II-II (Drioux 1852) Qu.130 a.2


QUESTION 131 DE L'AMBITION.


Après la présomption, nous avons à nous occuper de l'ambition. — A cet égard deux questions se présentent : 1° L'ambition est-elle un péché? — 2° Est-elle opposée à la magnanimité par excès ?


ARTICLE I. — l'ambition est-elle un péché (1)?


Objections: 1. Il semble que l'ambition ne soit pas un péché. Car elle implique le désir des honneurs. Or, l'honneur est en soi une bonne chose; c'est le plus grand de tous les biens extérieurs. Ainsi on blâme ceux qui n'en prennent pas soin. Par conséquent l'ambition n'est pas un péché, mais elle est plutôt quelque chose de louable, puisqu'il est louable de désirer ce qui est bien.

2. Tout le monde peut, sans faire de mal, rechercher ce qui lui est dû à titre de récompense. Or, l'honneur est la récompense de la vertu, comme le dit Aristote (Eth. lib. i, cap. 12; lib. iv, cap. 3; lib. viii, cap. ult.). Ce n'est donc pas un péché que d'ambitionner les honneurs.

3. Ce qui porte l'homme au bien et ce qui l'éloigné du mal n'est pas un péché. Or, l'honneur porte les hommes à faire le bien et à éviter le mal, et c'est ce qui fait dire à Aristote (Eth. lib. iii, cap. 8), que les hommes les plus courageux se trouvent chez les peuples où les lâches sont flétris et où les braves sont honorés. Et Cicéron dit aussi (Tusc. lib. i), que l'honneur nourrit les arts. L'ambition n'est donc pas un péché.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (1Co 13,5) que la charité n'est pas ambitieuse et qu'elle ne cherche point ses propres intérêts. Or, il n'y a que le péché qui répugne à la charité. L'ambition est donc un péché.

CONCLUSION. — L'ambition est un péché par lequel on recherche dérèglement l'honneur, soit qu'on ne le mérite pas, soit qu'on le rapporte, non à Dieu, mais à son propre avantage.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. cm, art. 1 et 2), l'honneur implique un hommage rendu à quelqu'un en témoignage de son excellence. A l'égard de l'excellence de l'homme il y a deux choses à considérer. La première c'est que les qualités par lesquelles l'homme excelle ne viennent pas de lui-même; mais c'est en quelque sorte quelque chose de divin qui se trouve en lui. C'est pourquoi ce n'est pas lui principalement que l'on doit honorer en raison de ces avantages, mais c'est Dieu. La seconde considération à faire, c'est que ce qu'il y a d'éminent dans un homme lui a été donné de Dieu pour qu'il soit utile aux autres. Le témoignage de supériorité que les autres lui rendent ne doit donc lui plaire qu'autant qu'il voit en cela un moyen de faire du bien. — Or, le désir des honneurs peut être déréglé de trois manières : 1° En ce que l'on désire qu'on rende témoignage à une supériorité que l'on n'a pas (1); c'est rechercher les honneurs au-delà de ses moyens. 2° En ce que l'on désire les honneurs pour soi, sans les rapporter à Dieu. 3° En ce que l'on s'arrête à la jouissance des honneurs eux-mêmes, sans les faire servir à l'avantage des autres. L'ambition impliquant un désir déréglé des honneurs, il s'ensuit évidemment qu'elle est toujours un péché.

Réponse Il faut répondre au premier argument, que le désir du bien doit être réglé conformément à la raison; s'il dépasse cette règle, il devient vicieux. Par conséquent c'est une chose vicieuse que de rechercher l'honneur sans suivre l'ordre de la raison. Ainsi on blâme ceux qui ne prennent pas soin de leur honneur, comme la raison le veut, parce qu'ils n'évitent pas ce qui lui est contraire.

2. Il faut répondre au second, que l'honneur n'est pas la récompense de la vertu par rapport à l'homme vertueux, c'est-à-dire que ce n'est pas là ce qu'il doit attendre en récompense de ses bonnes actions (2), mais il attend pour récompense la béatitude qui est la fin de la vertu. Cependant on dit que c'est la récompense de la vertu par rapport aux autres hommes qui n'ont rien de plus grand que l'honneur à donner à celui qui est vertueux. L'honneur tirant toute sa grandeur de ce qu'il est un témoignage rendu à la vertu, il est évident qu'il n'est pas une récompense suffisante, comme le dit Aristote [Eth. lib. iv, cap, 3).

