II-II (Drioux 1852) Qu.162 a.7

ARTICLE VII. — l'orgueil est-il le premier re tous les péchés (1)?


Objections: 1. Il semble que l'orgueil ne soit pas le premier de tous les péchés. En effet, le premier se trouve dans tous ceux qui suivent. Or, tous les péchés ne sont pas accompagnés de l'orgueil et n'en naissent pas. Car saint Augustin dit (Lib. de nat. et grat. cap. 29) qu'il y a beaucoup d'actions mauvaises qui ne sont pas des oeuvres d'orgueil. L'orgueil n'est donc pas le premier de tous les péchés.

2. Il est dit (Eccli. x, 14) : Le commencement de l'orgueil, c'est d'aposta- sier Dieu. L'apostasie est donc avant l'orgueil.

3. L'ordre des péchés paraît être conforme à l'ordre des vertus. Or, l'humilité n'est pas la première des vertus, mais c'est plutôt la foi. L'orgueil n'est donc pas le premier des péchés.

4. L'Apôtre dit (II. Tim. m, 13) : Les hommes méchants et les imposteurs se fortifient de plus en plus dans le mal, et il semble par conséquent que le principe de la malice de l'homme ne vienne pas du plus grand des péchés. Or, l'orgueil est le plus grand des péchés, comme nous l'avons dit (art. préc.). Il n'est donc pas le premier.

5. Ce qui existe d'après l'apparence et la fiction est postérieur à ce qui existe d'après la vérité. Or, Aristote dit (Eth. lib. iii, cap. 7) que l'orgueil est une fiction de la force et de l'audace. Le vice de l'audace est donc antérieur au vice de l'orgueil.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Il est dit (Eccli. x, 15) : Le commencement de tout péché est V orgueil.

CONCLUSION. — L'orgueil par lequel principalement nous nous éloignons de Dieu est le premier et le principe de tous les péchés.

Réponse Il faut répondre que ce qui est par soi est dans chaque genre ce qu'il y a de premier. Or, nous avons dit (art. préc.) que l'éloignement de Dieu, qui est le complément formel de l'essence du péché, appartient à l'orgueil par lui-même et aux autres péchés par voie de conséquence. D'où il suit que l'or-

(I) Pour cet article, voyez tome iii, pages 331 etsuiv.

gueil est par nature le premier péché et qu'il est aussi le principe de tous les autres, comme nous l'avons dit (1* 2% quest. lxxxiv, art. 2) en traitant des causes du péché, si on le considère au point de vue de l'éloignement, qui est ce qu'il y a de plus principal dans le péché.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que l'orgueil est le commencement de tout péché, non parce que tous les péchés en proviennent individuellement, mais parce que tout genre de péché peut naturellement en provenir.

2. Il faut répondre au second, qu'on dit qu'apostasier Dieu est le commencement de l'orgueil, non comme si l'apostasie était différente de ce vice, mais parce qu'elle en est la première partie. Car nous avons dit (art. b huj . quaest.) que l'orgueil a principalement pour objet la soumission divine qu'il méprise, et par voie de conséquence il dédaigne de se soumettre à la créature à cause de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, qu'il n'est pas nécessaire que l'ordre des vertus et des vices soit le même. Car le vice est l'altération de la vertu. Or, ce qu'il y a de premier dans la génération se trouve le dernier dans la corruption. C'est pourquoi, comme la foi est la première des vertus, de même l'infidélité est le dernier des péchés, et l'homme y est quelquefois conduit par d'autres fautes. C'est ce qui fait dire à la glose sur ces paroles (Ps. cxxxvi) : Rasez-le, rasez-le jusque dans ses fondements, que le défaut de foi se glisse sous un monceau de vices. Et l'Apôtre dit (I. Tim. i, 19) qu'il y en a qui ont fait naufrage dans la foi pour n'avoir pas conservé une bonne conscience.

4. Il faut répondre au quatrième, qu'on dit que l'orgueil est le plus grave des péchés, parce qu'il s'accorde par lui-même avec le principe d'après lequel on apprécie la gravité de tous les actes coupables. C'est pourquoi il est cause de la gravité de tous les autres péchés. Mais il y a des fautes légères, telles que celles qu'on commet par ignorance ou par faiblesse, qui existent antérieurement à l'orgueil. Seulement, entre les fautes graves, il tient le premier rang, comme la cause qui aggrave toutes les autres iniquités. Et parce que ce qui contribue le premier à produire le péché est le dernier à s'en éloigner, il s'ensuit qu'à l'occasion de ces paroles [Ps. xviii) : Je serai purifié duplus grand crime, la glose dit (interl.), c'est-à-dire du crime d'orgueil, qui est la dernière chose à détruire dans ceux qui reviennent à Dieu, et qui est la première qui agisse dans ceux qui s'en écartent.

