II-II (Drioux 1852) Qu.83 a.3

ARTICLE III. — La prière est-elle un acte de religion (5)?



Objections: 1. Il semble que la prière ne soit pas un acte de religion. Car la religion étant une partie de la justice, réside dans la volonté comme dans son sujet. Or, la prière appartient à la partie intellectuel, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 4). Il ne semble donc pas qu'elle soit un acte de religion ; elle est plutôt un acte du don de l'intellect, par lequel l'âme s'élève vers Dieu.

2. L'acte de latrie est de nécessité de précepte. Or, il ne semble pas qu'il en soit de même de la prière; mais elle procède de la simple volonté; puisqu'elle n'est rien autre chose que la demande de ce que l'on veut. Elle ne paraît donc pas être un acte de religion.

3. Il semble qu'il appartienne à la religion d'offrir à Dieu un culte et des cérémonies. Or, la prière ne paraît rien lui offrir, mais elle a plutôt pour but d'en obtenir quelque chose en le lui demandant. Elle n'est donc pas un acte de religion.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Psalmiste dit (Ps 140,2) : Que ma prière s'élève comme l'encens en votre présence. À cette occasion la glose fait remarquer (interl, et ordin. implic.) qu'en signe de cette vérité sous l'ancienne loi on offrait au Seigneur de l'encens dont l'odeur était agréable. Or, ceci appartient à la religion. La prière est donc un acte de cette vertu.

CONCLUSION. — La prière est un acte de religion, puisque par la prière l'homme révère Dieu et se soumet à lui.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. 81, art. 2 et 4), il appartient en propre à la religion de rendre à Dieu le respect et l'honneur qui lui sont dus. C'est pourquoi la religion embrasse toutes les choses par lesquelles on honore Dieu. Or, l'homme le révère par la prière, puisqu'il se soumet à lui et qu'il avoue en le priant qu'il a besoin de lui, comme de l'auteur de ses biens. Il est donc évident que la prière est, à proprement parler, un acte de religion.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la volonté meut les autres puissances vers sa fin, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest. ad 2). C'est pourquoi la religion, qui réside dans la volonté, rapporte les actes des autres puissances au respect de Dieu. Or, parmi les autres puissances de l'âme, l'intellect est la plus élevée et la plus proche de la volonté. C'est pour ce motif qu'après la dévotion, qui appartient à la volonté elle-même, la prière, qui se rapporte à la partie intellectuelle de l'âme, tient le premier rang parmi les actes de religion, puisque c'est par elle que la religion élève l'intelligence de l'homme vers Dieu.

2. Il faut répondre au second, qu'il est de précepte, non-seulement de demander ce que nous désirons, mais encore de ne désirer que ce qu'il faut. Or, le désir tombe sous le précepte de la charité, et la demande sous le précepte de la religion. Ce précepte se trouve à cet endroit de l'Evangile (Mt 7,7): Demandez et vous recevrez.

3. Il faut répondre au troisième, que par la prière l'homme donne son âme à Dieu, qu'il la lui soumet par son respect et qu'il la lui présente en quelque sorte, selon l'expression de saint Denis que nous avons rapportée (art. 4, arg. 2). C'est pourquoi, comme l'âme humaine l'emporte sur les membres du corps et sur toutes les choses extérieures que l'on emploie au service de Dieu, de même la prière l'emporte sur tous les autres actes de religion.

(5) Cet article est une réfutation de l'erreur d'Averroës, qui prétendait que tes prières étaient renfermées dans l'ordre naturel. Car la prière étant un acte de religion, il est évident qu'elle appartient plutôt à l'ordre de la grâce qu'à celui de la nature.



ARTICLE IV. — Ne doit-on prier que Dieu (1)?



Objections: 1. Il semble qu'on ne doive prier que Dieu. Car la prière est un acte de religion, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, la religion ne doit rendre un culte qu'à Dieu. On ne doit donc prier que lui.

2. C'est en vain qu'on adresse une prière à celui qui ne la connaît pas. Or, il n'y a que Dieu qui connaisse nos prières, soit parce que le plus souvent on prie plutôt par un acte intérieur que Dieu seul connaît que de vive voix, suivant ce que dit l'Apôtre (1Co 14,45) : Je prierai d'esprit et je prierai de coeur ; soit parce que, selon la remarque de saint Augustin (Lib. De cura pro mortuis agenda, cap. 13, 15 et 16), les morts, môme les saints, ne savent pas ce que l'ont les vivants, ni leurs enfants. On ne doit donc adresser de prières qu'à Dieu.

3. Si nous faisons une prière aux saints, ce n'est qu'autant qu'ils sont unis à Dieu. Or, il y a des hommes en ce monde ou dans le purgatoire qui sont très-unis à Dieu par la grâce ; cependant on ne leur adresse pas de prière. Nous ne devons donc pas davantage prier les saints qui sont dans le paradis.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Ecriture dit (Jb 5,1) : Appelez, s'il y a quelqu'un qui vous réponde ; mais à qui des saints vous adresseriez-vous?