3. Il faut répondre au troisième, que comme le désir de l'honneur, quand il est réglé, excite au bien et éloigne du mal; de même, quand il est déréglé il peut être pour l'homme une occasion de faire une foule de crimes (3); par exemple, quand on ne s'inquiète pas de la moralité des moyens par lesquels on peut l'obtenir. C'est ce qui fait dire à Salluste (Bel. Catil.) que le bon et le méchant ambitionnent également la gloire, les honneurs et le pouvoir. Mais le bon n'emploie pour y arriver que des moyens légitimes, au lieu que le méchant n'ayant pas de moyens honnêtes à sa disposition, recourt à la ruse et à la tromperie. Toutefois ceux qui font le bien ou qui évitent le mal seulement pour être honorés ne sont pas des hommes vertueux, comme l'observe Aristote (Eth. lib. m, cap. 8), qui dit que ceux qui font des actes de courage pour l'honneur ne sont véritablement pas courageux.

ARTICLE II. — l'ambition est-elle opposée à la magnanimité par excès?


Objections: 1. Il semble que l'ambition ne soit pas opposée à la magnanimité par excès. Car un milieu n'a pour contraire qu'un seul extrême du même côté. Or, la présomption est opposée à la magnanimité par excès, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 2). L'ambition ne lui est donc pas opposée de la sorte.

arriver aux honneurs, on ne craint pas de causer un tort grave aux autres et de leur faire injure. Mais considérée en elle-même, l'ambition est un péché véniel, parce qu'elle est le désir déréglé d'une chose qui est en soi indifférente.

2. La magnanimité a pour objet les honneurs. Or, l'ambition paraît appartenir aux dignités. Car l'Ecriture dit (2M 4,7) : Jason ambitionnait le souverain sacerdoce. L'ambition n'est donc pas contraire à la magnanimité.

3. L'ambition paraît se rapporter au faste extérieur. Car il est dit (Ac 25,23) qu'Agrippa et Bérénice entrèrent dans le prétoire avec une grande pompe (magna ambitione), et il est rapporté (2Ch 16,14), qu'on brûla sur le corps d'Asa, après sa mort, des aromates et des parfums avec un luxe excessif (ambitione nimia). Or, la magnanimité n'a pas pour objet le faste extérieur. L'ambition ne lui est donc pas opposée.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Cicéron dit (De offic. lib. i, in tit. Fortit.) que celui qui excelle par la grandeur d'âme, veut commander à tous les autres. Or, c'est là le propre de l'ambition. Ce vice est donc opposé par excès à la magnanimité.

CONCLUSION. — L'ambition est opposée à la magnanimité, comme ce qui est déréglé est opposé par excès à ce qui est réglé.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), l'ambition implique un désir déréglé de l'honneur. La magnanimité, au contraire, a les honneurs pour objet et elle en use comme il faut. D'où il est évident que l'ambition est opposée à la magnanimité comme ce qui est déréglé l'est à ce qui est réglé.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la magnanimité se rapporte à deux choses. Elle se rapporte comme à sa fin à l'une, qui est la grande entreprise que la magnanimité conçoit selon ses forces. Sous ce rapport la présomption lui est opposée par excès; parce que la présomption entreprend de grandes oeuvres qui sont au-dessus de ses facultés. La magnanimité se rapporte à une autre chose, comme à la matière dont elle fait un bon usage; cette seconde chose est l'honneur. A cet égard l'ambition lui est opposée par excès (4). Il ne répugne pas d'ailleurs que sous des rapports différents il y ait plusieurs choses qui soient un excès à l'égard du même milieu.

2. Il faut répondre au second, que l'on doit honorer ceux qui sont élevés en dignité à cause de l'excellence de leur état, et c'est à ce point de vue que le désir déréglé des dignités appartient à l'ambition (2). Car si l'on désirait dérèglement une dignité, non en raison de l'honneur, mais pour en remplir les fonctions et que ces fonctions fussent supérieures aux facultés que l'on a, on ne serait pas un ambitieux, mais plutôt un présomptueux.

3. Il faut répondre au troisième, que la solennité du faste extérieur est une sorte d'honneur. C'est pourquoi on a coutume d'honorer ainsi les grands personnages, comme l'indique l'apôtre saint Jacques (Jc 2,2) : S'il entre dans votre assemblée un homme qui ait un anneau d'or et un habit magnifique et que vous lui disiez : Asseyez-vous dans cette place honorable... Par conséquent l'ambition ne se rapporte au faste extérieur qu'autant qu'il appartient à l'honneur.

mité, qui ne cherche les dignités honorables que pour se signaler avec plus d'éclat par des actes de vertu.






