III Pars (Drioux 1852) 86

ARTICLE VI. — a-t-il été convenable que le fils de dieu prit la nature humaine de la souche d'adam (2) ?

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1 Il semble qu'il n'ait pas été convenable que le Fils de Dieu prît la nature humaine de la souche d'Adam. Car l’Apôtre dit (
He 7,26) : il était convenable que nous eussions un pontife séparé des pécheurs. Or, il aurait été plus séparé des pécheurs, s'il n'eût pas pris la nature humaine de la souche d'Adam pécheur. Il semble donc qu'il n'ait pas dû prendre la nature humaine de cette souche.

(1) Mais cela lui convient en raison de sa dignité et de la nécessité de sa condition (Voy. art. ?).'
(2) Cet article n'établit pas le fait qui repose sur ces paroles de la Genèse (Gn 3) : Ipsa conteret caput tuum, mais il en fait voir la convenance.

2. Dans tout genre le principe est plus noble que ce qui en découle. Si donc il a voulu prendre la nature humaine, il eût dû la prendre plutôt dans Adam lui-même.

3
Les gentils ont été plus pécheurs que les Juifs, comme le dit la glose (interl, ad Gal. ii sup. illud, Nos naturâ Judaei et non ex gentibus peccatores). Si donc il eût voulu prendre des pécheurs sa nature humaine, il eût dû la prendre des nations plutôt que de la famille d'Abraham, qui fut juste.

20
Mais c'est le contraire. (Lc 3) : La génération du Seigneur remonte jusqu'à Adam.



21 Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. xiii, cap. 18), Dieu pouvait se faire homme autrement que de la souche d'Adam, qui a enchaîné le genre humain à son péché ; mais il a mieux aimé que l'homme, par lequel il devait vaincre l'ennemi du genre humain, provînt de la race de celui qui avait été vaincu. Et cela pour trois raisons :
1° Parce qu'il paraît juste que celui qui a péché satisfasse. C'est pourquoi il a dû prendre de la nature corrompue par le péché, ce qui devait satisfaire pleinement pour la nature entière.
2° Parce que c'était relever la dignité de l'homme, en faisant naître le vainqueur du démon de la famille de celui que le démon avait vaincu.
3° Parce que la puissance de Dieu se montre par là davantage, puisqu'il a pris d'une nature corrompue et infirme ce qu'il a élevé à une si haute dignité et à une si grande vertu.

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ a dû être séparé des pécheurs, quant à la faute qu'il était venu détruire, mais non quant à la nature qu'il était venu sauver. Par rapport à elle il a dû ressembler en tout à ses frères, comme le dit lui-même saint Paul (He 2). Son innocence a été d'autant plus admirable qu'il a conservé dans la plus grande pureté la nature qu'il a tirée d'une masse soumise au péché.

32 Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (in solut. praec.), il a fallu que celui qui était venu effacer les péchés fût séparé des pécheurs, quant à la faute qui pesa sur Adam et dont le Christ le racheta, selon l'expression de la Sagesse (Sg 10). Celui qui venait purifier les autres ne devait pas avoir besoin d'être purifié lui-même ; comme en tout genre de mouvement le premier moteur est immobile relativement à ce mouvement, comme le premier principe du changement est immuable. C'est pourquoi il n'a pas été convenable qu'il prît la nature humaine dans Adam lui- même.

33 Il faut répondre au troisième, que parce que le Christ devait être surtout séparé des pécheurs, quant à la faute (1), comme ayant l'innocence la plus élevée, il a été convenable qu'on arrivât du premier pécheur jusqu'au Christ, par l'intermédiaire de quelques justes dans lesquels on a vu briller certaines marques de sa sainteté future. C'est pourquoi dans le peuple dont le Christ devait naître, Dieu a établi des marques de sainteté (2) qui commencèrent à Abram, qui reçut le premier la promesse de l'incarnation du Christ et la circoncision en signe de la perpétuité de son alliance avec Dieu, comme on le voit (Gn 17).

(I) l C'est pour ce motif qu'il ne voulut pas naître des gentils, qui étaient plus grands pécheurs que les Juifs.
(2) Les marques de sainteté qui brillèrent principalement, dans les patriarches et les prophètes étaient nécessaires pour maintenir visible au sein de l'humanité le peuple que Dieu s'était choisi.





QUESTION 5: DU MODE DE L'UNION CONSIDÉRÉ PAR RAPPORT AUX PARTIES DE LA NATURE HUMAINE.

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Nous avons maintenant à considérer l'assomption des parties de la nature humaine. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Le Fils de Dieu a-t-il dû prendre un corps véritable? — 2° A-t-il dû prendre un corps terrestre, c'est-à-dire de chair et de sang? — 3° A-t-il pris une âme? — 4° A-t-il dû prendre un intellect?



