II-II (Drioux 1852) Qu.89 a.3

ARTICLE III. — Est-il convenable de demander pour le serment trois conditions : la justice, le jugement et la vérité?



Objections: 1. Il semble que l'on ait tort de demander pour le serment trois conditions : la justice, le jugement et la vérité. En effet, on ne doit pas compter comme diverses des choses dont l'une est renfermée dans l'autre. Or, l'une de ces trois choses est renfermée dans l'autre, car la vérité est une partie de la justice, d'après Cicéron (De invent. lib. ii), et le jugement est un acte de cette même vertu, comme nous l'avons vu (quest. lx, art. 1). C'est donc à tort que l'on distingue pour le serment trois conditions.

2. Il y a beaucoup d'autres choses qui sont requises pour le serment, à savoir la dévotion et la foi par laquelle nous croyons que Dieu sait tout et qu'il ne peut mentir. Il semble donc que les trois conditions indiquées soient insuffisantes.

3. On doit demander ces trois choses pour tout acte humain; car on ne doit rien faire contre la justice ou la vérité, ou sans le jugement, d'après ces paroles de saint Paul (1Tm 5,21) : Ne faites rien sans un jugement préalable. Donc ces trois choses ne se rapportent pas plus au serment qu'aux autres actes humains.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Jérémie dit (Jr 4,2) : Vous jurerez, vive le Seigneur, dans la vérité, dans le jugement et dans la justice. Saint Jérôme, expliquant ce passage, dit (et hab. cap. 2, XXII, quest. ii) : qu'il faut remarquer que le serment a pour compagnes la vérité, le jugement et la justice.

CONCLUSION. — Il faut que celui qui jure le fasse avec jugement, vérité et justice. Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc..), le serment n'est bon qu'autant qu'on en fait bon usage. Pour que l'usage qu'on en fait soit bon, deux choses sont requises: 1° Il faut qu'on ne jure pas légèrement, mais qu'on le fasse pour une cause nécessaire et avec discrétion. Pour cela il faut le jugement, afin que celui qui jure le fasse avec discernement (I). 2° Par rapport à la chose que l'on prouve par le moyen du serment; il faut qu'elle ne soit ni fausse, ni illicite. C'est pour ce motif qu'on exige la vérité, par laquelle on n'use du serment que pour affirmer ce qui est vrai (2), et la justice, par laquelle on établit ce qui est permis (3). Un serment imprudent manque de jugement ; un serment menteur manque de vérité, et un serment inique ou illicite manque de justice.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le jugement ne se prend pas ici pour l'exécution de la justice, mais pour la faculté de discernement, comme nous l'avons dit (in corp. art.). La vérité ne se considère pas non plus ici comme une partie de la justice, mais comme une condition du langage

2. Il faut répondre au second, que la dévotion, la foi et toutes les autres conditions requises pour que le mode du serment soit légitime, sont comprises dans le jugement; car les deux autres conditions se rapportent à son objet, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Cependant on pourrait dire que la justice appartient à la cause pour laquelle on jure.

3. Il faut répondre au troisième, que dans le serment il y a un grand péril, soit à cause de la grandeur de Dieu dont on invoque le témoignage, soit à cause de la légèreté du langage humain, dont le serment confirme les paroles. C'est pourquoi ces conditions sont plutôt requises pour le serment que pour les autres actes humains.

(1) Il y a péché véniel à jurer ainsi sans discernement pour des bagatelles, sans examiner si la chose que l'on jure est vraie ou non. Il peut y avoir péché mortel si la négligence que l'on met à s'assurer de la vérité de la chose que l'on jure est vraiment coupable. Et celui qui serait dans l'habitude de jurer ainsi serait dans un état de péché mortel (saint Liguori, Theol. Mor. lib. iii, n° 145).
(2) Quand on jure sciemment et avec pleine délibération contre la vérité, on commet un parjure. Ce péché n'admet pas en lui-même de légèreté de matière. C'est pourquoi le pape Innocent XI a condamné la proposition suivante: Vocare Deum in testem mendacii levis, non est tanta irreverentia propter quam velit aut possit damnare hominem.
(3) On pèche mortellement quand on jure de faire une chose qui est mortellement illicite, par exemple, de brûler une maison, de voler ou de tuer quelqu'un. Si on jure de faire un péché véniel, il y a controverse entre les théologiens. Saint Alphonse croit qu'il est plus probable que même dans ce cas il y a péché mortel (lib. iii, n° 146).



ARTICLE IV. — Le serment est-il un acte de religion (4)?



