II-II (Drioux 1852) Qu.147 a.5

ARTICLE V. — les temps ou l'on doit jeuner sont-ils convenablement déterminés (3)?


Objections: 1. Il semble que l'on n'ait pas convenablement déterminé les temps des jeûnes de l'Eglise. Car l'Evangile dit (Mt 4) que Christ a commencé à jeûner immédiatement après son baptême. Or, nous devons imiter le Christ, d'après ces paroles de l'Apôtre (1Co 4,16) : Soyez mes imitateurs, comme je suis l'imitateur du Christ. Nous devons donc jeûner immédiatement après l'Epiphanie, où l'on célèbre le baptême du Christ.

2. Il n'est pas permis sous la loi nouvelle d'observer les préceptes cérémoniels de la loi ancienne. Or, la prescription des jeûnes à certains mois déterminés appartient aux solennités de l'ancienne loi. Car il est dit (Za 8,19) : Les jeûnes du quatrième, du cinquième, du septième et du dixième mois seront changés, pour la maison de Juda, en des jours de joie et d'allégresse et en des fêtes solennelles. C'est donc à tort qu'on observe dans l'Eglise les jeûnes de certains mois particuliers qu'on appelle les jeûnes des quatre-temps.

des légumes ne sont pas obligés à ne faire qu'un seul repas, parce que ces aliments sont peu nourrissants.

(5) Saint Thomas ne parle ici que du jeûne du carême, des quatre-temps et des vigiles, qui sont ks seuls qui sont de droit général.

3. Comme le dit saint Augustin (De consens. Evang. lib. ii, cap. 27), comme il y a le jeûne de l'affliction, de même il y a le jeûne de l'allégresse. Or, la joie spirituelle éclate dans les fidèles, surtout à la suite de la résurrection du Christ. Donc dans le temps de la cinquantaine (1) que l'Eglise célèbre avec solennité à cause de la résurrection de Notre-Seigneur, et dans les jours de dimanche qui nous rappellent la mémoire de ce mystère, il devrait y avoir des jeûnes.

En sens contraire Mais la coutume générale de l'Eglise est contraire.

CONCLUSION. — Il a été convenable qu'à certaines époques et à certains jours, comme le carême, les quatre-temps, les veilles de certaines fêtes, l'Eglise obligeât les fidèles, par des préceptes et une louable coutume, à jeûner.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 et 3 huj. quaest.), le jeûne a deux fins; il a été établi pour effacer les péchés et pour élever l'âme vers Dieu. C'est pourquoi on a dû prescrire des jeûnes spécialement dans les temps où il fallait que les fidèles se purifiassent de leurs fautes et qu'ils élevassent leur âme vers Dieu par la dévotion. Ces deux choses sont surtout pressantes avant la solennité de Pâques, dans laquelle on remet les péchés par le baptême qu'on célèbre solennellement la veille de cette fête, quand on rappelle la sépulture de Notre-Seigneur, parce que, selon cette expression de l'Apôtre (Rm 6) : Nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême pour mourir au péché, c'est surtout dans la fête de Pâques qu'il faut que l'âme du fidèle s'élève par la dévotion jusqu'à la gloire de l'éternité que le Christ a commencée par sa résurrection, et c'est pour ce motif qu'elle a ordonné de jeûner immédiatement avant la solennité pascale. Pour la même raison elle nous le prescrit les veilles des principales fêtes dans lesquelles nous devons nous préparer à célébrer dévotement la fête à venir. De même à chaque trimestre l'Eglise a coutume de conférer les ordres sacrés. Il faut que ceux qui les confèrent, ceux qui les reçoivent, et le peuple entier, dans l'intérêt duquel on les donne, se préparent par le jeûne à cette cérémonie. C'est pourquoi l'Evangile rapporte (Luc. vi) que le Seigneur avant de choisir ses disciples se retira sur une montagne pour prier. Saint Ambroise expliquant ce passage dit (Sup. illud : Et erat pernoctans) : Voyez-vous ce que vous avez à faire, lorsque vous voulez remplir un devoir de piété ; quand le Christ avant d'envoyer ses apôtres se met lui-même en prières?—Relativement au jeûne quadragésimal, saint Grégoire donne une triple raison du nombre (2) (Hom. xvi) : C'est 1° parce que la vertu du Décalogue est remplie par les quatre livres du saint Evangile : car le nombre dix quatre fois répété donne quarante. 2° Parce que nous subsistons dans ce corps mortel d'après les quatre éléments, et qu'en satisfaisant les désirs du corps nous allons contre les préceptes du Seigneur, qui sont contenus dans le Décalogue. Par conséquent il est juste que nous affligions quarante (3) fois cette même chair. 3° Parce que nous voulons offrir à Dieu la dîme de notre vie, et comme il y a 365 jours dans l'année, nous nous mortifions pendant trente-six (qui sont les jours où l'on doit jeûner pendant les six semaines du carême), et nous donnons ainsi à Dieu la dîme de notre année (4). — Saint Augustin ajoute une quatrième raison (De doct. christ, lib. ii, cap. 16). Le créateur est la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Le nombre ternaire est dû à la créature invisible (1), car nous devons aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme, et de tout notre esprit ; et le nombre quaternaire appartient à la créature visible (2), à cause du chaud et du froid, du sec et de l'humide. Par conséquent le nombre dix représente toutes les choses. Si on le multiplie par le nombre quatre qui convient au corps (3) par lequel nous faisons usage de ce qui est visible, on obtient le nombre quarante. — Pour les jeûnes des quatre-temps, il y a trois jours de désignés à cause du nombre de mois qui convient à chaque temps, ou à cause du nombre des ordres sacrés que l'on y confère (4).