QUESTION 132. DE LA VAINE GLOIRE.


Nous avons maintenant à nous occuper de la vaine gloire, et à ce sujet cinq questions se présentent : 1° Le désir de la gloire est-il un péché? — 2° La vaine gloire est- elle opposée à la magnanimité? — 3° Est-elle un péché mortel? — 4" Est-elle un vice capital? — 5° Des vices qu'elle produit.

ARTICLE 1: — le désir de la gloire est-il un péché?



Objections: 1. Il semble que le désir de la gloire ne soit pas un péché. Car personne ne pèche en se rendant semblable à Dieu. Au contraire, l'Apôtre l'ordonne (Ep 5,4) : Soyez les imitateurs de Dieu comme ses enfants les plus chers. Or, en recherchant la gloire, l'homme paraît imiter Dieu qui cherche la gloire qui lui vient des hommes. Ainsi il dit (Is 43,6) : Amenez mes fils des climats les plus éloignés et mes filles des extrémités de la terre. Car c'est moi qui ai créé pour ma gloire tous ceux qui invoquent mon nom. Le désir de la gloire n'est donc pas un péché.

2. Ce qui nous excite au bien ne paraît pas être un péché. Or, le désir de la gloire nous porte au bien. Car Cicéron dit [De Tuscul. lib. i) que l'amour de la gloire nous enflamme tous pour l'étude ; et l'Ecriture nous promet la gloire en récompense de nos bonnes oeuvres (Rm 2,7) : Ceux qui persévèrent dans les bonnes oeuvres auront la gloire et l'honneur. Le désir de la gloire n'est donc pas un péché.

3. Cicéron û\ï(De invent. lib. ii) que la gloire consiste à faire parler souvent de quelqu'un avec éloge. Saint Ambroise exprime la même pensée quand il dit que la gloire consiste à être connu avec éclat et avec louange(1). Or, ce n'est pas un péché que de désirer une bonne réputation ; il semble même que ce soit une chose louable, d'après ces passages de l'Ecriture (Si 41,15) : Ayez soin de vous procurer une bonne réputation. (Rm 12,17): Ayez soin de faire le bien non-seulement devant Dieu, mais encore devant tous les hommes. Le désir de la vaine gloire n'est donc pas un péché.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. v, cap. 13) : Il a des idées plus saines celui qui sait que l'amour de la louange est un vice.

CONCLUSION. — Quoique ce ne soit pas un vice de rechercher la gloire, cependant c'est un péché de désirer la vaine gloire, soit en se faisant glorifier ou de ce qui n'est pas, ou de ce qui n'en est pas digne, ou de ce qui n'est louable qu'au jugement des hommes; soit en rapportant la gloire elle-même à une fin illégitime.

