III Pars (Drioux 1852) 328

ARTICLE VIII. — cette proposition est-elle vraie : Le Christ est une \Icréature\i (2)?

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(2) Cet article est une réfutation de l'erreur d'Ebion, de Cérinthe, de Carpocrate, de Photiu, d'Arius, de Nestorius, qui ont prétendu que le Christ n'était pas Dieu par nature.
(I) Mais la doctrine catholique répugne h cette hypothèse, puisqu'elle enseigne que la nature humaine n'a pas préexisté à l'union.

1 Il semble qu'il soit vrai de dire que : Le Christ est une créature. Car le pape saint Léon dit (Serm. m Pentecost.) : Changement nouveau et inouï, Dieu qui est et qui était, devient une créature. Or, on peut dire cela du Christ, qui est devenu le Fils de Dieu par l'incarnation. Cette proposition est donc vraie : Le Christ est une créature.

2
Les propriétés des deux natures peuvent se dire de l'hypostase commune à l'une et à l'autre, sous quelque nom qu'on l'exprime, comme nous l'avons dit (art. 5 huj. quaest.). Or, la propriété de la nature humaine, c'est d'être une créature, comme celle de la nature divine, c'est d'être créatrice. On peut donc dire ces deux choses du Christ, c'est qu'il est une créature, et qu'il est incréé et créateur.

3
L'âme est une partie de l'homme plus principale que le corps. Or, on dit absolument que le Christ est né de la Vierge en raison de son corps qui a été formé dans son sein. Par conséquent, en raison de l'âme que Dieu a créée, on doit dire absolument que le Christ est une créature.

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Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (De Trin. lib. i, seu De fid. ad Grat. cap. 7) : Le Christ a-t-il été fait d'un mot? A-t-il été créé par un ordre? Ayant répondu que non, il ajoute : Comment la créature peut-elle exister en Dieu ? Car Dieu est d'une nature simple et non d'une nature composée. On ne doit donc pas admettre cette proposition : Le Christ est une créature.


CONCLUSION. — Pour ne pas paraître favoriser l'erreur des hérétiques, on ne doit pas dire absolument que le Christ est une créature, mais il faut déterminer qu'on en parle ainsi selon la nature humaine.

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Il faut répondre que, comme le dit saint Jérôme (implic. in cap. 5, ad Gai.) : des paroles prononcées à la légère produisent une hérésie. Par conséquent nous ne devons pas nous servir des mêmes expressions que les hérétiques, dans la crainte de paraître favoriser leur erreur. Or, les ariens ont dit que le Christ est une créature et qu'il est moindre que le Père, non-seulement en raison de la nature humaine, mais encore en raison de la personne divine. C'est pourquoi on ne doit pas dire absolument que le Christ est une créature ou qu'il est moindre que le Père, mais on doit déterminer qu'on le considère ainsi sous le rapport de la nature humaine (1). Cependant, pour les choses qu'on ne peut soupçonner convenir à la personne divine considérée en elle-même, on peut les dire absolument du Christ en raison de la nature humaine-, ainsi nous disons absolument que le Christ a souffert, qu'il est mort et a été enseveli. C'est ainsi que dans les choses corporelles et humaines, quand nous doutons qu'une chose convienne au tout ou à la partie, si elle se trouve dans une partie, nous ne l'attribuons pas au tout absolument, c'est-à-dire sans détermination. En effet nous ne disons pas qu'un Ethiopien est blanc, mais qu'il a les dents blanches, au lieu que nous disons sans détermination qu'il est crépu, parce que ce caractère ne peut convenir qu'à sa chevelure.

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Il faut répondre au premier argument, que quelquefois les saints docteurs, pour abréger, se servent du mot de créature à l'égard du Christ, sans rien déterminer, mais il faut savoir qu'ils sous-entendent : comme homme.

