III Pars (Drioux 1852) 420

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Apres avoir parlé de la soumission du Christ, nous devons nous occuper de sa prière, et à ce sujet quatre questions se présentent : 1° Convient-il au Christ de prier? — y Lui convient-il de prier de la part de son appétit sensitif? — 3" Lui convient-il de prier pour lui-même ou seulement pour les autres? — 4° Toutes ses prières ont-elles été exaucées ?



ARTICLE I. — convient-il au christ de prier (2)?

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1 II semble qu'il ne convienne pas au Christ de prier. Car, comme le dit saint Jean Damascène (Orth. fid. lib. ur, cap. 2-í), la prière est une demande de choses convenables faite à Dieu. Or, puisque le Christ pouvait faire toutes choses, il ne parait pas convenable qu'il ait demandé quelque chose de quelqu'un. Il semble donc qu'il ne convienne pas au Christ de prier.

2
Il ne faut pas en priant demander ce que l'on sait devoir arriver certainement. Ainsi nous ne demandons pas que le soleil se lève demain; et il n'est pas non plus convenable qu'en priant on demande ce qu'on sait ne devoir exister d'aucune manière. Or, le Christ savait ce qui devait arriver à l'égard de toutes choses. Il ne lui convenait donc pas de demander quelque chose en priant.

3
Saint Jean Damascène dit (loc. cit.) que la prière est l'élévation de l'intelligence vers Dieu. Or, l'intellect du Christ n'avait pas besoin de s'élever vers Dieu, parce que son entendement lui était toujours uni, non-seulement. d'après l'union hypostalique, mais en raison delà jouissance de la béatitude. Il ne convenait donc pas au Christ de prier.

20
Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Lc 6,12) : Il arriva en ces jours-là que Jésus s'en alla sur la montagne pour prier, et il y passa toute la nuit en prières,


CONCLUSION. — Puisque la volonté humaine n'est pas efficace par elle-même, mais qu'elle a besoin du secours de la vertu divine, il convient au Christ comme homme de prier et de conjurer Dieu d'accomplir sa volonté.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit(2:' 2", quest. lxxxhi, art. 4 et 2), la prière est une manifestation de notre propre volonté que nous faisons à Dieu pour qu'il l'accomplisse. Si donc il n'y avait dans le Christ qu'une seule volonté, c'est-à-dire la volonté divine, il ne lui conviendrait de prier en aucune manière : parce que la volonté divine est par elle-même ta cause efficiente de ce qu'elle veut, d'après ces paroles du Psalmiste

(I l C'est ce que saint Thomas explique par la réponse suivante.

(2 O fait est constaté par l'Ecriture (
Mt 4, Mt 4,

,s'- cxxxiV, G) : Toutes les choses que Dieu a voulues, il les a faites. Mais parce que dans le Christ la volonté divine est autre que la volonté humaine, et que celle-ci n'est pas efficace par elle-même pour accomplir ce qu'elle veut et qu'elle ne l'est que par la vertu divine, de là il résulte qu'il convient au Christ de prier, selon qu'il est homme et qu'il a une volonté humaine.

31 Il faut répondre au premier argument, que le Christ pouvait faire tout ce qu'il voulait, comme Dieu, mais non comme homme; parce que comme homme il n'a pas eu la toute-puissance, ainsi que nous l'avons vu (quest. xiii, art. 1). Cependant, étant tout à la fois Dieu et homme, il a voulu adresser à son Père une prière, non par suite de son impuissance, mais pour notre instruction : 1" Pour nous montrer qu'il procède du Père; d'où il dit lui- même (Jn 3,42) : Je dis ceci, c'est-à-dire cette prière, à cause du peuple qui m'environne, afin qu'ils croient que vous m'avez envoyé. C'est ce qui fait dire à saint Hilaire (De Trin. lib. x, cire, fin.) : II n'a pas eu besoin de prier, mais il a prié à cause de nous, pour que nous sachions qu'il est le Fils de Dieu. 2° Pour nous donner l'exemple de la prière. D'où saint Ambroise dit (Sup. Luc. cap. vi, sup. illud : Erat pernoctans) : Ne prêtez pas une oreille insidieuse, comme si vous pensiez que le Fils de Dieu prie à la façon d'un infirme pour obtenir ce qu'il ne peut faire lui-même. Car il est l'auteur de la puissance, mais il est aussi notre maître en fait d'obéissance, et par son exemple il nous apprend à pratiquer les préceptes de cette vertu. C'est pourquoi saint Augustin dit (Sup. Jean, tract, civ) : Le Seigneur pouvait, sous la forme de l'esclave, prier en silence, s'il en avait eu besoin, mais il a voulu se montrer adressant des prières à son Père, pour nous rappeler qu'il était notre docteur.

