III Pars (Drioux 1852) 842

ARTICLE II. — le christ a-t-il i)u prêcher aux juifs sans les offenser?

842
1 Il semble que le Christ ait dû prêcher aux Juifs sans les offenser. Car, comme le dit saint Augustin [Lib. de Agon. christ, cap. Il), le Fils de Dieu s'est montré en Jésus-Christ pour nous servir d'exemple. Or, nous devons éviter d'offenser non-seulement les fidèles, mais encore les infidèles, d'après; ces paroles de l’Apôtre(
1Co 10,32) : Ne donnez aucun sujet de scandale ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à V Eglise de Dieu. Il semble donc que le Christ ait dû aussi éviter d'offenser les Juifs par sa doctrine.

2 Aucun sage ne doit faire une chose qui puisse compromettre l'effet de son oeuvre. Or, en troublant les Juifs par sa doctrine, le Christ en empêchait les effets. Car il est dit (Luc. xi, 53) : que quand le Seigneur eut repris les pharisiens et les scribes, ils se mirent à le presser vivement et à F accabler par une multitude de questions, lui tendant des pièges et cherchant à tirer de sa bouche de quoi l'accuser. Il ne semble donc pas convenable qu'il les ait blessés par sa doctrine.

3
 L’Apôtre dit (1Tm 5,1) : Ne reprenez pas durement celui qui est avancé en âge, mais exploitez-le comme s'il était votre père. Or, les prêtres et les princes des Juifs étaient les anciens de la nation. Il semble donc que le Christ n'ait pas dû leur faire de dures réprimandes.

20 Mais c'est le contraire. Le prophète avait annoncé (Is 8,14), que le Christ serait pour les deux maisons d'Israël une pierre d'achoppement et de scandale.


CONCLUSION. — Puisque les scribes et les pharisiens et les princes des Juifs étaient opposés au salut générât de tous les hommes, le Christ a dû, sans craindre de les offenser, enseigner la vérité publiquement et s'élever contre leur conduite.

21 Il faut répondre que le salut de la multitude doit   être  préféré à la paix de quelques individus en particulier. C'est pourquoi quand il y a des hommes qui par leur perversité empêchent le salut de la multitude, celui qui prêche ou qui enseigne ne doit pas craindre de les offenser pour pourvoir au salut de la multitude. Or, les scribes, les pharisiens et les princes des Juifs étaient un grand obstacle au salut du peuple ; soit parce qu'ils

(I) C'est encore une des preuves les plus frappantes de sa divinité, qu'il n'ait rien fait pour son oeuvre pendant sa vie, et qu'il ait néanmoins prononcé sur la croix le fameux consummatum est, que les événements ont parfaitement jus- tilié.

étaient les ennemis de la doctrine du Christ qui était le seul moyen par lequel on pouvait être sauvé; soit parce qu'ils corrompaient la vie du peuple par leurs moeurs déréglées. C'est pourquoi le Seigneur, sans craindre de les offenser, enseignait publiquement la vérité qu'ils haïssaient et leur reprochait leurs vices. Aussi les disciples ayant dit au Seigneur (
Mt 15,12) : Savez-vous bien que les pharisiens ayant entendu cette parole, s'en sont scandalisés? il leur répondit : Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles; si un aveugle sert de guide à un autre, ils tombent tous les deux dans la même fosse.

31 Il faut répondre au premier argument, qu'on ne doit scandaliser personne, c'est-à-dire qu'on ne doit être pour personne par ses paroles ou ses actions une occasion de ruine; mais quand c'est la vérité qui scandalise, on doit supporter le scandale plutôt que d'abandonner la vérité (1), comme le dit saint Grégoire (Hom. vii in ).

32
Il faut répondre au second, qu'en reprenant publiquement les scribes et les pharisiens, le Christ n'a pas empêché sa doctrine de porter ses fruits, mais il l'a plutôt favorisée; parce que le peuple, qui reconnaissait leurs vices, était moins éloigné du Christ à cause des paroles des scribes et des pharisiens qui étaient toujours opposés à sa doctrine.

