II-II (Drioux 1852) Qu.104 a.3

ARTICLE III. — l'obéissance est-elle la plus grande des vertus (2)?


Objections: 1. Il semble que l'obéissance soit la plus grande des vertus. Car l'Ecriture dit (1S 15,22) que l'obéissance vaut mieux que le sacrifice. Or. l'oblation des victimes appartient à la religion qui est la première de toutes les vertus morales, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxxxi, art. 6). L'obéissance est donc la première de toutes les vertus.

2. Saint Grégoire dit (Mor. ult. cap. 10) que l'obéissance est la seule vertu qui introduise toutes les vertus dans l'âme et qui les y conserve. Or, la cause l'emporte sur l'effet. L'obéissance vaut donc mieux que toutes les vertus.

3. Saint Grégoire dit (Mor. ult. ibid.) qu'on ne doit jamais faire le mal par obéissance; mais que quelquefois on doit par obéissance interrompre le bien que l'on fait. Or, on n'interrompt une chose que pour un bien meilleur. L'obéissance pour laquelle on laisse le bien des autres vertus est donc meilleure qu'elles.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'obéissance est louable par là même qu'elle procède de la charité. Car saint Grégoire dit (Moral, ult.) qu'on doit obéir non par une crainte servile, mais par une affection de charité, non par la crainte du châtiment, mais par l'amour de la justice. La charité est donc une vertu plus noble que l'obéissance.

CONCLUSION. — L'obéissance par laquelle on renonce à cause de Dieu à sa propre volonté, qui est le plus grand de tous les biens de l'homme, est une des premières vertus morales.

Réponse Il faut répondre que, comme le péché consiste en ce que l'homme s'attache, par mépris pour Dieu, aux biens qui changent; de même le mérite de l'acte vertueux consiste en ce que l'homme s'attache à Dieu comme à sa fin, au mépris des biens créés. Or, la fin l'emporte sur les moyens. Si donc l'on méprise les biens créés pour s'attacher à Dieu, on mérite plus d'être loué de ce qu'on s'attache à Dieu, que de ce qu'on méprise les biens de la terre. C'est pourquoi les vertus par lesquelles on s'attache à Dieu considéré en lui-même, c'est-à-dire les vertus théologales, sont plus nobles que les vertus morales, par lesquelles on méprise ce qui est terrestre pour s'attacher à Dieu. — Parmi les vertus morales, une vertu est d'autant plus noble que ce qu'elle méprise pour s'attacher à Dieu est plus élevé. Or, il y a trois genres de biens que l'homme peut mépriser à cause de Dieu. Le dernier de ces biens, ce sont les richesses extérieures; les biens intermédiaires sont ceux du corps; enfin les plus élevés sont les biens de l'âme, parmi lesquels la volonté tient le premier rang, en ce sens que c'est par la volonté que l'homme fait usage de tous les autres biens. C'est pourquoi, absolument parlant, la vertu de l'obéissance qui méprise à cause de Dieu la volonté propre est plus louable que les autres vertus morales (3) qui méprisent dans le même but d'autres biens. — D'où saint Grégoire conclut (loc. cit.) que l'obéissance est en effet préférable aux sacrifices, parce que par les victimes on immole une chair étrangère, tandis que par l'obéissance on immole sa propre volonté. C'est aussi pour ce motif que toutes les oeuvres des autres vertus ne sont méritoires devant Dieu que parce qu'on les fait pour obéir à sa volonté. Car si quelqu'un souffrait le martyre ou qu'il donnât ses biens aux pauvres dans un autre but que pour accomplir la volonté divine, ce qui appartient directement à l'obéissance, ses actes ne pourraient être méritoires. Ils ne pourraient pas l'être non plus, s'il les produisait sans la charité qui ne peut exister sans l'obéissance; puisqu'il est dit (1Jn 2,4) : Celui qui dit qu'il connaît Dieu et qui ne garde pas ses commandements est

