II-II (Drioux 1852) Qu.177 a.2

ARTICLE II. — le don de parler avec sagesse et science appartient-il aux femmes (1)?


Objections: 1. Il semble que le don de parler avec sagesse et science appartienne aussi aux femmes. Car l'enseignement appartient à cette grâce, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, la femme peut enseigner, puisqu'il est dit (Pr 4,3) : f ai été aimé de ma mère comme un fils unique, et elle m'enseignait. Ce don convient donc aux femmes.

2. Le don de prophétie est supérieur à celui de la parole, comme la contemplation de la vérité l'emporte sur son expression. Or, la prophétie est accordée aux femmes, comme on le voit à propos de Débora (Jdt 4), de la prophétesse Olda, épouse de Sellum (2R 22) et des quatre filles de Philippe (Ac 21). Saint Paul dit aussi (1Co 11,5) : Toute femme qui prie ou qui prophétise, etc. Il semble donc qu'à plus forte raison le don de la parole convienne aux femmes.

3. Saint Pierre dit (1P 4,10) : Rendez-vous mutuellement service chacun selon le don qu'il a reçu. Or, il y a des femmes qui reçoivent la grâce de la sagesse et de la science qu'elles ne peuvent communiquer aux autres que par la grâce de la parole. Donc cette dernière grâce leur convient.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (1Co 14,34) : Que les femmes se taisent dans les églises. (1Tm 2,12) : Je ne permets pas à la femme d'enseigner. Or, l'enseignement appartient principalement au don de la parole. Ce don ne convient donc pas aux femmes.


CONCLUSION. — Le don de la parole dont on se sert dans les entretiens privés et les conversations familières peut appartenir aux femmes, mais le don de la parole qui a pour but d'instruire publiquement une multitude d'hommes et de femmes n'appartient point du tout aux femmes, qui doivent être soumises aux hommes et non les enseigner.

Réponse Il faut répondre que l'on peut faire usage de la parole de deux manières : 1° en particulier en conversant familièrement avec une seule personne ou avec quelques individus, et à cet égard le don de la parole peut convenir aux femmes ; 2° publiquement, en s'adressant à toute l'Eglise. Les femmes n'en ont pas ledroit : 4° principalement à cause de la condition de leur sexe qui doit être soumis à l'homme, comme on le voit (Gn 3). Or, il n'appartient pas aux inférieurs, mais aux chefs d'enseigner et de prêcher publiquement dans l'Eglise. Cependant les hommes qui sont d'un ordre inférieur peuvent plutôt obtenir la permission de remplir ce ministère, parce qu'ils ne sont pas naturellement soumis, comme les femmes, mais que leur infériorité provient de quelque cause accidentelle. 2° On le leur défend de peur qu'elles n'allument dans le coeur des hommes la passion ; car il est dit (Si 9,41) : La parole de la femme est comme un, feu qui embrase. 3° Parce que généralement les femmes ne sont pas d'une sagesse assez parfaite pour qu'on puisse convenablement leur confier la charge d'enseigner publiquement.

(D) II y a eu des hérétiques qui ont accordé aux femmes le droit de parler en public. Tels sont en particulier les quakers, qui, dans leurs assemblées, accordent indistinctement le droit de parler à tous ceux et à toutes celles qui se croient sous l'inspiration de l'Esprit-Saint.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce passage s'entend de l'enseignement privé par lequel le père instruit son fils.

2. Il faut répondre au second, que la grâce de la prophétie se considère selon que l'esprit est éclairé par Dieu. Sous ce rapport il n'y a pas de différence de sexe parmi les hommes, d'après ces paroles de l'Apôtre (Col 1,40) : Revêtez-vous de l'homme nouveau qui se renouvelle à la ressemblance de celui qui Va créé, où il n'y a ni mâle, ni femelle. Le don de la parole ayant pour but d'instruire les hommes parmi lesquels les sexes sont différents, il n'y a donc pas ici de parité.

3. Il faut répondre au troisième, que les hommes se servent de différentes manières du don qu'ils ont reçu de Dieu selon la diversité de leur condition. Par conséquent, quand les femmes reçoivent la grâce de la sagesse ou de la science, elles peuvent la communiquer en particulier, mais non en public.





QUESTION 178: DU DON DES MIRACLES.


