III Pars (Drioux 1852) 464

ARTICLE IV. — le christ, comme homme, est-il le fils adoptif de dieu (4)?

464
1 Il semble que le Christ, comme homme, soit le Fils adoptif de Dieu. Car saint Hilaire dit en parlant du Christ (De Trin. lib. n) : La dignité de sa puissance n'est pas perdue, quand il adopte l'humilité delà chair. Le Christ, comme homme, est donc le Fils adoptif de Dieu.

(t) On doit prendre ici te mot raisonnable dans toute son extension, et entendre par là les créatures intellibentes.
(2) Nicolaï a substitué ici le mot propriè au mot primo, qui se trouve dans les autres éditions; ce qui signifie que ce privilège n'est pas propre aux anges, mais qu'il appartient aussi aux hommes. Le mot primo n'aurait de sens qu'en le prenant pour principaliter.
(3) Tous ne seront pas sauvés, mais tous pourraient l'être.
(4) Cet article est une réfutation des erreurs

2
Saint Augustin dit (Lib. de praedest. sanct. cap. 43) : que tout homme devient chrétien dès le commencement de sa foi, par la même grâce par laquelle l'homme qui est en Jésus-Christ est fait Christ. Or, les autres hommes sont chrétiens par la grâce d'adoption. L'homme qui est dans le Christ est donc Christ par adoption, et par conséquent il paraît qu'il soit le Fils adoptif de Dieu.

3
Le Christ, comme homme, est esclave. Or, il est plus noble d'être fils adoptif qu'esclave. Par conséquent à plus forte raison le Christ, comme homme, est-il Fils adoptif.

20
Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (Lib. de ineam, cap. 8) : Nous ne disons pas que le fds adoptif est fds par nature, mais nous disons fils par nature celui qui est le fds véritable. Or, le Christ est le Fils véritable et naturel de Dieu, d'après ces paroles de saint Jean (21. 20) : Pour que nous soyons en Jésus-Christ son vrai Fils. Le Christ comme homme n'est donc pas le Fils adoptif de Dieu.



CONCLUSION. — Puisque la filiation n'appartient pas à la nature, mais à la personne qui est unique et incréée dans le Christ, d'après laquelle il est appelé te Fils naturel de Dieu, il n'est pas permis de dire qu'il est son Fils adoptif.

21
Il faut répondre que la filiation convient proprement à l'hypostase ou à la personne, mais non à la nature. D'où nous avons dit (part. I, quest. xxxiii, art. 2 et 3) que la filiation est une propriété personnelle. Or, dans le Christ il n'y a pas une autre personne ou une autre hypostase que la personne ou l'hypostase incréée à laquelle il convient d'être fils par nature. Nous avons vu d'ailleurs (art. préc.) que la filiation adoptive est une participation ou une ressemblance de la filiation naturelle. Comme on ne dit pas que l'on reçoit par participation ce que l'on possède par soi-même, il s'ensuit que le Christ qui est le Fils naturel de Dieu ne peut être appelé d'aucune manière son Fils adoptif. Mais dans le système de ceux qui admettent dans le Christ deux personnes, ou deux hypostases, ou deux suppôts (4), rien n'empêcherait qu'on n'appelât raisonnablement l'homme-Christ le Fils adoptif de Dieu.

31
Il faut répondre au premier argument, que comme la filiation ne convient pas proprement à la nature, de même l'adoption ne lui convient pas non plus. C'est pourquoi quand on dit que l'humiliation de la chair a été adoptée, cette locution est impropre ; cette adoption ne signifie pas autre chose que l'union de la nature humaine avec la personne du Fils.

32
Il faut répondre au second, que cette comparaison de saint Augustin doit s'entendre quant au principe, parce que comme tout homme obtient d'être chrétien sans l'avoir mérité, de même cet homme a été fait Christ sans que ses mérites y aient contribué. Il y a cependant cette différence quant au terme, c'est que le Christ par la grâce de l'union est le Fils naturel de Dieu, au lieu qu'un autre homme par la grâce habituelle en est le fils adoptif. Mais la grâce habituelle dans le Christ n'en fait pas un fils adoptif, puisqu'elle est dans son âme un effet de la filiation naturelle, d'après ces paroles de saint Jean (Jn 1,44) : Nous voyons la gloire de celui qui est comme le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité.

