III Pars (Drioux 1852) 864

ARTICLE IV. — LES MIRACLES FAITS PAR LE CHRIST ONT-ILS SUFFISAMMENT MONTRÉ SA DIVINITÉ (2)?

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(2) Tous les apologistes de la religion chrétienne s'appuient sur les miracles du Christ pour démontrer sa divinité. Consultez à ce sujet Bergier, Traité de, la religion, ou les excellentes dissertations de M. de la Luzerne.

1 Il semble que les miracles que le Christ a faits n'aient pas été suffisants pour montrer sa divinité. Car il est propre au Christ d'  être  Dieu et homme. Or, les miracles que le Christ a faits ont été produits aussi par d'autres. Il semble donc qu'ils n'aient pas été suffisants pour montrer sa divinité.

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IL n'y a rien de plus grand que la vertu divine. Or, il y en a qui ont /fait des miracles plus grands que le Christ. Car il est dit (Jn 14,12) : ' Celui qui croit en moi fera aussi les oeuvres que je fais, et il en fera de plus grandes. Il semble donc que les miracles que le Christ a faits n'aient pas été suffisants pour montrer sa divinité.

3 Le particulier ne suffit pas pour prouver l'universel. Or, chacun des miracles du Christ a été une oeuvre particulière. Aucun d'eux n'a donc pu manifester suffisamment la divinité du Christ, à laquelle il appartient d'avoir une puissance universelle sur toutes choses.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 5,36) : Les oeuvres que mon Père m'a donné le pouvoir de faire rendent témoignage de moi.


CONCLUSION. — Puisque les miracles du Christ surpassaient les forces humaines et étaient produits par sa vertu propre, ils prouvaient parfaitement sa divinité.

21 Il faut répondre que les miracles que le Christ a faits étaient suffisants pour manifester sa divinité de trois manières : 1° d'après l'espèce même des ) oeuvres qui surpassaient toute la puissance d'une vertu créée; c'est pour ( cela qu'elles ne pouvaient être produites que par la vertu divine. C'est ce qui faisait dire à l'aveugle, après qu'il eut recouvré la vue (Jn 9,32) : Depuis le commencement du monde, on n'a jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né; si cet homme n'était de Dieu, il ne pourrait rien faire de semblable. 2° A cause de la manière dont il faisait ses miracles, parce qu'il les faisait par sa propre puissance, sans avoir besoin de prier, comme les autres. D'où il est dit (Lc 6,19) : qu'une vertu sortait de lui et guérissait tout le monde. Ce qui montre, comme le dit saint Cyrille (Thes. lib. xii, cap. 14), qu'il ne recevait pas sa puissance d'un autre; mais qu'étant Dieu par nature, il montrait sa propre vertu en guérissant les infirmes, et pour cela il faisait des miracles innombrables. Aussi, à l'occasion de ce§,, paroles : Ejiciebat spiritus verbo (Matth, viii), saint Chrysostomo dit (Hom. xxviii in Matth.) : Remarquez combien grande est la multitude des hommes guéris que les évangélistes indiquent, sans raconter chacune des guérisons, mais embrassant dans un seul mot un océan indicible de miracles. Par là il montrait qu'il avait une vertu égale à Dieu son Père, d'après ces paroles de saint Jean (5, 19) : Tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi. Et plus loin : Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît. 3° D'après la doctrine par laquelle il se disait Dieu, qui, si elle n'était pas véritable, ne pourrait être confirmée par des miracles faits par la vertu divine. C'est pourquoi il est dit (Mc 1,27) ': Quelle est cette nouvelle doctrine? Il commande même avec empire aux esprits impurs, et ils lui obéissent (1).