ARTICLE I. — LE FILS DE DIEU A-T-IL DU PRENDRE UN CORPS VÉRITABLE (1)?

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1 Il semble que le Fils de Dieu n'ait pas pris un corps véritable. Car il est dit (
Ph 2,7) qu'il s'est rendu semblable aux hommes. Or, on ne dit pas que ce qui est selon la vérité est selon la ressemblance. Le Fils de Dieu n'a donc pas pris un corps véritable.

2 L'incarnation n'a dérogé en rien à la dignité de la Divinité. Car le pape saint Léon dit [Serm. de Nativ. i) que la glorification n'a pas absorbé la nature inférieure, et que l'incarnation n'a pas amoindri la nature supérieure. Or, il appartient à la dignité de Dieu d'être absolument séparé du corps. Il semble donc qu'en prenant notre nature Dieu n'ait pas été uni au corps.

3
Les signes doivent répondre aux choses signifiées. Or, les apparitions de l'Ancien Testament, qui furent les signes de l'apparition du Christ, ne furent pas véritablement corporelles ; mais elles se passèrent en vision imaginaire, comme on le voit par ces paroles du prophète () : J'ai vu le Seigneur assis, etc. Il semble donc que l'apparition du Fils de Dieu en ce monde n'ait pas été véritablement corporelle, mais qu'elle se soit faite seulement en imagination.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Quaest. lib. Lxxxm,quaest. 13) : Si le corps du Christ a été un fantôme, le Christ a trompé, et s'il a trompé il n'est pas la vérité. Or, le Christ est la vérité. Son corps n'a donc pas été un fantôme. Par conséquent il est évident qu'il a pris un corps véritable.


CONCLUSION. — Puisque le Christ est véritablement mort pour le salut des hommes et que Dieu l'a ressuscité, il s'ensuit qu'il a pris un corps véritable.

21
Il faut répondre que, comme on le dit (2) (Lib. de Ecdes. dogm. cap. 2), le Fils de Dieu n'est pas né d'une manière fictive, comme s'il avait eu un corps imaginaire, mais il a pris un corps véritable. On peut en donner trois sortes de raison.
1° La première se tire de l'essence de la nature humaine à laquelle il appartient d'avoir un corps véritable. En supposant, d'après ce que nous avons dit (quest. préc. art. 1), qu'il a été convenable que le Fils de Dieu prît la nature humaine, il en résulte qu'il a pris un vrai corps.
2° La seconde raison peut se tirer de ce qui s'est passé dans le mystère de l'Incarnation. Car si son corps n'a pas été véritable, mais fantastique, il n'a donc pas souffert une mort réelle, et aucune des choses que les évangélistes racontent de lui ne s'est donc passée en réalité, mais seulement en apparence. Par conséquent il s'ensuivrait qu'il n'aurait pas véritablement sauvé les hommes (3) ; car l'effet doit être proportionné à la cause.
3° La troisième raison peut se prendre de la dignité même de la personne qui s'est incarnée; puisqu'elle est la vérité, il n'a pas été convenable qu'il y eût quelque chose de feint dans ses actions. Aussi le Seigneur a daigné repousser par lui-même cette erreur (
Lc 24,39), quand ses disciples troublés et effrayés pensaient voir un esprit et non un corps véritable. C'est pourquoi il se donna à eux pour être palpé en disant : Touchez et considérez qu'un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.

(1) Cette proposition est de foi. Elle a été définie aux conciles de Nicée, d'Ephèse, de Constantinople, de Chalcédoine, contre les marcionites et les manichéens, qui prétendaient que le Christ n'avait qu'un corps fantastique ; contre Simon, Saturnin, Basilide et d'autres gnostiques, qui admettaient également cette erreur.
(2) Cet ouvrage est de Gennade de Marseille, et saint Thomas le dit lui-même dans sa Catena aurea (Matth, super illud : Genuit Joseph virum Maríae).
(5) Notre salut n'aurait été qu'apparent, comme la cause qui l'aurait produit.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette ressemblance exprime la vérité de la nature humaine dans le Christ à la manière dont on dit que tous ceux qui existent véritablement dans la nature humaine se ressemblent pour l'espèce; mais on n'entend pas parla une ressemblance fantastique. Pour preuve évidente l’Apôtre ajoute qu'il s'est rendu obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la croix; ce qui aurait été impossible, s'il n'avait eu qu'une ressemblance fantastique.

32
Il faut répondre au second, qu'en prenant un corps véritable, le Fils de Dieu n'a amoindri en rien sa dignité. D'où saint Augustin dit (Fulgence, Lib. de [id. ad Pet. cap. 2) : Il s'est anéanti, en prenant la forme d'un serviteur pour devenir serviteur, mais il n'a pas perdu la plénitude de la forme de Dieu. En effet le Fils de Dieu n'a pas pris un corps véritable de manière à devenir la forme du corps; ce qui répugne à la simplicité et à la pureté divine. Car c'eût été prendre un corps de manière à ne faire qu'une nature avec lui, ce qui est impossible, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. ii, art. 1). Mais, tout en conservant la distinction des natures, il a pris le corps dans l'unité de la personne.