33 Il faut répondre au troisième, 'qu'il n'appartient pas seulement à la personne, mais encore à la nature d'être une créature et d'être soumise à Dieu, ce qu'on ne peut dire de la filiation (1). C'est pourquoi il n'y a pas de parité.

d'Arius, <le Nestorius , de l'hotin, de Félix d'Ur- gel et d'Elipand de Tolède, au sujet du Christ considère comme le Fils de Dieu.

(!) Ce fut l'erreur d'Arius et de Nestorius; Photin. qui n'eut faisait qu'un homme, niait qu'il fût autre chose que le Fils adoptif de Dieu.





QUESTION 24: DE LA PRÉDESTINATION DU CHRIST.

480
Après avoir parlé de l'adoption du Christ, nous devons nous occuper de sa prédestination. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Le Christ a-t-il été prédestiné?— 2° A-t-il été prédestiné comme homme? — 3° Sa prédestination est-elle le modèle de la nôtre? — 4° En est-elle la cause ?



ARTICLE I. — convient-il au c1iuist d'être prédestiné (2)?

481
1 Il semble qu'il ne convienne pas au Christ d'être prédestiné. Car la prédestination paraît avoir pour terme l'adoption, d'après saint Paul qui dit (Eph. 1, 5) : Il nous a prédestinés pour être ses enfants adoptifs. Or, il ne convient pas au Christ d'être un enfant adoptif, comme nous l'avons dit (quest. préc.). Il ne lui convient donc pas non plus d'être prédestiné.

2
Dans le Christ il y a deux choses à considérer, la nature humaine et la personne. Or, on ne peut pas dire qu'il soit prédestiné en raison de la nature humaine, car il est faux de dire que la nature humaine est le fils de Dieu. On ne peut pas le dire non plus en raison de la personne; parce que cette personne n'est pas le fils de Dieu par grâce, mais par nature, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xxiii, art. 4 et 5). Le Christ n'a donc pas été prédestiné pour être le Fils de Dieu.

3
Comme ce qui a été fait n'a pas toujours existé, il en est de même de ce qui est prédestiné, parce que la prédestination suppose une certaine antériorité. Or, parce que le Christ a toujours été Dieu et Fils de Dieu, on ne dit pas dans un sens propre que cet homme a été fait le fils de Dieu. Pour la même raison on ne doit donc pas dire que le Christ a été prédestiné pour être le Fils de Dieu.

20
Mais c'est le contraire. L’Apôtre dit en parlant du Christ (Rm 1,4): Qu'il a été prédestiné pour être le Fils de Dieu dans une souveraine puissance.

CONCLUSION. —Quoique l'union des natures dans la personne du Christ se soit faite dans le temps, cependant parce qu'elle a été préalablement ordonnée de toute éternité, on doit avouer que le Christ a été prédestiné.

21 Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (part. I, quest. xxiii, art. 1 et 5), la prédestination proprement dite est une préordination divine qui existe de toute éternité à l'égard des choses qui doivent être faites dans le temps par la grâce de Dieu. Ainsi la grâce d'union a opéré dans le temps le mystère par lequel l'homme est Dieu et Dieu est homme. On ne peut pas dire que Dieu n'a pas établi à l'avance de toute éternité que ce fait aurait lieu dans le temps ; parce qu'il en résulterait que l'entendement divin aurait appris quelque chose de nouveau. C'est pourquoi il faut dire que l'union même des natures dans la personne du Christ tombe sous la prédestination éternelle de Dieu, et que c'est en raison de cela qu'on dit que le Christ est prédestiné.

31
Il faut répondre au premier argument, que saint Paul par le en cet endroit de la prédestination par laquelle nous sommes prédestinés pour être les fils adoptifs de Dieu. Mais comme le Christ est le Fils naturel de Dieu d'une manière particulière qui n'appartient à aucune autre, de même il est aussi prédestiné d'une façon toute singulière.