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Il faut répondre au second, que toutes les propriétés de la nature humaine, comme de la nature divine, peuvent se dire également du Christ. D'où saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. m, cap. 4) : que le Christ, qui est Dieu et homme, est dit créé et incréé, passible et impassible. Mais cependant les choses qui offrent du doute pour l'une ou l'autre nature, ne doivent pas se dire sans détermination. Aussi le même docteur ajoute ensuite [De orth. fid. lib. iv, cap. 5) : Il n'y a dans le Christ qu'une seule hypostase qui est incréée par rapport à la divinité, et créée à l'égard de l'humanité. Ainsi on ne devrait pas dire sans détermination : le Christ est incorporel ou impassible, pour éviter l'erreur de Manès qui a supposé que le Christ n'avait pas eu un corps véritable, qu'il n'avait pas véritablement souffert; mais on doit dire avec détermination que le Christ est incorporel et impassible quant à la divinité.

(I) Autrement la proposition peut être amphibologique. Parmi les Pères, il y en a cependant un grand nombre qui ont dit que le Christ était une créature. D'autres l'ont nié, niais cette divergence apparente provient uniquement de ce qu'ils n'entendaient pas ce mot de la même manière. Le P. Pétau, après avoir rapporté leurs sentiments, les concilie parfaitement [De ineam, lib. Vi, cap.6).

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Il faut répondre au troisième, qu'on ne peut pas douter qu'il ne convienne à la personne du Fils de Dieu d'être né d'une Vierge, tandis qu'il peut y avoir amphibologie quand on dit qu'il est une créature. C'est pourquoi il n'y a pas égalité de raison de part et d'autre.



ARTICLE IX. — est-il vrai de dire en montrant le christ : Cet homme a commencé d'être ?

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1 Il semble qu'en montrant le Christ on puisse dire : Cet homme a commencé d'être. Car saint Augustin dit [Sup. Jean, tract, cv) : Avant que le monde existât, nous n'existions pas, ni J.-C. l'Homme-Dieu qui est médiateur entre Dieu et les hommes. Or, ce qui n'a pas toujours existé a commencé d'être. On peut donc dire en parlant du Christ : Cet homme a commencé d'être.

2
Le Christ a commencé d'être homme. Or, être homme, c'est être absolument. Cet homme a donc commencé d'être absolument.

3
L'homme implique un suppôt de la nature humaine. Or, le Christ n'a pas toujours été un suppôt de la nature humaine. Cet homme a donc commencé d'exister.

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Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (He 13 He 8) : Jésus-Christ hier et aujourd'hui et dans tous les sièdes.


CONCLUSION. — Puisque par ces mots : cet homme, on désigne en montrant le Christ un suppôt éternel, cette proposition : Cet homme a commencé d'être est absolument fausse.

21 Il faut répondre qu'on ne doit pas dire sans rien ajouter, en montrant le Christ : Cet homme a commencé d'être. Et cela pour une double raison : 1° parce que cette locution est absolument fausse d'après la doctrine de la foi catholique, qui n'admet dans le Christ qu'un seul suppôt, et qu'une seule hypostase, aussi bien qu'une seule personne. Car il faut d'après cela que quand on dit : cet homme en montrant le Christ, on désigne un suppôt éternel, à l'éternité duquel il répugne de commencer d'exister. Par conséquent cette proposition est fausse : Cet homme a commencé d'exister. Peu importe, au reste, que commencer d'exister, soit une chose qui convienne à la nature humaine qui est signifiée par le mot homme : parce que le terme placé dans le sujet ne se prend pas formellement pour la nature, mais plutôt matériellement pour le suppôt, comme nous l'avons dit (art. 7 huj. quaest. ad 4) ; 2° parce que quand même cette proposition serait vraie, on ne devrait cependant pas l'employer sans détermination (1), pour éviter l'hérésie d'Arius : parce que comme cet hérésiarque suppose que la personne du Fils de Dieu est une créature et qu'elle est moindre que le Père; de même il lui attribue d'avoir commencé d'exister, en disant que le Père était, quand elle n'était pas.

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Il faut répondre au premier Argument, que ce passage doit s'entendre avec détermination; c'est comme si l'on disait que J.-C. Homme-Dieu n'a pas existé par rapport à son humanité, avant que le monde existât.

(1) Tour éviter l'équivoque, il faut dire : le Christ, comme homme, a commencé d'être.

