III Pars (Drioux 1852) 322

ARTICLE II. — cette proposition est-elle vraie: L'homme est Dieu (i)?

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1 Il semble que cette proposition soit fausse : L'homme est Dieu. Carie nom de Dieu est un nom incommunicable. D'où le Sage (
Sg 13 et 14) reprend les idolâtres de ce qu'ils ont donné au bois et à la pierre le nom de Dieu qui est incommunicable. Pour la même raison il semble donc répugner que ce mot se dise de l'homme.

2 Tout ce qui se dit du prédicat se dit du sujet. Ainsi cette proposition est vraie : Dieu est Père ou Dieu est Trinité. Si donc il est vrai de dire : l'homme est Dieu, il semble qu'il soit vrai de dire : l'homme est Père; ou l'homme est Trinité. Ces dernières propositions étant fausses, la première l'est aussi.

3
Le Psalmiste dit (Ps 80,9) : Il n'y aura pas de Dieu récent parmi vous. Or, l'homme est quelque chose de récent, car le Christ n'a pas toujours été homme. Il est donc faux de dire : l'homme est Dieu.

20 Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Rm 9,5) : C'est des patriarches qu'est sorti selon la chair le Christ qui est Dieu au-dessus de tout, béni dans tous les sièdes. Or, le Christ est homme selon la chair. Il est donc vrai de dire : l'homme est Dieu.


CONCLUSION. — Supposé la vérité des deux natures et leur union personnelle et hypostatique : comme il est vrai de dire : Dieu est homme, de même aussi : l'homme est Dieu.

21 Il faut répondre qu'en supposant la vérité des deux natures, c'est-à-dire de la nature divine et de la nature humaine, et leur union dans la personne et l'hypostase, cette proposition est vraie et propre: L'homme est Dieu, aussi bien que celle-ci : Dieu est homme. Car le mot homme peut désigner toute hypostase de la nature humaine, et, par conséquent, il peut désigner la personne du Fils de Dieu, que nous disons être l'hypostase de la nature humaine. Or, il est évident que le mot Dieu se dit véritablement et proprement de la personne du Fils de Dieu, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xxxix, art. 3 et 4). D'où il résulte que cette proposition : L'homme est Dieu, est vraie et propre.

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Il faut répondre au premier argument, que les idolâtres attribuaient le nom de la divinité à la pierre et au bois considérés dans leur nature, parce qu'ils pensaient qu'il y avait en eux quelque chose de divin. Pour nous, nous n'attribuons pas le nom de Dieu au Christ, par rapport à sa nature humaine, mais par rapport au suppôt éternel, qui est aussi, par le moyen de l'union, le suppôt de la nature humaine, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

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Il faut répondre au second, que le mot Père se dit du nom de Dieu, selon que ce nom désigne la personne du Père. Mais il ne se dit pas ainsi de la personne du Fils, parce que la personne du Fils n'est pas la personne du Père, et, par conséquent, il ne faut pas que le mot de Père se dise du mot homme (2), dont on dit le nom de Dieu, selon que le mot homme désigne la personne du Fils.

(2) Ainsi on ne peut pas dire l'homme est Père, comme on dit l'homme est Dieu, parce que dans cette dernière proposition le mot Dieu se rapporte à la personne du Fils.
(!) Cette proposition n'est que la proposition précédente retournée; elle est exacte, puisque le concret se dit du concret.

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Il faut répondre au troisième, que quoique la nature humaine soit dans le Christ quelque chose de récent, cependant il n'en est pas de même du suppôt de cette nature, puisqu'il est éternel. Et comme le nom de Dieu ne se dit pas de l'homme en raison de la nature humaine, mais en raison da suppôt, il ne s'ensuit pas que nous admettions un Dieu récent. Mais cette conséquence serait inévitable, si nous pensions que l'homme désigne un suppôt créé (1), comme sont obligés de le faire ceux qui admettent dans le Christ deux suppôts.



ARTICLE III. — peut-on dire que le christ est un homme seigneurial (2) ?

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1 Il semble que l'on puisse dire que le Christ est un homme seigneurial. Car saint Augustin dit (Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 36) : On doit avertir les chrétiens d'attendre les biens qui ont été dans cet homme seigneurial. Or, il parle ainsi du Christ. Il semble donc que le Christ soit un homme seigneurial.