(I) Il appartient à la nature d'être soumise à Dieu; c'est pourquoi on peut dire que le Christ est le serviteur de Dieu quant à sa nature humaine, mais on ne peut dire qu'il en est le Fils adoptif, parce que la filiation se rapporte à la personne, et que ce serait supposer les personnes inégales entre elles.
(2) Cet article a pour objet d'expliquer ce passage de saint Paul (Rom. I, 4) : Qut proedesti natus est Filins Dei in virtute secundum

spiritum sanctificationis, etc.

32
Il faut répondre au second, que, comme le dit la glose (ord. sup. illud : Qui praedestinatus est Filius), il y en a qui ont prétendu que la prédestination devait s'entendre de la nature et non de la personne, parce que c'est à la nature humaine qu'a été accordée la grâce d'être unie au Fils de Dieu dans l'unité de la personne. Mais d'après cela l'expression de L’Apôtre serait impropre, pour deux motifs : 4° Pour une raison générale; car nous ne disons pas que la nature de quelqu'un est prédestinée, mais le suppôt; parce qu'être prédestiné, c'est être dirigé vers le salut; ce qui appartient au suppôt qui agit (1) en vue de la béatitude. 2° Pour une raison spéciale : parce qu'il ne convient pas à la nature humaine d'être le (ils dé Dieu. Car il est faux de dire : La nature humaine est le fils de Dieu, à moins que par hasard, en forçant le sens, on ne veuille dire que ces paroles : Qui a été prédestiné pour être le fils de Dieu dans une souveraine puissance^ ne signifient qu'il a été prédestiné pour que la nature humaine fût unie au Fils de Dieu en personne. Il faut donc que la prédestination soit attribuée à la personne du Christ, non par rapport à elle-même ou selon qu'elle subsiste dans la nature divine, mais selon qu'elle subsiste dans la nature humaine. C'est pourquoi après avoir dit : Qui est né selon la chair de la race de David, L’Apôtre ajoute : Qui a été prédestiné pour être le Fils de Dieu selon la puissance (i), pour nous faire comprendre que, selon qu'il est né de la race de David quant à la chair, il a été prédestiné pour être le Fils de Dieu dans la puissance. Car quoiqu'il soit naturel à cette personne considérée en elle-même d'être le Fils de Dieu dans sa puissance, cependant cela ne lui est pas naturel selon la nature humaine d'après laquelle ce titre lui convient par la grâce d'union.

33
Il faut répondre au troisième, qu'Origène (Siip. hanc epist, ad Rom. cap. 4) dit que la lettre de ce passage est ainsi conçue: Qui destinatus est Filius Dei in virtute, de sorte qu'il ne désigne pas d'antériorité (3), et par conséquent il n'offre pas de difficulté. D'au très rapportent l'antériorité qui est désignée par le participe prédestiné, non pas à la prérogative d'être le Fils de Dieu, mais à sa manifestation, selon la manière ordinaire de s'exprimer dans les saintes Ecritures, où l'on dit que les choses sont faites quand elles sont connues, de sorte que le sens de ce passage c'est que le Christ a été prédestiné pour être manifesté comme étant le Fils de Dieu. Mais ce n'est pas ainsi que la prédestination se prend dans son sens propre. Car on dit que quelqu'un est proprement prédestiné selon qu'il est dirigé vers la fin de la béatitude. Or, la béatitude du Christ ne dépend pas de notre connaissance. C'est pourquoi il vaut mieux dire que cette antériorité qu'implique le mot prédestiné ne se rapporte pas à la personne en elle-même, mais à la personne en raison de la nature humaine; parce que cette personne, quoiqu'elle ait été de toute éternité le Fils de Dieu, cependant le Fils de Dieu n'a pas toujours été subsistant dans la nature humaine. D'où saint Augustin dit (Lib. de praedest. sanct. cap. 15) : Jésus a été prédestiné, pour que celui qui devait être le fils de David selon la chair, fût le Fils de Dieu en puissance. Et il est à remarquer que quoique le participe prédestiné implique une antériorité, comme le participe fait, ce n'est cependant pas dans le même sens. Car il appartient à une chose d'être faite, selon qu'elle existe en elle-même au lieu qu'il appartient à quelqu'un d'être prédestiné, selon qu'il existe dans la pensée de celui qui le prédestine. Or, ce qui appartient à une forme et à une nature selon la réalité peut être considéré ou selon qu'il existe dans cette forme ou d'une manière absolue. Comme il ne convient pas absolument à la personne du Christ d'avoir commencé d' être le Fils de Dieu, tandis que cela lui convient selon qu'on la conçoit comme existant dans la nature humaine (1), parce qu'il est arrivé un temps où le Fils de Dieu a commencé d'être existant dans la nature humaine; il s'ensuit que cette proposition : Le Christ a été prédestiné Fils de Dieu, est plus vraie que celle-ci : Le Christ a été fait Fils de Dieu (2).