5. Il faut répondre au cinquième, qu'Aristote rapporte à l'orgueil les efforts que l'on fait pour se donner une réputation de force, non que ce soit l'objet exclusif de ce vice, mais parce que l'homme pense par là s'élever dans l'esprit de ses semblables, s'il paraît audacieux ou fort.

ARTICLE VIII. — doit-on faire de l'orgueil un vice capital?


Objections: 1. Il semble qu'on doive considérer l'orgueil comme un vice capital. Car saint Isidore (Lib. com. in Deut. cap. 16) et Cassien (De inst. coenob. lib. v, cap. 1, et lib. xii) le placent au nombre des vices capitaux.

2. L'orgueil paraît être la même chose que la vaine gloire, parce que ces deux vices cherchent l'un et l'autre à exceller. Or, la vaine gloire est un vice capital. L'orgueil doit donc en être un aussi.

3. Saint Augustin dit (Lib. de virg. cap. 31) que l'orgueil produit l'envie et qu'il ne va jamais sans cette compagne. Or, l'envie est un vice capital, comme nous l'avons dit (quest. xxxvi, art. 4). A plus forte raison l'orgueil aussi.

En sens contraire Mais c'est contraire. Saint Grégoire ne compte, pas l'orgueil au nombre des vices capitaux (Mor. lib. xxxi, cap. 17).

CONCLUSION. — L'orgueil considéré d'une certaine manière est un vice capital, mais sous un autre rapport on doit dire plutôt qu'il est le chef et le père de tous les vices.

Réponse Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 2 huj. quaest. et art. 5 ad I), l'orgueil peut se considérer de deux manières : 1° en soi, c'est-à-dire selon qu'il est un péché spécial; 2° selon qu'il exerce une influence universelle sur tous les péchés. Or, on appelle vices capitaux des péchés particuliers d'où naissent plusieurs autres genres de fautes. C'est pourquoi il y a des auteurs qui, considérant l'orgueil comme un péché spécial, le comptent au nombre des autres vices capitaux (1). — Au contraire, saint Grégoire, considérant l'influence universelle que la superbe exerce sur tous les vices, comme nous l'avons dit (art. 2), ne l'a pas comptée parmi les autres péchés capitaux, mais il en a fait la reine et la mère de tous les vices. C'est ce qui lui fait dire (Mor. lib. xxxi loc. sup. cit.) : La superbe est la reine des vices ; quand elle reste pleinement maîtresse du coeur qu'elle a vaincu, elle le livre aussitôt aux sept vices capitaux, qui sont pour ainsi dire ses généraux, pour qu'ils le dévastent, et de ces vices naissent une multitude de péchés.

Solutions: 1. La réponse au premier argument est par là meme évidente.

2. Il faut répondre au second, que l'orgueil n'est pas la même chose que la vaine gloire, mais qu'il en est la cause. Car l'orgueil désire déréglément l'élévation, au lieu que la vaine gloire désire qu'elle se manifeste.

3. Il faut répondre au troisième, que par là même que l'envie, qui est un vice capital, vient de l'orgueil, il ne s'ensuit pas que l'orgueil soit un vice capital, mais il en résulte qu'il est quelque chose de plus principal que les péchés capitaux.




QUESTION 163 DU PÉCHÉ DU PREMIER HOMME.


Nous avons maintenant à nous occuper du péché du premier homme, qui a été produit par l'orgueil. — Nous traiterons : 1° de son péché ; 2° de la peine de ce péché; 3" de la tentation, par laquelle il a été poussé à le commettre.—Sur le péché il y a quatre questions à examiner : 1° Le premier péché de l'homme a-t-il été l'orgueil ? — 2° Qu'est- ce que le premier homme a désiré en péchant P — 3" Son péché a-t-il été plus grave que tous les autres péchés P — 4° Est-ce l'homme ou la femme qui a le plus péché P


ARTICLE I. — LE PÉCHÉ DU PREMIER HOMME A-T-IL ÉTÉ L'ORGUEIL (2)?


Objections: 1. Il semble que l'orgueil n'ait pas été le péché du premier homme. Car l'Apôtre dit (Rm 5,19) que par la désobéissance d'un seul plusieurs sont devenus pécheurs. Or, le péché du premier homme est celui qui a rendu tout le genre humain souillé du péché originel. C'est donc la désobéissance et non l'orgueil qui a été le péché du premier homme.

2. Saint Ambroise dit (Sup. Luc. cap. 4) que le diable tenta le Christ dans l'ordre où il a renversé le premier homme. Or, le Christ a été d'abord tenté du côté de la gourmandise, comme on le voit (Mt 4,3), quand le démon lui a dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, dites que ces pierres se changent en pain. Le premier péché du premier homme ne fut donc pas l'orgueil, mais la gourmandise.

