II-II (Drioux 1852) Qu.97 a.2

ARTICLE II. — est-ce un péciié de tenter dieu (3)?


Objections: 1. Il semble que ce ne soit pas un péché de tenter Dieu. Car Dieu n'a pas ordonné ce qui est un péché. Or, il a commandé aux hommes de l'é­prouver, c'est-à-dire de le tenter. En effet, il est dit (Mal. iii, 10) : Apportez toutes mes dîmes dans mes greniers, et qu'il y ait dans ma maison de quoi nourrir mes ministres ; et après cela éprouvez ce que je ferai, dit le Sei­gneur; voyez si je ne vous ouvrirai pas toutes les sources du ciel. Il semble donc que ce ne soit pas un péché de tenter Dieu.

2. Comme on tente quelqu'un en mettant à l'épreuve sa science ou sa puissance, de même on le tente en éprouvant sa bonté et sa volonté. Or, il est permis de faire l'épreuve de la bonté ou de la volonté divine; car il est dit (Ps. xxxiii, 9) : Goûtez et voyez que le Seigneur est doux. Et l'Apôtre écrit (Rom. xii, 2) : Ne vous conformez point au siècle, afin que vous éprouviez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui est agréable à ses yeux et ce qui est parfait. Ce n'est donc pas un péché de tenter Dieu.

3. L'Ecriture ne blâme personne de quitter le péché, mais elle blâme plutôt celui qui le commet. Or, Achaz est blâmé parce qu'au Seigneur qui lui disait : Demande un signe du Seigneur ton Dieu, il a répondu : Je ne le demanderai pas, et je ne tenterai pas le Seigneur. Et il lui a été dit : Ne vous suffit-il pas de lasser la patience des hommes sans lasser encore celle de mon Dieu (Is. vii, 11-13)?La Genèse rapporte aussi qu'Abraham dit au Seigneur (Gen. xv, 8 ) : Comment puis-je savoir que je dois possé­der la terre qui m'a été promise? Gédéon demanda également à Dieu un signe au sujet de la victoire qu'il lui avait promise (Jud. vi), et aucun de ces justes de l'ancienne loi n'a été repris à cet égard. Ce n'est donc pas un péché de tenter Dieu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Tenter Dieu est une chose défendue par sa loi; car il est dit (Deut. vi, 16) : Fous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu.

CONCLUSION. — Tenter Dieu pour connaître la vertu qui est en lui, c'est un péché,

(t) On peut aussi dire qu'ils tentent Dieu, les prédicateurs qui annoncent la parole divine sans s'y être préparés à l'avance et qui complent sur l'inspiration de l'Esprit-Saint, comme s'ils v avaient des droits.
(2) C'est ce que cette sainte éprouvait elle- même, puisque nous voyons dans les actes de son martyre qu'elle disait : Habeo Dominum Jesum Christum., qui solo sermone restaurat uni­versa.
(5) La tentation de Dieu est un péclié mortel dans son genre, cependant elle peut n'être qu'un péché véniel, en raison de la légèreté de la ma­tière : comme quand on refuse de prendre des re­mèdes à l'occasion d'une indisposition légère, parce qu'on aime mieux attendre sa guérison do la Providence. puisque cette action procède de l'ignorance ou du doute ; mais il n'en est pas de même « l'on fait l'épreuve des attributs qui ont rapport à la perfection divine pour les ren­dre manifestes aux autres.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), tenter c'est faire une épreuve. On ne fait pas d'épreuve à l'égard des choses dont on est certain. C'est pourquoi toute tentation procède du doute ou de l'igno­rance, soit de la part du tentateur ( comme quand on éprouve une chose pour connaître sa qualité), soit de la part des autres (comme quand on fait une épreuve sur une chose pour montrer aux autres ce qu'elle est). C'est de cette manière qu'on dit que Dieu nous tente (1). Quand on ignore ce qui a rapport aux perfections de Dieu ou qu'on en doute, c'est un péché. Il est donc évident que tenter Dieu pour connaître la vertu qui est en lui, c'est une faute. Mais si on fait l'épreuve des attributs qui appartiennent à la perfec­tion divine, non pour les connaître, mais pour les démontrer aux autres, ce n'est pas tenter Dieu, puisque dans ce cas il y a une juste nécessité, une pieuse utilité et tous les autres motifs légitimes qui peuvent autoriser une pareille action. C'est ainsi que les apôtres ont demandé au Seigneur de faire des miracles au nom de Jésus-Christ (Act. iv) (2), afin de manifester sa vertu aux infidèles.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la loi ordonnait de payer les dîmes, comme nous l'avons dit (quest. lxxxvii, art. 4). Les dîmes étaient donc nécessaires, puisque la loi en faisait une obligation, et elles étaient utiles, puisqu'elles servaient à nourrir ceux qui étaient employés dans la maison du Seigneur; par conséquent, en les payant, on ne tentait pas Dieu. Quant à ce qu'ajoute le prophète : Eprouvez-moi (Probate me), il ne faut pas donner à ce mot une acception de causalité (causaliter), comme si l'on avait dû payer la dîme pour éprouver si Dieu ouvrirait les cata­ractes du ciel, mais il faut le prendre comme exprimant une conséquence ( consecutivè), ce qui signifie que quand les Juifs payaient la dîme, ils de­vaient ensuite éprouver les bienfaits dont Dieu les comblait.