(1) D'après l'axiome : Actiones sunt suppositorum.
(2) C'est-à-dire pour qu'il e t la puissance et la majesté du Fils véritable et naturel de Dieu.
(3) Ce sentiment est celui de plusieurs autres Pères grecs, entre autres de saint Chrysostome et de Tliéophilacte. Mais saint Thomas a eu raison de s'attacher à l'interprétation de saint Augustin, comme il l'a. fuit,



ARTICLE II. — CETTE PROPOSITION EST-ELLE FAUSSE : LE CHRIST, COMME HOMME, a ÉTÉ PRÉDESTINÉ POUR ÊTRE LE FILS DE DIEU (3)?

482
1 Il semble que cette proposition soit fausse : Le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu. Car chacun est dans un temps ce qu'il a été prédestiné d'être, parce que la prédestination de Dieu est infaillible. Si donc le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu, il semble s'ensuivre qu'il soit le Fils de Dieu, comme homme. Le conséquent étant faux, l'antécédent l'est aussi.

2
Ce qui convient au Christ comme homme, convient à tout autre homme, parce qu'il est de la même espèce que nous. Si donc le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu, il s'ensuivrait que cela convient à tout homme. Le conséquent étant faux, l'antécédent l'est aussi.

3
Ce qui doit être fait un jour dans le temps est prédestiné de toute éternité. Or, cette proposition : Le Fils de Dieu s'est fait homme, est plus vraie que celle-ci : L'homme a été fait fils de Dieu, comme nous l'avons vu (quest. xvi, art. 6 et 7). Par conséquent cette proposition : Le Christ, selon qu'il est Fils de Dieu, a été prédestiné pour être homme, est plus vraie que celle-ci : Le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de prxdest. sanct. cap. 15) : Nous disons que le Seigneur de la gloire a été prédestiné en tant que l'homme est devenu le Fils de Dieu.


CONCLUSION. — Puisque la nature humaine n'a pas toujours été unie au Verbe de Dieu et que cet avantage lui a été conféré par la grâce, le Fils de Dieu a été prédestiné par rapport à elle.

21
Il faut répondre que dans la prédestination on peut considérer deux choses : 1° L'une se rapporte à la prédestination éternelle elle-même, et sous ce rapport elle implique une certaine antériorité par rapport à ce qui est l'objet de la prédestination. 2° On peut considérer la prédestination relativement à son effet temporel, qui est un don gratuit de Dieu. On doit donc dire que sous ces deux rapports on attribue la prédestination au Christ en raison de la nature humaine toute seule. Car cette nature n'a pas toujours été unie au Verbe, et il lui a été donné par la grâce d'être unie au Fils de Dieu en personne. C'est pourquoi la prédestination ne convient au Christ qu'en raison de la nature humaine. D'où saint Augustin dit (loc. cit.) : L'élévation à laquelle la nature humaine a été prédestinée est si haute qu'il n'y avait pas lieu de la faire monter à un degré supérieur. Et comme nous disons que ce qui convient à quelqu'un en raison de sa nature humaine lui convient comme homme, il s'ensuit qu'il faut dire que le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu.

(M) la raison du nouveau mode d'être qu'elle a pris.
(2) D'après Billuart, le mot prédestiné s'entend du sujet pris formellement; c'est pourquoi il peut se dire du Christ, selon qu'il subsiste en deux natures; au lieu que le mot fait s'entend du sujet pris matériellement, et il ne pourrait se dire du Christ qu'en se rapportant à In personne ; ce qui rend cette expression fausse.
(5) Cette proposition est vraie si, par le nom d'homme, 0Il entend la nature humaine.

