conformes à la règle et à la mesure d'après laquelle on doit les apprécier. C'est ' pourquoi la vertu humaine, qui est le principe de toutes les bonnes actions de l'homme, consiste dans leur conformité avec la règle des actes humains. Il y a deux sortes de règle, comme nous l'avons dit (queSt. xvii, art. 1), la raison humaine et Dieu lui-même. Par conséquent comme on définit la vertu morale ce qui est conforme à la droite raison (Eth. lib. ii, cap. 6); de même la conformité avec Dieu constitue l'essence de la vertu, comme nous l'avons dit en parlant de la foi et de l'espérance. La charité nous rendant conformes à Dieu puis quelle nous unit à lui, selon l'expression de saint Augustin (loc. cit.), il s'ensuit qu'elle est une vertu.

Solutions: 1. Il faut répondre ou premier argument, qu'Aristote (Eth. lib. viii) ne nie pas que l'amitié soit une vertu, mais il dit qu'elle est une vertu ou qu'elle est toujours unie avec la vertu. En effet, on pourrait dire que c'est une vertu morale qui a pour objet les actions qui se rapportent à autrui, mais sous un autre rapport que la justice. Car la justice règle les opérations qui se rapportent à autrui à titre de dette légale, tandis que l'amitié embrasse celles qui s'y rapportent à titre de dette amicale et morale, ou plutôt à titre de bienfait gratuit, comme le prouve Aristote (Eth. lib. vnr, cap. 13). Néanmoins on peut dire que ce n'est pas une vertu par elle-même distincte des autres. Car elle n'est louable et honnête que d'après son objet, c'est-à-dire qu'autant qu'elle est fondée sur l'honnêteté des vertus. Ce qui est évident, parce que toute amitié n'est pas louable et honnête, comme on le voit dans l'amitié qui repose sur l'agréable et l'utile. Par conséquent une amitié vertueuse est plutôt une conséquence de la vertu qu'une vertu même. Il n'en est pas de même de la charité, qui n'est pas fondée principalement sur la bonté humaine, mais sur la bonté divine.

2. Il faut répondre au second, qu'il appartient à la même vertu d'aimer quelqu'un et de s'en réjouir. Car la joie résulte de l'amour, comme nous l'avons vu en traitant des passions (1* 2ae, quest. xxv, art. 2). C'est pourquoi on considère plutôt l'amour comme une vertu que la joie qui est l'effet de l'amour (1). Le dernier degré en matière de vertu n'implique pas une série d'effets, mais plutôt un certain excès (2), comme cent livres surpassent quarante.

3. Il faut répondre au troisième, que tout accident est, selon son être, inférieur à la substance ; parce que la substance est l'être par soi, tandis que f accident est l'être qui existe dans un autre. Selon la nature de son espèce, l'accident qui provient des principes du sujet est moins noble que le sujet, comme l'effet est plus noble que la cause. Mais l'accident qui résulte de la participation d'une nature supérieure est plus noble que le sujet qui le reçoit, puisqu'il est la ressemblance d'une nature supérieure, comme la lumière est plus noble qu'un corps diaphane. C'est ainsi que la charité est plus noble que l'âme, en ce qu'elle est une participation de l'Esprit-Saint.

(1) La joie est une des récompenses et nn des fruits de la vertu, mais elle n'est pas une vertu proprement dite.
(2) On donne le nom de vertu au dernier effort de la puissance ; c'est pourquoi on donne ce nom à l'amour qui est le dernier effort de la volonté, et (jui implique plutôt une certaine prééminence qu'un rapport de causalité, comme celui qui existe entre la joie et l'amour, qui en est le principe.



ARTICLE IV. — la charité est-elle une vertu spéciale :


Objections: 1. Il semble que la charité ne soit pas une vertu spéciale. Saint Jérôme dit (1) que la vertu, pour embrasser en un mot toute sa définition, est la charité par laquelle on aime Dieu et le prochain. Et saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. xv, cap. 22) que la vertu est l'ordre de l'amour. Or, on ne fait pas entrer une vertu spéciale dans la définition de la vertu en général. Donc la charité n'est pas une vertu spéciale.