2. Il faut répondre au second, qu'il y a deux sortes de connaissance de la bonté ou de la volonté divine : l'une spéculative ; par rapport à celle-là, il n'est pas permis d'avoir des doutes et d'éprouver si la volonté de Dieu est bonne, ou si Dieu est doux et miséricordieux; l'autre est effective ou expérimentale. Telle est celle qu'on acquiert quand on goûte en soi-même ce qu'il y a de douceur et de bonté dans la volonté divine. C'est ainsi que saint Denis dit de son maître Iliérothée (De div. nom. lib. ii), qu'il a appris les choses divines, en expérimentant leur suavité. En ce sens, c'est même un devoir pour nous de faire l'épreuve de la volonté divine, et de goûter ce qu'elle a de charme et de bonheur.

3. Il faut répondre au troisième, que Dieu voulait donner un signe à Achaz, non-seulement pour lui-même, mais encore pour l'instruction de tout le peuple ; c'est pourquoi il est blâmé de n'avoir pas voulu demander ce signe, parce qu'il s'est ainsi opposé au bien et au salut général. En le deman­dant il n'aurait pas tenté Dieu, soit parce qu'il ne l'aurait demandé que sur l'ordre de Dieu, soit parce que d'ailleurs il avait un but d'utilité commune. Abraham,en demandant un signe, n'a agi non plus que d'après les lumières

(D) C'est ainsi qu'on dit qu'il a tenté Abraham, .Iob, Tobie et d'autres saints, pour faire ressortir leur vertu avec plus d'éclat. (2) Ei nunc, Domine, respice in animas eo­rum, et da servis tuis cum omni fiducid loqui verbum tuum, in eo quod manum tuam exten­das ad sanitates et signa et prodigia fieri per nomen filii tui Jesu.

intérieures de Dieu, etc'estpour cette raison qu'il n'a pas péché. Gédéon paraît avoir désiré un signe, parce que sa foi avait défailli -, mais on ne l'excuse pas de péché (4), comme le dit la glose. De môme Zacharie a péché en disant à l'ange (Luc. i, 48) : D'où saurais-je cela ? C'est pourquoi il a été puni pour son incrédulité. Il est cependant bon d'observer qu'on demande à Dieu un signe pour deux raisons : la première, pour éprouver la puissance di­vine ou la vérité de sa parole, et c'est, à proprement parler, ce qui cons­titue la tentation de Dieu; la seconde, pour apprendre aux autres ce qui plaît à Dieu à l'égard d'un événement quelconque; alors on ne tente Dieu d'aucune manière.


ARTICLE III. — la tentation de dieu est-elle opposée a la vertu de religion (2)?


Objections: 1. Il semble que la tentation de Dieu ne soit pas opposée à la vertu de religion. Car la tentation de Dieu est un péché, parce que l'homme doute deDieu même, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, douter de Dieu se rapporte au péché d'infidélité, qui est opposé à la foi. La tentation de Dieu est donc plutôt opposée à la foi qu'à la religion.

2. Il est dit (Eccli. xviii, 23) : Avant la prière, préparez votre âme, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu. A l'occasion de ces paroles, la glose dit (interl.) : Que celui qui tente Dieu de la sorte demande ce que Dieu lui a enseigné, mais il ne fait pas ce qu'il lui a ordonné. Or, cette faute se rapporte à la présomption, qui est opposée à l'espérance. Il semble donc que la tentation de Dieu soit opposée à cette vertu.

3. Sur ces paroles du Psalmiste (Ps. lxxvii) : Ils ont tenté Dieu dans leurs coeurs, la glose dit (interl.) : que tenter Dieu c'est demander avec fourberie, de telle sorte que la simplicité soit dans les paroles, tandis que la malice est dans le coeur. Or, la fourberie est opposée à la vertu de la vérité. La tenta­tion deDieu n'est donc pas opposée à la religion, mais à la vérité.

En sens contraire Mais c'est le contraire. D'après le passage de la glose que nous avons cité (art. préc.), tenter Dieu, c'est lui adresser une demande qu'on ne doit pas lui adresser. Or, demander d'une manière illégitime, c'est faire un acte de religion, comme nous l'avons vu (quest. lxxxiii, art. 3). Tenter Dieu est donc un péché opposé à la religion.

CONCLUSION. — Tenter Dieu est un péché opposé à la vertu de religion, puisqu'il y a là une irrévérence envers Dieu.