2
Comme la domination convient au Christ en raison de la nature divine, de même l'humanité appartient aussi à la nature humaine. Or, on dit que Dieu s'est humanisé, comme on le voit par saint Jean Damascène, qui dit (De orth. fid. lib. m, cap. 2) que l'incarnation démontre l'union qui se rapporte à l'homme. Donc, pour la même raison, on peut dire du Christ qu'il est seigneurial.  ^

2
Comme le mot seigneurial se dit dénominativement du Seigneur, de même le mot divin se dit de Dieu de la sorte. Or, saint Denis appelle le Christ (De coel. hier. cap. 4) le très-divin Jésus. Pour la même raison, on peut donc dire que le Christ est un homme seigneurial.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Retract, lib. i, cap. 19) : Je ne vois pas que l'on ait raison d'appeler Jésus-Christ un homme seigneurial, puisqu'il est véritablement Seigneur.

CONCLUSION. —Puisque le mot Dieu et le mot Seigneur se disent essentiellement de la personne du Fils de Dieu, tandis que le mot seigneurial se dit dénominativement du Seigneur, le Christ ne doit pas être appelé proprement et véritablement un homme seigneurial, mais on doit lui donner le nom de Seigneur.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 3), quand on appelle homme Jésus-Christ on désigne le suppôt éternel, qui est la personne du Fils de Dieu, parce qu'il n'y a qu'un suppôt pour les deux natures. Les mots Dieu et Seigneur se disent essentiellement de la personne du Fils de Dieu. C'est pourquoi ils ne doivent pas se dire d'elle dénominativement, parce que ce serait déroger à la vérité de l'union. Ainsi, puisque le mot seigneurial se dit dénominativement du Seigneur, on ne peut pas dire dans un sens vrai et propre que le Christ soit seigneurial, mais on doit dire plutôt qu'il est seigneur. Toutefois si en disant homme Jésus- Christ, on désignait un suppôt créé, comme le font ceux qui mettent en lui deux suppôts, on pourrait dire que cet homme est seigneurial, en tant qu'il est élevé à la participation de l'honneur divin, ainsi que l'ont prétendu les nestoriens. D'ailleurs on ne dit pas que la nature humaine est essentiellement Dieu, mais qu'elle est déifiée, non qu'elle soit changée en la nature divine, mais parce qu'elle est unie avec elle dans une seule et même hypostase, comme le dit saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. iii, cap. Il et 17).

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Il faut répondre au premier argument, que saint Augustin a rétracté ces paroles et d'autres semblables (Retr. lib. i, cap. 17). Aussi, après le passage que nous avons cité, il ajoute : Partout où j'ai dit que Jésus-Christ est un homme seigneurial, je voudrais ne pas l'avoir dit; car j'ai vu ensuite qu'on ne devait, pas s'exprimer ainsi, quoiqu'on puisse défendre cette locution de quelque manière (1). Ainsi on pourrait dire qu'on l'appelle homme seigneurial, en raison de la nature humaine que le mot homme désigne, mais non en raison du suppôt.

(1) Et que dans cette hypothèse nous maintenions la communication des idiomes.
(2) Homo dominicus. Saint Athanase est lc premier qui ait employé cette expression (in Exposit. fid. et in disput. cont. Arian.). On la trouve aussi dans saint Epiphane (Ancor. % 9b), dans Anastasc (in O'Jvjj»O, cap. 15) ; mais ces Pères ne l'ont pas prise dans le sens que saint Thomas indique ici et qu'il réfute d'après saint Augustin.

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Il faut répondre au second, que ce suppôt unique, qui appartient à la nature divine et à la nature humaine, a d'abord appartenu à la nature divine, c'est-à-dire de toute éternité, et il est ensuite devenu dans le temps le suppôt delà nature humaine, au moyen de l'incarnation. C'est pour ce motif qu'on dit qu'il s'est humanisé (2), non parce qu'il a pris l'homme, mais parce qu'il a pris la nature humaine. Mais il n'est pas vrai que le suppôt de la nature humaine ait pris la nature divine. Par conséquent, on ne peut pas dire que l'homme a été déifié ou qu'il est seigneurial.

