II-II (Drioux 1852) Qu.85 a.3

ARTICLE III. — L'oblation du sacrifice est-elle un acte spécial de vertu (3)?


Objections: 1. Il semble que l'oblation du sacrifice ne soit pas un acte spécial de vertu. Car saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. x, cap. 6) : Le vrai sacrifice est toute oeuvre que nous faisons pour nous unir à Dieu d'une sainte union. Or, toute bonne oeuvre n'est pas un acte spécial d'une vertu déterminée. L'oblation du sacrifice n'en est donc pas un non plus.

2. La macération du corps, qui est l'effet du jeûne, appartient à l'abstinence; celle qui est l'effet de la continence appartient à la chasteté, et celle qui consiste dans le martyre appartient à la force. Toutes ces choses paraissent être comprises sous l'oblation du sacrifice, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 12,1) : Offrez-lui vos corps comme une hostie vivante. Car il dit ailleurs (He 13,16) : Souvenez-vous d'exercer la charité, et de faire part de vos biens aux autres; parce que c'est par de semblables hosties qu'on se rend semblable à Dieu. Or, ces actions que l'Apôtre recommande appartiennent à la charité, à la miséricorde et à la libéralité. L'oblation du sacrifice n'est donc pas un acte spécial d'une vertu déterminée.

3. Le sacrifice paraît être ce qu'on offre à Dieu. Or, il y a beaucoup de choses qu'on offre à Dieu, comme la dévotion, la prière, les dîmes, les prémices, les oblations et les holocaustes. Le sacrifice ne paraît donc pas être un acte spécial d'une vertu déterminée.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La loi renferme des préceptes spéciaux sur îles sacrifices, comme on le voit au commencement du Lévitique.

CONCLUSION. — Puisque l'oblation des sacrifices est louable parce que c'est une manière de rendre hommage à Dieu, il est évident que cet acte appartient à la religion.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (I-II quest. xviii, art. 6 et 7), quand l'acte d'une vertu se rapporte à la fin d'une autre vertu, il participe en quelque sorte à son espèce, comme quand on vole pour faire une fornication, le vol reçoit en quelque sorte la tache de la fornication elle-même, de telle sorte que s'il n'était pas déjà un péché par lui-même, il deviendrait coupable par là même qu'il a la fornication pour fin. Ainsi donc le sacrifice est un acte spécial qui est louable parce qu'il a pour but d'honorer la Divinité; c'est pourquoi il appartient à une vertu déterminée, c'est- à-dire à la religion. Or, il arrive que les autres actes de vertu que l'on fait se rapportent aussi à la gloire de Dieu, comme quand on fait l'aumône avec son propre bien pour Dieu, ou quand on soumet son propre corps à quelque mortification dans le même but. C'est pour cette raison que les actes des autres vertus peuvent être aussi appelés des sacrifices (1). Cependant il y a des actes qui ne sont louables que parce qu'ils sont faits pour témoigner à Dieu le respect qu'on lui doit. Ce sont ces actes qui reçoivent, à proprement parler, le nom de sacrifice, et ils appartiennent à la vertu de religion.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dès que nous voulons nous unir à Dieu d'une union spirituelle, cet acte appartient au respect que nous lui devons; c'est pourquoi tous les actes de vertu ont la nature du sacrifice par là même qu'on les fait pour être uni à Dieu de cette manière.

2. Il faut répondre au second, qu'il y a pour l'homme trois espèces de bien. Le premier est le bien de l'âme, que l'on offre à Dieu dans le sacrifice intérieur par la dévotion, la prière et les autres actes intérieurs de cette nature ; ce sacrifice est le principal. Le second est le bien du corps que l'on offre à Dieu d'une certaine façon, par le martyre, l'abstinence ou la continence. Le troisième est le bien des choses extérieures que l'on offre à Dieu en sacrifice, directement quand nous lui offrons immédiatement ce que nous possédons ; médiatement, quand nous les donnons au prochain à cause de lui.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il y a sacrifices proprement dits, quand on fait subir quelque changement (2) aux choses que l'on offre à Dieu ; comme quand on tuait les animaux et qu'on les brûlait, ou comme quand on rompt le pain, qu'on le mange et qu'on le bénit. C'est d'ailleurs ce que le mot indique; car on dit sacrifice, parce que l'on fait quelque chose de sacré. Il y a oblation directement, quand on offre à Dieu une chose sans lui faire subir aucun changement ; comme on dit qu'on offre des deniers ou des pains sur l'autel, sans leur faire éprouver aucune altération. Ainsi tout sacrifice est une oblation, mais non réciproquement. Les prémices sont des oblations, parce qu'on les offrait à Dieu, comme on le voit (Dt 31) ; mais elles ne sont pas des sacrifices, parce qu'on n'opérait religieusement aucun changement à leur égard. Mais les dîmes, à proprement parler, ne sont ni des sacrifices, ni des oblations, parce qu'elles ne se rapportent pas immédiatement à Dieu, mais à ses ministres (3).

(3) Le sacrifice étant un acte de religion, il faut pour l'offrir un prêtre et un autel. Sous la loi de nature, les chefs de famille et les aînés ont rempli les fonctions sacerdotales; sous la loi de Moïse, cet honneur appartenait exclusivement à la famille d'Aaron : et sous la loi de grâce, il appartient aux évêques et aux prêtres.
(1) Ils ne méritent ce nom que dans le sens large du mot, comme on donne à tous les chrétiens le nom de prêtres (1P 2, Apoc. 1).
(2) Ce changement de la chose offerte doit avoir lieu dans l'action du sacrifice, mais non pas avant ou après.
(3) D'après les différentes conditions que saint Thomas exige pour le sacrifice, on peut le définir, avec la plupart des théologiens : Oblatio rei sensibilis, a legitimo ministro facta Deo, per realem immutationem ad agnoscendum supremum ejus dominium nostramque subiectionem.