3. L'homme a péché d'après l'instigation du démon. Or, le tentateur lui a

(D)Dans la classification actuellement adoptée, on a mis l'orgueil à la place de la vaine gloire, sans doute parce que cette expression offre au peuple un sens plus facile à saisir.
(2) Tous les Pères enseignent, avec saint Thomas, que le péché du premier homme fut l'orgueil. Il a d'ailleurs démontré que ce vice est le commencement de tout péché (Vojez tome iii, page 552).

promis la science, comme on le voit (Gn 3). Par conséquent le premier dérèglement de l'homme a été produit par le désir de la science, ce qui appartient à la curiosité. C'est donc la curiosité et non l'orgueil qui a été le premier péché.

Objections: 1. A l'occasion de ces paroles (1Tm 2) : La femme a été séduite dans la prévarication, la glose dit (ordin. Aug. lib. xi sup. Gen. ad litt. cap. ult.) : L'Apôtre a appelé séduction ce qui a fait croire à nos premiers parents comme vrai, au moyen de la persuasion, ce qui était faux -, c'est que Dieu ne leur avait défendu de toucher à l'arbre que parce qu'il savait qu'en y touchant ils seraient comme des dieux, comme si celui qui leur avait donné la nature humaine eût envié leur divinité. Or, il appartient à l'infidélité de croire de pareilles choses. Ce fut donc l'infidélité et non l'orgueil qui fut le premier péché de l'homme.

En sens contraire Mais c'est 1 e.contraire. L'Ecriture dit (Si 10,15) : Le commencement de tout péché est Vorgueil. Or, le péché du premier homme est le commencement de toutes les prévarications, d'après ce passage de saint Paul (Rm 5,12) : Par un seul homme le péché est entré en ce monde. Le premier péché de l'homme fut donc l'orgueil.

CONCLUSION. — Le péché du premier homme fut l'orgueil, par lequel il a désiré un bien spirituel supérieur à sa condition.

Réponse Il faut répondre qu'une foule de mouvements peuvent concourir au même péché, et parmi ces mouvements, le premier qui est coupable c'est celui dans lequel le dérèglement se rencontre tout d'abord. Or, il est évident que le désordre moral existe dans le mouvement intérieur de l'âme avant de se trouver dans l'acte extérieur du corps; parce que, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. i, cap. 48), on ne perd pas la sainteté du corps tant que la sainteté de l'âme persévère. En outre, parmi les mouvements intérieurs, l'appétit doit se porter vers la fin avant de se porter vers les moyens que l'on cherche en vue de la fin. C'est pourquoi le premier péché de l'homme a existé là où le premier désir d'une fin déréglée a pu se produire. Or, l'homme avait été établi dans l'état d'innocence, de telle sorte que la chair ne pouvait pas se révolter contre l'esprit. Par conséquent le premier dérèglement de l'appétit humain n'a pu provenir de ce qu'il a désiré un bien sensible vers lequel la concupiscence de la chair se porte contrairement à l'ordre de la raison. Il faut donc que le premier désordre de l'appétit ait eu pour cause le désir déréglé d'un bien spirituel. Mais ce désir n'aurait pas été déréglé, s'il eût été conforme à la mesure que la règle divine a préalablement déterminée. D'où il résulte que le premier péché de l'homme a consisté dans le désir d'un bien spirituel supérieur à ses forces; ce qui appartient à l'orgueil. D'où il est évident que l'orgueil a été le premier péché du premier homme.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que si l'homme a désobéi au précepte divin, il n'a pas voulu cette désobéissance pour elle-même, parce que ce sentiment n'est possible qu'aut ant que la volonté a été préalablement déréglée. Il faut donc qu'il ait consenti à lui désobéir pour une autre fin. Or, la première chose qu'il a voulue déréglément, c'est sa propre excellence ; c'est pourquoi fa désobéissance n'a été en fui que l'effet de l'orgueil. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (ad Oros. QQ. lxv, quaest. 4) que l'homme enflé d'orgueil a obéi à la pers uasion du serpent, et qu'il a méprisé les préceptes de Dieu.

2. Il faut répondre au second, que la gourmandise a eu lieu aussi dans le péché de nos premiers parents. Car il est dit (Gn 3,6) : La femme vit oue le fruit de cet arbre était bon à manger, qu'il était beau et agréable à la vue, et en ayant pris elle en mangea. Cependant la bonté et la beauté de l'aliment ne fut pas le premier motif qui la porta au péché, mais ce fut la parole persuasive du serpent, qui lui dit : Vos yeux seront ouverts et vous serez comme des dieux. En désirant cette élévation la femme pécha par orgueil. C'est pourquoi le péché de gourmandise est venu du péché d'orgueil.

3. Il faut répondre au troisième, que le désir de la science a été produit dans nos premiers parents par le désir déréglé de leur élévation. Aussi le serpent dit-il tout d'abord : Vous serez comme des dieux; puis il ajoute : Sachant le bien et le mal.

4. Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. xi, cap. 30), les paroles du serpent n'auraient pas fait croire à la femme que Dieu lui avait défendu d'user d'une chose bonne et utile, si elle n'avait déjà eu dans le coeur l'amour de sa propre puissance et une présomption orgueilleuse d'elle-même. Ce qui ne signifie pas que l'orgueil a précédé la persuasion du serpent, mais qu'immédiatement après, il est entré dans l'âme de la femme, et lui a fait croire que ce que le démon disait était vrai.


