II-II (Drioux 1852) Qu.168 a.3

ARTICLE III. — peut-il y avoir péché dans l'excès du jeu?


Objections: 1. Il semble qu'il ne puisse pas y avoir péché dans l'excès du jeu. En effet ce qui excuse du péché ne doit pas être appelé un péché. Or, le jeu excuse quelquefois du péché. Car il y a beaucoup de choses, si elles étaient faites sérieusement qui seraient de graves péchés, et qui faites en plaisantant ne sont rien ou ne sont que des fautes légères. Il semble donc qu'il n'y ait pas de péché dans l'excès du jeu.

2. Tous les autres vices se réduisent aux sept vices capitaux, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. xxxi, cap. 17). Or, l'excès dans les jeux ne paraît se rapporter à aucun des vices capitaux. Il semble donc que ce ne soit pas un péché.

3. Les histrions qui passent toute leur vie à jouer paraissent commettre les plus grands excès dans cette matière. Si donc l'excès du jeu était un péché, alors tous les histrions seraient en cet état. Tous ceux qui font usage de leur ministère ou qui leur donnent quelque chose pécheraient aussi, comme étant leurs fauteurs : ce qui paraît faux. Car on lit dans les vies des Pères (lib. ii, cap. 16, et lib. viii, cap. 63) qu'il a été révélé à saint Paphnuce qu'il aurait un histrion pour compagnon dans la vie future.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Sur ces paroles (Pr 14) : Le ris sera mêlé de douleur et la tristesse succède à la joie excessive, la glose dit (interl.) : une tristesse perpétuelle. Or, dans l'excès du jeu, il y a une joie déréglée. 11 y a donc là un péché mortel, puisqu'il n'y a que ce péché qui doive être puni par un châtiment éternel.

(I) Le concile de Trente blâme tout particulièrement cette alliance du sacré et du profane (sess.

iv et sess, xx», Veeret. de observ. in celebrat. miss.).

CONCLUSION. — Puisque les jeux et les amusements peuvent être dirigés convenablement et selon la raison, leur excès est toujours un péché; tantôt ce péché est mortel à cause de l'espèce de l'action, et tantôt il est véniel à cause des circonstances que l'on manque d'observer.

Réponse Il faut répondre que dans tout ce qui doit être dirigé conformément à la raison, on appelle excès ce qui dépasse la règle de cette faculté : on dit au contraire qu'une chose pèche par défaut, quand elle reste au-dessous de cette même règle. Or, nous avons dit (art. préc.) que les paroles ou les actions qui amusent doivent être dirigées conformément à la raison. C'est pourquoi on appelle excès dans le jeu ce qui dépasse la règle de la raison : ce qui peut avoir lieu de deux manières : 1° D'après l'espèce même des actions que l'on fait pour se divertir. Il y a en effet un genre de plaisanterie qui, d'après Cicéron (De offic. lib. i, cap. 29), est grossière, effrontée, déshonnête et obscène. La plaisanterie a ce caractère quand on a recours pour s'amuser à des paroles ou à des actions honteuses, ou à des choses qui tournent au détriment du prochain et qui sont par elles-mêmes des péchés mortels. Dans ce cas il est évident que l'excès dans le jeu est un péché mortel (1). 2° 11 peut y avoir excès dans le jeu parce que l'on manque d'observer les circonstances requises, comme quand on joue dans un temps ou dans un lieu où l'on ne devrait pas le faire, ou quand on manque aux convenances à l'égard des choses ou des personnes. Tantôt ce péché peut être mortel à cause de la violence de la passion que l'on a pour le jeu (2), dont on préfère le plaisir à l'amour de Dieu, en sorte que l'on aime mieux contrevenir aux préceptes de Dieu ou de l'Eglise que de. s'en abstenir. Tantôt ce péché n'est que véniel, quand l'attachement que l'on a pour le jeu n'est pas tel que l'on consente à offenser Dieu plutôt que de s'en priver.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'il y a des choses qui sont des péchés uniquement à cause de l'intention, parce qu'on les fait pour injurier quelqu'un. Cette intention est exclue par la plaisanterie dont le but est de s'amuser et non d'injurier quelqu'un. Dans ce cas le jeu excuse du péché ou le diminue. Il y a d'autres choses qui sont des péchés dans leur espèce, comme l'homicide et la fornication. Le jeu ne les excuse pas, elles le rendent au contraire criminel et obscène.

