III Pars (Drioux 1852) 522

ARTICLE II. — LE CHRIST, COMME HOMME, EST-IL MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES (2)?

522
1 Il semble que le Christ, comme homme, ne soit pas médiateur entre Dieu et les hommes. Car saint Augustin dit (alius auctor. Lib. cont. Felic. cap. io) : Il n'y a qu'une seule personne dans le Christ pour qu'on ne dise pas qu'il n'y a pas qu'un seul Christ, mais il n'y a pas qu'une substance, de peur qu'en éloignant l'idée de médiateur, on dise seulement qu'il est le Fils de Dieu ou le fils de l'homme. Or, il n'est pas le Fils de Dieu et de l'homme, comme homme, mais il l'est tout à la fois comme Dieu et homme. On ne doit donc pas dire qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes, seulement comme homme.

2
Comme le Christ en tant que Dieu est égal au Père et à l'Esprit-Saint, de même en tant qu'homme il a la même nature que les hommes. Or, par là même que comme Dieu il a la même nature que le Père et l'Esprit-Saint, on ne peut l'appeler médiateur en tant qu'il est Dieu. Car sur ces paroles de saint Paul (1Tm 2) : Mediator Dei et hominum, la glose dit (ord.Aug. lib. x Conf. cap. 13) : qu'en tant que Verbe il n'est pas médiateur-, parce qu'il est égal à Dieu, qu'il est Dieu en Dieu, et qu'il n'est qu'un seul et même Dieu. On ne peut donc pas non plus l'appeler médiateur, en tant qu'il est homme, parce qu'il a la même nature que les hommes.

3 On dit que le Christ est médiateur en tant qu'il nous a réconciliés avec Dieu ; ce qu'il a fait en détruisant le péché qui nous séparait de lui. Or, il convient au Christ d'effacer le péché, non comme homme, mais comme Dieu. Le Christ, comme homme, n'est donc pas médiateur, mais il l'est comme Dieu.

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Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit [De civ. Dei, lib. ix, cap. IS) : Le Christ n'est pas médiateur parce qu'il est le Verbe, car le Verbe immortel et souverainement heureux est loin des misères des mortels, mais il l'est comme homme.


CONCLUSION. — Puisque le Christ, comme Dieu, n'est éloigné de Dieu d'aucune manière et qu'il ne peut rien en apporter qui ne soit à lui, il ne convient pas au Christ d'être médiateur en tant que Dieu, mais en tant qu'homme.

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Il faut répondre que dans le médiateur nous pouvons considérer deux choses : 1° sa nature d'intermédiaire; 2° l'office qu'il a d'unir ce qui est séparé. Or, il est de l'essence d'un moyen d'être séparé des deux extrêmes ; et le médiateur unit par là même qu'il porte à l'un ce qui appartient à l'autre. Aucune de ces deux conditions ne peut convenir au Christ, comme Dieu (3), mais seulement comme homme. Car, comme Dieu, il ne diffère du Père et de I Esprit-Saint ni en nature, ni en puissance. Le Père et l'Esprit-Saint n'ont rien qui no soit au Fils, de manière qu'il n'y a pas possibilité pour lui de transmettre à d'autres ce qui appartient au Père et à l'Esprit-Saint, comme on transmet à quelqu'un ce qui appartient à d'autres. Mais ces deux choses lui conviennent comme homme ; parce que comme homme il est éloigné de Dieu par la nature, et il l'est des hommes par la dignité de la grâce et delà gloire. Comme homme, il lui convient aussi d'unir les hommes à Dieu, en leur transmettant les préceptes et les dons de Dieu, et en satisfaisant à Dieu, en le priant pour eux. C'est pourquoi il est appelé très-véritablement médiateur, comme homme (1).

(1) Saint Paul dit (I. Tim. n, S) : Unus enim Deus, unus et Mediator Dei et hominum homo Christus Jésus, qui dedit redemptionem semetipsum pro omnibus, parce qu'il n'y a que le Christ qui ait satisfait réellement pour nous, en payant à Dieu toute notre dette.
(2) Calvin a prétendu que le Christ avait été médiateur selon sa nature divine et sa nature humaine. Quelques luthériens ont soutenu qu'il ne l'était qu'en raison de son humanité seule, de manière que la personne du Verbe était tout à fait étrangère à son office de médiation. Les catholiques enseignent qu'il est médiateur comme homme, c'est-à-dire selon qu'il est uni substantiellement à Dieu.
(5) Parmi les anciens Pères, on en trouve qui ont cru, à tort, qu'avant son incarnation le Verbe avait rempli l'office de médiateur (Vid. 'Pertuli. Cont. Mare. lib. ii, cap. 27, et Lib. contra Praxeam, cap. 14).

DE LA SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE. 231

31 Il faut répondre au premier argument, que si l'on retranchait du Christ la nature divine, on en retrancherait par conséquent la plénitude singulière de grâces qui lui convient, selon qu'il est le Fils unique du Père, d'après saint Jean (1, 14). Et c'est cette plénitude qui fait qu'il est placé au-dessus de tous les hommes et qu'il approche plus près de Dieu.

