III Pars (Drioux 1852) 502

ARTICLE II. — d01t-0n adorer l'humanité du christ de l'adoration de latrie (1)?

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1 Il semble qu'on ne doive pas adorer l'humanité du Christ de l'adoration de latrie. Car sur ces paroles (Ps. xcviu) : Adorate scabellum pedum ejus, quoniam sanctum est, la glose dit (orcl.) : Nous adorons sans impiété le corps que le Verbe de Dieu a pris, parce que personne ne mange sa chair spirituellement sans l'adorer auparavant ; mais je ne parle pas de celte adoration qui consiste dans le culte de latrie, qu'on ne doit qu'au Créateur. La chair du Christ étant une partie de son humanité, il s'ensuit qu'on ne doit pas adorer en lui l'humanité de l'adoration de latrie.

2
Le culte de latrie n'est dû à aucune créature. Car les gentils sont réprouvés pour avoir adoré et servi la créature, selon l'expression de saint Paul (Rm 1,25). Or, l'humanité du Christ est une créature. On ne doit donc pas l'adorer du culte de latrie.

3 L'adoration de latrie est due à Dieu en reconnaissance de son souverain domaine, d'après ces paroles de la loi (Dt 6,13) : Fous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui. Or, le Christ, comme homme, est moindre que son Père. Son humanité ne doit donc pas être adorée de l'adoration de latrie.

20 Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. iv, cap. 3) : On adore la chair du Christ dans le Verbe incarné, non pour elle- même, mais à cause du Verbe de Dieu qui lui est uni hypostatiquement. Et sur ces paroles (Ps. xcvm): Adorate scabellum pedum ejus, la glose dit (ord. Aug.) : Celui qui adore le corps du Christ ne regarde pas la terre, mais plutôt celui dont elle est l'escabeau, et c'est en son honneur qu'on adore l'escabeau lui-même. Or, on adore le Verbe incarné de l'adoration de latrie. On adore donc aussi de la sorte son corps ou son humanité.


CONCLUSION. — On doit adorer l'humanité du Christ du culte de latrie, si l'on entend que l'adoration se rapporte à lui comme à la chose adorée; mais si on entend l'adoration qui se fait en raison de l'humanité du Christ, qui est parfaite parce qu'elle a reçu toutes les grâces, on ne doit pas l'adorer du culte de latrie, mais du culte d'hyperdulie.

(1) Cette question a été parfaitement éclaircie par ces paroles du concile de Nicée, que rapporte le concile d'Ephese (part, iii, cap. 6) : Confitemur Dominum nostrum Jesum Christum... totum adorabilem, etiam cum corpore, sed nonsecunditm corpus adorabilem : totum ado- rantem etiam cum divinitate, sed non sccun dum divinitatem adorantem; totus quippe ergo est Deus etiam cum corpore, non secundum corpus . totus adorandus etiam cum corpore, non profiter corpus.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), l'honneur de l'adoration est dû proprement à l'hypostase subsistante; mais le motif de l'honneur peut être une chose subsistante et pour laquelle on honore la personne dans laquelle elle se trouve. L'adoration de l'humanité du Christ peut donc s'entendre de deux manières : 4° On peut entendre qu'elle se rapporte à lui comme à la chose adorée ; alors adorer la chair du Christ n'est rien autre chose que d'adorer le Verbe de Dieu incarné; comme adorer l'habit d'un roi n'est rien autre chose que d'adorer le roi qui en est vêtu. Dans ce sens, l'adoration de l'humanité du Christ est une adoration de latrie. 2° On peut entendre l'adoration de l'humanité du Christ, qui se fait en raison de son humanité elle-même qui est parfaite par suite de tous les dons de la grâce. Dans ce cas l'adoration de l'humanité du Christ n'est pas une adoration de latrie, mais une adoration de dulie, de telle sorte que la même personne du Christ est adorée d'une adoration de latrie à cause de sa divinité et d'une adoration de dulie à cause de la perfection de son humanité. Et il n'y a rien là qui répugne, parce que l'honneur de latrie est dû à Dieu le Père lui-même à cause de la déité, et l'honneur de dulie (4) à cause de l'empire d'après lequel il gouverne les créatures. C'est pourquoi à l'occasion de ces paroles (Ps 7) : Domine Deus meus, in te speravi, la glose dit (interi.) : On lui doit le culte de dulie, comme étant le Seigneur de toutes choses par sa puissance, et le culte de latrie, comme au Dieu de tous les êtres par la création.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette glose ne doit pas s'entendre comme si l'on adorait la chair du Christ séparément de sa divinité. Car ceci ne pourrait arriver que dans le cas où l'hypostase de Dieu et celle de l'homme ne seraient pas la même. Mais parce que, comme le dit saint Jean Damascène (toc. sup. cit.), si vous séparez intellectuellement ce qui se voit de ce qui se comprend, il ne doit pas être adoré en tant que créature, c'est- à-dire qu'il ne doit pas recevoir le culte de latrie: en le considérant ainsi séparément du Verbe de Dieu, on lui devrait l'adoration de dulie, non pas une adoration quelconque comme celle qu'on rend en général aux autres créatures, mais une adoration proportionnée à son excellence et à laquelle on donne le nom d'hyperdulie (2).