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Il faut répondre au troisième, que la figure doit répondre à la chose quant à la ressemblance, mais non quant à la réalité. Car si la ressemblance existait sous tous les points, elle ne serait plus le signe, mais la chose elle-même, comme le dit saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. iii, cap. 2G). Il a donc été convenable que les apparitions de l'Ancien Testament fussent seulement selon l'apparence, comme étant des figures ; au lieu que l'apparition du Fils de Dieu en ce monde devait être selon la vérité et la réalité du corps, comme la chose que ces figures représentent. D'où saint Paul dit (Col 2,17) : Toutes ces choses ne sont qu'une ombre de celles qui devaient arriver, mais le corps et la vérité ne se trouvent qu'en Jésus- Christ.



ARTICLE II. — le fils de dieu a-t-il dû prendre un corps terrestre, c'est-à-dire de chair et de sang (1)?

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1 Il semble que le Christ n'ait pas eu un corps charnel, ou terrestre, mais un corps céleste. Car l’Apôtre dit (
1Co 15,47) : Le premier homme formé de terre est terrestre, le second homme venu du ciel est céleste. Or, le premier homme, c'est-à-dire Adam, fut fait de terre quant au corps, comme on le voit (Genes.1). Le second homme, qui est le Christ, eut donc un corps céleste.

2 Il est dit (1Co 15,10) : La chair et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. Or, le royaume de Dieu existe principalement dans le Christ. Il n'y a donc pas en lui la chair et le sang, mais son corps est plutôt céleste.

(1) Il est de foi que le Verbe a pris dans le sein de la bienheureuse Vierge un corps terrestre comme le notre. Valentin ayant avancé le contraire, son erreur a été condamnée par le concile d'Ephèse (i, can. 1), par celui de Constantinople (y, cap. 6) ; et le pape Eugène IV a renouvelé on ces termes cette condamnation au concile do Florence : Sacrosancta Ecclesia anathematizat Valentinum asserentem Dei Filium nihil de Virgine matre cepisse, sed corpus coeleste sumpsisse, atque itù, transisse per uterum virginis, sicut per aquoeductum defînens aqua transcurrit.

3 Tout ce qu'il y a de mieux doit être attribué à Dieu. Or, parmi tous les corps, le corps céleste est le plus noble. Le Christ a donc dû prendre un corps de cette nature.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Lc 24,39) : Un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai. Or, la chair et les os ne sont pas de la matière du corps céleste, mais ils sont formés des éléments inférieurs. Le corps du Christ ne fut donc pas un corps céleste, mais un corps charnel et terrestre (-1).


CONCLUSION. — Comme le Christ a pris un corps véritable, de même on doit croire qu'il a pris un corps terrestre et non un corps céleste qui est impassible et incorruptible.

21 Il faut répondre que les raisons pour lesquelles on a démontré (art. préc.) que le corps du Christ n'a pas dû être fantastique, prouvent également qu'il n'a pas dû être céleste. En effet, 1° comme la nature humaine ne serait pas véritable dans le Christ, si son corps était fantastique, ainsi que l'a supposé Manès ; de même elle ne le serait pas non plus, si on le supposait céleste, comme l'a prétendu Valentin. Car puisque la forme de l'homme est une chose naturelle, elle demande la matière déterminée que l'on doit faire entrer dans la définition de l'homme, c'est-à-dire la chair et les os, comme on le voit dans Aristote (Met. lib. vii, text. 39). 2° Parce que ce serait déroger à la vérité des actes que le Christ a accomplis dans son corps. Car puisque le corps céleste est impassible et incorruptible, comme le prouve le philosophe (De caelo, lib. i, text. 20), si le Fils de Dieu eût pris un corps céleste, il n'aurait eu véritablement ni faim, ni soif; il n'aurait enduré ni la passion, ni la mort. 3° On dérogerait encore à la vérité divine. Car, puisque le Fils de Dieu s'est montré aux hommes, comme ayant un corps charnel et terrestre, cet acte aurait été faux, s'il eût eu un corps céleste. C'est pourquoi on dit ( Lib. de ecclesiast. dogm. cap. 2 ) : Le Fils de Dieu est né, prenant un corps de chair dans le sein de la Vierge; mais il ne l'a pas apporté avec lui du ciel.