(2) Le nombre de quarante jours qui est le temps de sa durée.
(3) Quatre fois dix fois.
(14) Pour compléter le nombre quarante, qui

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le Christ n'a pas eu besoin du baptême pour lui-même, mais pour nous le rendre recommandable. C'est pourquoi il ne convenait pas qu'il jeûnât avant son baptême, mais après, pour nous inviter à jeûner avant le nôtre.

2. Il faut répondre au second, que l'Eglise n'observe pas le jeûne des quatre-temps ni dans les mêmes temps, ni pour les mêmes causes que les Juifs. Car ils jeûnaient en juillet, qui est le quatrième mois depuis avril dont ils font le premier mois de leur année, parce que c'est alors que Moïse, descendant du mont Sinaï, brisa les tables de la loi (Ex 32), et que d'après Jérémie les murs de Jérusalem furent pour la première fois renversés (Jr 39). Dans le cinquième mois, qui est notre mois d'août, ils jeûnent encore, parce qu'une sédition s'étant élevée parmi le peuple à l'occasion du rapport de ceux qu'ils avaient envoyés reconnaître le pays de Chanaan, ils reçurent ordre de ne pas monter sur la montagne. C'est dans ce même mois que Nabuchodonosor (Jr 52), et après lui Tite, mirent le feu au temple de Jérusalem. Dans le septième mois, que nous appelons le mois d'octobre, Godolias fat tué et les restes du peuple dissipés (Jr 41). Enfin dans le dixième mois, qui est notre mois de janvier, le peuple qui était en captivité avec Ezéchiel apprit que le temple avait été renversé (Ez 4).

3. Il faut répondre au troisième, que le jeûne d'allégresse provient de l'impulsion de l'Esprit-Saint qui est un esprit de liberté ; c'est pourquoi ce jeûne ne doit pas être de précepte. Par conséquent les jeûnes qui sont établis par les lois de l'Eglise, sont plutôt des jeûnes d'affliction qui ne conviennent pas dans les jours de joie. C'est pour ce motif que l'Eglise n'a pas établi de jeûne dans tout le temps pascal, ni pour les dimanches. Si l'on jeûnait dans ces jours par opposition à la coutume de l'Eglise qui doit passer pour une loi, comme le dit saint Augustin (Ep. xxxvi), ou d'après une erreur quelconque (à l'exemple des manichéens qui jeûnent parce qu'ils pensent ce jeûne nécessaire) (5), on ne serait pas exempt de péché ; quoique le jeûne considéré en lui-même soit louable en tout temps, selon l'expression de saint Jérôme qui s'écrie (Ep. xxviii ad Lucinium) : Puissions- nous jeûner en tout temps !


ARTICLE VI. —est-il nécessaire pour le jeune qu'on ne fasse qu'un repas?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas nécessaire pour le jeûne qu'on ne fasse qu'un repas. Car le jeûne, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.), est un acte de la vertu d'abstinence qui n'observe pas moins la quantité convenable de nourriture que le nombre des repas. Or, comme on ne taxe pas à ceux qui jeûnent la quantité d'aliments, il semble donc qu'on ne doive pas non plus taxer le nombre des repas. marque la durée du jeûne de Notre-Seigneur, ou a ajouté quatre jours de la semaine précédente.