32
La réponse au second et au troisième argument est par là même évidente; parce qu'on ne rend pas l'adoration de latrie à l'humanité du Christ pour elle-même, mais en raison de la divinité à laquelle elle est unie et par rapport à laquelle le Christ n'est pas moindre que le Père.



ARTICLE III. — l'image du christ doit-elle être adorée de l'adoration de latrie (3)?

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1 Il semble qu'on ne doive pas adorer l'image du Christ de l'adoration de latrie. Car il est dit (
Ex 20,4) : Fous ne vous ferez point d'images taillées, ni quelque autre figure. Or, on ne doit rien adorer contre le précepte de Dieu. L'image du Christ ne doit donc pas être adorée de l'adoration de latrie.

2 Nous ne devons pas faire les mêmes choses que les gentils, d'après saint Paul (Ephes. 5). Or, les gentils sont surtout blâmés de ce qu'i/s ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par l'image d'un homme corruptible, selon l'expression de saint Paul (Rm 1,23). On ne doit donc pas adorer l'image du Christ de l'adoration de latrie.

(1) Cette expression ne signifie pas que l'on doit à Dieu deux sortes de culte, l'un de latrie et l'autre de dulie ; mais le mot de dulie est pris dans un sens large, et il signifie que le culte suprême de dulie lui est dû, comme au souverain Seigneur de toutes choses. Il n'est dû aux créatures qu'autant qu'elles participent à sa domination. Mais ce culte suprême de dulie se confond avec le culte de latrie.
(2) Le nom d'hyperdulie lui conviendrait comme à la plus excellente des créatures. C'est à ce titre qu'on l'emploie quand il s'agit de la sainte Vierge.
(5) Cet article est une réfutation de l'erreur des iconoclastes, qui fut condamnée en 787 par le second concile de Nicée, mais qui fut renouvelée par les wideffistes, les luthériens, les zuinglieiis et les calvinistes au commencement de 1 âge moderne.

3 On doit au Christ l'adoration de latrie en raison de la divinité, mais non pas en raison de l'humanité. Or, on ne doit pas l'adoration de latrie à l'image de sa divinité qui a été imprimée à l'âme raisonnable. Par conséquent on la doit encore beaucoup moins à l'image corporelle qui représente son humanité

4
Il semble qu'on ne doive faire dans le culte divin que ce qui a été établi par Dieu. C'est pourquoi l’Apôtre en exposant la doctrine qu'il a reçue sur le sacrifice de l'Eglise dit (1Co 11,23) : C'est du Seigneur que j’ai appris ce que je vous ai enseigné. Or, on ne trouve rien dans l'Ecriture sur l'adoration des images. On ne doit donc pas adorer l'image du Christ du culte de latrie.

20 Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène (Orth. fid. lib. iv, cap. 17) cite saint Basile, qui dit que l'honneur de l'image revient à son prototype, ou à celui qu'elle représente. Or, le Christ qui est ici le sujet représenté doit être adoré de l'adoration de latrie. On doit donc aussi adorer de la sorte son image.

CONCLUSION. — Puisque l'on doit adorer le Christ de l'adoration de latrie, son image doit être adorée de la même manière, d'après saint Thomas.