31
Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que le Christ est descendu du ciel de deux manières : 1° en raison de la nature divine, ce qui ne signifie pas que cette nature a cessé d'exister dans le ciel ; mais parce qu'elle a commencé d'être ici-bas d'une manière nouvelle, c'est-à-dire selon la nature qu'elle a prise, d'après ces paroles de saint Jean (3, 13) : Personne n'est monté au ciel, sinon celui qui en est descendu, le Fils de l'homme qui est dans le ciel. 2° En raison du corps, non parce que le corps du Christ est descendu du ciel substantiellement (2), mais parce qu'il a été formé par la vertu céleste, c'est-à-dire par l'Esprit-Saint. D'où saint Augustin (alius auctor ad Orosium in Dial. Quaest. lxv, quaest. 4) expliquant le passage cité dit : J'appelle céleste le Christ parce qu'il n'a pas été conçu de la semence de l'homme. C'est aussi ce que dit saint Hilaire (De Trin. lib. x).

(
Lc 1) : Ecce concipies in útero , et paries filium, et vocabis nomen ejus Jesum.

(2) C'est ce qu'a supposé à tort un autre hérésiarque, Apollinaire.
(I) L'Ecriture dit (Rm 1) : Factus est ex semine David secundum carnem; (Ga 4): Deus misit Filium suum factum ex muliere;

32 Il faut répondre au second, que la chair et le sang ne se prennent pas en cet endroit pour la substance de la chair et du sang, mais pour la corruption de l'un et de l'autre. Cette corruption n'a pas existé dans le Christ quant à la faute, mais elle a existé temporairement quant à la peine, pour accomplir l'œuvre de notre rédemption.

33
Il faut répondre au troisième, qu'il appartient à la plus grande gloire de Dieu que le corps infirme et terrestre soit parvenu à une si grande élévation. C'est pour cela qu'on lit dans le concile d'Ephèse (gener. III, part, ii, Ac 1) ces paroles de saint Théophile : Comme on n'admire pas seulement les artisans habiles qui montrent leur art dans des matières précieuses, mais qu'on loue surtout ceux qui déploient la vertu de leur savoir en se servant de la terre et de la boue la plus vile; de même le Verbe de Dieu, le plus habile et le plus excellent de tous les artisans, sans prendre la matière précieuse du corps céleste est descendu vers nous, et il a montré sous ce limon terrestre toute la grandeur de son art.


ARTICLE III. — le fils de dieu a-t-il pris une âme (4)?

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1 Il semble que le Fils de Dieu n'ait pas pris dame. Car saint Jean dit en parlant du mystère de l'Incarnation (
Jn 1,44): Le Verbe s'est fait chair, sans faire aucune mention de lame. Or, on ne dit pas qu'il s'est fait chair, parce qu'il a été changé en chair, mais parce qu'il a pris un corps. Il ne semble donc pas qu'il ait pris une âme.

2 L'âme est nécessaire au corps pour le vivifier. Or, elle n'a pas été nécessaire au corps du Christ à cette fin, comme on le voit, parce que c'est du Verbe de Dieu qu'il est dit (Ps 35,40) : Seigneur, la source de la vie est en vous. Il aurait donc été superflu que le Christ eût une âme, le Verbe étant en lui. Et parce que Dieu et la nature ne font rien en vain, comme le dit Aristote (De caelo, lib. i, text. 32, et lib. ii , text. 56), il semble que le Fils de Dieu n'ait pas pris une âme.

3 L'union de l'âme et du corps constitue une nature commune qui est l'espèce humaine. Or, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, il n'y a pas lieu d'admettre une espèce commune, comme ledit saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. iii, cap. 3). Il n'a donc pas pris une âme.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de Agone christ, cap. 21) : N'écoutons pas ceux qui disent que le Verbe de Dieu n'a pris que le corps de l'homme et qui entendent ces paroles : Le Verbe s'est fait chair, de manière qu'ils nient qu'il ait eu une âme ou quelque autre chose de l'homme que la chair.


CONCLUSION. — Comme le Christ a pris une chair véritable, de même il a pris une âme, afin que l’âme du premier homme qui avait été blessée par le péché fût guérie par le Fils de Dieu qui est venu en ce monde pouf sauver la nature humaine.