Nous avons ensuite à nous occuper du don des miracles. — A cet égard deux questions se présentent : 1° Y a-t-il une grâce gratuitement donnée qui soit accordée pour faire des miracles? — 2° A qui cette grâce convient-elle?


ARTICLE I. — y a-t-il une grace gratuitement donnée pour faire des miracles (4)?


Objections: 1. Il semble qu'il n'y ait aucune grâce gratuitement donnée qui ait pour but de faire des miracles. Car toute grâce met quelque chose dans celui qui la reçoit. Or, le don des miracles ne met rien dans l'âme de l'homme auquel on l'accorde; puisque les miracles s'opèrent aussi au contact d'un corps mort. Ainsi nous lisons (IV. Reg. x1, 21) que des hommes ayant jeté un cadavre dans le sépulcre d'Elisée, aussitôt que le corps eut touché les os d'Elisée, le mort ressuscita et se leva sur ses pieds. Il n'appartient donc pas à la grâce gratuitement donnée de faire des miracles.

2. Les grâces gratuitement données viennent de l'Esprit-Saint, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 11,4) : Les grâces sont partagées, mais c'est le même esprit. Or, l'esprit impur opère aussi des miracles, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 24,24) : Il s'élèvera de faux Christs et de faux prophètes qui feront de grands prodiges et des merveilles étonnantes. Il semble donc que le miracle ne soit pas un effet qui appartienne à la grâce gratuitement donnée.

(i) Sur le miracle, voyez ce qu'il en est dit au tome II, pages 553 et suiv.

3. Les miracles se distinguent par les signes et les prodiges, ou par les merveilles et les vertus. C'est donc à tort que l'oeuvre des vertus est considérée comme une grâce gratuitement donnée plutôt que l'oeuvre des prodiges ou des signes.

4. Le recouvrement miraculeux de la santé est un effet de la vertu divine. On ne doit donc pas distinguer la grâce de la guérison de l'opération des vertus.

5. Les miracles sont un effet qui résulte ou de la foi de celui qui les accomplit, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 11,2 j : Quand j'aurais de la foi à transporter les montagnes, ou de la foi des personnes pour lesquelles on les fait. Ainsi il est dit (Mt 11,58) : que Jésus ne fit pas là beaucoup de miracles à cause de leur incrédulité. Si donc la foi est une grâce gratuitement donnée, il est superflu d'en distinguer une autre indépendamment de celle-ci qui consiste à opérer des prodiges.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul énumérant les grâces gratuitement données dit (1Co 12,9) : V un reçoit la grâce de guérir, l'autre celle de faire des miracles.


CONCLUSION. — Indépendamment du don des langues et de la parole que l'Esprit- Saint a accordé à quelques hommes pour l'édification des fidèles, il a dù encore leur communiquer le don des miracles pour prouver ce qu'ils disaient.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 1), l'Esprit-Saint pourvoit suffisamment à l'Eglise en ce qui est utile au salut, qui est le but des grâces gratuitement données. Or, comme il faut que la connaissance qu'on a reçue de Dieu soit transmise aux autres par le don des langues et le don de la parole; de même il est nécessaire que les choses que l'on dit soient prouvées pour qu'elles soient croyables. C'est ce qui se fait en opérant des miracles, d'après ces paroles de l'Evangile (Mc 16 Mc 20) : Ils allèrent prêcher... prouvant leur parole par les miracles dont elle était suivie. Rien de plus raisonnable. Car il est naturel à l'homme de percevoir la vérité intelligible par des effets sensibles. Ainsi comme l'homme guidé par la raison naturelle peut parvenir à une certaine connaissance de Dieu au moyen des effets naturels; de même il est conduit à une connaissance surnaturelle des choses qu'il doit croire au moyen d'effets surnaturels qui reçoivent le nom de miracles. C'est pourquoi il appartient à la grâce gratuitement donnée de faire des miracles (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que comme la prophétie s'étend à tout ce qui peut être connu surnatureilement ; de même l'opération des miracles s'étend à tout ce qui peut être fait surnatureilement; la cause de ces effets est la toute-puissance de Dieu qui ne peut être communiquée à aucune créature. C'est pourquoi il est impossible que le principe de faire des miracles soit une qualité qui subsiste habituellement dans l'âme. Cependant il peut se faire que comme l'esprit du prophète est mù par l'inspiration de Dieu pour connaître quelque chose surnatureilement ; de même l'esprit de celui qui fait des miracles soit porté à faire une chose d'où résulte un effet miraculeux que Dieu produit par sa vertu. C'est ce qui a lieu tantôt à la suite d'une prière, comme quand saint Pierre ressuscita Tabite (Ac 9), tantôt sans que la prière ait publiquement précédé le miracle, mais d'après l'action de Dieu qui opère au gré de l'homme; c'est ainsi que saint Pierre, après avoir repris Ananie et Saphie de leur mensonge, les livra à la mort [Act. 5). C'est ce qui fait dire à saint Grégoire [Dial. lib. 11, cap. 30) que les saints font des miracles tantôt d'après leur puissance, tantôt d'après leur demande. Néanmoins dans ces deux cas l'agent principal est Dieu, qui se sert, à titre d'instrument, soit du mouvement intérieur de l'homme, soit de sa parole, soit même d'un acte extérieur, tel que le contaet matériel d'un corps mort. Ainsi quand Josué eut dit en parlant, pour ainsi dire, d'après sa propre puissance (Jos 10,12) : Soleil, arrête-toi sur Gabaon; il ajouta ensuite : Jamais, ni avait, ni après, jour ne fut aussi long que celui-là, Dieu obéissant à la voix d'ui homme.