33
Il faut répondre au troisième, que ce passage de l’apôtre doit s'entendre des vieillards qui sont tels non-seulement par l'âge ou l'autorité, mais encore par la vertu, d'après ces paroles de la loi (Nb 11,16) : Assemblez-moi soixante et dix hommes d'entre les anciens d'Israël que vous saurez être du, nombre des anciens du peuple. Mais si les vieillards font de leur autorité un instrument de malice, en péchant publiquement, on doit les reprendre ouvertement et vivement, comme l'a fait Daniel (Da 13,52). Inveterate dierum malorum, etc.


ARTICLE III. — le christ a-t-il du enseigner toutes choses publiquement (2)?

843
1 Il semble que le Christ n'ait pas dû enseigner toutes choses publiquement. Car nous voyons qu'il a dit à ses disciples beaucoup de choses à part, comme on le voit dq\is le sermon de la cène. D'où il dit lui-même (
Mt 10,27) : Ce que vous avez entendu à l'oreille sera prêché sur les toits. Il n'a donc pas tout enseigné publiquement.

2 On ne doit exposer les profondeurs de la sagesse qu'aux parfaits, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 2,6) : Nous prêchons la sagesse aux parfaits. Or, la doctrine du Christ renfermait la sagesse la plus profonde. Elle ne devait donc pas être communiquée à la multitude qui est imparfaite.

3 Il revient au même de garder le silence sur une vérité et de l'exprimer par des paroles obscures. Or, le Christ cachait à la foule la vérité qu'il lui prêchait, en lui parlant en termes obscurs, puisqu'il ne s'exprimait qu'en paraboles (Mt 13,34). Il pouvait donc pour la même raison garder le silence à son égard.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 18,20) : Je n'ai point parlé en secret.


CONCLUSION. — La doctrine du Christ n'a pas été tenue secrète par envie de la part du maître, ni à cause du petit nombre de ceux auxquels il la proposait, mais seulement quant à la manière d'enseigner certaines choses que la multitude n'était pas capable de saisir.

(1) Voyez ce que nous avons dit du scandale (tome iv, p. 548).
(2)Tous les sages de l'antiquité ont eu une doctrine ésolèrique, parce qu'ils ne la communiquaient qu'à leurs initiés. C'est de la sorte que les prêtres de l'Egypte et de l'Orient ont confisqué la vérité à leur profit, et l'ont, pour ainsi dire, enfermée dans leur sanctuaire. Le Christ, au contraire, a annoncé publiquement sa doctrine; il a voulu qu'elle fût prêchée à tous les hommes sans distinction, et c'est encore une des preuves de sa divinité que tous les apologistes ont fait valoir avec avantage.

21 Il faut répondre que la doctrine de quelqu'un peut être secrète de trois manières : 1° Par rapport à l'intention du maître qui se propose de ne pas manifester sa doctrine à beaucoup de monde, mais plutôt de la cacher. Ce qui a lieu pour un double motif: quelquefois par envie de la part du maître qui veut l'emporter par sa science et qui ne veut pas pour ce motif la communiquer aux autres. C'est ce qui n'a pas eu lieu dans le Christ, auquel l'Ecriture fait dire (Sg 7,13) : J'ai appris la sagesse sans déguisement, j'en fais part aux autres sans envie, et je ne cache point les richesses qu'elle renferme. D'autres fois on le fait à cause de l'immoralité des choses que l'on enseigne. Car, comme le dit saint Augustin (Tract, xcvi sup. Jean. ), il y a des horreurs que la pudeur de l'homme ne peut pas supporter. Ainsi il est dit delà doctrine des hérétiques (Pr 9,17) : que les eaux dérobées sont plus douces. Mais la doctrine du Christ n'a rien d'erroné, ni d'immoral. C'est pourquoi le Seigneur dit (Mare, 4, 21) : Fait-on apporter une lampe, c'est-à-dire la doctrine vraie et pure, pour la mettre sous le boisseau? V? Une doctrine est occulte parce qu'elle est proposée à peu de monde. Le Christ n'a rien enseigné en secret de cette manière, parce qu'il a proposé sa doctrine ou à la foule entière ou à tous ses disciples en général. D'où saint Augustin dit (Sup. Jean, tract, cxin) : Parle-t-il en secret celui qui parle devant les hommes; surtout s'il dit à quelques-uns ce que par eux il veut faire connaître à une multitude d'autres? 3° Une doctrine est occulte quant à la manière de l'enseigner. Il y avait des choses que le Christ disait à la foule d'une manière qui était ainsi cachée ; se servant de paraboles pour annoncer les mystères spirituels qu'elle n'était ni capable, ni digne de comprendre. Toutefois il était encore mieux pour elle d'entendre ainsi la doctrine spirituelle sous le voile des paraboles que d'en être absolument privée. Mais le Seigneur exposait la vérité simple et nue de ces paraboles à ses disciples pour qu'ils la transmissent à d'autres qui seraient capables d'en profiter, suivant ces paroles de saint Paul (2Tm 2,2) : Ce que vous avez appris de moi devant un grand nombre de témoins, donifcz-le en dépôt à des hommes fidèles qui seront eux-mêmes capables d'en instruire d'autres. C'est ce que signifie le passage de la loi (Nb 4), où il est ordonné aux enfants d'Aaron d'envelopper les vases du sanctuaire, pour que les lévites les portent.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Hilaire (Sup. Matth, can. x) en expliquant ce passage, nous ne voyons pas que le Seigneur ait eu la coutume de prêcher la nuit et d'exposer sa doctrine dans les ténèbres, mais il s'exprime ainsi parce que tous ses discours sont ténèbres pour les hommes charnels et que sa parole est obscure, comme la nuit, pour les incrédules. C'est pourquoi il veut que ce qu'il dit soit rendu avec la liberté de la foi et de ceux qui la confessent. — Ou bien, d'après saint Jérôme (in hunc loc.), il parle par manière de comparaison ; parce qu'il instruisait ses disciples dans la Judée, qui était une contrée très-resserrée relativement au monde entier, dans lequel sa doctrine devait être prêchée par les apôtres.