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Il faut répondre que, comme le dit Aristote (De memor, et reminisc. cap. 2), il y a deux sortes de mouvements par lesquels l'âme se porte vers une image. Par l'une elle se porte vers l'image elle-même selon qu'elle est une chose, et par l'autre elle se porte vers l'image selon qu'elle est la représentation d'un autre objet. Il y a cette différence entre ces deux mouvements ; c'est que le premier par lequel on se porte vers l'image, comme étant une chose, diffère de celui par lequel on se porte vers ce qui est représenté ; au lieu que le second mouvement qui se rapporte à l'image comme telle est absolument le même que celui qui se rapporte à ce qu'elle représente. Par conséquent il faut dire qu'on ne doit aucun respect à l'image du Christ, en tant qu'elle est une chose (par exemple, du bois sculpté ou peint), parce qu'on ne doit vénérer que les êtres raisonnables. Il faut donc qu'on ne l'honore que comme image (1), et alors il s'ensuit qu'on lui doit le même respect qu'à l'image du Christ et qu'au Christ lui-même. Ainsi puisqu'on adore le Christ d'une adoration de latrie, il en résulte que son image doit être adorée de la sorte.

31
Il faut répondre au premier argument, que ce précepte n'empêche pas de faire des statues ou des tableaux, mais il défend d'en faire pour les adorer. C'est pourquoi il ajoute : Fous ne les adorerez pas', et vous n'aurez pas de culte pour eux (2). Et parce que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), c'est le même mouvement qui se porte vers l'image et vers l'objet qu'elle . représente, il s'ensuit qu'on interdit l'adoration de l'image, au même titre que l'adoration de la chose qui est représentée. Ainsi, dans cet endroit, il est défendu d'adorer les images que les gentils faisaient pour adorer leurs dieux, c'est-à-dire les démons. C'est pourquoi, il est dit auparavant : Fous ri aurez pas de dieux étrangers en ma présence. Le vrai Dieu étant incorporel, on ne pouvait le représenter sous aucune image, parce que, comme le dit saint Jean Damascène [toc. sup. cit.) : Il est de la plus grande démence et de la dernière impiété de donner une figure à ce qui est divin. Mais parce que sous le Nouveau Testament Dieu s'est fait homme, on peut l'adorer sous l'image corporelle qui le représente.

(i) Bossuet dit b eo sujet : Saint Thomas attribue à la croix le culte de latrie, qui est le culte suprême, mais il s'explique en disant que c'est une latrie respective, qui ne devient suprême que parce qu'elle se rapporte à Jésus-Christ... Qui peut blílmcr ce sens? Personne, sans doute: si l'expression déplaît, il n'y a qu'à la laisser là, comme u íaitsans hésiter le P. Pétau. Lettre sur l'adoration delà croix, edit, de Vers. ton:. xxv, p. 63.
(2) Ce sont ces passages de l'Ecriture qui sont cités» dans les livres carolins, où l'on combat la décision du concile de Nicée, qui ne put pas d'u- bord reconnu en Occident. Mais cette divergence de sentiments ne roulait que sur une méprise, sur le double sous que présente le mot adoration.

32
Il faut répondre au second, que L’Apôtre défend de faire les œuvres infructueuses des gentils, mais il ne défend pas de faire leurs œuvres utiles. Or, on doit compter l'adoration des images parmi leurs œuvres infructueuses sous deux rapports : 1° parce que quelques-uns (i ) d'entre eux adoraient les images elles-mêmes, comme des choses, croyant qu'elles avaient un certain pouvoir, à cause des réponses que les démons donnaient par leur intermédiaire, et des autres effets prodigieux qui s'opéraient. 2°En raison des choses qu'elles représentaient. Car ces images se rapportaient à des créatures que l'on vénérait du culte de latrie. Pour nous, nous adorons de l'adoration de latrie l'image du Christ, qui est vrai Dieu, non à cause de l'image elle-même, mais à cause de la chose qu'elle représente, ainsi que nous l'avons dit (in corp. art.).

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Il faut répondre au troisième, que l'on doit vénérer la créature raisonnable pour elle-même; c'est pourquoi si l'on rendait à la créature raisonnable, qui est faite à l'image de Dieu, une adoration de latrie, il pourrait y avoir une occasion d'erreur, en ce sens que le mouvement de celui qui l'adorerait s'arrêterait à l'homme, considéré comme être, et ne s'élèverait pas jusqu'à Dieu dont il est l'image; ce qui ne peut pas avoir lieu quand il s'agit d'une image sculptée ou peinte qui tombe sous les sens,

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Il faut répondre au quatrième, que les apôtres ont transmis à l'Eglise, d'après l'inspiration de l'Esprit-Saint, des choses qui ne se trouvent pas dans leurs écrits, mais que l'Eglise a observées dans tous les sièges (2). C'est ce qui fait dire à saint Paul (2Th 2,15) : Demeurez fermes et conservez les traditions qui vous ont été enseignées, soit par mes discours, soit par mes lettres, c'est-à-dire de vive voix ou par écrit. Parmi ces traditions se trouve l'adoration des images du Christ. Ainsi on dit que saint Luc a peint une image du Christ qui se trouve à Rome.