ARTICLE IV. — Tout le monde est-il tenu d'offrir des sacrifices?


Objections: 1. Il semble que tous les hommes ne soient pas tenus d'offrir des sacrifices. Car, d'après) l'Apôtre (Rm 3,19), ce que la loi dit s'adresse à ceux qui sont sous la loi. Or, la loi sur les sacrifices n'a pas été donnée à tous les hommes, mais seulement au peuple juif. Tout le monde n'est donc pas obligé d'offrir des sacrifices.

2. On offre des sacrifices à Dieu pour signifier quelque chose. Or, il n'appartient pas à tout le monde de comprendre ces significations. Tout le monde n'est donc pas tenu d'offrir des sacrifices.

3. Les prêtres sont appelés sacerdotes, parce qu'ils offrent à Dieu un sacrifice (sacrificium). Or, tous les hommes ne sont pas prêtres. Ils ne sont donc pas tous tenus à offrir des sacrifices.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'oblation du sacrifice appartient à la loi de nature, comme nous l'avons vu (art. 1 huj. quaest.). Or, tous les hommes doivent faire ce qui est de la loi de nature. Us sont donc tous tenus à offrir à Dieu un sacrifice.

CONCLUSION. — Tous les hommes sont tenus à offrir à Dieu un sacrifice intérieur, c'est-à-dire un esprit dévoué, et le sacrifice extérieur des choses qui leur sont commandées, qu'elles soient ou des actes de vertus ou des oblations positives et déterminées.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.), il y a deux sortes de sacrifice. Le premier et le principal est le sacrifice intérieur, auquel tout le monde est tenu; car tous les hommes doivent offrir à Dieu un coeur soumis et dévoué. L'autre est le sacrifice extérieur, qui se divise en deux. En effet, il y a un sacrifice qui tire uniquement sa louange de ce que l'on offrait à Dieu quelque chose extérieurement, en signe de soumission et de dépendance à son égard (1). Il est obligatoire d'une manière pour ceux qui ont vécu sous la loi ancienne ou sous la loi nouvelle (2), mais il l'est d'une autre pour ceux qui n'ont pas vécu sous la loi. Car ceux qui sont sous la loi sont tenus d'offrir des sacrifices tels que les préceptes de la loi les ont déterminés, tandis que ceux qui n'étaient pas sous la loi étaient tenus de faire des sacrifices extérieurs pour honorer la Divinité d'une manière convenable aux yeux de ceux au milieu desquels ils habitaient; mais ils n'étaient pas obligés de faire en particulier telle ou telle chose. — L'autre sacrifice extérieur a lieu quand on se sert des actes extérieurs des autres vertus pour en faire hommage à la Divinité. Parmi ces actes, il y en a qui sont de précepte et qui sont par là même obligatoires pour tout le monde ; il y en a qui sont de subrogation auxquels chacun n'est pas tenu.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que tous les hommes n'étaient pas tenus à ces sacrifices particuliers qui étaient commandés dans la loi; mais ils étaient tenus à quelques sacrifices intérieurs ou extérieurs (3), comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que quoique tous ne connaissent pas explicitement la vertu des sacrifices (4), cependant ils la connaissent tous implicitement, comme ils ont la foi implicite, ainsi que nous l'avons vu (quest. ii, art. 6 et 7).

3. Il faut répondre au troisième, que les prêtres offrent des sacrifices qui se rapportent spécialement au culte divin, non-seulement pour eux, mais encore pour les autres ; mais il y a d'autres sacrifices que chacun peut offrir à Dieu pour soi, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (in corp. art. et art. 2 et 3 huj. quaest.).

(1) Ce sacrifice extérieur ne peut être offert que par des prêtres, tandis que les autres sont des sacrifices improprement dits qui peuvent être offerts par les fidèles.
(2) Sous la loi ancienne, les devoirs n'étaient pas les mêmes que sous la loi nouvelle. Il y avait là une foule de sacrifices, tandis que sous la loi nouvelle il n'y en a qu'un seul, le sacrifice eucharistique.
(3) Ils étaient tenus au sacrifice intérieur du coeur et à l'offrande de leurs actes de vertu ; les autres sacrifices ne regardaient que les prêtres.
(4) Il suffit qu'ils soient unis implicitement avec l'Eglise, qui est l'interprète de leurs pensées et de leurs sentiments.




QUESTION LXXXVI.

DES OBLATIONS ET DES PRÉMICES.



Nous avons maintenant à nous occuper des oblations et des prémices. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Ya-t-il des oblations qui soient de nécessité de précepte? — 2° A qui doit-on des oblations? — 3° De quelles choses doivent-elles être composées ? — 4° Spécialement à l'égard des oblations des prémices les hommes y étaient-ils tenus nécessairement?



ARTICLE I. —les hommes sont-ils tenus aux oblations de nécessité de précepte ?