(1) Ce nombre ternaire se rapporte à l'âme à cause de ses trois opérations.
(2) Dans le corps il y a quatre éléments.
(5) Ce sont les quatre saisons qui marquent la révolution de l'année.
(4) Il n'y a que trois degrés proprement dits dans la hiérarchie ecclésiastique : les ministres, les prêtres et les évêques.
(b) Les manichéens jeûnaient le dimanche, parce qu'ils niaient la résurrection du Christ.

2. Comme l'homme se nourrit en mangeant, de même en buvant; par conséquent le boire détruit le jeûne, et c'est pour cela que nous ne pouvons pas recevoir l'Eucharistie après avoir bu. Or, il n'est pas défendu de boire plusieurs fois à différentes heures du jour. On ne doit donc pas défendre non plus à ceux qui jeûnent de manger plusieurs fois.

3. Les confitures sont des aliments; cependant il y en a qui en prennent les jours de jeûne après le repas. Donc l'unité de repas n'est pas de l'essence du jeûne.

En sens contraire Mais la coutume générale des chrétiens prouve le contraire.

CONCLUSION. — C'est avec raison que les règles de l'Eglise ont décidé que ceux qui jeûnaient ne devaient faire qu'un seul repas par jour.

Réponse Il faut répondre que le jeûne est établi par l'Eglise pour mettre un frein à la concupiscence, sans compromettre pour cela la santé. Pour atteindre ce but l'unité de repas est très-convenable, parce que par là l'homme peut satisfaire la nature, et néanmoins affaiblir la concupiscence par les privations qu'il s'impose. C'est pourquoi l'Eglise a décidé que ceux qui jeûnaient ne devaient faire qu'un seul repas (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que la quantité des aliments ne peut pas être taxée la même pour tous, à cause de la diversité des tempéraments, d'où il résulte que l'un a besoin de manger plus et l'autre moins, au lieu qu'ordinairement tout le monde peut satisfaire aux exigences de 1a. nature par un seul repas.

2. Il faut répondre au second, qu'il y a deux sortes de jeûne. Le jeûne de la nature, qui est exigé pour recevoir l'Eucharistie. Celui-là est détruit par tout ce qu'on boit, même de l'eau; après en avoir bu il n'est pas permis de communier. Il y en a un autre qu'on appelle 1 q jeûne du jeûneur, et qui n'est détruit que par les choses que l'Eglise a eu l'intention de nous interdire en l'instituant. Or, l'Eglise n'a pas eu l'intention de défendre de boire, parce que celui qui boit le fait plutôt pour rafraîchir le corps et aider à la digestion des aliments que pour se nourrir, quoiqu'il y ait dans la boisson quelque chose de nourrissant (2). C'est pourquoi il est permis à ceux qui jeûnent de boire plusieurs fois. Mais si l'on boit immodérément on peut pécher et perdre le mérite de son jeûne, comme il arrive aussi quand on prend de la nourriture avec excès dans un seul repas.

3. Il faut répondre au troisième, que quoique les confitures nourrissent d'une certaine manière, on ne les prend cependant pas pour cela principalement, mais on les prend plutôt pour qu'elles facilitent la digestion. Par conséquent elles ne détruisent pas le jeûne, pas plus que les autres médecines qu'on peut prendre, à moins que par hasard on n'en prenne par fraude une grande quantité par manière d'aliments (3).

(5) On ne doit pas manger plusieurs fois dans un jour, quand même on prendrait peu de nourriture à chaque fois. Alexandre VII a condamné la proposition suivante : In die jejúnii, qui soepiùs modicum quid comedit, etsi n'otabi- lem quantitalem in fine comederit, non frangit jejunium.


ARTICLE VII. — est-il convenable de prescrire A CEUX QUI JEUNENT DE faire leur repas à l'heure de none (1)?


Objections: 1. Il semble qu'il ne soit pas convenable de prescrire à ceux qui jeûnent de l'aire leur repas à l'heure de none. En effet l'état du Nouveau Testament est plus parfait que celui de l'Ancien. Or, dans l'Ancien Testament on jeûnait jusqu'à vêpres. Car il est dit (Lv 23,32) : Dans le sabbat vous affligerez vos âmes; puis on ajoute : Fous célébrerez vos sabbats d'un soir à un autre. Donc à plus forte raison sous le Nouveau Testament doit-on jeûner jusqu'au soir.

2. Le jeûne établi par l'Eglise est imposé à tout le monde. Or, tout le monde ne peut pas connaître d'une manière fixe l'heure de none. Il semble donc qu'on n'aurait pas dû fixer cette heure dans le précepte qui regarde le jeûne.