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Il faut répondre au troisième, que le mot divin se dit ordinairement des choses dont le nom de Dieu se dit essentiellement. Car nous disons que l'essence divine est Dieu, en raison de l'identité, et que l'essence est de Dieu, ou qu'elle est divine, à cause du divers mode de signification. Ainsi nous disons le Verbe divin, quoique le Verbe soit Dieu. De même nous disons la personne divine, comme nous disons la personne de Platon, à cause du divers mode de signification. Mais le mot seigneurial ne se dit pas des choses dont le mot seigneur se dit. Car on n'a pas coutume de dire qu'un homme qui est seigneur soit seigneurial; mais on donne ce nom à ce qui appartient de quelque manière au seigneur. Ainsi on dit la volonté seigneuriale, la main seigneuriale, la passion seigneuriale. C'est pourquoi le Christ, qui est Seigneur, ne peut pas être appelé seigneurial ; mais on peut donner cette qualification à sa chair et à sa passion (3).



ARTICLE IV. — les choses qui conviennent au fils de l'homme peuvent- elles se dire du fils de dieu et réciproquement (4) ?

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1 Il semble que les choses qui appartiennent à la nature humaine ne puissent se dire de Dieu. Car il est impossible que des choses opposées se disent du même sujet. Or, les choses qui appartiennent à la nature humaine sont contraires à celles qui sont propres à Dieu. En effet, Dieu est incréé, immuable et éternel, au lieu qu'il appartient à la nature humaine d'être créée, temporelle et changeante. Ce qui appartient à la nature humaine ne peut donc se dire de Dieu.

2
Il semble que ce soit déroger à la gloire de Dieu et le blasphémer, que de lui attribuer ce qui appartient à un défaut. Or, ce qui appartient à la nature humaine renferme un défaut, comme souffrir, mourir, etc. Il semble donc que les choses qui appartiennent à la nature humaine ne puissent se dire de Dieu d'aucune manière.

3
Il convient à la nature humaine d'être prise, tandis que cela ne convient pas à Dieu. On ne peut donc pas dire de Dieu ce qui appartient à la nature humaine.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. iii, cap. 4 et 6) que Dieu a pris ce qui est propre à la chair, puisqu'on dit que Dieu est passible, et que le Seigneur de la gloire a été crucifié.

(I) Saint Augustin s'était servi de cette expression [Quaest. lib. lxxxiii, quaest. 36 et 37, et lib. n De serm. Dei in monte, cap. 6).Plusieurs autres Pères se sont élevés contre elle, parce que les hérétiques en pouvaient abuser. Nous citerons particulièrement saint Grégoire de Nazianze (Orat. Li, p. 758).
(2) Le mot humanatio a été employé par les Latins pour désigner l'incarnation.
(3) Nous disons en français l'Oraison dominicale ; c'est la seule application directe du mot dominicus, que nous traduisons ici par seigneurial, qui subsiste dans notre langue.
(4) La communication des idiomes que saint Thomas établit dans cet article est de foi.


CONCLUSION. — Puisqu'il n'y a qu'une seule et même hypostase pour les deux natures, il est évident que les choses qui appartiennent à la nature divine peuvent se dire de l'homme comme de l'hypostase de la nature divine, et que celles qui appartiennent à la nature humaine peuvent se dire de Dieu, comme de l'hypostase de la nature humaine.

