II-II (Drioux 1852) Qu.95 a.7

question XCVI.

DES OBSERVANCES SUPERSTITIEUSES.


Nous avons ensuite à nous occuper des observances superstitieuses. A cet égard quatre questions se présentent : 1° Des observances que l'art notoire indique pour acquérir la science. — T Des observances qui ont pour but d'agir sur le corps. — 3° Des observances qui ont pour objet de conjecturer sur le bonheur ou le malheur. — 4° De la pratique qui consiste à porter a sou cou quelques paroles des saintes Ecritures.

ARTICLE I. — est-il défendu d'avoir recours aux observances de l'art notoire (2)?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas défendu de se servir des observances de l'art notoire. Car on dit qu'une chose est illicite de deux manières : 1° parce qu'elle est mauvaise en elle-même, comme l'homicide ou le vol \ 2° parce qu'elle se rapporte à une fin mauvaise, comme quand on fait l'aumône par vaine gloire. Or, les observances que l'art notoire prescrit ne sont pas mau­vaises en elles ; car ce sont des jeûnes et des prières. Elles se rapportent à une bonne fin, puisqu'elles ont pour but d'acquérir la science. Il n'est donc pas défendu de se servir de ces observances.

2. Nous lisons dans le prophète Daniel (Dan. i, -17) : Dieu a donné aux enfants qui jeûnent la science et la connaissance de tous les livres et de toute sagesse. Or, les observances de l'art notoire ne se rapportent qu'à des jeû­nes et à des abstinences. Il semble donc que ce soit par l'ordre de Dieu que cet art produise son effet, par conséquent il n'est pas défendu d'en user.

3. C'est un désordre d'interroger les démons sur les choses futures, parce qu'ils ne les connaissent pas ; cette connaissance étant, comme nous l'avons dit (quest. xcv, art. 1), le propre de Dieu. Mais les démons savent les sciences, parce que les sciences ont pour objet ce qui est nécessaire et ce qui existe toujours. Ces vérités sont du domaine de la connaissance hu­maine et à plus forte raison par conséquent du ressort de l'intelligence des démons, puisque, d'après saint Augustin (Lib. de divinat. daem. cap. 3 et4, et lib. ii Sup. Gen. ad litt. cap. 17), ils sont beaucoup plus pénétrants que nous. Il ne semble donc pas que ce soit un péché d'user de l'art notoire, même quand il devrait son effet à l'action des démons.

En sens contraire Mais c'est le contraire. 11 est écrit (Deut. xviii, 10) : Qu'il n'y ait personne parmi vous qui interroge les moris pour apprendre d'eux la vérité; parce que ces sortes de recherches reposent sur l'aide des démons. Or, par les obser­vances de l'art notoire on cherche à connaître la vérité en vertu des pactes que l'on a conclus avec eux. Il p'est donc pas permis de faire usage de cet art.

(1) Le combat judiciaire était un reslt* "es an­ciens usages des barbares. II est eneoi'e rosté dans nos moeurs sous la forme du duel
tous les anathèmrs de l'Eglise et les réclamalioils de la saine raison.
(2) L'art notoire est un moyen d'appro,uil'c toutes les sciences sans travail, par l'inspcc lon certaines figures ou en prononçant cerlaines pa­roles. Les auteurs de cet art le font remonter à Sa'omon. Gilles Bourdin publia un livre sous le litre d'Art notoire, au xvi'- siècle. Ce livre fut eonilanmé par le pape saint Pie V. Erasme a fait un entretien intitulé Art notoria, où il se mo­que de cette superstition.

CONCLUSION. — H n'est permis en aucune manière de faire usage de l'art notoire, parce qu'il est faux et superstitieux.