ARTICLE IV. — la croix doit-elle être adorée de l'adoration de latrie (3)?

504
1 Il semble qu'on ne doive pas adorer la croix du Christ de l'adoration de latrie. Car un enfant pieux ne vénère pas ce qui a outragé son père; par exemple, le fouet qui l'a flagellé, ou le bois sur lequel il a été attaché, mais il l'a plutôt en horreur. Or, le Christ a souffert sur le bois de la croix la mort la plus ignominieuse, d'après ces paroles (
Sg 2,20) : Condamnons- le à la mort la plus honteuse. Au lieu de vénérer la croix, nous devons donc plutôt l'abhorrer.

2 L'humanité du Christ est adorée de l'adoration de latrie, en tant qu'elle est unie au Fils de Dieu en personne ; ce qu'on ne peut dire de la croix. On ne doit donc pas l'adorer de l'adoration de latrie.

3
Comme la croix du Christ a été l'instrument de sa passion et de sa mort, il en est de même d'une foule d'autres choses, comme les clous, la couronne et la lance. Nous ne leur rendons cependant pas le culte de latrie. Il semble donc qu'on ne doive pas adorer la croix de cette manière.

(1) Celte idolâtrie grossière ne fut en effet quo l'erreur de certaines personnes ; le polythéisme consistait principalement dans la déification de l'homme et des esprits créés.
(2) Ainsi, d'après saint Thomas, il y a eu de tout temps dans l'Eglise une tradition particulière, indépendamment de l'Ecriture ; ce qui renverse tout le système du protestantisme.
(3) Le concile de Nicéc a défini (
Ac 5) que 1 on devait adorer les images, et le concile de Trente a anathématisé ceux qui condamnaient les honneurs rendus aux reliques des saints (sess. xxv.

20 Mais c'est le contraire. Nous rendons un culte de latrie à celui dans lequel nous mettons une espérance de salut. Or, nous plaçons nos espérances de salut dans la croix du Christ. Car l'Eglise chante : Je vous salue, ô croix; mon unique espérance, dans ce temps de la passion, augmentez la justice de ceux qui sont déjà justes, et accordez le pardon aux coupables. La croix du Christ doit donc être adorée de l'adoration de latrie.


CONCLUSION. — La croix du Christ sur laquelle le Christ a été crucifié, doit être adorée de l'adoration de latrie, soit parce qu'elle le représente, soit parce que ses membres l'ont touchée, mais une autre croix d'une autre matière ne doit être adorée de cette manière que clans le premier sens.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), l'honneur ou le respect n'est dû qu'à la créature raisonnable, et on ne le doit à la nature insensible qu'en raison de la nature qui est douée de raison. Et cela de deux manières: 1° selon qu'elle la représente; 2° en tant qu'elle lui est unie d'une certaine façon. On a coutume de vénérer l'image d'un roi delà première manière, et on vénère de la seconde ses vêtements. Et l'on vénère l'un et l'autre de la même vénération que l'on vénère le roi lui-même. — Par conséquent, si nous parlons de la croix sur laquelle le Christ a été crucifié, nous devons la vénérer de ces deux manières. Nous la vénérons de la première, selon qu'elle nous représente la figure du Christ, qui y est mort; et nous la vénérons de la seconde, parce que les membres du Christ l'ont touchée, et qu'elle a été couverte de son sang. Mais on l'adore de ces deux manières, de la même adoration qu'on adore le Christ, c'est-à-dire de l'adoration de latrie. C'est pour cela que nous nous adressons à la croix (1), et que nous lui parlons comme au crucifié. Mais s'il s'agit de l'image de la croix du Christ faite d'une matière quelconque, par exemple, en pierre ou en bois, en argent ou en or ; alors c'est la croix seulement, considérée comme l'image du Christ, que nous vénérons de l'adoration de latrie, ainsi que nous l'avons dit (art. préc.).

