II-II (Drioux 1852) Qu.88 a.4

ARTICLE IV. — Est-il convenable de faire des voeux (3)?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas avantageux de faire des voeux. Car il n'est pas avantageux à quelqu'un de se priver du bien que Dieu lui a donné. Or, la liberté est un des plus grands biens que l'homme ait reçus de Dieu, et il paraît en être privé par la nécessité que le voeu impose. Il ne semble donc pas qu'il soit avantageux à l'homme de faire des voeux.

2. On ne doit pas s'exposer au danger. Or, celui qui fait un voeu s'y expose, parce que ce qu'on pouvait omettre avant le voeu sans inconvénient, devient dangereux, si on ne le fait pas, après en avoir fait voeu. C'est ce qui fait dire à saint Augustin dans sa lettre à Armentarius et Pauline (Epist, cxxvii) : Par là même que vous avez fait un voeu, vous vous êtes lié, il ne vous est plus permis de faire autre chose. Si vous n'exécutez pas votre voeu, vous ne serez pas tel que vous auriez été si vous n'aviez pas pris d'engagement. Car, dans ce dernier cas, vous seriez moins parfait sans être pire. Au lieu que si vous venez à rompre la foi que vous devez à Dieu, ce que je n'ai garde de présumer, vous serez d'autant plus misérable, que vous serez plus heureux si vous la lui gardez. Il n'est donc pas avantageux de faire des voeux.

3. Saint Paul dit (1Co 4,16) : Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ. Or, on ne voit pas que Jésus-Christ, ni que les apôtres aient fait des voeux. Il semble donc qu'il ne soit pas avantageux d'en faire.

En sens contraire Mais c'est le contraire. David dit (Ps 75,12) : Faites des voeux et acquittez-vous-en près du Seigneur votre Dieu.

CONCLUSION. — Ce que nous faisons pour Dieu nous étant utile, il nous est avantageux de nous attacher à lui par un voeu.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 et 2 huj. quaest.), le voeu est une promesse faite à Dieu. La raison qui nous fait promettre quelque chose à un homme n'est pas la môme que celle qui nous fait promettre quelque chose à Dieu. Nous faisons à un homme une promesse dans son intérêt. Il lui est utile que nous lui donnions quelque chose et que nous l'assurions auparavant du service que nous lui rendrons dans la suite. Mais nous ne faisons pas de promesse à Dieu pour son utilité, c'est au contraire pour notre avantage. C'est un créancier bienveillant, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), et qui n'a besoin de rien, de telle sorte que ce n'est pas lui qui profite de ce qu'on lui donne, mais il en fait au contraire profiter ceux qui se reconnaissent ses débiteurs. Ainsi, comme ce que nous donnons à Dieu ne lui est pas utile, mais à nous, parce que ce qu'on lui donne enrichit celui qui le lui offre, selon la remarque de saint Augustin (ibid.), de même la promesse par laquelle nous faisons à Dieu un voeu ne lui est pas utile, et il n'a pas besoin que nous lui en donnions une assurance, mais elle nous est avantageuse, dans le sens que par le voeu nous attachons d'une manière immuable notre volonté à ce qu'il lui est avantageux de faire. C'est pourquoi il est avantageux de faire des voeux.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que comme l'impossibilité de pécher ne diminue pas la liberté, de môme la nécessité d'affermir sa volonté dans le bien ne le diminue pas non plus, comme on le voit en Dieu et dans les bienheureux. Telle est la nécessité que le voeu impose et qui a de l'analogie avec l'affermissement des bienheureux dans la gloire. C'est ce qui fait dire à saint Augustin dans la même épître (loc. cit.) que c'est une nécessité heureuse qui nous pousse à ce qu'il y a plus avantageux pour nous.