(1) On s'est beaucoup occupé au xv1® siècle à ce sujet Bergier, ou les excellentes dissertations de la force démonstrative des miracles considérés de Mgr de la Luzerne, ou la théologie de Per- eomme preuves de la religion. On peut consulter ronne.

2. Il faut répondre au second, que le Seigneur parle en cet endroit des miracles qui doivent ère faits au temps de l'antechrist, et dont l'Apôtre dit (2Th 2,9) : L'mtechrist arrivera accompagné de toute la puissance de Satan, avec toute sarte de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. Saint Augustin observe à ce sujet (De civ. Dei, lib. xx, cap. 19) qu'on a coutume d'examiner si ces expressions de signes et de prodiges ont été employées, parce qu'il doit tromper les sens des hommes par des prestiges de manière à avoir l'air de faire ce qu'il ne fait pas ; ou bien si l'on parle ainsi parcf que ces prodiges, tout véritables qu'ils seront, entraîneront au mensonge ceux qui les croiront. Mais on dit que ces prodiges sont vrais, parce que les choses elles-mêmes seront vraies, comme les mages de Pharaon produisirent de véritables grenouilles et de vrais serpents; cependant ils l'auront pas la nature véritable du miracle, parce qu'ils seront produits par la vertu des causes naturelles, comme nous r avons vu ( part. I, quest. cxiv, art. 4 ) : au lieu que les miracles que l'on attribue à la grâce grituitement donnée sont produits par la vertu divine pour l'utilité des homnes (1).

3. Il faut répondre m troisième, que dans les miracles on peut considérer deux choses : 1» L'oeuvre qui est faite; elle surpasse en effet les forces de la nature et c'est en ces ans qu'on appelle les miracles des vertus. 2° Le but pour lequel on les opre communément ; il consiste à manifester quelque chose de surnaturel (S); sous ce rapport on leur donne le nom de signes; leur excellence fait fu'on les appelle des merveilles ou des prodiges, comme s'ils montraieit quelque chose de loin.

4. Il faut répondre mjuatrième, que le don de la santé est mentionné à part, parce que par eette grâce l'homme obtient un bienfait particulier, celui de la santé du jorps, indépendamment du bienfait général qui se trouve dans tous les miracles et qui a pour but d'amener les hommes à la connaissance de Dieu.

5. Il faut répondre m cinquième, que l'on attribue à la foi la puissance de faire des miracles pou- deux motifs : 1° parce que les miracles ont pour but de l'établir ; 2° parce çu'ils procèdent de la toute-puissance de Dieu sur laquelle la foi repose, ópendant, comme indépendamment de la grâce de la foi, le don de la paroe est nécessaire pour l'enseigner ; de même le don des miracles est nécessaire pour la prouver.


ARTICLE II. - LES MÉCHANTS PEUVENT-ILS FAIRE DES MIRACLES?