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Il faut répondre, qu'à l'égard de cette question, les nestoriens et les catholiques ont été divisés. Car les nestoriens voulaient séparer les mots qui se disent du Christ, de manière qu'on ne dît pas de Dieu ce qui appartient à la nature humaine, et qu'on ne dit pas de l'homme ce qui appartient à la nature divine. D'où. Nestorius a dit : Si quelqu'un veut attribuer au Verbe de Dieu les passions, qu'il soit anathème. Quant aux noms qui peuvent appartenir à l'une et à l'autre nature, ils les appliquaient seuls aux deux natures, comme le mot de Christ ou celui de Seigneur. Ainsi ils admettaient que le Christ est né de la Vierge et qu'il a existé de toute éternité; mais ils ne disaient pas que Dieu est né de la Vierge ou que l'homme a existé de toute éternité (1). Au contraire, les catholiques ont établi que ce qui se dit du Christ, soit par rapport à la nature divine, soit par rapport à la nature humaine, peut se dire de Dieu aussi bien que de l'homme. D'où saint Cyrille dit (Epist, ad Nest. de excom. can. 4, et hab. conc. Ephes. gen. iii, part, i, cap. 26) : Si quelqu'un attribue à deux personnes ou à deux hypostases les expressions qui se trouvent dans les évangiles et dans les écrits des apôtres s, ou ce qui est dit du Christ par les saints, ou ce que le Christ dit de lui-même, et qu'il croie que parmi ces choses les unes doivent se rapporter à l'homme et les autres au Verbe seul ; qu'il soit anathème. — La raison en est que la même hypostase appartenant aux deux natures, c'est de la même personne qu'on parle sous le nom de l'une et de l'autre. Ainsi, soit qu'on parle de l'homme, soit qu'on parle de Dieu, il s'agit de l'hypostase de la nature divine et de la nature humaine. C'est pourquoi on peut dire de l'homme ce qui appartient à la nature divine, comme de l'hypostase de cette nature, et on peut dire de Dieu ce qui appartient à la nature humaine, comme de l'hypostase de la nature humaine. — Cependant il faut observer que dans une proposition où l'on dit une chose d'une autre, on considère, non-seulement ce qu'est le sujet dont on affirme le prédicat, mais encore la raison pour laquelle cette chose lui est attribuée. Ainsi, quoiqu'on ne distingue pas les choses que l'on dit du Christ, cependant on distingue le rapport sous lequel on les dit. Car ce qui appartient à la nature divine se dit du Christ par rapport à sa nature divine, et q? qui appartient à la nature humaine se dit de lui par rapport à sa nature humaine. D'où saint Augustin dit (De Trin. lib. i, cap. Il) : Distinguons dans les Ecritures ce qui se rapporte à la forme de Dieu, par laquelle il est égal au Père, et ce qui se rapporte à la forme d'esclave qu'il a reçue, et par laquelle il est au-dessous de son Père. Et plus loin il ajoute (cap. 13) : Un lecteur prudent, sage et pieux, comprend ce qui est dit absolument et ce qui est dit relativement.

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Il faut répondre au premier argument, qu'il est impossible que des choses opposées se disent du même sujet sous le même rapport, mais rien n'empêche qu'on ne les dise sous des rapports divers. C'est ainsi que les contraires se disent du Christ, non sous le même rapport, mais relativement à ses natures diverses.

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Il faut répondre au second, que si l'on attribuait à Dieu selon la nature divine ce qui est un défaut, ce serait un blasphème, parce qu'on diminuerait par là l'honneur qui lui est dû; mais il n'y a rien d'injurieux pour Dieu, si on le lui attribue par rapport à la nature humaine qu'il a prise. D'où il est dit dans un discours du concile d'Ephèse (Serm. ii de Nativ. in hoc conc. part, m, cap. 10) : Dieu ne considère jamais comme une injure ce qui est une occasion de salut pour les hommes. Car aucune des choses abjectes qu'il a choisies à cause de nous ne fait injure à sa nature, qui ne peut pas être injuriée, mais il s'est approprié ces humiliations pour nous sauver. Par conséquent, puisque ces choses viles et abjectes ne sont pas une injure pour la nature divine, mais qu'elles opèrent le salut des hommes, comment dites-vous que ce qui est cause de notre salut a été une occasion d'injure pour Dieu (1 j?   

(U Nestorius prétendait qu'en s'imprimant ainsi on tombait dans l'erreur des païens sur la nature de la divinité, qu'on renouvelait les erreurs d'Apollinaire et d'Arius (Epist. ad Cyril

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Il faut répondre au troisième, qu'il convient à la nature humaine d’être  prise par le Verbe, non en raison du suppôt, mais en raison d'elle-même (2). C'est pourquoi cette même chose ne convient pas à Dieu.



ARTICLE V. — ce qui convient au fils de. l'homme peut-il se dire dla nature divine, et ce qui convient au fils de dieu peut-il se dire de la nature humaine (3)?

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1 Il semble que ce qui appartient à la nature humaine puisse se dire de la nature divine. Car ce qui appartient à la nature humaine se dit du Fils de Dieu et de Dieu. Or, Dieu est sa nature. Par conséquent, ce qui appartient à la nature humaine peut se dire de la nature divine.