CONCLUSION. — Quoiqu'on ne doive prier que Dieu pour qu'il nous donne la grâce ou la gloire, néanmoins il est avantageux de prier les saints, afin que par leurs prières et leurs mérites nos prières obtiennent leur effet.

Réponse Il faut répondre qu'on adresse une prière à quelqu'un de deux manières : 1° pour qu'il l'accomplisse par lui-même ; 2° pour qu'il en obtienne par lui-même l'accomplissement. Dans le premier sens, nous prions Dieu, parce que toutes nos prières doivent avoir pour but d'obtenir la grâce et la gloire que Dieu seul donne, d'après ce mot du Psalmiste (Ps 83,12) : Le Seigneur donnera la grâce et la gloire. Dans le second sens, nous prions les anges et les saints, non pour que Dieu connaisse par eux nos demandes, mais pour que par leurs supplications et leurs mérites nos prières aient un effet. C'est pourquoi il est dit (Ap 8,4) que la fumée des parfums composés des prières des saints s'élève de la main de l'ange devant Dieu. Cette vérité est d'ailleurs évidente, d'après les formules que l'Eglise emploie dans ses prières; car nous demandons à la sainte Trinité d'avoir pitié de nous, tandis que nous demandons aux saints, quels qu'ils soient, de prier pour nous (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans nos prières nous ne rendons un culte de latrie qu'à celui dont nous cherchons à obtenir l'objet de nos demandes, parce que nous le reconnaissons par là même pour l'auteur de nos biens ; mais nous ne rendons pas un culte semblable à ceux que nous prions d'être nos intercesseurs près de Dieu (2).

2. Il faut répondre au second, que, d'après leur condition naturelle, les morts ne savent pas ce qui se passe en ce monde, et ils ignorent surtout les mouvements intérieurs de notre coeur. Mais, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. xii, cap. 14), les bienheureux apprennent dans le Verbe (3) ce qu'il leur convient de connaître à l'égard de nos actions, ainsi que par rapport aux mouvements intérieurs de nos coeurs. Et comme ce qu'il leur importe le plus de connaître, ce sont les demandes qu'on leur adresse de bouche ou de coeur, il s'ensuit que Dieu les leur manifeste.

3. Il faut répondre au troisième, que ceux qui sont en ce monde ou dans le purgatoire ne jouissent pas encore de la vision du Verbe, pour pouvoir connaître ce que nous pensons ou ce que nous disons (1). C'est pour ce motif que nous n'implorons pas leurs suffrages dans nos prières ; cependant nous les réclamons des vivants par le moyen de la parole.

(I) Les protestants ont attaqué le culte des saints comme idolâtrique, et ils prétendent que l'on ne doit prier que Dieu. Cette doctrine a été condamnée par le concile de Trente (sess. xxv). Pour la preuve traditionnelle de ce dogme, on peut lire Perrone (De cultu sanctorum, cap. 3, prop. 2).
(1) Il y a cependant dans l'antienne Alma Redemptoris les mots peccatorum miserere, adressés à la sainte Vierge. Mais, dans ce cas, on la prie comme la mère de la miséricorde, et ces expressions n'ont pas le même sens que quand il s'agit de la sainte Trinité.
(2) Pour éviter toute équivoque, les théologiens appellent le culte rendu à Dieu le culte de latrie, et celui des saints le culte de dulie. Saint Augustin a établi le premier cette distinction (De Trin. lib. I, cap. 6, et Cont. Faust, lib. xx, cap. 15, De vera relig. cap.55) ; mais si les autres Pères ne se sont pas servis de ces expressions, il ont eu tous le même sentiment.
(3) Il y a des théologiens qui font observer que quand même les saints ne connaîtraient pas individuellement les prières de chacun de nous, il n'en serait pas moins très-utile de les invoquer, parce qu'ils prieraient en général pour tous ceux qui s'adressent à eux. C'est l'observation de Bellarmin (De beatitud. lib. i, cap. 20), Estius (in 4, dist. 45, g 20), Sylvius (in suppl. quest. lxxii, art. 2).
(1) Il y a des théologiens très-graves qui croient que les âmes du Purgatoire prient pour elles et pour les autres. C'est le sentiment de Sylvius (in suppl. quest. lxxi, art. 6 ad I), qui cite Estius, Bellarmin et Medina.


ARTICLE V. — Dans nos prières devons-nous demander à dieu quelque chose de déterminé (2)?



Objections: 1. Il semble que par la prière nous ne devons demander à Dieu rien de déterminé. Car, comme le dit saint Jean Damascène (De fid. orth. lib. iii, cap. 24), la prière a pour but de demander à Dieu ce qui convient, d'où il résulte que la prière par laquelle on demande ce qui ne convient pas est inefficace, d'après ces paroles de saint Jacques (Jc 4,3) : Fous demandez, et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal. Or, comme le dit saint Paul (Rm 8,20), Nous ne savons ce que nous devons demander pour prier comme il faut. Nous ne devons donc pas, dans nos prières, demander quelque chose de déterminé.