32 Il faut répondre au second, que parmi les autres choses que le Christ a sues comme futures, il savait que beaucoup de choses devaient être faites en vertu de son oraison (1), et il les a demandées à Dieu sans la moindre inconvenance.

33
Il faut répondre au troisième, que l'ascension n'est rien autre chose qu'un mouvement vers ce qui est en liant. Or, le mouvement s'entend de deux manières, comme on le voit (De an. lib. m, text. 28) : 1° D'une manière propre, selon qu'il implique qu'on passe de la puissance à l'acte, en tant qu'il est l'acte d'une chose imparfaite. 1l convient ainsi de s'élever à ce qui est capable de monter, mais qui ne monte pas en acte. L'intellect humain dans le Christ, comme le dit Saint Jean Damascène (loc. cit. in arg.), n'a pas ainsi besoin de s'élever vers Dieu, puisqu'il lui est toujours uni personnellement et par la contemplation bienheureuse. 2° On appelle mouvement ce qui est l'acte d'une chose parfaite, c'est-à-dire existant en acte; c'est ainsi que l'intelligence et le sentiment sont des mouvements. De cette manière l'intelligence du Christ monte toujours vers Dieu, parce qu'elle le contemple toujours comme existant au-dessus d'elle (2).

(I Ainsi la prière du Christ n'a pas été absolument nécessaire, elle ne l'a été qu'hypotliétiquement, c'est-à-dire relativement à l'ordre providentiel établi par le l'ère et qui veut que l'on n'obtienne certaines choses que par la prière.

12) Quoique le Christ prie pour nous, l'Eglise défend dans les prières publiques de dire : Christe, ora pro nobis, pour éviter l'erreur des nestoriens et dos arion i qui prétendaient que le Christ était simplement ini homme. En nous adressant au Christ, c'est à la personne divine que nous nous adressons, et il lui appartient, non pas do demander, niais de donner. C'est pour cola que nous disons: Christe, exaudi nos; miserere nobis.



ARTICLE II.—la prière convient-elle AU christ selon son appétit sensitif?

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1 Il semble que la prière convienne au Christ selon son appétit sensitif. Car le Psalmiste fait dire au Christ (
Ps 88,3) : Mon cœur et via chair ont tressailli vers le Dieu vivant. Or, on donne le nom d'appétit sensitif à l'appétit de la chair. L'appétit sensitif a donc pu s'élever dans le Christ vers le Dieu vivant en tressaillant et aussi en priant.

2 La prière paraît appartenir au principe qui désire ce que l'on demande. Or, le Christ a demandé quelque chose que son appétit sensitif a désiré, quand il a dit : Que ce calice s'éloigne de moi, comme le rapporte l'Evangile (Mt 24,39). L'appétit sensitif du Christ a donc prié.

3 C'est une plus grande chose d'être uni à Dieu en personne que de s'élever vers lui par la prière. Or, l'appétit sensitif a été pris par Dieu dans l'unité de la personne, comme toute autre partie de la nature humaine. A plus forte raison a-t- il put s'élever vers Dieu par la prière.

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Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Phil, n) : que le Fils de Dieu d'après la nature qu'il a prise est devenu semblable aux hommes. Or, les autres hommes ne prient pas d'après leur appétit sensitif. Le Christ n'a donc pas prié non plus de la sorte.


CONCLUSION. —¦ La prière étant un acte de la raison et une élévation de l'âme vers Dieu, il ne convient pas au Christ de prier d'après son appétit sensitif, sinon en tant que sa prière exprime, comme son avocate, l'affection de cette partie de son âme.