31
Il faut répondre au premier argument, que, quand on dit : Le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu, cette détermination, comme homme, peut être rapportée à l'acte signifié par le participe de deux manières : 1° De la part de ce qui tombe matériellement (1) sous la prédestination, et dans ce sens elle est fausse. Car elle signifie qu'il a été prédestiné que le Christ, comme homme, soit le Fils de Dieu. Et c'est ainsi que l'entend l'objection. 2° Elle peut être rapportée à la raison propre de l'acte, selon que la prédestination implique dans son essence une antériorité et un effet gratuit. De cette manière elle convient au Christ en raison de la nature humaine, comme nous l'avons dit (in corp. art.). C'est dans ce sens qu'on dit qu'il a été prédestiné comme homme.

32
Il faut répondre au second, qu'une chose peut convenir à un homme, en raison de la nature humaine, de deux manières : 1° Elle peut lui convenir de telle sorte que la nature humaine en soit la cause, comme la faculté de rire convient à Socrate en raison de la nature humaine des principes de laquelle elle découle. De la sorte il ne convient ni au Christ, ni à aucun homme d'être prédestiné en raison de la nature humaine, et c'est le sens sur lequel repose l'objection. 2° On dit qu'une chose convient à quelqu'un en raison de la nature humaine, selon que la nature humaine en est susceptible (2). C'est ainsi que nous disons que le Christ a été prédestiné en raison de la nature humaine -, parce que la prédestination se rapporte à l'exaltation de la nature humaine en lui, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

33
Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), l'incarnation du Verbe a eu pour effet merveilleux que le Fils de Dieu a été à la fois le fils de l'homme, qu'on l'a appelé véritablement et proprement le fils de l'homme à cause de la nature humaine qu'il a prise, et le fils de Dieu à cause du Fils unique de Dieu qui a pris cette même nature. C'est pourquoi l'acte de l'incarnation étant l'objet de la prédestination, selon qu'il est un effet de la grâce, on peut dire l'un et l'autre ; c'est que le Fils de Dieu a été prédestiné pour être homme, et le fils de l'homme a été prédestiné pour être le Fils de Dieu. Mais comme ce n'est pas une grâce qui a été faite au Fils de Dieu d'être homme, mais qu'elle a plutôt été faite à la nature humaine pour être unie au Fils de Dieu, on peut dire que le Christ, comme homme, a été prédestiné pour être le Fils de Dieu, dans un sens plus propre qu'on ne dit que le Christ, selon qu'il est le Fils de Dieu, a été prédestiné pour être homme.



ARTICLE III. — LA PRÉDESTINATION DU CHRIST EST-ELLE LE MODÈLE DE LA NOTRE (3)?

483
1 Il semble que la prédestination du Christ ne soit pas le modèle de la nôtre. Car le modèle préexiste avant ce qui doit le reproduire. Or, rien ne préexiste de toute éternité. Par conséquent puisque notre prédestination est éternelle, il semble que celle du Christ ne soit pas le type de la nôtre .

2
Le modèle mène à la connaissance de ce qui l'imite. Or, Dieu n'a pas dû être conduit à la connaissance de notre prédestination par quelque autre chose, puisqu'il est dit (Rm 8,29) : Il a prédestiné ceux qu'il a connus à r avance. La prédestination du Christ n'est donc pas le modèle de la nôtre.

(1) C'est-à-dire de l'homme qui subsiste en Jésus-Christ. On ne peut l'entendre ainsi, parce que le suppôt dans le Christ n'étant rien autre chose que la personne divine, et la personne divine étant éternelle, il n'est pas possible qu'elle soit prédestinée.
(2) Ainsi la nature humaine n'a pas été la cause efficiente de la prédestination ; elle s'y est seulement prêtée par sou aptitude.
(5) Cet article est l'explication de ces paroles de l’Apôtre (Rom. tui) : Quot praescivit, hos et piaedestinavit, conformes fieri imaginis Filii sui, ut sit ipse primogenitus in multis fratribus. [Phil, m) : Salvatorem expectamus, qui reformabit corpus humilitatis nostrae confiijuratum corpori claritatis suae.