2. Il faut répondre au second, que l'excès dans le jeu appartient à cette folle joie qui, d'après saint Grégoire lui-même, est issue de la gourmandise. C'est pourquoi il est dit(.r. xxxii, 6) : Le peuple s'est assis pour manger et boire et il s'était levé pour jouer.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le jeu est nécessaire dans la vie humaine. Or, pour toutes les choses qui sont utiles dans le commerce de la vie, il faut qu'il y ait des emplois qui soient permis. C'est pourquoi l'office d'histrion qui a pour but de soulager et de recréer les hommes n'est pas défendu en lui-même (3), et ceux qui exercent cette profession ne sont pas en état de péché, tant qu'ils remplissent leur rôle d'une manière modérée, c'est-à-dire sans faire usage de paroles ou d'actions illicites et sans jouer des choses inconvenantes ou sans le faire dans des temps où cela ne serait pas permis. Quoique dans les choses humaines ils ne remplissent pas d'autres devoirs envers leurs semblables; cependant, par rapport à eux-mêmes et par rapport à Dieu, ils font d'autres actions sérieuses qui peuvent être des actes de vertu ; comme quand ils prient, quand ils règlent leurs passions et leurs actions et aussi quand ils font aux pauvres des aumônes. Par conséquent ceux qui les secourent modérément ne pèchent pas, mais ils font un acte de justice en leur accordant la récompense due à leurs services. Mais si l'on dépensait à de pareils plaisirs son superflu, ou qu'on sustentât des histrions qui se livrent à des jeux défendus, on pécherait, en les autorisant ainsi dans leur péché. C'est pourquoi saint Augustin observe (Sup.Joan. tract, c) : que donner son bien aux histrions, c'est un vice affreux et non une vertu, à moins qu'un histrion ne se trouve dans l'extrême nécessité où l'on devrait le secourir. En effet, saint Ambroise dit [Lib. de offic.) : Donnez à manger à celui qui meurt de faim ; car si vous pouvez sauver un homme en lui donnant du pain et que vous ne lui en donniez pas, vous êtes un homicide.

(M) Il faut prendre sarde d'abuser des termes de l'Ecriture et d'en faire des plaisanteries. Ce péché est mortel ou véniel, suivant que l'abus dans lequel on tombe est plus ou moins grave.
(2) Il y a péché grave quand on se passionne pour le jeu nn poiut de perdre toute la gravité de son caractère.
(5) Ce sentiment de saint Thomas est celui de saint Antoniii (Sum. part. III, Tt 8, cap. iv, §43), de saint Liguori (Theol. mor.lib. ni, n° 420), de saint François de Sales (Introi, à-la vie dévote, part, i, cbap. 23), et Mgr Gousset s'attache à prouver que les comédiens ne sont pas excommuniés (Theol. moral, tome 1P 293).



ARTICLE IV. — peut-il y avoir péché a ne pas jouer (1)?


Objections: 1. Il semble qu'il n'y ait pas de péché à ne pas jouer. Car on ne commande aucun péché au pénitent. Or, saint Augustin dit en parlant du pénitent ( Lib. de ver. et fais, poenit. cap. 25 ) : Qu'il s'abstienne des jeux et des spectacles du siècle celui qui veut obtenir la grâce parfaite de la rémission. Il n'y a donc pas de péché à ne pas jouer.

2. On ne loue les saints d'aucun péché. Or, dans l'éloge de quelques-uns on fait remarquer qu'ils se sont abstenus de jouer. Car le prophète dit (Jr 15,47) : Je ne me suis pas assis dans l'assemblée de ceux qui jouent. Et l'épouse de Tobie dit aussi (Tb 3,47) : Je ne me suis jamais mêlée avec ceux qui se divertissent, et je n'ai jamais eu aucune société avec ceux qui se conduisent avec légèreté. Il ne peut donc pas y avoir de péché à ne pas jouer.

3. Andronic dit que l'austérité qu'il compte parmi les vertus est une habitude qui fait qu'on ne procure aux autres aucun agrément dans la conversation et qu'on n'en retire pas non plus. Or, c'est ce que fait celui qui ne joue pas. Donc l'abstention de tout jeu est plutôt une vertu qu'un vice.

En sens contraire Mais c'est le contraire. Aristote dit que c'est un vice de ne pas jouer (Eth. lib. ii, cap. 7, et lib. iv, cap. 8).

CONCLUSION. — Ceux qui ne jouent jamais, de telle sorte qu'ils ne disent rien d'agréable et qu'ils se rendent à charge en repoussant les choses agréables que les autres disent avec modération, pèchent à la vérité, mais moins que ceux qui donnent dans l'excès contraire en jouant trop.

qu'un péché véniel en lui-même, et les inconvénients qui en résultent sont beaucoup moins graves quo ceux du défaut contraire.