Objections: 1. Il semble que le méchants ne puissent pas faire de miracles. Car les miracles s'obtiennen; par la prière, comme nous l'avons dit (art. préc. ad i). Or, la prière dipécheur n'est pas digne d'être exaucée, d'après ces paroles de saint Jean 10, 31) : Nous savons que Dieu n'écoute pas les pécheurs. Et le Sage dit (Pr 26,9) : La prière de celui qui détourne V oreille pour nepa$ entendre la loi, sera exécrable. Il semble donc que les méchants ne puissent pas faire de miracles.

(U) Le miracle est la preue la plus convain- (2) C'est ce qu'expriment saint Prosper, Conte pour tous les hommes. Il agit aussi puis- Expot. in Pt. ex, et saint Léon, term. xciv. samment sur les savants queur les ignorants.

v. 34

2. On attribue les miracles à la foi, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 12,19) : Si vous aviez la foi, comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Passe là, et elle y passerait. Or, la foi sans les oeuvres est morte, selon l'expression de saint Jacques (2, 20), et il ne semble pas qu'elle ait son opération propre. Par conséquent les méchants qui ne font pas de bonnes oeuvres, ne paraissent pas pouvoir faire des miracles.

3. Les miracles sont des témoignages divins, d'après ces paroles de saint Paul (He 2,4), qui dit que Dieu appuyait leurs paroles par des miracles, des prodiges et divers effets de sa puissance. C'est ainsi que dans l'Eglise on canonise d'après le témoignage des miracles. Or, Dieu ne peut pas attester ce qui est faux. Il semble donc que les méchants ne puissent pas faire de miracles.

4. Les bons sont plus unis à Dieu que les méchants. Or, tous les hommes de bien ne font pas des miracles. Les méchants en font donc encore moins.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (1Co 11,2) : Quand j'aurais assez de foi pour transporter les montagnes, si je n'ai pas la charité je ne suis rien. Or, quiconque n'a pas la charité est un méchant; car il n'y a que ce don de l'Esprit-Saint qui sépare les enfants du royaume des enfants de la perdition, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. xv, cap. 18). Il semble donc que les méchants puissent aussi faire des miracles.


CONCLUSION. — Des méchants peuvent faire des miracles qui aient pour but de démontrer la vérité de la foi, mais ils ne peuvent pas en faire qui aient pour but de démontrer leur sainteté.

Réponse Il faut répondre qu'il y a des miracles qui ne sont pas des faits véritables, mais des faits fantastiques, qui abusent l'homme de manière qu'il croit voir ce qui n'existe pas. 11 y a aussi des faits vrais, mais qui n'ont pas la véritable nature du miracle parce qu'ils sont produits par la vertu de certaines causes naturelles. Ces deux choses peuvent être faites au moyen des démons (1), comme nous l'avons dit (art. préc. ad 2). — Mais les vrais miracles ne peuvent être faits que par la vertu divine. Car Dieu les opère pour l'utilité des hommes et cela de deux manières: 1° pour prouver la vérité enseignée ; 2° pour démontrer la sainteté de quelqu'un que Dieu veut proposer aux hommes comme un exemple de vertu. De la première manière des miracles peuvent être faits par quiconque prêche la vraie foi et invoque le nom du Christ : ce qui a lieu quelquefois par l'intermédiaire des méchants. Ainsi les méchants peuvent de cette façon faire des miracles. C'est pourquoi à l'occasion de ces paroles (Mt 7) : N'avons- nous pas prophétisé en votre nom ? saint Jérôme dit : Prophétiser, ou faire des miracles et chasser des démons, quelquefois ce n'est pas un effet du mérite de celui qui opère ces merveilles ; mais on fait ces choses en invoquant le nom du Christ pour que les hommes honorent Dieu à l'invocation duquel d'aussi grands prodiges se produisent. Mais dans le second sens les miracles n'ont pour auteurs que des saints, et c'est pour prouver leur sainteté qu'ils se font ou pendant leur vie, ou après leur mort, soit par eux, soit par les autres (2). Car nous lisons ( Act. Ac 19,11) : Que Dieu faisait des miracles extraordinaires dont Paul était V instrument; au point qu'on appliquait aux malades les mouchoirs et les linges qui avaient touché son corps, et qu'ils étaient guéris de leurs maladies

(M) Ils agissent alors, selon l'expression des théo- théorie de saint Thomas le vrai miracle n'a que logiens, applicando activa passivis, ou bien ils Dieu pour auteur.

ont recours à des substitutions. Ainsi dans la (2) C'est sur cette doctrine que repose la cano-.