(I) Saint Thomas passe rapidement sur cette question, que les théologiens ont iiii depuis examiner avec pins Je détails, pour répondre à toutes les subtilités modernes, niais il donne néanmoins les trois raisons fondamentales sur lesquelles peut reposer cette thèse.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette objection a été faite par les gentils, et saint Augustin la rapporte (Epist, ad Volus. cxxxvu) ; Il n'a rien paru en lui, dit-on, qui soit proportionné à une si grande majesté; puisque les démons chassés, les malades guéris, les morts ressuscités, sont peu de chose pour un Dieu, surtout quand on considère que d'autres en ont fait autant. Et il répond : Nous demeurons d'accord que les prophètes ont fait de semblables miracles; mais Moïse et les autres prophètes ont tous prophétisé Jésus-Christ et lui ont rendu la plus grande gloire. C'est pourquoi s'il a voulu faire les mêmes miracles qu'eux, c'est parce qu'il aurait été absurde qu'il ne fit pas par lui-même ce qu'il avait fait par eux. Mais il ea a dû faire aussi qui 1 ni fussent particuliers, comme sa naissance d'une vierge, sa résurrection, son ascension. Si on trouve que cela est peu de chose pour Dieu, je ne sais ce qu'on peut désirer de plus. Fallait-il qu'après s'être fait homme il créât un autre monde, pour nous convaincre que c'était par lui que le monde actuel avait été fait? Ne voit-on pas qu'un monde ni plus grand, ni aussi grand que celui-ci ne se pouvait faire dans celui-ci. Et s'il en avait fait un moindre, ne dirait-on pas encore que ce serait peu de chose pour Dieu? — Toutefois ce que les autres ont fait, le Christ l'a fait d'une manière plus excellente. D'où le même docteur dit ( Tract, xci, sup. illud Jean, xv : Si opera non fecissem in eis quae nemo alius fecit, etc.) que dans les oeuvres du Christ il n'y en a pas qui paraissent plus grandes que la résurrection des morts. Nous savons à la vérité que les prophètes ont fait de pareils prodiges. Mais le Christ a aussi fait des choses qu'aucun autre n'a faites. Il est vrai qu'on nous répond que les autres en ont fait qu'il n'a pas faites. Mais on ne voit pas qu'aucun des anciens ait guéri avec autant de puissance une multitude aussi considérable de vices, d'infirmités et de maladies. Car, pour ne pas parler de tous les individus qu'il a guéris par ses ordres à mesure qu'il les rencontrait, saint Mare dit que partout où il entrait dans les bourgs, les villes ou les cités, on apportait des malades sur les places publiques et qu'ils demandaient à toucher les franges de son vêtement, et que tous ceux qui les touchaient étaient sauvés. C'est ce qu'aucun autre n'a fait en eux. Car il est à remarquer qu'il dit en eux, et non parmi eux, ou en leur présence, mais en eux, parce qu'il les a guéris. Cependant nul autre n'a jamais fait en eux de pareilles oeuvres; parce que tout autre homme a fait quelqu'une de ces oeuvres par l'effet de sa coopération, au lieu qu'il les a produites sans avoir besoin de leur secours.

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Il faut répondre au second, que saint Augustin (Tract, twi, ad fin.) expliquant ce passage de saint Jean dit : Quelles sont ces oeuvres plus grandes que doivent faire ceux qui croient en lui ? Est-ce que par hasard leur ombre guérissait les malades à leur passage? Car c'est une plus grande chose de guérir par son ombre que par son vêtement. Mais quand le Christ parlait ainsi, il recommandait les effets et les oeuvres de ses paroles. En effet, quand il a dit : Mon Père qui demeure en moi a fait ces oeuvres, de quelles oeuvres parlait-il alors, sinon des paroles qu'il proférait? Le fruit de ses paroles était la foi. Aussi quand ses disciples prêchèrent, ils n'amenèrent pas à la foi un nombre aussi peu considérable qu'ils étaient, mais des nations entières (quae seq. hab. tract, lxxu). Ce riche qui lui avait demandé conseil pour arriver à la vie éternelle ne n'en est-il pas allé ensuite plein de tristesse? Et cependant ce qu'un seul homme n'a pas fait, après l'avoir entendu, une multitude d'individus l'ont fait, lorsqu'il a parlé par ses disciples. Voilà comment il a opéré de plus grands prodiges, lorsqu'il a été prêché par ceux qui croient que lorsqu'il a parlé à ceux qui l'écoutaient. Néanmoins il y a encore une chose qui étonne, c'est qu'il ait fait ses plus grandes choses par les apôtres. Mais ce n'est pas seulement d'eux qu'il a parlé, quand il dit : Celui qui croit en moi fera lui-même les oeuvres que je fais. Ecoutez donc et comprenez : celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais. Je les ferai d'abord et ensuite il les fera; parce que je ferai qu'il les fasse. Quelles oeuvres? sinon celles qui consistent à faire d'un impie un homme juste? Ce que le Christ à la vérité opère dans les hommes, mais ce qu'il ne fait pas sans eux. Je considère cette oeuvre comme beaucoup plus grande que la création du ciel et de la terre. Car le ciel et la terre passeront, tandis que le salut et la justification des prédestinés demeurera. Or, dans le ciel les anges sont les oeuvres du Christ. Mais celui qui coopère avec le Christ pour sa justification ne fait-il pas quelque chose de plus grand que ces oeuvres? Que celui qui le peut juger si c'est une plus grande chose de créer les justes que de justifier les impies. Assurément si de part et d'autre la puissance est égale, cette dernière action suppose une miséricorde plus grande. D'ailleurs nous ne sommes pas obligés de croire qu'il s'agit de toutes les oeuvres du Christ, quand il dit : Il fera des choses encore plus grandes que celles-là. Car il n'a sans doute voulu parler que de celles qu'il faisait alors. Or, il prononçait alors des paroles de foi. Et certainement c'est une chose moindre de prêcher les paroles de la justice, ce qu'il a fait sans nous, que de justifier les impies, ce qu'il fait en nous de manière que nous le fassions aussi.