32
II faut répondre au second, que le Christ, comme Dieu, est en tout égal à son Père, mais il surpasse aussi les autres hommes par sa nature humaine. C'est pourquoi, comme homme, il peut être médiateur, mais il ne l'est pas comme Dieu.

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Il faut répondre au troisième, que quoiqu'il convienne au Christ, comme Dieu, d'effacer le péché par sa propre puissance, cependant il lui convient, comme homme, de satisfaire pour le péché du genre humain. Et c'est sous ce rapport qu'on dit qu'il est médiateur entre Dieu et les hommes.




QUESTION 27: DE LA SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE.

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Apres avoir parlé de l'union de Dieu et de l'homme et des conséquences de cette union, nous avons maintenant à considérer les choses que le Fils de Dieu incréé a faites et qu'il a souffertes dans la nature humaine qu'il s'est unie. — Nous diviserons en quatre parties cette dernière considération. Car nous verrons : 1° ce qui appartient à son entrée dans le monde; 2" ce qui se rapporte au développement de sa vie sur la terre; 3" ce qui regarde sa sortie d’ici-bas; 4" ce qui concerne son exaltation après cette vie. — Sur le premier point nous avons à examiner quatre choses : 1° sa conception ; 2° sa naissance; 3° sa circoncision ; 4° son baptême. — A l'égard de la conception il faut considérer ce qui appartient à la mère qui l'a conçu ; 2° rechercher le mode de sa conception ; 3° étudier la perfection de l'enfant qui a été conçu. — Relativement à la mère cinq considérations se présentent: Nous avons a nous occuper: 1° de sa sanctification; 2° de sa virginité; 3" de son mariage; 4° de son annonciation; 5" de sa préparation à la conception. — Sur sa sanctification il y a six questions à traiter : 1" La bienheureuse Vierge a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance du sein de sa mère? — 2° A-t-elle été sanctifiée avant d'être animée ? — 3° Par cette sanctification le foyer du péché a-t-il été totalement détruit en elle ? — 4° A-t-elle obtenu par cette sanctification de ne pécher jamais? — 5° Par cette sanctification a-t-elle obtenu la plénitude des grâces ? —6° Lui est-il propre d'être ainsi sanctifiée?


ARTICLE I. — la bienheureuse vierge mère de dieu a-t-elle été sanctifiée avant sa naissance (2) ?

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1 Il semble que la bienheureuse Vierge n'ait pas été sanctifiée avant sa naissance. Car l’Apôtre dit (
1Co 15,46) : Ce qui est de l'esprit n'a pas été formé le premier, mais d'abord ce qui est animal et ensuite ce qui est spirituel. Or par la grâce sanctifiante l'homme naît spirituellement enfant de Dieu d'après ces paroles de l'Evangile (Jn 1,13) : Ils sont nés de Dieu, au lieu que la naissance charnelle est la naissance animale. La bienheureuse Vierge n'a donc pas été sanctifiée avant de sortir du sein de sa mère.

(I) Pour nous servir des expressions de l'Ecole, l'humanité était le principe quo des opérations du médiateur, et le Verbe le principe quod, qui leur communiquait leur dignité et leur valeur.
(2) Tous les Pères ont admis que la B. Vierge avait été sanctifiée avant sa naissance. C'est ce qui faisait dire à saint Bernard (Ep 174) : Ortum ejus didici ab Ecdesiâ indubitanter habere sanctum atque festivum; firmissime cum Ecdesiâ sentiens in utero eam accepisse ut sancta prodiret.

2 Saint Augustin dit (Epist. 287) : La sanctification qui fait de nous un temple de Dieu n'appartient qu'à ceux qui renaissent. Or, on ne renaît qu'autant qu'on est né auparavant. La bienheureuse Vierge n'a donc pas été sanctifiée avant sa naissance.

3
Quiconque est sanctifié par la grâce, est purifié du péché originel et du péché actuel. Si donc la bienheureuse Vierge a été sanctifiée avant sa naissance, il s'ensuit qu'elle a été alors purifié du péché originel. Or, le péché originel seul pouvait l'empêcher d'entrer dans le royaume céleste. Si donc elle était morte alors, il semble qu'elle serait entrée dans le ciel \ ce qui n'était cependant pas possible avant la passion du Christ : car c'est par son sang que nous avons la liberté d'entrer avec confiance dans le sanctuaire, selon l'expression de saint Paul (He 10,19). Il semble donc que la bienheureuse Vierge n'ait pas été sanctifiée avant sa naissance.

4 Le péché originel se contracte par l'origine, comme le péché actuel par l'acte. Or, tant qu'on pèche en acte, on ne peut être purifié du péché actuel. La bienheureuse Vierge n'a donc pu être purifiée du péché originel, puisque tant qu'elle était dans le sein de sa mère, elle était dans l'acte même de son origine.

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Mais c'est le contraire. L'Eglise célèbre la naissance de la bienheureuse Vierge. Or, on ne célèbre une fête dans l'Eglise que pour ce qui est saint (1). La bienheureuse Vierge a donc été sainte dans sa naissance elle-même. Par conséquent elle a été sanctifiée dans le sein de sa mère.