Réponse Il faut répondre que l'art notoire est illicite et inefficace. Il est illicite, parce que pour arriver à la science il emploie des moyens qui par eux- mêmes sont impuissants à produire un pareil effet. Telles sont, par exem­ple, l'inspection de certaines figures, la prononciation de certains mots in­connus et d'autres choses semblables (1). C'est pourquoi cet art n'emploie point ce§ choses à titre de causes, mais à titre de signes ; cependant il ne les regarde pas comme des signes divinement institués, tels que le sont les signes sacramentels. D'où il résulte que ce sont des signes vides, qui se rapportent par conséquent à un pacte conventionnel qu'on a contracté avec le démon à cet effet. C'est pour ce motif que tout chrétien doit rejeter et fuir l'art notoire, comme tous les autres arts frivoles et supersti­tieux (2), selon l'expression de saint Augustin (De doct. christ. lib. 11, cap. 23). — De plus, cet art est inefficace. Car puisqu'on ne se propose pas dans cet art d'acquérir la science selon les procédés naturels à l'homme, c'est-à-dire par la réflexion ou l'étude, il s'ensuit qu'on attend cet effet de Dieu ou des démons. Or, il est certain qu'il y a des hommes qui ont reçu de Dieu la sa­gesse et la science d'une manière infuse, comme l'Ecriture le rapporte de Salomon (III. Reg. cap. m, et IL Par. cap. i). Noire-Seigneur a dit aussi à ses disciples (Luc. xxi, 15) : Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront résister, et qu'ils ne pourront contredire. Mais ce don n'est pas accordé à tous les chrétiens et il ne dépend pas non plus de certaines observances. L'Esprit-Saint le répartit comme il lui plaît, selon ces paroles de l'Apôtre (I. Cor. xii, 8) : L'un reçoit du Saint- Esprit le don de parler avec une haute sagesse, un autre reçoit le don de parler avec science. Et plus loin il ajoute : C'est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il le veut. Or, il n'appartient pas aux démons d'éclairer l'intellect, comme nous l'avons prouvé (part. I, quest. cix, art. 3), et comme on n'acquiert la science et la sagesse qu'autant que l'intellect est éclairé, il en résulte que personne n'a jamais été instruit par le moyen des démons. Aussi saint Augustin rap­porte (De civ. Dei, lib. x, cap. 9) que de l'aveu de Porphyre (3j lui-même, les consécrations théurgiques appelées Télètes ne contribuent en rien à la purification de l'âme intellectuelle, et qu'elles ne sauraient la préparer ni à la vision de son Dieu, ni à la contemplation de ce qui est vrai, comme tous les théorèmes des sciences. Cependant les démons pourraient, en par­lant aux hommes, exprimer quelques-unes des choses que les sciences enseignent ; mais ce n'est pas là ce qu'on se propose dans l'art notoire.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que c'est une bonne chose d'ac­quérir la science, mais qu'il n'est pas bien de l'acquérir d'une manière illé­gitime, et c'est précisément à cela que tend l'art notoire.

2. Il faut répondre au second, que les jeunes gens dont parle le prophète ne faisaient pas abstinence d'après les vaines observances de l'art notoire, mais c'était pour se conformer à la loi de Dieu qu'ils ne voulaient pas toucher aux viandes des gentils ; et c'est le mérite de leur obéissance qui leur a fait ob­

(it) D'après le P. Delrio, l'initiation était pré­cédée d'une confession générale, et il y avait des jeûnes et des prières particulières à observer (lib. iii Disquisit. magie, part. II, quest. iv, sect. 2).
(2) Cet art a été condamné par la Faculté de théologie de Paris en 1520. Le cardinal Cajétan dit qu'on ne peut pas s'y livrer sans péché mor­tel. Saint Antonin reproduit contre cet abus les mômes raisonnement que saint Thomas (Serm. part. ii, Tt 12, n" 10).
(5) On peut voir ce que dit Porphyre des es­prits malfaisants, dans son traité De l'absti­nence, liv. ii, trad. Burigny.
tenir de Dieu la science, selon ces paroles duPsalmiste (Ps. cxvm, 10) : J'aieu une intelligence supérieure à celle des vieillards, parce que f ai observé votre loi.

3. Il faut répondre au troisième, que c'est une faute de chercher à connaître l'avenir au moyen des démons, non-seulement parce qu'ils ne le connais­sent pas, mais encore parce que dans cette circonstance on s'associe en quelque sorte avec eux.


ARTICLE II. — LES OBSERVANCES QUI ONT POUR OBJET D'AGIR SUR LE CORPS, EN LUI RENDANT, PAR EXEMPLE, LA SANTÉ OU EN PRODUISANT D'AUTRES EFFETS SEMBLABLES, SONT-ELLES ILLICITES (1)?


Objections: 1. Il semble que les observances qui ont pour objet d'affecter le corps sous le rapport de la santé ou de toute autre manière, ne soient pas illicites. Car il est permis d'user des forces naturelles des corps, pour leur faire produire les effets qui leur sont propres. Or, les choses naturelles ont des vertus occultes dont l'homme ne peut pas assigner la raison. C'est ainsi que l'ai­mant attire le fer, et saint Augustin énumère une foule d'autres phénomè­nes semblables (De civ. Dei, lib. xxi, cap. 5 et 7). Il semble donc qu'il ne soit pas défendu d'user de ces choses pour agir sur les corps.