Par conséquent rien ne peut empêcher que des miracles ne soient faits par un pécheur à l'invocation d'un saint : toutefois on ne dit pas que c'est le pécheur qui fait ces miracles, mais on les rapporte à celui dont ils doivent démontrer la sainteté.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (quest lxxx1, art. 16) en traitant de la prière, la prière impétratoire ne repose pas sur le mérite, mais sur la miséricorde divine qui s'étend aussi aux méchants-, c'est pourquoi quelquefois Dieu exauce aussi la prière des pécheurs. C'est ce qui fait dire à saint Augustin [Sup. Joan, tract, xliv) que l'aveugle a dit cette parole, quand il n'avait pas encore recouvré la vue, c'est-à-dire quand il n'était pas encore parfaitement éclairé, car Dieu exauce les pécheurs. Quant à ce qu'il est dit que la prière de celui qui n'écoute pas la loi est exécrable, on doit entendre ces paroles du mérite du pécheur (1). Néanmoins quelquefois elle est exaucée par la miséricorde de Dieu, soit pour le salut de celui qui la fait, et c'est ainsi que le publicam fut exaucé (Lc 16), soit pour le salut des autres et pour la gloire de Dieu.

2. Il faut répondre au second, qu'on dit que la foi sans les oeuvres est morte relativement à celui qui la possède, puisqu'elle ne le fait pas vivre de la vie de la grâce. Mais rien n'empêche qu'une chose vivante n'opère au moyen d'un instrument mort, comme l'homme opère au moyen d'un bâton. C'est de la sorte que Dieu opère instrumentalement par la foi du pécheur.

3. Il faut répondre au troisième, que les miracles sont toujours des témoignages véritables de la chose pour laquelle on les produit. Ainsi les méchants qui prêchent une fausse doctrine ne font jamais de vrais miracles à l'appui de ce qu'ils enseignent, quoiqu'ils puissent quelquefois en faire à la gloire du nom du Christ qu'ils invoquent et en vertu des sacrements qu'ils administrent. Quant aux méchants qui enseignent la vraie doctrine, ils font quelquefois de vrais miracles pour la confirmer, mais ils n'en font pas pour attester leur sainteté (2). C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Quaest. lib. Lxxxin, quaest. 73) : Les mages, les bons chrétiens et les mauvais font des miracles, mais de différentes manières. Les mages les font par des pactes particuliers avec les démons ; les bons chrétiens par la justice publique, et les mauvais par les signes de cette justice.

cheur ne mérite par lui-même que 1 exécration.

(2) Dans ce cas, Dieu agirait pour prouver un« chose fausse, ce qui est indigne de lui.

nisation des saints. L'Eglise n'antorise lenr coite qu'autant que leur sainteté est démontrée par des miracles. (D C'est-à-dire qu'elles signifient que le pé

4. Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit encore saint Augustin (loc. cit.), le Seigneur nous avertit d'observer que les impies font des miracles tels que les saints n'en peuvent pas faire. Puis il ajoute (ibid.) : Tous les saints ne reçoivent pas cette puissance de peur que les faibles ne tombent dans l'erreur la plus pernicieuse, en pensant que dans ces actes il y a des dons plus élevés que dans les oeuvres de justice par lesquelles on gagne la vie éternelle.




QUESTION 179: DE la DIVISION DE la vie en vie active et contemplative.


Après avoir parlé des différents états d'après les grâces gratuitement données, nous avons à les considérer d'après la vie active et la vie contemplative. — A cet égard il y a quatre considérations à faire. La première a pour objet la division de la vie en vie active et contemplative ; la seconde porte sur la vie contemplative; la troisième sur la vie active et la quatrième sur la comparaison de la vie active avec la vie contemplative. — Sur la division de la vie nous avons deux questions à examiner : 1° La vie est-elle convenablement divisée en vie active et contemplative?— 2° Cette division est-elle suffisante ?