un menteur........ mais si quelqu'un met en pratique ses paroles, la charité de Dieu est véritablement parfaite en lui. Et il en est ainsi parce que l'amitié fait que l'on veut et que l'on ne veut pas la même chose (4).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'obéissance procède du respect qui rend un culte et un honneur à un supérieur. Sous ce rapport elle est contenue sous des vertus diverses; quoique considérée en elle-même, selon qu'elle se rapporte au précepte, elle ne forme qu'une seule vertu spéciale. Ainsi, selon qu'elle procède de la révérence qu'on doit aux supérieurs, elle est comprise sous le respect ; selon qu'elle procède de la vénération due aux parents, elle est renfermée sous la piété; selon qu'elle procède du respect dû à Dieu, elle est comprise sous la religion et elle appartient à la dévotion qui est l'acte principal de cette vertu (2). Par conséquent, d'après cela il est plus louable d'obéir à Dieu que d'offrir un sacrifice, parce que, selon l'expression de saint Grégoire (loc. sup. cit.), dans le sacrifice on immole une chair étrangère, tandis que par l'obéissance on immole sa propre volonté. Cependant spécialement dans le cas où parlait Samuel, il aurait été mieux pour Saul d'obéir à Dieu que d'offrir en sacrifice, contrairement à l'ordre divin, les animaux gras des Amalécites.

2. Il faut répondre au second, que tous les actes des vertus appartiennent à l'obéissance, selon qu'ils sont de précepte. Par conséquent, selon qu'elle produit les actes des vertus à titre de cause, ou qu'elle dispose à leur production et à leur conservation, on dit que l'obéissance fait naître dans l'âme toutes les vertus et qu'elle les y conserve. Cependant il ne s'ensuit pas que l'obéissance soit absolument avant toutes les vertus, pour deux raisons : 4° Parce que quoique l'acte de la vertu soit commandé, cependant on peut l'accomplir, sans faire attention au précepte. Par conséquent s'il y a une vertu dont l'objet ait naturellement la priorité sur le précepte, on dit que cette vertu est naturellement antérieure à l'obéissance, comme on le voit à l'égard de la foi, qui nous manifeste la sublimité de l'autorité de Dieu qui lui donne le pouvoir de commander (3). 2° Parce que l'infusion de la grâce et des vertus peut précéder, même temporairement, tout acte vertueux. Ainsi l'obéissance n'a sur toutes les autres vertus, ni une priorité de temps, ni une priorité de nature.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il y a deux sortes de bien : l'un que l'homme est nécessairement tenu de faire, comme aimer Dieu ; on ne doit d'aucune manière se dispenser de faire ce bien pour obéir. Il y a un autre bien auquel l'homme n'est pas nécessairement obligé (1). Quelquefois on doit omettre cette espèce de bien par obéissance : parce qu'on ne doit pas faire un bien en se rendant coupable d'une faute. Toutefois, comme l'observe saint Grégoire (ibid.), celui qui détourne ceux qui lui sont soumis d'un bien quelconque, doit leur faire beaucoup d'avantages, de peur qu'il ne ruine absolument leurs âmes si, en les éloignant de tout bien, il leur imposait une privation absolue. C'est ainsi que par l'obéissance et par d'autres biens semblables on peut compenser la perte d'un bien quelconque.

(2) Il ne peut être ici question que des vertus morales ; car il est certain que les vertus théologales l'emportent sur toutes les autres.
(3) Si on considérait la vertu du côté de Fob- jet, l'obéissance serait inférieure à la religion,
(1) Elle est cause que les volontés de ceux qu’ elle unit sont toujours d'accord.
(2) C'est de la sorte que les actes de plusieurs vertus différentes peuvent concourir à un seul et même acte d'obéissance ; ainsi on peut jeûner pour satisfaire au précepte, c'est de l'obéissance par égard pour le supérieur qui l'ordonne, c'est un acte de respect ; par révérence pour Dieu, c'est un acte de religion.
(3) Car, avant d'admettre que Dieu a le pouvoir de commander, il faut déjà croire qu'il existe parce que la religion, qui a pour but direct et immédiat d'honorer Dieu, approche de lui davantage; mais si on la considère accidentellement d'après ce qu'elle méprise pour s'attacher à Dieu, 1 obéissance doit être placée au premier rang.
(I) Il s'agit ici du bien de subrogation, qui est seulement de conseil.



ARTICLE IV. — doit-on en tout obéir a dieu?


Objections: 1. Il semble qu'on ne doive pas en tout obéir à Dieu. Car l'Evangile dit (Mt 9,30) que le Seigneur défendit aux deux aveugles qu'il avait guéris de le dire à personne. Cependant ils s'en allèrent et le divulguèrent par tout le pays, et ils n'en sont pas blâmés. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus en tout d'obéir à Dieu.

