III Pars (Drioux 1852) 6

6 Aristote dit (Phys. lib. iii, text. 18) que l'un et le deux se disent dénominativement. Or, le Christ a la dualité des natures. Il est donc deux.

7 Comme la forme accidentelle fait une chose, de même la forme substantielle en fait une autre, comme le dit Porphyre (in Prxdic. cap. De differ.). Or, dans le Christ il y a deux natures substantielles, la nature humaine et la nature divine. Le Christ est donc une chose et une autre, et par conséquent il est deux.

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Mais c'est le contraire. Boi:ced'û(Lib.de duab. nat.): Tout ce qui est, est un, en tant qu'il est. Or, nous confessons qu'un seul Christ existe. Il est donc un.


CONCLUSION. — Puisque dans le Christ il n'v a qu'un suppôt et qu'une personne, on dit avec raison qu'il n'y a qu'un seul Christ et qu'il est une seule chose et non deux.

Deum. Unus omnino non confusione substantiae, sed unitate personoe. Mam sicut anima rationalis et caro unus est homo, ita Deus et homo unus est Christus.

(t) Cet article est 1 explication île ce passage du symbole de saint Atlianase : Qui licet Deus sit et homo ; non duo tamen, sed unus est Christus. Unus autem non conversione divinitatis in carnem, sed assumptione humanitatis in

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Il faut répondre que la nature considérée en elle-même, selon qu'on la désigne in abstracto, ne peut pas se dire véritablement du suppôt ou de la personne, si ce n'est en Dieu, dans lequel ce qu'il est et ce par quoi il est ne 3 et 4). et la nature humaine, l'une d'elles, c'est-à-dire la nature divine peut se dire de lui d'une manière abstraite et concrète; car nous disons que le Fils de Dieu qui est désigné par le mot de Christ est la nature divine, et qu'il est Dieu. Mais la nature humaine ne peut pas se dire du Christ considéré en lui-même d'une manière abstraite, mais seulement d'une manière concrète, c'est-à dire selon qu'elle se rapporte au suppôt. En effet on ne peut pas dire que le Christ est la nature humaine, parce que la nature humaine ne se dit pas de son suppôt (2), mais on dit qu'il est homme, comme on dit qu'il est Dieu. Dieu signifie celui qui a la déité, et l'homme celui qui a l'humanité. Cependant celui qui a l'humanité est signifié autrement par le mot homme que par le mot Jésus ou Pierre. Car ce mot homme implique celui qui a l'humanité indistinctement, comme le mot Dieu implique indistinctement celui qui a la déité; au lieu que le mot Pierre ou Jésus implique distinctement celui qui a l'humanité, c'est-à-dire sous des propriétés individuelles déterminées, comme le mot Fils de Dieu implique celui qui a la déité sous une propriété personnelle déterminée. Or, la dualité est admise dans le Christ à l'égard des natures. C'est pourquoi si les deux natures se disaient du Christ in abstracto, il s'ensuivrait que le Christ serait deux. Mais parce que les deux natures ne se disent du Christ qu'autant qu'elles se rapportent au suppôt, il faut qu'on dise du Christ qu'il est un ou deux en raison du suppôt. — Il y en a qui ont prétendu qu'il y avait en lui deux suppôts, mais une seule personne (3). Dans leur sentiment la personne ne parait être qu'un suppôt qui a reçu son dernier complément. C'est pourquoi, parce qu'ils reconnaissaient dans le Christ deux suppôts, ils disaient que le Christ était deux au neutre (4). Mais, comme ils n'admettaient qu'une personne, ils disaient que le Christ était un au masculin, parce que le genre neutre désigne quelque chose d'informe et d'imparfait, au lieu que le genre masculin désigne quelque chose qui est formé et parfait. Les nestoriens, supposant qu'il y avait dans le Christ deux personnes, disaient qu'il n'est pas seulement deux au neutre, mais qu'il est encore deux au masculin. Pour nous, parce que nous ne reconnaissons dans le Christ qu'un seul suppôt et qu'une seule personne, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. ii, art. 2 et 3), il s'ensuit que nous disons que non-seulement le Christ est un au masculin (5), mais qu'il l'est encore au neutre.