ARTICLE I. — est-il convenable de diviser la vie en vie active et contemplative?


Objections: 1. Il semble que la vie ne soit pas convenablement divisée en vie active et contemplative. Car l'âme est le principe de la vie par son essence; puisque Aristote dit (De animâ, lib. ii, text. 37) que vivre pour les êtres vivants, c'est exister. Or, le principe de l'action et de la contemplation, c'est l'âme au moyen de ses puissances. Il semble donc que la vie ne soit pas convenablement divisée en vie active et contemplative.

2. 11 n'est pas convenable que l'on divise ce qui est avant par des différences qui portent sur ce qui est après. Or, l'actif et le contemplatif, ou le spéculatif et le pratique sont des différences de l'intellect, comme on le voit (De animâ, lib. 1, text. 46 et 49). D'un autre côté la vie est avant l'intelligence ; car la vie existe tout d'abord dans les êtres vivants selon l'âme végétative, comme on le voit (De anima, lib. ii, text. 34 et 59). C'est donc à tort qu'on divise la vie en vie active et contemplative.

3. Le nom de vie implique le mouvement, comme on le voit dans saint Denis (De div. nom. cap. 4). Or, la contemplation consiste plutôt dans le repos, d'après ces paroles (Sg 6,16) : Entrant dans ma maison je me reposerai avec elle. Il semble donc que la vie ne soit pas convenablement divisée en vie active et contemplative.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Sup. Ezech. hom. xiv) : Il y a deux vies dans lesquelles Dieu nous dirige par sa parole sacrée, la vie active et la vie contemplative.


CONCLUSION. — La vie de l'homme se divise en deux parties : la vie active et la vie contemplative.

Réponse Il faut répondre qu'on appelle proprement vivants tous les êtres qui se meuvent ou qui agissent par eux-mêmes. Or, ce qui convient principalement et par soi à un être, c'est ce qui lui appartient en propre et la chose pour laquelle il a le plus d'inclination. C'est ce qui prouve que tout être vivant vit de l'opération qui lui est la plus propre et à laquelle il est le plus porté. Ainsi on dit que la vie des plantes consiste en ce qu'elles se nourrissent et qu'elles engendrent; la vie des animaux en ce qu'ils sentent et qu'ils se meuvent, et la vie des hommes en ce qu'ils comprennent et agissent conformément à la raison. Par conséquent dans les hommes la vie de chaque individu paraît être la chose dans laquelle il se délecte le plus et à laquelle il s'applique davantage; et c'est en cela principalement que l'on veut vivre d'une même vie avec un ami, selon la remarque d'Aristote (Eth. lib. ix, cap. 4, 9 et 12). Ainsi parce qu'il y a des hommes qui s'attachent principalement à la contemplation de la vérité, et d'autres qui s'appliquent surtout aux actions extérieures, il s'ensuit qu'il est convenable de diviser la vie de l'homme en vie active et contemplative.


DE LA DIVISION DE LA VIE EN VIE ACTIVE ET CONTEMPLATIVA S33

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la forme propre de chaque chose qui la fait être en acte étant le principe de son opération propre, il s'ensuit qu'on dit que la vie est l'être des choses vivantes, parce que les choses vivantes dès qu'elles ont l'être par leur forme opèrent d'une telle manière.

2. Il faut répondre au second, que la vie prise universellement ne se divise pas en vie active et contemplative, mais on divise ainsi la vie de l'homme qui tire son espèce de ce qu'il est intelligent (1). C'est pourquoi la division de l'intellect est la même que celle de la vie humaine.

3. Il faut répondre au troisième, que la contemplation indique que l'on est en repos à l'égard des mouvements extérieurs : néanmoins elle est un mouvement de l'intellect selon que toute opération est un mouvement. C'est ainsi qu'Aristote dit (De anima, lib. m, text. 18) que sentir et comprendre sont des mouvements, selon qu'on donne ce nom aux actes parfaits. Saint Denis distingue de la sorte (De div. nom. cap. 4) trois mouvements dans l'âme contemplative : le droit, le circulaire et l'oblique (2).



ARTICLE II. — LA VIE EST-ELLE SUFFISAMMENT DIVISÉE EN VIE ACTIVE ET CONTEMPLATIVE?