M) Nicodemo dit an Christ (
Jn 3,2) : llabbi «nVT.'í* ïUia à De0 venisH magister, nemo enim potest haec tùjna facere quae lu facis , et le Christ dit lui-même (Jn 15, 2-i) : Siopera non fecissem quae nemo alius facit, peccatum non haberent.

33 II faut répondre au troisième, que quand une oeuvre particulière est propre à un agent, alors elle prouve toute sa vertu; ainsi le raisonnement étant le propre de l'homme, un individu montre qu'il est homme par là même qu'il raisonne sur une proposition particulière. De même puisqu'il n'appartient qu'à Dieu de faire des miracles par sa propre vertu, le Christ a suffisamment démontré qu'il était Dieu par un miracle quelconque qu'il a fait par sa vertu propre.





QUESTION 44: DE CHAQUE ESPÈCE DE MIRACLES QUE LE CHRIST A OPÉRÉS.

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Après avoir parlé des miracles du Christ en général, nous devons nous occuper de chacune de leurs espèces en particulier. — Nous nous occuperons : 1° des miracles qu'il a faits à l'égard des substances spirituelles; des miracles qu'il a faits à l'égard (les corps célestes ; 3° des miracles qu'il a faits à l'égard des hommes; 4° des miracles qu'il a faits à l'égard des créatures irraisonnables.


ARTICLE I. — les miracles faits par le christ à l'égard des substances spirituelles ont-ils été convenables (1)?

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1 Il semble que les miracles que le Christ a faits à l'égard des substances spirituelles n'aient pas été convenables. Car parmi les substances spirituelles les anges l'emportent sur les démons ; parce que, comme l'observe saint Augustin (De Trin. lib. iii, cap. 6) : L'esprit raisonnable qui est prévaricateur et pécheur est régi par l'esprit de vie raisonnable qui est pieux et juste. Or, on ne voit pas que le Christ ait fait des miracles à l'égard des bons anges. Il n'eût donc pas dû en faire non plus à l'égard des mauvais.

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Les miracles du Christ avaient pour but de manifester sa divinité. Or, la divinité du Christ ne devait pas être manifestée aux démons, parce que cette connaissance aurait empêché le mystère de sa passion, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 2,8) : S'ils eussent connu le Seigneur de la gloire ils ne l'auraient pas crucifié. Il n'a donc pas dû faire des miracles à l'égard des démons

(I) Cet article a pour objet de montrer qu'il était convenable que le Christ chassait les démons ; ce qui se trouve en opposition avec les incrédules et les protestants modernes qui prétendent qu'il n'y a jamais eu d'obsédés ni do possédés, et que le Christ et les apôtres n'ont parlé des démoniaques que pour condescend re ii l'erreur du vulgaire.

3 Les miracles du Christ avaient pour but la gloire de Dieu : d'où il est dit (Mt 9,8) : que la l'oule voyant un paralytique guéri par le Christ, fut saisie de crainte et qu'elle rendit gloire à Dieu de ce qu'il avait donné une telle puissance aux hommes. Or, il n'appartient pas aux démons de glorifier Dieu; parce que sa louange n'est pas bien placée dans la bouche des pécheurs, comme le dit l'Ecriture (Si 15,9). Aussi les évangélistes rapportent (Mc 1,34 Lc 4,41) : que le Christ ne laissait pas les démons dire les choses qui se rapportaient à sa gloire. Il semble donc qu'il n'ait pas été convenable qu'il fit des miracles à leur égard.