2. Celui qui demande d'un autre une chose déterminée s'efforce de pousser sa volonté à faire ce qu'il veut lui-même. Or, nous ne devons pas tendre à ce que Dieu veuille ce que nous voulons, mais nous devons plutôt nous efforcer de vouloir ce qu'il veut, comme le dit la glose (ord. Aug.) à l'occasion de ces paroles de David (Ps 32) : Exultate justi in Domino. Nous ne devons donc pas, dans nos prières, demander à Dieu quelque chose de déterminé.

3. Nous ne devons pas demander à Dieu de mauvaises choses puisqu'il nous excite à celles qui sont bonnes. Or, il est inutile de demander à quelqu'un ce qu'il nous engage à recevoir. Nous ne devons donc pas demander à Dieu quelque chose de déterminé dans nos prières.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le Seigneur a appris à ses disciples (Mt 6, et Lc 4) à demander d'une manière déterminée ce qui est renfermé dans les demandes de l'oraison dominicale.

CONCLUSION. — Il y a des choses que nous devons demander dans nos prières d'une manière déterminée ; ce sont les biens dont personne ne peut faire un mauvais usage.

Réponse Il faut répondre que, comme le rapporte Valère Maxime (lib. vii, cap. 2), Socrate pensait que l'on devait se borner à demander aux dieux immortels de nous accorder ce qui nous est bon, parce qu'ils savaient bien ce qui est utile à chacun de nous : pour nous, ajoute-t-il, le plus souvent nous souhaitons ce qu'il nous serait plus avantageux de ne pas obtenir. Ce sentiment a quelque chose de vrai par rapport aux choses qui peuvent avoir une mauvaise issue et dont l'homme peut faire un bon et un mauvais usage. Tels sont, d'après le même auteur, les richesses qui sont funestes à un grand nombre, les honneurs qui corrompent la plupart de ceux qui les obtiennent, le pouvoir qui mène souvent à une fin déplorable ; les alliances splendides qui sont quelquefois la ruine absolue des familles. Mais il y a des biens dont l'homme ne peut abuser, c'est-à-dire qui ne peuvent avoir de mauvais résultats. Ce sont ceux qui nous rendent heureux et qui nous font mériter la béatitude. Les saints les demandent d'une manière absolue dans leurs prières, comme le fait David (Ps 79,4) : Montrez-moi votre face et nous serons sauvés, et ailleurs (Ps 118,35) : Conduisez-moi dans la voie de vos commandements.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, quoique l'homme ne puisse pas savoir par lui-même ce qu'il doit demander, cependant l'Esprit-Saint, comme le dit l'Apôtre lui-même, vient en aide à notre faiblesse, en nous inspirant de saints désirs, et il nous fait ainsi demander ce qu'il nous faut- C'est ce qui fait dire au Seigneur (Jn 4,24) que les vrais adorateurs de Dieu doivent l'adorer en esprit et en vérité.

2. Il faut répondre au second, que, lorsque dans nos prières nous demandons des choses qui appartiennent à notre salut, nous conformons notre volonté à celle de Dieu, dont il est dit (1Tm 2,4) qu'il veut sauver tous les hommes.

3. Il faut répondre au troisième, que Dieu nous invite à recevoir les biens qui nous conviennent, non pour que nous nous en approchions corporellement, mais pour que nous les sollicitions par de pieux désirs et d'ardentes prières.

(2) Cet article est une réfutation de l'erreur de Molinos et des nouveaux mystiques, qui voulaient qu'on supprimât dans la prière toutes demandes, tous désirs. Voyez dans Bossuet l'exposition et la réfutation de cette erreur (Instruction sur les états d'oraison, liv. iii).



ARTICLE VI. — L'homme doit-il demander a dieu des choses temporelles dans ses prières (1)?


Objections: 1. Il semble que l'homme ne doive pas demander à Dieu des choses temporelles, quand il le prie. Car nous recherchons ce que nous demandons par nos prières. Or, nous ne devons pas rechercher les biens temporels; puisqu'il est dit (Mt 6,33) : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroit ; c'est-à-dire les biens temporels, qu'on ne doit pas rechercher d'après l'Evangile, mais qu'on doit ajouter aux choses que l'on recherche. On ne doit donc pas demander à Dieu des choses temporelles dans ses prières.

2. On ne demande que les choses pour lesquelles on a de la sollicitude. Or, nous ne devons pas nous inquiéter des choses temporelles, d'après ce passage de l'Evangile (Mt 6,20) : Ne dites pas avec inquiétude : Que mangerons-nous? Que boirons-nous? Nous ne devons donc pas demander des choses temporelles dans nos prières.

3. Par la prière nous devons élever notre âme vers Dieu. Or, en demandant les choses temporelles, elle descend à ce qui est au-dessous d'elle, contrairement à ce que disait l'Apôtre (2Co 4,18) : Nous ne considérons point les choses visibles, mais les invisibles parce que les choses visibles sont temporelles, tandis que celles qui sont invisibles sont éternelles. L'homme ne doit donc pas demander à Dieu dans ses prières des choses temporelles.