3. Le jeûne est un acte de la vertu d'abstinence, comme nous l'avons dit (art. 2 huj. quaest.). Or, la vertu morale ne considère pas de la même manière son milieu pour tout le monde ; parce que ce qui est beaucoup pour l'un est peu pour un autre, comme le dit Aristote (Eth. lib. ii, cap. 6). On ne doit donc pas astreindre ceux qui jeûnent à l'heure de none.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Le concile de Chalcédoine dit (Vid. cap. Solent, de Consecrat, dist. 1) : En carême on ne doit pas croire que ceux qui mangent avant de célébrer l'office des vêpres remplissent le précepte du jeûne. Comme en carême on dit les vêpres après none, il s'ensuit qu'on doit jeûner jusqu'à none.

CONCLUSION. — Il a été convenablement établi que ceux qui jeûnent feraient leur repas à peu près à l'heure de none.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 et 5 huj. quaest.), le jeûne a pour but d'effacer les péchés et de nous empêcher d'en commettre. Par conséquent il faut qi t'il ajoute quelque chose au-delà de la coutume générale, sans cependant pour cela trop fatiguer la nature. Or, on a la coutume généralement de manger dans les temps ordinaires vers midi ; soit parce qu'alors la digestion paraît être complète, la chaleur naturelle ayant été rappelée à l'intérieur pendant la nuit à cause du froid qui se fait alors sentir au dehors, et les humeurs s'étant ensuite répandues dans les membres au moyen de la chaleur du jour, dans ce moment où le soleil est arrivé au milieu de sa course ; soit parce que c'est l'instant où le corps humain a le plus besoin d'être soutenu contre la chaleur extérieure de l'air dans la crainte que les humeurs ne s'enflamment au dedans. C'est pourquoi, pour que celui qui jeûne éprouve quelque peine pour la satisfaction de ses péchés, il était convenable de désigner pour l'heure de son repas l'heure de none. Cette heure est aussi en rapport avec le mystère de la passion du Christ, qui fut consommée à l'heure de none, quand, après avoir incliné la tête, il rendit l'esprit. Car ceux qui jeûnent pendant qu'ils mortifient leur chair imitent la passion du Christ, d'après ces paroles de l'Apôtre (Ga 5,24) : Ceux qui sont du Christ ont crucifié leur chair avec leurs vices et leurs concupiscences.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que l'état de l'Ancien Testament est comparé à la nuit, et l'état du Nouveau au jour, d'après ces paroles de l'Apôtre (Rm 13,12) : La nuit a précédé, mais le jour est venu. C'est pourquoi dans l'Ancien Testament on jeûnait jusqu'à la nuit (2), tandis qu'il n'en est pas de même dans le Nouveau.

avancer l'heure du repas au ve siècle ; du temps de saint Thomas, il était fixé à trois heures, maintenant c'est à midi. 21

2. Il faut répondre au second, que pour le jeûne il faut une heure déterminée non d'après l'exactitude la plus précise, mais d'une maniéré approximative-, car il suffit qu'il soit environ l'heure de none, et c'est ce que chacun peut facilement connaître (1).

3. Il faut répondre au troisième, qu'une augmentation ou un retranchement de peu d'importance ne peut pas nuire beaucoup. Ainsi 4e la sixième heure (2), qui est pelle à laquelle on a la coutume de nqangev, jusqu'à lu neuvième, qui est le moment où ceux qui jeûnent font leur repasj il n'y a pas une grande distance. C'est pourquoi la détermination de ce temps ne peut pas nuire beaucoup à une personne, quelle que soit sa condition. Si cependant, par suite d'infirmité, de l'âge ou de tout autre motif, il en résultait pour quelques-uns de graves inconvénients, il faudrait les dispenser de jeûner ou leur permettre d'avancer un peu l'heure de leur repas (3).

ARTICLE VIII. — est-il convenable d'ordonner\b a \Bceux qui jeûnent de s'abstenir de viandes, d'oeufs et de laitage (4)?


Objections: 1. Il semble que ce soit à tort qu'on ordonne à ceux qui jeûnent de s'abstenir de viandes, d'oeufs et de laitage. Car nous avons dit (art. 6 huj. quaest.) que le jeune a é tp établi pour mettre un frein aux concupiscences de la chair. Or, le vin provoque plus la concupiscence que la viande, d'après ces paroles de l'Ecriture (Pr 20,1) : Le vin rend luxurieux. (Eplies. 5, 18) : Ne vous Iqissez, pas aller aux excès du vin, qui est une source de dissolution. Par conséquent puisqu'on ne défend pas à ceux qui jeûnent l'usage du yin, on ne devrait pas leur interdire non plus l'usage de la viande.