Réponse Il faut répondre que la gloire indique une certaine illustration. Ainsi être glorifié est la même chose qu'être illustré, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan. Tract, lxxxii et c, et civ). Or, la splendeur et l'éclat ont une certaine manifestation. C'est pourquoi le nom de gloire implique proprement la manifestation de quelque chose de ce qui paraît beau et éclatant aux yeux des hommes, soit qu'il s'agisse de quelque bien corporel ou ac quelque bien spirituel. Et comme ce qui est absolument éclatant peut être vu par une foule de personnes et par celles qui sont le plus éloignées, le mot de gloire désigne, à proprement parler, que ce qu'il y a de bon dans un individu est arrivé à la connaissance d'une multitude d'autres et qu'il a obtenu leurs éloges, d'après cette expression de Salluste, qui dit (Bell. Catil.) qu'on ne peut pas être glorifié devant un seul. Toutefois, en prenant le mot de gloire dans un sens plus large, il consiste non-seulement dans la connaissance d'une multitude d'individus, mais encore dans celle d'un petit nombre ou dans celle d'un seul, ou dans celle qu'on a de soi-même, quand on considère son propre bien comme étant digne d'éloges. Or, il n'y a pas de péché à connaître ce qu'on a de bon et à le louer ; car saint Paul dit (1Co 2,12) : Nous n'avons point reçu l'esprit du monde, mais l'esprit qui procède de Dieu, afin que nous connaissions les dons que le ciel nous a faits. Il n'y a pas non plus de péché à vouloir que les bonnes oeuvres que l'on fait soient approuvées par les autres. Car l'Evangile dit (Mt 5,16) : Que votre lumière brille devant tous les hommes. C'est pourquoi le désir de la gloire n'indique pas par lui-même quelque chose de vicieux. Mais le désir de la vaine gloire est un vice. Car le désir de tout ce qui est vain est une chose vicieuse, d'après ces paroles de David (Ps 4,3) : Pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge ? — Or, la gloire peut être vaine de trois manières : 1° Par rapport à la chose dans laquelle on la cherche, comme quand on veut tirer gloire de ce qui n'est pas ou d'une chose qui n'en est pas digne, comme une chose fragile et périssable (1). 2° De la part de celui dont on recherche les applaudissements; par exemple, d'un homme dont le jugement n'est pas sûr. 3° De la part de celui qui recherche la gloire; par exemple, s'il ne la rapporte pas à une fin légitime, telle que l'honneur de Dieu ou le salut du prochain.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin (Tract, in Joan, lviii) à l'occasion de ces paroles de Notre-Seigneur (Jn 13) : Vous m'appelez maître et Seigneur, et vous faites bien; il est dangereux pour celui qui doit se prémunir contre l'orgueil de se plaire à lui-même, au lieu que celui qui est au-dessus de tout, ne s'enorgueillit pas, quelque louange qu'il se donne. Car c'est à nous et non à lui que la connaissance que nous avons de ses perfections est utile, et on ne le connaît qu'autant qu'il se fait connaître lui-même. D'où il est évident que Dieu ne cherche pas sa gloire à cause de lui-même, mais à cause de nous. De même l'homme peut légitimement désirer sa propre gloire dans l'intérêt des autres, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 5,16) : Qu’ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les deux.

2. Il faut répondre au second, que la gloire que Dieu possède n'est pas vaine, mais elle est véritable. C'est cette gloire qui nous est promise en récompense de nos bonnes oeuvres et dont il est dit (2Co 10,17) : Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur ; car ce n'est pas celui qui se rend témoignage à lui-même qui est vraiment estimable, mais c'est celui à qui Dieu rend témoignage. Il y en a qui sont portés à faire des actes de vertu par le désir de la gloire humaine, aussi bien que par le désir des autres biens terrestres. Cependant celui qui est véritablement vertueux ne fait pas le bien pour être glorifié par ses semblables, comme le prouve saint Augustin (Deciv. Dei, lib. v, cap. 12).

3. Il faut répondre au troisième, qu'il appartient à la perfection de l'homme de se connaître lui-même, mais il n'est pas de sa perfection d'être connu par les autres. C'est pourquoi ce n'est pas une chose que l'on doive absolument rechercher. Cependant on peut la désirer selon qu'elle est utile pour que Dieu soit glorifié par les hommes, ou pour que les hommes profitent du bien qu'ils voient dans un de leurs semblables, ou parce que le témoignage des éloges que l'homme reçoit pour le bien qui est en lui, l'excite à persévérer dans la même voie et à y faire des progrès. C'est en ce sens qu'on est louable de prendre soin de sa réputation, et de faire le bien devant Dieu et devant les hommes; de manière cependant qu'on ne prenne pas vainement plaisir à leurs éloges.

(I) Ou comme une chose mauvaise ; car il v en a qui se glorifient de leurs bassesses et de leurs crimes.
(1) Cicéron définit la gloire : frequens de aliquo fama cum laude, et saint Ambroise : clara laude notitia de bono alicuius.


ARTICLE II. — la vaine gloire est-elle opposée à la magnanimité?



Objections: 1. Il semble que la vaine gloire ne soit pas opposée à la magnanimité. Car il appartient à la vaine gloire, comme nous l'avons dit (art. précéd.), qu'on se réjouisse dans ce qui n'existe pas, ce qui se rapporte à la fausseté, ou dans les choses terrestres et périssables, ce qui revient à la cupidité; ou dans le témoignage des hommes, dont le jugement n'est pas certain, ce qui est le fait de l'imprudence. Or, ces vices ne sont pas opposés à la magnanimité. La vaine gloire ne l'est donc pas non plus.

2. La vaine gloire n'est pas opposée à la magnanimité par défaut, comme la pusillanimité qui paraît répugner à la vaine gloire; elle ne l'est pas non plus par excès, car l'ambition et la présomption lui sont opposées de la sorte, comme nous l'avons vu (quest. cxxx, art. 2, et quest. préc. art. 2), et la vaine gloire diffère de ces deux vices. Elle ne lui est donc opposée d'aucune manière.