4. On ne doit demander à Dieu que des choses bonnes et utiles. Or, quelquefois les biens temporels sont nuisibles non-seulement à l'âme, mais encore au corps. On ne doit donc pas les demander à Dieu dans la prière.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Pr 30,8) : Donnez-moi seulement ce qui me sera nécessaire pour vivre (1).

CONCLUSION. — Nous ne devons pas demander à Dieu les biens temporels comme les plus importants et les plus précieux, cependant il nous est permis de les demander dans nos prières, comme des biens secondaires qui peuvent nous aider à parvenir à la béatitude.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin dans sa lettre à Proba sur la prière (Epist, cxxx, cap. 12), il est permis de demander par la prière ce qu'il est permis de désirer. Or, il est permis de désirer les biens temporels, non comme des choses principales dans lesquelles nous devons mettre notre fin, mais comme des secours dont nous nous servons pour tendre à la béatitude, parce qu'ils sont des moyens de soutenir en nous la vie matérielle et qu'ils sont des instruments que nous employons pour faire des actes de vertus, comme le dit encore Aristote (Eth. lib. i, cap. 8). C'est pour ce motif qu'il est permis de prier pour les choses temporelles. C'est la doctrine de saint Augustin qui dit à (Proba (loc. cit. cap. 6 et 7) qu'on n'a pas tort de vouloir ce qui est nécessaire à la vie, sans rien désirer de plus ; qu'on ne recherche pas cet avantage pour lui-même, mais pour le salut du corps et pour qu'on occupe convenablement le rang qu'on doit tenir, sans choquer ceux avec lesquels on doit vivre. On doit donc prier pour obtenir ces biens quand on ne les a pas, ou pour les conserver quand on les possède.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on ne doit pas rechercher principalement les biens temporels, mais on doit le faire secondairement. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Deserm. Dom. in monte, lib. ii, cap. 16), à l'occasion de ces paroles de l'Evangile : Illud, primo quaerendum est, que Notre-Seigneur a désigné ainsi le royaume de Dieu, parce que les biens temporels ne doivent être recherchés que postérieurement non quant au temps, mais quant à l'importance; nous devons rechercher le royaume céleste comme notre bien, et les avantages temporels seulement selon qu'ils nous sont nécessaires.

2. Il faut répondre au second, qu'il n'est pas absolument défendu de s'occuper des biens temporels; il n'y a de répréhensible à cet égard qu'une sollicitude vaine et déréglée, comme nous l'avons vu (quest. lv, art. 6).

3. Il faut répondre au troisième, que quand notre intelligence s'applique aux choses temporelles pour s'y reposer, elle est par là même abaissée ; mais quand elle s'y applique pour arriver à la béatitude, il n'en est pas de même, elle est plutôt élevée.

4. Il faut répondre au quatrième, qu'en demandant les biens temporels, non comme les biens que nous recherchons principalement, mais relativement à un autre but, nous demandons par là même à Dieu qu'il nous les accorde selon qu'ils sont avantageux au salut.

(I) L'Eglise fait souvent des prières pour demander à Dieu la pluie ou le beau temps dans l'intérêt des récoltes. Saint Thomas nous explique le sens de ces prières et les justifie.
(1) Jacob disait (Gn 28) : Si dederit mihi Deus panem ad edendum et vestimentum quo operiar; et dans l'oraison qu'il nous a apprise, le Seigneur nous fait dire lui-même : Panem nostrum quotidianum da nobis hodie.



ARTICLE VII. — Devons-nous prier pour les autres (2)?



Objections: 1. Il semble que nous ne devions pas prier pour les autres. Car dans nos prières nous devons suivre la forme que le Seigneur nous a transmise. Or, dans l'oraison dominicale nous demandons pour nous et non pour les autres, quand nous disons : Donnez-nous notre pain quotidien, etc. Nous ne devons donc pas prier pour les autres.

2. On prie pour être exaucé. Or, une des conditions nécessaires pour que la prière puisse être exaucée, c'est qu'on prie pour soi. Ainsi à l'occasion de ces paroles de saint Jean (Jn 16) : Si vous demandez quelque chose en mon nom, il vous le donnera; saint Augustin dit (Tract, CII) : Tout le monde est exaucé pour soi, mais non pour les autres; c'est pour cela qu'il n'est pas dit simplement : il donnera, mais il vous donnera. Il semble donc que nous ne devons pas prier pour les autres, mais seulement pour nous.

3. Il nous est défendu de prier pour les autres, s'ils sont méchants, d'après ce passage du prophète (Jr 7,16) : Ne priez donc pas pour ce peuple, et ne vous opposez pas à moi, parce que je ne vous exaucerai point. Il ne faut pas non plus prier pour les bons, parce qu'ils sont exaucés quand ils prient pour eux-mêmes. Il semble donc que nous ne devons pas prier pour les autres.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Jc 5,16) : Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez sauvés (1).