CONCLUSION. — On croit avec raison que la bienheureuse Vierge Marie, qui a engendré le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité, a reçu des privilèges de grâce plus grands que tous les autres, et qu'elle a été sanctifiée dans le sein de sa mère, comme l'Ecriture nous apprend que plusieurs l'ont été.

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Il faut répondre qu'on ne trouve rien dans l'Ecriture qui nous apprenne que la bienheureuse Vierge a été sanctifiée (2) dans le sein de sa mère, et qu'il n'est pas fait mention non plus de sa naissance. Cependant comme saint Augustin (alius auctor in serm. deassumpt. cap. 2,4 et 5) prouve par la raison qu'elle a été enlevée au ciel avec son corps (quoique l'Ecriture n'en dise rien), de même nous pouvons prouver de la même manière qu'elle a été sanctifiée dans le sein de sa mère. Car on croit avec raison que celle qui a engendré le Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité, a reçu des privilèges de grâce supérieurs à tous les autres. Ainsi l'Evangile nous apprend (Lc 1,28) : que l'ange lui dit : Je vous salue pleine de grâce. Nous trouvons d'ailleurs que ce privilège d'être sanctifié dès le sein de sa mère a été accordé à d'autres. Ainsi le Seigneur dit à Jérémie (Jr 1,5) : Avant que vous ne sortiez du sein de votre mère, je vous ai sanctifié. L'Evangile dit aussi de saint Jean Baptiste (Lc 1,15) : Il sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère. D'où l'on croit avec raison que la bienheureuse Vierge a été sanctifiée avant sa naissance.

(I) On peut maintenant tirer un argument semblable de l'établissement de la fête de la Conception en faveur de la pieuse croyance des fidèles qui admettent que la sainte vierge a été conçue sans péché. Le 1'. Personne montre que cet argument est excellent.Vid. I)e immaculato beatae Miirioe Virginis conceptu (pars n, cap. b).
(2) Il n'en est pas fait mention directement dans l'Ecriture, cependant on peut tirer un argument assez fort en faveur de son immaculée conception du verset 25 du chapitre m de la Genèse : Ipsa conteret caput tuum,

31 Il faut répondre au premier argument, que dans la bienheureuse Vierge ce qui est animal a été avant et ce qui est spirituel après ; parce qu'elle a été conçue selon la chair et sanctifiée selon l'esprit.

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Il faut répondre au second, que saint Augustin parle selon la loi commune d'après laquelle on n'est régénéré par les sacrements qu'après qu'on est né. Mais Dieu n'a pas enchaîné sa puissance à cette loi, et il peut bien par un privilège spécial accorder sa grâce à quelques-uns, avant leur naissance.

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Il faut répondre au troisième, que la bienheureuse Vierge a été purifiée dans le sein de sa mère du péché originel quant à la tache personnelle, mais elle n'a pas été délivrée de la dette qui pesait sur la nature entière et qui ne permettait d'entrer dans le paradis que par le sacrifice du Christ; comme on le dit des patriarches qui ont existé avant le Christ.

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Il faut répondre au quatrième, que le péché originel vient de l'origine, parce que c'est par elle qu'est communiquée la nature humaine à laquelle le péché originel se rapporte proprement; ce qui a lieu quand le foetus est animé. Par conséquent, rien n'empêche que l'enfant qui est conçu ne soit sanctifié après qu'il est animé. Car il ne subsiste plus dans le sein de la mère pour recevoir la nature humaine, mais seulement pour le perfectionnement de cette nature qu'il a reçue.



ARTICLE II. — la bienheureuse vierge a-t-elle été sanctifiée AVANT d'être animée (1) ?

542
1 Il semble que la bienheureuse Vierge ait été sanctifiée avant d'être animée. Car, comme nous l'avons dit (art. préc.), la bienheureuse Vierge mère de Dieu a reçu plus de grâce qu'aucun autre saint. Or, il semble qu'il a été accordé à quelques-uns d'avoir été sanctifiés avant d'être animés. Ainsi le Seigneur dit à Jérémie (Jer,1, 5) : Je vous ai connu avant de vous former dans le sein de votre mère, et l'âme n'est pas mise dans le corps avant sa formation. De même saint Ambroise dit de saint Jean Baptiste (Sup. Luc. cap. 1) qu'il n'avait pas encore l'esprit de vie et que déjà il avait en lui l'esprit de grâce. A plus forte raison la bienheureuse Vierge a-t-elle pu être sanctifiée avant son animation.

2
Il a été convenable, comme le dit saint Anselme (Lib. de concept. Firg. cap. 18), que cette Vierge brillât d'une pureté telle qu'on ne pût en concevoir de plus éclatante au-dessous de Dieu. C'est pourquoi l'Ecriture dit d'elle (Ct 4,7) : Fous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a pas de tache en vous. Or, la pureté de la bienheureuse Vierge aurait été plus grande si son âme n'avait jamais été souillée de la contagion du péché originel. Il lui a donc été accordé d'être sanctifiée avant que son corps ne fût animé.