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Il faut répondre au second, qu'avec le verbe commencer l'argument ne conclut pas de l'inférieur au supérieur. Car si l'on dit : Cette chose a commencé d'être blanche, on ne peut en conclure : dune elle commence d'être colorée (1) ; parce que commencer implique l'être présent et non l'être antérieur. On ne peut pas non plus dire : cette chose n'était pas blanche auparavant; donc elle n'était pas auparavant colorée. Or, exister simplement est une chose plus élevée que d'être homme. Ainsi quand on dit : Le Christ a commencé d'être homme, on ne peut en conclure : Ii a donc commencé d'être (2).

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Il faut répondre au troisième, que le mot homme, selon qu'on le prend t, pour le Christ, quoiqu'il signifie la nature humaine qui a commencé d'être, se prend cependant pour le suppôt éternel, qui n'a pas commencé d'exister. C'est pourquoi parce que ce terme placé dans le sujet s'entend du suppôt, au lieu que placé dans le prédicat il se rapporte à la nature, il s'ensuit que cette proposition est fausse : L'homme Christ a commencé d'être, tandis (que celle-ci est vraie : Le Christ a commencé d'être homme.



ARTICLE X. — cette proposition est-elle vraie : Le Christ, comme homme, est une créature?

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1 Il semble que cette proposition soit fausse : Le Christ, comme homme, est une créature, ou il a commencé d'exister. Car il n'y a eu de créé dans le Christ que la nature humaine. Or, cette proposition est fausse : Le Christ, comme homme, est une nature humaine. Celle-ci est donc fausse aussi : Le Christ, comme homme, est une créature.

2
Le prédicat se dit plutôt du terme employé dans la réduplication que du sujet même de la proposition. Ainsi quand je dis le corps, selon qu'il est coloré, est visible, il s'ensuit que ce qui est coloré est visible. Or, on ne doit pas accorder absolument cette proposition, comme nous l'avons dit (art. 8 et 9) : L'homme Christ est une créature. On ne doit donc pas dire non plus : Le Christ, comme homme, est une créature.

3
Tout ce qu'on dit de chaque homme, comme homme, se dit de lui purement et simplement. Car ce qu'on est par soi-même et ce qu'on est comme homme, est une même chose, d'après Aristote (Met. lib. v, text. 23). Or, cette proposition est fausse : Le Christ est purement et simplement une créature. On ne peut donc pas dire non plus : Le Christ, comme homme, est une créature.

20
Mais c'est le contraire. Tout ce qui existe est ou créateur ou créature. Or, cette proposition est fausse : Le Christ, comme homme, est créateur. Donc celle-ci est vraie : Le Christ, comme homme, est une créature.



CONCLUSION. — Cette proposition: Le Christ, comme homme, est une créature, doit être simplement admise ; parce que la partie reduplicative appartient à la nature; mais ou doit nier plutôt qu'on ne doit accorder celle-ci: Le Christ, en tant qu'il est cet homme, est une créature, parce que la partie reduplicative, par suite de l'addition qui y est faite, se rapporte au suppôt.

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Il faut répondre que quand on dit : le Christ, comme homme, le mot homme dans la partie reduplicative peut s'entendre ou du suppôt ou de la nature. Si on l'entend du suppôt, puisque le suppôt de la nature humaine dans le Christ est éternel et incréé, il sera faux de dire : Le Christ, en tant qu'homme, est une créature. Mais si on l'entend de la nature humaine, alors elle est vraie ; parce que par rapport à sa nature humaine il lui convient d'être une créature, comme nous l'avons dit (art. 8 huj. quaest.). — Cependant il faut observer que le mot ainsi employé dans une proposition reduplicative se prend plus proprement pour la nature que pour le suppôt. Car il a la force d'un prédicat que l'on emploie formellement. Dire : Le Christ, en tant qu'homme, c'est comme si l'on disait : Le Christ selon qu'il est homme. C'est pourquoi on doit plutôt accorder que nier cette proposition : Le Christ, en tant qu'homme, est une créature. Si cependant on ajoutait quelque chose qui le fit se rapporter au suppôt, on devrait plutôt le nier que l'accorder; par exemple si l'on disait : Le Christ, selon qu'il est cet homme, est une créature.