(j) C'est sans doute un défaut de ne jouer jamais ou de ne témoigner jamais la moindre gaieté, mais ce défaut tient souvent au tempérament et à des dispositions purement physiques. Ce n'est

Réponse Il faut répondre que dans les choses humaines tout ce qui est contraire à la raison est vicieux. Or, il est contraire à la raison de se rendre à charge aux autres, en ne disant rien d'agréable et en empêchant les autres de se divertir. Sénèque dit (Lib. de iv virt. cap. de continentia) : Conduisez-vous sagement de telle sorte que personne ne vous considère comme un personnage fâcheux et que personne ne vous méprise comme un personnage vii. Or, ceux qui ne jouent jamais, ne disent aucune plaisanterie et sont à charge à ceux qui en disent, parce qu'ils ne prennent pas part à leurs divertissements honnêtes. C'est pourquoi ces gens-là sont vicieux et on leur donne les noms de durs et de sauvages, comme le dit Aristote (Eth. lib. iv, cap. 8). — Mais parce que le jeu est utile pour se reposer et se divertir, et qu'on ne recherche pas dans la vie humaine le divertissement et le repos pour eux-mêmes, mais pour l'action, selon la remarque d'Aristote (Eth. lib. x, cap. 6), il s'ensuit qu a l'égard du jeu il est moins grave de pécher par défaut que par excès. C'est ce qui fait dire au même philosophe (Eth. lib. ix, cap. 10), que pour les amis qui ne peuvent servir qu'au plaisir il n'en faut pas beaucoup, parce qu'il faut dans la vie peu de plaisir, comme il faut peu de sel dans les aliments.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, qu'on commande aux pénitents de pleurer sur leurs péchés, et c'est pour cela qu'on leur défend les jeux. Ceci n'a aucun rapport avec le vice qui nous porte à nous abstenir de tout jeu, parce qu'il est tout à fait conforme à la raison que les pénitents s'accordent moins de divertissement.

2. Il faut répondre au second, que Jérémie parle en cet endroit selon la convenance du temps qui demandait moins de jeux que de larmes. Aussi il ajoute : J'étais assis seul, parce que vous m'avez rempli d'amertume. Quant à ce que dit l'épouse de Tobie, ses paroles se rapportent à l'excès du jeu, ce qui est évident par ce qui suit : Je n'ai jamais eu aucune société avec ceux qui se conduisent légèrement.

3. Il faut répondre au troisième, que l'austérité considérée comme une vertu n'exclut pas tous les plaisirs, mais seulement ceux qui sont excessifs et déréglés. Par conséquent elle paraît appartenir à l'affabilité qu'Aristote désigne sous le nom d'amitié (Eth. lib. iv, cap. 6) où à l'eutrapélie, c'est-à-dire à la bonne humeur. Toutefois il la nomme et la définit ainsi selon les rapports qu'elle a avec la tempérance dont le propre est de réprimer les jouissances.




QUESTION 169 DE LA MODESTIE QUI CONSISTE DANS LA TENUE EXTÉRIEURE. 465

DE LA MODESTIE QUI CONSISTE DANS LA TENUE EXTÉRIEURE.


Nous avons maintenant à nous occuper de la modestie selon qu'elle consiste dans la tenue extérieure, et à cet égard il y a deux questions à examiner : 1° Peut-il y avoir vice et vertu à l'égard de la tenue extérieure P — 2° Les femmes pèchent-elles mortellement par l'excès de la parure P



ARTICLE I. — PEUT-IL Y AVOIR VICE OU VERTU A" L'ÉGARD DE LA TENUE: EXTÉRIEURE ?


Objections: 1. Il semble qu'il ne puisse y avoir ni vice ni vertu à l'égard des ornements extérieurs. Car les ornements extérieurs ne nous sont pas prescrits par la nature, par conséquent ils varient selon les temps et les lieux. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De doct. christ, lib. iii, cap. 12), que c'était un crime chez les anciens Romains d'avoir des robes traînantes et à manchettes, mais que de son temps c'était une honte pour une personne honnête de n'en pas avoir. Or, comme le dit Aristote (Eth. lib. ii , cap. 1), nous avons naturellement de l'aptitude pour les vertus. Il n'y a donc ni vice ni vertu qui se rapportent à ces choses.