21
Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Lib. de Haeres. haeres. lxix et lv), ce fut le sentiment d'Arius d'abord, puis d'Apollinaire, que le Fils de Dieu a pris la chair seule sans âme, supposant que le Verbe avait été uni à la chair au lieu de l'âme. D'où il résultait que dans le Christ il n'y a pas eu deux natures, mais une seulement ; car la nature humaine se compose de l'âme et du corps. Mais cette supposition ne peut se soutenir pour trois motifs : 1° parce qu'elle est contraire à l'autorité de l'Ecriture où le Seigneur parle de son âme. (Mt 26,38) : Mon âme est triste jusqu'à la mort. (Jn 10,18) : J'ai le pouvoir de quitter mon âme et de la reprendre. Apollinaire répondait à cela que dans ces passages le mot âme se prend métaphoriquement. C'est ainsi que Dieu parle de son âme dans l'Ancien Testament (Is 1,14) : Mon âme a ouï vos calendes et vos solennités. Mais, comme l'observe saint Augustin (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 80), les évangélistes rapportent dans leur récit que Jésus s'est étonné, fâché, consisté et qu'il a eu faim. Ces choses démontrent qu'il a eu une âme véritable, comme on démontre, par là même qu'il a mangé, qu'il a dormi et qu'il s'est fatigué, qu'il a eu un corps véritable tel que le nôtre : autrement, si l'on prenait toutes ces choses métaphoriquement, sous prétexte qu'on lit de semblables choses sur Dieu dans l'Ancien Testament, le récit évangélique ne pourrait plus être cru. Car autre chose est ce que l'on annonce prophétiquement en figures, et autre chose ce que les évangélistes racontent historiquement dans le sens propre. 2° Cette erreur dérogerait à l'utilité de l'incarnation qui a eu pour effet la délivrance de l'homme. Car, comme le dit saint Augustin (Vigile de Tapse. Lib. contra Felic. cap. 13), si le Fils de Dieu en prenant un corps n'eût pas pris d'âme; ou bien, supposant notre âme innocente, il n'aurait pas cru qu'elle avait besoin de remède; ou bien la considérant comme étrangère à lui, il ne l'eût pas gratifiée du bienfait de la rédemption, ou bien la jugeant absolument incurable il n'eût pas pu la guérir, ou il l'eût méprisée comme une chose

(1) Apollinaire nia d'abord que le Christ eût pris une âme, et ensuite il l'accorda; mais il ne voulait pas que cette âme fut intelligente. Arius nia positivement qu'il eût pris une âme, prétendant que la divinité lui en tenait lieu. Ces erreurs ont été condamnées au concile d'Ephèse (i, can. 15), à celui de Chalcédoine, et le pape Eugène IV s'exprime ainsi à cet égard au concile de Florence : Sacrosancta Ecclesia anathematizat Ârium, qui asserens corpus ex virqine assumptum animd caruisse, voluit, loco animae fuisse deitatem.

vile qui ne paraîtrait propre à aucun usage. Deux de ces hypothèses impliquent un blasphème contre Dieu. Car comment le dire tout-puissant, s'il n'a pas pu guérir un mal désespéré? Et comment est-il le Dieu de tous, s'il n'a pas lui-même créé notre âme. Pour les deux autres, dans l'une on ignore la cause de l'âme, dans l'autre on ne tient pas compte de son mérite. Doit-on croire qu'il comprend la cause de l'âme, celui qui s'efforce de la séparer du péché de transgression volontaire, comme si elle avait été formée par l'habitude de la raison naturelle à recevoir la loi ? Ou comment connaît-il son élévation celui qui dit que l'abaissement du vice l'a rendue méprisable. Si on considère l'origine de l'âme, sa substance est plus noble que le corps ; mais si on regarde à la faute de la transgression elle est encore supérieure à la chair à cause de son intelligence. Pour moi qui sais que le Christ est la sagesse parfaite et qui ne doute pas de sa piété et de son amour infini, je dis que pour le premier motif il n'a pas méprisé la partie de nous-même qui est la meilleure et qui est capable de prudence ; et que pour le second il s'est uni d'autant plus volontiers à elle qu'elle avait été plus profondément blessée. 3" Cette hypothèse est contraire à la vérité même de l'incarnation. Car la chair et les autres parties de l'homme doivent à l'âme leur espèce. Par conséquent du moment qu'il n'y a pas d'âme, il n'y a ni os, ni chair, sinon d'une manière équivoque, comme on le voit dans Aristote (De anima, lib. ii, text. 9, et Met. lib. vii, text. 34).

31 Il faut répondre au premier argument, que quand on dit : Le Verbe s'est fait chair, la chair se prend pour l'homme tout entier; comme si l'on disait : le Verbe s'est fait homme. C'est ce qui fait dire au prophète (Is 40,5) : Toute chair verra en même temps que c'est la bouche du Seigneur qui a parlé. C'est pourquoi l'homme tout entier est désigné par la chair, parce que, comme on le voit dans le passage cité, le Fils de Dieu s'est rendu visible par la chair qu'il a prise ; c'est pourquoi on ajoute : Nous avons vu sa gloire. C'est pour cela que, comme l'observe saint Augustin (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 80), dans l'union de l'incarnation la chose principale est le Verbe et la chose extrême et dernière la chair. C'est pourquoi l’évangéliste, voulant faire ressortir l'amour de Dieu pour nous dans son humiliation, a nommé le Verbe et la chair, sans parler de l'âme qui est inférieure au Verbe et qui l'emporte sur la chair. Il a été aussi raisonnable de nommer la chair qui paraissait le moins digne d'être prise, parce que c'est elle qui est la plus éloignée du Verbe.