2. Il faut répondre au second, que quand le danger vient du fait lui-même, alors ce fait n'est pas avantageux, comme quand on passe un fleuve sur un pont qui est en ruines. Mais si le danger provient de l'imperfection de l'homme, la chose ne cesse pas pour cela d'être utile. Ainsi il y a de l'avantage à monter à cheval, quoiqu'on soit exposé à tomber. Autrement, il faudrait renoncer à toutes les bonnes choses qui peuvent accidentellement, par suite d'un événement, devenir dangereuses. D'où il est dit (Si 11,4) : Celui qui observe le vent ne sème pas, et celui qui considère les nues ne moissonnera jamais. Celui qui fait un voeu ne court pas de danger, par suite de son voeu (1), mais il n'y a de péril que pour celui qui par sa faute change de volonté et transgresse la promesse qu'il avait faite. C'est ce qui fait dire à saint Augustin, dans la môme épitre : Ne vous repentez pas d'abord d'avoir fait un voeu, mais réjouissez-vous plutôt de n'avoir plus la liberté de faire ce que vous n'auriez pu faire qu'à votre détriment.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il ne convenait pas au Christ considéré en lui-même de faire des voeux, soit parce qu'il était Dieu, soit parce que, comme homme, il avait la volonté fixée dans le bien, puisqu'il était en possession de tous les trésors célestes. Cependant on lui fait dire par analogie (Ps 21), d'après la glose (interl. Aug.) : Je rendrai mes voeux en présence de ceux qui le craignent. En cet endroit, il parle de son corps, qui est l'Eglise. Quant aux apôtres, ils firent tous les voeux qui se rapportent à l'état de perfection, quand ils quittèrent tout pour suivre Jésus-Christ.

(3) Calvin (De inst. lib. iv, cap. 13) et Luther (De libert, christ.) ont enseigné que les voeux faits par les moines pour honorer Dieu sont impies et illicites. Cet article et le suivant sont une réfutation directe de leur erreur.
(I) Il y a péril pour celui qui ferait un voeu imprudent, mais l'Eglise, au lieu de favoriser de pareils voeux, les condamne.



ARTICLE V. — Le voeu est-il un acte de latrie ou de religion?



Objections: 1. Il semble que le voeu ne soit pas un acte de latrie ou de religion. Car tout acte de vertu est l'objet du voeu. Or, il semble qu'il appartienne à la même vertu de promettre une chose et de la faire. Le voeu appartient donc à toute vertu et n'est pas un acte spécial de religion.

2. D'après Cicéron (De invent. lib. n), il appartient à la religion d'offrir à Dieu un culte et des cérémonies. Or, celui qui fait un voeu n'offre encore rien à Dieu, mais il lui fait seulement une promesse. Le voeu n'est donc pas un acte de religion.

3. On ne doit qu'à Dieu un culte de religion. Or, le voeu ne se fait pas seulement à Dieu, mais encore aux saints et aux supérieurs, auxquels les religieux font voeu d'obéissance. Donc le voeu n'est pas un acte de religion.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is 19,21) que les Egyptiens honoreront le Seigneur avec des hosties et des oblations, qu'ils lui feront des voeux et qu'ils les accompliront. Or, honorer Dieu est proprement un acte de religion ou de latrie. Le voeu est donc un acte de cette nature.

CONCLUSION. — Faire un voeu est proprement un acte de latrie ou de religion, puisque les voeux se rapportent au culte divin.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxxxi, art. 1 ad 1), tout acte de vertu appartient à la religion par voie de commandement, dans le sens qu'il a toujours pour but de vénérer Dieu, ce qui est la fin propre de la religion. Or, c'est à la vertu qui commande qu'il appartient de rapporter les autres actes à sa fin ; ce n'est pas aux vertus commandées. C'est pourquoi l'acte propre de la vertu de religion est de rapporter les actes de toutes les autres vertus au service de Dieu. — Il est évident, d'après ce que nous avons dit (art. i et 2 huj. quaest.), que le voeu est une promesse faite à Dieu, et qu'une promesse n'est rien autre chose que le rapport de la chose promise à celui auquel on la promet. Ainsi le voeu est un acte par lequel on rapporte ce que l'on voue au culte de Dieu. Il est donc évident que faire un voeu, c'est proprement faire un acte de latrie ou de religion.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce qui est la matière du voeu est quelquefois l'acte d'une autre vertu, comme l'observation du jeune et de la continence. D'autres fois, c'est un acte de religion, comme l'oblation du sacrifice ou la prière. Cependant la promesse de ces deux choses, faite à Dieu, appartient à la religion pour la raison que nous avons donnée (in corp. art.). Par conséquent, il est évident que parmi les voeux il y en a qui appartiennent à la religion, seulement en raison de la promesse faite à Dieu, et qui constitue l'essence du voeu ; mais il y en a d'autres qui lui appartiennent encore, en raison de la chose promise, qui est la matière du voeu.