Objections: 1. Il semble que les hommes ne soient pas tenus aux oblations de nécessité de précepte; car, sous la loi évangélique, on n'est pas tenu d'observer les préceptes cérémoniels de la loi ancienne, comme nous l'avons vu (I-II quest. cm, art. 3 et 4). Or, l'offrande des oblations se trouve parmi les préceptes cérémoniels de la loi ancienne ; car il est dit (Ex 23,14) : Vous célébrerez chaque année trois fêtes solennelles en mon honneur. Et puis le Seigneur ajoute : Vous ne vous présenterez pas devant moi les mains vides. Les hommes ne sont donc pas tenus maintenant aux oblations de nécessité de précepte.

2. Avant que les oblations ne soient faites, elles sont volontaires, comme on le voit par ce que dit le Seigneur (Mt 5,23) : Si vous offrez votre présent à l'autel, ce qui indique que cet acte était laissé à l'arbitraire de chacun. Mais une fois qu'elles sont faites, il n'y a plus lieu de les recommencer. On n'est donc tenu d'aucune manière à en faire de nécessité de précepte.

3. Celui qui est tenu de donner une chose à l'Eglise, s'il ne la donne pas, peut y être contraint par la privation des sacrements. Or, il paraît défendu de refuser les sacrements à ceux qui ne veulent pas faire d'offrandes, d'après un décret du concile ex Trullo (can. xxiii) qui se trouve dans le Droit (I. quest. i, cap. Nullus), et qui est ainsi conçu : Que celui qui dispense la sainte communion n'exige rien de celui qui reçoit cette grâce; s'il en exige quelque chose, qu'il soit déposé. Il n'est donc pas nécessaire au salut que l'on fasse des oblations.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire VII dit (in Conc. rom. v, can. xii): Que tout chrétien fasse à Dieu, à la messe solennelle, quelques oblations.

CONCLUSION. — On est tenu, non de faire les oblations prescrites par la loi ancienne, mais celles qui sont commandées sous la loi nouvelle.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 3 ad 3), le mot d'oblation est général pour désigner toutes les choses que l'on emploie au culte de Dieu; de telle sorte que si l'on offre pour le culte de Dieu quelque chose qui doive être consacré et ensuite consumé, il y a oblation et sacrifice. Ainsi il est dit (Ex 29,18) : Vous ferez brûler le bélier tout entier sur l'autel ; c'est une oblation pour le Seigneur ; l'odeur de la victime est très-agréable à Dieu. Et ailleurs (Lv 2,1) : Quand une personne fera à Dieu l’oblation d'un sacrifice, de la fleur de farine sera son offrande. Si la chose offerte pour le culte divin reste dans son intégrité ou qu'elle soit destinée à l'usage des prêtres, il y a oblation et non sacrifice (I). Ces oblations sont, par leur nature, volontaires ; c'est pourquoi il est dit (Ex 25,2) : Vous les recevrez de tous ceux qid me les présenteront avec une pleine volonté. Cependant il peut arriver que l'on soit tenu à faire des oblations pour quatre raisons : 1° par suite d'une convention antérieure, comme quand on accorde à quelqu'un une propriété de l'Eglise, à la condition qu'à certaines époques il fera des oblations déterminées, ce qui a la nature d'un cens (2); 2° à cause d'une délégation ou d'une promesse antérieure, comme quand on fait une donation entre-vifs ou quand on laisse à l'Eglise, par testament, un bien meuble ou immeuble qu'on doit céder plus tard; 3° si une église était dans la nécessité, par exemple, si les ministres n'avaient pas de quoi vivre ; 4° par la coutume. Ainsi les fidèles sont tenus, à certaines fêtes, de faire les offrandes accoutumées. Cependant, dans ces deux derniers cas, l'offrande reste volontaire sous un rapport, c'est-à-dire relativement à la quantité ou à l'espèce de la chose offerte.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que sous la loi nouvelle les hommes ne sont pas tenus aux oblations, en vertu des solennités légales dont il est parlé dans l'Exode; mais ils y sont tenus pour d'autres causes, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que l'on est tenu de faire des offrandes, et avant qu'elles ne soient faites (comme dans le premier, le troisième et le quatrième cas dont nous avons parlé), et aussi après qu'elles ont été faites par délégation ou par promesse; car on est tenu de donner réellement à l'Eglise ce qu'on lui a offert sous l'orme de promesse (3).

3. Il faut répondre au troisième, que ceux qui ne font pas les oblations qu'ils doivent peuvent être punis par la privation des sacrements, non par le prêtre lui-même auquel ces oblations doivent être faites, dans la crainte qu'il ne paraisse exiger quelque chose pour l'administration des sacrements, mais par une autorité supérieure.

(I) Il n'y a jamais sacrifice sans oblation, mais il peut y avoir oblation sans sacrifice. Le mot oblation exprime le genre par rapport au sacrifice, qui est l'espèce.
(2) Syntagmat. juris, lib. III, cap. 15, num. 9).
(3) La promesse n'oblige pas moins qu'un autre contrat, du moment qu'elle a été faite sérieusement, et qu'elle a été acceptée.



ARTICLE II. — Les oblations ne sont-elles dues qu'aux prêtres (4)?



Objections: 1. Il semble que les oblations ne soient pas dues seulement aux prêtres; car les principales paraissent être celles qu'on destine aux sacrifices des victimes ou des hosties. Or, ce qu'on donne aux pauvres reçoit dans l'Ecriture le nom d'hostie, d'après ce passage de saint Paul (He 13,16) : Ne manquez pas d'être charitables et de faire part de vos biens aux pauvres ; car c'est par de semblables hosties qu'on se rend agréable à Dieu. Donc à plus forte raison les oblations sont-elles dues aux pauvres.