ARTICLE II. — l'orgueil du premier homme a-t-il consisté en ce qu'il a désiré être semblable adieu?


Objections: 1. Il semble que l'orgueil du premier homme n'ait pas consisté en ce qu'il a désiré la ressemblance divine. Car un individu ne pèche pas en désirant ce qui lui convient selon sa nature. Or, la ressemblance de Dieu convient ainsi à l'homme, puisqu'il est dit (Gn 1,26) : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. 11 n'a donc pas péché en désirant ressembler à Dieu.

2. Le premier homme paraît avoir désiré la ressemblance divine, en ce qu'il voulait avoir la science du bien et du mal. Car c'est ce que le serpent Ini suggérait en disant : Vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Or, le désir de la science est naturel à l'homme, d'après ces paroles d'Aristote (Met. in princ.) : Tous les hommes désirent naturellement savoir. 11 n'a donc pas péché en désirant être semblable à Dieu.

3. Aucun sage ne choisit ce qui est impossible. Or, le premier homme avait la sagesse, d'après ces paroles de l'Ecriture (Si 17,5) : Il les a remplis de la lumière de l'intelligence. Par conséquent, puisque tout péché consiste dans l'appétit délibéré qui est l'élection, il semble que le premier homme n'ait pas péché en désirant quelque chose d'impossible. Et comme il est impossible que l'homme soit semblable à Dieu, d'après cette pensée de Moïse (Ex 15,11) : Qui d'entre les forts est semblable a vous, Seigneur ? le premier homme n'a donc pas péché en désirant ressembler à Dieu.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Sur ces paroles (Ps 68) : Quae non rapui, tunc exsolvebam, saint Augustin dit (glos. ord.) : Adam et Eve ont voulu ravir la divinité et ils ont perdu la félicité.

CONCLUSION. — Le premier homme a péché par orgueil en désirant déréglément ressembler à Dieu, non-seulement quant à la science du bien et du mal qu'il a principalement convoitée, mais encore quant à son pouvoir particulier d'action, en désirant arriver à la félicité divine par ses propres forces; mais il n'a désiré d'aucune manière la ressemblance delà nature divine.

Réponse Il faut répondre qu'il y a deux sortes de ressemblance. L'une qui résulte d'une égalité absolue : nos premiers paren ts n'ont pas ainsi désiré ressembler a Dieu, parce qu'une pareille ressemblance ne peut tomber dans l'esprit de personne, surtout d'un sage. Mais il y a une autre ressemblance qui est seulement d'imitation. Il est possible à la créature de ressembler ainsi à Dieu, puisqu'elle participe à sa ressemblance selon son mode. Car saint Denis dit (De div. nom. cap. 9) : Les mêmes choses sont semblables à Dieu et lui sont dissemblables-, elles lui ressemblent parleur imitation contingente, mais elles en diffèrent selon la distance qu'il y a de l'effet à la cause. Or, tout ce qu'il y a de bon dans la créature est une ressemblance participée du bien premier. C'est pourquoi, par là meme que l'homme désire un bien spirituel au-dessus de ses forces, comme nous l'avons dit (art. préc.), il s'ensuit qu'il désire déréglément la ressemblance divine. — Cependant il est à remarquer que le désir a pour objet propre une chose que l'on ne possède pas. Or, le bien spirituel, d'après lequel la créature raisonnable participe à la ressemblance divine, peut se considérer sous trois rapports : 1° D'après l'être même de la nature. Cette ressemblance a été imprimée, dès le commencement de la création, à l'homme dont il est dit (Gn 1,26) que Dieu fit l'homme à son image et à sa ressemblance, et à l'ange dont l'Ecriture dit aussi (Ez 28 Ez 12) : Fous êtes le sceau de la ressemblance. 2° Quant à la connaissance. L'ange reçoit encore cette ressemblance dans la création ; c'est pourquoi, après avoir dit: Fous êtes le sceau de la ressemblance, le prophète ajoute aussitôt : Fous êtes rempli de sagesse. Mais le premier homme n'avait pas reçu cette ressemblance en acte dans sa, création, il ne la possédait qu'en puissance. 3° Quant au pouvoir d'agir. Ni l'ange ni l'homme n'avaient reçu en acte cette ressemblance au commencement même de leur création, parce qu'il restait à l'un et à l'autre quelque chose . à faire pour parvenir à la béatitude.—C'est pourquoi l'un et l'autre (le diable et le premier homme) ayant désiré déréglément ressembler à Dieu, ils n'ont péché ni l'un ni l'autre en ambitionnant la ressemblance de sa nature. Mais le premier homme a péché principalement en désirant ressembler à Dieu par rapport à la science du bien et du mal, comme le serpent le lui a suggéré; soit qu'il ait voulu déterminer, par la vertu de sa propre nature, ce qu'il y avait de bon et ce qu'il y avait de mauvais à faire pour lui, soit qu'il ait désiré connaître à l'avance, par lui-même, ce qui devait lui arriver de bien ou de mal. Et il a péché secondairement en désirant ressembler à Dieu, quant à sa propre puissance d'action; c'est-à-dire qu'il a voulu arriver à la béatitude, par la vertu de sa nature propre. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. xi, cap. 30) qu'il y avait dans le coeur de la femme l'amour de sa propre puissance. Quant au démon, il a péché en désirant ressembler à Dieu quant à la puissance (1). D'où saint Augustin dit (Lib. de ver. relig. cap. 13) qu'il a plutôt voulu jouir de sa puissance que de celle de Dieu. Cependant, sous un rapport, le démon et l'homme ont désiré s'égaler à Dieu, dans le sens qu'ils ont voulu l'un et l'autre s'appuyer sur eux-mêmes, au mépris de l'ordre établi par la loi divine.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement s'appuie sur la ressemblance de nature; et ce n'est pas en la désirant que l'homme a péché, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