2
La chair appartient à la nature humaine. Or, comme le dit saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. iii, cap. 6 et 8), nous disons que la nature du Verbe s'est incarnée, d'après saint Athanase et saint Cyrille. Il semble donc que, pour la même raison, ce qui appartient à la nature humaine puisse se dire de la nature divine.

3
Les choses qui appartiennent à la nature divine conviennent à la nature humaine dans le Christ, comme connaître l'avenir et avoir une vertu salutaire. Il semble donc que, pour la même raison, ce qui appartient à la nature humaine puisse se dire de la nature divine.

20
Mais c'est le contraire. Car saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. m, cap. 4) : En parlant de la déité, nous ne disons pas d'elle les choses qui sont propres à l'humanité ; car nous ne disons pas que la déité est passible ou qu'elle est créée. Or, la déité est la nature divine. Par conséquent, ce qui est propre à la nature humaine ne peut pas se dire de la nature divine.


CONCLUSION. — Puisque la nature divine n'est pas la même que la nature humaine, il est évident que ce qui appartient à la nature humaine ne peut pas se dire in abstracto de la nature divine.

21
II faut répondre que ce qui est propre à une chose ne peut se dire véritablement d'une autre qu'autant que celle-ci est la même chose qu'elle. Ainsi l'action de rire ne convient qu'à ce qui est homme. Or, dans le mystère de l'Incarnation, la nature divine n'est pas la même que la nature humaine; mais la même hypostase appartient à l'une et à l'autre. C'est pourquoi ce qui appartient à une nature ne peut pas se dire d'une autre in abstracto (4).— Mais les noms concrets exprimant l'hypostase de la nature, on peut pour ce motif dire d'eux indifféremment ce qui appartient à l'une et à l'autre nature ; soit que le mot dont

(1) C'est la réponse faite par le concile à l'objection tic Nestorius.
(2) Les choses qui conviennent à la nature humaine, à raison du suppôt, comme souffrir et mourir, peuvent être appliquées au Fils de Dieu, mois celles qui lui sont propres ou qui se disent d'elle, abstraction faite du suppôt, ne conviennent pas à la nature divine. Ainsi elle peut être prise par la nature divine, mais elle ne peut pas la prendre, tandis que pour la nature divine c'est le contraire.
(3) Dans cet article, saint Thomas établit les règles qui regardent la communication des idiomes.
(•i) C'est la règle que nous avons donnée p. I7I. Elle repose sur cc que les noms?, abstraits rap-

on dit ces choses donne à entendre les deux natures, comme le mot Christ dans lequel on comprend la divinité qui oint et l'humanité qui a été ointe; soit, qu'il n'exprime que la nature divine, comme le mot Dieu ou Fils de Dieu ; soit qu'il n'exprime que la nature humaine, comme le mot homme ou Jésus. D'où le pape saint Léon dit (Epist, lxxxui) : Peu importe d'après quelle substance on désigne le Christ, puisque l'unité de personne existant d'une manière inséparable, le même est tout entier Fils de l'homme à cause de son corps, et il est tout entier Fils de Dieu, parce qu'il a une seule et même déité avec le Père.

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Il faut répondre au premier argument, qu'en Dieu la personne est réellement la même chose que la nature, et en raison de cette identité la nature divine se dit du Fils de Dieu. Cependant le mode de signification n'est pas Io même. C'est pourquoi il y a des choses qui se disent du Fils de Dieu et qui ne se disent pas de la nature divine. C'est ainsi que nous disons que le Fils de Dieu est engendré, tandis que nous ne le disons pas de la nature divine, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xxxix, art. 5). De même dans le mystère de l'Incarnation nous disons que le Fils de Dieu a souffert, mais nous ne disons pas que la nature divine a souffert.

32 Il faut répondre au second, que l'incarnation implique plutôt l'union avec la chair que la propriété delà chair. Les deux natures ayant été unies dans le Christ l'une à l'autre dans la personne; en raison de cette union on dit que la nature divine s'est incarnée et que la nature humaine a été déifiée (1), comme nous l'avons dit (quest. iii, art. 2).

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Il faut répondre au troisième, que les choses qui appartiennent à la nature divine se disent de la nature humaine, non selon qu'elles conviennent essentiellement à la nature divine, mais selon qu'elles en découlent par participation sur la nature humaine. Par conséquent on ne dit d'aucune manière de la nature humaine les choses auxquelles elle ne peut participer (comme d'être incréée ou toute-puissante). Mais la nature divine ne reçoit rien par participation de la nature humaine. C'est pourquoi ce qui appartient à la nature humaine, ne peut se dire d'aucune manière de la nature divine.