2. Il y a des poissons qui sont aussi agréables à manger que la chair de certains animaux. Or, la concupiscence est le désir de ce qui est agréable, comme nous l'avons vu (la2*, quest. xxx, art. 1). Par conséquent puisque dans le jeûne, qui a été établi pour mettre un frein à la concupiscence, on ne défend pas de manger des poissons, on ne doit pas non plus défendre l'usage de la viande.

3. A certains jours de jeûne on fait usage d'oeufs et de fromage. Donc pour la même raison on devrait en faire usage pendant le carême.

La coutume générale de l'Eglise est contraire.

CONCLUSION. — Le jeune ayant été établi par l'Eglise pour réprimer les convoitises de la chair, il a été convenable d'interdire à ceux qui jeûnent la viande, le lait et les oeufs.

En sens contraire Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 6 huj. quaest.), le jeûne a été établi par l'Eglise pour réprimer les convoitises de la chair qui se rapportent aux choses qui délectent le tact et qui consistent dans les plaisirs de la table et dans les jouissances charnelles. C'est pourquoi l'Eglise a interdit à ceux qui jeûnent ces aliments qui sont très-agréables à manger, et qui portent le plus les hommes aux mouvements de la chair. Telles sont les chairs des animaux qui naissent sur terre et qui respirent, et ce qui en provient, comme le lait qui vient de ceux qui marchent et les oeufs de ceux qui ont des ailes (I). Car ces choses ayant plus de ressemblance avec le corps humain le délectent davantage et contribuent aussi plus efficacement à le nourrir : sic ex eorum comestione plus superfuit, ut vertatur in materiam seminis, cujus multiplicatio est maximum incitamentum luxurias. C'est pour ce motif que l'Eglise a ordonne à ceux qui jeûnent de s'abstenir sur tout de ces aliments.

(t)Ainsi il est permis d'avancer le repas, pourvu qu on 1 avance de moins d'une lieurc : Omnibus licitum est anlicipare infra horam etiam sine causd (saint Liguori, De vroecenlix Ecclesiae, n" 1026). y sentiment que saint Liguori regarde comme le plus probable (ibid.).
(4)Il y a eu des hérétiques, comme les ébionitcs, les encratites, les manichéens, qui ont dit que les chairs des animaux étaient immondes, et qu'on no devait jamais en faire usage. D'autres, comme les nicolaïtcs et les valentiniens, ont condamné au contraire tous les jeûnes et toutes les abstinences. Les protestants ont reproduit cette dernière erreur.

Ad primum ergo dicendum quôd ad actum generationis tria concurrunt; scilicet calor, spiritus et humor. Ad calorem quidem maxime cooperatur vinum et alia calefacientia corpus; ad spiritus autem videntur cooperari inflativa : sed ad humorem maxime cooperatur usus carnium, ex quibus multum de alimento generatur. Alteratio autem caloris et multiplicatio spirituum cito transit; sed substantia humoris diu manet. Et ideo magis in- terdicitur jejunantibus usus carnium quam vini vel leguminum, quae sunt inflativa.

Réponse Il faut répondre au second, que l'Eglise en établissant le jeûne a fait attention à ce qui arrive le plus souvent. Ainsi la viande est généralement plus agréable que le poisson ; quoique dans certaines circonstances il en soit autrement. C'est pourquoi l'Eglise a défendu à ceux qui jeûnent l'usage de la viande plutôt que celui du poisson (2).

3. Il faut répondre au troisième, qu'on défend à ceux qui jeûnent les oeufs et le laitage, parce que ce sont des produits qui viennent des animaux qui ont de la chair. C'est pourquoi on dépend plus particulièrement la viande que les oeufs et le laitage. De même le jeûne du carême est plus solennel que les autres; soit parce qu'on l'observe à l'imitation de Jésus-Christ; soit parce qu'il nous dispose à célébrer dévotement les mystères de notre Rédemption. C'est pour cela que dans tous les jeûnes on interdit l'usage de la viande ; au lieu que dans celui du carême on défend encore universellement les oeufs et le laitage. Pour ce qui regarde l'abstinence de ces deux dernières choses dans les autres jeûnes, les coutumes varient selon les pays. Chacun doit suivre la coutume en usage dans Je pays où il se trouve. C'est ce qui a fait dire à saint Jérôme en parlant du jeûne (Epist, xxviii ad Lucinium) que chaque province abonde dans son sens et qu'elle regarde les préceptes des anciens comme des lois apostoliques (3).