3 Comme nous l'avons dit (art. préc.) : on ne célèbre la fête que de ce qui est saint. Or, on célèbre la fête de la Conception de la bienheureuse Vierge. Il semble donc qu'elle ait été sainte dans sa conception et que par conséquent elle ait été sanctifiée avant d'être animée.

(I) On distingue deux sortes de conception, ia conception active et la conception passive. Benoît XIV les définit ainsi : Conceplio activa est in qud sancti beatae Maria Virginis parentes opere maritali invicem convenientes prastiterunt ea quae maximè spectabant ad ipsius corporis formationem. organisatiovem, et fit passiva cum rationalis anima cum corpore copulatur. Plusieurs théologiens pensent que saint Thomas n'a voulu parler dans cet article que de la conception active, et que son sentiment n'est point contraire à la croyance actuelle des fidèles. Vid. opusc. P. Nicolaï Cichovii Angelici doctoris sancti Thomae Aquinatis de beatissima Virginis Deipara immaculatiI conceptione sententia, et Jean de Saint-Thomas, Cursus theologia, tome i, in Tract. De approbat. et auctoritate doctrinae sancti Thomae, disp. i, art. 2.

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Saint Paul dit (Rm 2,16) : Si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi. Or, les parents sont la racine de leurs enfants. La bienheureuse Vierge a donc pu être sanctifiée dans ses parents avant d'être animée.

20 Mais c'est le contraire. Les choses qui ont eu lieu sous l'Ancien Testament sont la figure du Nouveau, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 10,12) : Tout leur arrivait en figure. La sanctification du tabernacle dont il est dit (Ps 45,5) : Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle, paraît être la figure de la sanctification de la mère de Dieu, qui est appelée le tabernacle de Dieu d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 18,6) : Il a mis sa tente dans le soleil. Or, il est dit du tabernacle (Ex 40 Ex 31) : Après que tout fut achevé, la nuée couvrit le tabernacle du témoignage et la gloire du Seigneur le remplit. La bienheureuse Vierge ne fut donc sanctifiée qu'après que tout son être fut complet, c'est-à-dire qu'elle eut un corps et une âme.


CONCLUSION. — La bienheureuse Vierge ayant eu besoin de la rédemption et du salut qui s'opère par le Christ, elle n'a été sanctifiée qu'après avoir été animée.

21 Il faut répondre que la sanctification de la bienheureuse Vierge ne peut se comprendre avant son animation pour deux raisons : 1° Parce que la sanctification dont nous parlons n'est que la purification du péché originel; car la sainteté est la pureté parfaite, comme le dit saint Denis (De div. nom. cap. 12). Or, une faute ne peut être effacée que par la grâce qui n'a pour sujet que la créature raisonnable. C'est pourquoi la bienheureuse Vierge n'a pas été sanctifiée avant que l'âme raisonnable fût en elle. 2° Parce qu'il n'y a que la créature raisonnable qui soit susceptible de pécher, et qu'un enfant, avant d'être animé par une âme raisonnable, ne peut être coupable. Par conséquent, de quelque manière que la bienheureuse Vierge aurait été sanctifiée avant d'être animée, elle n'aurait pas encouru la tache originelle et elle n'aurait pas eu besoin de la rédemption du salut qui s'opère par le Christ (1), dont il est dit (Matth,1, 21) : Il sauvera son peuple de leurs péchés. Comme il répugne que le Christ ne soit pas le sauveur de tous les hommes, d'après saint Paul (1Tm 4), il s'ensuit que la bienheureuse Vierge a été sanctifiée après avoir été animée.

31 Il faut répondre au premier argument, que le Seigneur dit qu'il a connu Jérémie avant qu'il ne fût formé dans le sein de sa mère, ce qui s'entend de sa connaissance de prédestination ; mais il ajoute qu'il l'a sanctifié non avant sa formation, mais avant qu'il sortît du sein de sa mère. Quant à saint Ambroise qui dit que saint Jean Baptiste n'avait pas encore l'esprit de vie, quand il avait déjà l'esprit de grâce, on ne doit pas entendre par l'esprit de vie l’âme qui vivifie, mais on doit entendre par là l'air extérieur qu'on respire. — Ou bien on peut dire qu'il n'avait pas encore l'esprit de vie, c'est-à-dire l'âme quant à ses opérations manifestes et complètes.

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Il faut répondre au second, que si l'âme de la bienheureuse Vierge n'avait jamais été souillée par la contagion du péché originel, ceci dérogerait à la dignité du Christ (2), d' après laquelle il est le sauveur universel de tous les hommes. C'est pourquoi après le Christ qui n'a pas eu besoin d'être sauvé, comme étant le Sauveur universel, la bienheureuse Vierge a eu la plus grande pureté. Car le Christ n'a contracté le péché originel d'aucune manière, mais il a été saint dans sa conception même, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 1,35): Le saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu, au lieu que la bienheureuse Vierge a contracté le péché originel, mais elle en a été purifiée avant de naître. C'est ce qu'exprime Job quand il dit delà nuit du péché originel (Jb 3,9) : qu'elle attendra la lumière, c'est-à- dire le Christ, et qu'elle ne voit pas le lever de l'aurore, c'est-à-dire la bienheureuse Vierge qui à sa naissance s'est trouvée exempte du péché originel.