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Il faut répondre au premier argument, que ce passage de saint Augustin ne doit pas s'entendre comme si le mot l'un et Vautre se rapportait au prédicat, comme si l'on disait que le Christ est l'un et l'autre ; mais on doit en faire un sujet. Et alors le mot l'un et l'autre ne se prend pas de la sorte pour deux suppôts, mais pour deux mots qui signifient deux natures d'une manière concrète. Car je puis dire que l'un et l'autre, c'est-à-dire Dieu et l'homme, est Dieu à cause de Dieu qui prend, et que l'un et l'autre, c'est- à-dire Dieu et l'homme, est homme à cause de l'homme qui est pris différent pas (1), comme nous l'avons vu (part. 1, cpiest. m, art. Mais dans le Christ, puisqu'il y a deux natures, la nature divine e

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Il faut répondre au second, que quand on dit : Le Christ est une chose et une autre, cette locution doit s'entendre comme s'il y avait : Il a une nature et une autre. C'est ainsi que l'entend saint Augustin quand il dit : (Lib. cont. Felic. cap. Il) : Dans le médiateur de Dieu et des hommes, le Fils de Dieu est une chose et le Fils de l'homme une autre; car il ajoute : II en est une autre, dis-je, à cause de la différence de substance, mais il n'en est pas une autre à cause de l'unité de personne. D'où saint Grégoire de Nazianze dit à Clédonius (Epist, i) : S'il faut me résumer, je dirai que ce dont le Sauveur est composé est une chose et une autre, puisque ce qui est invisible n'est pas le même que ce qui est visible, ce qui est hors du temps que ce qui est dans le temps; mais il n'est pas un et un autre (1); loin de moi cette pensée, car ces deux ne font qu'un.

(t) C'est ce qui fait que les trois personnes divines s'identifient avec la nature divine.
(2) Ainsi on ne dit pas que Pierre ou Jean est la nature humaine, mais on dit qu'ils sont hommes.
(5) Voyez ce qui a été dit de ce sentiment qui distingue la personne du suppôt (p. 32 et suiv.).
(4) On trouve dans les Pères que le Christ est une chose et une autre, aliud et aliud, mais ces mots se rapportent à la dualité de sa nature.
(5) Cette première partie de la proposition est de foi contre les nestoriens : Credo in unum Dominum J eut m Christum, dit le symbole de Nicée.

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Il faut répondre au troisième, que cette proposition est fausse : Le Christ n'est qu'un homme; parce qu'elle n'exclut pas un autre suppôt, mais une autre nature, par là même que les termes placés dans le prédicat se prennent formellement. Si cependant on ajoutait quelque chose qui fît rapporter la phrase au suppôt, cette locution serait vraie; comme si l'on disait : Le Christ est seulement ce qu'est l'homme. Cependant il ne s'ensuit pas qu'il soit quelque autre chose (2) que l'homme; parce que le mot au Ire chose, étant un relatif qui exprime la diversité de substance, il se rapporte proprement au suppôt, comme tous les relatifs qui établissent une relation personnelle. Mais il s'ensuit qu'il a une autre nature.

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Il faut répondre au quatrième, que quand on dit : Le Christ est quelque chose qu'est le Père, le mot quelque chose s'entend de la nature divine qui se dit d'une manière abstraite du Père et du Fils. Mais quand on dit : Le Christ est quelque chose qui n'est pas le Père; le mot quelque chose ne s'entend pas de la nature humaine selon qu'elle est désignée d'une manière abstraite, mais selon qu'elle l'est d'une manière concrète, non comme un suppôt distinct, mais comme un suppôt indistinct, c'est-à-dire selon qu'il sert de substance à la nature et non aux propriétés qui l'individualisent. C'est pourquoi il ne s'ensuit pas que le Christ soit une chose et une autre, ou qu'il soit deux; parce que le suppôt de la nature humaine dans le Christ qui est la personne du Fils de Dieu, n'entre pas en nombre avec la nature divine qui se dit du Père et du Fils.

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Il faut répondre au cinquième, que dans le mystère de la Trinité la nature divine se dit in abstracto des trois personnes. C'est pourquoi on peut dire absolument que les trois personnes sont une seule chose. Mais dans le mystère de l'Incarnation les deux natures ne se disent pas du Christ in abstracto. C'est pour ce motif qu'on ne peut pas dire absolument que le Christ est deux.

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Il faut répondre au sixième, qu'on dit qu'il y a deux quand la dualité se dit du sujet lui-même et non des choses qui existent en lui. Or, les prédicats se disent du suppôt unique qu'implique le nom de Christ. Par conséquent, quoique le Christ ait la dualité de natures, cependant, parce qu'il n'a pas la dualité de suppôts, on ne peut pas dire qu'il est deux.

(2) Il ne s'ensuit pas qu'il soit un autre suppôt, niais il en résulte seulement qu'il y a en lui deux

natures.

(Il C'est-à-dire, il n'y a pas en lui deux suppôts, niais deux natures qui ne font qu'une personne.