4 Les miracles faits par le Christ ont pour but le salut des hommes. Or, il y a des démons qui ont été chassés du corps des hommes quelquefois au détriment corporel de ces derniers. Ainsi il est dit (Mc 9,2b) : que le démon ayant jeté un grand cri et ayant agité l'enfant où il était par de violentes convulsions, sortit, et que l'enfant devint comme mort ; de sorte que plusieurs disaient qu'il l'était réellement. D'autres fois ce fut avec perte pour leurs biens, comme quand à la demande des démons, il les envoya dans les pourceaux qu'ils précipitèrent dans la mer. C'est pourquoi les habitants de ce pays le prièrent de s'écarter des limites de leur contrée, comme on le voit (Mt 8,31-34). Il semble donc qu'il ait à tort fait ces prodiges.

20 Mais c'est le contraire. Car c'était prédit par ces paroles du prophète (Za 13,2) : Je ferai disparaître de la terre l'esprit impur.


CONCLUSION. — Il a été convenable que le Christ délivrât, par la vertu de sa divinité, tous ceux qui étaient obsédés par le démon.

21 Il faut répondre que les miracles que le Christ a faits sont des preuves de la foi qu'il enseignait. Or, il devait se faire que par la vertu de sa divinité il bannît la puissance des démons des hommes qui devaient croire en lui, d'après ces paroles de l'Evangile (Jn 12,31) : C'est maintenant que le prince de ce monde va être chassé dehors (1). C'est pourquoi il a été convenable que parmi ses autres miracles il délivrât ceux qui étaient obsédés du démon.

31 II faut répondre au premier argument, que l‘homme les hommes doivent être délivrés de la puissance des démons par le Christ, ils devaient être par lui associés aux anges, d'après ces paroles de l’Apôtre(Col 1,20) : Il a pacifié par le sang qu'il a répandu sur la croix ce qui est au ciel et sur la terre. C'est pourquoi il n'était pas convenable qu'il fit à l'égard des anges d'autres miracles que de les faire apparaître pour se montrer aux hommes, ce qui a eu lieu dans sa naissance, dans sa résurrection et son ascension.

32 Il faut répondre au second, que comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. ix, cap. 21) : Le Christ ne s'est manifesté aux démons qu'autant qu'il l'a voulu, et il ne l'a voulu qu'autant qu'il l'a fallu. D'ailleurs il ne s'est pas montré à eux comme aux saints anges par ce qui constitue la vie éternelle (2), mais par des effets temporels de sa puissance. D'abord en voyant que le Christ avait faim après avoir jeûné, ils ont pensé qu'il n'était pas le Fils de Dieu. C'est pourquoi à l'occasion de ces paroles : Si vous êtes le Fils de Dieu (Lc 4), saint Ambroise dit : Que signifie cette manière de s'exprimer, sinon qu'il savait que le Fils de Dieu viendrait, mais qu'il n'a pas pensé qu'il était venu à la vue de ses infirmités corporelles? Mais ensuite, après avoir été témoin de ses miracles, il a commencé à conjecturer d'après certains soupçons qu'il était le Fils de Dieu. C'est pour ce motif Que sur ces paroles (Mc 1,24) : Je sais que vous êtes le saint de Dieu, saint Chrysostome dit (hab. in Catena D. Thomae et in lib. Quaest. Fet. et Nov. Testam, quest. lxvi, int. op. August.): qu'il n'avait pas une connaissance certaine et ferme de l'avènement de Dieu, mais qu'il savait qu'il était le Christ promis dans la loi. C'est ce qui fait dire (Lc 4,41) : Qu'ils savaient qu'il était le Christ. Mais en confessant qu'il était le Fils de Dieu, ils parlaient plutôt d'après des soupçons qu'avec certitude. D'où le vénérable Rède observe (Sup. Luc. cap. 14) : Que les démons confessaient le Fils de l>ieu, comme on dit plus loin : Qu'ils savaient qu'il était le Christ, parce que le diable l'ayant vu fatigué par le jeûne, il crut qu'il était un homme véritable, mais parce qu'en le tentant il ne put pas le vaincre, il se douta qu'il était le Fils de Dieu. Par la puissance de ses miracles il comprit ou plutôt il soupçonna aussi ce qu'il était. C'est pourquoi il a conseillé aux Juifs de le crucifier, non parce qu'il a pensé que le Christ n'était pas le Fils de Dieu, mais parce qu'il n'a pas prévu que sa mort serait sa propre ruine. Car c'est de ce mystère, caché dès le commencement des sièges, que l’apôtre dit : qu'aucun des princes de ce siège ne l'a connu; parce que s'ils l'eussent connu, ils n'auraient jamais sacrifié le Seigneur de la gloire.