(f) Saint Thomas reconnaît lui-même deux sortes de grâce de rédemption, l'une de préservation, et l'autre de délivrance. (Vid. in iv lib. Sent. dist. -'(j, quest. i, art. i ad 3). Cossuet réfute d'ailleurs admirablement ce raisonnement dans son premier sermon pour la fêle de la Conception de la sainte Vierge (edit, de Versailles, tum. xv).
(2) Bossuet montre la différence qui subsiste néanmoins entre le Christ et sa mère, en s'écriant : Vous êtes innocent par nature, Marie ne l'est que par grâce ; vous l'êtes par excellence, elle ne 1 est que par privilège ; vous l'êtes comme rédempteur, elle l'est comme la première de celles que votre sang précieux a puriliécs(loc. cit.)

33 Il faut répondre au troisième, que, quoique l'Eglise romaine ne célèbre pas la conception de la bienheureuse Vierge, cependant elle tolère la coutume do quelques Eglises qui célèbrent cette fête (-1). On ne doit donc pas totalement condamner cette solennité. D'ailleurs, par là même qu'on célèbre la fête de la Conception de la Vierge, on ne donne pas à entendre qu'elle ait été sainte dans sa conception ; mais, parce qu'on ignore le temps où elle a été sanctifiée, on célèbre alors la fête de sa sanctification (2) plutôt que celle de sa conception.

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Il faut répondre au quatrième, qu'il y a deux sortes de sanctification. L'une se rapporte à la nature entière, dans le sens que toute la nature humaine est délivrée complètement de la faute et de la peine qui y est attachée; et c'est ce qui aura lieu dans la résurrection. L'autre est la sanctification personnelle qui ne passe pas dans l'enfant engendré charnellement; parce que cette sanctification ne se rapporte pas à la chair, mais à l'esprit. C'est pourquoi quoique les parents de la bienheureuse Vierge aient été purifiés du péché originel, la bienheureuse Vierge l'a néanmoins contracté, puisqu'elle a été conçue de l'union de l'homme et de la femme selon la concupiscence de la chair. Car saint Augustin dit [De nupt. et concupisc. lib. i, cap. 42) : que tout ce qui naît charnellement est une chair de péché (3).



ARTICLE III. — le foyer de la concupiscence a-t-il été détruit dans la sainte vierge par sa sanctification (4) ?

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1 Il semble que la bienheureuse Vierge n'ait pas été purifiée du foyer de la concupiscence. Car comme la peine du péché originel est ce foyer qui consiste dans la révolte des puissances inférieures contre la raison ; de même la peine du péché originel est la mort et les autres afflictions du corps. Or, la bienheureuse Vierge a été soumise à ces peines. Le foyer de la concupiscence n'a donc pas été totalement détruit en elle.

2
Saint Paul dit (1Co 12,9) : La puissance est dans la faiblesse, et il parle en cet endroit de la faiblesse de la concupiscence d'après laquelle il éprouvait l'aiguillon de la chair. Or, on ne doit rien enlever à la bienheureuse Vierge de ce qui appartient à la perfection de la vertu. On n'a donc pas dû détruire totalement en elle le foyer de la concupiscence.

(4) Cette fête de la Conception remonte jusqu'au V siècle, et on la voit successivement se répandre dans les Eglises d'Orient et d'Occident. Vid. Pcrrone, De immaculato conceptu (p. lOo, éd. in-12). Jean de Saint-Thomas observe à cet égard, que, maintenant que l'Eglise de Rome no tolère pas seulement, mais qu'elle ordonne de célébrer cette fête dans tout le monde catholique, saint Thomas ne soutiendrait plus le même sentiment.
(2) Maintenant que l'on est autorisé à joindre le mot immaculata dans la préface de la Conception, il n'y q plus lieu de faire cette observation.
(S) En appelant Marie une chair de péché, les P ères ont seulement voulu signifier par là qu'elle avait été engendrée comme les autres hommes. D'ailleurs ils se servent do cette expression en parlant du Christ lui-même (Voy. saint Augustin Lib. de Trin. lib. i, n« 13 ; Proclus, Orat, vi, n0 14; saint Grégoire de Nazianze, Orat, li, 18).
(5) Cet article est la conséquence do celui qui précède.

3 Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. m, cap. 2) : que l'Esprit-Saint est venu dans la bienheureuse Vierge, pour la purifier avant la conception du Fils de Dieu ; ce qui ne peut s'entendre que de la purification du foyer de la concupiscence ; puisqu'elle n'a pas fait dépêché, selon la remarque" de Saint Augustin (Lib. de nat. et grat. cap. 36). Elle n'a donc pas été délivrée de ce foyer par la sanctification dont elle a été l'objet dans le sein de sa mère.

20
Mais c'est le contraire. Il est dit (Ct 4,7) : Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a pas de tache en vous. Le foyer de lfw concupiscence appartenant à la tache ou du moins à la tache de la chair, il n'a pas existé dans la bienheureuse Vierge.