QUESTION 148 DE LA. GOURMANDISE.


Sur la gourmandise nous avons six questions à examiner : l° La gourmandise est- elle un péché? — 2° Est-elle un péché mortel ? — 3° Est-elle le plus grand des péchés? — 4° De ses espèces. — 5° Est-elle un vice capital ? — G" Quels sont les vices qu'elle engendre?



ARTICLE I. — la gourmandise est-elle un péché?


Objections: 1. Il semble que la gourmandise ne soit pas un péché. Car le Seigneur dit (Mt 15,2) que ce qui entre dans la bouche, ne souille pas l'homme. Or, la gourmandise a pour objet les mets qui entrent dans l'homme. Par conséquent, puisque tout péché souille l'homme, il semble que la gourmandise ne soit pas un péché.

aquatiques. On doit consulter à cet égard l'usago de chaque diocèse.

(5) Saint Augustin dit aussi (Ep 86) : In his rebus de quibus nihil certi statuit Scriptura sacra, mos populi Dei, vel instituta majorumi pro lege tenenda sunt.

2. Personne ne pèche dans ce qu'il ne peut pas éviter. Or, la gourmandise consiste dans un excès de nourriture que l'homme ne peut pas éviter. Car saint Grégoire dit (Mor. lib. xxx, cap. 14) que dans le repas le plaisir se mêlant à la nécessité, on ne sait pas ce que la nécessité demande et ce que le plaisir sollicite. Saint Augustin dit aussi (Conf. lib. x, cap. 31) : Quel est celui, Seigneur, qui ne prenne pas un peu plus de nourriture que la stricte nécessité ne l'exige. La gourmandise n'est donc pas un péché.

3. Dans tout genre de péché le mouvement premier est un péché. Or, le mouvement premier qui nous porte à prendre de la nourriture n'est pas un péché : autrement la faim et la soif seraient des péchés. Donc la gourmandise n'en est pas un non plus.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Mor. lib. xxx, cap. 13) qu'on ne se lève pas pour soutenir le combat spirituel, à moins que l'ennemi qui est au dedans de nous- même, c'est-à-dire le désir de la gourmandise, ne soit auparavant dompté. Or, l'ennemi intérieur de l'homme, c'est le péché. Par conséquent la gourmandise en est un.

CONCLUSION. — La gourmandise étant le désir déréglé du boire et du manger, il est évident qu'elle est un péché.

Réponse Il faut répondre que la gourmandise ne désigne pas un désir quelconque du boire et du manger, mais un désir déréglé. Or, un désir est déréglé par là même qu'il s'écarte de l'ordre de la raison dans lequel le bien de la vertu morale consiste. Et comme on appelle péché ce qui est contraire à la vertu, il s'ensuit qu'il est évident que la gourmandise est un péché (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce qui entre dans l'homme à titre d'aliment, selon sa substance et sa nature, ne le souille pas spirituellement. Au lieu que les Juifs contre lesquels le Seigneur parle, et les manichéens pensaient qu'il y avait des aliments qui rendaient immondes, non à cause de ce qu'ils figurent, mais en raison de leur propre nature. Toutefois le désir déréglé des aliments souille l'homme spirituellement.

2. Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), le vice de la gourmandise ne consiste pas dans la substance de la nourriture (2), mais dans un désir qui n'est pas réglé par la raison. C'est pourquoi si on prend plus de nourriture qu'il n'en faut, non par concupiscence, mais parce qu'on croit que cette quantité est nécessaire, cet acte ne se rapporte pas à la gourmandise, mais à un défaut de connaissance. La gourmandise consiste seulement à manger sciemment plus qu'on ne doit, par suite de l'attrait que l'on a pour des aliments délicats.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il y a deux sortes d'appétit : un appétit naturel qui appartient aux puissances de l'âme végétative dans lesquelles il ne peut y avoir ni vice, ni vertu, parce qu'elles ne peuvent être soumises à la raison. Cette puissance appétitive se divise en trois parties : celle qui retient les aliments, celle qui les digère, et celle qui rejette ce que le corps ne doit pas conserver. La faim et la soif appartiennent à cet appétit. Il y a un autre appétit sensitif dans la concupiscence duquel consiste le vice de la gourmandise. Par conséquent le premier mouvement de la gourmandise implique dans l'appétit sensitif un dérèglement qui n'existe pas sans péché.