Objections: 1. Il semble que le serment ne soit pas un acte de religion ou de latrie. Car les actes de religion ont pour objet des choses sacrées et divines. Or, on emploie le serment pour dirimer les discussions humaines, comme le dit l'Apôtre (He 6). Le serment n'est donc pas un acte de religion.

2. Il appartient à la religion d'offrir à Dieu un culte, comme le dit Cicéron (De invent. lib. ii). Or, celui qui jure n'offre rien à Dieu, mais il le prend à témoin. Le serment n'est donc pas un acte de religion.

3. La religion a pour fin de rendre un honneur à Dieu. Or, le serment n'a pas cette fin, il a plutôt pour fin de confirmer une parole. Il n'est donc pas un acte de religion.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La loi dit (Dt 6,13) : Fous craindrez le Seigneur votre Dieu ; vous ne servirez que lui et vous jurerez par son nom. Or, il s'agit là du culte de latrie. Le serment est donc un acte de latrie.

CONCLUSION. — Le serment est un acte de latrie ou de religion par lequel on reconnaît que Dieu est d'une vérité indéfectible, qu'il est au-dessus de tout et qu'il est infiniment sage.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), celui qui jure invoque le témoignage de Dieu à l'appui de ce qu'il dit. Or, on ne prouve une chose que par une autre qui est plus certaine et plus excellente. C'est pourquoi, en jurant par Dieu, l'homme avoue que Dieu est au- dessus de lui, et il reconnaît qu'il est l'être dont la vérité est indéfectible et la connaissance universelle; par conséquent, il lui rend hommage d'une certaine manière. C'est ce qui fait dire à l'Ápótre (He 6,16), que les hommes jurent par celui qui est plus grand qu'eux; et saint Jérôme observe, à l'occasion de ces paroles de saint Matthieu (Mt 5) : Ego autem dico, non jurare, que celui qui jure, vénère ou aime celui par lequel il jure. Aristote dit aussi (Met. lib. i, cap. 3), que le serment est une très-grande marque d'honneur. Et comme il appartient à la religion de rendre à Dieu l'honneur qui lui est dû, il est donc évident que le serment est un acte de religion ou de latrie.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans le serment il y a deux choses à considérer : le témoignage que nous invoquons, ceci est divin; et le motif pour lequel nous l'invoquons, ou ce qui nous force à l'invoquer, et ceci est humain. Le serment appartient donc à la religion sous le premier rapport, mais non sous le second.

2. Il faut répondre au second, qu'en prenant Dieu à témoin par manière de serment, on reconnaît sa souveraineté, ce qui est une marque d'honneur et de respect. Par conséquent on lui offre quelque chose, puisqu'on lui rend l'honneur et le respect qui lui sont dus.

3. Il faut répondre au troisième, que tout ce que nous faisons, nous devons le faire pour honorer Dieu. C'est pourquoi rien n'empêche que nous ne témoignions à Dieu notre respect, tout en ayant l'intention de rendre un homme certain d'une chose. Car nous devons agir pour la gloire de Dieu, de manière qu'il résulte de notre action quelque avantage pour le prochain, parce que Dieu opère lui-même pour sa gloire et pour notre utilité.

(4) La loi ordonne le serment comme un acte religieux, et le Psalmiste loue ceux qui le font : Laudabuntur omnes qui jurant in eo (Ps 62,12).



ARTICLE V. — Doit-on rechercher le serment et en user fréquemment, comme on le fait d'une chose bonne et utile (1)?



Objections: 1. Il semble qu'on doive rechercher le serment et qu'on doive en faire souvent usage, comme d'une chose utile et bonne. Car comme le voeu est un acte de latrie, de même aussi le serment. Or, il est plus louable et plus méritoire de faire une chose par voeu, parce que le voeu est un acte de latrie, comme nous l'avons dit (quest. lxxxviii, art. 5). Donc, pour la même raison, il est mieux de faire ou de dire une chose avec serment, et par conséquent on doit désirer le serment, comme une chose bonne par elle-même.

2. Saint Jérôme dit (Sup. Matth, loc. cit. art. préc.) : que celui qui jure, vénère ou aime celui par lequel il jure. Or, on doit tendre à vénérer ou à aimer Dieu, comme une chose bonne par elle-même. On doit donc aussi rechercher le serment.

3. Le serment a pour but de confirmer une chose ou de la rendre certaine. Or, il est bon que l'homme prouve ce qu'il dit. On doit donc rechercher le serment comme une bonne chose.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Ecriture dit (Si 23,12) : Que celui qui jure beaucoup sera rempli d'iniquité. Et saint Augustin ajoute (Lib. de mend. cap. 15) : Le Seigneur nous a défendu de jurer, afin que nous n'affections pas, autant qu'il est en nous, de le faire, et que nous ne le désirions pas avec délectation comme une bonne chose.