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Il faut répondre au septième, que le mot autre implique une diversité d'accident. C'est pourquoi la diversité d'accident suffit pour qu'on dise une chose absolument autre. Mais le mot autre chose implique une diversité de substance; et par substance on entend non-seulement la nature, mais encore le suppôt, comme le dit Aristote (Met. lib. v, text. 15). C'est pourquoi la diversité do nature ne suffit pas pour qu'une chose soit dite autre absolument, s'il n'y a encore diversité de suppôt. La diversité de nature ne rend une chose autre que sous un rapport, c'est-à-dire par rapport à la nature, s'il n'y a pas diversité de suppôt.



ARTICLE II. — n'y a-t-il dans le christ qu'un seul être (1)?

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1 Il semble qu'il n'y ait pas dans Je Christ qu'un seul être, mais qu'il y en ait deux. Car saint Jean Damascène dit (De fid. orth. lib. iii, cap. 13) que les choses qui résultent de la nature sont doubles dans le Christ. Or, l'être est une conséquence de la nature, puisque l'être vient de la forme. Il y a donc dans le Christ deux êtres.

2
L'être du Fils de Dieu est la nature divine elle-même, et il est éternel. Or, l'être du Christ comme homme n'est pas la nature divine, mais il est l'être temporel. Il n'y a donc pas dans le Christ qu'un seul être.

3
Quoique dans la Trinité il y ait trois personnes, cependant il n'y a qu'un être à cause de l'unité de nature. Or, dans le Christ il y a deux natures, quoiqu'il n'y ait qu'une seule personne. Il n'y a donc pas dans le Christ qu'un seul être, mais deux.

4
Dans le Christ l'âme donne un être au corps, puisqu'elle est sa forme. Or, elle ne lui donne pas l'être divin, puisque cet être est incréé. Il y a donc dans le Christ un autre être que l'être divin, et par conséquent il n'y a pas en lui qu'un seul être.

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Mais c'est le contraire. Chaque chose est appelée un être selon qu'on dit qu'elle est une; parce que l'un et l'être se disent l'un de l'autre. Si donc (laus le Christ il y avait deux êtres, et qu'il n'y en eût pas qu'un seul, le Christ serait deux et non un.


CONCLUSION. — Puisque la nature humaine est unie au Fils de Dieu en personne et non accidentellement, on ne doit admettre dans le Christ qu'un seul être personnel.

l'unité de subsistance; mais ce sentiment nous parait insoutenable, parce que dans ce cas cet article retomberait dans le précédent. (2) Ces sortes d'être ne sont que des accidents.

(I) Cette question est controversée. Les scotistes, Suarez et d'autres théologiens, n'admettent pas, avec saint Thomas et les thomistes, l'unité d'être dans le Christ. Paludan (lib. ni Sent. 6) suppose que par l'unité d'être saint Thomas entend

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Il faut répondre que parce qu'il y a dans le Christ deux natures et une seule hypostase, il est nécessaire que les choses qui appartiennent à la nature dans le Christ soient deux ; mais que celles qui appartiennent à l'hypostase ne soient qu'une. Or, l'être appartient et à la nature et à l'hypostase. A l'hypostase comme à ce qui a l'être; à la nature comme à ce par quoi une chose à l'être. Car la nature est signifiée à la manière delà forme; on lui donne le nom d'être, parce que c'est par elle que certaine chose à l'être. C'est ainsi que par la blancheur il y a quelque chose qui est blanc, et que par l'humanité il y a quelque chose qui est homme. Mais il est à considérer que s'il y a une forme ou une nature qui n'appartienne pas à l'être personnel d'une hypostase subsistante, on ne dit pas que cet être est l'être de cette personne absolument mais sous un rapport. Ainsi être blanc est l'être de Socrate, non en tant qu'il est Socrate, mais en tant qu'il est blanc. Rien n'empêche qu'un être semblable ne se multiplie dans une seule et même hypostase ou dans une seule et même personne; car autre chose est l'être par lequel Socrate est blanc, et autre chose celui par lequel Socrate est musicien (2). Mais l'être qui appartient à l'hypostase même ou à la personne considérée en elle- même, ne peut pas être multiplié dans une seule et même hypostase ou dans une seule et même personne; parce qu'il est impossible que l' être d'une chose ne soit pas un. — Si donc la nature humaine n'était pas unie au Fils de Dieu hvpostatiquement ou personnellement, mais accidentellement, comme quelques-uns l'ont supposé (1), il faudrait reconnaître dans le Christ deux êtres : l'un selon qu'il est Dieu, l'autre selon qu'il est homme ; comme on admet dans Socrate un être selon qu'il est blanc, et un autre être selon qu'il est homme ; parce qu'être blanc n'appartient pas à l'être personnel de Socrate; au lieu qu'avoir une tête, être corporel et être animé, tout cela appartient à la personne unique de Socrate. C'est pourquoi de toutes ces choses il ne se fait qu'un seul être dans Socrate. lit s'il arrivait (2) qu'après que la personne de Socrate est constituée, il lui vint des mains, des pieds ou des yeux, comme il arrive dans un aveugle-né, par-là Socrate n'acquerrait pas un autre être, mais seulement une relation à l'égard de tous ces accidents qui lui seraient survenus. Car on dirait qu'il existe non-seulement par rapport à ce qu'il avait auparavant, mais encore par rapport à ce qui lui est survenu ensuite. Par conséquent puisque la nature humaine est unie au Fils de Dieu hypostatiquement ou personnellement, comme nous l'avons dit (quest. ii, art. 5 et 6), et non accidentellement, il s'ensuit que par rapport à la nature humaine il ne lui arrive pas un nouvel être personnel, mais seulement un nouveau rapport de l'être personnel préexistant avec la nature humaine ; de sorte qu'on dit que cette personne (3) subsiste non-seulement selon la nature divine, mais encore selon la nature humaine.