2. Comme les corps naturels sont soumis aux corps célestes, de môme aussi les corps artificiels. Or,les corps naturels reçoivent, chacun selon leur espèce, des vertus occultes qui résultent de l'action des corps célestes sur eux. Donc les corps artificiels, comme les images, reçoivent aussi de ces mômes corps une vertu occulte qui les rend aptes à produire certains effets. Par conséquent il n'est pas défendu de faire usage de ces images et d'autres choses semblables.

3. Les démons peuvent transformer les corps d'une foule de manières, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. m, cap. 8 et 9). Or, leur puis­sance vient de Dieu. Il est donc permis d'en faire usage pour produire quelques modifications semblables.

En sens contraire Mais c'est le contraire. D'après saint Augustin (De doct. christ, lib. n, cap. 20), tout ce qui entre dans l'art de la magie, les ligatures, les remèdes que la science de la médecine condamne, qu'il s'agisse d'enchantements ou de je ne sais quelles marques qu'on appelle des caractères, ou de choses que l'on doit suspendre; toutes ces pratiques sont autant de superstitions.

CONCLUSION. — Les observances qui ont pour objet de faire produire à certaines causes les effets qui leur sont propres ne sont pas illicites, mais elles sont vaines si ces causes n'ont pas la vertu de produire les effets qu'on en attend.

Réponse Il faut répondre qu'à l'égard des choses que l'on fait pour produire quel­ques effets particuliers, il faut examiner si ces choses semblent pouvoir naturellement produire de pareils effets; dans ce cas elles ne seraient pas illicites. Car il est permis d'employer les causes naturelles pour en obtenir les effets qui leur sont propres. Mais si elles ne semblent pas naturellement capables de produire ces effets, il en résulte qu'on ne les emploie pas pour produire ces effets àtitre de causes, mais seulement comme signes. Alorselles rentrent dans les pactes conventionnels formés avec le démon. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, lib. xxi, cap. 6) : Quand les démons s'in­sinuent dans les créatures qui ne sont pas leur ouvrage, mais l'ouvrage de

(2) Pour se faire une idée de la variété de ces observances superstitieuses, on peut lire ce qu'en dit Thiers dans son Traité des superstitions, liv. V et vi.
(I) L'observance de la santé est définie par Bonacina (tome n Tract, de legib. in part. disp. V, quest. ni, punct. 4, Nb 5) : Superstitio quâ adhibentur aliqua inania et inutilia ad sanandos morbos hominum vel animalium.
Dieu,® ils sont attirés par des charmes qui varient suivant la diversité de leur génie. Ils ne sont pas flattés comme les animaux par les aliments, mais comme intelligences, ils se laissent séduire par des signes confor­mes à la fantaisie de chacun, au moyen des différentes espèces de pierres, d'herbes, de bois, d'animaux, d'enchantements et de rites divers (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que si l'on emploie des causes naturelles pour leur faire produire les effets que naturellement on doit en attendre, il n'y a là ni superstition, ni péché. Mais si on ajoute des caractères, des noms ou d'autres vaines observances qui manifestement par leur na­ture ne peuvent avoir aucune efficacité, c'est alors une chose superstitieuse et défendue (1).

2. Il faut répondre au second, que les vertus naturelles des corps sont une conséquence de leurs formes substantielles qu'ils doivent à l'action des corps célestes ; c'est ce qui fait que par suite de l'action de ces mêmes corps ils sont doués de certaines vertus actives. Mais les formes des corps artificiels proviennent de la conception de l'artisan, et comme, suivant la remarque d'Aristote (Pkys. lib. i, text. 46), elles ne sont rien autre chose que la composition, l'ordre et la figure, elles ne peuvent avoir naturelle­ment aucune puissance pour agir. De là il arrive que les corps célestes n'ont point d'action sur ces objets artificiels, considérés comme tels, mais seule­ment sur la matière naturelle dont ils peuvent être formés. Il est donc faux de prétendre avec Porphyre, dont saint Augustin rapporte l'opinion (De civ. Dei, lib. x, cap. 41), qu'au moyen d'herbes, de pierres, d'animaux, de sons, de voix, de figures imaginaires, ou de figures empruntées au mouve­ment des astres dans leur révolution céleste, les hommes puissent former sur la terre des puissances capables de produire divers effets, comme si ces effets des arts magiques provenaient de la vertu des corps célestes. Mais tout cela, comme le dit l'illustre docteur, n'est que l'oeuvre des démons qui se jouent des âmes qui leur sont asservies. Ainsi les images qu'on appelle astronomiques produisent donc leur effet d'après l'opération même du démon (2). Ce qui le prouve, c'est qu'on est obligé d'y inscrire des caractères qui n'ont naturellement par eux-mêmes aucune vertu. Car une figure n'est pas naturellement un principe d'action. Toutefois les images astronomiques diffèrent de celles des nécromanciens en ce que dans ces dernières il y a des invocations expresses et des prestiges. Par conséquent elles se rapportent aux pactes exprès que l'on forme avec les démons, tandis que dans les autres images il n'y a que des pactes tacites signifiés par des figures ou des caractères.