ARTICLE VI. — cette proposition est -elle vraie : Dieu s'est fait homme (2)?

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1 Il semble que cette proposition soit fausse : Dieu s'est fait homme. Car puisque l'homme signifie la substance, être fait homme c'est   être  fait absolument. Or, cette proposition est fausse : Dieu s'est fait absolument. Cette proposition est donc fausse aussi : Dieu s'est fait homme.

2
Se faire homme c'est changer. Or, Dieu ne peut être le sujet d'aucun changement, d'après ces paroles du prophète (Ml 3,6) : Je suis le Seigneur et je ne change pas. Il semble donc que cette proposition soit fausse : Dieu s'est fait homme.

3 L'homme selon qu'on le dit du Christ désigne la personne du Fils de Dieu. Or, cette proposition est fausse : Dieu s'est fait la personne du Fils de Dieu; celle-ci est donc fausse aussi : Dieu s'est fait homme.

20
Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Jn 1,43) : Le Verbe s'est fait chair. Et comme l'observe saint Athanase (Epist, ad Epitectum) en disant: Le Verbe s'est fait chair, c'est comme si l'on disait que : Dieu s'est fait homme.

portent aux natures considérées en dehors de tout suppôt. Alors l’une ne se pourrait dire de l'autre qu'autant qu'on admettrait, avec Eutyches, la confusion des natures.

(I) Ce qui signifie que la nature humaine est unie à Dieu, niais cela ne signifie pas qu'elle a les propriétés de la nature divine.
(2)i Cet article a pour objet de démontrer 1 exactitude de cette expression qui est employée dans le symbole de Nicce : Et homo factus et t.



CONCLUSION, —Puisqu'il est dit de Dieu, non de toute éternité, mais dans le temps, qu'il est homme, on doit avouer que cette proposition : Dieu n'est fait homme, est vraie.

21 Il faut répondre qu'on dit avoir été fait tout ce qui commence à se dire d'une chose et qui ne s'en disait pas auparavant. Or, on dit de Dieu qu'il est véritablement homme, comme nous l'avons vu (art. 4 huj. quaest.). Cependant il n'a pas convenu à Dieu d'être homme de toute éternité, mais cela ne lui a convenu que depuis le temps qu'il a pris la nature humaine. C'est pourquoi cette proposition est vraie : Dieu s'est fait homme; néanmoins elle n'est pas comprise de la même manière par tout le monde (4), comme celle-ci : Dieu est homme, ainsi que nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.).

31
Il faut répondre au premier argument, qu'être fait homme, c'est être fait absolument pour tous ceux dans lesquels la nature humaine commence à être dans un suppôt nouvellement créé. Mais on dit que Dieu s'est fait homme, parce que la nature humaine a commencé à exister dans le suppôt de la nature divine qui préexistait de toute éternité. C'est pourquoi on dit que Dieu s'est fait homme, mais non qu'il a été fait absolument.

32
Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), être fait implique que l'on dise d'une chose ce que l'on n'en disait pas auparavant. Par conséquent, quand on dit une chose nouvelle d'une autre avec changement dans le sujet dont on la dit, le mot faire suppose alors un changement. Et c'est ce qui arrive dans tout ce qui se dit absolument. Car une chose ne peut devenir de nouveau noire ou blanche que parce qu'elle subit de nouveau un changement qui lui fait prendre l'une ou l'autre de ces couleurs. Mais pour les choses qui se disent relativement, on peut les dire nouvellement d'une chose sans qu'elle soit changée. Ainsi un homme se trouve à droite sans avoir changé, mais par le mouvement seul de celui qui se met à sa gauche. Dans ce cas il ne faut donc pas que tout ce qui est fait soit soumis à un changement, parce que cela peut arriver par le changement d'un autre. C'est ainsi que nous disons à Dieu : Seigneur, vous vous êtes fait notre refuge (Ps 89,4). Or, il a convenu à Dieu d'être homme en raison de l'union qui est une relation. C'est pourquoi on dit de Dieu nouvellement qu'il est homme (2), sans qu'il y ait eu changement de sa part, mais par le changement de la nature humaine, qui est prise pour être unie à la personne divine. C'est pour ce motif que quand on dit : Dieu s'est fait homme, on n'entend pas qu'il y a eu changement de la part de Dieu, mais seulement de la part de la nature humaine.