Réponse Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxxxi, art. 4 et 4), la fin de la religion est de rendre à Dieu le respect qui lui est dû; par conséquent, tous les actes qui appartiennent directe­ment à l'irrévérence envers Dieu sont opposés à la religion. Or, il est évi­dent que tenter quelqu'un, c'est manquer de respect à son égard; car per­sonne n'a la présomption de tenter celui dont la supériorité ou l'excellence n'offre pas de doute à ses yeux. D'où il est manifeste que tenter Dieu est un péché opposé à la religion.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (quest. lxxxi, art. 7), c'est à la religion qu'il appartient de manifester la foi par des signes qui témoignent du respect que l'on a pour la Divinité. Pour la même raison, il appartient à l'irréligion de faire, par défaut de foi, des

(I) Saint Thomas condamne ici Gédéon d'après la glose, quoiqu'il l'excuse dans son opuscule (De sortibus, cap. v).
doute sur la présence, la bonté ou la puissance de Dieu. C'est ce qu'indiquent ces paroles de l'Ecri­ture (Ex. xvii, 7) : Tentaverunt Dominum di­centes : Est ne Dominus in nobis ? an non ?
(2) La tentation de Dieu est évidemment oppo­sée à la vertu de religion, puisqu'elle implique un
choses qui sont des irrévérences envers Dieu, et c'est en cela que consiste la tentation de Dieu, qui est, par conséquent, une espèce d'impiété.

2. Il faut répondre au second, que celui qui ne prépare pas son âme avant la prière, en oubliant ce qu'il peut avoir contre le prochain (i) ou en ne se disposant pas à faire cet acte avec dévotion, ne fait pas ce qui est en lui pour être exaucé; c'est pourquoi il tente Dieu interprétativement. Quoique cette tentation interprétative semble provenir de la présomption ou de l'indis­crétion, il y a néanmoins là un manque de respect envers Dieu de la part de celui qui agit ainsi présomptueusement et sans se conduire avec le soin qu'on doit apporter dans tout ce qui regarde son culte ; car il est écrit (I. Pet. v, 6) : Humiliez-vous sous la main puissante de Dieu. Et saint Paul dit (II. Tim. ii, is): Mettez-vous en état de paraître devant Dieu comme un ministre digne de son approbation. Cette tentation est donc une espèce d'impiété.

3. Il faut répondre au troisième, que par rapport à Dieu qui connaît les se­crets des coeurs, on ne dit pas qu'on lui adresse une demande trom­peuse; on ne le dit que par rapport aux hommes. Conséquemment le dol ne se rapporte que par accident à la tentation de Dieu, et c'est pour cette raison qu'il n'est pas nécessaire que la tentation de Dieu soit directement opposée à la vérité.


ARTICLE IV. — la tentation de dieu est-elle un péché plus grave que la superstition (2) ?

#1944

Objections: 1. Il semble que la tentation de Dieu soit un péché plus grave que la su­perstition. Car on inflige une peine plus grande pour un péché plus grave. Or, parmi les Juifs la tentation de Dieu est un péché qui a été puni plus sévèrement que le péché d'idolâtrie qui est cependant la plus grave de toutes les superstitions. Car pour le péché d'idolâtrie il y a eu environ vingt-trois mille hommes (3) qui ont été frappés de mort, d'après le récit de l'Exode (Ex. xxxii), tandis que pour le péché de tentation tous absolument sont morts dans le désert, sans entrer dans la terre promise, suivant ces paroles du Psalmiste ( Ps. xciv, 9) : Vos pères m'ont tenté, puis il ajoute: f ai juré dans ma colère qu'ils n'entreraient pas en possession de mon repos. La ten­tation de Dieu est donc un péché plus grave que la superstition.

2. Il semble que plus un péché est grave et plus il est opposé à la vertu. Or, l'irréligion dont la tentation de Dieu est une espèce est plus op­posée à la vertu de religion que la superstition qui a quelque ressem­blance avec la religion elle-même. La tentation de Dieu est donc un péché plus grave que la superstition.

3. Il semble que ce soit un plus grand péché de manquer de respect envers ses parents que de témoigner aux autres le respect qu'on ne doit qu'aux auteurs de ses jours. Or, nous devons honorer Dieu, comme le père de tout ce qui existe, suivant l'expression du prophète (Mal. i). La tentation de Dieu, qui est un manque de respect à son égard, paraît donc un péché plus grave que l'idolâtrie, qui consiste à rendre à la créature les hommages qu'on ne doit qu'à lui seul.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Sur ces paroles du Deutéronome : Cum reperti fuerint apud te, etc. (Deut. xvii), la glose dit (ordin.) : La loi déteste par-des-

(1) Cum stabitis ad orandum, dimittite si quid habetisadversiis aliquem...(Mare, il, 25).
(2) Cajétan fait remarquer que la tentation de Dieu n'est souvent qu'un péché véniel, à cause de l'imperfection de l'acte. C'est ainsi qu'il consi­dère la faute de Zacharie et aussi celle de Gédéon,si toutefois on ne veut pas l'excuser totalement.
(3) D'après le texte hébreu et les versions grecque, arabe, syriaque et chaldaïque, il n'y eut que trois mille hommes qui périrent. Philon est du même sentiment (Voyez les Lettres de quel­ques juifs, tome i).sus tout l'erreur et l'idolâtrie. Car le plus grand des crimes est de rendre à la créature l'honneur dû au Créateur.