Objections: 1. Il semble que la vie ne soit pas suffisamment divisée en vie active et contemplative. Car Aristote dit (Eth. lib. i, cap. S) qu'il y a surtout trois vies qui se distinguent : la vie voluptueuse, la vie civile qui paraît être la même que la vie active, et la vie contemplative. Il ne paraît donc pas suffisant de diviser la vie en vie active et contemplative.

2. Saint Augustin reconnaît trois genres de vie (De civ. Dei, lib. xix, cap. 2 et 19) : une vie de loisir, ce qui appartient à la vie contemplative; une vie d'action, ce qui se rapporte à la vie active; et il en ajoute une troisième, composée des deux autres. Il semble donc que l'on ait insuffisamment divisé la vie en distinguant la vie active et la vie contemplative.

3. La vie de l'homme change selon que les hommes s'appliquent à des actions différentes. Or, il y a dans la vie humâine plus de deux sortes d'occupations. Il semble donc que la vie doive se diviser en plus de deux membres, la vie active et contemplative.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Ces deux vies sont figurées par les deux épouses de Jacob : la vie active par Lia et la vie contemplative par Rachel ; et par les deux femmes qui ont donné l'hospitalité au Seigneur : la vie contemplative par Marie et la vie active par Marthe, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. vi, cap. 18, et Hom. xiv in ). Or, cette signification ne serait pas convenable s'il y avait plus de deux vies. H suffit donc de diviser la vie en vie active et contemplative.


CONCLUSION. — La vie humaine, qui a son couronnement dans le travail de l'intelligence, se divise seulement en vie active et contemplative.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 2), cette division se rapporte à la vie humaine, qui se considère d'après l'intellect. Or, on divise l'intellect en intellect actif et contemplatif. Car la fin de la connaissance intellectuelle est ou la connaissance même de la vérité, ce qui appartient à l'intellect contemplatif, ou certaines actions extérieures, ce qui appartient à l'intellect pratique ou actif. C'est pourquoi il suffit de diviser la vie en vie active et contemplative.

(4) Ainsi on définit l'homme un animal raisonnable, et c'est son caractère d'être intelligent ou raisonnable qui est cause qu'il y a en lui les deux opérations distinctes qui déterminent ces deux

sortes de vie, la vie active et la vie contemplative, comme on le voit (art suiv.). '2) L'explication de ces mots fait le Wiet de

l'article 6 de la question suivante.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la vie voluptueuse met sa fin dans les jouissances corporelles qui nous sont communes avec les animaux. Par conséquent, comme le dit Aristote ([ibid.), c'est la vie de la brute. C'est pour ce motif qu'elle n'est pas comprise dans la division actuelle, d'après laquelle nous distinguons dans la vie humaine la vie active et contemplative.

2. Il faut répondre au second, que les milieux se forment avec les extrêmes; c'est pourquoi ils sont contenus en eux virtuellement, comme le tiède dans le chaud et le froid, le pâle dans le blanc et le noir. De même sous l'actif et le contemplatif on comprend ce qui est composé de l'un et de l'autre. Cependant, comme dans un mélange il y a l'un des éléments simples qui prédominent; de même dans un genre de vie, tantôt c'est l'élément contemplatif et tantôt c'est l'actif qui l'emporte.

3. Il faut répondre au troisième, que toutes' les occupations de l'homme, si elles se rapportent aux besoins de la vie présente conformément à la droite raison, appartiennent à la vie active, qui pourvoit à ces besoins par des actions qui les ont pour fin. S'ils ont pour but de satisfaire la concupiscence, quelle qu'elle soit, ils appartiennent à la vie voluptueuse, qui n'est pas comprise dans la vie active. Quant aux efforts qui ont pour but de considérer la vérité, ils appartiennent à la vie contemplative.




QUESTION 180: de la vie contemplative.


Nous avons maintenant à nous occuper de la vie contemplative. — A ce sujet huit questions se présentent : t° La vie contemplative n'appartient-elle qu'à l'intellect, ou si elle consiste encore dans la volonté P — 1" Les vertus morales appartiennent-ellesà la vie contemplative? — 3° La vie contemplative ne consiste-t-elle que dans un seul acte ou dans plusieurs ? — 4° La considération d'une vérité quelle qu'elle soit appartient- elle à la vie contemplative? — 5° La vie contemplative de l'homme pourrait-elle être élevée en cet état jusqu'à la vision de Dieu? — 6° Des mouvements de la contemplation que saint Denis désigne. — 7° De la délectation de la contemplation. — 8° De sa durée.