2. Il faut répondre au second, que celui qui promet donne déjà quelque chose, par là même qu'il s'engage à donner; comme on dit qu'une chose est faite quand sa cause est produite, parce que l'effet est contenu virtuellement dans sa cause. D'où il arrive que l'on remercie, non-seulement celui qui donne, mais encore celui qui promet.

3. Il faut répondre au troisième, que l'on ne fait de voeu qu'à Dieu; mais on peut faire une promesse à un homme. Quand on promet à un homme une bonne chose, cette promesse peut être la matière d'un voeu, comme étant un acte vertueux. C'est ainsi qu'il faut entendre les voeux que l'on fait aux saints ou aux supérieurs; la promesse qu'on leur a faite devient la matière d'un voeu, en ce sens que l'homme fait voeu à Dieu d'accomplir ce qu'il promet aux saints ou à ses supérieurs (1).

(I) Comme quand on a promis de bâtir une église en l'honneur d'un saint ou qu'on a promis obéissance à son supérieur.



ARTICLE VI. — Est-il plus louable et plus méritoire de faire une chose par voeu que sans voeu?


Objections: 1. Il semble qu'il soit plus louable et plus méritoire de faire une chose sans voeu que par voeu; car saint Prosper dit (De vit. contempl. lib. ii, cap. 24) : que nous devons nous abstenir ou jeûner, sans nous soumettre à la nécessité de le faire, de peur que nous ne fassions une chose volontaire, non pas avec dévotion, mais malgré nous. Or, celui qui fait voeu de jeûner se soumet à la nécessité de le faire. Il serait donc mieux qu'il jeûnât sans faire de voeu.

2. Saint Paul dit (2Co 9,7) : Que chacun donne ce qu'il aura déterminé en lui-même, non avec tristesse, ni par force; car Dieu aime celui qui donne avec joie. Or, ce que l'on fait par voeu, on le fait avec tristesse, et il semble qu'on le fasse par suite de la nécessité que le voeu impose; car la nécessité contristo, comme le dit Aristote (Met. lib. v, text. (5). Il vaut donc mieux faire une chose sans voeu que par voeu.

3. Le voeu est nécessaire pour fixer irrévocablement la volonté de l'homme à la chose que l'on voue, comme nous l'avons vu (art- 4). Or, on ne peut pas mieux fixer la volonté pour faire une chose que quand elle la fait actuellement. Il n'est donc pas mieux de faire une chose avec voeu que sans cela.

En sens contraire Mais c'est le contraire. A l'occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps 75,12), Vovete et reddite, la glose dit : qu'on conseille à la volonté de faire des voeux. Or, on ne conseille qu'un plus grand bien. Donc il est mieux de faire une chose par voeu que sans voeu, parce que celui qui agit sans faire de voeu ne remplit qu'un conseil, celui qui se rapporte à l'acte qu'il fait ; tandis que celui qui agit en faisant un voeu en remplit deux, le conseil du voeu et celui de l'action qu'il exécute.

CONCLUSION. — Faire un voeu étant un acte de religion, il est plus louable et plus méritoire de faire une chose par voeu que de la faire sans cela.