2. Ce qui s'étend aux oeuvres de toutes les vertus ne peut pas être une vertu spéciale. Or, la charité s'étend aux oeuvres de toutes les vertus, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 13,4) : La charité est patiente, bienveillante, etc. Elle s'étend même à toutes les actions humaines, d'après ces autres paroles (1Co 16,14) : Faites avec charité tout ce que vous faites. Elle n'est donc pas une vertu spéciale.

3. Les préceptes de la loi répondent aux actes des vertus. Or, saint Augustin dit (Lib. de per f. human. just. cap. 5) que, vous aimerez, est un ordre général, et vous ne convoiterez pas, une défense générale aussi. Donc la charité est une vertu générale.

En sens contraire Mais c'est le contraire. On ne range pas ce qui est général avec ce qui est spécial. Or, on met la charité au nombre des vertus spéciales, c'est-à-dire qu'on la compte avec l'espérance et la foi, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 13,13) : Maintenant ces trois vertus : la foi, l'espérance et la charité, subsistent.

CONCLUSION. — Puisque le bien divin considéré comme objet de la béatitude est l'objet de la charité, on compte nécessairement la charité píirmi les autres vertus comme une vertu spéciale.

Réponse Il faut répondre que les actes et les habitudes se spécifient par leurs objets, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (1a2", quest. xviii, art. 2, et quest. liv, art. 2). Or, l'objet propre de l'amour est le bien, comme nous l'avons vu (la 2% quest. xxvii, art. 1). C'est pourquoi là où il y a une espèce particulière de bien, il y a une espèce particulière d'amour. Et comme le bien divin (2), selon qu'il est l'objet de la béatitude, est une espèce de bien particulière, il s'ensuit que l'amour de la charité, qui est l'amour de ce bien, est un amour spécial, et que par conséquent la charité est une vertu spéciale.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la charité entre dans la définition de toute vertu, non parce qu'elle leur appartient essentiellement, mais parce que toutes les vertus dépendent d'elle d'une certaine manière, comme nous le verrons (art. 7 et 8 huj. quaest.). C'est ainsi que la prudence entre dans la définition des vertus morales, comme on le voit (Eth. lib. ii, cap. G, et lib. vi, cap. ult.), parce que les vertus morales en dépendent.

2. Il faut répondre au second, que la vertu ou l'art auquel appartient la fin dernière commande aux vertus ou aux arts auxquels appartiennent les autres fins secondaires, comme l'art militaire commande à l'art équestre, selon l'expression d'Aristote (Eth. lib. i, cap. 1). C'est pourquoi la charité ayant pour objet la fin dernière de la vie humaine, c'est-à-dire la béatitude éternelle elle s'étend par manière de commandement à tous les actes de l'homme' sans produire pour cela immédiatement les actes de toutes les vertus (1).

3. Il faut répondre au troisième, que le précepte de 1 amour est un commandement général, parce que tous les autres préceptes se rapportent à celui-là comme à leur fin, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Tm 1,1) : La fin des commandements, c'est la charité.

(d) Ce passage est plutôt de saint Augustin (Ep. CLXVIl).
(2) Le bien divin ou surnaturel est aussi l'objet de l'espérance, mais cette vertu ne se rapporte pas à lui de la même manière que la charité. Car l'espérance a pour objet le bien, selon que nous devons en jouir, et la charité se rapporte au bien considéré en lui-même. L'un se rapporte au bien selon qu'il est à venir, et 1 autre selon qu'il est présent.


:  ARTICLE V. — la vertu de la charité est-elle une (2)?

Objections: 1. Il semble que la vertu de la charité ne soit pas une. Car les habitudes se distinguent d'après leurs objets. Or, la charité a deux objets : Dieu et le prochain, qui sont infiniment éloignés les uns des autres. Donc la vertu de la charité n'est pas une.