3. Il faut répondre au troisième, que le souverain domaine de Dieu s'éten- dant aux démons comme aux autres créatures, Dieu peut se servir d'eux selon les fins qu'il lui plaît; mais il n'a pas été donné à l'homme sur les démons une pareille puissance, pour qu'il lui soit ainsi permis d'en user comme bon lui semble; au contraire, il doit toujours leur faire la guerre. Par conséquent il ne lui est permis en aucune manière de se servir de leur secours, par un pacte tacite ou par un pacte exprès.

(1) Le cardinal Tolet dit que le péché n'est que vemel, quand on use de ces observances par igno­rance , mais qu'il est mortel pour ceux qui invo­quent par là le démon sciemment et avec con­naissance (Instructiones sacerdotales, lib. iv, cap.-16, n° I).
(2) Ces observances furent condamnées en gé­néral par les statuts synodaux de Paris en -1515, par le premier concile de Milan en 1565, par Io concile provincial de Toulouse en -1590, et par les constitutions synodales de saint François de Sa­les. Et il y a une multitude d'anathèmes contre chacune d'elles en particulier.


ARTICLE III. — les observances «01 ont pour but de connaitre a l'avance notre bonne ou notre mauvaise fortune sont-elles illicites (1) ?


Objections: 1. Il semble que les observances qui ont pour objet de connaître le bien ou le mal qui doit arriver ne soient pas illicites. Car parmi les malheurs des hommes on comprend les infirmités. Or, dans les hommes les infirmités sont précédées de signes que les médecins observent. 11 ne semble donc pas défendu d'observer ces signes.

2. Il est déraisonnable de nier ce que presque tous éprouvent générale­ment. Or, presque tous remarquent que les temps, les lieux ouïes paroles qu'on a entendues, la rencontre des hommes ou des animaux, les actes déréglés ou désordonnés, sont de bons ou de mauvais présages. 11 ne semble donc pas défendu d'observer ces choses.

3. Les actes des hommes et les événements sont réglés par la divine providence selon un certain ordre qui veut que ce qui précède soit le signe de ce qui va suivre. D'où il résulte que ce qui est arrivé à nos pères est un signe de ce qui doit s'accomplir parmi nous, comme le dit l'apôtre saint Paul (I. Cor. x). Or, il n'est pas défendu d'observer l'ordre que la providence di­vine a établi. Il ne sembledoncpas non plus illicite d'observer ces présages.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De doct. christ, lib. ii, cap. 20) : qu'il faut rapporter aux pactes conclus avec les démons ces milliers d'observances frivoles, qui consistent à examiner si un membre vient à palpiter ; si, pendant que deux amis se promènent en se tenant sous le bras, une pierre, un chien ou un enfant se trouvent entre eux; à marcher sur le seuil quand on passe devant sa maison ; à retourner dans son lit si on a éternué en se chaussant; à rentrer chez soi si l'on fait un faux pas en mar­chant; enfin à redouter le mal futur plus qu'on ne déplore la perte présente, quand un habit est mangé par les souris.

CONCLUSION. — Les observances dont les hommes font usage pour connaître les événements futurs bons oumauvais, sont superstitieuses et illicites, parce qu'ils s'en servent, non à titre de causes, mais à titre de signes, et qu'il n'y a aucune autorité di­vine qui les ait introduites.