3 Le modèle est conforme à la copie. Or, la prédestination du Christ parait être d'une autre nature que la nôtre -, parce que nous sommes prédestinés pour être des enfants d'adoption, tandis que le Christ a été prédestiné pour être le Fils de Dieu dans sa puissance, selon l'expression de saint Paul (Rm 1,4). Sa prédestination n'est donc pas le modèle de la nôtre.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de praedest. sanct. cap. \ g) : que la lumière la plus éclatante de la prédestination et de la grâce, c'est le Sauveur, le médiateur entre Dieu et les hommes, J.-C., l’homme-Dieu. Or, on dit qu'il est la lumière de la prédestination et de la grâce, en tant qu'il manifeste notre prédestination par la sienne, ce qui paraît appartenir à la nature du modèle. Donc la prédestination du Christ est le type de la nôtre.

CONCLUSION. — La prédestination du Christ n'a pas été le modèle delà notre selon l'acte de celui qui prédestine, mais quant au terme de la prédestination.

21
Il faut répondre qu'on peut considérer la prédestination de deux manières : '1° Selon l'acte de celui qui prédestine. La prédestination du Christ ne peut pas être appelée de la sorte le modèle de la nôtre ; car Dieu nous a prédestinés et il a prédestiné le Christ d'une seule et même manière et par un même acte éternel (1). 2° On peut considérer la prédestination selon l'objet auquel on est prédestiné; ce qui est le terme et l'effet de la prédestination. A cet égard la prédestination du Christ est le modèle de la nôtre ; et cela de deux manières : 1° Quant au bien auquel nous sommes prédestinés. Car il a été prédestiné pour être le Fils naturel de Dieu, et nous sommes prédestinés à la filiation adoptive, qui est une participation ou une ressemblance de la filiation naturelle. D'où saint Paul dit (Rm 8,29) : Ceux qu'il a connus d'avance, il les a prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils. 2° Quant au mode d'obtenir ce bien qui s'acquiert par la grâce ; ce qui est très-manifeste pour le Christ, parce que la nature humaine a été unie en lui au Fils de Dieu sans aucun mérite antérieur (2), et que nous avons tous reçu de la plénitude de sa grâce, selon l'expression de saint Jean (Jean, i, 16).

31 Il faut répondre au premier argument, que cette raison se rapporte à l'acte de celui qui prédestine.

32
Il faut répondre de même au second.

33
Il faut répondre au troisième, qu'il n'est pas nécessaire que la copie soit conforme à l'original de tous points; mais il suffit qu'elle le reproduise de quelque manière.



ARTICLE IV. — la prédestination du christ est-elle cause de la nôtre (3) ?

484
1 Il semble que la prédestination du Christ ne soit pas cause de la nôtre. Car ce qui est éternel n'a pas de cause. Or, notre prédestination est éternelle. La prédestination du Christ n'est donc pas cause de la nôtre.

2
Ce qui dépend de la simple volonté de Dieu n'a pas une autre cause que sa volonté. Or, notre prédestination dépend de la simple volonté de Dieu.

Comme en Dieu il n'y a qu'un seul et même acte, on ne peut pas supposer qu'un acte est produit par un autre.

Ainsi la prédestination du Christ a de l'analogie avec la nôtre, niais elle en diffère cependant, quant au terme et quant au mode. Car le Christ est le fils naturel de Dieu et nous ne sommes que ses enfants adoptifs : aucuns mérites n'ont précédé ceux du Christ, tandis que les siens ont précédé les nôtres.

(5) Dans toute l'Ecriture et dans toute la tradition, le Christ est considéré comme la cause de notre prédestination, en ce sens que c'est par lui seul que nous pouvons être sauvés. Voyez le concile de Trente, sess, vi, cap. 2, 3, H. 1-5, IO, etc.

Car saint Paul dit (
Ep 1,11) : Nous avons été prédestinés par le dessein de celui qui fait toutes choses selon le conseil de sa volonté. La prédestination du Christ n'est donc pas la cause de la nôtre.

3 La cause étant enlevée, l'effet l'est aussi. Or, la prédestination du Christ étant écartée, la nôtre ne l'est pas; parce que quand même le Fils de Dieu ne se serait pas incarné, il était possible qu'il y eut un autre moyen de nous sauver, d'après saint Augustin (De Trin. lib. xiii, cap. 10). La prédestination du Christ n'est donc pas la cause de la nôtre.