2. Personne n'est tenu de faire quelque chose contre la vertu. Or, il y a des préceptes de Dieu qui sont contraires à la vertu. Ainsi il a ordonné à Abraham de tuer son fils innocent (Gn 22); il a dit aux Juifs de voler les vases des Egyptiens (Ex 11), ce qui est contraire à la justice ; et il a commandé à Osée d'épouser une femme adultère, ce qui est opposé à la chasteté. On ne doit donc pas obéir à Dieu en tout.

3. Celui qui obéit à Dieu conforme sa volonté à la volonté divine à l'égard de l'objet voulu. Or, nous ne sommes pas tenus de conformer de cette manière notre volonté à la volonté de Dieu, comme nous l'avons vu (I-II, quest. xix, art. 10). Nous ne sommes donc pas tenus d'obéir à Dieu en tout.

En sens contraire Mais c'est le contraire. (Ex 14,9) : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons et nous lui obéirons.

CONCLUSION. — Comme tous les êtres sont soumis à la motion de Dieu par une nécessité de nature, de même tous les hommes sont tenus d'obéir à ses ordres par une nécessité de justice.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), celui qui obéit est mû par l'ordre de celui qui le commande, comme les choses naturelles sont mues par leurs moteurs. Or, comme Dieu est le premier moteur de tout ce qui est mû naturellement, de même il est le premier moteur de toutes les volontés, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (I-II, quest. ix, art. 6). C'est pourquoi comme toutes les choses naturelles sont soumises à son impulsion par une nécessité naturelle, de même toutes les volontés sont tenues d'obéir à ses ordres par une nécessité de justice.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le Seigneur a dit aux aveugles de ne pas parler de son miracle, sans avoir eu l'intention de les obliger au secret par la vertu d'un précepte divin. Mais, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. xix, cap. 14), il s'est donné en exemple à ses disciples, pour leur apprendre qu'ils devaient chercher à tenir leurs vertus cachées, bien qu'elles dussent être divulguées malgré eux pour l'édification des autres.

2. Il faut répondre au second, que Dieu ne fait rien contre nature, parce que la nature de chaque chose consiste principalement en ce que Dieu opère en elle, comme on le voit (Gloss. ad Rom. xi ex August. lib. xx cont. Faust. cap. 3), mais il agit quelquefois contre le cours ordinaire de la nature. De même Dieu ne peut rien commander de contraire à la vertu, parce que la vertu et la droiture de la volonté humaine consistent principalement à se conformer à la volonté de Dieu et à suivre ses ordres, quand même ils seraient contraires au mode ordinaire de la vertu. Ainsi l'ordre que reçut Abraham de tuer son fds innocent ne fut pas contraire à la justice; parce que Dieu est l'auteur de la vie et de la mort. De même il n'était pas contraire à la justice qu'il ordonnât aux Juifs d'enlever ce qui appartenait aux Egyptiens; parce que tous les biens sont à lui et il les donne à qui il lui plaît. Il n'était pas non plus contraire à la chasteté qu'il eut commandé à Osée d'épouser une femme adultère; parce que Dieu est l'ordonnateur de la génération humaine, et l'usage légitime que l'on doit faire des femmes, c'est celui qu'il a prescrit. D'où il est évident qu'aucun de ces personnages n'a péché en lui obéissant ou en voulant le faire.

3. Il faut répondre au troisième, que, quoique l'homme ne soit pas toujours tenu de vouloir ce que Dieu veut; cependant il est toujours tenu de vouloir ce que Dieu veut qu'il veuille ; et c'est ce qui lui est principalement manifesté par le précepte divin. C'est pourquoi l'homme est tenu d'obéir en tout aux préceptes de Dieu.


ARTICLE V. — les inférieurs sont-ils tenus d'obéir en tout a leurs supérieurs (1)?


Objections: 1. Il semble que les inférieurs soient tenus d'obéir en tout à leurs supérieurs. Car l'Apôtre dit (Col 3,20) : Enfants, obéissez en tout à vos parents ; puis il ajoute : Serviteurs, obéissez en tout à vos maîtres selon la chair. Donc pour la même raison les autres inférieurs doivent obéir en tout à leurs supérieurs.