3. A l'occasion de ces paroles de saint Paul (Ph 2) : Nihil per contentionem aut inanem gloriam, la glose dit (ord. Ambros.) : Il y avait parmi eux des esprits séditieux, inquiets, qui disputaient par vaine gloire. Or, la contention ou la dispute n'est pas opposée à la magnanimité. Donc la vaine gloire non plus.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Cicéron dit (De offic. lib. i, in tit. Magnam.) : Il faut prendre garde au désir de la gloire, car il nous prive de cette liberté d'esprit pour laquelle les hommes magnanimes doivent toujours lutter. La vaine gloire est donc opposée à la magnanimité.

CONCLUSION. — Le désir déréglé de la vaine gloire est opposé à la magnanimité.

Réponse 1l faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. cm, art. 1 ad 3), la gloire est un effet de l'honneur et de la louange, car par là même qu'on loue quelqu'un ou qu'on lui rend des honneurs, il devient illustre dans l'opinion des autres. Et parce que la magnanimité a l'honneur pour objet, ainsi que nous l'avons dit (quest. cxxix, art. 1 et 2), il s'ensuit qu'elle se rapporte aussi à la gloire, afin que, comme on use de l'honneur avec modération, on use de même de la gloire (1). C'est pourquoi le désir déréglé de la gloire est directement opposé à la magnanimité.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il répugne à la grandeur de l'âme que l'on estime des choses médiocres au point de s'en glorifier. Ainsi il est dit du magnanime (Eth. lib. iv, cap. 3) que l'honneur est pour lui peu de chose. De même il estime peu les autres choses qu'on recherche à cause de l'honneur, comme les puissances et les richesses. Il répugne aussi à une grande âme de se glorifier de ce qui n'existe pas. Aussi Aristote fait observer que le magnanime s'inquiète plus de la vérité que de l'opinion (loc. cit.). Pareillement il est contraire à la grandeur d'âme de se glorifier du témoignage des éloges des hommes, comme si on en avait une haute idée. C'est pourquoi il est encore dit du magnanime (ibid.) qu'il ne cherche pas à se faire louer. Par conséquent rien n'empêche que ces choses qui sont opposées à d'autres vertus ne le soient à la magnanimité, selon qu'on regarde comme grand ce qui est petit en effet.

2. Il faut répondre au second, que celui qui désire la vaine gloire est en réalité au-dessous du magnanime, parce qu'il se glorifie dans des choses que le magnanime considère comme petites, ainsi que nous l'avons vu Oin solut. ad praec.). Mais si l'on considère l'opinion qu'il s'en fait, il est opposé au magnanime par excès, parce qu'il considère la gloire qu'il désire comme quelque chose de grand, et qu'il la recherche plus qu'elle ne le mérite.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons vu (quest. cxxvn, art. 2 ad 2), l'opposition des vices ne se considère pas d'après leurs effets (1 ). Cependant il est opposé à la grandeur d'âme que l'on cherche querelle. Car on ne se dispute jamais que pour une chose qu'on croit importante. Ainsi Aristote dit (Eth. lib. iv, cap. 3) que le magnanime n'est pas querelleur, parce qu'il n'y a rien qu'il considère comme grand.

ARTICLE III. — la vaine gloire est-elle un péché mortel?


Objections: 1. Il semble que la vaine gloire soit un péché mortel. Car il n'y a que le péché mortel qui prive de la récompense éternelle. Or, la vaine gloire en prive, puisqu'il est dit (Mt 5,4) : Prenez garde de ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes pour attirer leurs regards ; autrement vous n'en recevrez point la récompense de votre Père qui est dans le ciel. La vaine gloire est donc un péché mortel.

2. Quiconque s'attribue ce qui est le propre de Dieu, pèche mortellement. Or, par le désir de la vaine gloire on s'attribue ce qui est le propre de Dieu; car il est dit (Is 42,8) : Je ne donnerai pas ma gloire à un autre, et dans saint Paul (1Tm 1,47) : A Dieu seul honneur et gloire. La vainc gloire est donc un péché mortel.