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Il faut répondre au premier argument, que l'être résulte de la nature, non selon qu'elle a l'être, mais selon qu'elle a la forme par laquelle une chose existe ; au lieu que l'être résulte de la personne ou de l'hypostase, comme ayant l'être. C'est pourquoi (4) il conserve l'unité selon l'unité d'hypostase, plutôt qu'il n'a la dualité selon la dualité de nature.

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Il faut répondre au second, que cet être éternel du Fils de Dieu, qui est la nature divine, devient l'être de l'homme, en tant que la nature humaine est prise par le Fils de Dieu dans l'unité de la personne (5).

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II faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (part. I, quest. iii, art. 3 et 4; quest. xxxix, art. 1), la personne divine étant la même chose que la nature, l'être de la personne en Dieu n'est pas autre chose que l'être de la nature. C'est pourquoi les trois personnes n'ont qu'un seul être. Elles auraient un être triple, si en elles l'être de la personne était une chose et l'être de la nature une autre (G).

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Il faut répondre au quatrième, que l'âme dans le Christ donne l'être au corps, en tant qu'elle le rend animé en acte, ce qui lui donne le complément de la nature et de l'espèce (7). Mais si on conçoit le corps parlait au moyen de l'âme sans avoir d'hypostase, l'un et l'autre, c'est-à-dire le tout, qui est composé d'une âme et d'un corps, selon qu'il est désigné sous le nom d'humanité, n'est pas signifié comme une chose qui est, mais comme une chose par laquelle quelque chose est. C'est pourquoi l'être appartient à la personne subsistante, selon qu'elle se rapporte à la nature humaine. La cause de ce rapport est l'âme, selon qu'elle perfectionne la nature humaine en donnant au corps sa forme (8).

(1) C'est l'erreur de Nestorius.
(2) Par impossible.
(3) la personne incréée.
(4) Jésus-Christ.
(3) Ainsi l'être de l'homme en Jésus-Christ, ou son être personnel, est éternel et divin.
(C) Dans le Christ, quoiqu'il v ait deux natures, il n'y a cependant qu'un seul être personnel, puisqu'elles sont unies en une seule et même personne.
(7) Elle en fait un corps humain.

8 20 Mais l'être qu'elle lui donne n'est pas un être personnel.




QUESTION 18: DES CHOSES QUI APPARTIENNENT A L'UNITÉ DANS LE CHRIST QUANT A LA : VOLONTÉ.

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Après avoir examiné l'unité du Christ quant à l'être, nous devons nous occuper de son unité quant à la volonté. — A cet égard six questions se présentent : i" Y a-t-il dans le Christ deux volontés : l'une divine et l'autre humaine ? — 2° Dans la nature humaine du Christ y a-t-il une volonté sensitive autre que la volonté de raison? — 3" Du coté de la raison y a-t-il eu dans le Christ plusieurs volontés? — 4° Le libre arbitre a-t-il existé dans le Christ? — 5* La volonté humaine du Christ a-t-elle été absolument conforme à la volonté divine pour l'objet voulu? — 6° Y a-t-il eu dans le Christ une contrariété de volontés ?



ARTICLE I. — y a-t-il dans le christ deux volontés (1)?

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1 Il semble que dans le Christ il n'y ait pas deux volontés, l'une divine et l'autre humaine. Car la volonté est un premier moteur et elle commande dans chaque être qui veut. Or, dans le Christ la volonté divine a été le premier moteur, et elle a eu l'empire; parce que toutes les choses humaines étaient mues dans le Christ, selon la volonté divine. Il semble donc qu'il n'y ait eu dans le Christ qu'une volonté, la volonté divine.