CONCLUSION. — Le vice de la superstition est un péché plus grave que la tenta­tion de Dieu.

Réponse Il faut répondre que pour les péchés opposés à la vertu de religion, ils sont d'autant plus graves qu'ils sont plus contraires au respect dû à la Divinité. Or, quand on doute de l'excellence des perfections divines, on blesse moins le respect dû à la Divinité que quand on affirme avec certi­tude le contraire. Car, comme celui qui est fortement attaché à une erreur est plus infidèle que celui qui doute de la vérité de la foi, de môme celui qui affirme positivement une erreur contraire à l'excellence des perfections divines, manque de respect envers Dieu plus grièvement que celui qui émet un doute à ce sujet. Or, l'homme superstitieux affirme directement une erreur, comme nous l'avons prouvé (quest. xcn), tandis que celui qui tente Dieu par ses paroles ou par ses actes n'exprime qu'un doute à l'égard de l'excellence de la Divinité, comme nous l'avons dit (art. i et 2). La su­perstition est donc un péché plus grave que la tentation de Dieu.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la peine dont fut puni alors le péché d'idolâtrie n'était pas suffisante (l),et que plus tard il devait recevoir un châtiment plus grave. Car il est dit dans l'Exode (Ex. xxxii, 34) : Je vi­siterai leur péché au jour de la vengeance.

2. Il faut répondre au second, que la superstition a de la ressemblance avec la religion pour l'acte matériel qu'elle produit, mais relativement à sa fin elle lui est plus contraire que la tentation de Dieu, parce qu'elle est une irré­vérence plus grave envers la Divinité, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

3. Il faut répondre au troisième, qu'il est dans la nature de l'excellence de la Divinité d'être unique et incommunicable ; c'est pourquoi c'est manquer de respect envers Dieu que de rendre à un autre des honneurs divins. Mais il n'en est pas de même des honneurs que l'on rend à ses parents ; on peut les rendre à d'autres sans faire de péché.





QUESTION XCVIII.

DU PARJURE.


Après avoir traité de la tentation de Dieu, nous avons à nous occuper du parjure. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° La fausseté est-elle requise pour le parjure? — 2° Le parjure est-il toujours un péché? — 3° Est-ce toujours un péché mortel? — 4° Celui qui oblige un parjure à jurer pèche-t-il?


ARTICLE I. — la fausseté de la chose que l'on affirme par serment est­elle requise pour qu'll y ait parjure?


Objections: 1. Il semble que la fausseté de ce que l'on affirme par serment ne soit pas requise pour le parjure. Car, comme nous l'avons dit (quest. lxxxix, art. 3), si la vérité doit accompagner le serment, le jugement et la justice doivent l'accompagner aussi. Par conséquent, comme on fait un parjure en manquant à la vérité, de même on se parjure par défaut de jugement, comme quand on jure indiscrètement, et par défaut de justice, comme quand on fait serment pour une chose illicite.

2. Ce qui sert à confirmer une chose semble l'emporter sur la chose qu'il confirme ; comme dans un syllogisme les principes sont supérieurs à la conclusion. Or, dans le serment on se sert du nom de Dieu pour con-

(4) Les peines de cette vie ne sont pas l'unique sanction attachée à la loi de Dieu.

firmer la parole de l'homme. Par conséquent, quand quelqu'un jure par les faux dieux, il semble qu'il se parjure plutôt que quand il affirme par ser­ment une chose qui n'est pas vraie.

3 Dans son livre sur les paroles de l'apôtre saint Jacques, saint Au­gustin dit (Serrn. xxviii, cap. 2) que les hommes font de faux serments, quand ils trompent ou quand ils sont trompés. Et il en donne trois exemples : 1° Faites jurer, dit-il, quelqu'un qui pense que la chose qu'il jure est vraie tandis qu'elle est fausse ; 2° donnez-m'en un autre qui sache qu'elle est fausse et qui la jure comme si elle était vraie ; 3° supposez un troisième qui pense la chose fausse et qui la jure comme si elle était vraie, et qui l'est en réalité. Et il ajoute que ce dernier n'en est pas moins un parjure. La fausseté n'est donc pas requise pour le parjure.

En sens contraire Mais c'est le contraire. On définit le parjure un mensonge affirmé avec serment.