32
Il faut répondre au second, que le Seigneur n'a pas manifesté par sa doctrine tuos les secrets de sa sagesse, non-seulement à la foule, mais même à ses disciples auxquels il a dit (Jn 16,12) : f ai encore beaucoup d'autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Cependant tout ce qu'il a jugé cligne de transmettre aux autres à l'égard de sa sagesse, il ne le leur a pas proposé en secret, mais en public, quoiqu'il ne fût pas compris de tout le monde. D'où saint Augustin observe (Sup. Jean. tract, cxih) : que quand le Seigneur dit : J'ai parlé publiquement au monde; on doit entendre cette parole comme s'il avait dit : un grand nombre m'ont entendu. Ce qu'il disait n'était cependant pas manifeste, parce qu'ils no le comprenaient pas.

33 Il faut répondre au troisième, que le Seigneur parlait à la foule en paraboles, comme nous l'avons dit (in corp. art.) : parce qu'elle n'était ni digne, ni capable de recevoir la vérité nue qu'il exposait à ses disciples. Quant à ce que dit l'évangéliste, qu'«ï ne leur parlait pas sans paraboles, on doit l'entendre, d'après saint Chrysostome (Hom. xlviii in ), du discours dont il s'agit en cet endroit; car ailleurs il a dit à la foule beaucoup de choses sans paraboles. — Ou bien, d'après saint Augustin (Lib. de quaest. Evctng. quaest. xv), l'évangéliste parle ainsi, non parce qu'il n'a rien dit dans un sens propre, mais parce qu'il n'a presque rien expliqué sans faire usage de quelque parabole, quoiqu'il y ait eu des choses prises dans leur sens propre.



ARTICLE IV. — le christ a-t-il dû laisser sa doctrine par écrit (1)?

844
1 Il semble que le Christ ait dû laisser sa doctrine par écrit. Car l'écriture a été inventée pour transmettre la doctrine à la mémoire des générations à venir. Or, la science du Christ devait durer éternellement, d'après ces paroles de l'Evangile (
Lc 21,33) : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas. Il semble donc que le Christ ait dû transmettre par écrit sa doctrine.

2 La loi ancienne a été préalablement la figure du Christ, d'après ces paroles de saint Paul (He 10,1) : La loi avait l'ombre des biens à venir. Or, cette loi a été écrite par Dieu, d'après ces paroles (Ex 24,22) : Je vous donnerai deux tables de pierre, la loi et les préceptes que j'ai écrits. Il semble donc que le Christ ait dû écrire sa doctrine.