CONCLUSION. — Puisque le serment n'a pas pour objet les choses que nous devons désirer par elles-mêmes, mais qu'il appartient à celles qui sont nécessaires à la vie présente, on ne doit en faire usage qu'autant qu'on y est poussé par un motif de grande utilité ou de nécessité.

Réponse Il faut répondre que ce qu'on emploie seulement pour subvenir à l'infirmité ou au défaut d'un autre, on ne le range pas parmi les choses que l'on doit rechercher par elles-mêmes, mais on le place parmi celles qui sont nécessaires, comme on le voit à l'égard de la médecine que l'on emploie pour remédier à une maladie. Or, on se sert du serment pour subvenir à un défaut, qui empêche un homme de s'en rapporter à un autre. C'est pourquoi on ne doit pas mettre le serment parmi les choses que l'on doit désirer par elles-mêmes, mais parmi celles qui sont nécessaires à cette vie et dont on fait mauvais usage chaque fois qu'on y a recours au-delà des bornes de la nécessité. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. i De serm. Dom. in monte, cap. 17) : que celui qui comprend qu'on ne doit pas mettre le serment parmi les bonnes choses, c'est-à-dire parmi celles qu'on doit désirer pour elles-mêmes, mais parmi les choses nécessaires, se contienne autant qu'il peut, afin de n'en pas faire usage, si la nécessité ne l'y contraint.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on ne peut faire le même raisonnement à l'égard du voeu et du serment; car par le voeu nous faisons une promesse pour honorer Dieu, ce qui en fait par là même un acte de religion ; tandis que par le serment nous avons, au contraire, recours au respect dû au nom de Dieu pour confirmer la promesse que nous avons faite. C'est pourquoi ce qui est appuyé par le serment ne devient pas pour cela un acte religieux, parce que les actes moraux tirent leur espèce de leur fin.

2. Il faut répondre au second, que celui qui jure se sert du respect ou de l'amour de celui par lequel il jure; mais il ne fait pas sou serment pour l'honorer ou pour l'aimer. Son serment se rapporte à quelque autre chose (1) qui est nécessaire à la vie présente.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme une médecine est utile pour opérer une guérison, et que cependant plus elle a de vertu et plus elle fait de mal si on la prend à contretemps; de même le serment est utile pour prouver une chose. Mais plus il est respectable et plus il est dangereux, si on ne le fait pas dans les circonstances voulues. Car, comme le dit l'Ecriture (Si 23,13) : Si celui qui jure néglige de faire ce qu'il a promis, son péché sera pour lui; s'il dissimule, c'est-à-dire si par dissimulation il fait un faux serment, il péchera doublement, parce que l'équité simulée est une double iniquité. S'il jure pour une chose vaine, c'est-à-dire sans motif légitime et sans nécessité, il ne sera pas justifié.

(I) Les théologiens examinent aussi s'il est permis de demander le serment à quelqu'un. Pour recourir à ce moyen, il faut avoir une raison légitime. Un juge peut et doit même quelquefois déférer le serment à l'une des parties ; un simple particulier peut le faire, s'il croit que c'est un moyen de sauvegarder ses droits et ses intérêts. Mais si l'on savait qu'un individu ne reculera pas devant un parjure, on ne devrait pas lui demander le serment, si on n'avait pas des intérêts sérieux à défendre.
(I) Il a pour fin de confirmer aux yeux des autres hommes la parole que l'on dit.



ARTICLE VI. — Est-il permis de jurer par les créatures?



Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas permis de jurer par les créatures. Car il est dit dans l'Evangile (Mt 5,34) : Je vous dis de ne jurer en aucune sorte, ni par le ciel, ni par la terre, ni par Jérusalem, ni par votre tête; ce que saint Jérôme explique en disant : Remarquez que le Sauveur n'a pas défendu de jurer par Dieu, mais par le ciel et la terre.

2. On ne doit punir que les fautes. Or, on punit celui qui jure par les créatures. Car il est dit (XXII, quest. i, cap. 9) qu'on doit très-vivement reprendre le clerc qui jure par les créatures, et que s'il persévère dans ce vice, on doit l'excommunier. Il est donc défendu de jurer par les créatures.

3. Le serment est un acte de latrie, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.). Or, le culte de latrie n'est pas dû à une créature, comme on le voit (Rm 1). Il n'est donc pas permis de jurer par elle.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Joseph a juré par le salut de Pharaon, comme on le voit(Gn 42). Ordinairement on jure par l'Evangile, par les reliques et par les saints.