20
Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Ep 1,5) : Nous avons été prédestinés par Jésus-Christ pour être ses enfants adoptifs.


CONCLUSION. — La prédestination du Christ n'a pas été cause de la nôtre quant à l'acte de celui qui prédestine, mais selon le terme de la prédestination.

21 Il faut répondre que si l'on considère la prédestination selon son acte même, la prédestination du Christ n'est pas cause de la nôtre, puisque c'est par un seul et même acte que Dieu l'a prédestiné et qu'il nous a prédestinés nous-mêmes. Mais si l'on considère la prédestination selon son terme, alors la prédestination du Christ est la cause de la nôtre. En effet Dieu a préordonné notre salut en prédestinant de toute éternité qu'il s'accomplirait par Jésus- Christ. Car la prédestination éternelle embrasse non-seulement ce qui doit être fait dans le temps, mais encore le mode et l'ordre d'après lequel il doit s'accomplir.

32
Il faut répondre au premier et au second argument, que ces raisonnements s'appuient sur la prédestination considérée selon l'acte de celui qui prédestine.

33
Il faut répondre au troisième, que si le Christ n'eût pas dû s'incarner, Dieu aurait préordonné les hommes au salut par une autre cause. Mais, parce qu'il a préordonné l'incarnation du Christ, il a simultanément préordonné qu'elle serait la cause de notre salut.







QUESTION 25 : DE L'ADORATION DU CHRIST.

500
Après avoir considéré le Christ par rapport à son Père, nous devons le considérer en ce qui le concerne par rapport à nous. Nous parlerons : 1" de l'adoration du Christ, c'est-à-dire de l'adoration que nous lui rendons ; 2° de son caractère de médiateur entre nous et Dieu. — Sur le premier point six questions se présentent : 1° Doit-on adorer par une seule et même adoration la divinité du Christ et son humanité? — 2° La chair du Christ doit-elle être adorée de l'adoration de latrie? — 3° Doit-on adorer de l'adoration de latrie l'image du Christ? — 4" Doit-on ainsi adorer la croix du Christ? — 5° Doit-on adorer sa mère? — 6° De l'adoration des reliques des saints.



ARTICLE I. — doit-on adorer d'une seule et même adoration la divinité du christ et son humanité (1)?

501
1 Il semble qu'on ne doive pas adorer d'une même adoration l'humanité du Christ et sa divinité. En effet la divinité du Christ doit être adoré; d'une adoration qui est commune au Père et au Fils ; d'où il est dit (Jean,5, 23) : Que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père, au lieu que l'humanité du Christ ne lui est pas commune avec le Père. On ne doit donc pas adorer l'humanité du Christ et sa divinité d'une même adoration.

comme Dieu et le Christ comme homme d'une seule et même adoration.

(1) Cet article renverse fondamentalement l'erreur de Nestorius et de Félix dTrgel, qui prétendaient que l'on ne devait pas adorer le Christ

2
L'honneur est dans un sens propre la récompense de la vertu, comme le dit Aristote (Eth. lib. iv, cap. 3). Or, la vertu mérite sa récompense par son acte. Par conséquent puisque dans le Christ l'opération de la nature divine est autre que celle de la nature humaine, ainsi que nous l'avons vu (quest. xix, art. 1), il semble donc que son humanité doive être vénérée d'une manière et sa divinité d'une autre.

3
L'âme du Christ, si elle n'avait pas été unie au Verbe, devrait être vénérée à cause de l'excellence de la sagesse et de la grâce qu'elle a. Or, elle n'a rien perdu de sa dignité de ce qu'elle a été unie au Verbe. La nature humaine dans le Christ doit donc être vénérée d'une adoration propre, indépendamment du respect que l'on a pour sa divinité.

20
Mais c'est le contraire. Le cinquième concile général dit (Const. H, gen. y, collât, viii, can. 9) : Si quelqu'un dit que l'on doit adorer le Christ dans ses deux natures, et que par là on admette deux adorations, mais qu'on n'adore pas d'une seule et même adoration Dieu le Verbe incarné avec sa propre chair, comme on l'a cru dès le commencement de l'Eglise de Dieu, qu'il soit anathème.


CONCLUSION. — A cause de l'unité de personne que l'on honore proprement dans Je Christ, il n'y a qu'une seule adoration du Christ; mais, en raison de ses deux natures, il y a plusieurs causes de cette adoration.