2. Si la vertu et le vice avaient pour objet la tenue extérieure, il faudrait que l'on péchât à cet égard par excès ou par défaut. Or, l'excès dans la tenue extérieure ne paraît pas être un mal, parce que les prêtres et les ministres de l'autel se servent des habits les plus précieux dans leurs fonctions sacrées : de même il ne semble pas qu'on puisse à ce sujet pécher par défaut, parce qu'il est dit à la louange des prophètes (He 11,37) qu'ils ont été couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres. Il ne semble donc pas qu'il puisse y avoir vertu et vice à cet égard.

3. Toute vertu est ou théologale, ou morale, ou intellectuelle. Or, les choses extérieures ne peuvent être l'objet de la vertu intellectuelle qui a pour terme la connaissance d'une vérité quelconque; elles ne se rapportent pas non plus à la vertu théologale qui a Dieu pour objet, ni à aucune des vertus morales dont parle Aristote (Eth. lib. ii, cap. 7). Il semble donc qu a l'égard de la tenue extérieure il ne puisse y avoir ni vertu, ni vice.

En sens contraire Mais c'est le contraire. L'honnêteté appartient à la vertu. Or, il y a dans la tenue extérieure une certaine honnêteté. Car saint Ambroise dit (De ofíic. lib. i, cap. 19) : Que le maintien extérieur ne soit pas affecté, mais naturel, que la tenue soit simple plutôt que recherchée, que l'on ne mette pas des vêtements précieux et éclatants, mais communs; que l'on s'accorde ce que l'honnêteté ou la nécessité exige, mais que rien ne ressente le luxe. 11 peut donc y avoir vice et vertu à l'égard des ornements extérieurs.

CONCLUSION. — Puisqu'il y a beaucoup de vices qui se rapportent à la tenue et aux ornements extérieurs, il s'ensuit qu'il y a aussi différentes vertus.

ici comme ailleurs, à tenir le milieu entre ces deux extrêmes.

(I) Ainsi, à l'égard de cette espèce de modestie, comme a l'égard de toute autre chose, on peut *«dier par cxcè» ou par défaut. La vertu consiste,

Réponse Il faut répondre qu'il n'y a pas de vice dans les choses extérieures dont l'homme fait usage, mais il y en a de la part de l'homme qui s'en sert immodérément. Il peut y avoir excès sous ce rapport de deux manières : 1° Par rapport à la coutume des personnes avec lesquelles on vit. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Conf. lib. iii, cap. 8) que l'on doit éviter, selon la diversité des coutumes, les choses qui sont contraires aux moeurs des hommes; afin que ce qui a été établi dans une cité ou dans une nation par l'usage ou par la loi ne soit violé par la passion d'aucun citoyen, ni d'aucun étranger : car toute partie qui n'est pas d'accord avec son tout est vicieuse.—2° Il peut y avoir excès dans l'usage de ces ornements extérieurs, parce que celui qui s'en sert s'y attache trop. De là il arrive quelquefois que l'on se passionne trop pour ces frivolités, soit que l'on se conforme à la coutume de ceux avec lesquels on vit, soit qu'on ne s'y conforme pas. Le même docteur dit encore (De doct. christ, lib. iii, cap. 12): Dans les choses dont on peut user il faut en retrancher la passion, qui non-seulement fait un abus des meilleures coutumes établies dans la société civile, mais qui souvent franchissant toutes les barrières fait éclater sa honte et ses turpitudes qu'elle avait tenu cachées sous le voile des pratiques ordinaires. — Cet attachement peut être déréglé de trois manières quant à ce qu'il a d'excessif (1) : 1° Quand on recherche par une parure excessive la gloire mondaine, selon que les habits et les autres choses de cette nature se rapportent à l'ornement. D'où saint Grégoire dit (Hom. xl in Evang.) : Il y en a quelques-uns qui ne pensent pas que le culte que l'on a pour les vêtements fins et précieux soit un péché. Cependant si ce n'était pas une faute, ce serait en vain que la parole de Dieu exprimerait avec tant de soin que le riche qui était tourmenté dans les enfers avait été vêtu de lin et de pourpre. Car on ne recherche les habits précieux, c'est-à-dire ceux qui sont au-dessus de son état, que par vaine gloire. 28 II y a faute quand, par un soin excessif de sa tenue extérieure, on recherche le plaisir, selon que les habits ont pour fin de donner au corps ses aises. 3° On pèche encore quand on a trop de sollicitude pour sa tenue extérieure, bien qu'il n'y ait rien de déréglé du côté de la fin qu'on se propose. D'après cela, Andronic distingue trois vertus qui ont pour objet la tenue extérieure. Ces vertus sont : l'humilité, qui exclut la vaine gloire, ce qui lui fait dire que l'humilité est une habitude qui ne donne dans aucun excès sous le rapport de la dépense et de la toilette; la suffisance, qui exclut la mollesse et les délices, ce qui lui fait dire que la suffisance est cette habitude qui se contente du nécessaire et qui détermine ce qui est convenable pour vivre, d'après ce sentiment de l'Apôtre (1Tm 5 1Tm 8) : Nous avons le vivre et le vêlement et cela nous suffit; la simplicité, qui exclut toute sollicitude superflue. C'est pourquoi il dit que la simplicité est une habitude qui se contente de ce qui se présente.—La volonté peut être déréglée à cet égard par défaut de deux manières : 1° Par la négligence de celui qui ne s'occupe pas de sa tenue extérieure et qui ne travaille pas à être mis décemment. Ainsi Aristote dit (Eth. lib. vu, cap. 7) qu'il y a de la mollesse à laisser traîner son habit par terre, sans se donner la peine cle le relever. 2° Il peut se faire qu'on tire vanité de la négligence de sa tenue extérieure. C'est ce qui fait observer à saint Augustin (Lib. ii de serm. Dom. cap. 12) que la vanité ne consiste pas seulement dans l'éclat et la pompe des choses corporelles, mais qu'elle peut encore se trouver sous les vêtements les plus sordides, et qu'alors elle est d'autant plus dangereuse qu'on trompe en affectant par là d'être le serviteur de Dieu. Et Aristote dit (Eth. lib. iv, cap. 7) que l'excès et le défaut, quand ils sont déréglés, sont l'un et l'autre de la jactance.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que quoique la nature ne nous ait pas prescrit de tenue extérieure, cependant il appartient à la raison naturelle de la régler. Ainsi nous sommes faits pour acquérir cette vertu qui règle le maintien extérieur.