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Il faut répondre qu'on peut entendre la prière par rapport à l'appétit sensitif de deux manières : 1° On peut entendre que la prière soit un acte de la sensitivité. De cette manière le Christ n'a pas prié par cette partie de son âme; parce que l'appétit sensitif a été en lui de même nature et de même espèce qu'en nous. Or, en nous l'appétit sensitif ne peut pas prier pour une double raison : 1° Parce que le mouvement de l'appétit sensitif ne peut pas s'élever au-dessus des choses sensibles. C'est pourquoi il ne peut pas s'élever vers Dieu, ce que la prière exige. 2° Parce que la prière implique un certain ordre, selon que nous désirons quelque chose qui doit être en quelque sorte accompli par Dieu. Il n'y a que la raison qui perçoive cet ordre, et par conséquent elle est un acte de cette faculté, comme nous l'avons vu (2:1 2", quest. lxxxiii, art. i). — 2° On peut dire que l'on prie selon l'appétit sensitif, parce que dans la prière que l'on fait à Dieu on lui expose ce que l'on éprouve dans cette partie de l'âme. Le Christ a prié de la sorte selon son appétit sensitif, dans le sens que sa prière exprimait les affections de cette partie de son âme, comme si elle en eût été l'avocate; et il l'a fait pour notre instruction : pour nous montrer : 1° qu'il avait pris véritablement la nature humaine avec toutes ses affections naturelles; 2° qu'il est permis à l'homme selon son affection naturelle de vouloir quelque chose que Dieu ne veut pas; 3° qu'il doit soumettre son affection propre à la volonté divine. D'où saint Augustin dit (Ps 32, conc. 4) : Le Christ étant homme montre une volonté particulière, quand il dit : Que ce calice s'éloigne de moi. Car telle était la volonté humaine voulant quelque chose qui lui est propre, et agissant pour ainsi dire dans son domaine privé. Mais parce qu'il veut que l'homme ait le cœur droit et qu'il soit dirigé vers Dieu, il ajoute : Cependant que ce ne soit pas ma volonté mais la v être qui se fasse : comme s'il disait : apprenez de moi que vous pouvez vouloir une chose qui vous est propre, quoique Dieu en veuille une autre.

31 Il faut répondre au premier argument, que la chair tressaille pour le Dieu vivant, non par l'acte de la chair qui s'élève vers lui, mais parce que le cœur réagit sur le corps, selon que l'appétit sensitif suit le mouvement de l'appétit raisonnable.

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Il faut répondre au second, que quoique l'appétit sensitif ait voulu ce que la raison demandait, ce n'était pas à l'appétit sensitif à le demander par la prière, mais c'était à la raison, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

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Il faut répondre au troisième, que l'union en personne est selon l'être personnel qui appartient à toutes les parties de la nature humaine; au lieu que l'élévation de la prière est produite par un acte qui ne convient qu'à la raison, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Il n'y a donc pas de parité.



ARTICLE III. — a-t-il été convenable que le christ pria pour lui (1)?

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1 Il semble qu'il n'ait pas convenu au Christ de prier pour lui. Car saint Hilaire dit (De Trin. lib. x, circ. fin.) : Puisque sa prière ne lui était pas profitable, il parlait du moins clans l'intérêt de notre foi. Par conséquent il semble que le Christ n'ait pas prié pour lui, mais pour nous.

2
On ne prie que pour ce que l'on veut ; parce que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), la prière est la manifestation d'une volonté qui doit être accomplie par Dieu. Or, le Christ voulait souffrir ce qu'il souffrait. Car saint Augustin uit (Cont. Faust, lib. xxvi) : Ordinairement l'homme se fâche, quoiqu'il ne le veuille pas; il s'attriste, quoiqu'il ne le veuille pas; il dort, quoiqu'il ne le veuille pas ; il a faim et soif, quoiqu'il ne le veuille pas. Mais le Christ a fait toutes ces choses, parce qu'il l'a voulu. Il ne lui convenait donc pas de prier pour lui.

3
Saint Cyprien dit (Lib. de orat. Dom.) : Le docteur de la paix et le maître de l'unité n'a pas voulu prier à part et en particulier pour que. quand on prie, on ne prie pas que pour soi. Or, le Christ a accompli ce qu'il a enseigné, d'après ces paroles de l'Evangile (Jn 1,1) : Jésus commença à faire et à enseigner. Le Christ n'a donc jamais prié pour lui seul.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit en priant (Jean, xvii, -1) : Glorifiez votre Fils.


CONCLUSION. — Le Christ a prié pour lui-même en exprimant non-seulement les affections de son appétit sensitif ou de sa simple volonté, mais encore celles de sa volonté délibérée, pour nous donner l'exemple de la prière et nous montrer que son Père est l'auteur de tout bien.