Réponse Il faut répondre que les hommes considèrent ces observances non comme les causes, mais comme les signes des événements futurs bons oumauvais. On ne les regarde pas comme des signes venant de Dieu, puisqu'elles n'ont pas été établies par une autorité divine, mais elles proviennent plutôt de la va­nité humaine aidée de la perversité des démons qui s'efforcent d'impliquer l'esprit des hommes dans toutes ces frivolités. C'est pourquoi il est manifeste que toutes ces observances sont superstitieuses et illicites. Elles semblent des restes de l'idolâtrie qui faisait observer les augures, les jours fastes et néfastes; ce qui revient ala divination qui se fait par les astres qui diversi­fient les jours. On voit donc que toutes ces observances sont sans raison et sans art, et que par conséquent elles n'en sont que plus vaines et plus superstitieuses.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que les causes de nos infirmités existent préalablement en nous, que c'est d'elles que procèdent les signes des maladies que nous devons avoir, et que les médecins observent avec raison. Par conséquent, quand on prévoit l'avenir en considérant les événements dans leur cause, il n'y a là rien de défendu. Ainsi un serviteur quand il voit son maître en colère peut craindre les coups. On pourrait en dire autant de l'inconvénient qu'il y aurait pour un enfant à subir le regard de quelqu'un qui le fascinerait, comme nous l'avons dit (part. I, quest. gxvii, art. 3 ad 2). Mais ceci ne fait plus partie des obser­vances dont il est ici question.

2. Il faut répondre au second, que ce que les hommes ont trouvé de vrai dans ces observances a été primitivement l'effet du hasard ; mais une fois qu'ils ont commencé à s'attacher à ces sortes de choses, une foule d'événe­ments sont arrivés conformément à ces observances par l'artifice des dé­mons, afin de piquer la curiosité de ceux qui s'y arrêtent et de les embar­rasser de plus en plus dans les filets de cette erreur pernicieuse (1). C'est l'observation de saint Augustin (De doct. christ, lib. ii, cap. 23).

3. Il faut répondre au troisième, que chez le peuple juif, dont le Christ devait naître, non-seulement les paroles, mais encore les faits étaient prophétiques, comme le dit saint Augustin (Lib. cont. Faust. lib. iv, cap. 2; lib. xxii, cap. 24). C'est pourquoi il est permis de faire servir ces faits à notre instruction, comme des signes que Dieu lui-même nous a donnés. Mais tout ce qui se fait par l'ordre de la Providence n'a pas été ainsi établi pour signifier l'a­venir; par conséquent le raisonnement n'est pas concluant.



ARTICLE IV. — est-il défendu de suspendre a son cou des paroles des saintes écritures (2) ?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas défendu de suspendre à son cou les paroles divines. Car ces paroles n'ont pas moins d'efficacité quand elles sont écrites que quand elles sont prononcées. Or, il est permis de dire certaines paroles de l'Ecriture pour obtenir certains effets, comme la guérison d'un malade. Ainsi on peut dire un Pater ou un Ave, ou invoquer de quelque manière le nom du Seigneur, suivant ces paroles de l'Evangile (Mare. cap. ult. 17) : Ils chasseront les démons en mon nom, parleront des langues nouvelles, prendront les serpents, etc. Il semble donc qu'il soit permis de porter à son cou quelques paroles de l'Ecriture, pour se guérir d'une infirmité ou se pro­curer quelque autre avantage.

2. Les paroles sacrées n'agissent pas moins sur les corps des hommes que sur ceux des serpents et des autres animaux. Or, les enchantements ont la vertu de charmer les serpents et de guérir d'autres animaux. D'où il est dit dans le Psalmiste (Ps. lvii, 5) : Que le serpent et l'aspic se rendent sourds, ou se bouchent les oreilles pour ne pas entendre la voix de l'enchan­teur et du magicien qui use d'adresse pour l'enchanter. Il n'est donc pas défendu de porter à son cou des paroles de l'Ecriture comme remède.

3. La parole de Dieu n'est pas moins sainte que les reliques des saints. Car saint Augustin dit (lib. l, hom. 26) que le verbe de Dieu n'est pas moins que le corps du Christ. Or, il est permis de suspendre à son cou les reliques des saints, ou de les porter de toute autre manière pour sa protection. Donc pour le même motif il est permis à l'homme de prendre les paroles des saintes Ecritures et de les porter pour s'en faire une sauvegarde.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Chrysostome dit (Hom. xliii sup. Matth, in op. imp.) : « Il y en a qui portent écrite autour de leur cou une partie de l'Evangile. Mais ne lit-on pas tous les jours l'Evangile dans l'église, et tout

(1) 11 importe beaucoup d'éclairer suffisamment les fideles à ce sujet, afin qu'ils ne tombent sous ce rapport dans aucune faute. Car il n'y arien de plus contagieux que la superstition et rien de plus funeste. C'est ce qui ruine la foi véritable.
(2) Cette observance est désignée par les théo­logiens sous le nom d'observance des choses sa­crées: observantia s acrorum. Polman la définit: Adhibitio rei sacrae ad consequendum effec­tum, cujus producendi non habet efficaciam naturalem, divinam aut ecclesiasticam[TheO' log. p. 2» 2-, n'981).