32 Il faut répondre au second, que le Verbe est la source de la vie, comme sa première cause efficiente; au lieu que l'âme est le principe de la vie du corps, comme sa forme. Or, la forme est l'effet de l'agent. On pourrait donc plutôt conclure de la présence du Verbe que le corps était animé (1), comme on peut conclure de la présence du feu que le corps auquel il adhère est chaud.

33
Il faut répondre au troisième, qu'il ne répugne pas et même qu'il est nécessaire de dire que dans le Christ il y a eu une nature résultant de l'union de l'âme et du corps (2). Mais saint Jean Damascène nie que dans le Seigneur J.-C. il y ait une espèce commune qui soit comme une troisième chose résultant de l'union de la divinité et de l'humanité.



ARTICLE IV. — le fils de dieu a-t-il dû prendre l'entendement humain (3) ?

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1 Il semble que le Fils de Dieu n'ait pas pris l'intelligence humaine ou l'intellect. Car où se trouve présente une chose, on ne requiert pas son image. Or, l'homme est à l'image de Dieu par son intelligence, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. xiv, cap. 3 et 6). Par conséquent, puisque la présence du Verbe divin lui-même a été dans le Christ, il n'a pas fallu que l'intelligence humaine y fût.

2
Une plus grande lumière en obscurcit une moindre. Or, le Verbe de Dieu, qui est la lumière qui illumine tout homme venant en ce monde, selon l'expression de saint Jean (1), est à l'entendement ce qu'une plus grande lumière est à une moindre ; car l'entendement est une lumière, c'est une sorte de flambeau illuminé par la lumière première. La lampe du Seigneur, dit l'Ecriture, est l'esprit de l'homme (Pr 20,27). Il n'a donc pas été nécessaire que l'entendement humain existât dans le Christ qui est le Verbe de Dieu.

3 On appelle incarnation l'acte par lequel la nature humaine a été prise par le Verbe de Dieu. Or, l'entendement ou l'intelligence humaine n'est ni la chair, ni son acte, parce qu'elle n'est l'acte d'aucun corps, comme le prouve Aristote (De anima, lib. iii, text. 6). Il semble donc que le Fils de Dieu n'ait pas pris l'entendement humain.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Fulgentius) (Lib. de fid. ad Pet. cap. 44) : Soyez parfaitement sûr et ne doutez nullement que le Christ, le Fils de Dieu a une chair véritable et une âme raisonnable comme les n être s. Car il dit de sa chair : Touchez et voyez, parce qu'un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai (Lc 24,39). Il montre qu'il a une âme en disant : Je donne mon âme et je la reprends (Jn 10,48). Il prouve qu'il a une intelligence par ces paroles : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur (Mt 11,29). Dieu dit du Christ par le prophète : Voilà que mon serviteur sera plein d'intelligence (Is 52,43).


CONCLUSION. — Comme il est certain que le Christ a eu une âme et un corps véritables, de même on doit croire qu'il a eu une intelligence ou un entendement du même genre que le nôtre .


(<) C'est-à-dire qu'il y avait en lui une âme qui le faisait vivre.
(2) Cette nature est simplement la nature humaine, qui est commune à l'âme et au corps.
(3) Cet article est directement opposé à Apollinaire qui, en accordant qu'il y avait dans le Christ une âme, voulait que cette âme fût purement sensitive ; ce qui a été condamné par l'Eglise. Le concile de Vienne, sous Clément V, définit : Unigenitum Dei Filium corpus humanum passibile et animam intellectivam, seu rationalem ipsum corpus vere per se et essentialiter informantem assumpsisse.

21 Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Lib. de haeres. xlix-lv), les apollinaristes se sont écartés de l'Eglise catholique au sujet de l'âme du Christ, en disant, comme les ariens, que le Christ Dieu n'a reçu que la chair sans l'âme. Ayant été vaincus sur ce point par les témoignages des évangélistes, ils ont prétendu que l'âme du Christ était sans intelligence et que le Verbe tenait sa place (1). Or, cette hypothèse se réfute par les mêmes raisons que la précédente. Car d'abord elle est contraire au récit de l'Evangile qui rappelle que le Christ fut dans l'admiration (Mt 8,10). Or, l'admiration ne peut exister sans la raison ; parce qu'elle implique un rapport de l'effet à la cause ; comme quand on voit un effet dont on ignore la cause et qu'on la cherche, selon la remarque d'Aristote (Met. cap. 2). 2° Elle répugne à l'utilité de l'incarnation qui a pour effet de justifier l'homme du péché. Car l'âme humaine n'est capable de pécher, ni de recevoir la grâce sanctifiante que par l'entendement. Il a donc dû surtout prendre l'intelligence humaine. C'est ce qui fait dire à saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. m, cap. 6), que le Verbe de Dieu a pris un corps et une âme intelligente et raisonnable. Puis il ajoute : il s'est uni tout entier à ma nature humaine tout entière pour me sauver totalement ; car ce qu'il n'a pas pris ne peut être guéri. 3° Elle est contraire à la vérité de l'incarnation. Car puisque le corps est proportionné à l'âme, comme la matière à sa propre forme, le corps qui n'est pas perfectionné par une âme humaine, c'est-à-dire par une âme raisonnable, n'est pas véritablement un corps humain. C'est pourquoi si le Christ avait eu une âme sans intelligence, il n'aurait pas eu un véritable corps d'homme, mais un corps de bête; puisque c'est par l'intelligence seule que notre âme diffère de celle des animaux. D'où saint Augustin remarque (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 80) que d'après cette erreur il s'ensuivrait que le Fils de Dieu se serait uni à une bête sous la figure d'un corps humain : ce qui répugne à la vérité divine qui est absolument incompatible avec la fausseté d'une pareille fiction.