2
Un instrument n'est pas mû par sa volonté propre, mais par la volonté de celui qui le meut. Or, la nature humaine a été dans le Christ comme l'instrument de sa divinité. La nature humaine n'était donc pas mue dans le Christ par sa volonté propre, mais par la volonté divine.

3
Il n'y a que ce qui appartient à la nature qui se multiplie dans le Christ. Or, la volonté ne paraît pas appartenir à la nature, parce que les choses qui sont naturelles sont nécessaires; au lieu que ce qui est volontaire ne l'est pas. Il n'y a donc dans le Christ qu'une seule volonté.

4
Saint Jean Damascène dit (De orth. fui. lib. iii, cap. 14) qu'il n'appartient pas à notre nature de vouloir de quelque manière, mais à notre intelligence, c'est-à-dire à notre personne. Or, toute volonté est une volonté quelconque, parce que rien n'existe dans un genre sans exister dans l'une de ses espèces. Toute volonté appartient donc à la personne. Et comme il n'y a eu et qu'il n'y a dans le Christ qu'une seule personne, il n'y a par conséquent en lui qu'une seule volonté.

20
Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Lc 22,42) : Mon Père, si vous le voulez, éloignez de moi ce calice; cependant que ce ne soit pas ma volonté, mais la v être qui se fasse (2). Saint Ambroise dit à ce sujet à l'empereur Gratien (De fid. lib. ii, cap. 3) : Comme il avait pris ma volonté, il a pris ma tristesse. Et à l'occasion de ces paroles : Verumtamen non mea voluntas, il observe que sa volonté s'est rapportée à l'homme, et celle de son Père à la divinité ; car la volonté de l'homme est temporelle, au lieu que celle de la divinité est éternelle.


CONCLUSION. — Puisque le Fils de Dieu a pris la nature humaine parfaite et que par là il n'a rien retranché à sa nature divine, il est nécessaire qu'il y ait eu en lui deux volontés, l'une divine et l'autre humaine.

(I) Cet article est la réfutation directe de l'erreur des nionothélitcs, qui eut pour defs Scrgius, patriarche de Constantinople, Macaire, patriarche d'Antioche, et Syrus, patriarche d'Alexandrie.
(2) Et ailleurs (Mt 26) : Non sicut ego volo, ted sicut tu. (Jean, v) : Nonquaero voluntatem meam, sed voluntatem ejus qui misit me

21 II faut répondre qu'il y en a qui ont prétendu qu'il n'y avait dans le Christ qu'une seule volonté. Mais ils paraissent avoir été portés à cette opinion par divers motifs. Car Apollinaire n'a pas admis une âme intellectuelle dans je Christ, sous prétexte que le Verbe tenait lieu de l'âme, ou du moins de 1 intellect. Par conséquent la volonté existant dans la raison, comme le dit Aristote (De an. lib. in, text. 42), il en résultait que dans le Christ il n'y avait pas de volonté humaine, et que par conséquent il n'y avait en lui qu'une seule volonté (1). De même Eutyches et tous ceux qui n'ont admis qu'une seule nature composée en Jésus-Christ, étaient contraints de n'admettre en lui qu'une seule volonté. Nestorius ayant supposé que Dieu et l'homme n'avaient été unis que par l'affection et la volonté, n'a aussi admis qu'une seule volonté dans le Christ. Ensuite Macaire, patriarche d'Antioche, Cyrus, patriarche d'Alexandrie, et Sergius, patriarche de Constantinople (2), n'ont admis avec leurs disciples qu'une seule volonté dans le Christ, quoiqu'ils eussent reconnu en lui deux natures unies selon l'hypostase-, parce qu'ils pensaient que la nature humaine dans le Christ n'était jamais mue de son mouvement propre, mais qu'elle ne l'était qu'autant qu'elle était mue par la divinité, comme on le voit (Epi at. sy no d. Agathonis papae liab. in conc. Const. m, gen. vi, art. 4). — C'est pourquoi dans le sixième concile général, qui se tint à Constantinople (sup. cil. act. Ac 18), il a été décidé qu'il fallait dire que dans le Christ il y a deux volontés. Voici les paroles du concile : « d'après ce que les prophètes nous ont autrefois appris du Christ, ce qu'il nous en a dit lui-même, et le symbole que nous ont transmis nos Pères dans la foi, nous déclarons qu'il va en lui deux volontés naturelles et deux opérations naturelles. » Et il est nécessaire de s'exprimer ainsi. Car il est évident que le Fils de Dieu a pris la nature humaine parfaite, comme nous l'avons démontré (quest. ii, art. 5). Or, la nature humaine requiert pour être parfaite la volonté qui est sa puissance naturelle, aussi bien que l'intellect, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (part. I, quest. lxxix et i.xxx). Par conséquent il est nécessaire de dire que le Fils de Dieu a pris la volonté humaine dans la nature humaine. Mais en prenant la nature humaine, le Fils de Dieu n'a nullement été amoindri en ce qui appartient à la nature divine, à laquelle il convient d'avoir une volonté, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xix, art. 1). Il est donc nécessaire de dire que dans le Christ il va deux volontés, 1 une divine et l'autre humaine.