2. Dans beaucoup de paroisses les moines ont une partie des oblations. Or, la charge des clercs est autre que celle des moines, comme le dit saint Jérôme (Epist. 1 ad Heliod.). Les oblations ne sont donc pas dues qu'aux prêtres.

3. Du consentement de l'Eglise les laïques achètent les oblations, comme les pains, etc. Or, ils ne les achètent que pour les employer à leur usage. Les oblations peuvent donc aussi appartenir aux laïques.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le pape Damase dit (habetur x, quest. 1, cap. Hanc consuetudinem) : Que les oblations que l'on fait à l'intérieur de l'Eglise n'appartiennent qu'aux prêtres; qu'il n'y a que ceux qui servent le Seigneur tous les jours qui puissent les manger et les boire; parce que le Seigneur, dans l'Ancien Testament, a défendu aux enfants d'Israël de manger les pains de proposition, qu'il n'y avait d'exception que pour Aaron et ses fils.

CONCLUSION. — Puisque le prêtre est médiateur entre Dieu et le peuple, le peuple doit lui faire des offrandes, non-seulement pour qu'il les emploie à son propre usage, mais encore pour qu'il les dispense fidèlement en ce qui se rapporte au culte divin, pour l'usage des autres prêtres, et pour l'entretien des pauvres.

Réponse Il faut répondre que le prêtre est en quelque sorte l'entremetteur et le médiateur entre le peuple et Dieu, comme il est dit de Moïse (Dt 5); c'est pourquoi il lui appartient de transmettre au peuple les dogmes et les sacrements divins, et d'en recevoir ensuite les prières, les sacrifices et les oblations, pour les offrir à Dieu, selon ces paroles de saint Paul (He 5,1) : Tout pontife étant pris d'entre les hommes, est établi pour eux en ce qui regarde le culte de Dieu, afin qu'il offre des dons et des sacrifices pour le péché. C'est pourquoi les offrandes que le peuple fait à Dieu appartiennent aux prêtres, non-seulement pour qu'ils les emploient à leur usage, mais encore pour qu'ils les dispensent fidèlement, en en employant une partie à ce qui regarde le culte de Dieu, une partie pour leur propre nourriture, parce que ceux qui servent l'autel participent de l'autel, selon l'expression de l'Apôtre (1Co 9), et une autre partie pour les pauvres, qui doivent, autant que possible, être soutenus par les biens de l'Eglise; parce que le Seigneur tenait en réserve de l'argent pour les pauvres, comme le dit saint Jérôme à l'occasion de ces paroles de saint Matthieu (cap. 17, Ut non scandalizemus (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les dons qu'on fait aux pauvres, quoiqu'ils ne soient pas à proprement parler des sacrifices, cependant on leur en donne le nom, parce qu'on les fait pour Dieu. On peut aussi, pour la même raison, leur donner le nom d'offrandes, quoiqu'ils ne soient pas des oblations proprement dites, parce qu'ils ne sont pas offerts à Dieu immédiatement. Mais les oblations proprement dites sont employées à l'usage des pauvres, non d'après la dispensation de ceux qui les offrent, mais par celle des prêtres.

2. Il faut répondre au second, que les moines ou les autres religieux peuvent recevoir des oblations de trois manières : 1° comme pauvres, quand les prêtres les leur dispensent ou que l'Eglise les leur assigne; 2° s'ils sont ministres de l'autel; alors ils peuvent recevoir les oblations qu'on leur fait spontanément; 3° quand les paroisses sont à eux : dans ce cas, ils peuvent recevoir les oblations à titre de choses dues, comme recteurs de ces églises.

3. Il faut répondre au troisième, que les oblations, après qu'elles ont été consacrées, ne peuvent plus être mises en usage par les laïques, comme les vases et les vêtements sacrés, et c'est dans ce sens qu'il faut entendre les paroles du pape Damas (cit. in arg. sed cont.). Mais celles qui n'ont pas été consacrées peuvent servir aux laïques, d'après la dispensation des prêtres, soit qu'ils les leur donnent, soit qu'ils les leur vendent.

(4) Ces articles se rapportent à l'ancien droit canonique ; c'est pour ce motif que nous avons cru inutile de les annoter.
(I) Ces répartitions ne sont applicables qu'autant que la coutume opposée n'a pas prévalu, ou que la volonté des donataires n'a pas stipulé le contraire, ou qu'il n'y a pas de loi de l'Eglise qui l'établisse.


ARTICLE III. — Peut-on faire des oblations de tout ce qu'on possède licitement?


Objections: 1. Il semble qu'on ne puisse pas faire des oblations de toutes les choses qu'on possède licitement. Car, d'après le droit (I. Idem ff. de condict. ob turp. caus.), une prostituée exerce une profession honteuse, et cependant ce qu'elle reçoit n'est pas un gain illégitime, elle le possède licitement. Or, il n'est pas permis de faire des offrandes avec ce profit, puisque la loi dit (Dt 23,18) : Vous n'offrirez pas le prix de la prostitution dans la maison du Seigneur votre Dieu. Il n'est donc pas permis de faire une offrande de tout ce que l'on possède licitement.

2. Au même endroit, il est défendu d'offrir dans la maison de Dieu le prix d'un chien. Or, il est évident que le prix d'un chien vendu dans de justes conditions est une possession légitime. Il n'est donc pas permis d'offrir tout ce que l'on possède légitimement.