2. Les supérieurs sont des intermédiaires entre Dieu et ceux qui leur sont soumis, d'après ces paroles de la loi (Dt 5,5): Je fus dans ce temps médiateur entre Dieu et vous, pour vous annoncer ses paroles. Or, on ne parvient à l'extrémité qu'en passant parle milieu. Sur ce sujet on doit considérer les ordres d'un supérieur comme les ordres de Dieu. C'est ainsi que l'Apôtre dit (Ga 4,14) : Vous m'avez reçu comme l'ange de Dieu, comme Jésus-Christ ; et ailleurs (1Th 2,13) : Ayant entendu la parole de Dieu que nous vous prêchons, vous l'avez reçue, non comme la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu'elle l'est véritablement, la parole de Dieu. Donc, comme l'homme doit obéir à Dieu en tout, de même il doit obéir de la sorte à ses supérieurs.

3. Comme les religieux dans leur profession font voeu de chasteté et de pauvreté, de même ils font voeu d'obéissance. Or, un religieux est tenu de conserver en tout la chasteté et la pauvreté. Il est donc tenu pareillement d'obéir en tout.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Ac 5,29) qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Or, quelquefois les ordres des supérieurs sont contre Dieu. On ne doit donc pas leur obéir en tout.

CONCLUSION. — Les inférieurs sont tenus d'obéir à leurs supérieurs seulement dans les choses pour lesquelles ils leur sont soumis, et pour lesquelles les supérieurs ne sont pas en opposition avec l'ordre d'une puissance plus élevée.

(I) L'Ecriture commande à la femme d'obéir au mari (Gn 3 et Eph. Ep 5), aux enfants d'obéir ii leurs parents (Ex 20, et Eph. Ep 6) et aux serviteurs d'obéir à leur maître (Cor. 3), et en général , à tout inférieur d'obéir à son supérieur (Rm 3) : Omnis anima potestatibus subtilioribus subdita sit.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 et 4), celui qui obéit est mû d'après l'ordre de celui qui le commande par une nécessité de justice; comme les choses naturelles sont mues d'après la vertu de leur moteur par une nécessité de nature. Or, il peut arriver de deux manières qu'une chose naturelle ne soit pas mue par son moteur : 1° par suite d'un obstacle qui provient de la vertu plus forte d'un autre moteur. C'est ainsi que le bois n'est pas brûlé par le feu, si la puissance plus forte de l'eau l'en empêche; 2° parce que le mobile est imparfaitement soumis au moteur. Car quoiqu'il lui soit soumis sous un rapport, il ne lui est cependant pas soumis pour tout. Ainsi l'humeur est quelquefois soumise à l'action de la chaleur autant qu'il faut pour s'échauffer, mais non pour se dessécher ou se consumer. — De même il peut se faire pour deux raisons qu'un inférieur ne soit pas tenu d'obéir en tout à son supérieur. 4° A cause de l'ordre d'une puissance supérieure. Car, comme le dit la glose (Ord. Aug. Serm. vi de verb. Dom. cap. 8) à l'occasion de ces paroles de l'Apôtre (Rm 13) : Qui potestati resistunt, etc. : Si le curiale (1) vous donne un ordre, devez-vous l'exécuter s'il est en opposition avec le proconsul? Si le proconsul vous commande une chose et l'empereur une autre, est-il douteux que vous devez mépriser le premier pour obéir au second. Par conséquent, si l'empereur ordonne une chose et Dieu une autre, on doit mépriser l'ordre de l'empereur pour obéir à Dieu. 2° L'inférieur n'est pas tenu d'obéir à son supérieur, s'il lui ordonne une chose pour laquelle il ne lui soit pas soumis. Car Sénèque dit (De bene f. lib. iii, cap. 20): Il se trompe celui qui croit que la servitude pèse sur l'homme entier. Car la meilleure partie lui échappe. Les corps sont soumis à la volonté du maître, mais l'esprit reste libre. C'est pourquoi, en ce qui appartient au mouvement intérieur de la volonté, l'homme n'est pas tenu d'obéir à l'homme, mais seulement à Dieu. — L'homme est tenu d'obéir à son semblable dans les choses que l'on doit exécuter extérieurement au moyen du corps; mais il n'est pas tenu de lui obéir en ce qui appartient à la nature du corps ; il ne doit à cet égard obéissance qu'à Dieu; parceque tous les hommes sont égaux par nature, par exemple, en ce qui regarde l'entretien du corps et la génération des enfants. Les serviteurs ne sont donc pas tenus d'obéir à leurs maîtres, ni les enfants à leurs parents, quand il s'agit de se marier (2), ou de garder la virginité, ou dans toute autre circonstance semblable. Mais pour ce qui regarde la disposition des actes et des choses humaines, l'inférieur est tenu d'obéir à son supérieur selon la nature du pouvoir de ce dernier. Ainsi le soldat doit obéir à son général pour tout ce qui a rapport à la guerre ; le serviteur doit obéir à son maître en ce qui regarde l'exécution de toutes les oeuvres serviles; enfin le fils doit être soumis à son père en tout ce qui concerne l'éducation et les soins domestiques, et ainsi des autres.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que dans ce passage de l'Apôtre, le mot tout doit s'entendre de tout ce qui appartient au droit des pères ou de la puissance des maîtres.