(1) Il y a une foule de passages dans l'Evangile, où il s'agit des merveilles que le Christ opérait sur le démon. Perrone les indique dans la thèse qu'il soutient à ce sujet contre les rationalistes (Tractatus de Deo creatore, part. I, cap. v, prop. I).
(2) Ce qui constitue la vie éternelle, c'est la lumière surnaturelle de la grâce. Le Christ no s'est pas manifesté de la sorte aux démons, "et c'est pour ce motif qu'ils n'ont pas été absolument certains de sa divinité. Us n'ont pu que le conjecturer d'après ses paroles et ses miracles, et c'est ce qui nous explique comment ils l'ont cru- cilié.

33 Il faut répondre au troisième, que le Christ en chassant les démons n'a fait de miracles que dans l'intérêt des hommes, pour qu'ils le glorifiassent. C'est pourquoi il les a empêchés de dire ce qui se rapportait à sa louange. 1° Pour l'exemple, parce que, comme le dit saint Athanase (implic. in Epist, desynod. Arim. et Seleuc. et Chrysost. conc, ii), il leur fermait la bouche, quoiqu'ils eussent dit vrai, pour nous habituer à ne pas nous occuper d'eux, quand même ils paraîtraient dire la vérité. Car il ne nous est pas permis, puisque nous avons la parole de Dieu entre les mains, de nous instruire près du démon. D'ailleurs, c'est dangereux parce que les démons mêlent souvent le mensonge à la vérité. 2° Parce que, comme le dit saint Chrysostome (hab. in Catena aureâ), il ne fallait pas leur laisser prendre la gloire de la charge apostolique, et il ne convenait pas que le mystère du Christ fût publié par une langue souillée, parce que sa louange est déplacée dans la bouche des pécheurs. 3° Parce que, comme le dit Bède (loc. sup. cit. et Theophyl. in hunc, loc.), il ne voulait pas par là exciter l'envie des Juifs. Aussi recommande-t-il à ses apôtres eux-mêmes de ne pas parler de lui, de peur qu'en faisant connaître sa divinité, l'oeuvre de sa passion ne soit différée.

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Il faut répondre au quatrième, que le Christ était venu tout particulièrement enseigner et faire des miracles dans l'intérêt des hommes, surtout par rapport au salut de leur âme. C'est pourquoi il a permis aux démons qu'il chassait de faire aux hommes quelque tort dans leur corps et dans leurs biens, pour le salut de leur âme, c'est-à-dire pour leur instruction. D'où saint Chrysostome dit (Sup. Matth, hom. xxix) : que le Christ a permis aux démons d'entrer dans des pourceaux, sans qu'il se soit laissé persuader par eux; mais il l'a fait pour nous montrer l'étendue du tort que causent les démons qui tendent des embûches aux hommes ; 2° pour nous apprendre à tous qu'ils n'osent rien faire, même contre des porcs, sans son consentement ; 3° pour nous faire voir qu'ils auraient fait plus de mal à ces hommes qu'aux porcs, si la providence divine n'était pas venue à leur secours. C'est encore pour les mêmes motifs qu'il a permis que l'enfant qu'il délivrait des démons, lui sur l'heure plus gravement affligé; mais il l'a délivré aussitôt de cette affliction. Par là il nous montre aussi, comme le dit Béde ( id. sub Greg., Hom. ii in Evang. ), que souvent quand nous nous efforçons de revenir à Dieu après avoir péché, notre ancien ennemi nous tend de nouveaux pièges et nous attaque plus vivement. Il le fait soit pour nous rendre la vertu odieuse, soit pour venger l'injure que nous lui avons faite, en le bannissant. Celui qui était guéri est devenu comme mort, selon la remarque de saint Jérôme (in hunc locum), parce que c'est de ceux qui sont guéris qu'il est dit (Col 3,3) : Vous êtes mort et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ.