2. Il faut répondre au second, que ce n'est pas un péché de désirer absolument ressembler à Dieu quant à la science, mais c'en est un si on le désire déréglément, c'est-à-dire au-delà de la mesure dans laquelle on doit se renfermer. C'est pourquoi, à l'occasion de ces paroles (Ps 70, Deus, quis similis erit tibi), saint Augustin dit (glos. or d.) : Celui qui prétend exister par lui-même, comme Dieu, qui ne dépend de personne, veut d'une manière perverse lui ressembler à la façon du démon qui ne voulut pas être sous lui, et à la façon de l'homme qui ne voulut pas être à ses ordres comme un serviteur.

3. Il faut répondre au troisième, que cet argument repose sur la ressemblance d'égalité.


ARTICLE III. — LE PÉCHÉ DE NOS PREMIERS PARENTS A-T-IL ÉTÉ PLUS GRAVE QUE LES AUTRES ?


Objections: 1. Il semble que le péché de nos premiers parents ait été plus grave que les autres. Car saint Augustin dit (De civ. lib. xiv, cap. i 5) : Nous sommes bien coupables en péchant, lorsqu'il nous est très-facile de ne pas pécher. Or, nos premiers parents ont eu la plus grande facilité de ne pas pécher, parce qu'il n'y avait rien en eux qui les portât au mal. Leur péché a donc été plus grave que les autres.

2. La peine est proportionnée à la faute (1). Or, le péché de nos premiers parents a été le plus grièvement puni, parce que c'est par lui que la mort est entrée en ce monde, comme le dit l'Apôtre (Rm 5,12). Ce péché a donc été plus grave que tous les autres.

3. Ce qu'il y a de premier dans un genre paraît être ce qu'il vade plus grand, comme le dit Aristote (Met. lib. n, text. 4). Or, le péché de nos premiers parents fut le premier de tous les autres péchés des hommes. Il fut donc le plus grand.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Origènedit (Periarck. lib. 1, cap. 3) : Je ne pense pas que celui qui est placé au degré le plus élevé de perfection, tombe tout à coup au plus profond de l'abîme; mais ii faut qu'il décline peu à peu, et qu'il y arrive ainsi successivement. Or, nos premiers parents occupaient le degré de perfection le plus élevé. Leur première faute n'a donc pas été le plus grand de tous les crimes.

CONCLUSION. — Le péché de nos premiers parents ne fut pas absolument plus grave que les autres, mais il le fut sous un rapport, parce que c'est lui surtout qui leur a ravi leur innocence et leur pureté parfaite.

Réponse Il faut répondre que dans un péché on peut considérer deux sortes de gravité : l'une vient de l'espèce même du péché, c'est ainsi que nous disons que l'adultère est un péché plus grave que la simple fornication; l'autre est celle qui se considère d'après les circonstances de lieu, de personne ou de temps. La première gravité se rapporte essentiellement au péché et elle est la plus importante. C'est donc d'après celle-ci plutôt que d'après l'autre, qu'on dit qu'un péché est plus grave. Par conséquent on doit dire que le péché du premier homme ne fut pas plus grave que les autres, dans l'espèce. Car quoique l'orgueil l'emporte, selon son genre, sur tous les autres péchés; cependant l'orgueil qui fait que l'on nie Dieu ou qu'on le blasphème est supérieur à celui qui fait rechercher déréglément sa ressemblance, tel que fit l'orgueil de nos premiers parents, comme nous l'avons dit (art. préc.). —Mais sion envisage la condition des personnes qui l'ont commis, ce péché a eu la plus grande gravité à cause de la perfection de leur état (2). C'est pourquoi on doit dire que ce péché f ni à la vérité le plus grave sous un rapport, mais qu'il ne le fut pas absolument.

(2)Car dans cet état primitif il n'y avait pas la révolte de la chair, et la grâce était très- abondante.