Réponse Il faut répondre qu'il est mieux et plus méritoire de faire une chose par voeu que sans voeu, et cela pour trois raisons : parce que le voeu, comme nous l'avons dit (art. préc.), est un acte de religion, et la religion est la principale des vertus morales. Or, l’acte de la vertu la plus noble est meilleur et plus méritoire. Par conséquent, l'acte d'une vertu inférieure devient meilleur et plus méritoire par là même qu'il est commandé par une vertu supérieure, dont l'acte est produit par le commandement. C'est ainsi que l'acte de foi ou d'espérance est meilleur, s'il est commandé par la charité. C'est pourquoi les actes des autres vertus morales (tels que le jeûne qui est un acte d'abstinence, et la continence qui est un acte de chasteté) sont meilleurs et plus méritoires, s'ils sont faits par voeu, parce qu'alors ils appartiennent au culte divin, comme des espèces de sacrifices. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de virg. cap. 8) que la virginité n'est pas honorée pour elle-même, mais parce qu'elle est consacrée à Dieu, et que la continence de la piété l'embrase et la conserve. 2° Parce que celui qui fait un voeu et qui l'exécute se soumet plus à Dieu que celui qui fait seulement une action. En effet il se soumet à Dieu, non-seulement quant à l'acte, mais encore quant à la puissance, puisqu'il ne peut plus faire autre chose. C'est ainsi qu'on ferait un plus grand présent en donnant un arbre avec ses fruits qu'en donnant seulement les fruits, comme l'observe saint Anselme (Lib. de simil. cap. lxxxiv à princ.). C'est encore pour cela qu'on remercie ceux qui promettent, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 2). 3° Parce que, par le voeu, la volonté est irrévocablement fixée dans le bien ; car il appartient à la perfection de la vertu de faire le bien avec une volonté ferme, comme on le voit (Eth. lib. ii, cap. 4). C'est dans le même sens que l'obstination de la volonté dans le mal aggrave le péché, et qu'on dit que l'on pèche contre l'Esprit-Saint, comme nous l'avons vu (quest. xiv, art. 1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce texte doit s'entendre de la nécessité de coaction (1), qui produit l'involontaire et qui exclut la dévotion. C'est pourquoi il dit expressément : de peur que nous ne lassions une chose volontaire, non pas avec dévotion, mais malgré nous. Au contraire la nécessité que le voeu impose rend la volonté immuable ; par conséquent, tout en l'affermissant, elle augmente la dévotion. C'est pourquoi ce raisonnement n'est pas concluant.

2. Il faut répondre au second, que la nécessité de coaction, selon qu'elle est contraire à la volonté, produit la tristesse, d'après Aristote, au lieu que la nécessité du voeu affermit la volonté dans ceux qui sont bien disposés, et ne produit pas la tristesse, mais la joie. C'est ce qui fait dire à saint Augustin dans sa lettre à Armentarius (Ep. cxxvn) : « Ne vous repentez pas d'avoir fait des voeux, mais réjouissez-vous plutôt de ce qu'il ne vous est plus permis de faire des choses qui ne pouvaient tourner qu'à votre détriment. » Et quand l'oeuvre, considérée en elle-même, causerait de la tristesse et deviendrait involontaire après que le voeu est fait, cependant, pourvu que l'on ait la volonté de remplir un voeu (2), l'action serait encore plus méritoire que si on la faisait sans voeu, parce que l'accomplissement d'un voeu est un acte de religion, et que la religion est une vertu plus élevée que l'abstinence, dont le jeûne est un acte.

3. Il faut répondre au troisième, que celui qui fait quelque chose sans voeu a une volonté ferme et immuable relativement à l'oeuvre particulière qu'il fait, et au moment où il la fait; mais sa volonté ne reste pas absolument fixée pour l'avenir, comme celle de celui qui fait un voeu et qui s'oblige à faire une chose avant de faire tel ou tel acte particulier, et qui s'engage même à le répéter plusieurs fois s'il le faut.

(1) Il s'agit là de la coaction extérieure, qui violente la volonté.
(2) Si dans cette hypothèse on avait perdu tout attachement pour la chose que l'on a vouée, et qu'on n'exécutât son voeu que par crainte de l'enfer ou par quelque motif humain, alors l'acte ne serait pas méritoire, parce qu'on ne le ferait pas pour plaire à Dieu.



ARTICLE VII. — Le voeu est-il rendu solennel par la promotion aux ordres sacrés et par la profession d'une règle particulière (3)?


Objections: 1. Il semble que le voeu ne soit pas rendu solennel par la promotion aux ordres sacrés et la profession d'une règle particulière. Car le voeu, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.), est une promesse faite à Dieu. Or, les choses extérieures que l'on fait pour une solennité ne paraissent pas se rapporter à Dieu, mais aux hommes. C'est donc par accident que cette solennité se rapporte au voeu, et par conséquent elle n'en est pas la condition propre.

2. Ce qui appartient à la condition d'une chose paraît pouvoir convenir à tous les sujets dans lesquels cette chose se trouve. Or, il y a beaucoup de choses qui peuvent être la matière d'un voeu et qui n'appartiennent ni aux ordres sacrés, ni à une règle particulière, comme quand on fait voeu de faire un pèlerinage. La solennité qui a lieu dans une ordination ou dans une profession religieuse n'appartient donc pas à la condition du voeu.