ARTICLE II. — est-il convenable que le Christ ait fait des miracles à l'égard des corps célestes (1)?

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(1) Dans cette question, saint Thomas passe en revue successivement tous les clrcs, pour montrer qu ils étaient tous soumis nu Christ, et qu'il pouvait agir sur eux avec une puissance absolue.

1 Il semble qu'il ne soit pas convenable que le Christ ait fait des miracles à l'égard des corps célestes. Car, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 4), il n'appartient pas à la divine providence de corrompre la nature, mais de la sauver. Or, les corps célestes sont incorruptibles et inaltérables d'après leur nature, comme on le voit (De caelo, lib. i, text. 20). Il n'a donc pas été convenable que le Christ produisit aucun changement dans l'ordre des corps célestes.

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Le mouvement des corps célestes marque la marche des temps, d'après ces paroles de la Genèse (Gn 1,14) : Qu'il y ait des corps lumineux dans le firmament du ciel et qu'ils servent de signes pour marquer les temps, les jours et les années. En troublant la marche des corps célestes, on change donc aussi la distinction et l'ordre des temps. Cependant on ne voit pas que ces changements aient été aperçus par les astronomes, qui observent les astres et calculent les mois, selon l'expression du prophète (Is 47,13). Il semble donc que le Christ n'ait pas produit de changement à l'égard du mouvement des corps célestes.

3 Il convenait au Christ de faire des miracles pendant sa vie, lorsqu'il prêchait, plutôt qu'à sa mort : soit parce que, selon la pensée de l’Apôtre(2Co 13 2Co 4) : Bien qu'il ait été crucifié selmi la faiblesse de la chair, il était néanmoins plein de vie par sa vertu divine, d'après laquelle il faisait des miracles ; soit parce que ses miracles avaient pour but d'établir sa doctrine. Cependant on ne voit pas que le Christ ait fait des miracles à l'égard des corps célestes pendant sa vie, et même quand les pharisiens lui demandèrent des signes dans le ciel, il refusa de leur en donner, comme on le voit ( Matth, Mt 12 et 16 ). Il semble donc qu'il n'ait pas dû en faire aucun de ce genre à sa mort.

20 Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Lc 23,44) que toute la terre fut couverte de ténèbres jusqu'à la neuvième heure et que le soleil fut obscurci.


CONCLUSION. — Il a été convenable que le Christ fit des miracles, non-seulement à l'égard des créatures inférieures, mais encore à l'égard des corps célestes, pour mieux prouver sa divinité.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 4), les miracles du Christ devaient être tels qu'ils démontrassent suffisamment sa divinité. Or, elle ne se démontre pas aussi évidemment par les transformations des corps inférieurs, qui peuvent être produites par d'autres causes, que par le changement du cours des corps célestes que Dieu seul a réglés d'une manière immuable. C'est ce qui fait dire à saint Denis (Epist, vu ad Poiycarp.), i] faut savoir qu'on ne peut produire un changement dans l'ordre et le mouvement des corps célestes, qu'autant que ce changement a pour cause celui qui a tout fait et qui change tout par sa parole. C'est pourquoi il a été convenable que le Christ fit des miracles à l'égard des corps célestes.


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Il faut répondre au premier argument, que, comme il est naturel que les corps inférieurs soient mus par les corps célestes qui leur sont supérieurs selon l'ordre de la nature; de même il est naturel à chaque créature d'être transformée par Dieu selon sa volonté. D'où saint Augustin dit (Cont. Faust. lib. xxvi, cap. 3, et hab. in gioss. ord. Rom. xi, sup. illud : Contra naturam insertus es, etc.) : Dieu, le créateur et l'auteur de toutes les natures, ne fait rien contre nature; parce que ce qu'il fait, c'est là ce qui constitue la nature de chaque chose. Ainsi la nature des corps célestes n'est pas altérée, quand Dieu change leur cours; mais elle le serait, si elle était modifiée par une autre cause.