le monde ne l'entend-il pas? Si donc celui à qui on lit l'Evangile tous les jours n'en profite pas, comment pourra-t-il se sauver en le portant suspendu à son cou ? De plus, en quoi consiste la vertu de l'Evangile ? Est-ce dans les figures des lettres ou dans l'intelligence du sens qu'il renferme ? Si c'est dans les figures, vous avez raison de le mettre autour de votre cou ; mais si c'est dans l'intelligence du texte, vous ferez mieux de le placer dans votre coeur que de le porter ainsi suspendu (4). »

CONCLUSION. — Il n'est pas absolument défendu de suspendre à son cou des paroles divines, si elles ne renferment rien de faux ou de douteux, bien qu'il soit mieux de ne le pas faire.

Réponse Il faut répondre que dans tous les enchantements et dans toutes les écri­tures qu'on porte sur soi, il faut bien prendre garde à deux choses : 1° à ce que l'on prononce ou à ce qui est écrit, parce que s'ily a là quelque chose qui se rapporte à l'invocation des démons, c'est évidemment superstitieux et illicite. De même il faut observer s'il y a des noms inconnus (2), de peur qu'il ne se glisse sous ces noms quelque chose d'illicite. Ainsi saint Chrysostome dit ( loc. cit. ), qu'à l'exemple des pharisiens qui se glo­rifiaient de leurs vêtements, un très-grand nombre imaginent en hébreu des noms d'anges, qu'ils les écrivent et les attachent à leur cou, et qu'on doit se défier de ces mots qu'on ne comprend pas. Il faut aussi avoir soin que ces paroles ne contiennent pas de fausseté (3); car leur effet ne pourrait venir de Dieu, qui ne saurait attester ce qui n'est pas vrai. 2° Il faut prendre garde qu'on n'ajoute aux paroles sacrées aucune inutilité, comme des carac­tères (4) autres que le signe de la croix, ou bien qu'on ne mette sa con­fiance dans la manière d'écrire ou d'attacher ces paroles, ou dans toute autre futilité semblable qui n'appartienne pas au respect dû à Dieu, parce qu'il y aurait en cela de la superstition. Aussi le droit canon porte-t-il (.Decret. xxvi, q. 5, cap. Non liceat) : Qu'il n'est permis à aucun chrétien de pratiquer, à l'égard des collections d'herbes médicinales, d'autres observan­ces ou d'autres enchantements que le Symbole ou l'Oraison dominicale, afin de n'adorer et de n'honorer que Dieu, le créateur de toutes choses.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quand on prononce des paroles divines ou qu'on invoque le nom de la Divinité, si on se propose uniquement d'honorer Dieu et qu'on attende de lui l'effet des paroles qu'on prononce, il n'y a pas de mal. Mais si ce que l'on dit se rapporte à quelque vaine obser­vance, c'est alors un péché.

2. Il faut répondre au second, que dans l'enchantement des serpents ou des autres animaux, si on ne fait attention qu'aux paroles sacrées et à la puissance divine, il n'y a rien d'illicite ; mais le plus souvent ces enchantements proviennent d'observances illicites et tirent leur effet de l'ac­tion des démons, surtout à l'égard des serpents, parce que le serpent a été le premier instrument dont le démon s'est servi pour tromper l'homme. D'où il est dit dans la glose (ord. August.) : Il est à remarquer que l'Ecriture ne loue pas toutes les actions dont elle tire ses comparaisons, comme on le voit évidemment par le juge inique qui a écouté à peine la veuve qui le priait.

(t) Ces homélies ne sont pas véritablement de saint Chrysostome. Voyez à cet égard Bellarmin [Lib. de scriptor. ecclesiali, in sancto ChrySOSt.).
(2) On les accompagnait ordinairement de noms tels que ceux-ci : Authos, Anostro, JSoxxo, Bay, Gloy, Apen. (o) Dans les enchantements qu'elles prati­quaient , certaines sorcières avançaient des faits tout à fait faux, comme la formule qui commence par ces mots : Beata virgo Jordanem transi­vit, et tunc sanctus Stephanus ei obviavit et eam interrogavit, etc.
(4) Tels que les caractères magiques auxquels on attribuait toute espèce de vertu.