31 Il faut répondre au premier argument, que tout ce qu'il y a eu dans la nature humaine du Christ, était mû au gré de la volonté divine. Cependant il ne s'ensuit pas qu'il n'y ait pas eu dans le Christ un mouvement de volonté propre à la nature humaine -, parce que les volontés pieuses des autres saints sont aussi mues conformément à la volonté de Dieu, qui opère en eux le vouloir et le faire, d'après saint Paul (Ph 2). Car quoique la volonté ne puisse pas être mue intérieurement par une créature, cependant elle est mue intérieurement par Dieu, comme nous l'avons dit (part. I, quest. cv. art. 4). Ainsi le Christ conformait sa volonté humaine à la volonté divine) suivant ces paroles du Psalmiste (Ps 39,9) : J'ai voulu, mon Dieu, faire votre volonté. D'où saint Augustin dit à Maximien (Const. Maxim, lib. iii, cap. 20) : Quand le Fils dit au Père : Que ce ne soit pas ma volonté, mais la vôtre qui s'accomplisse, que vous sert-il d'ajouter : Il montre véritablement que sa volonté est soumise à son Père, comme si nous niions que la volonté de l'homme doit être soumise à la volonté de Dieu.

(Ii Los manichéens n'ont aussi admis qu'une seule volonté, puisqu'ils prétendaient que l'humanité du Christ n'était pas réelle, niais fantastique.
(2) Sergius admettait deux volontés avant l'union, de qui supposerait qu'il croyait que la nature numaiuc avait en préalablement une existence propre de séparée.

32 Il faut répondre au second, que le propre d'un instrument est d'être mû par un agent principal ; cependant de différente manière, selon les propriétés de sa nature. Car un instrument inanimé (comme une hache, une scie) est mû par un artisan au moyen du mouvement corporel seul ; un instrument animé par une âme sensitive est mû par l'appétit sensitif, comme le cheval par le cavalier ; un instrument animé par une âme raisonnable est mû au moyen de sa volonté. C'est ainsi que le serf est porté par l'ordre du maître à faire quelque chose; car le serf est comme un instrument animé, selon l'expression d'Aristote (Pol. lib. i, cap. 2 et 4, et Eth. lib. viii, cap. 2). Ainsi donc la nature humaine a été dans le Christ l'instrument de la divinité (1), tout en se mouvant par sa volonté propre.

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Il faut répondre au troisième, que la puissance même de la volonté est naturelle et résulte de la nature nécessairement; mais le mouvement ou l'acte de cette puissance, qui porte aussi le nom de volonté, est quelquefois naturel et nécessaire; par exemple, par rapport au bonheur (2), et d'autres fois il provient du libre arbitre, et il n'est ni nécessaire, ni naturel, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (part. I, quest. lxxxii, art. 2, et I" 2", quest. v, art. 8; quest. vi, art. I). Cependant la raison elle-même qui est le principe de ce mouvement est naturelle. C'est pourquoi, indépendamment de la volonté divine, il faut qu'il y ait dans le Christ la volonté humaine; non-seulement selon qu'elle est une puissance naturelle, ou selon qu'elle est un mouvement naturel, mais encore selon qu'elle est un mouvement raisonnable.

34
Il faut répondre au quatrième, que par là même qu'on dit vouloir de quelque manière, on désigne un mode déterminé de la volonté. Or, un mode déterminé se rapporte à la chose elle-même dont il est le mode. Ainsi la volonté appartenant à la nature, vouloir quelque chose d'une certaine manière appartient aussi à la nature, non selon qu'on la considère absolument, mais selon qu'elle existe dans telle ou telle personne. Par conséquent la volonté humaine du Christ a eu un mode déterminé, par là même qu'elle a existé dans l'hypostase divine, et le mode consiste en ce qu'elle était toujours mue au gré de la volonté divine.



ARTICLE II. — y a-t-il eu dans le christ une volonté sensitive indépendamment de la volonté rationnelle (3)?