CONCLUSION. — Le jurement par simple attestation ne se fait principalement que par Dieu, mais il se fait secondairement par les créatures, selon que la vérité divine brille en elles; mais dans le jurement exécratoire, on a coutume de désigner les créatures que l'on aime, pour que le jugement de Dieu s'exerce sur elles.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 3), il y a deux sortes de serment. L'un qui se fait par une simple attestation, en prenant Dieu à témoin : ce serment repose sur la vérité divine, comme la foi. Or, la foi a par elle-même et principalement pour objet Dieu qui est la vérité même, et secondairement les créatures dans lesquelles brille la vérité de Dieu, comme nous l'avons dit (quest. i, art. 1). De même le serment se rapporte principalement à Dieu, dont on invoque le témoignage; et l'on jure secondairement par certaines créatures que l'on ne considère pas en elles-mêmes, mais selon que la vérité divine se manifeste en elles. C'est ainsi que nous jurons par l'Evangile, c'est-à-dire par Dieu, dont la vérité est manifestée dans l'Evangile, et par les saints qui ont cru cette vérité et qui l'ont observée (1). — L'autre espèce de serment est exécratoire. Dans ce serment on désigne une créature pour que le jugement de Dieu s'exerce sur elle. C'est ainsi que l'homme a coutume de jurer par sa tête, ou par son fils, ou par quelque autre chose qu'il aime. L'Apôtre a fait ce serment, quand il a dit (2Co 1,23) : Je prends Dieu à témoin, et je veux qu'il me punisse de mort. — Quant au serment que Joseph a fait par le salut de Pharaon, on peut l'entendre de ces deux manières. Il pouvait être exécratoire, dans le sens qu'il vouait à Dieu la vie de Pharaon, et il pouvait être simplement attestatoire, en tant que par là il prenait à témoin la vérité de la justice de Dieu que les princes de la terre doivent exécuter.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le Seigneur a défendu de jurer par les créatures, de manière à leur rendre des honneurs divins (1). C'est pour cela que saint Jérôme ajoute : que les Juifs en jurant par les anges et les autres créatures, leur rendaient des honneurs qui ne sont dus qu'à Dieu. Pour la même raison les canons (loc. cit. in arg. 2) punissent le clerc qui jure par les créatures ; ce qui se rapporte au blasphème de l'infidélité. C'est pourquoi il est dit au chapitre suivant : que si quelqu'un jure par le cheveu de Dieu ou par la tête, ou qu'il blasphème contre lui d'une autre manière, on doit le déposer, s'il est ecclésiastique.

2. La réponse au second argument est par là même évidente.

2. Il faut répondre au troisième, que l'on rend un culte de latrie à celui dont on invoque le témoignage en jurant. C'est pour ce motif qu'il est dit dans la loi (Ex 23,13) : Vous ne jurerez pas par les noms des dieux étrangers. Mais on ne rend pas ce culte aux créatures en jurant par elles (2) de la manière que nous avons indiquée.

(1) C'est ce qu'indiquent ces paroles (Mt 23): Quicumque juraverti in templo, jurat in illo et in eo qui habitat in ipso : et qui jurat in caelo, jurat in throno Dei et in eo qui sedet super eum
(I) Dans ce cas, il y a blasphème et idolâtrie.
(2) Il est à remarquer que l'on ne doit jurer que par les créatures qui reflètent d'une manière toute particulière les perfections de Dieu. Si on jurait par des créatures trop viles, connue un chien, un chat, ce serait plutôt une moquerie qu'un serment.



ARTICLE VII. — Le jugement a-t-il la force d'obliger (3)?



Objections: 1. Il semble que le serment ne soit pas obligatoire. Car on fait le serment pour confirmer la vérité de ce qu'on dit. Or, quand on parle d'une chose à venir, on dit vrai, quoique ce que l'on dit n'arrive pas. Ainsi, quoique saint Paul ne soit pas allé à Corinthe, comme il l'avait dit, il n'a cependant pas menti (2Co 1). Il semble donc que le serment ne soit pas obligatoire.

2. Une vertu n'est pas contraire à une autre, comme on le voit (Catég. De oppos.). Or, le serment est un acte de vertu, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.). Or, quelquefois, en observant un serment qu'on a fait, on ferait une chose contraire à la vertu ou qui serait pour elle un obstacle; comme quand on jure de faire un péché, ou de ne plus faire une bonne oeuvre. Le serment n'est donc pas toujours obligatoire.

3. Quelquefois on est forcé malgré soi à promettre quelque chose sous le serment. Or, les souverains pontifes délient de leur serment ceux qui sont dans ce cas, comme on le voit (hab. Extra de Jurejur. cap. Verum in ea quaest.). Le serment n'est donc pas toujours obligatoire.