3. Il faut répondre au troisième, qu'on peut raisonner de môme à l'égard des reliques qu'on porte sur soi. Si on les porte à cause de la confiance qu'on a en Dieu et dans les saints qu'elles rappellent, il n'y a pas de péché. Mais si on attachait de l'importance à des choses frivoles, par exemple, si on y croyait parce qu'elles sont renfermées dans un vase triangulaire, ou pour tout autre motif, qui n'appartiendrait nullement à la gloire de Dieu et des saints, ce serait une chose superstitieuse et défendue.

4. Il faut répondre au quatrième, que saint Chrysostome parle à ceux qui faisaient plus attention aux figures écrites qu'à l'intelligence des paroles.




QUESTION XCVII.

DE LA TENTATION DE DIEU.

#1940

Nous avons ensuite à nous occuper des vices opposés à la vertu de religion par défaut. Comme ils lui sont manifestement contraires, ils sont compris sous le nom général d'irréligion ou d'impiété. Tels sont tous les vices qui se rapportent au mépris de Dieu et des choses saintes. Nous devons considérer en premier lieu les vices qui regar­dent directement l'irrévérence envers Dieu, et nous traiterons en second lieu de ceux qui concernent l'irrévérence envers les choses saintes. — Touchant le premier point nous avons à examiner deux choses, d'abord la tentation par laquelle on tente Dieu ; ensuite le parjure par lequel on se sert de son nom sans respect pour lui. — A l'égard de la tentation quatre questions se présentent : 1" En quoi consiste la tentation de Dieu? — 2° Est-ce un péché? — 3° A quelle vertu est-elle opposée? — 4° De la compa­raison qu'on peut établir entre elle et les autres vices.

ARTICLE I. — la tentation de dieu consiste-t-elle en certaines actions dans lesquelles on n'attend que l'effet de la puissance divine (1) ?


Objections: 1. Il semble que la tentation de Dieu ne consiste pas en des événements dans lesquels on n'attend que l'effet de la puissance divine. Car comme Dieu est tenté par l'homme, de môme l'homme l'est aussi par Dieu, par ses semblables et par le démon. Or, toutes les fois qu'on tente l'homme, on n'attend pas un effet de sa puissance. En tentant Dieu, on n'attend donc pas non plus un effet exclusif de sa puissance.

2. Tous ceux qui, par l'invocation du nom de Dieu, opèrent des miracles, attendent un effet de sa seule puissance. Si donc la tentation de Dieu consistait dans ces sortes d'action, tous ceux qui font des miracles tenteraient Dieu.

3. Il est de la perfection de l'homme que mettant de côté tout secours humain, il ne mette son espérance qu'en Dieu. D'où saint Ambroise dit, à propos de ces paroles de saint Luc (Luc. ix) : Nihil tuleritis in via, etc.,que l'Evangile nous apprend par là ce que doit être celui qui évangélise le royaume de Dieu, c'est-à-dire qu'il ne doit point rechercher les secours du siècle, mais qu'attaché tout entier à la foi, il doit penser que moins il re­cherchera ces secours et plus il se suffira à lui-même. Et sainte Agathe disait : Je n'ai jamais employé pour mon corps aucune médecine matérielle, mais j'ai Notre-Seigneur Jésus-Christ qui par sa seule parole répare tout le mal que vous me faites. Or, la tentation de Dieu ne consiste pas en ce qui fait la perfection de l'homme. Elle ne consiste donc pas dans des actes sem­blables, où l'on attend tout exclusivement du secours de Dieu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. cont. Faustum, lib. xxii, cap. 36) : Que le Christ en enseignant publiquement et en combattant ses ennemis, sans permettre à leur fureur d'avoir aucune prise sur lui, mon­trait par là la puissance de Dieu ; et qu'en fuyant et en se cachant, il appre-

(1) Tenter Dieu c'est faire une chose pour éprouver sa puissance, sa bonté, sa sagesse ou ses autres attributs.
nait à la faiblesse humaine à n'avoir pas la témérité de tenter Dieu, quand elle a ce qu'il faut pour échapper aux périls contre lesquels elle doit se précautionner. D'où il paraît que la tentation de Dieu consiste en ce que l'homme omet de faire ce qui pourrait le sortir du danger, parce qu'il ne compte que sur le secours d'en haut.

CONCLUSION. — Tenter Dieu, c'est essayer si Dieu sait, s'il veut ou s'il peut une chose qu'on lui demande, et on dit qu'une personne tente Dieu interprétalivement, quand elle s'expose sans nécessité à un danger, dans le désir de savoir si Dieu la dé­livrera.