CONCLUSION. — Le foyer de la concupiscence est resté selon son essence dans la bienheureuse Vierge après sa sanctification, mais il était enchaîné, quant à son exercice ou à son opération, jusqu'à la conception du Fils de Dieu, dans laquelle il a été totalement détruit.

pas dû exister dans la sainte Vierge, du moment que l'on suppose qu'elle a été conçue sans péché.

(t) Le foyer de la concupiscence n'étant rien autre chose que le mouvement déréglé de l'appétit sensitif qui résulte du péché originel, i! n'a

21 Il faut répondre qu'à cet égard les opinions varient. En effet il y en a qui ont dit que dans la sanctification de la bienheureuse Vierge le foyer de la concupiscence avait été totalement détruit (1), parce qu'elle avait été sanctifiée dans le sein de sa mère. D'autres disent que le foyer est resté par rapport à ce qu'il rend le bien difficile, mais qu'il a été détruit relativement au penchant qu'il nous donne pour le mal. D'autres ont prétendu qu'il avait été enlevé en ce qui appartient à la corruption de la personne, selon qu'il la pousse au mal et qu'il lui rend le bien difficile, mais qu'il est resté en ce qui appartient à la corruption de la nature, selon qu'elle est la cause par laquelle l'homme transmet le péché originel à ses descendants. D'autres enfin veulent que dans la première sanctification le foyer soit resté quant à l'essence, mais enchaîné, et que dans la conception du Fils de Dieu il ait été totalement détruit. — Pour comprendre cette question il faut considérer que le foyer n'est rien autre chose que la concupiscence déréglée de l'appétit sensible ; mais cette concupiscence est habituelle, parce que la concupiscence actuelle est le mouvement du péché. Or, on dit que la concupiscence de l'appétit sensuel est déréglée, selon qu'elle répugne à la raison, ce qui a lieu en tant qu'elle porte au mal ou qu'elle rend difficile le bien. C'est pourquoi il appartient à l'essence même du foyer qu'il porte au mal ou qu'il rende le bien difficile. Par conséquent, supposer que le foyer de la concupiscence est resté dans la bienheureuse Vierge sans la porter au mal, c'est supposer des choses simultanément opposées. De même il semble impliquer opposition que le foyer soit resté, en tant qu'il appartient à la corruption de la nature, mais non en tant qu'il appartient à la corruption de la personne. Car, d'après saint Augustin (Lib. i de nupt. et concup. cap. 24), c'est la passion qui transmet le péché originel aux enfants. Or, la passion implique une concupiscence déréglée qui n'est pas totalement soumise à la raison. C'est pour ce motif que si le foyer de la concupiscence était totalement éteint en ce qui appartient à la corruption de la personne, il ne pourrait subsister en ce qui appartient à la corruption de la nature. Il reste donc à dire ou que le foyer de la concupiscence a été totalement éteint par la première sanctification ou qu'il est resté enchaîné. Car on pourrait concevoir qu'il a été totalement éteint, parce qu'il a été accordé à la bienheureuse Vierge par suite de l'abondance de la grâce qui est descendue en elle, d'être disposée de telle sorte que les puissances inférieures de son âme ne fussent jamais mues sans le gré de la raison, comme nous avons vu (quest. xv, art. 2) que cela se passait dans le Christ qui n'a jamais eu le foyer de la concupiscence, et comme cela se passa dans Adam avant son péché par le moyen de la justice originelle. Ainsi dans cette hypothèse la grâce de la sanctification aurait eu dans la Vierge la puissance de la justice originelle. Quoique ce sentiment paraisse convenir à la dignité de la Vierge-mère, cependant il déroge sous un rapport à celle du Christ (I), sans la puissance duquel personne n'est délivré de la damnation première. Et quoique par la foi du Christ il y en ait qui aient été délivrés de cette damnation selon l'esprit avant qu'il ne se fût incarné, il semble que l'on ait dû n'en être délivré selon la chair qu'après son incarnation, dans laquelle cet affranchissement a dû se manifester tout d'abord. C'est pour ce motif que comme, avant l'immortalité du corps du Christ ressuscité, personne n'a obtenu l'immortalité de la chair, de même il ne paraît pas convenable qu'avant la chair du Christ, dans laquelle il n'y a pas eu de péché, la chair de la Vierge sa mère ou de tout autre ait été sans le foyer de la concupiscence qu'on appelle la loi de la chair ou des membres. — C'est pourquoi il semble mieux de dire que par la sanctification de la bienheureuse Vierge dans le sein de sa mère, le foyer de la concupiscence n'a pas été détruit dans son essence, mais qu'il est resté enchaîné; non par l'acte de sa raison, comme dans les saints, parce qu'elle n'a pas eu l'usage de son libre arbitre, lorsqu'elle existait encore dans le sein de sa mère, car c'est le privilège spécial du Christ; mais par l'abondance de la grâce qu'elle a reçue dans sa sanctification et plus parfaitement encore par la providence divine qui a mis son appétit sensuel à l'abri de tout mouvement déréglé. Mais ensuite dans la conception même du corps du Christ, dans laquelle l'affranchissement du péché a dû se manifester tout d'abord, on doit croire qu'il a rejailli de l'enfant sur la mère, et que le foyer de la concupiscence a été alors totalement détruit (2). C'est ce que désigne expressément Ezéchiel quand il dit (Ez 43,2) : Voilà que la gloire du Dieu d'Israël entrait par la porte orientale, c'est-à-dire par la bienheureuse Vierge, et la terre était toute resplendissante de sa majesté, c'est-à-dire de celle du Christ.