3 C'était au Christ, qui était venu éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et les ombres de la mort( Luc. Lc 1,79), qu'il appartenait d'écarter toutes les occasions d'erreur et d'ouvrir* la voie de la foi. Or, il l'aurait fait en écrivant sa doctrine. Car saint Augustin dit (De consens. Evang. lib. i, cap. 7): Il y en a qui s'étonnent que le Christ n'ait rien écrit, et qu'on soit obligé de croire à d'autres qui ont écrit sur lui. C'est la question que se font surtout les païens, qui n'osent pas accuser ou blasphémer le Christ, qui lui reconnaissent une très-grande sagesse, mais qui ne voient en lui qu'un homme; prétendant que ses disciples ont accordé à leur maître plus qu'il n'était en le disant Fils de Dieu et Verbe de Dieu par lequel tout a été fait. Puis il ajoute : qu'ils paraissent prêts à croire de lui ce qu'il en aurait écrit lui- même, mais qu'ils ne veulent pas admettre ce qu'il a plu à d'autres d'en dire. Il semble donc que le Christ ait dû transmettre sa doctrine par écrit.

20 Mais c'est le contraire. Car dans le canon des saintes Ecritures il n'y a pas de livres qui aient été écrits par le Christ.


CONCLUSION. — Il a été convenable que le Christ n’écrive pas lui-même sa doctrine, soit à cause de l'excellence du maître, soit à cause de celle de la doctrine.

(I) Le Christ n'a rien écrit pour montrer que son oeuvre ne reposait pas sur l'écriture, mais sur la parole, et, par conséquent, indépendamment de la tradition écrite, on doit reconnaître dans l'Eglise une tradition orale.

21
Il faut répondre qu'il a été convenable que le Christ n'écrivit pas sa doctrine. 1° A cause de sa dignité; car un maître d'un ordre supérieur doit enseigner de la manière la plus excellente. C'est pourquoi il convenait au

Christ, comme au premier des maîtres, d'imprimer sa doctrine dans l'âme de ses auditeurs. C'est ce qui fait dire (
Mt 7,16) : qu'il les enseignait, comme ayant puissance. C'est ainsi que chez les gentils, Pythagore et Socrate, qui ont été les maîtres les plus remarquables, n'ont rien voulu écrire. Car on n'écrit que pour imprimer sa doctrine dans le coeur de ses disciples, sans avoir d'autre but. 2° A cause de l'excellence de la doctrine du Christ qu'aucun livre ne peut contenir, d'après ces paroles de saint Jean (21. 25) : Jésus a fait encore beaucoup d'autres choses, et si on les rapportait toutes en détail, je ne crois pas que le monde même pût contenir les livres qu'on en. écrirait. Saint Augustin observe à cet égard [Tract, ult. in Jean.) que ce n'est pas le défaut d'espace qui empêcherait le monde de les contenir, mais c'est parce que ceux qui les liraient ne pourraient les comprendre. Et si le Christ eût écrit sa doctrine, les hommes n'en auraient pas eu une idée plus haute que celle que l'Ecriture leur en aurait donnée. 3° Pour que la doctrine découlât de lui sur tous les hommes d'après un certain ordre. Ainsi il a enseigné lui-même immédiatement tous ses disciples qui ont ensuite instruit les autres par leur parole et leurs écrits-, au lieu que s'il eût écrit, sa doctrine serait immédiatement parvenue à tout le monde. D'où il est dit de la sagesse de Dieu (Pr 9,3) qu'elle a envoyé ses servantes pour appeler les autres sur les lieux les plus élevés. — Cependant on doit se rappeler, comme le dit saint Augustin (Deconsens.Evang. lib. i, cap. 9etl0), qu'il y a des gentils qui ont cru que le Christ avait composé des livres qui renfermaient les arts magiques par lesquels if faisait ses miracles, ce que la doctrine catholique condamne. Aussi, ajoute le même docteur, ceux qui disent qu'ils ont lu ces livres du Christ, n'ont cependant rien fait de semblable aux merveilles dont ils prétendent que ces livres renferment le secret. Dieu a permis qu'ils se trompassent au point de dire que ces mêmes livres avaient été adressés à Pierre et à Paul, parce que dans beaucoup d'endroits ils les ont vus peints avec le Christ. Ils ont été évidemment trompés par cette peinture, puisque pendant tout le temps que le Christ a été sur la terre avec ses disciples, saint Paul n'était pas l'un d'eux.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin (eod. lib. cap. ult. ad fin.), le Christ est à ses disciples ce que la tête est aux membres du corps. C'est pourquoi puisqu'ils ont écrit ce qu'il leur a montré et ce qu'il leur a dit (i), on ne doit pas dire qu'il n'a pas écrit, les membres ayant écrit sous la dictée du chef-, car tout ce qu'il a voulu nous apprendre de ses actions et de ses paroles, il leur a commandé de l'écrire, comme à ses propres mains.