3. Le voeu solennel paraît être le même que le voeu public. Or, on peut faire en public beaucoup d'autres voeux que celui qu'on fait en recevant les ordres sacrés ou en faisant profession d'une règle particulière. Ces voeux-là peuvent même se faire en secret. Il n'y a donc pas que ceux-là qui soient solennels.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il n'y a que ces voeux qui empêchent de contracter mariage et qui le diriment, si on le contracte ; ce qui est l'effet du voeu solennel, comme nous le verrons dans la troisième partie de cet ouvrage.

CONCLUSION. — La solennité du voeu se célèbre de deux manières : quand en recevant les ordres sacrés on se dévoue tout entier au ministère de Dieu, et quand en faisant profession d'une règle religieuse, on quitte le siècle, on renonce à sa volonté propre pour embrasser l'état de perfection.

Réponse Il faut répondre qu'on donne à chaque chose la solennité convenable à sa condition. Ainsi la solennité d'une nouvelle milice, qui consiste dans l'appareil des chevaux et des armes, et dans le concours des soldats, est autre que la solennité d'une noce, qui consiste dans l'appareil de l'époux et de l'épouse et dans la réunion des parents. Or, le voeu est une promesse faite à Dieu. Par conséquent la solennité du voeu se considère d'après quelque chose de spirituel qui se rapporte à Dieu, c'est-à-dire d'après la bénédiction spirituelle ou la consécration (1) qui a lieu dans la profession religieuse ou dans la promotion aux ordres sacrés, suivant l'institution des apôtres, comme lendit saint Denis (De hier, eccles. cap. 2). La raison en est qu'on n'a l'habitude de faire des solennités que quand quelqu'un se met totalement au service d'une chose. Car la solennité nuptiale n'a lieu que dans le mariage, où chacun des deux époux donne à l'autre puissance sur son corps. De même le voeu n'est solennel que quand, par la réception des ordres sacrés, on se livre au ministère de l'autel (2), ou qu'en faisant profession d'une règle on renonce au siècle et à sa propre volonté pour arriver à la perfection chrétienne.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la solennité du voeu n'appartient pas seulement aux hommes, mais elle appartient encore à Dieu, dans le sens qu'il est l'auteur de la bénédiction ou de la consécration spirituelle qui l'accompagne, quoique l'homme en soit le ministre, d'après ces paroles de l'Ecriture (Nb 6,27) : Ils invoqueront mon nom sur les enfants d'Israël, et je les bénirai. C'est pourquoi le voeu solennel oblige plus strictement devant Dieu que le voeu simple, et que celui qui le transgresse fait un péché plus grave (3). Quand on dit que le voeu simple n'oblige pas moins devant Dieu que le voeu solennel, on doit entendre par là qu'on pèche mortellement en les transgressant l'un et l'autre.

2. Il faut répondre au second, qu'on n'a pas coutume d'inaugurer les actes particuliers par une solennité, maison la réserve pour celui qui prend un nouvel état, comme nous l'avons dit (in corp. art.). C'est pourquoi, quand on fait voeu de faire quelques oeuvres particulières, comme un pèlerinage, un jeûne, il ne convient pas que ce voeu soit solennel. Il n'y a de solennité que pour le voeu par lequel on se livre totalement au ministère ou au service de Dieu. Mais ce voeu comprend dans sa généralité une foule d'oeuvres particulières.

3. Il faut répondre au troisième, que les voeux, lorsqu'on les fait en public, peuvent avoir par là une certaine solennité humaine, mais ils n'ont pas la solennité spirituelle et divine comme les voeux précédents, quand môme on ferait ces derniers devant peu de monde. Ainsi le voeu public n'est pas le même que le voeu solennel (1).

(3) Ce voeu solennel ne consiste pas seulement en ce qu'il est fait en public avec des cérémonies, mais il consiste surtout dans le don absolu et irrévocable que l'on fait de soi-même à Dieu.
(1) Par la bénédiction ou la consécration, saint Thomas entend cette consécration qui dédie a Dieu une personne ou qui l'attache à son culte pour jamais.
(2) Le saint ministère étant le but direct de l'ordination, il est à remarquer que le voeu de continence que l'on fait alors n'est pas un voeu solennel proprement dit.
(3) Les voeux solennels sont réservés au pape ; parmi les voeux simples, il n'y a que les voeux de chasteté perpétuelle, le voeu d'entrer en religion, et les voeux des pèlerinages de Jérusalem, de Home et de Saint-Jacques à Compostelle.
(I) Il n'est pas facile de dire si nous avons actuellement en France des ordres religieux proprement dits. D'après une décision de la pénitencerie, les voeux des religieuses ne seraient que des voeux simples. Il paraîtrait qu'il en serait de même des trappistes. À l'égard de ceux qui suivent la règle de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François, le souverain pontife ne s'est pas prononcé (Voy. M. Carrière, De juttitld et jure, n° 225).