ARTICLE I. — la vie contemplative n'a-t-elle rien dans la volonté, et existe-t-elle tout entière dans l'intellect?


Objections: 1. Il semble que la vie contemplative n'existe nullement dans la volonté, mais qu'elle soit tout entière dans l'intellect. Car Aristote dit (Mei. lib. ii, text. 3) que la fin de la contemplation est la vérité. Or, la vérité appartient totalement à l'intellect. Il semble donc que la vie contemplative consiste totalement dans cette faculté.

2. Saint Grégoire dit [Mor. lib. vi, cap. 18, et Hom. xiv in Ezech.), que Rachel, qui signifie le principe vu, désigne la vie contemplative. Or, la vision du principe appartient proprement à l'intellect. La vie contemplative y appartient donc de même.

3. Saint Grégoire dit(5zíp. Ezech. hom. xiv) qu'il appartient à la vie contemplative d'être en repos du côté de l'action extérieure. Or, la puissance affective ou appétitive a de l'inclination pour ces actions. Il semble donc que la vie contemplative n'appartienne pas de quelque manière à cette puissance.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit [Mor. lib. vi, cap. 48) que la vie contemplative consiste à conserver de tout son coeur l'amour de Dieu et du prochain, et à s'attacher uniquement à désirer son créateur. Or, le désir et l'amour appartiennent à la puissance affective ou appétitive, comme nous l'avons vu (I1 2", quest. xxi», art. 4 et 4). La vie contemplative n'est donc pas absolument étrangère à la puissance affective ou appétitive.


CONCLUSION.—Quoique la vie contemplative consiste essentiellement dans l'action de l'intellect, cependant comme chacun éprouve de la joie lorsqu'il a obtenu ce qu'il aime, il en résulte que la vie contemplative a pour terme la délectation qui appartient à la volonté.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 1), on appelle contemplative la vie de ceux dont l'intention est de s'appliquer principalement à la contemplation de la vérité. Or, l'intention est un acte de la volonté, comme nous l'avons vu (4* 2", quest. xii, art. 4), parce qu'elle se rapporte à la fin, qui est l'objet de cette faculté. C'est pourquoi la vie contemplative, quant à l'essence même de l'action, appartient à l'intellect; mais quant à ce qui porte l'homme à se livrer à cette opération, elle appartient à la volonté, qui meut toutes les autres puissances et qui met aussi l'intellect en activité, comme nous l'avons dit (4a 2% quest. ix, art. 1). —Or, la puissance appétitive nous porte à contempler une chose sensiblement ou intellectuellement, tantôt par amour pour la chose que l'on considère (1), parce que, comme le dit l'Evangile ( Matth, Mt 6,21) : Où est votre trésor, là est votre coeur; tantôt par amour pour la connaissance elle-même (2) que l'on retire de l'inspection de l'objet. C'est pour cela que saint Grégoire (Hom. xiv in ) met la vie contemplative dans l'amour de Dieu, parce que c'est cet amour qui nous enflamme d'ardeur pour la contemplation de sa beauté. Et parce que chaque être est heureux quand il est en possession de ce qu'il aime, il s'ensuit que la vie contemplative a pour terme la jouissance, qui consiste dans la volonté d'où l'amour provient.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que par là même que la vérité est la fin de la contemplation, elle a la nature d'un bien que l'on souhaite, que l'on aime et qui délecte ; et c'est sous ce rapport qu'elle appartient à la puissance appétitive.

2. Il faut répondre au second, que l'amour de Dieu ou du premier principe nous porte à le voir. D'où saint Grégoire dit (loc. cit.) : Que la vie contemplative, foulant aux pieds tous les autres soins, s'enflamme du désir de voir la face de son créateur.

3. Il faut répondre au troisième, que la puissance appétitive porte non-seulement les membres du corps à produire des actions extérieures, mais elle porte aussi l'intellect à se livrer à la contemplation, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

ARTICLE II. — les vertus morales appartiennent-elles a la vie contemplative ?


II-II (Drioux 1852) Qu.177 a.2