362
1 Il semble que dans le Christ il n'y ait pas eu de volonté sensitive indépendamment de la volonté rationnelle. Car Aristote dit (De an. lib. iii, text. 42) : Que la volonté est dans la raison ; au lieu que l'irascible et le concupiscible sont dans l'appétit sensitif. Or, la sensitivité signifie l'appétit sensitif. Il n'y a donc pas eu dans le Christ de volonté sensitive.

2
D'après saint Augustin (De Trin. lib. xii, cap. 13), la sensitivité est désignée par le serpent. Or, il n'y a rien eu du serpent dans le Christ, car il a eu la ressemblance d'un animal venimeux sans venin, comme le dit saint Augustin (De peccat, meritis, lib. n, cap. 3, super illud Jean, m, Sicut exaltavit Moyses serpentem in deserto). Il n'y a donc pas eu dans le Christ de volonté sensitive.

3
La volonté suit la nature, comme nous l'avons dit (art. préc.). Or, dans le Christ il n'y a eu qu'une nature outre la nature divine, il n'y a donc eu en lui qu'une seule volonté humaine.

(J) Cette expression a été employée par saint Athanase et par les autres Pères. Nestorius l'ayant prise dans un mauvais sens, saint Cyrille explique parfaitement la signification qu'on doit y attacher (Voy. le P. Pétau, Ve incurri, lib. VII, cap. 15).
(2) Nous voulons tous notre bonheur nécessairement.
(5) Tout en admettant dans le Christ l'appétit sensuel, il est à remarquer qu'il n'a jamais prévenu la raison dans le Christ, parce que le foyer de la concupiscence ot la rébellion de la chair n'ont point existé en lui.

20
Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (II, ad Grat. imperat, scilicet de fid. cap. iii) : C'est ma volonté qu'il appelle la sienne, parce que comme homme il a reçu ma tristesse; nous donnant par là à entendre que la tristesse appartient à la volonté humaine clans le Christ. Or, la tristesse appartient à la sensitivité, comme nous l'avons vu (1*2", quest. xxiii, art. 1 et 3, quest. xxv, art. 1, et quest. xxxv, art. 1 et 2). Il semble donc qu'il y ait eu dans le Christ une volonté sensitive indépendamment de la volonté rationnelle.


CONCLUSION. — Puisque le Fils de Dieu a pris la nature humaine parfaite, il est évident qu'indépendamment de la volonté rationnelle, il y a eu dans le Christ une volonté sensitive qu'on appelle volonté par participation.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le Fils de Dieu a pris la nature humaine avec toutes les choses qui appartiennent à la perfection de cette nature. Or, la nature humaine comprend la nature animale, comme l'espèce renferme le genre. Par conséquent il faut que le Fils de Dieu ait pris avec la nature humaine ce qui appartient à la perfection de la nature animale, et parmi ces choses se trouve l'appétit sensitif qu'on appelle la sensitivité. C'est, pourquoi il faut dire qu'il y a eu dans le Christ l'appétit sensuel ou la sensitivité. Il faut aussi savoir que la sensitivité ou l'appétit sensuel, selon qu'il est fait pour obéir à la raison, est appelé raisonnable par participation, comme on le voit dans Aristote (Eth. lib. i, cap. ult.). Et parce que la volonté existe dans la raison, ainsi que nous l'avons dit (art. préc.), pour le même motif on peut dire que la sensitivité est la volonté par participation.

31
Il faut répondre au premier argument, que cette raison s'appuie sur la volonté prise essentiellement et qui n'existe que dans la partie intellectuelle, au lieu que la volonté par participation peut exister dans la partie sensitive, en tant qu'elle obéit à la raison.

32
Il faut répondre au second, que la sensitivité est figurée par le serpent, non quant à sa nature que le Christ a prise, mais quant à la corruption du foyer de concupiscence qui n'a point existé dans le Christ.

33
Il faut répondre au troisième, que quand une chose existe à cause d'une autre, il semble qu'il n'y ait qu'un seul être ; c'est ainsi que la surface qui est visible par la couleur ne fait qu'une chose visible avec elle. De même parce qu'on ne donne à la sensitivité le nom de volonté que parce qu'elle participe à la volonté rationnelle, comme il n'y a qu'une nature en Jésus- Christ, de même il n'y a en lui qu'une seule volonté humaine.



ARTICLE III. — y a-t-il eu dans le christ deux volontés de la part de la raison?

363
1 Il semble qu'il y ait eu dans le Christ deux volontés quant à la raison. Car saint Jean Damascène dit [Orth. fid. lib. ii, cap. 22, et lib. iii, cap. U et 18) : qu'il y a dans l'homme deux sortes de volonté, l'une comme nature qu'on appelle fl&Yiot;, et l'autre raisonnable qui reçoit le nom de gcúXr.at;. Or, le Christ a eu dans la nature humaine tout ce qui appartient à la perfection de cette nature. Ces deux volontés ont donc été l'une et l'autre dans le Christ.