31 Il faut répondre au premier argument, que la mort et les afflictions de ce genre ne portent pas d'elles-mêmes au péché. Ainsi quoique le Christ ait pris sur lui ces afflictions, il n'a cependant pas pris le foyer de la concupiscence. De même la bienheureuse Vierge, pour être semblable à son Fils, de la plénitude duquel elle recevait la grâce, sentit d'abord le foyer de la concupiscence enchaîné en elle, puis détruit; mais elle ne fut pas délivrée de la mort et des autres afflictions semblables.

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Il faut répondre au second, que l'infirmité de la chair appartenant au foyer de la concupiscence est, à la vérité, dans les saints une occasion de vertu parfaite, mais elle n’est pas la cause sans laquelle on ne peut arriver à la perfection. Il suffit d'admettre dans la bienheureuse Vierge une vertu parfaite d'après l'abondance de la grâce, et il n'est pas nécessaire de supposer en elle tout ce qui peut être une occasion de perfection.

33
Il faut répondre au troisième, que l'Esprit a produit dans la bienheureuse Vierge deux sortes de purification. L'une a été une sorte de préparation à la conception du Christ, qui n'a pas eu pour objet delà purifier d'une faute ou du foyer de la concupiscence, mais qui a consisté à recueillir plus profondément son âme vers Dieu seul et à la séparer de la multitude. Car on dit que les anges sont purifiés, quoiqu'il n'y ait pas en eux de souillure, selon la remarque de saint Denis (De ecdes. hier. cap. 6). Le Saint-Esprit a opéré en elle une autre purification au moyen de la conception du Christ qui est son œuvre. A cet égard 0Il peut dire qu'il l'a totalement délivrée du foyer de la concupiscence.

(1) Il ne déroge en rien à la dignité du Christ, puisque la sainte Vierge n'a pu avoir ce privilège ([ue par gràee et non par nature, comme le Christ, et que c'est au Christ lui-même qu'elle a dû cette grâce.
(2) II nous semble peu convenable d'admettre que le Verbe ait attendu à ce moment pour délivrer complètement sa mère ; car, selon la belle pensée de saint Augustin : licata Virgo prius concepit mente quam corpore. Voyez à ce sujet un magnifique discours de Bossuctsur la nativité de la sainte Vierge (tom. xxv, p. 87, édit. de Vers.).



ARTICLE IV. — par cette sanctification a-t-elle reçu la GRÂCE de ne pécher jamais (4)?

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1 Il semble que par sa sanctification dans le sein de sa mère, la bienheureuse Vierge n'ait pas été préservée de tout péché actuel. Car, comme nous l'avons dit (art. préc.), après sa première sanctification le foyer delà concupiscence est resté en elle. Or, le mouvement de ce foyer, quoiqu'il prévienne la raison, est un péché véniel, bien que très-léger, d'après saint Augustin (Lib. de Trin.). Il y a donc eu dans la bienheureuse Vierge certain péché véniel.

2
Sur ces paroles de saint Luc (Luc. ii) : Tuaviipsius animam pertransibit gladius, saint Augustin dit (alius auctor in lib. Quaest. Veteris et Nov. Testam, quaest. 73) que la bienheureuse Vierge à la mort du Seigneur a douté dans son étonnement. Or, c'est un péché de douter de la foi. La bienheureuse Vierge n'a donc pas été préservée de tout péché.

3
Saint Chrysostome, expliquant ces paroles (Hom. xl y sup. illud ) : Voilà votre mère et vos frères qui sont dehors et qui vous demandent (Mt 12,47), dit qu'il est évident qu'ils ne le faisaient que par vaine gloire. Et à l'occasion de ces paroles : Ils n'ont plus de vin (Jn 2), le même Père dit (Hom. xx in ) que Marie voulait se concilier la faveur des hommes et se rendre plus glorieuse au moyen de son Fils, et qu'elle ressentait peut-être quelque chose d'humain aussi bien que ses frères qui lui disaient : Manifestez-vous au monde. Puis il ajoute : car elle n'avait pas encore de lui l'opinion qu'il fallait en avoir. Toutes ces choses étant autant de péchés, il s'ensuit que la bienheureuse Vierge n'a pas été complètement préservée de toute tache.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de nat. et grat. cap. 30) : Par honneur pour le Christ, je ne veux pas qu'il soit question de la sainte Vierge quand il s'agit de péchés ; car nous savons qu'elle a reçu plus de grâce qu'il n'en faut pour vaincre le péché de toutes les manières, par là même qu'elle a mérité de concevoir et d'enfanter celui qui évidemment n'a jamais fait une seule faute.


CONCLUSION. — Puisque le Fils de Dieu a habité d'une manière toute particulière dans la bienheureuse Vierge, il faut reconnaître absolument qu'elle n'a jamais commis ni péché mortel, ni péché véniel, car ces fautes tourneraient d'une certaine manière à la honte de son Fils.