CONCLUSION. — La fausseté du serment est de l'essence du parjure.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xcn, art. 2, et V 2", quest. i, art. 3, et quest. xviii, art. C), les actes moraux tirent leur espèce de leur fin. Or, le serment a pour fin de confirmer la parole de l'homme, et la fausseté est opposée à ce but. Car on confirme ce que l'on dit en montrant que c'est une vérité inébranlable, ce que l'on ne peut faire à l'égard d'une chose fausse. Par conséquent la fausseté détruit directement la fin qu'on se propose en jurant. C'est pourquoi la fausseté est ce qui spécifie principalement l'espèce de serment et ce qui en fait un parjure. Elle est donc de l'essence du parjure.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. Hier, iv), toutes les fois que l'une de ces trois choses manque, il y a parjure, mais non au même titre : 1° et avant toutes choses il y a parjure quand la vérité fait défaut, pour le motif que nous avons donné (in cor p. art.) ; 2° il y a parjure quand il n'y a pas de justice ; car de quelque ma­nière qu'une personne fasse serment pour une chose illicite, il tombe par là même dans le faux, puisqu'il est obligé de faire le contraire de ce qu'il jure ; 3° enfin il y a parjure par défaut de jugement, parce qu'en jurant indiscrètement on s'expose par là même au danger de tomber dans une fausseté (1).

2. Il faut répondre au second, que dans un syllogisme les principes sont au premier rang parce qu'ils ont la nature du principe actif, comme le dit Aristote (Phys. lib. ii, text. 27). Mais dans les actes moraux la fin l'em­porte sur leur principe actif. C'est pourquoi, quoiqu'on fasse un serment condamnable quand on jure une vérité au nom des faux dieux, cependant ce serment, tout criminel qu'il est, ne mérite pas le nom de parjure, parce que le parjure suppose la fin du serment détruite par la fausseté de la chose qu'on a jurée.

3. Il faut répondre au troisième, que les actes moraux procèdent de la vo­lonté qui a pour objet le bien perçu. C'est pourquoi si on prend une chose fausse pour une chose vraie, ce sera par rapport à la volonté une chose qui sera fausse matériellement, mais vraie formeUement. Quand une chose est fausse et qu'on la connaît comme telle, il y a alors fausseté matérielle et formelle. Mais si l'on croit faux ce qui est vrai, l'idée que l'on a est vraie matériellement et fausse formellement. Dans chacune de ces hypothèses il v

(I) Dans le premier cas il y a parjure proprement dit 5 dans les deux autres, le parjure n'a lieu secondairement.

a une sorte de parjure (1), parce qu'il y a une sorte de fausseté.Mais comme dans tous nos actes le formel doit l'emporter sur le matériel, celui qui jure une chose fausse qu'il croit vraie n'est pas parjure de la même ma­nière que celui qui jure une chose vraie qu'il croit fausse (2). Car, comme le dit saint Augustin ( ibid. ) : Il importe beaucoup de savoir comment la parole est sortie de l'esprit; puisque la langue n'est coupable qu'autant que l'esprit l'est lui-même.



ARTICLE II. — Tout parjure est-il un péché (3)?


Objections: 1. Il semble que tout parjure ne soit pas un péché. Car quiconque n'accomplit pas ce qu'il a juré semble être un parjure. Or, toutes les fois qu'on jure que l'on fera quelque chose d'illicite, par exemple, un adultère ou un homicide, si on le fait, on pèche. Si en ne le faisant pas on se rendait coupable de parjure, il s'ensuivrait qu'on serait perplexe.

2. On ne pèche pas en faisant ce qu'il y a de mieux. Or, quelquefois en se parjurant on fait ce qu'il y a de mieux, comme quand on a juré qu'on n'entrerait pas en religion ou qu'on ne ferait pas quelque autre acte de vertu. Tout parjure n'est donc pas un péché.

3. Celui qui jure de faire la volonté d'un autre, s'il ne la fait pas, semble être un parjure. Or, il peut arriver qu'on ne pèche pas en manquant à cet engagement, comme quand on commande quelque chose de trop dur et de trop pénible. Il semble donc que tout parjure ne soit pas un péché.

4. Un serment promissoire regarde l'avenir, comme un serment affirmatif regarde le passé et le présent. Or, il peut arriver que l'obligation du serment soit détruite par ce qui survient ensuite. Ainsi une ville jure de conserver une chose, et il arrive ensuite dans cette ville de nouveaux citoyens qui ne l'ont pas juré ; ou bien un chanoine jure d'observer les statuts d'une église, et il arrive que postérieurement à son serment on en fait de nouveaux. Il semble qu'en ce cas celui qui transgresse son serment ne pèche pas.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Dans son livre sur les paroles de l'apôtre saint Jacques, saint Augustin, parlant du parjure (Serin, xxviii, cap. 2), s'écrie: Vous voyez combien on doit détester ce monstre et combien on doit faire d'efforts pour l'exterminer et le bannir des choses humaines.

CONCLUSION. — Tout parjure est un péché, puisqu'il est opposé à la vertu de religion.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxxix, art. 4), jurer c'est prendre Dieu à témoin. Or, c'est manquer de respect envers Dieu que de le prendre à témoin pour une chose fausse ; car c'est donner à entendre que Dieu ne connaît pas la vérité ou qu'il veut attester le mensonge. C'est pourquoi le parjure est un péché manifestement contraire à la vertu de religion, qui nous fait un devoir d'honorer Dieu.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que celui qui jure qu'il fera une chose illicite se parjure en faisant ce serment, parce qu'il manque de justice (4). Mais s'il ne fait pas ce qu'il a juré de faire, il ne se parjure plus par là, parce que ce qu'il a juré ne pouvait être la matière d'un serment.