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Il faut répondre que le Christ a prié pour lui-même de deux manières : -1° en exprimant les affections de son appétit sensitif, comme nous l'avons dit (art. préc.), ou de sa volonté simple qui est la volonté comme nature, comme quand il a demandé que le calice de sa passion soit éloigné de lui. 2° En exprimant le sentiment de sa volonté délibérée qui est considérée comme la raison, comme quand il a demandé la gloire de sa résurrection. Et cela est très-raisonnable. Car, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 1), le Christ a voulu adresser des prières à son Père pour nous en donner l'exemple et pour montrer que son Père est son auteur dont il procède éternellement selon sa nature divine, et dont il tient tout ce qu'il a de bon selon sa nature humaine. Or, comme il avait dans sa nature humaine des biens qu'il avait reçus de son Père, de même il attendait de lui des biens qu'il ne possédait pas encore, mais qu'il devait recevoir. C'est pourquoi comme il rendait grâces à son Père pour les biens qu'il avait déjà reçus dans sa nature humaine, en le reconnaissant pour leur auteur, ainsi qu'on le voit (Mt 26 et Jn 11) ; de même il le priait aussi en lui demandant ce qui lui manquait selon sa nature humaine, comme la gloire du corps et les autres choses semblables. II nous a encore donné par-là l'exemple, pour que nous rendions grâces à l'égard des bienfaits que nous avons reçus, et que nous demandions par la prière les biens que nous ne possédons pas encore.

(I) Les théologiens examinent encore si le Christ prie maintenant son Père, en lui demandant expressément les choses nécessaires à notre saint. Médina, Vasque/ et d'autres théologiens le nient, prétendant qu'il se borne à présenter son humanité et ses mérites à son l'ère, pour le porter par-là à nous accorder ses bienfaits. L'autre sentiment nous parait plus conforme à l'Ecriture et à la tradition (Vid. Hom. viii): Qui est ad dexteram Dei, etc. [Hebr. 3) : Semper vivens ad interpellandum (Cf. saint. (íiég. in S psal, poenit. saint Ambroise in cap. 8 ad Rom. saint Aug. in Psal. 8*j).

31 Il faut répondre au premier argument, que saint Hilaire parle delà prière vocale qui n'était pas nécessaire au Christ pour lui-même, mais seulement à cause de nous. D'où il dit expressément que la prière ne lui était pas profitable. Car si le Seigneur exauce le désir des pauvres, comme le dit le Psalmiste (Ps 9), à plus forte raison la volonté seule du Christ eût-elle eu près de son Père la puissance de la prière : c'est pourquoi il dit (Jn 11,42) : Je savais que vous m*écoutez toujours, mais j'ai parlé à cause du peuple qui m'environne, pour qu'ils croient que c'est vous qui m'avez envoyé.

32 Il faut répondre au second, que le Christ voulait souffrir ce qu'il souffrait à cette époque, mais il voulait néanmoins qu'après sa passion il obtînt la gloire du corps qu'il n'avait pas encore. Il attendait cette gloire de son Père, comme de son auteur; c'est pourquoi il était convenable qu'il la lui demandât.

33
Il faut répondre au troisième, que la gloire que le Christ demandait dans ses prières regardait le salut des autres, d'après ces paroles de saint Paul (Hom. iv, 25) : Il est ressuscité à cause de notre justification. C'est pourquoi cette prière qu'il faisait pour lui-même se rapportait d'une certaine manière aux autres; comme tout homme qui demande à Dieu du bien pour s'en servir dans l'intérêt des autres, ne prie pas seulement pour lui, mais il prie encore pour les autres.



ARTICLE IV. — LA PRIÈRE DU CHRIST A-T-ELLE TOUJOURS ÉTÉ EXAUCÉE?

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1 II semble que la prière du Christ n'ait pas toujours été exaucée. Car il a demandé que le calice de sa passion fût éloigné de lui, comme on le voit (
Mt 26), et cependant il ne l'a pas été. Il semble donc que toutes ses prières n'aient pas été exaucées.

2 Il a demandé à son Père de pardonner leur péché à ses bourreaux (Lc 22). Cependant ce péché n'a pas été pardonné à tout le monde, puisque les Juifs ont été punis pour ce crime. Il semble donc que ses prières n'aient pas toujours été exaucées.

3 Le Seigneur a prié pour ceux qui devaient croire en lui sur la parole des Apôtres, afin qu'ils ne fussent tous qu'un en lui et qu'ils parvinssent à être avec lui. Or, tous n'y parviennent pas. Toutes ses prières n'ont donc pas été exaucées.

4
Le Psalmiste fait dire au Christ (Ps 21,3) : Je crierai pendant le jour et vous ne m'exaucerez pas.

20 Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (He 5,7): Ayant offert avec de grands eris et avec larmes ses prières, il a été exaucé à cause de son humble respect pour son Père (1).