31
Il faut répondre au premier argument, que la croix du Christ, dans l'idée ou l'opinion des infidèles, représente son opprobre, mais, par rapport à notre salut qu'elle a produit, elle rappelle la vertu divine du Christ, par laquelle il a triomphé de ses ennemis, suivant ces paroles de saint Paul (Col 2,14): It a entièrement aboli la cédule qui nous était contraire en rattachant à sa croix, et ayant désarmé les Principautés et les Puissances, il les a exposées en spectacle avec confiance, après en avoir triomphé par lui-même. C'est ce qui lui fait dire ailleurs (1Co 1,18) : La prédication de la croix est une folie pour ceux qui se perdent ; mais pour ceux qui se sauvent, c'est-à-dire pour nous, elle est la vertu de Dieu.

32 Il faut répondre au second, que quoique la croix du Christ n'ait pas été unie au Verbe de Dieu en personne, cependant elle lui a été unie d'une autre manière, c'est-à-dire par la représentation et le contact. C'est sous ce seul rapport qu'on lui témoigne du respect.

unica! hoc passionis tempore, auge piis justitiam, re isque dona veniam.

(I) C'est ainsi que dans la strophe de l'hymne du dimanche de la Passion, que nous avons traduite plus haut, nous disons : O crux, ave, spes

33
Il faut répondre au troisième, que par rapport aux choses que les membres du Christ ont touchées, nous n'adorons pas seulement la croix, mais encore tout ce qui appartient au Christ. D'où saint Jean Damascène dit (De orth. fui.

j i b. iv, cap. 12) qu'il est convenable d'adorer le bois précieux de la croix, comme ayant été sanctifié par le contact du corps et du sang du Christ les clous, les vêtements, la lance et les demeures saintes qui l'ont reçu, tels que la crèche, le tombeau (1), etc. Toutefois ces choses ne représentent pas l'image du Christ, comme la croix qu'on appelle le signe du Fils de l'homme et qui apparaîtra dans le ciel, selon l'expression de l'Evangile (
Mt 24). C'est pourquoi l'ange dit aux femmes (Mare, 16, 6) : Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ; mais il n'a pas dit : celui qui a été percé d'une lance. De là il suit que nous vénérons la croix, de quelque matière qu'elle soit, tandis qu'il n'en est pas de même de l'image des clous ou de tous les autres instruments.



ARTICLE V. — la mère du christ doit-elle être adorée de l'adoration de latrie (2)?

505
1 Il semble que la mère du Christ doive être adorée de l'adoration de latrie. Car il semble qu'on doive le même honneur à la mère du roi qu'au roi lui-même. Ainsi il est dit (III. Reg. ii, 19) : qu'on mit un trône pour la mère du Roi, et qu'elle s'assit à sa droite. Et saint Augustin ajoute (alius auctor in serm. de assumpt. cap. 6) que le trône de Dieu, le lit du Seigneur, la maison et le tabernacle du Christ, est digne d'être là où il est lui-même. Or, le Christ est adoré d'une adoration de latrie. Donc sa mère doit l'être aussi.

2
Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iv, cap. 17) que l'honneur de la mère se rapporte au Fils. Or, on adore le Fils de l'adoration de latrie. Par conséquent la mère aussi.

3
La mère du Christ lui est plus unie que sa croix. Or, on adore la croix de l'adoration de latrie. La mère du Christ doit donc être aussi adorée de cette manière.

20
Mais c'est le contraire. La mère de Dieu est une pure créature. L'adoration de latrie ne lui est donc pas due.


CONCLUSION. — La bienheureuse Vierge étant une créature raisonnable, ne doit pas être adorée du culte de latrie, mais en tant qu'elle est la mère de Dieu, on doit l'adorer du culte d'hyperdulie.

21
Il faut répondre que le culte de latrie n'étant dû qu'à Dieu, on ne le doit à aucune créature, selon que nous la vénérons par rapport à elle-même. Quoique les créatures insensibles ne soient pas susceptibles d'être vénérées en elles-mêmes, cependant il n'en est pas ainsi de la créature raisonnable. C'est pourquoi on ne doit pas à une simple créature raisonnable le culte de latrie. Par conséquent la bienheureuse Vierge étant une simple créature raisonnable, on ne lui doit pas cette adoration, mais seulement le culte de dulie. Toutefois, on le lui doit plus éminemment qu'aux autres créatures, parce qu'elle est la mère de Dieu. C'est pourquoi on dit qu'on lui doit non pas un culte de dulie quelconque, mais le culte d'hyperdulie.