2. Il faut répondre au second, que ceux qui sont élevés en dignité, tels que les ministres de l'autel, se servent de vêtements plus précieux que les autres, non pour leur propre gloire, mais pour montrer l'excellence de leur ministère ou du culte divin ; c'est pourquoi ils ne pèchent pas en cela. D'où saint Augustin dit (De doct. christ, lib. iii, cap. 12): Quiconque use des choses extérieures, en passant les bornes où se renferment ordinairement les gens de bien au milieu desquels il vit, indique par là que sa position est plus élevée, ou bien sa conduite est mauvaise, parce qu'il use de ces choses pour ses délices ou par ostentation. De même on pèche dans cette matière par défaut. Cependant celui qui met des habits plus viis que les autres ne pèche pas toujours. Car s'il le fait par jactance ou par orgueil, de manière qu'il se mette au-dessus d'eux, c'est un péché de superstition (1). Mais s'il le fait pour macérer sa chair ou humilier son esprit, c'est un acte qui appartient à la vertu de tempérance. C'est ce qui fait dire encore au meme docteur (loc. cit.) : Celui qui use des choses qui passent avec plus de retenue que n'ont l'habitude de le faire les hommes avec lesquels il vit, agit par tempérance ou par superstition. Mais il appartient surtout à ceux qui exhortent les autres à la pénitence par leurs paroles et leurs actions de faire usage de vêtements pauvres (2), comme l'ont fait les prophètes dont l'Apôtre parle en cet endroit. D'où la glose dit (Matth, m ipse autem Ioannes ) : Celui qui prôche la pénitence doit en porter le premier l'habit.

(2)Tels sont les religieux qui portent à dessein les vêtements les plus simples en signe de leur pauvreté.

(t) Le mot superstition doit être pris ici dans son sens le plus large, ou il faut restreindre ce nue dit saint Thomas aux ornements que l'on emploie pour le culte de Dieu.

3. Il faut répondre au troisième, que la tenue extérieure est le signe de la



DE LA MODESTIE QUI CONSISTE DANS LA TENUE EXTÉRIEURE. 467

condition de chaque individu. C'est pourquoi l'excès, le défaut et le milieu peuvent à cet égard être ramenés à la vertu de la vérité, à laquelle Aristote (loc. cit. in arg.) donne pour objet les actions et les paroles par lesquelles chacun fait connaître exactement son état.

ARTICLE II. — les femmes peuvent-elles se parer sans péché mortel?