(I) Elle pouvait être auparavant d'une autre couleur.
(2) Le Christ a existé purement et simplement avant d'être homme. C'est pourquoi de ce qu'il a commencé d'être homme on ne peut pas conclure qu'il nit commencé d'être.

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Il faut répondre au premier argument, que quoique le Christ ne soit pas la nature humaine, cependant il la possède. Mais le mot de créature n'est pas seulement attribué aux choses abstraites, on l'attribue encore aux choses concrètes. Car nous disons que l'humanité est une créature et que l'homme en est une.

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II faut répondre au second, que le mot homme quand il est pris pour le sujet se rapporte plutôt au suppôt, au lieu que dans la proposition réduplicative il se rapporte plutôt à la nature, comme nous l'avons dit (in coi p. art.). Et parce que la nature est créée, tandis que le suppôt est incréé, c'est pour ce motif que, quoiqu'on n'accorde pas simplement cette proposition: L'homme Christ est une créature, on accorde néanmoins celle-ci : Le Christ, en tant qu'homme, est une créature.

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Il faut répondre au troisième, qu'il convient à tout homme qui est le suppôt de la nature humaine seule de n'avoir d'être que par rapport à cette nature. C'est pourquoi il résulte pour tout suppôt semblable qu'il est une créature absolument, s'il en est une, en tant qu'homme. Quant au Christ, il n'est pas seulement le suppôt de la nature humaine, mais il est encore celui de la nature divine, selon qu'il est incréé. C'est pourquoi de ce que comme homme il est une créature, il ne s'ensuit pas qu'il soit une créature absolument.



ARTICLE XI. — cette proposition est-elle vraie : \ILe Christ, en tant qu'homme, est Dieu?

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1 Il semble que le Christ, en tant qu'homme, soit Dieu. Car le Christ est Dieu par la grâce de l'union. Or le Christ, en tant qu'homme, a cette grâce. Le Christ en tant qu'homme est donc Dieu.

2
C'est le propre de Dieu de remettre les péchés, d'après ces paroles du prophète (Is 43,25) : C'est moi qui efface vos iniquités à cause de moi. Or, le Christ, en tant qu'homme, remet les péchés, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 9,6) : Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre. Le Christ, en tant qu'homme, est donc Dieu.

3 Le Christ n'est pas un homme en général, mais il est tel homme en particulier. Or, le Christ, en tant qu'il est cet homme, est Dieu, parce que par cet homme on désigne le suppôt éternel qui est naturellement Dieu. Le Christ, en tant qu'homme, est donc Dieu.

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Mais c'est le contraire. Ce qui convient au Christ, comme homme, convient à tout homme. Si donc le Christ, en tant qu'homme, est Dieu, il s'ensuit que tout homme est Dieu : ce qui est évidemment faux.


CONCLUSION. — Quoique cette proposition, le Christ en tant qu'homme est Dieu, puisse s'accorder comme vraie, pourvu que le mot homme s'entende du suppôt et non de la nature : cependant on doit plutôt la nier que l'accorder, puisque la reduplicative doit se rapporter à la nature plutôt qu'à la personne.

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Il faut répondre que le mot homme employé dans une proposition réduplicative peut s'entendre de deux manières : 1° quant à la nature. En ce sens il n'est pas vrai que le Christ, en tant qu'homme, soit Dieu : parce que la nature humaine est distincte de la nature divine selon la différence de nature. 2° On peut l'entendre du suppôt, et dans ce cas, puisque le suppôt de la nature humaine dans le Christ est la personne du Fils, à laquelle il convient par elle-même d'  être  Dieu ; il est vrai que le Christ, en tant qu'homme, est Dieu. — Toutefois parce que le terme employé dans une proposition reduplicative se dit plus proprement de la nature que du suppôt, comme nous l'avons vu (art. préc. in corp. et ad 2), on doit plutôt nier qu'affirmer cette proposition : Le Christ, en tant qu'homme, est Dieu.

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Il faut répondre au premier argument, qu'un   être  ne peut se mouvoir vers une chose et   être  cette chose sous le même rapport. Car on se meut en raison de la matière ou du sujet, et l'on est en acte en raison de la forme. de même il ne convient pas au Christ sous le même rapport de tendre à être Dieu par la grâce d'union et de l'être en effet. Mais la première de ces deux choses lui convient en raison de la nature humaine, la seconde en raison de la nature divine. C'est pourquoi cette proposition est vraie : Le Christ, en tant qu'homme, a la grâce d'union, tandis que celle-ci ne l'est pas : Le Christ, en tant qu'homme, est Dieu.