3. Le prophète dit (Ml 1,18): Si vous offrez un animal boiteux et malade, n'est-ce pas une faute ? Or, un animal boiteux et malade est une chose que l'on possède justement. Il semble donc qu'on ne puisse pas faire une offrande de tout ce que l'on possède à juste titre.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Pr 3,9) : Honorez le Seigneur votre Dieu de vos biens. Or, tout ce que l'homme possède légitimement fait partie de ses biens. Il peut donc en faire une offrande.

CONCLUSION. — Il n'est pas permis de faire une oblation des biens que l'on a acquis et qu'on possède injustement; à l'égard de tous les autres, comme d'après la loi nouvelle, toute créature est pure, considérée en elle-même, on peut les offrir ; cependant par accident on peut en être empêché, par exemple on ne peut offrir une chose dont l'oblation tournerait au détriment d'un tiers.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Lib. de verb. Dom. serm. xxxv, cap. 2) : Si vous dépouilliez quelqu'un et que vous donniez de ses dépouilles à un juge, dans le cas où ce juge serait pour vous, la force de la justice est si grande que vous le désapprouveriez. Dieu n'est pas tel que vous ne devez pas être vous-même. C'est pourquoi il est dit (Si 34,21) : L'oblation de celui qui offre un bien injustement est souillée. D'où il est évident que l'on ne peut pas faire une oblation des choses que l'on possède et qu'on a acquises injustement. — Sous la loi ancienne, qui était figurative, il y avait des choses qui étaient considérées comme immondes à cause de leur signification, et qu'il n'était pas permis d'offrir. Mais, sous la loi nouvelle, toute créature est considérée comme pure, selon la remarque de saint Paul (Tt 1). C'est pourquoi, absolument parlant, on peut faire une offrande de tout ce que l'on possède licitement. Cependant, par accident, il y a des choses que l'on possède légitimement et qu'on ne peut pas offrir; par exemple, s'il en résultait un dommage pour un tiers, comme si un enfant offrait à Dieu ce qu'il doit employer à nourrir ses parents, ce que le Seigneur désapprouve (Mt 15). On ne peut pas non plus offrir une chose s'il en résultait du scandale, ou du mépris, ou tout autre effet semblable.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, sous l'ancienne loi, il était défendu d'offrir le gain de la débauche à cause de l'impureté de cette action; sous la loi nouvelle, cette oblation est aussi défendue à cause du scandale, dans la crainte que l'Eglise ne paraisse favoriser le péché, si elle recevait l'offrande du profit qui en est résulté.

2. Il faut répondre au second, que le chien, d'après la loi ancienne, était réputé immonde. Cependant on rachetait les autres animaux impurs, et l'on pouvait en offrir le prix, d'après ces paroles du Lévitique (Lv 27,27) : Si l’animal est impur, celui qui l'aura offert le rachètera. Mais on n'offrait, ni on ne rachetait le chien, soit parce que les idolâtres s'en servaient dans les sacrifices des idoles, soit parce que ces animaux désignent la rapacité, dont on ne peut faire une oblation. Cette défense n'existe plus sous la loi nouvelle.

3. Il faut répondre au troisième, que l'oblation d'un animal aveugle ou boiteux était défendue pour trois motifs : 1° en raison de celui à qui on les offrait. Ainsi le prophète dit (Ml 1,8) : Si vous offrez un animal aveugle pour l'immoler, n'est-ce pas un mal ? Les sacrifices devaient être sans tache. 2° Par suite du mépris. C'est pourquoi le même prophète ajoute : Vous avez souillé mon nom en ce que vous avez dit : la table du Seigneur est souillée, ce qu'on place dessus est méprisable. 3° A cause du voeu antérieur qui oblige l'homme à donner dans son entier ce qu'il a promis ; et c'est ce qui fait dire encore à Malachie : Maudit soit l'homme trompeur qui a dans son troupeau une bête saine, et qui, après avoir fait un voeu, n'offre au Seigneur qu'un animal débile. Ces motifs restent les mômes sous la loi nouvelle ; mais dès qu'ils cessent, l'oblation n'est plus défendue.



ARTICLE IV. — Est-on tenu de payer les prémices?


Objections: 1. Il semble qu'on ne soit pas tenu de payer les prémices. Car, après avoir donné, la loi sur les premiers-nés, Moïse ajoute (Ex 13,9) : Ce sera comme un signe dans votre main; ce qui paraît indiquer un précepte cérémoniel. Or, on ne doit pas observer, sous la loi nouvelle, les préceptes cérémoniels. On ne doit donc pas payer les prémices.

2. On offrait au Seigneur les prémices pour le bienfait spécial qu'il avait accordé au peuple juif. Ainsi il est dit (Dt 26,2):Vous prendrez les prémices de tous les fruits de votre terre, et vous irez trouver le prêtre qui sera d'office ce jour-là et vous lui direz : Je reconnais aujourd'hui devant le Seigneur votre Dieu que je suis entré dans la terre qu'il avait promis avec serment à nos pères de nous donner. Les autres nations ne sont donc pas tenues de payer les prémices.

3. Une chose à laquelle on est tenu doit être déterminée. Or, on ne trouve ni dans la loi nouvelle, ni dans la loi ancienne, quelle doit être la quantité des prémices. On n'est donc pas tenu nécessairement à les payer.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le droit dit (XVI. quaest. vii, cap. Decimas) : Il faut que l'on reçoive de tout le peuple les dîmes et les prémices que nous reconnaissons comme appartenant de droit aux prêtres.