Objections: 1. Il semble que la parure des femmes n'existe pas sans péché mortel . En effet, tout ce qui est contre le précepte de la loi divine est un péché mortel. Or, la parure des femmes est contraire au précepte de la loi de Dieu. Car il est dit (1P 3,3) : Ne vous parez pas extérieurement, soit par la frisure des cheveux, soit par des ornements d'or, soit par la richesse de vos vêlements, et à ce sujet la glose dit d'après saint Cyprien (ord. Lib. de habit, virg.) : Celles qui sont vêtues de soie et de pourpre ne peuvent pas véritablement revêtir le Christ; ornées d'or, de pierreries et de diamants, elles ont perdu les vrais ornements de l'âme et du corps. Or, on ne perd ces ornements que par le péché mortel. L'ornement des iêmmes n'est donc pas possible sans ce péché.

2. Saint Cyprien dit (Lib. de habit, virg.) : Je pense qu'on doit avertir non-seulement les vierges ou les veuves, mais encore les femmes qui sont mariées et absolument toutes les personnes du sexe, qu'elles ne doivent d'aucune manière souiller l'oeuvre de Dieu qu'il a produite et façonnée de ses mains, en recourant à une couleur jaune, ou à une poussière noire, ou à du rouge, ou à tout autre expédient qui altère les traits naturels du visage. Puis il ajoute : Elles s'attaquent à Dieu quand elles essayent de réformer ce qu'il a formé, et cette attaque contre l'oeuvre divine est une prévarication à l'égard de la vérité. Vous ne pourrez pas voir Dieu du moment que vous n'avez pas les yeux que Dieu vous a faits, mais ceux que le démon a souillés. Ayant été ornée par votre ennemi, vous devrez brûler également avec lui. Or, ce châtiment n'est dû qu'au péché mortel ; il s'ensuit donc que la femme ne peut se parer sans commettre ce péché.

3. Comme il ne convient pas à la femme de faire usage d'un vêtement d'homme, de même il ne lui convient pas non plus d'avoir une parure déréglée. Or, la première chose est un péché; car il est dit (Dt 22,5) : Que la femme ne mette pas un habit d'homme, ni l'homme un habit de femme. Il semble donc que la parure excessive des femmes soit un péché mortel.

4. Mais c'est le contraire, parce qu'il semblerait par là que les ouvriers qui fabriquent ces ornements pécheraient mortellement.

CONCLUSION. — Quoique la parure des femmes qui ont pour but de plaire à leurs maris ne soit pas un péché, cependant celle qui a pour fin la concupiscence et la vanité n'est pas irrépréhensible.

Réponse Il faut répondre qu'à l'égard de la parure des femmes il faut observer ce que nous avons dit en général (art. préc.) de la tenue extérieure. Il faut de plus y ajouter une considération particulière, c'est que la parure des femmes porte les hommes au mal, d'après cette pensée de l'Ecriture (Prov. vii, 10): Cette femme est venue au-devant de lui parée comme une courtisane pour séduire son âme. — Cependant la femme peut licitement s'appliquer à plaire à son mari, de peur que le mépris qu'il aurait pour elle ne le fit tomber dans l'adultère. C'est pourquoi saint Paul dit (I. Cor. vii, 34) que la femme qui est mariée s'occupe du soin des choses de ce monde et des moyens de plaire à son mari. C'est pour cette raison que si la femme mariée se pare pour plaire à son mari, elle peut le faire sans péché. — Quant aux femmes qui n'ont pas de maris, qui ne veulent pas en avoir ou qui sont dans l'état de n'en pas avoir, elles ne peuvent pas désirer plaire aux regards des hommes pour exciter leur convoitise (1), parce que c'est provoquer en eux l'ardeur du péché. Si elles se parent dans l'intention d'exciter les autres à la concupiscence, elles pèchent mortellement. Si elles le font par légèreté ou par vanité, pour flatter leur orgueil, le péché n'est pas toujours mortel, mais il est quelquefois véniel. On doit raisonner de même à l'égard des hommes. C'est pour ce motif que saint Augustin dit [Epist, ad Possid. ccxv) : Je ne veux pas qu'au sujet des ornements d'or ou des vêtements vous vous hâtiez trop de les défendre, sinon à l'égard de ceux qui, n'étant pas mariés et qui ne désirant pas l'être, ne doivent penser qu'aux moyens de plaire à Dieu. Quant à ceux qui s'occupent des choses de ce monde, les hommes doivent travailler à plaire à leurs femmes, et celles-ci à leurs maris; seulement il n'est pas convenable que les femmes auxquelles l'Apôtre ordonne de se couvrir la tête se mettent en cheveux (2). — Cependant dans ce cas elles pourraient être exemptes de péché, si elles ne le faisaient pas par vanité, mais pour suivre une coutume contraire, quoique cette coutume ne soit pas louable.