33 Il faut répondre au troisième, que l'homme ne s'entend pas simplement de la personne du Fils de Dieu, mais de cette personne selon qu'elle subsiste dans la nature humaine. C'est pourquoi bien que cette proposition soit fausse : Dieu s'est fait la personne du Fils de Dieu, néanmoins celle-ci est vraie : Dieu s'est fait homme, parce qu'il a été uni à la nature humaine.


 ARTICLE VII. — cette proposition est-elle vraie : L'homme a été fait Dieu (3) ?

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1 Il semble que cette proposition soit vraie : L'homme a été fait Dieu.

(I) Les manichéens, les photiniens et les nesloiiens, la prennent chacun dans une acception particulière, différente du sens catholique. (2) Cette expression n'est qu'une expression relative, et pour qu'il v ait changement dans une relation, il suffit que l'un des deux termes change.
(3) Cette proposition ne parait que la proposi

Car il est dit (
Rm 1,2) : que Dieu avait fait auparavant des promesses par ses prophètes, dans les saintes Ecritures, au sujet de son Fils qui lui a été fait de la race de David selon la chair. Or, le Christ comme homme est issu de David selon la chair. L'homme a donc été fait Fils de Dieu,

2 Saint Augustin dit (De Trin. lib. i, cap. 13) : Cette incarnation a été telle qu'elle a fait Dieu homme et l'homme Dieu. Or, en raison de l'incarnation, il est vrai de dire : Dieu a été fait homme ; on peut donc dire pareillement : L'homme a été fait Dieu.

3
Saint Grégoire de Nazianze dit (Epist, i ad Dedonium et orat. 51) : Dieu a été humanisé et l'homme a été déifié. Or, on dit que Dieu a été humanisé par la raison qu'il a été fait homme. On dit donc que l'homme a été déifié par la raison qu'il a été fait Dieu ; et par conséquent cette proposition est vraie : L'homme a été fait Dieu.

4
Quand on dit : Dieu a été fait homme, le sujet de l'action ou du changement n'est pas Dieu, mais la nature humaine, que signifie le mot homme. Comme le sujet de l'action paraît être celui auquel elle est attribuée, cette proposition : L'homme a été fait Dieu, est donc plus vraie que celle-ci : Dieu a été fait homme.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De art h. fid. lib. iii, cap. 2) : Nous ne disons pas que l'homme a été déifié, mais que Dieu a été humanisé. Or, être fait Dieu, c'est la même chose que d'être déifié. Cette proposition est donc fausse : L'homme a été fait Dieu.


CONCLUSION. — Puisque dans cette proposition prise dans son sens propre : L'homme a été fait Dieu, le mot homme signifie la personne et que la personne du Fils de Dieu a toujours été Dieu, il est évident qu'elle est fausse.

(2) Le mot fait désigne dans ce cas quelque chose de nouveau, qui serait arrivé à l'homme déjà subsistant par sa propre personnalité humaine, comme si I on disait : celui qui était auparavant homme a commencé d'être Dieu.

lion précédente convertie. Mais la conversion ne vaut rien, parce que tout le prédicat n'est pas converti. H faudrait : Is qui est homo factus est Deus. Voyez la réponse au <í* argument.

(1) Alors c'est dire que Dieu ou l'homme a été fait.