(1) La gourmandise est un usage immodéré des aliments nécessaires à la vie. Il ne faut pas la confondre avec l'ivrognerie, qui est le vice opposé à la sobriété.

qu'on trouve à son goût, sans qu'il y ait en cela péché. Car la Providence a attaché aux aliments un certain agrément pour que l'homme s'acquitte facilement de ce qui est nécessaire ii l'entre tica de sou existence.


ARTICLE II. — I.A GOURMANDISE EST-ELLE UN PÉCHÉ MORTEL ?


Objections: 1. Il semble que la gourmandise ne soit pas un péché mortel. Car tout péché mortel est contraire à l'un des préceptes du Décalogue : et il ne semble pas qu'il en soit ainsi de la gourmandise. Elle n'est donc pas un péché mortel.

2. Tout péché mortel est contraire à la charité, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. cxxxn, art. 3). Or, la gourmandise n'est pas contraire à la charité, ni quant à l'amour de Dieu, ni quant à l'amour du prochain. La gourmandise n'est donc pas un péché mortel.

3. Saint Augustin dit (Serm. de Purgat.) que quand on mange ou quand on boit plus qu'il n'est nécessaire, ce sont de petits péchés. Or, c'est là ce que fait la gourmandise. On doit donc la compter parmi les petits péchés, c'est- à-dire parmi les péchés véniels.

4. Mais c'est le contraire. SaintGrégoire dit (Mor. lib. xxx, cap. 13) : Quand le vice de la gourmandise domine, les hommes perdent tout ce qu'ils ont fait avec courage, et quand on se laisse aller aux plaisirs de la table, toutes les vertus s'évanouissent simultanément. Or, la vertu n'est détruite que par le péché mortel. La gourmandise est donc un péché mortel.

CONCLUSION. — Si un désir déréglé de gourmandise faisait omettre à quelqu'un de propos délibéré quelque chose qui aurait été commandé par la loi de Dieu, il serait coupable de péché mortel.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le vice de la gourmandise consiste proprement dans une concupiscence déréglée. L'ordre de la raison qui règle la concupiscence peut être détruit de deux manières : 1° quant aux moyens, lorsqu'ils ne sont pas choisis en proportion avec la fin ; 2° quant à la fin elle-même, selon que la concupiscence détourne l'homme de la fin qu'il doit atteindre. Si donc le dérèglement de la concupiscence a lieu dans la gourmandise, au point de détourner l'homme de sa fin dernière, la gourmandise est alors un péché mortel. Ce qui arrive en effet quand l'homme s'attache à la délectation de la gourmandise comme à sa fin, et que pour elle il méprise Dieu, c'est-à-dire quand il est disposé à agir contre les préceptes de Dieu pour s'accorder ces jouissances (1). Mais si dans le vice de la gourmandise le désordre de la concupiscence ne s'étend qu'aux moyens, de telle sorte que tout en désirant avec excès les plaisirs de la table, on ne consente cependant pas à faire quelque chose contre la loi de Dieu pour les obtenir, le péché est véniel.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que le vice delà gourmandise n'est un péché mortel qu'autant qu'il détourne de la fin dernière : et sous ce rapport il revient par opposition au précepte de la sanctification du sabbat, qui nous ordonne de nous reposer dans notre fin dernière. Car tous les péchés mortels ne sont pas directement contraires aux préceptes du Décalogue; il n'y a que ceux qui renferment une injustice; parce que les préceptes du Décalogue appartiennent spécialement à la justice et à ses parties, comme nous l'avons vu (quest. cxxn, art. 1).

2. Il faut répondre au second, que, selon qu'elle nous détourne de notre fin dernière, la gourmandise est contraire à l'amour de Dieu, que nous devons aimer par-dessus toutes choses comme notre fin dernière ; et c'est seulement sous ce rapport qu'elle est un péché mortel.

3. Il faut répondre au troisième, que ce passage de saint Augustin s'entend de la gourmandise, selon qu'elle implique un désordre de la concupiscence qui ne s'étend qu'aux moyens.

(M) Tels sont ceu* qui ne vivent que pour boire et manger, qui violent pour se satisfaire les lois du jeûne et de l'abstinence, et qui se rendent par leurs excès incapables de remplir une fonction à laquelle ils sont obligés sous peine de péché mortel.