32
Il faut répondre au second, que la loi ancienne ayant été donnée sous des figures sensibles, il est convenable qu'elle ait été écrite par des signes sensibles. Au contraire la doctrine du Christ, qui est la loi spirituelle de vie, n'a pas dû être écrite avec de l'encre, mais avec l'esprit, du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur les coeurs, comme sur des tables de chair, ainsi que le dit l’Apôtre(2Co 3,3).

33 Il faut répondre au troisième, que ceux qui n'ont pas voulu croire au récit des apôtres  sur le Christ, n'auraient pas cru davantage aux écrits du Christ lui-même dont ils attribuaient les miracles à la magie (2).

(I) Ce qu'il leur a dit d'écrire ; car leurs écrits ne renferment pas toute la doctrine qu'ils avaient eux-mêmes prêchée aux fidèles (Vid.
1Co 11 1Co 9-2 1Co 2,141 1Co 2, 1Co 6,202 1Co 6, 2! 2! et fin. ).
(2) Sur la tradition et l'écriture, consultez Bellarmin, De verbo scripto et tradito ; Moehler, De la symbolique et de l'unité de l'Eglise; de Maislre , Du principe générateur.




QUESTION 43: DES MIRADES FAITS PAR LE CHRIST EN GÉNÉRAL. •

860
Nous devons considérer les miracles faits par le Christ. — Nous les examinerons : 1° en général ; 2° nous traiterons en particulier de chaque genre de miracles ; 3° nous nous occuperons spécialement de sa transfiguration. — Sur la première de ces considérations il y a quatre questions à faire : 1" Le Christ a-t-il dû faire des miracles? — 2° Les a-t-il faits par sa vertu divine? — 3° En quel temps a-t-il commencé à faire des miracles ? — 4° A-t-il suffisamment montré par ses miracles sa divinité?



ARTICLE I. — le christ a-t-il dû faire des miracles (I)?

861
c1 Il semble que le Christ n'ait pas dû faire des miracles. Car ses actes ont dû   être  d'accord avec ses paroles. Or, il dit lui-même (
Mt 12,39) : Cette race méchante et adultère demande un prodige; il ne lui en sera point donné d'autre que celui du prophète Jonas. Il n'a donc pas dû faire des miracles.

2 Comme le Christ doit venir dans son second avènement avec une grande vertu et une grande majesté, selon l'expression de l'Evangile (Mt 24,30), de même dans son premier avènement il est venu dans la faiblesse, d'après ces paroles du prophète (Is. liii, 3) : C'est un homme de douleurs qui connaît l'infirmité. Or, il appartient à la force plutôt qu'à la faiblesse de faire des miracles. Il n'a donc pas été convenable que le Christ en fit à son premier avènement.

3 Le Christ est venu pour sauver les hommes par la foi, d'après ces paroles de l’Apôtre(He 2,2) : Jetant les yeux sur Jésus Vcmteur et le consommateur de la foi. Or, les miracles diminuent le mérite de la foi; d'où saint Jean dit (iv, 48) : Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point. Il ne semble donc pas que le Christ ait dû faire des miracles.

20 Mais c'est le contraire. Les adversaires du Christ disaient entre eux (Jn 11,47) : Que ferons-nous? car cet homme fait beaucoup de miracles.


CONCLUSION, -t- Puisqu'il fallait manifester aux hommes que Dieu était dans le Christ, non par la grâce d'adoption, mais par celle d'union, et que sa doctrine vient de Dieu, il a été convenable qu'il fit des miracles sur la terre.