2. Il faut répondre au second, que celui qui jure de ne pas entrer en reli-

(1) Il y a un parjure matériel ou formel.
(2) Le parjure est alors formel sans être matériel , tandis que dans l'hypothèse précédente il élait matériel sans être formel. Le parjure matériel n'est pas coupable, à moins qu'on n'ait omis les précautions sufiisantcs pour s'instruire.
(4) Par défaut de justice le parjure est tantôt véniel et tantôt mortel.
(3) Le parjure que l'on fait par défaut de vérité n admet pas de légèreté de matière. On pèche mortellement si l'on prend Dieu à témoin du plus léger mensonge. Innocent Xl a condamné la proposition suivante : Vocare Deum in testem mendacii levis, non est tanta irreverentia propter quam velit aut possit damnare hominem.
(I) Ces recherches sont quelquefois vaines et stériles; car les futurs libres ne peuvent être connuscn eux-mêmes que par Dieu (Voy. 1.1, p. iOI .
(I) Ces observances sont désignées en général sous le nom d'observances des événements. C'est un genre de superstition qui se trouve encore fréquemment parmi le peur legion, ou de ne pas donner l'aumône, ou toute autre chose semblable, fait en ce cas un parjure par défaut de jugement (1). C'est pourquoi quand il fait ce qu'il y a de mieux, son action n'est plus un parjure, mais elle lui est contraire, puisque l'acte opposé ne pouvait être la matière d'un serment.

3. Il faut répondre au troisième, que quand on jure ou que l'on promet de faire la volonté d'un autre on sous-entend toujours cette condition, c'est que la chose commandée soit licite, honnête, supportable ou qu'elle n'ait rien d'exagéré.

4. Il faut répondre au quatrième, que le serment étant un acte personnel, celui qui devient citoyen d'une ville n'est pas obligé par le serment à conserver ce que la ville a juré de conserver, mais il y est tenu par la fidélité qui l'oblige du moment où il participe aux biens de la cité à participer également aux charges. Quant au chanoine qui jure d'observer les statuts, promulgués dans un chapitre, il n'est pas tenu par son serment à observer les statuts qu'on peut faire ensuite; à moins qu'il n'ait eu l'intention de s'obliger pour tous les statuts faits ou à faire. Néanmoins il est tenu de les observer par la force même de ces statuts qui ont une puissance coactive, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (I-II, quest. xcvi, art. 4).


ARTICLE III. — tout parjure est-il un péché mortel (2)?



Objections: 1. Il semble que tout parjure ne soit pas un péché mortel. Car il est dit dans le droit (in Decret. part. II, tit. xxiv, cap. 15) : A l'égard de la question qu'on nous fait lorsqu'on nous demande si ceux qui font serment malgré eux, pour sauver leur vie et leurs biens, sont délivrés du lien qu'ils ont formé, nous répondons que nous n'avons pas d'autre sentiment que celui de nos prédécesseurs les souverains pontifes qui ont délié de leur serment ceux qui se sont trouvés dans ce cas. Au reste, pour agir avec plus de prudence et éloigner la matière du parjure, il ne faut pas leur dire expressément de ne pas tenir leur serment ; mais s'ils ne le tiennent pas, on ne doit pas les punir pour cela, comme pour un péché mortel. Tout parjure n'est donc pas un péché mortel.

2. Comme le dit saint Chrysostome (Alius auctor, hom. xciv in op. imper f.) : Jurer par Dieu c'est plus que de jurer par l'Evangile. Or, celui qui jure par Dieu pour une chose fausse ne pèche pas toujours mortellement; tel est, par exemple, celui qui en riant et sans y penser a l'habitude dans la conversation d'employer cette sorte de serment. Il n'y a donc pas non plus toujours péché mortel quand on manque à un serment que l'on a fait solennellement par l'Evangile.

3. D'après le droit pour un parjure on est réputé infâme, comme on le voit (VI. quest. i, cap. Infâmes). Or, il ne semble pas que pour tout parjure on encoure la note d'infamie. Ainsi le droit ne déclare pas infâme celui qui viole un serment affirmatif. Par conséquent tout parjure ne paraît pas être un péché mortel.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Tout péché qui est contraire au précepte divin est un péché mortel. Or, le parjure est contraire au précepte divin. Car il est dit (Lev. xix, 12) : Vous ne jurerez point faussement en mon nom. Il est donc un péché mortel.

CONCLUSION. — Le parjure impliquant par sa nature le mépris de Dieu est manifestement un péché mortel.

(2) Cet article est une réfutation de l'erreur des priscilliens, qui pensaient le parjure permis : Jura, perjura, secretum prodere noli.
(D) Par défaut de jugement, le serment est plus ou moins coupable en raison de la négligence plus ou moins grande que l'on a mise à s'enquérir de la vérité (Voyez tom. IV, pag. 701).