4. Il faut répondre au quatrième, qii'oh dit qite la gourmandise détruit les verttis, rrtoins à cause d'elle-même qu'à cause des vices qui en découlent. Car saint Grégoire dit (Past. pars ni, cap. 20) que quand le corps est bien repu, la Íuxure détruit toutes les vertus de l'âme.


ARTICLE III. — iÁ GOURMANDISE EST-ELLE LE PLUS GRAND DES PÉCHÉS?


Objections: 1. Il semble que la gourmandise soit le plus grand des péchés. Car la grandeur du péché se considere d'après l'étendue de la peine. Or, le péché de la gourmandise est celui qui est puni le plus sévèrement. Car saint ChrvSOstome dit (Hom. xiii in Mt.) que l'intempéhmce a chassé Adam du paradis, qu'elle a été cause du déluge qui couvrit la terre sous Noé, et qu'biíë a produit le châtiment des Sodomites, d'après ces paroles du prophète (Ez 16,49) : Voici quelle a été l'iniquité de Sodome votre soeur, c'est l'excès des viandes, etc. Le péché de la gourmandise est donc le plus gktnd des péchés.

2. La cause est ce qu'il y a de principal dans chaque genre. Or, la gourmandise paraît être la cause des autres péchés ; car, à l'occasion de ces paroles (Ps 135) : Qui percussit AEgyptum, etc., la glbsedit (ord. Cassiod.) : La luxure, la concupiscence et l'orgueil sont les premiers vices que les excès de la table ëhgendrent. La gourmandise est donc le plus grave des péchés.

3. Après Dieu l'homme doit principalement s'aimer lui-même, comme iiOus l'avons vu (quest. xxv, art. 4). Or, par le vice de la gourmandise f hom hic àè nuit à lui-même ; car il est dit (Si 38,34) : que l'intempérance en a tué plusieurs. La gourmandise est donc le plus grand des péchés, ou dii moins il n'y a que ceux qui sont contre Dieu qui peuvent être (iitis grands que celui-là.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Les vices charnels, parmi lesquels on compte la gourmandise, d'après saint Grégoire (Mor. lib. xxxiii, cap. 11),sont moins coupables que les autres.

CONCLUSÏON. — Quoique la gourmandise soit l'occasion de beaucoup de péchés; elle n'est cependant pas le plus grand de tous.

Réponse Il faut répondre que la gravité des péchés peut se considérer de trois manières : Premièrement et principalement selon la matière qui en est l'objet. Sous ce rapport les péchés qui ont pour objet les choses divines sont les plus grands. Par conséquent d'après cela le vice de la gourmandise n'est pas le plus grand; car il a pour objet les choses qui doivent nourrir le corps. 2° On peut le considérer par rapport au pécheur. A ce point de vue le péché de la gourmandise s'affaiblit plutôt qu’il ne s'aggrave, soit parce qu'on est contraint de phmdre de la nourriture, soit parce qu'il est difficile de discerner et de régler ce qui convient dans ces circonstances. 3° On peut l'envisager du côté de l’effet qui s'ensuit. A cet égard le vice de la gourmandise est très-grand, parce qu'il est la cause occasionnelle cl'bne foule de péchés différents (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ces peines se rapportent plutôt aux vices qui résultent de la gourmandise ou à sa cause radicale qu'à la gourmandise elle-même. Car le premier Homme a été chassé du paradis à cause de l'orgueil qui lui a fait faire un acte de gourmandise. Le déluge et le châtiment des Sodomites ont été ordonnés à cause des péchés de luxure qui sont résultés occasionnellement de la gourmandise.

(1) Saint Thomas indique dans le dernier article de cette question les vices qui naissent de la gourmandise.

2. Il faut répondre an second, que ce raisonnement S'appuie sur les péchés qui naissent de la gourmandise. IÍ n'est pas nécessaire que la cause l'emporte sur l'effet, à moins qu'il ne s'agisse d'une eátise absolue. Or, la gourmandise n'est pas la cause absolue des autres vice á, mais elle en est seulement la cause accidentelle ou occasionnelle.

3. Il faut répondre au troisième, que le gourmand n'a pas l'intention de nuire au corps, mais de se procurer les jouissances de la table. S'il en résulte pour son corps un dommage, c'est par* accident. Par conséquent cet effet n'appartient pas directement à la gravité de la gourmandise , dont la faute deviendrait cependant plus grave, si l'on se faisait itri tort corporel en prenant des aliments avec excès (1).

ARTICLE IV. — EST-IL CONVENABLE DE DÍSTINGtM AttANÍ DESÎ>ÈCES


II-II (Drioux 1852) Qu.147 a.5