21 Il faut répondre que la Divinité accorde à l'homme de faire des miracles pour deux motifs. Premièrement et principalement pour confirmer la vérité que l'on enseigne. Car les choses qui sont de foi surpassent la raison humaine ; on ne peut les prouver par des raisonnements, mais il faut les prouver par l'argument de la puissance divine (2); de manière que quand on fait des oeuvres que Dieu seul peut faire, on croie que les choses que l'on dit viennent de Dieu; comme quand on apporte des lettrés marquées du sceau d'un roi, on croit que ce qu'elles renferment est émané de la volonté du roi lui-même. 2° Pour montrer la présence de Dieu dans l'homme par la grâce de l'Esprit-Saint, afin que l'homme faisant les oeuvres de Dieu, on croie que Dieu habite en lui par la grâce. C'est ce qui fait dire à saint Paul (Gal. 3, 5) : Celui qui vous communique l'Esprit-Saint fait des miracles parmi vous. Or, il fallait manifester aux hommes ces deux choses à l'égard du Christ; c'est que Dieu était en lui non par la grâce d'adoption, mais par celle d'union, et que sa doctrine surnaturelle venait de Dieu. C'est pourquoi il a été très-convenable qu'il fit des miracles. D'où il dit lui-même (Jn 10,38) : Si vous ne

(I) Les prophètes avaient annoncé que le Christ ferait des miracles (Is 35) : Deus ipse veniet, et salvabit nos : tunc aperientur óculi coeco- rum, et aures surdorum patebunt; tunc saliet sicut cervus claudus, et aperta erit lingua mutorum. Le Christ donne constamment ses miracles comme une preuve de sa mission (Matth. it) : Ite et renuntiate .Ioanni quce vidistis : coeci vident, claudi ambulant, surdi audiunt, mortui resurgunt.
(2) On les prouve par des preuves extrinsèques, et non par des arguments intrinsèques.

voulez pas me croire, croyez à mes oeuvres, et ailleurs (Jn 5,36) : Les oeuvres que mon Père m'a donné pouvoir de faire, ce sont elles qui rendent témoignage de moi.

21 Il faut répondre au premier argument, que par ces paroles : Il ne leur sera pas donné d'autre signe que celui du prophète Jonas, on doit entendre, comme le dit saint Chrysostome (Hom. x i. iv in Matth.), qu'ils n'obtinrent pas un signe tel qu'ils le demandèrent, c'est-à-dire un signe du ciel, mais elles ne veulent pas dire qu'il ne leur en ait donné aucun autre; ou bien elles signifient qu'il faisait des prodiges, non pour ceux qu'il savait durs comme la pierre, mais pour en gagner d'autres. C'est pour cela qu'il ne donnait pas de signes à ces derniers, mais qu'il en accordait aux autres.

32
Il faut répondre au second, que quoique le Christ soit venu dans l'infirmité de la chair, ce qui s'est manifesté par ses souffrances, il est venu aussi avec la puissance de Dieu, et c'est ce qu'il devait manifester par ses miracles.

33
Il faut répondre au troisième, que les miracles diminuent le mérite de la foi, selon qu'ils montrent la dureté de ceux qui ne veulent croire les choses que les saintes Ecritures renferment qu'autant qu'elles sont démontrées par des prodiges. Cependant il vaut mieux pour eux d'être convertis à la foi par des miracles que de rester absolument dans l'incrédulité. Car il est dit (1Co 14,22) : que les signes ou les prodiges sont pour les infidèles) afin qu'ils se convertissent à la foi.



ARTICLE II. — - le christ a-t-il fait ses miracles par la vertu divine (I)?

862
1 Il semble que le Christ n'ait pas fait ses miracles par la vertu divine. Caria vertu divine est toute-puissante. Or, il semble qu'il n'ait pas été tout- puissant en faisant ses miracles; puisqu'il est dit (
Mc 6,5) : Qu'il ne pouvait dans son pays faire aucun prodige. Il semble donc qu'il n'ait pas fait ses miracles par sa vertu divine.

2 Il n'appartient pas à Dieu de prier. Or, quelquefois le Christ priait en faisant des miracles, comme on le voit dans la résurrection de Lazare (Jn 11) et dans la multiplication des pains (Mt 14). II semble donc qu'il n'ait pas fait de miracles par sa vertu divine.