CONCLUSION. — Tout le monde est tenu de payer les prémices des fruits qu'il retire de ses champs; selon la loi ancienne c'était déterminé par la loi elle-même; mais sous la loi nouvelle on doit s'en rapporter à la coutume du pays et de l'Eglise.

Réponse Il faut répondre que les prémices sont un genre d'oblation, parce que c'est à Dieu qu'on les offre. Aussi est-il dit (Dt 26,4) que le prêtre, prenant le panier où les prémices sont renfermées, le mettra sur l'autel devant le Seigneur votre Dieu ; puis on recommande à celui qui fait l'offrande de prononcer ces paroles : J'offre maintenant les prémices des fruits de la terre que le Seigneur m'a donnée. On offrait les prémices pour un motif spécial qui consistait à reconnaître le bienfait de Dieu, comme si l'on eût confessé publiquement que c'était de lui qu'on tenait les fruits de la terre, et qu'on était obligé pour cela de lui en faire hommage, d'après cette pensée de l'Ecriture (I. Par. ult. 44) : Nous vous donnons ce que nous avons reçu de vous. Et parce que nous devons offrir à Lieu ce qu'il y a de principal, la loi ordonnait de lui faire oblation des prémices, qui sont en quelque sorte ce qu'il y a de mieux dans les fruits de la terre. Comme le prêtre est établi pour le peuple en ce qui se rapporte à Dieu, il s'ensuit que les prémices que le peuple offrait servaient à l'usage de tous les ministres sacrés. C'est pourquoi il est dit (Nb 18,8): Le Seigneur a dit à Aaron: Voilà, je vous ai donné la garde de mes prémices. — Or, il est de droit naturel que l'homme emploie les choses que Dieu lui a données pour l'honorer ; mais qu'il fasse une offrande à telles ou telles personnes, qu'il donne les premiers fruits de la terre ou qu'il les donne dans telle ou telle quantité, c'est ce qui a été déterminé de droit divin sous la loi ancienne. Ces mêmes choses sont définies sous la loi nouvelle par les lois de l'Eglise, qui oblige les fidèles à payer les prémices, selon la coutume de leur pays et selon les besoins de ses ministres.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les préceptes cérémoniels proprement dits figuraient l'avenir, et c'est pour cela qu'ils ont cessé aussitôt que ce qu'ils signifiaient s'est réalisé. Mais l'oblation des prémices était en signe d'un bienfait passé, d'où résulte aux yeux de la raison naturelle elle-même une dette de reconnaissance. C'est pourquoi cette obligation subsiste en général.

2. Il faut répondre au second, qu'on offrait des prémices sous la loi ancienne, non-seulement parce qu'on avait reçu de Dieu, à titre de bienfait, la terre promise, mais encore parce qu'on tenait de lui les fruits de la terre. Aussi disait-on (Dt 26,40): J'offre les prémices des biens de la terre que le Seigneur m'a donnés. Cette seconde cause est générale pour tout le monde. On peut dire aussi que comme Dieu a accordé la terre promise aux Juifs par un bienfait spécial, de même il a accordé à tout le genre humain, par un bienfait général, la possession du globe, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 113,19) : Il a donné la terre aux enfants des hommes.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. illud Ezech. xLv/7a? sunt primit. ethab. cap. 4 de Constitui.), d'après la coutume des anciens, il était d'usage que l'on donnât au plus la quarantième partie de la récolte aux prêtres pour les prémices et qu'on en offrît pour le moins la soixantième. D'où il paraît que les prémices que l'on doit offrir se renferment dans ces limites selon la coutume du pays. Mais cependant c'est avec raison que sous la loi on n'a pas déterminé la quantité des prémices, parce que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), les prémices se donnaient sous forme d'offrande, et il est de l'essence de l'offrande d'être volontaire.




QUESTION LXXXVII. DES dîmeS.


Après avoir parlé des oblations et des prémices nous devons nous occuper des dîmes. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Est-on obligé de payer les dîmes de nécessité de précepte? — 2° Quelles sont les choses dont on doit payer la dîme? — 3° A qui doit-on la payer? — 4° Quels sont ceux qui sont tenus de la payer?



ARTICLE I. — Est-on tenu de payer la dîme de nécessité de précepte?


Objections: 1. Il semble qu'on ne soit pas tenu de payer les dîmes de nécessité de précepte. Car le précepte qui ordonne de les payer appartient à l'ancienne loi. Ainsi il est dit (Lv 27,30) : Toute dîme de la terre, soit des grains, soit des fruits des arbres, appartient au Seigneur. Et plus loin : Tout animal qui naît le dixième, soit des boeufs ou des brebis et de tout, ce qui se passe sous la houlette du berger, sera la dîme qui sera consacrée au Seigneur.

Or, on ne peut pas ranger ce précepte parmi les préceptes moraux, parce que la raison naturelle ne dit pas que l'on doit donner la dixième plutôt que la neuvième ou la onzième partie. Par conséquent c'est donc un précepte judiciel ou cérémoniel. Et puisque, comme nous l'avons vu (1° 2°, quest. cui, art. 3, et quest. civ, art. 3), sous la loi de grâce les hommes ne sont tenus ni aux préceptes cérémoniels, ni aux préceptes judiciels de l'ancienne loi, il s'ensuit qu'ils ne sont pas tenus maintenant de payer la dîme.