21
Il faut répondre que dans celui qu'on honore nous pouvons considérer deux choses, celui à qui on rend cet honneur et la cause pour laquelle on le lui rend. Or, on honore à proprement parler la chose subsistante tout entière (1). Car nous ne disons pas qu'on honore la main de l'homme, mais l'homme entier, et si parfois il arrive qu'on dise que l'on honore la main ou le pied de quelqu'un, on ne le dit pas dans le sens que ces parties soient honorées en elles-mêmes, mais parce qu'on honore le tout en elles. Delà sorte on peut aussi honorer un homme dans quelque chose d'extérieur, par exemple dans son habit, son image ou son messager (2). La cause de l'honneur étant le motif pour lequel on est honoré, elle a une certaine excellence. Car l'honneur est le respect que l'on témoigne à quelqu'un à cause de sa supériorité, comme nous l'avons dit (2*2*, quest. cm, art. 1). C'est pourquoi si dans un même homme il y a plusieurs choses qui portent à l'honorer, comme la dignité, la science et la vertu, l'honneur est un de la part de celui qui est honoré, mais il est multiple par rapport aux causes qui le produisent. Car c'est l'homme qu'on honore à cause de sa science et de sa vertu. — Par conséquent, puisqu'il n'y a dans le Christ qu'une seule personne pour la nature divine et humaine, et qu'il n'y a qu'une seule hypostase et un seul suppôt, il n'y a qu'une seule adoration et qu'un seul honneur relativement à celui qui est adoré, mais on peut dire qu'il y en a plusieurs relativement à la cause pour laquelle on l'honore, de telle sorte qu'on l'honore pour sa sagesse créée d'un autre honneur que pour sa sagesse incréée. Mais si l'on supposait dans le Christ plusieurs personnes ou plusieurs hypostases, il s'ensuivrait qu'il y aurait absolument plusieurs adorations ; et c'est ce qui est condamné par les conciles. Si quelqu'un, est-il dit dans les anathèmes de saint Cyrille (Conc. Ephes. gener. iii, part, i, cap. 26), ose prétendre que l'on doit adorer l'homme qui s'est incarné simultanément avec le Verbe de Dieu, comme si l'on honorait l'un pour l'autre, et qu'on n'offrit pas plutôt une seule et même adoration à l'Emmanuel, selon que le Verbe s'est fait chair, qu'il soit anathème.

(t) Ainsi ce qu'on adore dans le Christ, c'est la personne, et il est de foi que l'homme qu'on désigne sous le nom du Christ doit être adoré du culte de latrie. La définition du concile d'Ephèse a été renouvelée au concile de Latran, sous Martin I", et a servi de hase à celle du concile de Trente (sess, xiii, can. 6), au sujet de l'adoration du Christ dans l'Eucharistie.
(2; Quand on adore une chose à cause d'une autre, l'adoration est relative.

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Il faut répondre au premier argument, qu'il y a dans la Trinité trois personnes que l'on honore, mais qu'il n'y a qu'une seule cause d'honneur, tandis que dans le mystère de l'Incarnation c'est le contraire. C'est pourquoi l'honneur qu'on' rend à la Trinité est un d'une autre manière que l'honneur rendu au Christ.

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Il faut répondre au second, que l'opération n'est pas ce que l'on honore, mais elle est le motif de l'honneur qu'on rend. C'est pourquoi, par là même que dans le Christ il y a deux opérations, il ne s'ensuit pas qu'il y ait deux adorations, mais deux causes d'adoration.

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Il faut répondre au troisième, que l'âme du Christ, si elle n’avait pas été unie au Verbe de Dieu, serai t ce qu'il y a de plus principal dans cet homme. C'est pourquoi on devrait surtout l'honorer, parce que l'homme serait ce qu'il y a en lui de plus important. Mais l'âme du Christ étant unie à une personne plus noble, on doit surtout honorer cette personne à laquelle elle est unie. Toutefois la dignité de l'âme humaine n'est pas par la diminuée ; elle est au contraire augmentée, comme nous l'avons vu (quest. ii , art. 2 ad 2).




III Pars (Drioux 1852) 464