31
II faut répondre au premier argument, que l'on ne doit pas à la mère du roi un honneur égal à celui qu'on doit au roi lui-même ; mais on lui doit un honneur semblable en raison de son excellence (3). C'est ce que prouvent les autorités qu'on a citées.

(M) C'est d'après le même principe que nous vénérons comme des reliques les objets qui ont appartenu aux saints, qu'ils ont touchés ou dont ils se sont servi. Voyez ce que dit à ce sujet saint Augustin (De civ. Dei, lib. i, cap, 13).
(2) Cet article est une réfutation de l'erreur des collyridiens, qui prétendaient que l'on devait adorer la Vierge Marie.
(5) C'est-à-dire quelque chose de suréminent comme l'est le culte d'hyperdulie,

32
Il faut répondre au second, que l'honneur de la mère se rapporte au Fils, parce qu'on doit adorer la mère à cause du Fils; mais ce n'est pas de la même manière que l'honneur qu'on rend à une image se rapporte à celui qu'elle représente; parce que l'image, selon qu'elle est considérée en elle- même, comme une chose, ne doit point du tout être vénérée.

33
Il faut répondre au troisième, que la croix n'est pas digne de vénération, si on la considère en elle-même, ainsi que nous l'avons dit (art. préc.) ; au lieu que la bienheureuse Vierge en est digne par elle-même. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.



ARTICLE VI. — doit-on adorer les reliques des saints (1) ?

506
1 Il semble qu'on ne doive adorer les reliques des saints d'aucune manière. Car on ne doit pas faire quelque chose qui puisse être une occasion d'erreur. Or, il semble que l'adoration des reliques dos morts appartienne à l'erreur des gentils qui rendaient de très-grands honneurs à ceux qui n'étaient plus. On ne doit donc pas adorer les reliques des saints.

2
Il semble insensé de vénérer une chose insensible. Or, les reliques des saints sont des corps insensibles. C'est donc une folie que de les vénérer.

3
Un corps mort n'est pas de même espèce qu'un corps vivant, et par conséquent il ne paraît pas être le même numériquement. Il semble donc qu'on ne doive pas adorer le corps d'un saint après sa mort.

20
Mais c'est le contraire. Gennade dit (Lib. de ecdesiast. dogm. cap. 73) : Nous croyons que l'on doit honorer les corps des saints et surtout les reliques des bienheureux martyrs, comme les membres du Christ. Puis il ajoute : Si on est opposé à ce sentiment, on n'est pas un disciple du Christ, mais un disciple d'Eunome et de Vigilance.


CONCLUSION. — Puisque nous vénérons les saints de Dieu, il faut aussi que nous vénérions leurs corps et leurs reliques.

21
Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. i, cap. 13), si l'habit d'un père, son anneau et d'autres objets semblables, sont d'autant plus chers à ses descendants que ceux-ci ont plus d'affection pour leurs parents; on ne doit mépriser d'aucune manière leurs corps qui nous sont plus précieux et plus étroitement unis que tous les vêtements qu'ils ont portés, puisqu'ils appartiennent à la nature de l'homme. D'où il est évident que celui qui a de l'affection pour quelqu'un, vénère ce qui reste de lui après la mort, non-seulement son corps ou des parties de son corps, mais encore ses objets extérieurs, comme ses vêtements et d'autres choses semblables. Or, il est clair que nous devons avoir en vénération les saints de Dieu, comme les membres du Christ, les enfants et les amis de Dieu, et nos intercesseurs. C'est pourquoi nous devons rendre un honneur- convenable à leurs reliques, en leur mémoire, et surtout à leurs corps qui ont été les temples et les organes de l'Esprit-Saint, habitant et agissant en eux, et qui doivent être rendus conformes au corps du Christ, par la résurrection glorieuse. Aussi Dieu honore-t-il convenablement, leurs reliques en faisant des miracles en leur présence.