4. On ne peut pas être obligé à deux choses opposées. Or, quelquefois l'intention de celui qui fait le serment et l'intention de celui à qui il le fait sont opposées. Le serment ne peut donc pas être toujours obligatoire.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Mt 5,33) : Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous aurez faits.

CONCLUSION. — Le jugement affirmatif et le jugement promissoire sont l'un et l'autre obligatoires.

Réponse Il faut répondre que l'obligation se rapporte à quelque chose que l'on doit faire ou que l'on doit quitter. Elle ne regarde donc pas le serment affirmatif qui a pour objet le présent ou le passé, ni celui qui porte sur ce qui doit être fait par d'autres causes, comme si l'on jurait qu'il doit pleuvoir demain ; mais elle regarde seulement les choses qui doivent être faites par celui qui fait le serment. Or, comme le serment affirmatif qui a pour objet le passé ou le présent doit être vrai ; de même le serment qui se rapporte à ce que nous devons faire à l'avenir. C'est pourquoi ces deux serments sont obligatoires, mais de différentes manières. Car dans le serment qui porte sur le passé ou le présent, l'obligation n'est pas relative à la chose qui a déjà existé, ou qui existe, mais elle est relative à l'acte môme du serment. Dans ce cas on est obligé de jurer ce qui est vrai ou ce qui l'a été. Au lieu que dans le serment que l'on fait pour les choses que l'on doit exécuter, l'obligation tombe au contraire sur la chose que l'on a attestée par serment. Car on est tenu de rendre vrai ce que l'on a juré ; autrement le serment manquerait de vérité. — Mais s'il s'agit d'une chose qui n'est pas au pouvoir de celui qui l'a jurée, le serment n'a pas été fait avec le jugement requis; à moins que la chose ait été possible quand on l'a jurée, et qu'elle ait été ensuite rendue impossible par un événement quelconque : comme si l'on jurait de donner de l'argent et qu'on en soit ensuite dépouillé par le vol ou parla violence. Alors il paraît qu'on est exempt de faire ce que l'on a juré; quoiqu'on soit tenu de faire son possible (1), comme nous l'avons dit plus haut, à l'égard de l'obligation du voeu (quest. préc. art. 3 ad 2). — S'il est possible de faire la chose qu'on a jurée, mais qu'on ne doive pas la faire, soit parce qu'elle est mauvaise par elle-même (2), soit parce qu'elle empêche un bien, alors le serment manque de justice. C'est pourquoi on ne doit pas l'observer dans le cas où il est un péché, ou un obstacle au bien. Car, d'après saint Augustin (Lib. de bono conjug. cap. 4), dans ces deux hypothèses il a une suite fâcheuse. Il faut donc dire que celui qui jure faire une chose est obligé de la faire pour que la vérité soit accomplie ; en observant toutefois les deux autres conditions du serment, le jugement et la justice.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il y a de la différence entre une simple parole et le serment, par lequel on en appelle au témoignage de Dieu. Car il suffit pour qu'une parole soit vraie qu'on dise ce qu'on se propose de faire ; parce que la chose est déjà vraie dans sa cause, c'est-à-dire dans l'intention qu'on a de la faire. Mais on ne doit employer le serment que pour une chose dont on est parfaitement certain (3). C'est pourquoi si on l'emploie, on est obligé, à cause du respect que l'on doit au témoignage de Dieu que l'on a invoqué, de faire que ce que l'on a juré soit vrai, autant que possible, à moins qu'il ne s'agisse d'une chose qui aurait des suites fâcheuses, comme nous l'avons dit (m corp. art.).

2. Il faut répondre au second, qu'un serment peut devenir fâcheux dans ses suites de deux manières : 1° parce que d'après son principe il a eu des conséquences funestes ; soit parce qu'il a pour objet une chose mauvaise en elle-même (comme quand on jure de faire un adultère), soit parce qu'il est un obstacle à un plus grand bien, comme quand on jure de ne pas entrer en religion ou de ne pas se faire clerc, ou de ne pas accepter la prélature dans un cas où il est utile qu'on l'accepte, ou de ne pas faire d'autres bonnes actions. Ces serments sont illicites dans leur principe, mais d'une manière différente. Car si l'on jure de faire un péché, on a péché en faisant ce serment et on pèche en l'observant; au lieu que si l'on jure de ne pas faire un plus grand bien auquel cependant on n'est pas obligé, alors on pèche en jurant, parce qu'on met un obstacle à l'action de l'Esprit-Saint qui inspire les bonnes résolutions, mais on ne pèche pas en observant son serment ; quoiqu'on fasse beaucoup mieux de ne pas l'observer. 2° Le serment peut avoir une mauvaise issue, parce qu'il se présente de nouvelles circonstances que l'on n'avait point prévues. Tel fut évidemment le serment d'Hérodes, qui jura de donner à sa fille qui dansait ce qu'elle lui demanderait. Ce serment pouvait être licite dans son principe, en sous-entendant cette condition, c'est qu'elle ne demanderait que ce qu'il était convenable de lui donner. Mais l'accomplissement de ce serment fut illicite. C'est ce qui fait dire à saint Ambroise (De offic. lib. i, cap. 50) qu'il est quelquefois contraire au devoir d'exécuter sa promesse ou de garder son serment ; qu'ainsi Hérodes fut coupable en consentant à la mort de Jean, pour ne pas manquer à la promesse qu'il avait faite.