'I) Pro mensurd delicti erit et plagarum modus (Dt 25 [10].

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement s'appuie sur la gravité du péché considérée d'après la circonstance de la personne qui le commet (1).

2. Il faut répondre au second, que la grandeur de la peine qui a été la suite du premier péché, ne lui correspond pas en raison de la gravité de son espèce, mais en tant qu'il fut la première faute, parce qu'à ce titre il détruisit l'innocence de l'état primitif, et cette innocence détruite, la nature humaine tout entière fut troublée.

3. Il faut répondre au troisième, que dans les choses qui sont ordonnées par elles-mêmes, il faut que ce qui est le premier soit le plus grand. Mais cet ordre n'existe pas dans les péchés; l'un vient par accident à la suite d'un autre. Par conséquent il ne s'ensuit pas que le premier péché soit le plus grand.



ARTICLE IV. — le péché d'adam fut-il plus grave que celui d'ève?


Objections: 1. Il semble que le péché d'Adam ait été plus grave que celui d'Eve. Car l'Apôtre dit (1Tm 2,14) qu'Adam n'a -pas été séduit, mais que la femme l'a été et qu'elle est tombée dans la prévarication. Il paraît par conséquent que le péché de la femme est venu de l'ignorance, tandis que celui de l'homme a été produit avec une science certaine. Or, cette espèce de péché est plus grave, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 12,47) : Le serviteur qui aura su la volonté de son maître et qui néanmoins ne s'y sera pas con formé, sera puni rudement ; mais celui qui ne l'aura pas connue et qui aura fait des choses dignes de châtiment, sera moins battu. Adam a donc péché plus grièvement qu'Eve.

2. Saint Augustin dit (Lib. de dec. chordis, cap. 3) : Puisque l'homme est le chef il doit le mieux vivre et devancer, dans toutes les bonnes oeuvres, son épouse, pour que celle-ci l'imite. Or, celui qui doit faire le mieux, s'il pèche, fait une faute plus grave. Adam a donc péché plus grièvement qu'Eve.

3. Le péché contre l'Esprit-Saint paraît être le plus grave. Or, Adam paraît avoir péché contre l'Esprit-Saint; parce qu'il a péché en comptant sur la miséricorde divine, ce qui appartient au péché de présomption. Il semble donc qu'Adam ait fait un péché plus grave qu'Eve.

En sens contraire Mais c'est le contraire. La peine répond à la faute. Or, la femme a été punie plus sévèrement que l'homme, comme on le voit (Gn 3) (2). Elle a donc péché plus grièvement que lui.

CONCLUSION. — Le péché d'Eve a élé plus grave que celui d'Adam, quoique Adam ait péché plus grièvement d'après la condition de la personne.

Réponse Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la gravité du péché se considère plus principalement d'après son espèce que d'après ses circonstances. Par conséquent on doit dire que si l'on envisage la condition des deux personnes, le péché de l'homme fut plus grave que celui de la femme, parce qu'il était plus parfait qu'elle. Mais pour le genre de péché il y eut égalité entre l'un et l'autre, parce que des deux côtés ce fut un péché d'orgueil. C'est ce qui fait dire à saint Augustin ( litt. lib. xi, cap.35) que la femme excusa son péché sur la faiblesse de son sexe, mais avec uno égale arrogance. Quant à l'espèce d'orgueil, la faute de la femme fut la plus grave pour trois raisons : 1° Parce que son orgueil fut plus grand que celui de l'homme. Car elle crut à la vérité des paroles du serpent, qui lui persuada que Dieu ne leur avait défendu de manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, que pour les empêcher de parvenir à sa ressemblance. Par conséquent, en touchant au fruit défendu elle voulut ressembler à Dieu, et son orgueil l'éleva au point de lui donner la prétention d'obtenir quelque chose contrairement à la volonté divine. Mais l'homme ne crut pas au serpent. Il ne voulut donc pas arriver à la ressemblance divine contre la volonté de Dieu, mais il s'enorgueillit en ce qu'il voulut l'obtenir par lui-même. 2° Parce que la femme ne pécha pas seulement, mais elle engagea encore l'homme à pécher, et par conséquent elle pécha contre Dieu et le prochain. 3° Ce qui affaiblit la faute de l'homme c'est qu'il a consenti au péché par suite de cette bienveillance amicale, qui porte ordinairement à offenser Dieu pour ne pas se faire un ennemi de celui que l'on a pour ami. Les justes résultats de la sentence divine ont montré qu'il ne devait pas en être ainsi, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt. lib. xi, cap. ult.). 11 est donc évident que le péché de la femme a été plus grave que celui de l'homme.

Ces peines sont propres à la femme, et elle n'en partage pas moins celles qui sont portées contre l'homme, quand il est dit : Maledicta terra in opere tuo... iri sudore vultûs tui vesceris pane, etc.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que cette séduction de la femme a été produite par son orgueil antérieur. C'est pourquoi cette ignorance n'excuse pas, mais elle aggrave le péché, dans le sens qu'elle a été cause que la femme s'est enorgueillie davantage.