ARTICLE VIII. — Ceux qui sont soumis à la puissance d'un autre sont-ils empêchés de faire des voeux (2)?



Objections: 1. Il semble que ceux qui sont soumis à la puissance d'un autre ne soient pas empêchés de faire des voeux. Car un plus faible lien est rompu par un plus fort. Or, l'obligation par laquelle on est soumis à l'homme est un lien moins puissant que le voeu par lequel on s'oblige envers Dieu. Ceux qui sont soumis à une puissance étrangère peuvent donc faire des voeux.

2. Les enfants sont sous la puissance de leurs parents. Or, ils peuvent entrer en religion sans leur consentement. On n'est donc pas empêché de faire un voeu parce qu'on est soumis à la puissance d'un autre.

3. Faire c'est plus que de promettre. Or, les religieux, qui sont sous la puissance de leurs supérieurs, peuvent faire certaines choses sans leur permission. Ainsi ils peuvent dire des psaumes ou faire des abstinences. Il semble donc qu'à plus forte raison ils peuvent faire à Dieu une promesse en lui faisant un voeu.

4. Celui qui fait ce qu'en droit il ne peut pas faire, pèche. Or, ceux qui sont soumis à d'autres ne pèchent pas en faisant un voeu, puisque cela ne se trouve défendu nulle part. Il semble donc qu'ils aient le droit de faire un voeu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La loi dit (Nb 30,4) que quand une femme a fait un voeu étant dans la maison de son père et encore jeune, elle n. est point obligée à le remplir, si son père n'y consent pas. Elle décide la même chose pour la femme qui a un mari. Donc, pour le même motif, ceux qui sont soumis à la puissance d'autrui ne peuvent pas s'obliger par un voeu.

CONCLUSION. — Celui qui est soumis à un autre ne peut pas se lier irrévocablement par un voeu à l'égard des choses pour lesquelles il doit être dépendant, à moins que son supérieur n'y consente.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.), le voeu est une promesse faite à Dieu. Or, personne ne peut par une promesse s'obliger fermement à l'égard de ce qui est au pouvoir d'un autre; on ne le peut qu'à l'égard de ce qu'on a absolument en son pouvoir. Or, celui qui est soumis à quelqu'un ne peut pas faire ce qu'il veut relativement aux choses pour lesquelles il lui doit obéissance, mais il dépend de sa volonté. C'est pourquoi il ne peut pas s'obliger à cet égard par un voeu irrévocable sans le consentement de son supérieur.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on ne peut promettre à Dieu que des actes de vertu, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.). Or, il est contraire à la vertu qu'on offre à Dieu ce qui appartient à autrui, comme nous l'avons vu (quest. xxxii, art. 7, et quest. lxxxvi, art. 3). C'est pourquoi il ne peut y avoir voeu absolument, quand quelqu'un qui se trouve sous la puissance d'un autre, voue ce qui est au pouvoir de ce dernier, si non quand il le fait sous la condition que son supérieur ou son maître ne le contredira pas (i).

2. Il faut répondre au second, que, quand l'homme est arrivé à l'âge de puberté, s'il est de condition libre, il peut disposer de ce qui appartient à sa personne; par exemple, il peut s'engager à vivre en religion par un voeu, ou il peut se marier; mais il n'est pas maître de disposer de ses biens de famille (2) ; par conséquent à ce sujet il ne peut faire aucun voeu qui soit consommé sans le consentement de son père. Quant au serf (3), comme il est au pouvoir de son maître relativement à ses opérations personnelles, il ne peut pas s'attacher par un voeu à un ordre religieux, d'où l'autorité de son maître pourrait le faire sortir.