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II faut répondre au second, que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés, non en vertu de la nature humaine, mais en vertu de la nature divine. Ce pouvoir existe dans la nature divine par autorité, et il réside dans la nature humaine instrumentalement. C'est pourquoi saint Chrysostôme expliquant ce passage (Sup. Matth, implic. hom. xxx) observe : qu'il dit expressément : Le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, pour montrer qu'il a uni d'une union indivisible le pouvoir de la divinité à la nature humaine, parce que, quoiqu'il se soit fait homme, il est resté néanmoins le Verbe de Dieu.

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Il faut répondre au troisième, que quand on dit cet homme, le pronom démonstratif fait que le nom s'applique au suppôt. C'est pourquoi cette proposition : Le Christ, en tant qu'il est cet homme, est Dieu, est plus vraie que celle-ci : Le Christ, en tant qu'homme, est Dieu.



ARTICLE XII. — cette proposition f.st-elle vraie : le christ, en tant qu'homme, est une hypostase ou une personne?

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1 Il semble que le Christ, en tant qu'homme, soit une hypostase ou une personne. Car ce qui convient à tout homme, convient au Christ selon qu'il est homme, puisqu'il leur ressemble, d'après ces paroles de saint Paul (
Ph 2,7) : Il s'est fait semblable aux hommes. Or, tout homme est une personne. Le Christ, en tant qu'homme, est donc une personne.

2 Le Christ, en tant qu'homme, est une substance d'une nature raisonnable. Il n'est pas une substance universelle, par conséquent il est une substance individuelle. Or, une personne n'est rien autre chose qu'une substance individuelle d'une nature raisonnable, comme le dit Boëce (Lib. de duab. nat.). Le Christ, en tant qu'homme, est donc une personne.

3
Le Christ, en tant qu'homme, est une chose de la nature humaine, un suppôt et une hypostase de cette même nature. Or, toute hypostase, tout suppôt, toute chose delà nature humaine est une personne. Le Christ, en tant qu'homme, est donc une personne.

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Mais c'est le contraire. Le Christ, en tant qu'homme, n'est pas une personne éternelle. Si donc le Christ, en tant qu'homme, était une personne, il s'ensuivrait qu'il v aurait dans le Christ deux personnes, l'une temporelle et l'autre éternelle; ce qui est erroné, comme nous l'avons dit (quest. n, art. 3 et G, et quest. iv, art. 2 et 3).


CONCLUSION. — Cette proposition est vraie : Le Christ en tant qu'homme est ou une hypostase ou une personne, si le mot homme, employé dans la réduplication, s'entend du suppôt ou de la nature à laquelle il convient d'être dans une personne, non dans la personne humaine, mais dans la personne divine.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 10 et Il huj. quaest.), le mot homme employé dans la réduplication peut s'entendre ou du suppôt ou de la nature. Par conséquent, quand on dit : Le Christ, en tant qu'homme, est une personne, si on l'entend du suppôt, il est évident que le Christ, selon qu'il est homme, est une personne : parce que le suppôt de la nature humaine n'est rien autre chose que la personne du Fils de Dicit. Sion l'entend de la nature, on peut le comprendre de deux manières : 1° on peut comprendre qu'il convient à la nature humaine d'être dans une personne, et c'est encore vrai de la sorte. Car tout ce qui est subsistant dans une nature humaine est une personne. 2° On peut entendre qu'il est dû à la nature humaine dans le Christ une personnalité propre résultant des principes de cette nature. En ce sens, le Christ, en tant qu'homme, n'est pas une personne, parce que la nature humaine n'est pas subsistante par elle-même indépendamment de la nature divine, ce (pie demande l'essence de la personne.