31
Il faut répondre au premier argument, que ce raisonnement est celui de Vigilance que saint Jérôme rapporte en ces termes (Cont. Vigil. cap. 2) : Sous prétexte de religion, nous voyons qu'on est presque ' revenu au rite des gentils. On adore, en la baisant, je ne sais quelle poussière que l'on conserve dans un petit vase enveloppé d'un linge précieux. Saint Jérôme s'élève contre ce sectaire en disant, (Epist, ad Rip.) : Nous n'adorons pas (de l'adoration de latrie), je ne dis pas les reliques des martyrs, mais ni le soleil, ni la lune, ni les anges; mais nous honorons les reliques des martyrs pour que nous adorions celui dont ils sont les témoins; et nous honorons les serviteurs pour que l'honneur que nous leur rendons remonte vers le Seigneur. Par conséquent, en honorant les reliques des saints, nous ne tombons pas dans l'erreur des gentils qui offraient aux morts un culte de latrie.

(I) L'honneur rendu aux reliques a été attaqué pour la première fois par Vigilance, que saint Jérôme a vigoureusement réfuté. Le second concile de Nicée a aussi condamné cette erreur (act. o). Les novateurs modernes l'avant renouvelée, le concile de Trente les a anathémalisés de nouveau (sess. xxv), fíecret. de invocat, vene rat. et rcliq. sanctorum

32
Il faut répondre au second, que nous n'adorons pas ce corps insensible pour lui-même, mais à cause de l'âme qui lui a été unie et qui maintenant jouit de Dieu, et aussi à cause de Dieu dont ils ont été les ministres.

33
Il faut répondre au troisième, que le corps mort d'un saint n'est pas numériquement le même qu'il a été d'abord, pendant qu'il vivait, à cause de la diversité de sa forme qui est l'âme ; cependant il est le même par l'identité de la matière qui doit être de nouveau unie à sa forme (1).




QUESTION 26: DU CHRIST CONSIDÉRÉ COMME MÉDIATEUR DE DIEU ET DES HOMMES.

520
Après avoir parlé du Christ comme l'objet de notre adoration, nous devons le considérer comme médiateur de Dieu et des hommes. — A cet égard il y a deux questions à examiner : 1° Est-il propre au Christ d'être médiateur entre Dieu et les hommes? — 2° Cet attribut lui convient-il par rapport à sa nature humaine?



ARTICLE I. — EST-CE I.E PROPRE PU CHRIST D'ÊTRE MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES (2) ?

521
1 Il semble qu'il ne soit pas propre au Christ d'être médiateur entre Dieu et les hommes. Car le prophète aussi bien que le prêtre paraissent être des médiateurs entre Dieu et les hommes, d'après ces paroles de Moïse (
Dt 5,5) : Je fus dans ce temps-là V entremetteur et le médiateur entre Dieu et les hommes. Or, il n'est pas propre au Christ d'être prophète et prêtre. Il ne lui est donc pas propre non plus d'être médiateur.

2 Ce qui convient aux bons anges et aux mauvais ne peut être appelé une chose propre. Or, ii convient aux bons anges d'être intermédiaires entre Dieu et les hommes, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 4) : et cela convient aussi aux mauvais, c'est-à-dire aux démons. Car ils ont des choses communes avec Dieu, comme leur immortalité, et ils en ont de communes avec l'homme, c'est-à-dire qu'ils souffrent et que par conséquent ils sont malheureux, comme le prouve saint Augustin (De civ. Dei, lib. ix5 cap. 8,13 et 15). Il n'est donc pas propre au Christ d'être médiateur entre Dieu et les hommes.

3
Il appartient à l'office du médiateur de prier pour l'un de ceux entre lesquels il s'interpose. Or, d'après saint Paul (Rm 8,26) :l’Esprit-Saint prie Dieu pour nous par des gémissements inénarrables. L'Esprit-Saint est donc médiateur entre Dieu et les hommes, et par conséquent ce n'est pas une chose propre au Christ.

20 Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (1Tm 2,5) : Il n'y a qu'un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme.


CONCLUSION. — Il ne convient qu'au Christ d'être médiateur d'une manière absolue et parfaite; cependant rien n'empêche qu'il n'y en ait beaucoup d'autres qui soient médiateurs sous un rapport, c'est-à-dire par manière de disposition ou comme ministres de Dieu.

(I) Voyez sur te culte des saints et sur les reliques, liossuct, Exposition de la doctrine de l'Eglise catholique, idit, de Vers. toni. xviii, p. 80-90, et dans ses fragments de controverse, celui qui est intitulé : I)u culte dà à Dieu (ibid. p. 209 et sui v.).
(2) Il est de foi que te Christ est médiateur entre Dieu et les hommes.