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Il faut répondre au second, que le miracle produit par le Christ n'a pas bouleversé l'ordre des temps. Car, d'après quelques auteurs, ces ténèbres ou l'obscurcissement du soleil qui arriva dans la passion du Christ, sont provenus de ce que le soleil a retiré ses rayons, sans qu'il y ait eu pour cela aucun changement dans le mouvement des corps célestes qui sont la mesure du temps. D'où saint Jérôme dit (Sun. Matth, cap. 27 : A sexta autem hora) : L'astre le plus éclatant paraît avoir retiré alors ses rayons pour ne pas voirie Seigneur en croix, ou pour que les impies qui le blasphémaient ne jouissent pas de sa lumière. Mais ce mouvement de rétraction ne doit pas •s'entendre, comme si le soleil avait en son pouvoir la faculté d'émettre ses rayons ou de les retirer; car il ne les émet pas d'après son élection, mais d'après sa nature, selon la pensée de saint Denis (De div. nom. cap. i). En disant q ne le soleil a retiré ses rayons, on entend donc par là que la vertu divine a été cause que ses rayons ne sont pas parvenus jusqu'à terre. Origène dit que cela s'est fait par l'interposition des nuages, et il s'exprime ainsi (Sup. Matth, tract, xxxv) : II est convenable d'admettre qu'alors une foule de nuées très-étendues et très-épaisses se sont rassemblées sur Jérusalem et sur la Judée, et ifu'ilen est résulté de'rofondcs ténèbres depuis la sixième heure jusqu'à la neuvième. Car je pense, ajoute-t-il, que ce signe, comme tous les autres qui ont eu lieu dans la passion, tels que le déchirement du voile du temple, le tremblement de terre, etc., ne s'est passé qu'à Jérusalem. Ou bien on peut étendre ce prodige à la terre de Judée, parce qu'il est dit : Que les ténèbres se répandirent sur toute la terre, ce qui s'entend de la terre de Judée (1). C'est ainsi qu'Abdias dit à Elie (1R 18) : Vive le Seigneur votre Dieu, parce qu'il n'y a pas de nation, ou de royaume, où mon maître ne vous ait envoyé chercher, indiquant par là qu'il l'avait cherché dans les nations qui sont autour de la Judée. — Mais à cet égard on doit plutôt s'en rapporter à saint Denis (2), qui a vu de ses propres yeux que ce prodige était arrivé par l'interposition de la lune entre nous et le soleil. Car il dit (Epist, ad Polyc. vii) qu'étant en Egypte, il a vu à son grand étonnement la lune s'interposer entre le soleil et la terre, et à ce sujet il distingue quatre miracles. Le premier c'est qu'une éclipse naturelle de soleil n'arrive jamais que par l'interposition de la lune, ce qui n'a lieu que dans le temps de la conjonction de ces deux astres. La lune était alors en opposition, puisqu'elle était à son quinzième jour, parce que c'était alors la pâque des Juifs. D'où saint Denis remarque que ce n'était pas le temps de la conjonction. Le second miracle c'est qu'à l'heure de sexte, on vit la lune avec le soleil au milieu du ciel, et que le soir elle reparut à sa place, c'est-à-dire à l'orient à l'opposé du soleil. D'où il ajoute : Nous l'avons vue de nouveau à la neuvième heure, c'est-à-dire au moment où les ténèbres cessèrent, elle s'éloigna du soleil, et de cet astre vint surnaturellement se remettre en face c'est-à-dire de manière qu'elle lui fût diamétralement opposée. Par conséquent il est évident que le cours ordinaire des temps n'a pas été troublé, parce que la vertu divine a été cause que la lune s'est approchée surnaturellement du soleil dans un temps où ce phénomène ne devait pas avoir lieu, et qu'ensuite elle s'en est écartée pour revenir à sa place dans le temps convenable. Le troisième miracle c'est qu'une éclipse naturelle commence toujours par la partie occidentale du soleil et parvient jusqu'à la partie orientale ; et il en est ainsi parce que la lune selon son mouvement propre, d'après lequel elle se meut d'occident en orient, est plus rapide que le soleil dans son propre mouvement. C'est pourquoi la lune qui vient d'occident atteint le soleil et passe sous lui en se dirigeant vers l'orient. Mais alors la lune était passée au delà du soleil, et elle en était éloignée d'un demi-cercle puisqu'elle était en opposition. C'est pour cela qu'il fallut qu'elle revînt vers l'orient du côté du soleil et qu'elle l'atteignît dans sa partie orientale, en allant ensuite vers l'occident. C'est ce qui fait dire à saint Denis : Nous avons vu l'éclipsé commencer à l'orient, s'étendre jusqu'à l'extrémité du disque du soleil, parce que le soleil a été totalement éclipsé, et rétrograder ensuite. Le quatrième miracle a consisté en ce que dans une éclipse naturelle le soleil commence à réapparaître par l'endroit qui a été d'abord obscurci, parce que la lune en arrivant sous le soleil le dépasse vers l'orient par son mouvement naturel, et commence ainsi à abandonner la partie occidentale qu'elle avait tout d'abord occupée. Mais dans ce cas la lune étant revenue par miracle de l'orient vers l'occident, elle n'est pas allée au delà du soleil en suivant son premier mouvement -, mais une fois parvenue à l'extrémité du disque du soleil elle est retournée vers l'orient, et par conséquent la partie du soleil qu'elle a abandonné la première, c'est celle qu'elle a occupé la dernière. Ainsi l'éclipsé a commencé par la partie orientale, et c'est dans la partie occidentale que la lumière a commencé à reparaître. C'est ce qui fait dire au même Père : Nous avons vu la décroissance et la réapparition de la lumière, non dans la même partie du soleil, mais dans un sens tout à t'ait opposé. —Saint Chrysostome ajoute un cinquième miracle en disant (Sup. Matth, hom. lxxxix) que les ténèbres ont duré trois heures, tandis qu'une éclipse de soleil passe en un moment-, car elle ne dure pas longtemps (1), comme le savent les observateurs. Ce qui suppose que la lune est restée immobile sous le soleil -, à moins que l'on ne dise que le temps que les ténèbres ont duré se compte depuis l'instant où le soleil a commencé à s'obscurcir jusqu'à celui où il a complètement recouvré sa clarté. Mais, selon la remarque d'Origène (Sup. Matth, loc. sup. cit.), les enfants du siège font une objection à ce sujet en disant : Comment se fait-il que chez les Grecs ou chez les barbares aucun écrivain n'ait rapporté cet événement merveilleux? Il dit qu'un nommé Phlégon (2) en a parlé dans ses Chroniques et qu'il place ce fait sous le principat de Tibère ; mais il n'a pas remarqué que c'était alors pleine lune. Il a donc pu se faire que tous les astronomes qui existèrent alors n'aient pas songé à observer cette éclipse, parce que ce n'était pas le temps de les observer, et qu'ils aient attribué cette obscurité à quelque chose qui se serait passé dans l'air. Mais en Egypte, où l'on voit moins de nuages à cause de la sérénité du ciel, saint Denis en fut frappé ainsi que ses compagnons, et ils observèrent les phénomènes que nous avons décrits plus haut.