Réponse Il faut répondre que, comme le dit Aristote (Post. lib. i, text. 5j, c'est surtout d'après la fin ou le but d'une chose qu'on la juge. Ainsi nous voyons que ce qui n'est en soi que péché véniel ou même que ce qui est bon en son genre devient péché mortel, si on le fait par mépris pour Dieu. Donc à plus forte raison tout ce qui tend par sa nature au mépris de Dieu est-il péché mortel. Et comme le parjure implique essentiellement ce mépris, et que ce n'est même une faute, ainsi que nous l'avons dit (art. préc.), que parce qu'il suppose un défaut de respect envers Dieu, il en résulte que par sa nature il est une faute mortelle.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (quest. lxxxix, art. 7 ad 3), la contrainte (1) n'empêche pas le serment promissoire d'obliger quand il s'agit d'une chose qu'il est permis de faire; c'est pourquoi si l'on ne fait pas ce que l'on a juré par contrainte, on n'en est pas moins parjure et l'on pèche mortellement. Cependant le souverain pontife a le pouvoir de délier de ces sortes de serments, surtout si la violence a eu pour cause une crainte (2) capable d'agir sur un homme ferme et constant. Si le droit décide qu'on ne doit pas punir ces parjures comme ceux qui auraient fait un péché mortel, cela ne signifie pas qu'ils ne pèchent pas mortellement; on a seulement eu l'intention de mitiger leur peine.

2. Il faut répondre au second, que celui qui fait un serment par manière de plaisanterie (jocosè) manque de respect envers la Divinité, et sous un rapport sa légèreté d'esprit aggrave sa faute; par conséquent on ne l'excuse pas de péché mortel (3). Celui qui échappe (ex lapsu linguae) un serment à propos d'une chose fausse, s'il remarque qu'il pèche et que ce qu'il atteste avec serment est faux, il n'est pas non plus excusable de péché mortel, ni de mépris envers Dieu. Mais s'il n'y fait pas attention, en ce cas il ne paraît pas avoir eu l'intention de jurer, et c'est ce qui l'excuse du parjure. C'est donc un péché plus grave de jurer solennellement par l'Evangile que de jurer par Dieu, comme on le ferait dans une simple conversation, soit parce que le scandale est plus grand, soit parce qu'on agit avec plus de délibération. Mais, toutes choses égales d'ailleurs, c'est une plus grande faute de se parjurer quand on jure par Dieu que quand on jure par l'Evangile.

3. Il faut répondre au troisième, que l'on n'est pas déclaré infâme par le droit pour un péché mortel quelconque. Par conséquent, de ce que celui qui fait un faux serment affirmatif n'est pas infâme de droit, et qu'il ne l'est qu'après une sentence définitive portée contre lui, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il ne pèche pas mortellement. C'est pourquoi on regarde plutôt comme infâme ipso jure celui qui manque à un serment promissoire qu'il a fait solennellement, parce que celui qui fait cette sorte de serment peut toujours, après qu'il l'a fait, le rendre véritable en tenant sa promesse, tandis qu'il n'en est pas de même du jugement affirmatif.


ARTICLE IV. — Fèche-t-il mortellement celui qui fait faire un serment a quelqu'un qui se parjure ?


Objections: 1. Il semble que celui qui fait faire un serment à un parjure pèche. Car il sait qu'il jure vrai ou qu'il jure faux. S'il sait qu'il jure vrai, il lui fait faire un serment pour rien ; ou s'il croit qu'il jure faux, il le porte, autant qu'il

(D) Il y a controverse sur ce point, comme nous l'avons observé (tom. iv, pag. 707).
(2) Si la crainte avait été de nature à jeter l'homme liors de lui-même, de telle sorte qu'il n'ait pas su ce qu'il faisait en faisant le serment, il est évident que dans ce cas il ne serait tenu à rien.
(3) Ceux qui sont dans l'habitude de prendre fréquemment le nom de Dieu à témoin doivent faire tous leurs efforts pour se corriger de ce défaut, parce que les fautes dans lesquelles cette habitude entraîne peuvent être plus graves qu'on ne pense est en lui, à pécher. Il semble donc qu'on ne doive d'aucune manière enjoindre le serment à quelqu'un.
2. C'est une chose moins grave de recevoir le serment de quelqu'un que de le lui imposer. Or, il ne paraît pas licite de recevoir de quelqu'un le serment et surtout s'il fait un parjure, parce que dans ce cas on paraît consentir à son péché. Il semble donc qu'il soit encore beaucoup moins permis d'exiger le serment de quelqu'un qui fait un parjure.

3. Il est écrit (Lv 5,1) : Si un homme pèche, par ce qu'ayant entendu quelqu'un faire un serment et ayant été témoin de ce qui s'est passé soit pour l'avoir vu, soit pour l'avoir su, il n'a pas voulu publiquement les dénoncer, il portera la peine de son iniquité. D'où il résulte que celui qui sait qu'un autre fait un faux serment est tenu de l'accuser. Il ne lui est donc pas permis d'exiger de lui ce serment.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Comme celui qui fait un faux serment pèche, de même celui qui jure par les faux dieux. Or, il est permis de faire usage du serment de celui qui jure par les faux dieux, selon saint Augustin (Ep. cliv). Par conséquent il est permis d'exiger le serment de celui qui fait un parjure.