2. Il faut répondre au second, que ce raisonnement s'appuie sur la circonstance de la condition de la personne, qui fait à la vérité que le péché de l'homme a été plus grave sous un rapport.

3. Il faut répondre au troisième, que l'homme n'a pas compté sur la miséricorde de Dieu jusqu'au mépris de sa justice, ce qui produit le péché contre l'Esprit-Saint; mais il y a compté, parce que, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. xiv, cap. 11), n'ayant pas éprouvé la sévérité de Dieu, il a cru que ce péché était véniel, c'est-à-dire facilement rémissible.





QUESTION 164 DES PEINES DU PÉCHÉ DU PREMIER HOMME



Nous avons maintenant à examiner les peines du péché du premier homme. — A ce sujet il y a deux questions à traiter. — Nous parlerons : l°de la mort qui est la peine générale; 2° des autres peines particulières qui sont exprimées dans la Cenèse.


ARTICLE I. — LA MORT EST-ELLE LA PEINE DU PÉCHÉ DE NOS PREMIERS PARENTS (1)?


Objections: 1. Il semble que la mort ne soit pas la peine du péché de nos premiers parents. Car ce qui est naturel à l'homme ne peut être appelé la peine du péché, parce que le péché ne perfectionne pas la nature, mais il la corrompt. Or, la mort est naturelle à l'homme; ce qui est évident, puisque son corps se compose d'éléments contraires et que le mot mortel entre dans sa définition. La mort n'est donc pas la peine du péché de nos premiers parents.

2. La mort et les autres défauts corporels se trouvent dans l'homme aussi bien que dans les autres animaux, d'après ces paroles de l'Ecriture (Qo 3,19) : V homme meurt et la bêle aussi, leur condition est égale. Or, pour les animaux, la mort n'est pas la peine du péché. Elle ne l'est donc pas non plus pour les hommes.

n'auraient pas péché. Mais le sentiment traire est de foi (Voy. tome HI, pago 543).

3. Le péché de nos premiers parents a été le péché de deux personnes spéciales. Or, la mort est une suite de toute la nature humaine. Il semble donc qu'elle ne soit pas la peine du péché de nos premiers parents.

4. Tous les hommes viennent également de nos premiers pères. Si donc la mort était une peine de leur péché, il s'ensuivrait que tous les hommes la subiraient également; ce qui est évidemment faux, parce que les uns meurent plutôt que d'autres et ont une fin plus pénible. La mort n'est donc pas la peine du premier péché.

5. Le mal de la peine vient de Dieu, comme nous l'avons vu ( part. I, quest. xlix , art. 2). Or, la mort ne paraît pas en venir, puisqu'il est dit (Sg 1,13) que Dieu n'a pas fait la mort. La mort n'est donc pas la peine du premier péché.

6. Les peines ne paraissent pas être méritoires; car le mérite est compris sous le bien et la peine sous le mal. Or, la mort est quelquefois méritoire , comme on le voit à l'égard de la mort des martyrs. II semble donc que la mort ne soit pas une peine.

7. La peine paraît être afflictive. Or, la mort ne peut l'être, comme on le voit, parce que quand elle existe on ne la sent pas, et quand elle n'existe pas on ne peut pas la sentir. La mort n'est donc pas une peine du péché.

8. Si la mort était la peine du péché, elle en aurait été immédiatement la conséquence. Or, il n'en a pas été ainsi ; car nos premiers parents ont vécu longtemps après leur péché, comme on le voit (Gn 4). La mort ne paraît donc pas être la peine du péché.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Iiom. v, 12) : Le péché est entré en ce monde par un seul homme, et par le péché la mort.

CONCLUSION. — La mort et les défauts corporels sont des peines qui résultent du péché de nos premiers parents.