2. Sous la loi de grâce les hommes ne sont tenus à observer que les préceptes que le Christ leur a notifiés par les apôtres : Enseignez-les, dit-il lui- même (Mt 28,20), à observer tout ce que je vous ai montré, et saint Paul déclare (Ac 20,27) : Qu'il n'a pas manqué d'annoncer tous les desseins de Dieu. Or, dans l'enseignement du Christ et dans celui des apôtres, il n'est point fait mention du payement des dîmes. Car ce que dit le Seigneur (Mt 23,23): Malheur à vous qui payez la dîme de la menthe, de l'aneth, etc..., c'était là ce qu'il fallait faire; paraît devoir se rapporter au temps des observances légales, puisque saint Hilaire dit (Sup. Matth. Mt 24) qu'on ne devait pas omettre ces dîmes qui étaient utiles pour figurer l'avenir. Donc sous la loi de grâce les hommes ne sont pas tenus à les payer.

3. Sous la loi de grâce les hommes ne sont pas plus tenus aux observances légales qu'avant la loi. Or, avant la loi les dîmes n'étaient pas de précepte, on les donnait seulement par suite d'un voeu qu'on avait fait. Car on lit (Gn 28,20) que Jacob fit un voeu en disant : Si Dieu est avec moi et qu'il me guide dans la voie où je marche je lui offrirai la dîme de tout

ce que je possède. On n'est donc pas tenu non plus sous la loi de grâce à payer les dîmes.

4. Sous la loi ancienne il y avait trois sortes de dîmes qu'on était tenu de payer. Il y en avait qu'on payait aux lévites, car il est dit (Nb 18,24) : Les lévites se contenteront de l'offrande des dîmes que j'ai mises de côté pour leur usage et pour subvenir à leurs besoins. Il y avait aussi d'autres dîmes dont il est dit (Dt 14,22) : Fous mettrez à part, chaque année, le dixième de tous vos fruits qui naissent de la terre et vous mangerez en présence du Seigneur, votre Dieu, au lieu qu'il aura choisi. Enfin, il y en avait d'autres à l'occasion desquelles on ajoute (ibid. 28) : Tous les trois ans vous séparerez encore une autre dîme de tous les biens qui vous seront venus cette année-là et vous les mettrez en réserve dans vos maisons; et le lévite qui n'aura point de part dans la terre que vous posséderez à l'étranger, l'orphelin et la veuve qui seront dans vos villes viendront en manger et se rassasier. Or, sous la loi de grâce on n'est tenu ni à la seconde, ni à la troisième de ces dîmes. On n'est donc pas tenu davantage à la première.

5. Ce que l'on doit sans époque déterminée, oblige sous peine de péché si on ne paye pas immédiatement. Par conséquent si les hommes sous la loi de grâce étaient obligés de nécessité de précepte à payer les dîmes sur les terres où on ne les paye pas, ils seraient tous en état de péché mortel, et par conséquent les ecclésiastiques aussi parce qu'ils auraient dissimulé le mal, ce qui répugne. Tous les hommes ne sont donc pas tenus nécessairement au payement des dîmes.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (serm. ccxix De temp.) et on lit dans le droit (XVI. quest. i, cap. 66) que les dîmes sont exigées à titre de dettes et que ceux qui ne veulent pas les payer possèdent le bien d'autrui.

CONCLUSION. — On est tenu de payer la dîme de droit naturel et d'après le droit positif qui pourrait décider que l'on doit payer une autre partie que le dixième.