CONCLUSION. — La volonté absolue du Christ ayant toujours été conforme à Dieu, sa prière a toujours été exaucée par son Père.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. arg. 2), la prière est d'une certaine manière l'expression de la volonté humaine. La prière de celui qui prie est donc exaucée quand sa volonté est accomplie. La volonté absolue de l'homme est la volonté de raison ; car nous voulons absolument eoque nous voulons d'après une raison délibérée. Ce que nous voulons d'après le mouvement de l'appétit sensitif, ou d'après le mouvement de la volonté simple qu'on appelle volonté comme nature, nous ne le voulons pas absolument, mais sous un rapport, c'est-à-dire si rien ne s'y oppose de la part de la raison délibérée. Par conséquent on doit plutôt appeler cette volonté une velléité qu'une volonté absolue; c'est-à-dire que l'homme voudrait cela, si une autre chose ne s'y opposait. Or. selon la volonté de raison, le Christ n'a rien voulu autre chose que ce qu'il a su que Dieu voulait. C'est pourquoi toute volonté absolue du Christ, même humaine, a été accomplie, parce qu'elle a été conforme à Dieu; et par conséquent toutes ses prières ont été exaucées. Car les prières des autres sont accomplies selon que leurs volontés sont conformes à Dieu, d'après ces paroles de saint Paul (AEom. viii, 27) : Celui qui pénètre le fond des cœurs, sait, c'est-à-dire approuve, ce que V Esprit désire ou ce qu'il fait désirer aux saints, parce qu'il demande pour les saints selon Dieu, c'est-à-dire conformément à la volonté divine.

(I) L'efficacité de la prière du Christ est aussi désignée par ces paroles (Jean. Xl) : Quaecumque poposceris à Deo, dabit Ubi Deus... Ego autem sciebam quid semper me audis.

31
II faut répondre au premier argument, que cette prière par laquelle le Christ demande que son calice soit éloigné est entendue de différentes manières par les Pères. Car saint Hilaire dit (Sup. Matth, can. xxvi) : qu'en demandant qu'il s'éloigne de lui, il ne demande pas qu'il en soit exempt, mais qu'en «'éloignant de lui, il passe à un autre. C'est pourquoi il prie pour ceux qui demandent à souffrir après lui. Ainsi le sens de ce passage serait celui-ci : Comme je bois ce calice de ma passion, qu'ainsi les autres le boivent sans se désespérer, sans ressentir de douleur et sans craindre la mort(l). Ou bien d'après saint Jérôme (sup. hunc loc.) il dit expressément: ce calice, c'est-à-dire le peuple juif qui me met à mort, sans pouvoir s'excuser sur son ignorance, puisqu'il a la loi et les prophètes qui tous les joars m'annoncent. Ou bien d'après saint Denis d'Alexandrie (hab. in Cat. Graec.) : Eloignez de moi ce calice; ce qui ne signifie pas : que cela n'arrive point : car s'il n'arrivait pas on ne pourrait l'éloigner; mais comme ce qui passe effleure sans s'arrêter, de même le Sauveur désire que la tentation qui l'attaque légèrement soit dissipée. Saint Ambroise (Sup. illud Luc. xxii : Pater, si vis, etc.), Origène (Tract, xxxv in ) et saint Chrysostomo (Hom. lxxxiv in ), disent que le Christ a fait cette demande, comme s'il eût repoussé la mort par sa volonté naturelle (2). Par conséquent si l'on conçoit qu'il ait demandé par-là que les autres martyrs soient les imitateurs de sa passion, d'après saint Hilaire (loc. sup. cit.), ou que la crainte de boire le calice ne le trouble pas, ou que la mort ne le retienne pas captif, ce qu'il a demandé s'est tout à fait accompli. Mais si l'on entend qu'il a demandé de ne pas boire le calice de la mort ou de la passion, ou de ne pas le boire de la main des Juifs, ce qu'il a demandé n'est pas arrivé en effet, parce que la raison qui a présenté cette demande ne voulait pas que cela s'accomplît, mais pour notre instruction il voulait nous faire connaître sa volonté naturelle, et le mouvement de l'appétit sensitif qu'il éprouvait comme homme.

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Il faut répondre au second, que le Seigneur n'a pas prié pour tous ses bourreaux, ni pour tous ceux qui devaient croire en lui, mais seulement pour ceux qui étaient prédestinés (3), afin que par lui ils arrivassent à la vie éternelle.