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Il faut répondre au premier argument, qu'il convient à tout homme d'être une personne, selon que tout ce qui subsiste dans la nature humaine est une personne. Mais c'est le propre du Christ que la personne qui subsiste dans sa nature humaine ne résulte pas des principes de cette nature, mais qu'elle soit éternelle : c'est pourquoi, d'une manière il est une personne, en tant qu'homme; de l'autre il ne l'est pas, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

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II faut répondre au second, que la substance individuelle qui entre dans la définition de la personne implique une substance complète qui subsiste par elle-même séparément des autres : autrement on pourrait appeler la main de l'homme une personne, puisqu'elle est une substance individuelle. Mais, parce qu'elle est une substance individuelle qui existe pour ainsi dire dans un autre sujet, on ne peut pas dire qu'elle est une personne. Pour la même raison on ne peut pas dire que la nature humaine soit dans le Christ une personne, quoique cependant on puisse dire qu'elle est quelque chose d'individuel et de particulier.

33
Il faut répondre au troisième, que comme la personne signifie quelque chose de complet et qui subsiste par lui-même dans une nature raisonnable, de même l'hypostase, le suppôt et la chose de la nature désignent dans le genre de la substance quelque chose qui subsiste par lui-même. Par conséquent, comme la nature humaine n'est pas par elle-même une personne distincte de la personne du Fils de Dieu; de même elle n'est pas par elle-même une hypostase, ou un suppôt, ou une chose de la nature (i). C'est pourquoi, dans le sens où l'on nie cette proposition : Le Christ, en tant qu'homme, est une personne; il faut aussi nier toutes les autres.

(1) Pour la signification propre de ces trois expressions, voyez la définition qu'en donne saint

Thomas lui-même (tom. I, pag- 276, part. I, quest. XXIX, art.2).





QUESTION 17: DE CE QUI APPARTIENT A L'UNITÉ DANS LE CHRIST QUANT A L'ÊTRE.

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Nous avons ici à examiner ce qui appartient à l'unité dans le Christ en général. Car nous devons déterminer en leur lieu les choses qui appartiennent à l'unité ou à la pluralité en particulier. Ainsi comme nous avons vu (quest. ix) que dans le Christ il n'y a qu'une seule science, nous verrons plus loin (quest. xxxv) qu'il y a plusieurs naissances. — Nous devons donc considérer l'unité du Christ : 1° quant à son être; 2° quant à sa volonté; 3° quant à ses opérations. —Sur la première doces trois considérations, il y a deux questions à examiner : 1" Le Christ est-il une seule chose ou deux? — 2° N'y a-t-il dans le Christ qu'un seul être?



ARTICLE I. — le christ est-il une seule chose ou deux (1)?

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1 Il semble que le Christ ne soit pas une chose, mais deux. Car saint Augustin dit (De Trin. lib. i, cap. 7) : Parce que la forme de Dieu a reçu la forme de l'esclave, l'un et l'autre est Dieu à cause de Dieu qui reçoit-, l'un et l'autre est homme, à cause de l'homme qui est reçu. Or, on ne peut dire l'un et l'autre que là où il y a deux. Le Christ est donc deux.

2
Partout où il v a une chose et une autre, il y a deux. Or, le Christ est une chose et une autre. Car saint Augustin dit (Ench. cap. 35) : Ayant la forme de Dieu, il a pris la forme de l'esclave; l'un et l'autre ne font qu'un, mais il est une chose à cause du Verbe, et il en est une autre à cause de l'homme. Le Christ est donc deux.

3
Le Christ n'est pas seulement homme, parce qu'il serait un simple mortel. Il est donc autre chose qu'un homme, et par conséquent il y a en lui une chose et une autre. Le Christ est donc deux.

4
Le Christ est quelque chose qui est le Père, et il est quelque chose qui ne l'est pas. Le Christ est donc une chose et une autre. Il est donc deux.

5
Comme dans le mystère de la Trinité il y a trois personnes en une seule nature, de même dans le mystère de l'Incarnation il y a deux natures en une seule personne. Or, à cause de l'unité de nature, nonobstant la distinction de personne, le Père et le Fils sont un, d'après ces paroles du Christ (Jn 10,30) : Mon Père et moi nous sommes un. Nonobstant l'unité de personne, le Christ est donc deux, à cause de la dualité de ses natures.


III Pars (Drioux 1852) 328