CONCLUSION. — Puisque nous devons désirer du bien non-seulement à nous- mêmes, mais encore aux autres par charité, il faut que nous priions aussi pour les autres et pas seulement pour nous-mêmes.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), nous devons demander dans nos prières ce que nous devons désirer. Or, nous devons désirer du bien non-seulement à nous, mais encore aux autres ; car ce sentiment est de l'essence de l'amour que nous devons avoir pour le prochain, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. xxv et xxvi). C'est pourquoi la charité demande que nous priions pour les autres. C'est ce qui fait dire à saint Chrysostome (alius auctor Sup. Matth, hom. xiv in opere imperf.) : La nécessité nous contraint de prier pour nous-mêmes ; la charité fraternelle nous exhorte à le faire pour les autres. La prière la plus douce devant Dieu n'est pas celle que la nécessité impose, mais celle que la charité fraternelle recommande.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme l'observe saint Cyprien (Lib. de orat. Dom.), nous ne disons pas mon Père, mais notre Père; ni donnez-moi, mais donnez-nous, parce que le Christ, qui nous a enseigné l'union, n'a pas voulu que nous fissions notre prière en particulier, de manière que l'on ne prie que pour soi : car il a voulu qu'un seul prie pour tous, parce que c'est dans l'unité qu'il nous a tous portés.

2. Il faut répondre au second, que prier pour soi est une condition qui n'est pas nécessaire pour mériter, mais elle l'est seulement pour être exaucé. Car il arrive quelquefois que la prière que l'on fait pour un autre n'est pas exaucée, quoiqu'on la fasse avec piété et persévérance, et qu'elle ait pour objet ce qui regarde le salut, parce que celui pour lequel on prie y oppose un obstacle, d'après ces paroles du Seigneur (Jr 15,1) : Quand Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon coeur n'est pas pour ce peuple. Toutefois l'oraison n'en est pas moins méritoire pour celui qui la fait avec charité, suivant ce mot du Psalmiste (Ps 34,13) : Ma prière retournera dans mon coeur, c'est-à-dire, d'après la glose (interl.), quoiqu'elle ne leur soit pas utile, je ne serai cependant pas privé de ma récompense.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il faut prier pour les pécheurs, afin qu'ils se convertissent, et pour les justes, afin qu'ils persévèrent et progressent. Ceux qui prient ne sont cependant pas exaucés pour tous les pécheurs, mais ils le sont pour quelques-uns. Car ils le sont pour les prédestinés, tandis qu'ils ne le sont pas pour ceux dont la damnation est prévue ; comme la correction par laquelle nous corrigeons nos frères produit son effet sur les prédestinés et non sur les réprouvés, suivant cette parole de l'Ecriture (Si 7,44) : Personne ne peut corriger celui que Dieu a méprisé. C'est pourquoi il est dit (1Jn 5,46) : Si quelqu'un voit son frère commettre un péché qui ne va point à la mort, qu'il prie, et Dieu donnera la vie à ce pécheur, si son péché ne va point à la mort. Or, comme nous ne devons priver personne, tant qu'il vit, du bienfait de la correction, parce que nous ne pouvons pas distinguer les prédestinés des réprouvés, selon la remarque de saint Augustin (Lib. de corrept. et grat. cap. 45), de même nous ne devons refuser à personne le suffrage de nos prières (1). — Nous devons aussi prier pour les justes pour trois raisons : 1° Parce que les prières de plusieurs sont plus facilement exaucées. Ainsi à l'occasion de ces paroles de saint Paul (Rm 15) : Aidez-moi par vos prières, la glose dit (ordin. Ambros.) que l'Apôtre prie les moindres fidèles de prier pour lui, parce que les petits, quand ils sont réunis dans un même sentiment, deviennent grands, et qu'il est impossible que les prières d'une assemblée n'obtiennent pas ce qu'il est possible d'obtenir. 2° Pour qu'il y en ait beaucoup qui remercient Dieu des bienfaits qu'il accorde aux justes et qui tournent à l'avantage de la multitude, comme on le voit par saint Paul (2Co 1). 3° Enfin pour que les grands ne s'enorgueillissent pas à la pensée qu'ils n'ont pas besoin des suffrages des petits.

(2) Cet article est une réfutation de l'erreur de Wiclef, qui prétendait qu'on ne devait pas prier pour une personne en particulier ; de celle de Pélage, qui voulait que les prières que l'Eglise fait pour la conversion des pécheurs ou la persévérance des fidèles fussent inutiles.
(I) Saint Paul dit (1Tm 2): Obsecro primum omnium fieri obsecrationes, orationes, postulationes, gratidrum actiones pro omnibus hominibus. On pourrait multiplier à l'infini les passages de l'Ecriture qui justifient la pratique constante de l'Eglise.
(I) L'Eglise prie même pour les infidèles et les excommuniés, comme on le voit à l'office du vendredi saint. Mais ils sont privés de ses suffrages, parce qu'ils sont séparés d'elle et qu'ils (ont cessé d'être ses membres.