(1) Cette explication et la suivante nous paraissent forcées.
(2) C'est l'interprétation la plus généralement reçue et celle qui est aussi le plus confirme au texte.

to II est évident que saint Thomas ne parle ici

33
La réponse au troisième argument est donc par là même évidente.

34
Il faut répondre au quatrième, que quand le Christ dit : Je crierai et vous ne m'exaucerez pas, ceci doit s'entendre de la volonté sensitive qui redoutait la mort; mais il est exaucé quant à sa volonté de raison, comme nous l'avons dit (in corp.).





QUESTION 22: DU SACERDOCE DU CHRIST.

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Après avoir parlé de la prière du Christ, nous avons à nous occuper de son sacerdoce, et à cet égard six questions se présentent : 1* Convient-il au Christ d'être prêtre? — 2" De la victime offerte par ce sacerdoce. — 3" I)e l'effet de ce sacerdoce. — 4U L'effet de son sacerdoce se rapporte-t-il à lui-même ou seulement aux autres? —

De l'éternité de son sacerdoce. — 6" Doit-il être appelé prêtre selon l'ordre de Melchisédech ?



ARTICLE I. — convient-il au christ d'être prêtre (1)?

441
1 Il semble qu'il ne convienne pas au Christ d'être prêtre. Car un prêtre est au-dessous d'un ange; d'où le prophète dit (
Za 3,4) : Dieu m'a fait voir le grand prêtre qui se tenait debout devant l'ange du Seigneur. Or, le Christ est supérieur aux anges, d'après saint Paul, qui dit (He 1,4) qu'il est aussi élevé au-dessus des anges que le nom qu'il a reçu est plus excellent que le leur. Il ne convient donc pas au Christ d'être prêtre.

2 Les choses qui ont existé dans l'Ancien Testament ont été des figures du Christ, d'après ces paroles de L’Apôtre(Col 2,17) : Elles ne sont qu'une ombre de ce qui doit arriver, le corps et la vérité ne se trouvant que dans le Christ. Or, le Christ n'a pas tiré son origine charnelle des prêtres de l'ancienne loi, puisque saint Paul dit (He 7,14) : Il est évident que Notre- Seigneur est sorti de Juda, qui est une tribu à laquelle Moïse n'a jamais attribué le sacerdoce. Il ne convenait donc pas au Christ d'être prêtre.

3 Sous l'ancienne loi. qui est la figure du Christ, le même ne fut pas législateur et prêtre. D'où le Seigneur dit à Moïse le législateur (Ex 28,1): Faites approcher de vous Aaron voire frère.... afin qu'il exerce en mon honneur les fonctions du sacerdoce. Or, le Christ est l'auteur d'une loi nouvelle, d'après ces paroles du prophète (Hier- xxxi, 33) : J'écrirai ma loi dans leur cœur. Il n'a donc pas été convenable que le Christ fût prêtre.

20 Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (He 4,14): Nous avons un pontife, qui est entré dans le ciel, Jésus Fils de Dieu (2).


CONCLUSION. — Puisque le Christ a été médiateur entre Dieu et les hommes, quant à la réconciliation, et que les dons de Dieu nous sont accordés par lui, il lui convient éminemment d'être prêtre.

21 Il faut répondre que l'office propre du prêtre, c'est d'être médiateur entre Dieu et le peuple, selon que d'une part il transmet au peuple les choses divines, d'où est venu le nom de sacerdos, qui signifie en quelque sorte sacra dans (donnant les choses sacrées), d'après ce passage du prophète (Ml 2,7) : C'est de sa bouche que l'on recherchera la loi de Dieu; tandis que d'une autre part il offre à Dieu les prières du peuple et qu'il satisfait à Dieu d'une certaine manière pour leurs péchés. D'où saint Paul dit Hebr. 5. 1) : Tout pontife étant pris d'entre les hommes, est établi pour eux, en ce qui regarde le culte de Dieu, afin qu'il offre des dons et des sacrifices pour les péchés. Or, c'est principalement ce qui convient au Christ. Car par lui les dons de Dieu ont été communiqués aux hommes, suivant ce passage de saint Pierre (2. Pit. 1, 4) : C'est par le Christ que Dieu nous a communique les biens si grands et si précieux qu'il nous avait promis, pour que vous soyez par la même participants de la nature divine. C'est aussi lui qui a réconcilié le genre humain avec Dieu, d'après ces paroles de saint Paul (Col 1,19) : a a piu au j>ere de faire résider toute plénitude dans le Christ et de réconcilier par lui toutes choses. Il convient donc par excellence au Christ d'être prêtre.

que delà volonté absolue et efficace du Christ, ei que ce passage ne favorise en rien l'erreur de lansénius, qui dit que le Christ n'est pas mort pour tous les hommes.