2
La puissance appétitive change dans l'homme selon la diversité de la puissance qui perçoit. C'est pourquoi, selon la différence qu'il y a entre les sens et l'intellect, l'appétit sensitif, dans l'homme, diffère de l'appétit intelligent. Or, de même, quant à la perception de l'homme, il y a une différence entre la raison et l'intellect, et ces deux facultés ont existé l'une et l'autre dans le Christ. Il y a donc eu en lui deux sortes de volonté, l'une intellectuelle et l'autre raisonnable.

3
II y en a qui reconnaissent dans le Christ une volonté de piété qui ne peut se rapporter qu'à la raison. Il va donc eu du côté de la raison plusieurs volontés dans le Christ.

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Mais c'est le contraire. Dans tout ordre il y a un premier moteur. Or, la volonté est un premier moteur dans le genre des actes humains. Dans un seul homme il n'y a donc qu'une volonté proprement dite qui est la volonté de raison. Le Christ étant un seul homme, il n'y a donc eu en lui qu'une seule volonté humaine.


CONCLUSION. — Si nous parlons de la puissance de la volonté, il n'y a dans le Christ qu'une seule volonté humaine, prise essentiellement et non par participation ; mais si nous parlons de la volonté qui est un acte, dans ce cas on distingue dans le Christ la volonté comme nature qu'on appelle 0a/»;71;, et la volonté comme raison qu'on appelle Soúivjstç.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 3), la volonté se prend tantôt pour la puissance et tantôt pour l'acte. Si donc la volonté se prend pour l'acte, alors il faut admettre dans le Christ, du côté de la raison, deux volontés, c'est-à-dire deux espèces d'actes volontaires. Car la volonté, comme nous l'avons dit (la 2", quest. viii, art. 2 et 3), a pour objet la fin et les moyens, mais elle ne se rapporte pas à l'une et aux autres de la même manière. Car elle se porte vers la fin simplement et absolument, comme vers ce qui est bon en soi, au lieu qu'elle se porte vers le moyen avec comparaison, selon qu'il tire sa bonté de son rapport avec une autre chose. C'est pourquoi l'acte de la volonté, selon qu'elle se porte vers quelque chose qui est voulu pour lui-même, comme la santé, ce qui est appelé par saint Jean Damascène (lac. cit.) 6áxr,ai;, volonté simple, et par les scolastiques volonté comme nature (1), est d'une autre espèce que l'acte de la volonté, selon qu'elle se porte vers une chose qui est voulue seulement par rapport à une autre, comme une médecine qu'on prend, ce qui est appelé par saint Jean Damascène poúxr.at?, volonté conseillante, et parles scolastiques volonté comme raison (2). Mais cette diversité d'actes ne diversifie pas la puissance, parce que l'un et l'autre se rapportent à une seule et même raison commune de l'objet, qui est le bien. C'est pourquoi il faut dire que s'il s'agit de la volonté, comme puissance ou faculté, il n'y a dans le Christ qu'une seule volonté humaine prise essentiellement, et non par participation (3) ; mais s'il s'agit de la volonté comme acte, alors on distingue dans le Christ la volonté comme nature qu'on appelle eeXr,atí, et la volonté comme raison qu'on nomme |3oúXr,<ji;.

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Il faut répondre au premier argument, que ces deux volontés ne sont pas différentes par rapport à la puissance, mais seulement par rapport à l'acte, comme nous l'avons dit [in corp. art.).

32
Il faut répondre au second, que l'intellect et la raison ne sont pas des puissances diverses (4), comme nous l'avons dit (part. I, quest. Lxxix,art. 8).

(1) On l'a ainsi appelée parce qu'elle se porte tout naturellement vers l'objet qu'elle veut, sans avoir besoin que nous ayons préalablement raisonné.
(2) On lui a donné ce nom, parce que quand il s’agit de se décider pour un moyen, il faut voir auparavant son rapport avec la lin, ce qui est déjà «Il acte de raison, et si le rapport n'est pas évident, il faut prendre conscii.
(5) La volonté par participation est l'appétit sensuel dont il est parlé dans la question précédente.
(<î) Ce sont deux actes différents de la même puissance. L'intellect perçoit intuitivement les principes, et la raison déduit discursivement les conséquences. La volonté comme nature correspond à l'intellect, et la volonté comme raison correspond à la raison.

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Il faut répondre au troisième, que la volonté de piété ne parait pas être autre chose que la volonté comme nature, dans le sens qu'elle fuit le mal d'autrui considéré absolument (1).




III Pars (Drioux 1852) 6