ARTICLE VIII. — Devons-nous prier pour nos ennemis (2)?


Objections: 1. Il semble qu'on ne doive pas prier pour ses ennemis. Car, selon l'expression de saint Paul (Rm 15,4) : Tout ce qui a été écrit l’a été pour notre enseignement. Or, dans l'Ecriture sainte on trouve une multitude d'imprécations contre les ennemis. Ainsi il est dit (Ps 6,44) : Que tous mes ennemis rougissent et qu'ils soient troublés, qu'ils soient mis en fuite aussitôt et qu'ils soient couverts de confusion. Nous devons donc prier plutôt contre nos ennemis que pour eux.

2. La vengeance envers les ennemis leur est funeste. Or, les saints demandent à être vengés de leurs ennemis, d'après ce passage de saint Jean (Ap 6,40) : Jusqu'à quand différerez-vous à venger notre sang de ceux qui habitent la terre. D'où il résulte qu'ils se réjouissent de la vengeance des impies, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 107,11) : Le juste se réjouira, quand il se verra vengé. On ne doit donc pas prier pour ses ennemis, mais on doit plutôt prier contre eux.

3. L'action de l'homme et sa prière ne doivent pas être contraires. Or, quelquefois les hommes attaquent licitement leurs ennemis : autrement toutes les guerres seraient injustes ; ce qui est opposé à ce que nous avons dit (quest. xl, art. 4). Nous ne devons donc par prier pour nos ennemis.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit dans l'Evangile (Mt 5,44) : Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient.

CONCLUSION. — Nous devons prier non-seulement pour nos amis, mais encore pour nos ennemis au même titre que nous sommes tenus de les aimer par charité.

Réponse Il faut répondre qu'il appartient à la charité de prier pour les autres, comme nous l'avons dit (art. préc.). Nous sommes donc tenus de prier pour nos ennemis au même titre que nous sommes tenus de les aimer. Or, nous avons montré (quest. xxv, art. 8 et 9) de quelle manière nous sommes tenus de les aimer; c'est-à-dire que nous devons aimer en eux leur nature, mais non leur péché. Nous avons aussi prouvé qu'il est de précepte de les aimer en général, mais non de les aimer en particulier, sinon d'après les dispositions du coeur; de telle sorte que l'on doit être disposé à aimer son ennemi en particulier, à l'aider dans le cas de nécessité, ou s'il sollicitait son pardon. Mais il est de la perfection d'aimer en particulier ses ennemis d'une manière absolue et de leur prêter secours. De même il est nécessaire que dans nos prières générales que nous faisons pour les autres, nous n'excluions pas nos ennemis (1). Mais c'est un acte de perfection que de prier spécialement pour eux; on n'y est pas obligé, sinon dans quelque cas particulier.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les imprécations qui se trouvent dans l'Ecriture sainte, peuvent s'entendre de quatre manières : 1° Selon que les prophètes ont coutume d'employer l'imprécation pour figurer l'avenir qu'ils prédisent, comme le dit saint Augustin (De serm. Dom. lib. i, cap. 21). 2° Dans le sens que Dieu envoie quelquefois des maux temporels aux pécheurs pour les corriger. 3° Parce que ces paroles s'entendent non des hommes- eux-mêmes, mais de l'empire du péché, de telle sorte que ceux qui les emploient souhaitent que la correction des hommes amène la ruine du péché. 4° Leur volonté se trouvait conforme à la justice divine à l'égard de la damnation de ceux qui persévèrent dans le péché.

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (ibid. cap. 22, et lib. n de quaest. Evang. quest. xlv), la vengeance des martyrs a pour but le renversement de l'empire du péché, dont le règne a été cause de leurs tourments. Or, d'après ce qu'il dit (Lib. de quaest. Vet. et Nov. Test. quest. lxviii) : Ce n'est pas par leur bouche, mais par la raison qu'ils demandent à être vengés; comme le sang d'Abel criait de terre. S'ils se réjouissent de leur vengeance, ce n'est pas pour elle-même, mais c'est à cause de la justice de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il est permis de combattre les ennemis pour les éloigner du péché, ce qui tourne à leur avantage et à celui des autres ; et par conséquent il est également permis de demander par la prière qu'il leur arrive quelques maux temporels (2) pour qu'ils se corrigent. L'action et la prière ne sont donc pas contraires.

(2) Cet article est une réfutation de l'erreur des pharisiens, qui disaient qu'il était permis de nuire à ses ennemis, et de celle des grecs, qui supposaient que l'on pouvait tromper un ennemi et lui faire du tort.
(1) Ainsi, quand on prie pour une communauté ou pour une ville, on ne doit pas excepter dans sa prière les individus qui font partie de cette communauté ou de cette ville, parce qu'il y aurait là un acte de haine.
(2) On peut également, dans l'intérêt de son salut, se souhaiter des afflictions, des souffrances et des peines temporelles de toutes sortes. Ainsi saint Paul disait : Cupio dissolvi et esse cum Christo. C'était le même sentiment qui faisait dire à sainte Thérèse : aut pati aut mori. Mais on peut rarement souhaiter aux autres des revers temporels, parce qu'il y a danger d'obéir en cela à un sentiment de haine, et que d'ailleurs il peut y avoir scandale.