21 Il faut répondre qu'il appartient proprement à l'office du médiateur de fier et d'unir ceux entre lesquels il interpose sa médiation ; car les extrêmes s'unissent dans un milieu. Or, il convient au Christ d'unir les hommes à Dieu d'une manière parfaite, puisque c'est par lui qu'ils ont été réconciliés avec Dieu, d'après ces paroles de saint Paul (2Co 5,19) : Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec lui. C'est pourquoi il n'y a que le Christ qui soit un médiateur parfait entre Dieu et les hommes, en tant que par sa mort il a réconcilié le genre humain avec Dieu. C'est pour ce motif qu'après avoir dit : Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, L’Apôtre ajoute : qui s'est donné lui-même pour la rédemption de tous. Mais rien n'empêche que d'autres ne soient appelés médiateurs entre Dieu et les hommes sous un rapport (1), c'est-à-dire selon qu'ils coopèrent à l'union des hommes avec Dieu, par manière de disposition ou comme ses ministres (2).

31 Il faut répondre au premier argument, que les prophètes et les prêtres de l'Ancien Testament ont été appelés médiateurs entre Dieu et les hommes par manière de disposition et comme ministres de Dieu, selon qu'ils annonçaient et qu'ils figuraient à l'avance le véritable et parfait médiateur de Dieu et des hommes. Quant aux prêtres du Nouveau Testament, on peut les appeler médiateurs entre Dieu et les hommes, selon qu'ils sont les ministres du vrai médiateur, et qu'ils confèrent à sa place les sacrements qui sont un moyen de salut pour les hommes.

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Il faut répondre au second, que les bons anges, comme le dit saint Augustin (Deciv. Dei, lib. ix, cap. 13), ne peuvent être appelés avec raison des médiateurs entre Dieu et les hommes. Car quoiqu'ils aient de commun avec Dieu la béatitude et l'immortalité, ils n'ont rien de commun avec les hommes qui sont malheureux et mortels; ils sont même plutôt éloignés des hommes et unis à Dieu qu'ils ne tiennent le milieu entre l'un et l'autre. Cependant saint Denis dit qu'ils sont médiateurs, parce que par le rang de leur nature ils ont été établis au-dessous de Dieu et au-dessus des hommes, et qu'ils remplissent l'office de médiateur, non d'une manière principale et parfaite, mais par manière de disposition et comme ministres. D'où il est dit (Mt 4,2) : Que les anges s'approchèrent du Christ et qu'ils le servirent. Quant aux démons ils ont l'immortalité qui leur est commune avec Dieu, et la misère qui leur est commune avec les hommes; car le démon immortel et malheureux s'interpose pour empêcher de parvenir à l'immortalité bienheureuse et conduire au malheur immortel. Par conséquent il est comme un mauvais intermédiaire qui sépare des amis. Au contraire le Christ a eu de commun la béatitude avec Dieu, et la mortalité avec les hommes. C'est pour cela qu'il s'est interposé comme intermédiaire pour que, la mortalité étant détruite, il rendit les morts immortels (ce qu'il a montré en se ressuscitant) et qu'il rendît bienheureux ceux qui sont misérables. C'est pour cela qu'il est le bon médiateur qui réconcilie les ennemis.

33 Il faut répondre au troisième, que l'Esprit-Saint étant en tout égal à Dieu, no peut pas être appelé médiateur entre Dieu et les hommes, mais il n'y a que le Christ, qui, bien qu'il soit égal au Père selon la divinité, est cependant moindre que lui sous le rapport de l'humanité, ainsi que nous l'avons dit (quest. xx, art. 1). Aussi sur ces paroles de saint Paul [Gal. 3) : Mediator unius non est, la glose dit : Ce n'est ni le Père, ni l'Esprit-Saint (1). Mais on dit que l'Esprit-Saint prie pour nous, parce qu'il nous fait prier.

(1) Pour la différence qu'il va entre le Christ et les autres médiateurs, on peut voir ce que dit saint Thomas, in III dist. quest. xix, art. 5, quest. iii, ad 2, 3, A et 5.
(2) On peut conclure de là que le Christ a été médiateur selon la substance et selon l'opération : selon la substance, parce que Dieu et l'homme sont unis en lui substantiellement ; selon l'opération, parce qu'il a été arbitre entre Dieu et nous, parce qu'il est venu faire connaître aux hommes les lois établies de Dieu, parce qu'il prie pour nous, parce qu'il a éteint notre dette en satisfaisant pour nous.



III Pars (Drioux 1852) 502