31 Il faut répondre au premier argument, que là où une chose est présente on ne demande pas que son image vienne se mettre à sa place; comme là où se trouve l'empereur, les soldats ne vénèrent pas son image. Mais on demande avec la présence de la chose son image, pour que celle-ci soit perfectionnée par la présence même de l'objet ; comme une image en cire est perfectionnée par l'impression du sceau et comme l'image d'un homme se reflète dans un miroir par sa présence. Or, pour que l'entendement humain fût parfait il a été nécessaire que le Verbe de Dieu lui fût uni.

32
Il faut répondre au second, qu'une plus grande lumière obscurcit la lumière moindre d'un autre corps lumineux; cependant elle ne détruit pas, mais elle perfectionne plutôt la lumière du corps qui est éclairé. Car la lumière des étoiles est obscurcie à la présence du soleil, tandis que la lumière de l'air n'en est que plus parfaite. Ainsi l'entendement ou l'intelligence de l'homme étant comme une lumière produite par la lumière du Verbe divin, il s'ensuit que la présence du Verbe ne l'anéantit pas, mais qu'elle la perfectionne plutôt.

33
Il faut répondre au troisième, que quoique la puissance intellectuelle ne soit l'acte d'aucun corps, cependant l'essence même de l'âme humaine, qui est la forme du corps, demande qu'elle soit plus noble pour qu'elle ait la puissance de comprendre. C'est pourquoi il est nécessaire que le corps qu'elle anime soit lui-même mieux disposé.

(i) C'est ce que le concile de Florence rapporte en le condamnant : Sacrosancta Ecclesia anathematizat Apollinarem : qui in Christo solam posuit animam sensitivam et deitatem Verbi vim rationalis animae tenuisse.





QUESTION 6: DE L'ORDRE DE L'ASSOMPTION.

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Nous avons maintenant à nous occuper de l'ordre de l'assomption. — A ce sujet six questions sont à examiner : 1° Le Fils de Dieu a-t-il pris la chair par l'intermédiaire de l'âme? — 2° A-t-il pris l'âme par l'intermédiaire de l'esprit ou de l'intelligence ? — 3° L'âme a-t-elle été prise par le Verbe avant la chair ? — 4° La chair du Christ a-t-elle été prise par le Verbe avant d'être unie à l'âme? — 5° La nature humaine entière a-t-elle été prise au moyen de ses parties ? — 6° A-t-elle été prise par l'intermédiaire de la grâce ?



ARTICLE I. — Le fils de dieu a-t-il pris la chair par le moyen de l'âme (1)?

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1 Il semble que le Fils de Dieu n'ait pas pris la chair par le moyen de l'âme. Car le mode par lequel le Fils de Dieu est uni à la nature humaine et à ses parties est plus parfait que celui par lequel il existe dans toutes les créatures. Or, il existe immédiatement dans toutes les créatures par son essence, sa puissance et sa présence. Donc à plus forte raison le Fils de Dieu s'est-il uni immédiatement à la chair et non par l'intermédiaire de l'âme.

2
L'âme et la chair ont été unies au Verbe de Dieu dans l'unité de l'hypostase ou de la personne. Or, le corps appartient immédiatement à la personne de l'homme ou à son hypostase, ainsi que l'âme : et même le corps qui est la matière paraît se rapprocher de l'hypostase de l'homme plus que l'âme qui est la forme : parce que le principe de l'individualisation qu'implique le mot d'hypostase paraît être la matière. Le Fils de Dieu n'a donc pas pris la chair par le moyen de l'âme.

3
En écartant le moyen on sépare ce que le moyen unit; comme en ôtant la surface on enlèverait au corps la couleur qui ne lui est adhérente que par la surface. Or, l'âme ayant été séparée par la mort, l'union du Verbe avec la chair a subsisté encore, comme on le verra plus loin (quest. i, art. 2 et 3). Le Verbe n'est donc pas uni à la chair par le moyen de l'âme.