II Cet article est une réfutation de l'erreur dessocinicns, qui prétendaient que le Christ n'avait pas été prêtre sur la terre, mais qu'il ne l'était qu'au ciel, et que, par conséquent, sa mort n'avait pas été un vrai sacrifice, mais une préparation au sacrifice.

(2i On peut lire sur ce point presque toute V Epitre aux Hébreux, et principalement les chapitres 7 et 8, qui sont une réfutation sans réplique de l'erreur des socinions.

31 II faut répondre au premier argument, que la puissance hiérarchique convient aux anges, en tant qu'ils tiennent le milieu entre Dieu et les hommes, comme on le voit par saint Denis [De coel. hier. cap. 9); de telle sorte que le prêtre lui-même, selon qu'il est médiateur entre Dieu et le peuple, reçoit le nom d'ange. Ainsi le prophète l'appelle (Ml 2,7) : L'ange du Seigneur des armées. Or, le Christ est plus grand que les anges, non- seulement selon la divinité, mais encore selon l'humanité; parce qu'il a eu la plénitude de la grâce et de la gloire. Par conséquent il a eu sur les anges la puissance hiérarchique ou sacerdotale d'une manière plus excellente; de sorte que les anges ont été eux-mêmes les ministres de son sacerdoce (1), d'après l'Evangile, qui dit (Mt 4,2)que les anges s'approchèrent et qu'ils le servaient. Cependant, selon la passibilité de sa chair, il a été un peu inférieur aux anges, comme le dit saint Paul (He 2,9) : sous ce rapport il a été semblable aux hommes qui sont élevés ici-bas à son sacerdoce.

32 Il faut répondre au second, que, selon l'observation de saint Jean Damascène (De orth. fui. lib. ni, cap. 26), ce qui est semblable en tout est absolument identique et n'est plus un exemple. Ainsi parce que le sacerdoce de la loi ancienne était la figure du sacerdoce du Christ, il n'a pas voulu naître de la race des prêtres qui le figuraient (2), pour montrer que son sacerdoce n'est pas absolument le même, mais qu'il en diffère, comme la vérité diffère de la figure.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. viii), les autres hommes ont en particulier certaines grâces; au lieu que le Christ, comme le chef de toute l'humanité, a la perfection de toutes les grâces. C'est pourquoi quand il s'agit des autres hommes, il faut que l'un soit législateur, un autre prêtre, un autre roi; au lieu que toutes ces choses se rencontrent dans le Christ, comme dans la source de toutes les grâces. D'où il est dit (Is 33,22) : Le Seigneur notre juge, le Seigneur notre législateur, le Seigneur notre roi viendra lui-même et nous sauvera.



ARTICLE II. — le christ a-t-il 1íté tout à la fois prêtre et victime (3)?

442
1 Il semble que le Christ n'ait pas été tout à la fois prêtre et victime. Car il appartient au prêtre de tuer la victime. Or, le Christ ne s'est pas tué lui- même. Il n'a donc pas été tout, à la fois prêtre et victime.

(I) Toute la vie du Christ sur la terre ayant été une oblation, c'est pour cela, comme l'observe Cajél«n , que les auges qui le servirent après son jcùuc sont appelés les ministres de son sacerdoce.
(2) Le Christ appartenait aussi k la tige sacerdotale, connue on le voit d'après la généalogie de saint Luc.
(5) On peut voir ace sujet V Epitre aux Hébreux , principalement le chap. 9 et le concile de Trente (sess, xxii, cap. t).

2
Le sacerdoce du Christ ressemble plus au sacerdoce des Juifs, qui avait été établi par Dieu, qu'au sacerdoce des gentils par lequel ils offraient un culte aux démons. Or, sous l'ancienne loi, jamais un homme n'était offert en sacrifice; ce que l'on blâme tout particulièrement dans les sacrifices des païens, d'après le Psalmiste qui s'écrie (Ps 105,38) : Ils ont répandu le sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles qu'ils sacrifièrent aux idoles de Chanaan. Dans le sacerdoce du Christ l'Homme-Dieu n'a donc pas dû être lui-même la victime.

3 Toute victime par là même qu'elle est offerte à Dieu est sanctifiée pour lui. Or, l'humanité du Christ a été sanctifiée dès le commencement et unie à Dieu. On ne peut donc pas dire, avec raison, que le Christ, comme homme, a été victime.

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Mais c'est le contraire. L’Apôtre dit (Ep 5,2): Le Christ nous a aimés et. s'est livré pour nous à Dieu, comme une oblation et une victime d'une agréable odeur.