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit la glose (ordin.), les femmes de ceux qui étaient dans la tribulation dédaignaient leurs époux et se paraient avec éclat pour plaire à d'autres ; et c'est ce/que l'Apôtre défend. Saint Cyprien parle aussi dans le même sens, mais il ne défend pas aux femmes mariées de se parer pour plaire à leurs maris et leur ravir l'occasion de pécher avec d'autres. D'où l'Apôtre dit (1Tm 2,9) : Que les femmes étant vêtues décemment se parent de pudeur et de sagesse, non avec des cheveux frisés, ni avec de l'or, des perles ou des habits somptueux. Ce qui nous donne à entendre qu'il n'interdit pas aux femmes les ornements simples qui ne sortent pas de leur condition, mais seulement les parures trop éclatantes qui sont contraires au respect qu'on se doit à soi-même et à la pudeur.

2. Il faut répondre au second, que le fard dont parle saint Cyprien est une espèce de mensonge qui ne peut pas se faire sans péché. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Epist, ad Possid. cap.ccxLv) : L'usage qu'elles font du fard pour paraître plus rouges ou plus fraîches est une tromperie qui mène à l'adultère. Je suis certain que les maris ne désirent pas être trompés de la sorte, et cependant c'est pour eux seuls que l'on doit permettre aux femmes de se parer, en leur accordant cette liberté sans leur en faire un ordre. Cependant l'usage du fard n'est pas toujours accompagné de péché mortel. Il n'y a faute grave que quand on l'emploie dans un but d'impureté ou par mépris pour Dieu, et ce sont les cas dont parle saint Cyprien. Il faut d'ailleurs observer que feindre une beauté que l'on n'a pas eue, c'est toute autre chose que de cacher une difformité qui provient d'une maladie ou de toute autre cause de ce genre. Car ceci est permis, parce que, d'après saint Paul (1Co 12,23): Nous traitons avec plus d'honneur les membres de notre corps que nous croyons les moins honorables.

(2) Cet usage est passé dans nos moeurs, et il y aurait souvent les plus graves inconvénients à vouloir s;y opposer.
(I) Les femmes qui ne sont pas mariées, mais qui pensent au mariage, peuvent chercher à plaire par leur parure, pourvu qu'elles ne fassent rien de contraire à la décence et à la modestie.

3. Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la tenue extérieure doit convenir à la condition de la personne d'après la coutume commune. C'est pourquoi c'est une chose vicieuse par elle-même, qu'une femme mette des habits d'homme ou réciproquement; surtout parce qu'il peut y avoir là une cause d'impureté. La loi le défend spécialement (Dt 22), parce que les gentils changeaient ainsi de costume pour leurs superstitions idolâtriques. Cependant ce déguisement peut être exempt de péché quand on y a recours par nécessité, soit pour se cacher aux yeux des ennemis, soit parce qu'on n'a pas d'autre vêtement, soit pour tout autre motif.

4. Il faut répondre au quatrième, que si un art avait pour but de faire des choses dont les hommes ne puissent user sans pécher, les ouvriers qui l'exerceraient seraient par conséquent coupables, parce qu'ils fourniraient directement aux autres l'occasion de pécher; telle serait, par exemple, la fabrication des idoles et la préparation de tout ce qui appartient au culte de l'idolâtrie. Mais si un art a pour but des choses dont on peut faire un bon ou un mauvais usage, comme les glaives, les flèches et les autres instruments de cette nature, celui qui exerce cet art n'est pas coupable. Ce sont d'ailleurs les seuls arts qui en méritent le nom. C'est ce qui fait dire à saint Chrysostome (Sup. Matth, hom. l) qu'on ne doit donner le nom d'art qu'aux choses qui s'occupent de nous procurer ce qui nous est nécessaire et d'entretenir cç qui concerne notre existence. Si cependant on vient à abuser fréquemment d'un art quelconque, quoiqu'il ne soit pas défendu par lui- même, il est du devoir du prince d'extirper de l'Etat ces abus, d'après ce qu'enseigne Platon. Mais les femmes peuvent se parer licitement pour conserver la décence de leur état, et elles peuvent aussi ajouter quelque chose à leur toilette pour plaire à leurs maris. D'où il suit que ceux qui font ces ornements ne pèchent pas dans l'exercice de leur art, à moins que par hasard ils n'inventent des choses superflues, capables de piquer la curiosité (1). C'est pour cela que saint Chrysostome dit (Sup. Matth, loc. cit.) qu'il y a beaucoup de choses à retrancher de l'art avec lequel on fait les chaussures et les tissus; parce qu'allant au-delà de la nécessité on est arrivé à la luxure, en joignant à tort la curiosité à l'art.