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Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Epist, ad Volusian. cxxxvi) : La grandeur de la vertu divine s'est unie à une âme raisonnable et par cette âme au corps humain, et elle a opéré dans l'homme entier un changement qui l'ennoblit.


(1) Durand nie tout ordre dans le mystère de l'Incarnation; Scot et ses partisans admettent un ordre, mais ils l'entendent autrement que saint Thomas (Sent. III sect. dist. 2, quest. il). On peut voir dans Cajótau la discussion de ces divers sentiments.


CONCLUSION. — Puisque l'âme tient le milieu par sa noblesse entre Dieu et la chair et qu'elle est en quelque sorte la cause de l'union de la chair avec le Fils de Dieu, on doit reconnaître que le Fils de Dieu a pris la chair humaine par le moyen de l'âme.

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Il faut répondre que le milieu se dit par rapport au commencement et à la fin. Par conséquent comme le principe et la fin impliquent l'ordre, de même aussi le milieu. Or, il y a deux sortes d'ordre : l'un qui se rapporte au temps et l'autre à la nature. Selon l'ordre du temps, on ne dit pas qu'il y a un milieu dans le mystère de l'Incarnation : parce que le Verbe de Dieu s'est uni tout à la fois la nature humaine entière, comme on le verra plus loin (quest. xxxiii, art. 3). Quant à l'ordre de nature, on peut le considérer de deux façons : 1° selon le degré de dignité ; c'est ainsi que nous disons que les anges tiennent le milieu entre les hommes et Dieu; 2° selon la raison de causalité; comme on dit que la cause moyenne est celle qui existe entre la cause première et le dernier effet. Ce second ordre découle d'une certaine manière du premier; car, comme le dit saint Denis (De div. novi. cap. 4, et De coelest. hier. cap. 12 et 13), Dieu agit par les substances qui sont les plus rapprochées de lui sur celles qui en sont le plus éloignées.— Par conséquent si nous considérons le degré de dignité, l'âme tient le milieu entre Dieu et la chair, et en ce sens on peut dire que le Fils de Dieu s'est uni la chair par l'intermédiaire de l'âme. Selon l'ordre de causalité l'âme est aussi en quelque façon la cause de l'union de la chair avec le Fils de Dieu. Car elle n'a pu être prise que par suite du rapport qu'elle a avec l'âme raisonnable qui fait qu'elle est une chair humaine : puisque nous avons dit (quest. iv, art. 1) que la nature humaine devait être prise plutôt que les autres.

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Il faut répondre au premier argument, que l'on peut considérer deux sortes d'ordre entre la créature et Dieu. Le premier d'après lequel les créatures sont produites par Dieu et en dépendent comme du principe de leur être. C'est ainsi qu'à cause de l'infinité de sa puissance, Dieu atteint immédiatement toutes choses, en les produisant et en les conservant. Pour cela il faut que Dieu soit immédiatement en tout par son essence, sa présence et sa puissance. Le second d'après lequel les choses sont ramenées à Dieu comme à leur fin. A cet égard il y a un milieu entre Dieu et la créature, parce que les créatures inférieures sont ramenées à Dieu par les créatures supérieures, comme Je dit saint Denis (Lib. ecdes. hier. cap. 5). C'est à cet ordre que se rapporte l'assomption de la nature humaine par le Verbe qui en est le terme, et c'est pour cela qu'il est uni à la chair par l'âme.

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Il faut répondre au second, que si l'hypostase du Verbe de Dieu était absolument constituée par la nature humaine, il s'ensuivrait que le corps serait plus rapproché d'elle, puisqu'il est la matière qui est le principe de l'individualisation ; comme l'âme qui est la forme spécifique est ce qu'il y a de plus proche par rapport à la nature humaine. Mais comme l'hypostase du Verbe est antérieure à la nature humaine et qu'elle est plus noble qu'elle, ce qu'il y a de plus parfait dans la nature humaine est ce qu'il y a de plus proche de l'hypostase. C'est pourquoi l'âme est plus proche du Verbe de Dieu que le corps.

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Il faut répondre au troisième, que rien n'empêche qu'une chose soit cause d'une autre, quant à l'aptitude et la convenance, et que cette cause enlevée l'effet n'en reste pas moins. Car quoiqu’une chose dépende d'une autre pour être produite, cependant après qu'elle est produite elle n'en dépend plus. Ainsi, par exemple, quand l'amitié a été excitée d’être quelques personnes par un intermédiaire, celui-ci peut s'éloigner sans que l'amitié soit pour cela détruite. De même si l'on épouse une femme à cause de sa beauté, ce qui rend l'alliance qu'on contracte avec elle convenable, l'union conjugale n'en persévère pas moins, lorsque la beauté a disparu. De même l'âme étant séparée, l'union du Verbe avec la chair subsiste.




III Pars (Drioux 1852) 86