3. Il faut répondre au troisième, que dans le serment que l'on fait par contrainte, il y a deux sortes d'obligation. L'une par laquelle on s'engage envers celui auquel on fait une promesse. Cette obligation est détruite par la contrainte, parce que celui qui fait violence à un autre, mérite qu'on ne tienne pas ce qu'on lui a promis. L'autre est celle par laquelle on est tenu envers Dieu de remplir ce qu'on a promis par son nom. Cette obligation n'est pas détruite au for de la conscience (I), parce qu'on doit supporter un dommage temporel plutôt que de violer un serment. Cependant on peut redemander en jugement ce qu'on a payé ou le dénoncer au prélat, quoiqu'on ait juré le contraire ; parce que ce serment aurait des suites funestes. Car il serait contraire à la justice publique. Les souverains pontifes délient de ces serments, non en déclarant qu'ils ne sont pas obligatoires, mais en annulant les obligations qu'ils imposent, comme provenant d'une cause injuste.

4. Il faut répondre au quatrième, que quand l'intention de celui qui jure et de celui à qui l'on jure n'est pas la même, si cette diversité provient de la fourberie de celui qui fait le serment, il le doit observer selon le vrai sens de celui auquel il l'a fait. C'est ce qui fait dire à saint Isidore (Lib. ii de sum. bono, cap. 31) : Quelque artificieuses que soient les paroles de celui qui jure, Dieu, qui est témoin de ce qui se passe dans la conscience, reçoit son serment, comme le comprend celui à qui il le fait. Et ce qui prouve évidemment que ce grand docteur parle en cet endroit du serment captieux, c'est qu'il ajoute : Il est doublement coupable celui qui prend le nom de Dieu en vain et qui prend le prochain dans ses filets. Si celui qui jure n'a pas recours à la ruse, il est obligé selon sa propre intention (2). D'où saint Grégoire dit (Mor. lib. xxvi, cap. 7) : Les hommes jugent de nos paroles d'après le sens qu'elles offrent extérieurement ; au lieu que Dieu entend ce qui se dit au dehors tel qu'il est au fond du coeur.

(3) Si quis se constrinxerit iuramento, non faciet irritum verbum suum, sed omne quod promisit, implebit (Nb 30,3).
(1) Ainsi celui qui aurait juré de donner mille francs à quelqu'un et qui se trouverait dans l'impossibilité de le faire, par suite de pertes imprévues, devrait lui remettre la somme dont il pourrait encore disposer. Ce que nous avons dit du voeu est applicable au serment (Voy. pag. 481).
(2) On a péché en faisant ce serment, on pécherait en l'exécutant, d'après cette règle de droit : Non est obligatorium juramentum contra bonos mores proestitum.
(3) Celui qui promet avec serment de faire une chose et qui n'a pas l'intention de tenir sa promesse fait un parjure. S'il doute qu'il puisse la tenir, il fait un péché mortel, parce qu'on ne peut jurer, comme le dit saint Thomas, qu'autant qu'on est certain.
(1) Ce sentiment de saint Thomas est celui de saint Alphonse de Liguori, qui le regarde comme beaucoup plus probable que le sentiment des théologiens qui pensent que cette promesse n'oblige point (Voy. Théol. moral, liv. III, n° 171).
(2) Le serment que l'on fait par suite d'une surprise ou par suite d'une erreur qui tombe sur la substance même Je la chose qu'on promet n'est pas obligatoire.




ARTICLE VIII. — L'obligation du serment est-elle supérieure à celle du voeu (3)?


Objections: 1. Il semble que le serment oblige plus que le voeu. Car le voeu est une simple promesse. Or, le serment ajoute le témoignage de Dieu à la promesse. Son obligation est donc supérieure à celle du voeu.