3. Il faut répondre au troisième, que le religieux est soumis à son supérieur pour ses actions, conformément à la règle qu'il a embrassée. C'est pourquoi, bien qu'on puisse faire certaines choses à des heures où l'on n'est pas appelé ailleurs par le supérieur; cependant comme il n'y a pas d'instant où le supérieur ne puisse donner au religieux une occupation quelconque, celui- ci ne peut faire aucun voeu stable que du consentement de son supérieur (4), comme une fille ne peut faire aucun voeu sans le consentement de ses parents, ni la femme sans le consentement de son mari (5).

4. Il faut répondre au quatrième, que quoique le voeu de ceux qui sont sous la puissance d'un autre ne soit pas inviolable sans le consentement de ceux auxquels ils obéissent, cependant ils ne pèchent pas en le faisant, parce que leur voeu renferme cette condition nécessaire, s'il plaît à mes supérieurs ou du moins s'ils ne s'y opposent pas.

(2) A l'égard du pouvoir des supérieurs sur les inférieurs, les théologiens distinguent deux sortes d'annulation ou d'irritation: l'une directe, qui rend le voeu absolument nul, et l'autre indirecte, qui ne fait qu'en suspendre l'exécution.
(1) Le supérieur n'a pas même besoin de raison pour irriter validement les voeux d'un inférieur; mais s'il le fait sans motif, il pèche véniellement (saint Liguori, Theol. moral, lib. III, n° 225).
(2) Les parents peuvent irriter, du moins indirectement, les voeux qui tendraient à contrarier les intérêts de la famille, comme un long pèlerinage!, des prières longues, incompatibles avec le travail intérieur de la maison. Sanchez et plusieurs autres prétendent qu'ils peuvent les irriter même directement.
(3) Il s'agit ici du serf, qui était la chose du maître ; il n'en est plus de même du domestique.
(4) II n'y a que le voeu de passer à un ordre plus sévère que le supérieur ne peut pas irriter directement.
(5) Le mari irrite indirectement les voeux de la femme quand ils sont contraires à leurs droits réciproques, et il y a des théologiens qui croient qu’ il peut même irriter indirectement les autres (saint Liguori, Theol. moral, lib. III, n° 234).



ARTICLE IX. — Les enfants peuvent-ils s'obliger par un voeu à entrer en religion?


Objections: 1. Il semble que les enfants ne puissent pas s'obliger par un voeu à entrer en religion. Car puisque le voeu demande qu'il y ait délibération, il n'y a que ceux qui ont l'usage de la raison qui puissent en faire. Or, la raison n'existe pas plus dans les enfants que dans les fous ou les furieux. Par conséquent comme les fous et les furieux ne peuvent pas s'astreindre à une chose par un voeu, de même il semble que les enfants ne puissent pas non plus s'engager de cette manière à entrer en religion.

2. Ce qui peut être fait légalement par quelqu'un ne peut pas être annulé par un autre. Or, les parents ou le tuteur peuvent révoquer un voeu de religion fait par un petit garçon ou par une petite fille avant l'âge de puberté, comme on le voit (hab. ii, quest. 2, can. Puella). Il semble donc qu'un enfant ne puisse pas légitimement faire des voeux avant l'âge de quatorze ans.

3. Pour ceux qui entrent en religion il faut une année de noviciat, d'après la règle de saint Benoît (cap. 68), et d'après un décret d'Innocent IV (hab. cap. Consaldus, xvii, quest. 2), il le faut pour que l'épreuve précède l'obligation qui jésuite du voeu. Il paraît donc illicite que les enfants s'obligent par un voeu à entrer en religion avant une année de noviciat.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Ce qui n'est pas fait légitimement n'est pas valide, quoiqu'il ne soit révoqué par personne. Or, le voeu d'un enfant fait avant l'âge de puberté est valide, s'il n'est pas révoqué par les parents dans l'espace d'un an, comme on le voit (habet. XX, quest. ii, can. Puella). Les enfants peuvent donc licitement et légitimement s'obliger par un voeu à entrer en religion, même avant qu'ils aient l'âge de puberté.

CONCLUSION. — Les enfants avant l'âge de puberté, s'ils n'ont pas l'usage de la raison, ne peuvent pas s'obliger à quelque chose par un voeu ; mais s'ils l'ont atteint, ils peuvent ainsi s'obliger, quoique leurs voeux puissent être annulés par ceux qui ont pouvoir sur eux ; toutefois ils ne peuvent d'aucune manière s'obliger par un voeu solennel, quoiqu'ils aient l'usage de raison, au lieu qu'après qu'ils ont l'âge de puberté, ils peuvent se lier par un voeu simple aussi bien que par un voeu solennel.