ARTICLE IX. — Les sept demandes de l'oraison dominicale sont-elles déterminées d'une manière convenable (3)?



Objections: 1. Il semble que les sept demandes de l'oraison dominicale ne soient pas exprimées convenablement. Car il est inutile de demander la sanctification de ce qui est toujours saint. Or, le nom de Dieu est toujours saint, d'après ces paroles de saint Luc (Lc 1,49) : Son nom est saint. Son royaume est aussi éternel; puisqu'il est écrit (Ps 144,13) : Votre royaume, Seigneur, embrasse tous les siècles; sa volonté est également toujours accomplie; car Dieu dit lui-même (Is 46,10) : Ma volonté s'accomplira tout entière. Il est donc inutile de demander que le nom de Dieu soit sanctifié, que son règne arrive, et que sa volonté soit faite.

2. Il faut s'éloigner du mal avant de faire le bien. Il semble donc que l'on ait eu tort de mettre les demandes qui ont pour but d'obtenir le bien avant celles qui ont pour objet d'éloigner le mal.

3. On demande une chose pour qu'on la donne. Or, le principal don de Dieu est l'Esprit-Saint et les choses qu'il produit en nous. Il semble donc que les demandes soient mal faites, puisqu'elles ne correspondent pas aux dons de l'Esprit-Saint.

4. D'après saint Luc il n'y a que cinq demandes dans l'oraison dominicale, comme on le voit (Lc 11). Il était donc superflu d'en distinguer sept d'après saint Matthieu.

5. Il paraît inutile de captiver la bienveillance de celui qui nous a déjà prévenus. Or, Dieu nous a prévenus par sa bienveillance, parce qu'il nous a aimés le premier, comme le dit saint Jean (1Jn 4,19). Il est donc superflu de débuter par ces paroles : Notre Père qui êtes dans les deux, parce qu'elles paraissent employées à dessein pour exciter la bienveillance de Dieu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Nous n'avons pas besoin d'une autre autorité que celle du Christ qui est lui-même l'auteur de cette prière.

CONCLUSION. — La prière que le Seigneur a composée de sept demandes dans l'Evangile est très-convenable et très-parfaite.

Réponse Il faut répondre que l'oraison dominicale est infiniment parfaite, parce que, comme le dit saint Augustin à Proba (Epist, cxxx) : Si nous prions convenablement et comme il faut, nous ne pouvons dire rien autre chose que ce que cette prière renferme. Car la prière étant près de Dieu l'interprète de nos désirs, nous ne pouvons demander légitimement que ce que nous pouvons désirer de même. Or, dans l'oraison dominicale nous demandons non-seulement ce qui peut être l'objet légitime de nos désirs, mais nous le demandons encore dans l'ordre où nous devons le désirer; de telle sorte que cette prière ne nous apprend pas seulement à demander, mais elle forme encore toutes nos affections. En effet il est évident que la première chose que nous désirons, c'est notre fin, puis les moyens qui y mènent. Notre fin est Dieu, et notre affection se porte vers lui de deux manières, selon que nous voulons sa gloire ou selon que nous en désirons la jouissance. La première de ces deux choses appartient à l'amour par lequel nous aimons Dieu en lui- même ; la seconde se rapporte à l'amour par lequel nous nous aimons en lui. C'est pourquoi la première demande est celle-ci : Que votre nom soit sanctifié; et la seconde : que votre règne arrive. Par la première nous demandons la gloire de Dieu ; par la seconde nous demandons à y parvenir. — Les moyens nous mettent en rapport avec notre fin de deux manières : par eux-mêmes et par accident. Ce qui nous y ordonne de soi-même, c'est le bien qui nous est utile pour l'obtenir. Or, une chose est utile à la fin de la béatitude de deux façons : 1° Directement et principalement selon le mérite par lequel nous méritons la béatitude en obéissant à Dieu ; et c'est à ce sujet qu'il est dit : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