21
Il faut répondre que cette proposition : L'homme a été fait Dieu, peut s'entendre de trois manières : 1° De sorte que le participe fait détermine absolument ou Iii sujet ou l'attribut (1). Dans ce cas elle est fausse : parce que ni l'homme, dont Dieu est l'attribut, ni Dieu n'a été fait, comme nous le dirons (art. 8 et 9), et dans ce même sens il est faux également de dire : Dieu a été fait homme. Mais ce n'est pas ainsi que se prennent ces propositions. 2° On peut comprendre que le mot fait détermine une composition, de sorte que le sens de cette proposition : L'homme a été fait Dieu, serait celui-ci : Il a été fait que l'homme soit Dieu. Dans ce sens, ces deux propositions sont vraies l'une et l'autre : L'homme a été fait Dieu et Dieu a été fait homme. Mais ce n'est pas le sens propre de ces manières de parler, à moins que par hasard on ne l'entende selon que le mot homme n'a pas une signification personnelle, mais simple. Car quoique cet homme n'ait pas été fait Dieu, parce que ce suppôt, c'est-à-dire la personne du Fils de Dieu, a été Dieu de toute éternité; cependant l'homme, en parlant communément, n'a pas toujours été Dieu. — 3° On l'entend dans son sens propre, selon que le participe fait se rapporte à quelque chose qui aurait eu lieu à l'égard de l'homme dans ses rapports avec Dieu, comme avec le terme de son action (2). Et dans ce sens, si l'on suppose que la personne, l'hypostase et le suppôt de Dieu et de l'homme soit le même, comme nous l'avons montré (quest. ii, art. 3), cette proposition est fausse : parce que quand on dit :V homme a été fait Dieu, le mol homme désigne une personne. En effet, il n'est pas vrai de dire de l'homme qu'il est Dieu en raison de la nature humaine, mais en raison de son suppôt. Ce suppôt de la nature humaine, dont il est vrai de dire qu'il est Dieu, étant le même que l'hypostase ou la personne du Fils de Dieu qui a toujours été Dieu, on ne peut donc pas dire que cet homme a commencé à être Dieu, ou qu'il devient Dieu, ou qu'il a été fait Dieu. Mais si la personne ou l'hypostase de Dieu était autre que celle de l'homme, de telle sorte qu'on dise de l'homme qu'il est Dieu et réciproquement, par suite de l'union des suppôts, qui résulterait, ou de la dignité personnelle, ou de l'affection, ou de l'habitation, comme l'ont dit les nestoriens ; alors pour la même raison on pourrait dire que l'homme a été fait Dieu, c'est-à- dire uni à Dieu, comme on dirait que Dieu a été fait homme, c'est-à-dire uni à l'homme (1).

31
Il faut répondre au premier argument, que, dans ce passage de saint Paul, le qui relatif qui se rapporte à la personne du Fils de Dieu, ne doit pas s'entendre du prédicat -, comme si quelqu'un qui était de la race de David selon la chair, eût été fait Fils de Dieu. C'est dans ce sens que l'objection le prend. Mais on doit l'entendre du sujet, de telle sorte qu'il signifie : que le Fils de Dieu s'est fait homme pour la gloire de son Père, comme l'explique la glose, étant de la race de David selon la chair. C'est comme s'il y avait : Le Fils de Dieu s'est fait ayant un corps du sang de David pour la gloire de Dieu.

32
Il faut répondre au second, que cette parole de saint Augustin doit s'entendre dans ce sens, c'est que d'après l'incarnation il est arrivé que l'homme était Dieu et que Dieu était homme ; et dans ce sens ces deux manières de parler sont vraies, comme nous l'avons dit (incorp. art.).

33
Il faut répondre de la même manière au troisième. Car être déifié, c'est la même chose que de devenir Dieu.

34
Il faut répondre au quatrième, que le terme placé dans le sujet est employé matériellement, c'est-à-dire pour le suppôt ; au lieu que placé dans le prédicat il est employé formellement, c'est-à-dire qu'il désigne la nature. C'est pourquoi quand on dit : L'homme a été fait Dieu, on n'attribue pas le mot fait à la nature humaine, mais au suppôt de cette nature qui est Dieu de toute éternité. C'est pourquoi il ne lui convient pas d'être fait Dieu. Mais quand on dit : Dieu a été fait homme, on comprend au contraire que le mot faire a pour terme la nature humaine. C'est pourquoi, à proprement parler, cette proposition est vraie : Dieu a été fait homme; au lieu que celle- ci est fausse : L'homme a été fait Dieu. Ainsi, par exemple, Socrate ayant été homme d'abord et étant devenu blanc ensuite, si en le montrant on disait : Cet homme est devenu blanc aujourd'hui, cette proposition serait vraie, mais il serait faux de dire : Ce blanc est devenu homme aujourd'hui. Si cependant on mettait pour sujet un nom qui exprime la nature humaine in abstracto, il pourrait de cette manière être exprimé comme le sujet de cette action : comme si l'on disait que la nature humaine est devenue la nature du Fils de Dieu.




III Pars (Drioux 1852) 322