3 Ce qui est produit par la vertu divine ne peut être produit par la vertu d'aucune créature. Or, les choses que le Christ faisait pouvaient être produites par la vertu d'une créature. C'est pourquoi les pharisiens lui disaient qu'il chassait les démons au nom de Belzébul, le prince des démons (Lc 11,15). Il semble donc que le Christ n'ait pas fait ces miracles par sa vertu divine.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 14,10) : Mon Père qui demeure en moi fait lui-même les oeuvres que je fais.


CONCLUSION. — Tous les miracles que le Christ a faits ont été produits par sa vertu divine, puisqu'ils étaient de vrais miracles.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons vu (part. I, quest. ex, art. 4), les vrais miracles ne peuvent être produits que par la vertu divine ; parce que Dieu seul peut changer l'ordre de la nature; ce qui appartient à l'essence du miracle. D'où le pape saint Léon dit (Epist, xxviii ad Flav. cap. 4) : que dans le Christ il y a deux natures, l'une divine qui brille par les miracles, l'autre humaine qui succombe sous les injures. — Toutefois

( Il Col article est iiue réfutation «le l'erreur des pharisiens, qui attribuaient au démon les miracles du Christ, et de celle des hérétiques, qui pr tendaient qu'il faisait usage des arts magiques.

I mie d'elles agit en communication avec l'autre, c'est-à-dire en tant que la nature humaine est l'instrument de l'action divine, et que l'action humaine tire sa vertu de la nature divine (1), comme nous l'avons vu (quest. xiii, art. 3).

31
Il faut répondre au premier argument, que s'il est dit : Que le Christ ne pouvait faire dans son pays aucun miracle, ces paroles ne doivent pas se rapporter à sa puissance absolue, mais à ce qui peut être fait avec convenance. Car il n'était pas convenable que le Christ fit des miracles parmi des incrédules. Aussi l'écrivain sacré ajoute : Qu'il était dans l'étonnement à cause de leur incrédulité. C'est ainsi qu'il est dit (Gn 18,17) : V ouvrai-j e cacher à Abraham ce que je dois faire? (\ix, 22) : Je ne pourrai rien faire jusqu'à ce que vous soyez entré dans ce lieu.

32 Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Chrysostome (Sup. illud Mt 14, Acceptis quinque panibus, hom. l), il fallait croire du Christ qu'il vient de son Père et qu'il lui est égal. C'est pourquoi, pour montrer l'un et l'autre, tantôt il fait ses miracles par sa puissance, tan tôt en priant : pour les moindres choses il regarde au ciel, comme dans la multiplication des pains; mais pour les plus grandes que Dieu seul peut faire, il agit de lui-même avec autorité, comme quand il pardonne les péchés et qu'il ressuscite les morts. Quant à ce que dit saint Jean (11) que dans la résurrection de Lazare il leva les yeux vers le ciel, il ne le fit pas par nécessité, mais pour nous donner l'exemple : d'où il dit : J'ai prié à cause du peuple qui m'environne, afin qu'il croie que vous m'avez envoyé.

33 IL faut répondre au troisième, que le Christ chassait les démons d'une autre manière que les démons les chassent par leur vertu. En effet, les démons sont chassés du corps des hommes parla vertu des démons supérieurs, de manière cependant qu'ils continuent à exercer leur empire sur l'âme. Car le diable n'agit pas contre son propre royaume. Au contraire le Christ chassait les démons non-seulement du corps, mais surtout de l'âme. C'est pourquoi il repoussa le blasphème des pharisiens qui prétendaient qu'il chassait les démons par la vertu des démons : 4° parce que Satan n'est pas divisé contre lui-même; 2° par l'exemple des autres qui chassaient les démons par l'esprit de Dieu; 3° parce qu'il n'aurait pu chasser le démon, s'il ne l'eût vaincu par la vertu divine; 4° parce qu'il n'y avait aucun rapport entre ses oeuvres et celles de Satan, ni entre leurs effets; puisque Satan désirait disperser ceux que le Christ réunissait.


ARTICLE III. — est-ce aux noces de cana que le christ a commencé à faire des miracles?

863
1 Il semble que le Christ n'ait pas commencé à faire des miracles aux noces de Cana, en changeant l'eau en vin. Car on lit dans le livre de l'enfance du Sauveur (2) que le Christ a fait beaucoup de miracles dans son enfance. Or, il a fait le miracle du changement de l'eau en vin à l'âge de trente ou de trente et un ans. Il semble donc qu'il n'ait pas commencé alors à faire des miracles.