2. Il faut répondre au second, que l'homme est soumis à Dieu absolument pour toutes choses, pour les choses intérieures et extérieures. C'est pourquoi il est tenu de lui obéir en tout. Mais les inférieurs ne sont pas ainsi

(I) Le curiale était le magistrat chargé du trésor de la cité, et le proconsul le chef de la province. Ces rapports hiérarchiques sont ceux qui existent actuellement du maire au préfet, du préfet au chef de l'Etat.
(2) Les enfants doivent consulter leurs parents sur le choix d'un état, mais quand la vocation d'un enfant se manifeste, les parents abusent de leur autorité s'ils veulent l'empêcher de la suivre.
soumis à leurs supérieurs, ils ne le sont que pour des choses déterminées. A l'égard de ces choses les supérieurs sont des intermédiaires entre Dieu et leurs inférieurs ; mais pour le reste, ces derniers sont immédiatement soumis à Dieu qui les éclaire par la loi naturelle ou écrite.

3. Il faut répondre au troisième, que les religieux font profession d'obéissance à l'égard de la règle, d'après laquelle il sont soumis à leurs supérieurs. C'est pourquoi ils ne sont tenus de leur obéir que pour les choses qui peuvent se rapporter à cette règle, et cette obéissance suffit pour qu'ils soient sauvés. S'ils veulent leur obéir en d'autres points, ce sera le comble de la perfection; pourvu que ces choses ne soient pas contre Dieu ou contre la règle qu'ils ont embrassée, parce que cette obéissance serait illicite. Ainsi on peut donc distinguer trois sortes d'obéissance : l'une qui suffit au salut, et qui obéit pour tout ce qui est d'obligation ; l'autre parfaite qui obéit en tout ce qui est permis; et la troisième qui manque de discernement et qui obéit même dans ce qui est illicite (1).



ARTICLE VI. — les chrétiens sont-ils tenus d'obéir aux puissances séculières (2)?


Objections: 1. Il semble que les chrétiens ne soient pas tenus d'obéir aux puissances séculières. Car sur ces paroles de l'Evangile (Mt 17) : Ergo sunt liberi filii, la glose dit (Ord. August. lib. i, quest. Evang. cap. 22) : Si, dans tout royaume, les enfants du roi qui en est le chef, sont libres, alors les enfants du roi auquel tous les royaumes sont soumis, doivent être libres partout. Or, les chrétiens sont devenus par la foi du Christ les enfants de Dieu, d'après ces paroles (Jn 1,12) : Il a donné à ceux qui croient en son nom la puissance de devenir les enfants de Dieu. Ils ne sont donc pas tenus d'obéir aux puissances du siècle.

2. Saint Paul dit (Rom. vu, 4) : Vous êtes morts à la loi par le corps du Christ, et il parle de la loi de l'Ancien Testament. Or, la loi humaine par laquelle les hommes sont soumis aux puissances séculières est moindre que la loi divine de l'Ancien Testament. Donc, à plus forte raison, les hommes par là même qu'ils sont devenus les membres du corps du Christ sont affranchis de la loi de soumission qui les liait aux princes séculiers.

3. Les hommes ne sont pas tenus d'obéir aux brigands qui les oppriment par la violence. Or, saint Augustin dit (De civ. Dei, lib. iv, cap. 4) : Sans la justice, que sont les Etats, sinon de vastes repaires de brigands? Par conséquent, puisque l'autorité des princes séculiers s'exerce ordinairement avec injustice ou qu'elle a pour origine une injuste usurpation , il semble que les chrétiens ne doivent pas leur obéir.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul dit à Tite (m, 1) : d'avertir les fidèles d'être soumis aux princes et aux puissances, et saint Pierre ajoute (I. Pet. n, 13): Soyez donc soumis pour l'amour de Dieu à tout homme qui a du pouvoir sur vous, soit au roi comme au souverain, soit aux gouverneurs, comme à des personnes qu'il a envoyées.