Réponse Il faut répondre que si l'on est privé, par sa faute, d'un bienfait que l'on avait reçu, la privation de ce bienfait est la peine de cette faute. Or, comme nous l'avons dit (quest. xcv, art. 1, et quest. xcvn, art. 1), l'homme, dans son état primitif, avait reçu de la Providence ce bienfait, de manière que tant que son âme serait soumise à Dieu, ses puissances inférieures devraient être soumises à sa raison et son corps obéir à son intelligence. Mais parce que l'âme humaine s'est écartée, parle péché, de la soumission divine, il s'en est suivi que les puissances inférieures n'ont plus été totalement soumises à la raison. Et il est résulté de là une si grande révolte de l'appétit charnel contre la raison, que le corps n'a plus été totalement soumis à l'âme, et c'est ce qui a produit la mort et les autres défauts corporels. Car la vie et l'intégrité du corps consistent en ce qu'il soit soumis à l'âme, comme ce qui est perfectible est soumis à sa perfection. Par conséquent, par opposition, la mort et les maladies et tous les autres défauts corporeis proviennent de ce que le corps n'est pas soumis à l'âme. D'où il est évident que, comme la rébellion de l'appétit charnel contre l'esprit est la peine du péché de nos premiers parents, de même aussi la mort et tous les défauts corporels.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on appelle naturel ce qui est produit par les principes de la nature. Or, les principes de la nature sont par eux-mêmes la forme et la matière. La forme de l'homme est l'âme raisonnable , qui est par elle- même immortelle. C'est pourquoi la mort n'est pas naturelle à l'homme du côté de sa forme. Sa matière est au contraire un corps composé d'éléments opposés, d'où résulte nécessairement la corrup- tibilité. Sous ce rapport la mort est naturelle à l'homme. Cette condition de la nature du corps humain est une conséquence nécessaire de sa matière; car il fallait que le corps humain fût l'organe du tact, et que par conséquent il tint le milieu entre les choses tangibles, ce qui ne pouvait avoir lieu qu'à la condition d'être composé d'éléments contraires, comme on le voit dans Aristote [De an. lib. ii, text. 3). Mais cette condition ne résulte pas de ce que la matière est adaptée à la forme. Car si on le pouvait, puisque la forme est incorruptible, il faudrait plutôt que la matière fût incorruptible aussi. C'est ainsi qu'il convient à la forme et à l'action d'une scie, qu'elle soit de fer ou que sa dureté la rende apte à couper ; mais qu'elle soit susceptible de prendre la rouille, ceci provient nécessairement de la nature de sa matière, et n'est pas le fait de la volonté libre de l'ouvrier qui la fabrique. Car si l'artisan le pouvait, il ferait une scie de fer qui ne pût jamais contracter la rouille. Mais Dieu, qui est le créateur de l'homme, étant tout-puissant, il a, par un effet de sa bonté, exempté l'homme primitif de la nécessité de la mort qui découle de sa matière; puis il lui a retiré ce bienfait par suite du péché de nos premiers parents. Par conséquent, la mort est naturelle à cause de la condition de la matière, et elle est pénale parce que l'homme a perdu le bienfait de Dieu, qui le préservait de ce malheur (4).

2. Il faut répondre au second, que cette ressemblance de l'homme avec les animaux se considère quant à la condition de la matière, c'est-à-dire quant au corps composé d'éléments contraires, mais non quant à la forme. Car l'âme de l'homme est immortelle, au lieu que celles des animaux périssent.

3. Il faut répondre au troisième, que nos premiers parents ont été établis par Dieu, non-seulement comme des personnes particulières, mais comme les principes de toute la nature humaine, qu'ils devaient transmettre à leurs descendants simultanément avec le bienfait divin qui les préservait de la mort. C'est pourquoi, par leur péché, toute la nature humaine a été privée de ce bienfait dans leur postérité, et a été soumise à la mort.

4. Il faut répondre au quatrième, qu'un défaut résulte du péché de deux manières : 4° comme une peine déterminée par le juge. Ce défaut doit être égal dans ceux qui sont également coupables. 2° 11 y a un autre défaut qui est, par accident, la conséquence de cette peine; comme si, par exemple, un individu auquel on a fait perdre la vue pour un crime vient à tomber dans un chemin. Ce défaut n'est pas proportionné à la faute, et il n'est pas apprécié par le jugement de l'homme, qui ne peut pas connaître à l'avance les événements fortuits. Par conséquent, la peine déterminée pour le premier péché et qui lui correspond proportionnellement, c'est le retrait du bienfait divin qui conservait la droiture et l'intégrité de la nature humáine. Les défauts qui résultent de la soustraction de ce bienfait sont la mort et les autres afflictions de la vie présente. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire que ces peines soient égales dans ceux auxquels le premier péché appartient également. Mais parce que Dieu prévoit tous les événements futurs, d'après la disposition de sa prescience et de sa providence divine, ces afflictions sont diverses dans les divers individus, non à cause de leurs mérites ou de leurs démérites antérieurs à cette vie, comme l'a supposé Origène (.Periar. lib. n, cap. 9), ce qui est contraire à ces paroles de saint Paul (Rm 9,11) : lorsqu'ils n'avaient encore fait ni bien ni mal, et ce qui est aussi opposé à ce que nous avons démontré (part. I, quest. xlvii, art.2, et quest. lxxv, art. 7, et quest. xc, art. 4), en établissant que l'âme n'a pas été créée avant le corps; mais soit en punition des péchés des parents, dans le sens que le fils étant la chose du père, il arrive souvent que les parents sont punis dans leurs enfants ; soit aussi dans l'intérêt du salut de celui qui est soumis à ces épreuves, afin que par là il soit détourné du péché ou qu'il ne s'enorgueillisse pas de ses vertus et qu'il les couronne par la patience.

tionem Dei, atque ideo mortem, totumque Adam per illam proevaricationis offensam secundum corpus et animam in deterius commutatum fuisse, anathema sit.



II-II (Drioux 1852) Qu.162 a.7