2. Le plus faible est ordinairement confirmé par le plus fort. Or, le voeu est quelquefois confirmé par le serment. Le serment est donc plus fort que le voeu.

3. L'obligation du voeu provient de la délibération de l'esprit, comme nous l'avons dit (quest. lxxxviii, art. 1), tandis que l'obligation du serment résulte de la vérité divine, dont on invoque le témoignage. Par conséquent, puisque la vérité de Dieu surpasse la délibération humaine, il semble que l'obligation du serment soit plus forte que celle du voeu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Par le voeu on est lié à Dieu ; au lieu que par le serment on est quelquefois lié à un homme. Or, l'homme est plus obligé envers Dieu qu'envers son semblable. L'obligation du voeu l'emporte donc sur celle du serment.

CONCLUSION. — Le voeu est de sa nature plus obligatoire que le serment.

Réponse Il faut répondre que ces deux obligations, celle du voeu et celle du serment, résultent de quelque chose de divin, mais l'une d'une manière et l'autre d'une autre. Car l'obligation du voeu est produite par la fidélité que nous devons à Dieu, d'après laquelle nous sommes tenus de remplir ce que nous lui avons promis ; au lieu que l'obligation du serment résulte du respect que nous lui devons, et d'après lequel nous devons faire ce que nous promettons en son nom. Or, toute infidélité renferme un défaut de respect, mais non réciproquement. Car l'infidélité du sujet envers le maître paraît être la plus grande irrévérence. C'est pourquoi le voeu est par sa nature plus obligatoire que le serment.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le voeu n'est pas une promesse quelconque, mais une promesse faite à Dieu, à laquelle il est très-grave d'être infidèle.

2. Il faut répondre au second, que le serment (1) ne s'ajoute pas au voeu comme quelque chose de plus fort, mais pour rendre la résolution plus stable en la fixant sur deux bases immobiles.

3. Il faut répondre au troisième, que la délibération affermit le voeu de la part de celui qui le fait, mais il est encore plus ferme de la part de Dieu à qui on l'offre.

(3) Il s'agit ici du serment promissoire; car s'il s'agissait du serment affirmatif, il l'emporterait sur le voeu, parce qu'il est plus injurieux de prendre Dieu à témoin pour une fausseté que de ne pas observer une promesse qu'on lui a faite.
(I) Il ne s'agit ici que du serment ayant pour objet une promesse faite à un homme ; car si le serment a pour but de confirmer une promesse faite à Dieu, il devient ce que les théologiens appellent votum juratum, et il l'emporte sur le voeu simple.



ARTICLE IX. — peut-on dispenser du serment (2)?


Objections: 1. Il semble qu'on ne puisse pas dispenser du serment. Car, comme la vérité est requise pour le jugement affirmatif qui a pour objet le passé ou le présent, de même elle est nécessaire pour le serment promissoire qui a pour objet l'avenir. Or, on ne peut pas dispenser quelqu'un de jurer selon la vérité à l'égard des choses présentes ou passées. On ne peut donc pas non plus dispenser quelqu'un de rendre vrai ce qu'il a promis de faire avec serment.

2. Le serment promissoire est employé dans l'intérêt de celui auquel on fait une promesse. Or, il semble que ce dernier ne puisse en dispenser, parce qu'il agirait contre le respect dû à Dieu. Un autre peut donc encore beaucoup moins le faire.

3. Tout évêque peut dispenser d'un voeu, à l'exception des voeux qui sont réservés au pape exclusivement, comme nous l'avons vu (quest. préc. art. 12 ad 3). Donc, pour la même raison, tout évêque pourrait dispenser du serment, si le serment était susceptible d'une dispense; ce qui paraît cependant contraire au droit (cap. Auctoritatem etseq. xv, q. vi et cap. Si vero, de Jurejurando). Il ne semble donc pas qu'on puisse dispenser du serment.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le voeu est plus obligatoire que le serment, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, on peut dispenser du voeu. On peut donc aussi dispenser du serment.