CONCLUSION. — Si quelqu'un, comme homme privé, exige le serment d'un autre qu'il ne saurait pas prêt à faire un parjure, il ne pèche pas, mais il en serait autrement s'il le savait : pour une personne publique qui exige le serment conformément ala loi sur la demande d'un tiers, quelque connaissance qu'il ait des dispositions de celui qui jure, il est absolument exempt de péché.

Réponse Il faut répondre qu'à l'égard de celui qui exige d'un autre le serment il y a une distinction à faire. Car ou il exige le serment pour lui-même, de son chef, ou il l'exige pour un autre, selon qu'il y est contraint par les devoirs de la charge qu'il remplit. Si on exige le serment pour soi-même, comme homme privé, il faut encore distinguer, comme le dit saint Augustin (Serm. xxviii de verb. apost, cap. 40). Car s'il ne sait pas qu'il va faire un faux serment (1) et qu'il lui dise de jurer afin d'être plus sur de sa parole, il n'y a pas de péché à demander ce serment, mais il y a là une tentation humaine, parce qu'on agit ainsi d'après les conseils de notre faible nature qui doute toujours de la véracité des autres. C'est de ce serment dont parle Notre-Seigneur quand il dit (Mt 5,88) : Que ce qui va plus loin vient du mal. Mais s'il sait que celui qui jure a fait le contraire de ce qu'il affirme avec serment et qu'il le force néanmoins à jurer, il est un homicide (2). Car le parjure donne à son àme la mort, et celui qui l'a contraint de jurer lui a mis le poignard à la main et l'a poussé à se le plonger dans le sein (3). — Pour une personne publique, si elle exige le serment conformément à la loi sur la demande d'un tiers, il n'y a pas faute pour elle d'obliger au serment, quelque connaissance qu'elle ait préalablement de la fausseté ou de la vérité du serment. Car ce n'est pas elle qui exige le serment, elle ne l'exige que sur les instances de l'autre partie dont les intérêts sont en cause.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette objection se rapporte au cas où l'on exige le serment pour soi-même. Alors on ne sait pas toujours si celui qui jure atteste une vérité ou un mensonge ; mais quelquefois on doute d'un fait et l'on croit que celui qui jure attestera la vérité. En ce cas, pour plus de certitude, on exige le serment.

(D) Dans le cas où il y aurait doute sur la fidélité de celui qui fait le serment, on pourrait toujours l'exiger, parce que le doule ne suffit pas pour détruire un droit acquis.
(j) Saint Thomas compare le parjure à l'homicide, et il montre qu'en lui-même et d'après son objet il est plus grave (Quolibet. I, art. -18).
(5) Cependant si le serment était un moyen de faire triompher la justice, saint Alphonse de Liguori reconnaît qu'on aurait droit de l'exiger malgré le parjure (Theolog. mor. lib. n, n° 77).

2. Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (Ep. cliv), quoiqu'il nous soit défendu de jurer, cependant on ne trouve dans aucun endroit des saintes Ecritures qu'on ne doive pas recevoir le serment de quelqu'un. Par conséquent celui qui reçoit ce serment ne pèche pas, sinon dans le cas où de lui-même il obligerait à jurer quelqu'un qu'il saurait prêt à faire un faux serment.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme le dit encore le même docteur (Lib. quaest. sup. Levit. quaest. i), Moïse ne dit pas en cet endroit à qui il faut dénoncer le parjure; c'est pourquoi on entend qu'on doit le dénoncer plutôt à ceux qui peuvent lui être utiles qu'à ceux qui peuvent lui nuire, il ne dit pas non plus dans quel ordre on doit le faire connaître; c'est pourquoi il semble qu'on doive suivre l'ordre de l'Evangile, quand le péché du parjure est caché et surtout qu'il ne tourne point au dommage d'autrui. Car s'il devait nuire à quelqu'un, on ne devrait plus observer cet ordre, comme nous l'avons dit (quest. lxviii, art. 1).

4. Il faut répondre au quatrième, qu'il est permis de se servir du mal pour le bien, comme Dieu le fait, mais il n'est pas permis de porter quelqu'un au mal. Ainsi on peut recevoir le serment de celui qui est disposé à jurer par les faux dieux, mais il n'est pas permis de l'engager à jurer de la sorte (1). L'état de celui qui fait un faux serment au nom du vrai Dieu, paraît être tout différent, parce que dans un serment de cette nature il n'y a pas la bonne foi qu'on peut mettre à profit dans le serment de celui qui prend les faux dieux à témoin pour une chose vraie, comme le dit saint Augustin (Ep. cliv). Par conséquent, dans le serment de celui qui jure par le vrai Dieu une chose fausse, il n'y a rien de bon dont il soit permis de faire usage (2).




II-II (Drioux 1852) Qu.97 a.2