Réponse Il faut répondre que tenter c'est, à proprement parler, éprouver celui que l'on tente. Or, on éprouve quelqu'un par des paroles et par des actes. On l'éprouve par des paroles pour s'assurer s'il sait ce qu'on lui demande, s'il peut ou s'il veut l'accomplir. On l'éprouve par des actes, quand ce que nous faisons a pour objet de nous rendre compte de sa prudence, de sa volonté ou de sa puissance. Ces deux choses peuvent se faire de deux ma­nières : 4° ouvertement; comme quand on se donne pour tentateur. C'est ainsi que Samson proposa aux Philistins une énigme pour les tenter (Jud.xiv). 2° Insidieusement et d'une manière cachée. C'est de cette façon que les pharisiens tentèrent le Christ, comme nous le voyons dans l'Evangile (Matth, xxii). Quelquefois aussi la tentation est expresse; par exemple, quand par une parole ou une action, on a l'intention d'éprouver quelqu'un; d'autres fois elle est interprétative, quand, sans avoir l'inten­tion directe de soumettre quelqu'un à une épreuve, on fait ou l'on dit ce­pendant quelque chose qui ne paraît pas avoir d'autre but que cette épreuve même. Ainsi donc l'homme tente Dieu, tantôt par ses paroles, tantôt par ses actions.—En effet, par la parole nous nous entretenons avec Dieu dans la prière. Nous le tentons expressément par nos demandes, quand nous sollicitons de lui quelque chose dans le but d'éprouver sa science, sa puis­sance ou sa volonté. Nous le tentons expressément par nos actes, quand ce que nous faisons tend à mettre à l'épreuve sa puissance, sa piété ou sa science. De même il tente Dieu d'une façon en quelque sorte interpréta­tive, celui qui, sans avoir l'intention de l'éprouver, demande ou fait cependant quelque chose qui ne peut avoir d'autre utilité que de mettre à l'épreuve sa puissance, sa bonté ou sa connaissance. Ainsi, quand on fait courir un cheval pour échapper à l'ennemi, on n'a pas pour but d'éprouver le cheval ; mais si on le fait courir sans utilité, il semble alors qu'on ne se propose pas autre chose que de mettre à l'épreuve son agilité; et il en est de même de tout le reste. Par conséquent, quand par néces­sité ou pour un but utile quelconque on se repose sur le secours de Dieu dans ses prières ou ses actions, ce n'est pas le tenter; car il est dit (II. Parai, xx, 12) : Quand nous ignorons ce que nous devons faire, il ne nous reste qu'à tourner les yeux vers vous. Mais quand on le fait sans nécessité et sans utilité, c'est tenter Dieu interprétativement (1). Aussi à l'occasion de ces paroles (Dent, vi) : Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu, la glose dit (ordin.) : Qu'il tente Dieu celui qui s'expose sans raison au danger, pour voir si Dieu pourra le délivrer.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on tente quelquefois l'homme par des actions pour connaître s'il peut ou s'il sait certaines choses, s'il veut concourir ou s'opposer à certaines entreprises.

(D) Tel serait, par exemple, celui qui, sans utilité et sans nécessité, essayerait de marcher sur les eaui comme saint Pierre.

2. Il faut répondre au second, que les saints qui font des miracles par leurs prières sont portés par une raison de nécessité ou d'utilité à demander des effets de la puissance divine.

3. Il faut répondre au troisième, que ceux qui prêchent le royaume de Dieu négligent, pour un motif de nécessité et d'utilité, les secours temporels, afin de se livrer plus librement à leur ministère; c'est ce qui fait qu'ils ne tentent pas Dieu, tout en ne s'appuyant que sur lui. Mais s'ils dédaignaient, sans nécessité et sans utilité, les secours humains (1), ils tenteraient Dieu. D'où saint Augustin dit (Lib. cont. Faustum, lib. xxii, cap. 36) : Que Paul ne fuit pas parce qu'il manque de confiance en Dieu, mais pour ne pas le tenter, parce qu'il l'aurait tenté s'il n'eût pas voulu fuir lorsqu'il le pou­vait. Quant à sainte Agathe, elle avait reçu de la charité divine la faveur de ne pas souffrir les blessures pour lesquelles elle aurait eu besoin d'une médecine matérielle, ou de sentir immédiatement l'effet de leur guérison miraculeuse (2).

ARTICLE II. — est-ce un péciié de tenter dieu (3)?


II-II (Drioux 1852) Qu.95 a.7