3. Le péché qui est le plus dangereux et le plus nuisible est le péché mortel. Or, le péché de la vaine gloire a ce double caractère; car, à l'occasion de ces paroles de l'Apôtre (1Th 2) : Deo, qui probat corda nostra, la glose dit ( ord. Aug. et epist, xxii) : On ne sait pas tout ce que peut pour nuire l'amour de la gloire humaine, tant qu'on ne lui a pas fait la guerre; parce que, quoiqu'il soit facile à tout le monde de ne pas désirer la gloire, quand on la lui refuse, il est très-difficile de ne pas y mettre son plaisir, quand on la lui offre. Saint Chrysostome dit aussi (Hom. xix in Mt.) que la vaine gloire entre secrètement et qu'elle enlève insensiblement tout ce qu'il y a au dedans de l'âme. Elle est donc un péché mortel.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Chrysostome dit (Hom. xiii in op. imperf. in Mt.) que les autres vices se trouvent dans les serviteurs du démon, mais que la vaine gloire existe aussi dans les serviteurs du Christ, où il n'y a cependant pas de péché mortel. Elle n'en est donc pas un.

CONCLUSION. — La vaine gloire n'est pas un péché mortel, à moins qu'elle ne soit absolument opposée à la charité.

(2) On doit dire la même chose de celui qui se glorifie d'un vol. d'une fornication ou de tout autre péché mortel.
(U) Elle ne se considère fine d'après leur nature.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xxiv, art. 42; quest. ex, art. 4, et quest. cxn, art. 2), un péché est mortel par là même qu'il est contraire à la charité. Or, le péché de vaine gloire, considéré en lui-même, ne paraît pas être contraire à la charité, quant à l'amour du prochain; mais il peut lui être contraire de deux manières, quant à l'amour de Dieu : 4° En raison de la matière dont on se glorifie, comme quand on se glorifie d'une chose fausse qui est contraire au respect dû à la Divinité (2), d'après ces paroles du prophète (Ez 28,2) : Votre coeur s'est élevé et vous avez dit : Je suis Dieu. Et l'Apôtre dit (1Co 4,7) : Qu'avez-vous que vous ne Payez reçu1 et si vous lavez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous comme si vous ne l'aviez pas reçu? On, quand on préfère à Dieu le bien temporel dont on se glorifie; c'est ce qui fait dire à Jérémie (Heub, 9, 23) : Que le sage ne se glorifie point dans sa sagesse, ni le fort dans sa force, ni le riche dans ses richesses; mais que celui qui se glorifie mette sa gloire à me connaître et à savoir que je suis le Seigneur. Ou quand on préfère le témoignage des hommes au témoignage de Dieu, comme ceux qui ont mieux aimé la gloire des hommes que celle de Dieu, d'après l'Evangile (Jn 12,43). 2° De la part de celui qui se glorifie, quand il rapporte son intention à la gloire comme à sa fin dernière; c'est-à-dire quand il rapporte à elle toutes ses bonnes actions et que pour l'atteindre il ne craint pas de faire des choses qui sont contre Dieu. Dans ce cas elle est un péché mortel. D'où saint Augustin observe (De civ. Dei, lib. v, cap. 44) que l'amour de la gloire humaine est tellement contraire à la loi divine, quand le désir de la gloire l'emporte dans le coeur sur la crainte de l'amour de Dieu, que le Seigneur disait (Jn 5,4) : Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns aux autres, et qui ne recherchez point celle qui vient de Dieu seul (4)? Mais cependant si l'amour de la gloire humaine, toute vaine qu'elle est, ne répugne pas à la charité, quant à la chose dont on se glorifie, ni quant à l'intention de celui qui s'en glorifie, ce n'est pas un péché mortel, mais un péché véniel.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que personne en péchant ne mérite la vie éternelle. Ainsi une bonne oeuvre ne peut pas mériter la vie éternelle, si on la fait par vaine gloire, quoique cette vaine gloire ne soit pas un péché mortel. Mais quand on perd absolument la vie éternelle par vaine gloire et qu'il n'y a pas seulement que l'acte que l'on fait qui soit perdu pour elle, alors la vaine gloire est un péché mortel.

2. Il faut répondre au second, que tous ceux qui désirent la vaine gloire ne se souhaitent pas cette excellence qui n'appartient qu'à Dieu. Car autre est la gloire qui n'appartient qu'à Dieu, et autre celle qu'on doit à un homme riche ou vertueux.

3. Il faut répondre au troisième, que la vaine gloire est un péché dangereux, non-seulement à cause de sa gravité, mais encore parce qu'elle est une disposition à des péchés graves. Ainsi c'est la vaine gloire qui rend l'homme présomptueux, qui lui inspire trop de confiance en lui-même et qui le dispose ainsi peu à peu à la perte de ses biens intérieurs.