Réponse Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 7), il y a deux sortes de voeu : le voeu simple et le voeu solennel. La solennité du voeu consistant dans une bénédiction spirituelle et dans une consécration qui se fait, comme nous l'avons dit (ibid.), par le ministère de l'Eglise, il s'ensuit que l'Eglise peut dispenser de la solennité du voeu. Mais le voeu simple tire son efficacité de la délibération de l'esprit par laquelle on a l'intention de s'obliger. Or, il peut arriver de deux manières que cette obligation n'ait pas de force : 1° A cause du défaut de raison, comme on le voit à l'égard des furieux et des fous, qui ne peuvent s'obliger à quelque chose par un voeu, tant qu'ils sont dans leur fureur ou leur démence. 2° Parce que celui qui fait le voeu est soumis à la puissance d'un autre, comme nous l'avons dit (art. préc.). — Ces deux causes se trouvent dans les enfants avant l'âge de puberté, parce qu'ordinairement ils manquent de raison et qu'ils sont naturellement sous la garde de leurs parents ou de tuteurs qui leur en tiennent lieu. C'est pourquoi, pour ce double motif, leurs voeux sont nuls. Cependant il arrive que par suite de la disposition de la nature qui n'est pas soumise aux lois humaines, il y en a quelques-uns, quoique en petit nombre, chez lesquels la raison est plus précoce, et qu'on dit pour ce motif plus rusés. Ils ne sont cependant pas pour cela affranchis de la surveillance de leurs parents, qui se trouve réglée par les lois humaines qui se basent sur ce qui a lieu communément. — Par conséquent on doit dire que si un garçon ou une fille, avant l'âge de puberté, n'a pas encore l'usage de raison, cet enfant ne peut d'aucune manière s'obliger à quelque chose par un voeu (1); mais si avant l'âge de puberté (2) il atteint l'usage de raison, il ne peut pas s'obliger autant qu'il est en lui, mais son voeu peut être annulé par ses parents (3), sous la garde desquels il se trouve placé. D'ailleurs, quelle que soit son intelligence, il ne peut faire le voeu solennel de religion avant l'âge de puberté, parce que les règlements ecclésiastiques (4), qui se fondent sur ce qui arrive ordinairement, s'y opposent. Mais après avoir atteint cet âge, les enfants peuvent s'obliger à entrer en religion, par un voeu simple ou par un voeu solennel, sans la volonté de leurs parents (5).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement repose sur les enfants qui n'ont pas encore l'usage de raison et dont les voeux ne sont pas valides, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que les voeux de ceux qui sont sous la puissance des autres sont (implicitement conditionnels, c'est-à-dire qu'on les fait sous la condition qu'ils ne seront pas révoqués par le supérieur. Cette condition, quand elle existe, les rend licites et valides, comme nous l'avons dit (art. préc.).

3. Il faut répondre au troisième, que ce raisonnement repose sur le voeu solennel que l'on fait au moyen de la profession.

(1) Pour qu'un enfant puisse faire un voeu obligatoire, il faut qu'il ait assez de raison pour commettre une faute grave. On présume généralement nul pour défaut de raison un voeu fait avant l'âge de sept ans.
(2) L'âge de puberté, c'est-à-dire l'âge de douze ans pour les filles, et de quatorze ans accomplis pour les garçons.
(3) Ce droit appartient directement au père ; à son défaut, il est dévolu à la mère, si elle est tutrice, et à défaut de père et de mère, au tuteur de l'enfant.
(4) Pour faire un voeu solennel, il faut que l'on ait seize ans accomplis, d'après le concile de Trente (sess, xxv, cap. De regularibus).
(5) Tous les docteurs et les conciles sont unanimes sur ce point (Voyez saint Liguori, lib. iv, n° 68). Cependant si un enfant ne pouvait quitter ses parents sans les laisser dans une nécessité grave, il no devrait pas tes abandonner, à moins qu'il n'y ait pour son salut de trop grands périls à rester dans le monde (Vid. inf. quaest. clxxxix, art. 6, et Quodlibet, x, art. 9).




II-II (Drioux 1852) Qu.88 a.4