CONCLUSION. — Comme on peut dispenser du voeu par nécessité ou par convenance, de même on peut dispenser du serment.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest.préc. art. 10), il est nécessaire de dispenser d'une loi ou d'un voeu, parce que ce qui est utile et bon, considéré en soi ou d'une manière générale, peut être mauvais et nuisible dans une circonstance particulière, et par conséquent cesser d'être l'objet de la loi ou du voeu. Or, il ne peut se faire qu'on soit tenu par serment d'accomplir ce qui est mauvais ou nuisible; car, si une chose est mauvaise, elle répugne à la justice, et si elle est nuisible, elle répugne au jugement. C'est pourquoi on peut dispenser du serment aussi bien que du voeu et de la loi.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la dispense du serment ne va pas à ce que l'on fasse quelque chose qui soit contraire au serment lui- même. Car ceci est impossible, puisque l'observation du serment est de précepte divin et qu'on ne peut dispenser d'un pareil précepte. Mais la dispense du serment fait que ce qui en était la matière cesse de l'être, comme nous l'avons dit à l'égard du voeu (quest. préc. art. 10 ad 2). Or, la matière du jugement affirmatif qui a pour objet le passé ou le présent implique une sorte de nécessité qui la rend immuable. C'est pourquoi, à l'égard de ce serment, la dispense ne se rapporterait pas à la matière, mais à l'acte même du serment. Par conséquent cette dispense serait directement contraire au précepte divin. Au contraire, la matière du jugement promissoire est une chose future qui peut changer. Elle peut donc devenir, par suite des événements, illicite ou nuisible (1), et par conséquent cesser d'être la matière légitime du serment. C'est pourquoi on peut dispenser du serment promissoire, parce que cette dispense se rapporte à la matière du serment, et qu'elle n'est pas contraire au précepte divin qui nous oblige à l'observer.

2. Il faut répondre au second, qu'on peut faire à un autre une promesse sous serment de deux manières : 1° en lui promettant quelque chose qui lui est utile : par exemple, si on promet à quelqu'un avec serment de le servir ou de lui donner de l'argent (2). Celui à qui cette promesse a été faite peut en dégager son auteur. Car on s'est acquitté de sa promesse du moment que l'on a fait ce que désire celui envers lequel on s'était engagé. 2° En promettant à un autre ce qui appartient à l'honneur de Dieu ou à l'intérêt du prochain, comme si l'on promettait à quelqu'un avec serment d'entrer en religion ou de faire des oeuvres de piété. Dans ce cas, celui qui a reçu la promesse ne peut en dégager celui qui en est l'auteur; parce que ce n'est pas à lui principalement que la promesse a été faite, mais à Dieu, à moins qu'on y ait ajouté une condition de la nature de celle-ci : Si vous jugez que je doive accomplir cette promesse.

3. Il faut répondre au troisième, que quelquefois la matière du serment promissoire est manifestement contraire à la justice, soit parce que c'est un péché, comme quand quelqu'un jure de faire un homicide; soit parce que c'est un obstacle à un plus grand bien, comme quand on jure de ne pas entrer en religion. Ce serment n'a pas besoin de dispense (1). Dans le premier cas, on est tenu à ne pas observer son serment ; dans le second, il est permis de l'observer et de ne pas l'observer, comme nous l'avons dit (art. 7 huj. quaest. ad 2). D'autres fois on promet avec serment une chose, et l'on doute si ce serment est licite ou illicite, avantageux ou nuisible, absolument ou dans un cas particulier. Alors tout évêque peut en dispenser. Enfin, dans d'autres circonstances, on promet avec serment une chose qui est manifestement licite et utile. Il ne semble pas qu'il y ait lieu de dispenser de ce serment ou de le commuer, s'il ne se présente pas quelque chose de mieux à faire dans l'intérêt général, et c'est au souverain pontife qui est chargé du soin de l'Eglise universelle qu'il appartient de le déclarer. C'est aussi à lui à l'annuler absolument, puisqu'il lui appartient de juger en général tout ce qui se rapporte aux affaires ecclésiastiques, à l'égard desquelles il a la plénitude de la puissance (2), comme il appartient à chacun d'annuler le serment fait par ceux qui lui sont soumis, quand il porte sur des choses qui relèvent de son autorité. C'est ainsi que le père peut rendre nul le serment de sa fille, l'époux celui de son épouse, comme on le voit (Nb 30) et comme nous l'avons dit à l'égard du voeu (quest. préc. art. 8 et 9).

(2) L'Eglise peut dispenser du serment promissoire ou le commuer, et ce pouvoir est fondé sur ces paroles de Jésus-Christ : Quoecumque solveritis super terram erunt soluta et in caelo.
(1) Dans ce cas, la promesse cesse d'être obligatoire.
(2) Quand une promesse a été faite licitement à un tiers, il n'y a que lui qui puisse en dégager l'auteur ; ni l'évêque, ni le pape ne peuvent en dispenser.
(1) Il est nul par le fait.
(2) Le pape seul peut dispenser des serments qui ont le même objet que les voeux qui lui sont réservés. Le serment de garder les statuts émanés du Saint-Siège lui est aussi réservé (Mgr Gousset, Thèol, moral, tom. 1P 207).




II-II (Drioux 1852) Qu.89 a.3