2. Les divers rapports de l'objet diversifient l'habitude, quoique l'objet soit réellement le même, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. xvii, art. 6, et la 2', quest. liv, art. 2ad 1). Or, nous avons une foule de raisons d'aimer Dieu, puisque nous lui devons notre amour pour chacun des bienfaits que nous en recevons. Donc la vertu de la charité n'est pas une.

3. La charité comprend l'amitié qu'on a pour le prochain. Or, Aristote distingue (Eth. lib. viii, cap. 11 et 12) différentes espèces d'amitié. Donc la charité ne forme pas une seule vertu, mais elle se distingue en différentes espèces.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Comme Dieu est l'objet de la foi, de même il est l'objet de la charité. Or, la vertu de la foi est une, à cause de l'unité de la vérité divine, d'après ces paroles de l'Apôtre (Ep 4,5) : La foi est une. Donc la vertu de charité est une aussi, à cause de l'unité de la bonté de Dieu.

CONCLUSION. — Puisque la bonté de Dieu et la communication éternelle de la béatitude est absolument une, la charité qui s'y rapporte est une vertu absolument une qui n'a point d'espèces.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), la charité est une amitié de l'homme avec Dieu. On distingue différentes espèces d'amitié : 1° D'après la diversité de la fin, et à ce point de vue on dit qu'il y a trois espèces d'amitié, l'amitié utile, voluptueuse et vertueuse (3). 2° On distingue encore différentes espèces d'amitié d'après la diversité des communications sur lesquelles l'amitié repose (4). Ainsi l'amitié pour les parents est d'une autre espèce que celle qu'on a pour ses concitoyens ou pour des étrangers, parce que l'une repose sur une communication naturelle et l'autre sur des relations civiles ou étrangères, comme le remarque Aristote (Eth. lib. viii, cap. 11 et 12). Mais on ne peut diviser la charité à aucun de ces points de vue. Car la fin de la charité est une; c'est la bonté divine. La communication de la béatitude éternelle sur laquelle cette amitié repose est une aussi. D'où il résulte que la vertu de la charité est absolument une et qu'elle ne se divise pas en plusieurs espèces.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette raison serait concluante si Dieu et le prochain étaient au même titre (ex aequo) les objets de la charité (o). Mais il n'en est pas ainsi, puisque Dieu est l'objet principal de la charité, tandis qu'on n'aime le pécheur charitablement qu'à cause de Dieu.

2. Il faut répondre au second, que par la charité on aime Dieu pour lui- même. Par conséquent la charité n'a qu'une seule raison de l'aimer, c'est la bonté divine qui est sa substance, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps 105,1) : Louez le Seigneur, parce qu'il esthon. Les autres raisons qui nous portent à l'aimer ou qui nous en font un devoir sont secondaires et découlent de la première.

3. Il faut répondre au troisième, que les amitiés humaines dont parle Aristote ont des fins diverses et reposent sur des communications différentes; ce qui n'a pas lieu dans la charité, comme nous l'avons dit (m corp. art.). C'est pourquoi il n'y a pas de parité.

(1) Par conséquent cette prééminence no l'empêche pas «l'être une vertu spéciale, comme la prudence n'en est pas moins une vertu particulière, quoiqu'elle commande à toutes les autres vertus morales.
(3) Ces différentes espèces d'amitié humaine se distinguent d'après la diversité «le leurs fins. Ainsi l'amitié utile se propose son intérêt, l'amitié voluptueuse ses jouissances, et 1 amitié vertueuse n'a en vue que l'honnête.
(4) Voyez ce que nous avons dit (p. 183, not.2). (b) C'est-à-dire s'ils n'étaient pas subordonnés l'un à l'autre.
(2) Cette question revient à celle-ci : Peut-on distinguer plusieurs espèces de charité, comme on distingue plusieurs espèces d'amitié humaine?



II-II (Drioux 1852) Qu.21