CONCLUSION. — Puisque la foi du Christ affermit l'ordre de la justice plutôt qu'il ne le détruit, il est nécessaire que les chrétiens soient soumis aux puissances séculières.

(I) Il est à remarquer que pour être dispensé de l'obéissance il faut que la chose commandée soit évidemment contraire à la loi de Dieu. S'il y a doute on doit obéir. On excuse même un enfant qui irait contre une loi de l'Eglise pour obéir à ses parents, s'il ne pouvait faire autrement sans de graves inconvénients.
(2) Cet article est une réfutation des pseudo apostoliques, qui voulaient qu'on ne fût soumis qu'au Christ; de Luther, qui prétendait que les chrétiens ne pouvaient être asservis à une loi qu'autant qu'ils le voulaient; de Wiclef, des pauvres de Lyon et des anabaptistes.

Réponse Il faut répondre que la foi du Christ est le principe et la cause de la justice, d'après ces expressions de saint Paul (Rm 3,12) : La justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ. C'est pourquoi la foi de Jésus-Christ ne renverse pas l'ordre de la justice, mais elle l'affermit plutôt. Or, l'ordre de la justice demande que les inférieurs obéissent à leurs supérieurs; car autrement la société ne pourrait se conserver. La foi du Christ n'affranchit donc pas les fidèles de l'obéissance qu'ils doivent aux princes séculiers.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (art. préc.), l'asservissement par lequel l'homme est soumis à son semblable, touche au corps, mais non à l'âme qui reste libre. Maintenant ici-bas la grâce du Christ nous délivre des défauts de l'âme, mais non des misères du corps, comme on le voit par saint Paul qui dit de lui-même (Rom. vu, 23) que par l’esprit il obéit à la loi de Dieu, mais que par la chair il obéit à la loi du péché. C'est pourquoi ceux qui deviennent enfants de Dieu par la grâce sont affranchis de la servitude spirituelle du péché, mais non de la servitude corporelle qui enchaîne les serviteurs à la volonté de leurs maîtres, comme le dit la glose (Ordin.) à l'occasion de ces paroles de saint Paul (1Tm 6) : Quicumque sunt subjugo servi, etc.

2. Il faut répondre au second, que la loi ancienne fut la figure du Nouveau Testament ; c'est pourquoi elle a dû cesser à l'avènement de la vérité. Mais il n'en est pas de même de la loi humaine par laquelle l'homme est soumis à son semblable. Toutefois c'est aussi d'après la loi divine que l'homme est tenu d'obéir à l'homme (1).

3. Il faut répondre au troisième, que l'homme doit obéir aux princes séculiers autant que l'ordre de la justice l'exige. C'est pourquoi si leur pouvoir n'est pas légitime, mais qu'il soit usurpé, ou s'ils commandent des choses injustes, on n'est pas tenu de leur obéir, sinon par accident pour éviter un scandale ou un danger.



Question cv.


DE LA DÉSOBÉISSANCE.


Nous devons maintenant traiter de la désobéissance. — A ce sujet deux questions se présentent : 1° La désobéissance est-elle un péché mortel? — 2° Est-elle le plus grave des péchés?


ARTICLE I. — la désobéissance est-il .le un péché mortel?


Objections: 1. Il semble que la désobéissance ne soit pas un péché mortel. Car tout péché est une désobéissance, comme on le voit par la définition de saint Ambroise que nous avons citée (quest. préc. art. 2, arg. 1). Si la désobéissance était un péché mortel, il s'ensuivrait donc que tout péché serait mortel.

2. Saint Grégoire dit (Mor. lib. xxx, cap. 17) que la désobéissance provient de la vaine gloire. Or, la vaine gloire n'est pas un péché mortel. Par conséquent la désobéissance n'en est pas un non plus.

3. On dit qu'un individu désobéit quand il ne remplit pas l'ordre de son supérieur. Or, les supérieurs multiplient souvent leurs ordres au point qu'il est très-difficile ou impossible de les observer tous. Si donc la désobéissance était un péché mortel, il s'ensuivrait que l'homme ne pourrait éviter le péché mortel, ce qui répugne. Elle n'en est donc pas un.

(1) L'honneur que nous rendons aux princes se rapporte à Dieu, selon la remarque du catéchisme du concile de Trente : Si quem eis cultum tribuimus, is ad Deum refertur.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul (Rm 1 et 2Tm 3) compte la désobéissance envers les parents parmi les autres péchés mortels.