2° Instrumentalement, comme un secours qui nous aide à acquérir des mérites, et c'est pour ce motif qu'il est dit : Donnez-nous notre pain quotidien; soit qu'on entende par là le pain sacramentel dont l'usage quotidien fait faire à l'homme des progrès spirituels, et qui comprend tous les autres sacrements ; soit qu'on entende le pain corporel, de manière à exprimer par là tout ce qui est nécessaire à la vie, comme le dit saint Augustin à Probat sup. cap. 11), parce que l'Eucharistie est le principal sacrement et le pain la principale nourriture. C'est pourquoi il est appelé dans l'Evangile de saint Matthieu super substantialis, c'est-à-dire principal, comme l'explique saint Jérôme (Sup. cap. vi). — Par accident nous sommes mis en rapport avec la béatitude par l'éloignement de ce qui nous empêche de l'obtenir. Or, il y a trois choses qui nous en empêchent : 1° le péché qui exclut directement du royaume céleste, d'après ce passage de l'Apôtre (1Co 6,9) : Ni les fornicateurs ni les idolâtres... ne posséderont le royaume de Dieu. Et c'est à cela que se rapporte cette demande : Pardonnez-nous nos offenses. 2° La tentation qui nous empêche d'observer la volonté de Dieu, et c'est pour ce motif qu'il est dit : Et ne nous laissez pas succomber à la tentation; nous demandons ainsi non pas à ne point être tentés, mais à ne pas être vaincus par la tentation. 3° Les peines présentes qui nous empêchent de nous procurer ce qu'il nous faut pour vivre, et c'est relativement à elles que nous disons : Délivrez-nous du mal (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, d'après saint Augustin (lib. ii De Serin. Dom. in monte cap. 5), quand nous disons : Que votre nom soit sanctifié, nous ne faisons pas cette demande comme si le nom de Dieu n'était pas saint, mais pour qu'il soit considéré comme tel par tous les hommes, ce qui se rapporte à la propagation de la gloire de Dieu dans le genre humain. En disant : Que votre régne arrive, nous ne le disons pas, comme si Dieu ne régnait pas maintenant, mais ainsi que le dit encore saint Augustin à Proba (ut sup. cap. xi), nous excitons par là notre désir vers ce royaume pour qu'il vienne en nous et que nous régnions avec lui. Quant à ces mots : Que votre volonté soit faite, ils signifient que nous désirons qu'on obéisse à ses préceptes, sur la terre comme au ciel, c'est-à-dire qu'il soit servi par les hommes comme par les anges. Par conséquent, ces trois demandes auront leur accomplissement parfait dans la vie future, tandis que les quatre autres appartiennent aux besoins de la vie présente, comme l'observe le même docteur (Ench. cap. 115).

2. Il faut répondre au second, que la prière étant l'interprète du désir, l'ordre de demandes ne répond pas à l'ordre d'exécution, mais à l'ordre de désir ou d'intention, dans lequel la fin est avant les moyens et la recherche du bien avant l'éloignement du mal.

3. Il faut répondre au troisième, que saint Augustin met les sept demandes en rapport avec les dons et les béatitudes, en disant (lib. ii De Serm. Dom. in mont. cap. 11) : Si nous avons la crainte de Dieu, qui donne aux bienheureux l'esprit de pauvreté, demandons que le nom de Dieu soit sanctifié parmi les hommes par une crainte chaste. Si nous avons la piété, qui rend bienheureux ceux qui sont doux, demandons que son règne arrive, afin que nous nous adoucissions nous-mêmes et que nous ne lui résistions pas. Si nous avons la science, qui rend heureux ceux qui pleurent, prions pour que sa volonté soit faite, et alors nous ne pleurerons plus. Si c'est la force

qui rend heureux ceux qui ont faim, prions pour que nous recevions notre pain quotidien. Si c'est le conseil par lequel les bienheureux sont miséricordieux, pardonnons les offenses qui nous ont été faites pour qu'on nous pardonne les nôtres. Si c'est l'intellect par lequel les bienheureux ont le coeur pur, prions pour que notre coeur ne se partage pas en recherchant les biens temporels, qui sont pour nous des causes de tentation. Si c'est la sagesse par laquelle les bienheureux sont pacifiques, puisqu'ils seront appelés les enfants de Dieu, prions pour que nous soyons délivrés du mal; car cette délivrance, en nous affranchissant, nous rendra des enfants de Dieu.

4. Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Augustin (Ench. cap. 116), saint Luc, au lieu des sept demandes de l'oraison dominicale, n'en a rapporté que cinq, pour nous montrer que la troisième est en quelque sorte une répétition des deux premières, et en l'omettant il nous l'a mieux fait comprendre; car la volonté de Dieu a principalement pour but que nous connaissions sa sainteté et que nous régnions avec lui. Quant à la dernière demande, qui est dans saint Matthieu : Délivrez-nous du mal, saint Luc ne l'a pas non plus rapportée, pour que chacun sache que la délivrance du mal consiste précisément à ne pas succomber à la tentation.

5. Il faut répondre au cinquième, que nous ne prions pas Dieu pour le fléchir, mais pour exciter en nous une plus grande confiance à son égard, et cette confiance est principalement excitée par la considération de l'amour qu'il a pour nous et par lequel il veut notre bien; c'est ce qui nous fait dire : Notre Père; elle est aussi produite par la vue de la supériorité de sa puissance, et c'est pour cela que nous ajoutons : qui êtes dans les deux.

(3) L'oraison dominicale est la prière modèle, puisque le Seigneur, qui l'a composée, nous dit lui-même : C'est ainsi que vous prierez : Sic ergo vos orabitis.
(I) Saint Thomas a composé un opuscule particulier sur le Pater, qui est une des meilleures paraphrases que nous connaissions (Vid. Opuscul.).




II-II (Drioux 1852) Qu.83 a.3