(2) Cet ouvrage est apocryphe, et il est cité dans le, décret du pape Gélase (liceret, dist. xv , cap. Sancta romana).
(t) Le Christ était Dieu, et c'est comme Dieu qu'il faisait ses miracles, d'après cette décision du cinquième concile général, tenu à Constantinople (sess. VIII, cap. 5) : Si quis dicit... non unum qui Christum Dei verbum incarnatum et hominem factum, atque ejusdem miracula et passiones quas sponte passus est incarne: talis anathema sit.

2
Le Christ faisait des miracles selon la vertu divine. Or, la vertu divine existait en lui dès le commencement de sa conception; car dès lors il fut Dieu et homme. Il semble doue qu'il ait fait des miracles dès le commencement.

3
Le Christ a commencé à réunir ses disciples après son baptême et sa tentation, comme on le voit (Mt 4 et Jn 1). Or, ses disciples se sont joints à lui surtout à cause de ses miracles ; c'est ainsi qu'il est dit (Lc 5,10) qu'il appela Pierre, frappé d'étonnement par le miracle qu'il avait fait dans la pêche des poissons. Il semble donc qu'il ait fait d'autres miracles avant celui qu’ il a fait aux noces de Cana.

20 Mais c'est le contraire. Saint Jean dit (Jn 2,14) : Tel fut le premier des miracles que fit Jésus à Cana de Galilée (1).


CONCLUSION. — Puisque les miracles que le Christ a faits avaient pour but de confirmer sa doctrine et de prouver sa divinité, il n'a dû les faire que dans l'âge mûr, après qu'il eut prêché, comme il l'a fait aux noces de Cana.

21 Il faut répondre que le Christ a fait des miracles pour confirmer sa doctrine et pour montrer la vertu divine qui était en lui. Sous le premier rapport, il n'a pas dû faire des miracles avant de commencer à enseigner, et il n'a pas dû commencer à enseigner avant l'âge mûr, comme nous l'avons dit ( quest. xxxix, art. 3 ) en traitant de son baptême. Sous le second l'apport, il a dû montrer sa divinité par des miracles, de manière à laisser croire la vérité de son humanité. C'est pourquoi, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Jean. hom. xx), il a été convenable qu'il n'ait pas commencé à faire des miracles dans le premier âge ; car on aurait pensé que son incarnation était un fantôme, et les Juifs l'auraient crucifié avant le temps convenable.

31
Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Chrysostome, d'après ces paroles de saint Jean Baptiste : Ut manifestetur in lsrael (hom. xvi), il est évident que les miracles que le Christ a faits dans son enfance sont des mensonges et des fictions. Car si le Christ eût fait des miracles dès son enfance, Jean ne l'aurait pas ignoré, et le reste de la multitude n'aurait pas eu besoin de maître pour le manifester.

32
Il faut répondre au second, que la vertu de Dieu opérait dans le Christ, selon qu'il était nécessaire au salut des hommes, pour lequel il s'était incarné. C'est pourquoi il a fait des miracles par sa vertu divine, de manière à ne pas porter préjudice à la foi qu'on avait dans la vérité de sa chair.

33
Il faut répondre au troisième, que ce qui fait l'éloge des disciples du Christ, c'est de l'avoir suivi, sans l'avoir vu faire aucun miracle, comme le dit saint Grégoire (Hom. v in Evang.).YA saint Chrysostome dit (Hom. xxn in )-. Il fut surtout nécessaire de faire des prodiges, quand ses disciples furent réunis, dévoués et attentifs à ce qu'il faisait. Aussi quand saint Jean dit (Jn 2,11) : Ses disciples crurent en lui, ces paroles ne signifient pas qu'ils commencèrent à croire, mais qu'ils crurent plus vivement et plus parfaitement. Ou bien il appelle disciples ceux qui devaient l'être, comme le dit saint Augustin (De consensu Evang. lib. ii, cap. 17).

(1) Quelques interprètes pensent que ce miracle ne fut pas le premier que fit te Christ, mais qu «I f»t le premier de ceux qu'il lit à Cana dans m», iii i " f sens conlrairead°pt6 par saint Thomas est le plus universellement reçu.



III Pars (Drioux 1852) 842