ARTICLE IV. — la vaine gloire est-elle un vice capital ?



Objections: 1. Il semble que la vaine gloire ne soit pas un vice capital. Car un vice qui vient toujours d'un autre ne paraît pas être un vice capital. Or, la vaine gloire vient toujours de l'orgueil. Elle n'est donc pas un vice capital.

2. L'honneur paraît être quelque chose de plus principal que la gloire qui est son effet. Or, l'ambition qui est le désir déréglé de l'honneur n'est pas un vice capital. Le désir de la vaine gloire n'en est donc pas un non plus.

Un vice capital paraît avoir une certaine prééminence. Or, la vaine gloire ne paraît pas en avoir, ni quant à la nature du péché, parce qu'elle n'est pas toujours un péché mortel; ni quant à la nature du bien que l'on désire, parce que la gloire humaine paraît être quelque chose de fragile qui existe hors de l'homme. La vaine gloire n'est donc pas un vice capital.

(U II y a aussi péché mortel, si, par vaine gloire, on refuse de rétracter une erreur qui devient préjudiciable au prochain ; comme un médecin qui ne veut pas avoir l'air de s'être trompé, qui refuse de s'adjoindre un de ses collègues, et qui s'obstine par vanité dans une voie mauvaise.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire (Mor. lib. xxxi, cap. 17) compte la vaine gloire parmi les sept péchés capitaux.

CONCLUSION. — Le désir de la vaine gloire est un vice capital, puisqu'il donne naissance à beaucoup d'autres vices.

Réponse Il faut répondre qu'à l'égard des vices capitaux il y a deux sortes de classification. Car il y en a qui font de l'orgueil un des vices capitaux et qui ne mettent pas de ce nombre la vaine gloire (1); au lieu que saint Grégoire (Mor. lib. xxxi, loc. cit.) fait de la superbe la reine de tous les vices, et il fait de la vaine gloire, qui en naît immédiatement, un vice capital. Et c'est avec raison; car l'orgueil, comme nous le verrons (quest. cLxii, art. 4 et 2), implique un désir déréglé d'excellence ou de supériorité. Or, de tout bien que l'on désire, il résulte une perfection, une excellence, et c'est pour cela que les fins de tous les vices se rapportent à la fin de l'orgueil. Pour cette raison il semble que l'orgueil soit la cause générale des autres vices, et qu'on ne doive pas le compter parmi leurs principes spéciaux, qui sont les péchés capitaux (2). — Or, entre les biens par lesquels l'homme s'élève à une certaine supériorité, on distingue principalement la gloire, en tant qu'elle implique la manifestation de ce qu'il y a de bon dans un individu. Car on aime ce qui est bon naturellement et tout le monde l'honore. C'est pourquoi, comme par la gloire qui est en Dieu, l'homme arrive à exceller dans les choses divines; de même, par la gloire qui vient des hommes, il arrive à exceller dans les choses humaines. Et parce que la gloire nous rapproche de cette excellence que les hommes désirent le plus, il s'ensuit qu'elle est très-désirable. Mais quand on la désire d'une manière déréglée, il en résulte une foule de vices, et c'est ce qui en fait un vice capital.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'un vice peut venir de la superbe et être néanmoins un vice capital, parce que, comme nous l'avons dit (in corp. art. et la 2", quest. lxxxiv, art. 2), la superbe est la reine et la mère de tous les vices.

2. Il faut répondre au second, que la louange et l'honneur sont par rapport à la gloire, ainsi que nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest., et quest. cui, art. 1 ad 3), comme les causes qui la produisent. Par conséquent la gloire est leur fin. Car on aime à être honoré et à être loué, parce qu'on pense qu'on arrivera par-là à être connu avec éclat par les autres.

3. Il faut répondre au troisième, que la vaine gloire est éminemment désirable pour la raison que nous avons dite (in corp.), et il n'en faut pas davantage pour l'essence d'un vice capital. Mais il n'est pas nécessaire que ce vice soit toujours un péché mortel, parce qu'un péché mortel peut venir d'un péché véniel, puisque celui-ci est une disposition à l'autre.

ARTICLE V. — est-il convenable de dire que les filles de la vaine gloire


ont la désobéissance, la jactance, l'hypocrisie, la contention, l'opiniâtreté,

la discorde et la présomption des nouveautés ?