CONCLUSION. — Puisque c'est par le Christ que les péchés des hommes ont été clïacés, que la grâce leur a été donnée et qu'ils sont arrivés à la perfection de la gloire, le Christ, en tant qu'homme, n'a pas été seulement prêtre, mais il a encore été un sacrifice et une hostie parfaite, c'est-à-dire qu'il a été victime pour le péché, hostie pacifique et holocauste.

21 Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. x, cap. 5), tout sacrifice visible est le sacrement, c'est-à-dire le signe sacré du sacrifice invisible. Le sacrifice invisible est celui par lequel l'homme offre à Dieu son esprit, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 1,19) : Un sacrifice agréable à Dieu, c'est v n esprit cifjligé. C'est pourquoi tout ce que l'on témoigne à Dieu, pour que l'esprit de l'homme s'élève vers lui, peut être appelé un sacrifice. L'homme a donc besoin du sacrifice pour trois motifs : 4° pour la rémission du péché par lequel il est détourné de Dieu, et c'est ce qui fait dire à L’Apôtre(He 5,1) qu'il appartient au prêtre d'offrir des dons et des sacrifices pour les péchés. 2° Pour que l'homme soit conservé dans l'état de grâce et qu'il reste toujours attaché à Dieu, en qui se trouve et son salut et sa paix. C'est pour cela que dans l'ancienne loi on immolait une hostie pacifique pour le salut de ceux qui l'offraient, comme on le voit (Lv 3). 3° Pour que l'esprit de l'homme soit uni parfaitement à Dieu ; ce qui aura surtout lieu clans la gloire. C'est de là que sous l'ancienne loi on offrait un holocauste, c'est-à-dire une victime qui était totalement brûlée, comme il est dit (Lv 1). Le Christ nous a procuré tous ces biens par son humanité. En effet, 1° nos péchés ont été effacés, d'après saint Paul qui dit (Rm 4,25) qu'il a été livré à cause de nos iniquités. 2° Nous avons reçu par lui la grâce qui nous sauve, selon ces paroles du même apôtre (Hebr, y, 9) : Il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent. 3° Nous avons obtenu par-là la perfection de la gloire (He 10,19) : Car nous avons par son sang la liberté d'entrer avec confiance dans le Saint, c'est-à-dire dans la gloire céleste. C'est pourquoi le Christ lui-même, en tant qu'homme (1), n'a pas été seulement prêtre, mais il a encore été une hostie parfaite, étant tout à la fois victime pour le péché, hostie pacifique et holocauste (2).

31 Il faut répondre au premier argument, que le Christ ne s'est pas tué, mais il s'est exposé volontairement à la mort (1), d'après ce mot du prophète (Is 53,7) : Il s'est offert, parce qu'il l'a voulu. C'est pourquoi on dit qu’il s'est, offert lui-même.

1) Il est à remarquer que c'est comme homme que le Christ a été prêtre et victime, autrement il aurait offert son sacrifice à lui-même : ce qui répugne. Cependant, en vertu de la communication des idiomes, on lui donne absolument le nom de prêtre.

2 Ce sont les trois sortes de sacrifice qui existaient dans l'ancienne loi (Voy. tom. Iii, p. 48!);.

32 Il faut répondre au second, que le meurtre de l'Homme-Dieu peut se considérer par rapport à deux sortes de volonté. 1° On peut le considérer par rapport à la volonté de ceux qui l'ont fait périr, et dans ce sens on ne peut pas dire qu'il ait le caractère d'une victime. Car on ne dit pas que les meurtriers du Christ ont offert à Dieu une hostie, mais qu'ils ont fait un grand crime. Les sacrifices impies des gentils, par lesquels ils offraient des hommes aux idoles, avaient de l'analogie avec ce péché. 2" On peut le considérer par rapport à la volonté de celui qui le souffrait et qui s'est volontairement offert à cette passion. Sous ce rapport son immolation a été celle d'une victime, mais elle n'a rien de commun avec les sacrifices des gentils.

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Il faut répondre au troisième, que la sainteté qu'a eue l'humanité du Christ dès le commencement, n'a pas empêché que la nature humaine, lorsqu'elle a été offerte à Dieu dans la passion, ne fût sanctifiée d'une nouvelle manière, c'est-à-dire en tant qu'hostie actuellement offerte. Car elle a acquis comme victime cette sanctification actuelle par l'ancienne charité et par la grâce d'union qui la sanctifie absolument.




III Pars (Drioux 1852) 420