Réponse Il faut répondre que sous la loi ancienne on donnait les dîmes pour nourrir les ministres de Dieu. D'où il est dit (Ml 3,10) : Portez toutes vos dîmes dans mon grenier, afin qu'il y ait de quoi vivre dans ma maison. Le précepte qui regarde le payement des dîmes était donc d'une part un précepte moral, puisqu'il est naturellement conforme à la raison, et d'une autre part c'était un précepte judiciel qui tire toute sa force de l'institution divine. En effet, la raison naturelle nous dit que le peuple doit pourvoir à l'entretien des ministres du culte divin qui travaillent pour son salut; comme il doit également subvenir aux frais de ceux qui se dévouent à la défense de ses intérêts généraux, comme les princes, les soldats, etc. C'est ce que prouve l'Apôtre par ce qui se passe universellement, en disant (1Co 9,7) : Qui porte jamais les armes à ses dépens? Qui est-ce qui plante une vigne et qui n'en mange pas le fruit ? — Mais la détermination de la part que l'on doit remettre aux ministres du culte divin n'est pas de droit naturel; Dieu l'a réglée selon la condition du peuple auquel il a donné sa loi. Ainsi comme il était divisé en douze tribus, la douzième, c'est-à-dire celle de Lévi qui était occupée tout entière au service divin, n'avait pas de terres qui lui fournissent de quoi vivre. Il était donc convenable que les onze autres tribus donnassent aux lévites la dixième partie de leurs récoltes pour qu'ils vécussent plus honorablement, et parce qu'il devait s'en trouver qui négligeraient de remplir ce précepte. Par conséquent, relativement à la détermination du dixième, le précepte était judiciel, comme tous ceux qui ont été établis spécialement pour conserver l'égalité des hommes entre eux, selon la condition particulière de cette nation. On leur a donné le nom de préceptes judiciels, quoiqu'ils aient été par voie de conséquence une figure de l'avenir, comme tous les faits qui se rapportent aux Juifs, selon cette expression de l'Apôtre (1Co 10,11) : Tout leur arrivait en figure. Ils avaient cela de commun avec les préceptes cérémoniels qui ont été principalement institués pour figurer l'avenir. A ce titre le précepte qui regarde le payement des dîmes était donc aussi une figure de l'avenir. Car celui qui donne le dixième, qui est un signe de perfection (parce que le nombre dix est un nombre parfait, attendu qu'il est la première limite des nombres simples au-delà de laquelle ils ne peuvent aller qu'autant qu'on les répète) en se réservant les neuf autres parties, on déclarait par là même qu'on était par soi-même imparfait et qu'on attendait de Dieu la perfection qui devait arriver par le Christ. Ce n'était cependant pas pour cela un précepte cérémoniel, mais un précepte judiciel, comme nous l'avons dit (A/c sup.).—Or, il y a cette différence entre les préceptes cérémoniels et les préceptes judiciels, comme nous l'avons remarqué (I-II quest. civ, art. 3), c'est qu’il est défendu d'observer les préceptes cérémoniels sous la loi nouvelle, tandis que les préceptes judiciels, quoiqu'ils ne soient pas obligatoires sous la loi de grâce, peuvent cependant être observés sans péché. On peut être tenu à les observer, si celui qui a en main le pouvoir vient à décider par une loi qu'ils sont obligatoires. Ainsi le précepte judiciel de l'ancienne loi qui commande à celui qui a dérobé une brebis d'en rendre quatre (Ex 22) devrait être observé, si un roi y soumettait ses sujets. De même sous la loi nouvelle l'Eglise a déterminé de son autorité que l'on payerait la dîme, et elle a usé en cela d'une certaine douceur. Car le peuple de la loi nouvelle ne donne pas plus à ses ministres que celui de la loi ancienne, quoiqu'il soit tenu à des obligations plus élevées, d'après ces paroles du Seigneur (Mt 5,20) : Si votre justice n'est pas plus parfaite que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des deux; et quoique les ministres du Nouveau Testament aient une dignité supérieure à celle des ministres de l'Ancien, comme le prouve saint Paul (2Co 2). Ainsi il est donc évident qu'on est t yer les dîmes, partie de droit naturel et partie d'institution ecclésiastique. Mais l'Eglise, selon l'opportunité des temps et des personnes, pourrait fixer une autre portion (1) que l'on aurait à payer.

Solutions: 1. La réponse au premier argument est par là même évidente.

2. Il faut répondre au second, que le précepte qui ordonnait le payement des dîmes a été reproduit, quant à sa partie morale, dans l'Evangile, à l'endroit où le Seigneur dit (Mt 10,40) : que l’ouvrier est digne de sa récompense. L'Apôtre l'a aussi renouvelé (1Co 9). Mais on a laissé à l'Eglise le soin de déterminer quelle portion on devrait donner.

3. Il faut répondre au troisième, qu'avant la promulgation de la loi les ministres du culte divin n'étaient, pas déterminés, mais on dit que les aînés étaient les prêtres, et qu'à ce titre ils recevaient une double portion. C'est pourquoi on n'avait pas fixé la part qu'on devait remettre aux ministres du culte divin; mais dès que l'un d'eux se présentait, chacun lui donnait spontanément ce qu'il voulait. C'est ainsi qu'Abraham poussé par un instinct prophétique donna la dîme à Melchisédech, le prêtre du Dieu souverain, comme on le voit (Gn 14). De même Jacob fit voeu de donner la dîme, quoiqu'on ne voie pas qu'il l'ait offerte à quelques ministres, mais plutôt au culte de Dieu, par exemple, pour la consommation des sacrifices. D'où il dit expressément : Je vous offrirai la dîme.

4. Il faut répondre au quatrième, que les secondes dîmes que l'on réservait pour l'oblation des sacrifices n'ont pas d'objet sous la loi nouvelle, puisque les victimes légales ont cessé. Les troisièmes espèces de dîmes, que l'on devait manger avec les pauvres, se sont accrues sous la loi nouvelle par là même que le Seigneur ne fait pas seulement donner aux pauvres la dixième partie de ce qu'on possède, mais encore tout le superflu, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 11,41) : Faites l’aumône de ce qui vous reste. Les ministres de l'Église doivent eux-mêmes dispenser aux pauvres les dîmes qu'on leur donne.

5. Il faut répondre au cinquième, que les ecclésiastiques doivent plus travailler au développement des biens spirituels parmi le peuple qu'à recueillir les biens temporels. C'est pourquoi l'Apôtre n'a pas voulu faire usage de la puissance que le Seigneur lui avait donnée de recevoir quelque chose de ceux auxquels il annonçait l'Evangile, dans la crainte de nuire aux progrès de la doctrine du Christ. Cependant ils ne péchaient pas, ceux qui ne venaient pas à son secours; autrement l'Apôtre n'aurait pas manqué de les en reprendre. De même les ecclésiastiques ont raison de ne pas demander les dîmes de l'Eglise, quand ils ne pourraient les réclamer sans scandale, soit parce qu'on n'a pas l'habitude de les payer, soit pour un autre motif. Toutefois ils ne sont pas en état de damnation, ceux qui ne payent pas dans les lieux où l'Eglise n'exige rien ; à moins que par obstination ils n'aient la volonté de ne pas payer, quand môme on leur dirait de le faire.

(1) Au lieu du dixième elle pourrait fixer le douzième, le vingtième.




II-II (Drioux 1852) Qu.85 a.3