Objections: 1. Il semble que l'on ait tort de dire que les filles de la vaine gloire sont la désobéissance, la jactance, l'hypocrisie, la contention, l'opiniâtreté, la discorde et la présomption des nouveautés. Car saint Grégoire (Mor. lib. xxiii, cap. 4, 5 et 7) met la jactance au nombre des espèces de l'orgueil. Or d'après ce même docteur (Mor. lib. xxxi, cap. 17), l'orgueil ne vient pas de la vaine gloire, mais c'est plutôt le contraire. On ne doit donc pas faire de la jactance une fille de la vaine gloire.

par l'orgueil dans la classification actuelle, sans doute parce que ce dernier mot offre au peuple un sens plus facile à saisir.

2. Les contentions et les discordes paraissent provenir surtout de la colère. Or, la colère est un vice capital qui se distingue par opposition de la vaine gloire. Il semble donc qu'elles ne naissent pas de ce dernier vice.

3. Saint Chrysostome dit [Hom. xix sup. Math.) que la vaine gloire est partout un mal, mais principalement dans les oeuvres de charité ou de miséricorde. Il n'y a cependant là rien de nouveau, mais c'est au contraire quelque chose de très-ordinaire parmi les hommes. L'amour présomptueux des nouveautés ne doit donc pas être considéré spécialement comme une suite de la vaine gloire.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire (Mor. lib. xxxi, cap. 17) désigne lui-même ces vices comme naissant tous de la vaine gloire.

CONCLUSION. — C'est avec raison qu'on dit que la désobéissance, fa jactance, l'hypocrisie, la contention, l'opiniâtreté, la discorde, l'amour présomptueux des nouveautés naissent de la vaine gloire.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons vu (quest. xxxiv, art. 5, et quest. xxxv, art. 4, et I[6] 2", quest. lxxxiv, art. 3 et 4), on dit que les vices qui se rapportent d'eux-mêmes naturellement à la fin d'un vice capital, naissent de lui. Or, la vaine gloire a pour fin la manifestation de sa propre excellence, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc. et art. 1 huj. quaest.). L'homme peut tendre à cela de deux manières : 1° Directement; soit par des paroles, et alors c'est de la jactance; soit par des actions, et dans ce cas, s'il s'agit de choses véritables qui excitent de l'étonnement, c'est la présomption des nouveautés (1) que les hommes admirent ordinairement; si au contraire il s'agit d'actes qui sont faux, c'est de l'hypocrisie. 2° On s'efforce de manifester indirectement son excellence, en montrant qu'on n'est pas au-dessous d'un autre, et cela de quatre manières : 1° quant à l'intelligence, et alors il y a opiniâtreté, parce que l'homme s'appuie trop sur son propre sentiment, se refusant de croire à un sentiment meilleur; 2° quant à la volonté, et il en résulte la discorde, quand on ne veut pas s'écarter de sa propre volonté pour tomber d'accord avec les autres; 39 quant à la parole, c'est la contention, quand on s'élève contre quelqu'un en poussant de grands cris; 4° quant à l'action, dans cette hypothèse il y a désobéissance, quand on ne veut pas suivre les ordres de ses supérieure.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (quest. cxn, art. 1 ad 2), la jactance est une espèce d'orgueil quant à sa causé intérieure qui est l'arrogance; mais la jactance extérieure, comme le dit Aristote (Eth. lib. iv, cap. 7), a quelquefois pour fin le lucre, mais le plus souvent la gloire et l'honneur, et par conséquent elle vient de la vaine gloire.

2. Il faut répondre au second, que la colère ne produit pas la discorde et la contention, à moins qu'elle n'ait pour compagne la vaine gloire, c'est-à-dire à moins qu'on ne considère comme une chose glorieuse de ne pas céder à la volonté ou aux discours des autres.

3. Il faut répondre au troisième, que la vaine gloire est blâmable à l'égard de l'aumône, à cause du défaut de charité qui paraît se trouver dans celui qui préfère la vaine gloire à l'intérêt du prochain, puisqu'il fait l'aumône pour elle. Mais on ne blâme pas un individu de ce qu'il a la présomption de faire l'aumône, comme quelque chose de nouveau.

ler, de se vêtir, de vivre, etc. La présomption fait qu'on entreprend sous ce rapport des choses supérieures à ses forces.






II-II (Drioux 1852) Qu.130 a.2