CONCLUSION. — La désobéissance aux préceptes de Dieu et aux ordres des supérieurs est un péché mortel, puisqu'elle est contraire à la charité.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. xxxiv, art. 12, et 1' 2*, quest. lxxii, art. 5, et quest. lxxxviii, art. 1), le péché mortel est celui qui est contraire à la charité, qui est le principe de la vie spirituelle. Or, par la charité on aime Dieu et le prochain. L'amour de Dieu exige qu'on obéisse à ses ordres, comme nous l'avons dit (quest. xxiv, art. 12). C'est pourquoi celui qui désobéit aux préceptes de Dieu fait un péché mortel, parce qu'il fait une chose contraire à la charité divine. Or, les préceptes divins renferment l'obligation d'obéir aux supérieurs. C'est pour ce motif que la désobéissance par laquelle on manque aux ordres-des supérieurs, est un péché mortel, comme étant opposée à l'amour de Dieu, d'après ces paroles de l'Apôtre (Rm 13,2) : Celui qui résiste aux puissances, résiste à l'ordre de Dieu. Cet acte est en outre contraire à l'amour du prochain, parce que par là on refuse d'accorder au supérieur l'obéissance qui lui est due (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette définition de saint Ambroise a pour objet le péché mortel, qui renferme l'essence parfaite du péché. Le péché véniel n'est pas une désobéissance -, parce qu'il n'est pas contre la loi, mais en dehors d'elle (2). Tout péché mortel n'est pas non plus une désobéissance, à parler proprement et absolument : il n'en est un que quand on méprise le précepte (3) ; parce que c'est de la fin que les actes moraux tirent leur espèce. Par conséquent, quand on agit contre un précepte, non par mépris du précepte, mais pour un autre motif, la désobéissance n'est que matérielle, mais l'acte appartient formellement à une autre espèce de péché.

(1) Pour qu'il y ait péché mortel dans la désobéissance, il faut que la chose commandée soit grave, que celui qui la commande ait l'intention implicite d'obliger sous peine de péché mortel, et que la désobéissance soit pleinement volontaire.
(2) Non est contra praeceptum, sed praeter praeceptum, c'est-à-dire qu'il ne détruit pas la fin du précepte, qui est la charité, mais il est cependant en dehors du précepte.
(3) Saint Thomas ne considère la désobéissance que comme le mépris de la loi et de l'autorité C'est pour cela qu'il dit qu'elle est toujours un péché mortel, parce que le mépris de la loi ou du législateur, même quand il s'agirait d'une chose légère, est toujours un péché grave.


2. Il faut répondre au second, que la vaine gloire recherche la manifestation d'une certaine supériorité. Et parce qu'il semble qu'il v ait un certain mérite à ne pas être soumis aux ordres d'un autre, il s'ensuit que la désobéissance vient de la vaine gloire. Mais rien n'empêche qu'un péché mortel ne vienne d'un péché véniel ; puisque le péché véniel est une disposition au mortel.

3. Il faut répondre au troisième, que personne n'est obligé à l'impossible. C'est pourquoi si un supérieur ordonne tant de choses à un inférieur que celui-ci ne puisse les faire toutes, il est exempt de péché. C'est pour cette raison que les supérieurs doivent éviter de trop multiplier leurs ordres.


ARTICLE II. — la désobéissance est-elle le plus grave des péchés?


Objections: 1. Il semble que la désobéissance soit le péché le plus grave. Car il est dit (1S 15,23) : Que c'est une espèce de magie de ne vouloir pas se soumettre à Dieu, et que c'est le crime de l'idolâtrie, de ne pas se rendre à sa volonté. Or, l'idolâtrie est le péché le plus grave, comme nous l'avons dit (quest. xciv, art. 3). La désobéissance est donc le péché le plus grave.

2. On appelle péché contre l'Esprit-Saint celui qui enlève tout ce qui fait obstacle au mal, comme nous l'avons dit (quest. xiv, art. 2). Or, par la désobéissance, l'homme méprise le précepte qui l'éloigné le plus fortement du mal. La désobéissance est donc le péché contre l'Esprit-Saint, et par conséquent la faute la plus grave.

3. Saint Paul dit (Rm 5,19) : Plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d'un seul. Or, la cause paraît l'emporter sur l'effet. La désobéissance paraît donc être un péché plus grave que les autres fautes qui en résultent.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est plus grave de mépriser celui qui commande que son précepte. Or, il y a des péchés qui sont contre la personne même de celui qui commande; tels sont le blasphème et l'homicide. La désobéissance n'est donc pas le péché le plus grave.