(1) Quelle que soit l'opinion à laquelle on s'arrête, le fait ne peut être mis en doute, parce qu'il est rapporté par tous les évangélistes, qui le racontent à leurs contemporains, et qui n'auraient pu s'exposer à recevoir ainsi le démenti le plus formel.

(2) Au moyen âge, les écrits de saint Denis l'Aréopagite étaient considérés comme authentiques, et l'on croyait qu'il avait été le contemporain de Notre-Seigneur et des apôtres. Quoique quelques critiques modernes aient essayé de soutenir cette opinion, elle nous paraît peu probable. On peut voir à ce sujet les dissertations de Noël Alexandre et du P. Honoré de Sainte-Marie, qui sont ses plus illustrés défenseurs.
(1) Du moins elle n'est pas longtemps centrale.
(2) Ce silence des auteurs anciens a ce sujet nous

33 Il faut répondre au troisième, que le Christ devait montrer sa divinité par des miracles principalement au moment où on voyait le mieux en lui l'infirmité de la nature humaine. C'est pour cette raison qu'à sa naissance on a vu une nouvelle étoile au ciel. D'où saint Maxime dit (Serm. Nativ. iv): Si vous méprisez la crèche, élevez un peu les yeux et regardez au ciel une étoile nouvelle qui apprend au monde la naissance du Seigneur. Mais dans la passion le Christ a paru encore plus faible dans son humanité. C'est pourquoi il a fallu qu'il fit de plus grands miracles à l'égard des principaux astres qui éclairent le monde. Et, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth, hom. lxxxix),-c'est le signe qu'il promettait de donner à ceux qui lui en demandaient, lorsqu'il disait : Cette génération dépravée et adultère demande un signe, elle n'en aura pas un autre que le signe du prophète Jonas, indiquant par là sa croix et sa résurrection. Car il était bien plus étonnant que ce prodige se fît pendant qu'il était sur la croix que lorsqu'il marchait librement sur la terre.




III Pars (Drioux 1852) 864