QUESTION 170: DES PRÉCEPTES DE LA TEMPÉRANCE.


Nous avons enfin à nous occuper des préceptes de la tempérance. — Nouâ traiterons : l° des préceptes qui regardent la tempérance elle-même ; 2° des préceptes qui concernent ses parties.



ARTICLE I. — les préceptes qui regardent la tempérance sont-ils \Bconvenablement exprimés dans la loi de dieu?


Objections: 1. Il semble que les préceptes de la tempérance ne soient pas convenablement exprimés dans la loi de Dieu. Car la force est une vertu plus noble que la tempérance, comme nous l'avons dit (quest. cxli, art. 8, et 1" 2", quest. lxvi , art. 4). Or, il n'y a aucun précepte à l'égard de la force parmi les préceptes du Décalogue, qui sont les premiers préceptes de la loi. C'est donc à tort que parmi les préceptes du Décalogue se trouve la défense de l'adultère, qui est contraire à la tempérance, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. cliv, art. 8).

2. La tempérance n'a pas seulement pour objet les jouissances charnelles, mais encore celles de la table. Or, parmi les préceptes du Décalogue, il n'y a pas de défense qui se rapporte au vice qui regarde le boire et le manger, ni qui appartienne à aucune autre espèce de luxure. Il ne doit donc pas non plus y avoir de précepte qui défende l'adultère, ce qui appartient à la délectation charnelle.

(4) Ainsi c'est une faute (rave que d'inventer des modes indécentes e» de travailler à des vêtements immodestes, parce que c'est coopérer directement au mal qui en résulte.

3. Le législateur a plutôt l'intention d'exciter à la vertu que de défendre le vice. Car on ne défend les vices que pour détruire ce qui fait obstacle aux vertus. Or, les préceptes du Décalogue sont les principaux préceptes de la loi de Dieu. On aurait donc dû mettre, parmi ces préceptes, plutôt un précepte affirmatif, qui porte directement à la vertu de la tempérance, qu'un précepte négatif défendant l'adultère qui est un vice directement opposé à cette vertu.

En sens contraire Mais l'autorité de l'Ecriture établit le contraire (Ex 20).

CONCLUSION. — Parmi les préceptes du Décalogue, on a dû mettre un précepte de tempérance qui se rapporte principalement à l'adultère, et qui en défende non-seulement l'acte, mais encore le désir.

Réponse Il faut répondre que, comme le dit l'Apôtre (1Tm 1,5), la fin de la loi est la charité, à laquelle nous sommes portés par deux préceptes qui appartiennent à l'amour de Dieu et du prochain. C'est pourquoi on a mis dans le Décalogue les préceptes qui ont un rapport plus direct avec ce double amour. Or, parmi les vices opposés à la tempérance, celui qui paraît le plus opposé à l'amour du prochain, c'est l'adultère, par lequel on s'approprie la chose d'autrui, en abusant de la femme du prochain. C'est pour cette raison que dans les préceptes du Décalogue on défend principalement l'adultère, non-seulement par rapport à l'acte, mais encore par rapport au désir qu'on en conçoit dans son coeur (1).

Solutions: 1. Il faut répondre au premier argument, que parmi les espèces de vices opposés à la force, il n'y en a pas qui soit aussi directement contraire à l'amour du prochain que l'adultère, qui est une espèce de luxure opposée à la tempérance. Cependant le vice de l'audace, qui est opposé à la force, est quelquefois cause de l'homicide, qui est défendu dans les préceptes du Décalogue. Car il est dit [Eccli. 8, 48): Ne vous engagez pas à aller avec l'homme audacieux, de peur que le mal qu'il fera ne tombe sur vous.

2. Il faut répondre au second, que la gourmandise n'est pas directement opposée à l'amour du prochain, comme l'adultère, et on en peut dire autant de toute autre espèce de luxure. Car on ne fait pas à un père en séduisant sa fille, qui ne lui a pas été donnée en mariage, autant d'injures qu'on en fait à un mari en s'emparant par l'adultère de la femme dont le corps est en sa puissance.

3. Il faut répondre au troisième, que les préceptes du Décalogue, comme nous l'avons dit (quest. cxxu, art. 1), sont des principes universels de la loi de Dieu, et par conséquent il faut qu'ils soient généraux. Or, on ne pouvait pas donner des préceptes généraux affirmatifs sur la tempérance, parce que son usage varie selon les temps, comme le dit saint Augustin (Lib. de bon. conj. cap. 45), et selon les lois diverses et les coutumes différentes des hommes.




II-II (Drioux 1852) Qu.168 a.3