CONCLUSION. — La désobéissance n'est pas absolument le plus grave des péchés.

Réponse Il faut répondre que toute désobéissance n'est pas également coupable. En effet, une désobéissance peut être plus grave qu'une autre de deux manières : 1° De la part de celui qui commande. Car, quoique tout homme doive avoir soin d'obéir à tous ses supérieurs, cependant il est plus obligé d'obéir à celui qui a une autorité supérieure qu'à celui qui a une autorité moindre. La preuve en est qu'on ne fait pas attention à l'ordre de l'inférieur, s'il est contraire à l'ordre de celui qui est au-dessus de lui. D'où il résulte que plus celui qui commande est élevé, et plus la désobéissance dont on se rend coupable est grave. C'est ainsi qu'on est bien plus criminel quand on désobéit à Dieu que quand on désobéit à un homme. 2° De la part des choses prescrites. Car celui qui commande n'attache pas une égale importance à tout ce qu'il ordonne. En effet, celui qui commande veut surtout la fin et ce qui a le plus d'affinité avec elle. C'est pourquoi la désobéissance est d'autant plus grave que la chose qu'on omet était plus spécialement dans l'intention de celui qui l'a ordonnée. Ainsi, pour les préceptes de Dieu, il est évident que la désobéissance est d'autant plus grave que la chose prescrite est un bien d'un ordre plus élevé. Car la volonté de Dieu, se portant par elle-même au bien, Dieu veut d'autant plus vivement l'accomplissement d'une chose qu'elle est plus excellente. Ainsi celui qui désobéit au précepte de l'amour de Dieu pèche plus grièvement que celui qui manque au précepte de l'amour du prochain. Mais la volonté humaine ne se porte pas toujours vers ce qu'il y a de mieux. C'est pourquoi, quand il n'y a que le précepte de l'homme qui nous oblige, la gravité du péché n'augmente pas parce qu'on omet un plus grand bien, mais parce qu'on néglige ce qu'avait le plus à coeur celui qui nous commande (1). — Il faut donc graduer les différents degrés de désobéissance d'après les différentes espèces de préceptes. Car la désobéissance par laquelle on méprise le précepte de Dieu est par sa nature une fauté plus grave que le péché que l'on commet contre un homme, en mettant à part la désobéissance envers Dieu, que ce dernier péché renferme. Je fais cette exclusion, parce que celui qui pèche contre le prochain pèche aussi contre le précepte de Dieu. Si l'on méprisait un précepte de Dieu qui ordonne un plus grand bien, la faute serait encore plus grave. Mais la désobéissance par laquelle on méprise l'ordre d'un homme est plus légère que le péché par lequel on méprise la personne qui le donne; et c'est du respect de la personne qui commande que doit émaner le respect de la chose commandée. De même le péché qui appartient directement au mépris de Dieu, comme le blasphème, est plus grave que ne le serait celui par lequel on mépriserait seulement ses commandements.

(ui) C'est l'intention de celui qui commande plutôt que la nature de la chose commandée qui détermine la gravité de la matière.


Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette comparaison de Samuel n'est pas fondée sur l'égalité, mais sur la ressemblance des choses qui en sont l'objet; parce que la désobéissance revient au mépris de Dieu comme l'idolâtrie, quoique l'idolâtrie s'y rapporte davantage.

2. Il faut répondre au second, que toute désobéissance n'est pas un péché contre l'Esprit-Saint, mais il n’y a que celle qui est obstinée. Car le mépris de tout ce qui est un obstacle au péché ne forme pas le péché contre l'Esprit- Saint; autrement le mépris de toute espèce de bien serait un péché contre l'Esprit-Saint, parce que tout ce qui est bon peut empêcher l'homme de mal faire ; mais il n'y a que le mépris des choses qui mènent directement à la pénitence et à la rémission des péchés qui soit un péché contre l'Esprit-Saint.

3. Il faut répondre au troisième, que le premier péché du premier homme, qui a atteint tous ses descendants, ne fut pas la désobéissance, considérée comme un péché spécial ; mais ce fut l'orgueil, d'où l'homme passa à la désobéissance. Dans cet endroit, l'Apôtre paraît considérer la désobéissance selon qu'elle se rapporte généralement à toute espèce de péché (1).




Question CVI.



II-II (Drioux 1852) Qu.104 a.3