21
Il faut répondre que ceux que Dieu choisit pour une chose, il les prépare et les dispose de manière qu'ils soient aptes à la chose pour laquelle il les a choisis, d'après ces paroles de saint Paul (2Co 3,6) : Il nous a rendus capables d'être les ministres de la nouvelle alliance. Or, la bienheureuse Vierge a été choisie de Dieu pour être sa mère. C'est pourquoi il n'est pas douteux qu'il ne l'y ait rendue apte par sa grâce, selon que l'ange lui dit (Lc 1,30) : Vous avez trouvé grâce devant Dieu, voici que vous concevrez, etc. Si elle eût jamais péché, elle n'aurait pas été capable d'être la mère de Dieu, soit parce que l'honneur des parents rejaillit sur les enfants, d’après cette maxime du Sage (Pr 26,6) : Les enfants se glorifient de leurs parents, et dans le sens contraire, la honte de la mère aurait rejailli sur le Fils ; soit parce qu'elle a eu une affinité toute particulière avec le Christ qui a reçu d'elle son corps, car comme le dit l’Apôtre(2Co 6,45) : Quelle alliance y a-t-il entre Belial et le Christ? soit encore parce que le Fils de Dieu, qui est la sagesse de Dieu, a habité en elle d'une manière particulière, non- seulement dans son âme, mais encore dans son sein. Et le Sage dit(Sg 1,4) : La sagesse n'entrera point dans une âme méchante et n'habitera point dans un corps soumis aux péchés. C'est pourquoi il faut reconnaître absolument que la bienheureuse Vierge n'a commis aucun péché actuel, ni mortel, ni véniel, de manière que ces paroles se sont accomplies en elle [Cant, 4, 7) : Fous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a pas de tache en vous (4).

(4) Le concile de Trente s'est ainsi prononcé sur ce point (sess, vi, can. 23) : Si quis hominem semel iustificatum dixerit posse in totd riitd peccata cmnia etiamvenialia vitare, nisi ex speciali Dei privilegio, quemadmodum de beata Virgine tenet Ecdesia, anathema tit.

DE LA SANCTIFICATION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE. 259 Il faut répondre au premier argument, que dans la bienheureuse Vierge après sa sanctification dans le sein de sa mère le foyer de la concupiscence est resté, mais il était enchaîné, pour qu'il ne se laissât pas aller à quelque mouvement déréglé qui préviendrait la raison : et quoique la grâce de la sanctification ait contribué à cela, cependant elle n'y suffisait pas. Autrement, par la vertu de cette grâce, il lui aurait été accordé qu'aucun mouvement ne put s'élever dans l'appétit sensitif sans être prévenu par la raison, et alors le foyer de la concupiscence n'aurait plus existé, ce qui est contraire à ce que nous avons vu (art. préc.). Il faut donc dire que ce qui a complété cet enchaînement, c'est l'action de la providence divine qui ne permettait pas qu'il s'élevât du loyer de la concupiscence un mouvement déréglé.

32 Il faut répondre au second, que Origène (Hom. xvii in ) et d'autres Pères entendent ce passage de la douleur que la bienheureuse Vierge souffrit dans la passion du Christ. Saint Ambroise (in hunc locum) dit que le glaive signifie la prudence de Marie qui connaissait le mystère céleste. Car le Verbe de Dieu est vivant et fort, et il est plus aigu que le glaive le mieux affilé. D'autres entendent par le glaive le doute; non le doute de l'infidélité, mais celui de l'étonnement et de la discussion. Car saint Basile dit (Epist. 217 ad Optimum) que la bienheureuse Vierge étant près de la croix, et regardant chaque chose, après le témoignage de l'ange Gabriel, après la connaissance ineffable de sa conception divine, après avoir été témoin de tant de miracles, se trouvait flottante, c'est-à-dire que d'une part elle voyait son Fils souffrir des tourments ignominieux et que de l'autre elle considérait tout ce qu'il y avait de merveilleux en lui (2).

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Il faut répondre au troisième, que saint Chrysostome est sorti du vrai dans ces passages, ou bien on pourrait les expliquer en disant que le Seigneur a comprimé dans sa mère un mouvement de vaine gloire qui n'était pas déréglé par rapport à elle, mais qui pouvait être mal interprété par d'autres (3).

(1) Les mêmes raisons de convenance peuvent être alléguées pour prouver que la sainte Vierge a été conçue sans péché, et qu'elle n'a pas été un seul instant sous l'empire du démon.
(2) Le P. I'étau rapporte divers passages de saint Basile, de saint Chrysostome, de saint Cyrille d'Alexandrie, et il croit qu'ils ont pensé quo la sainte Vierge n'avait pas été sans péché, bien qu'il trouve qu'ils se sont appuyés sur des raisons qui manquent de solidité (De incarnat. lih. XIV, cap. t). Nous croyons que l'interprétation de saint Thomas est préférable, puisque dans toute la tradition il ne se trouve pas de Pères qui soient manifestement contraires à l'immaculée conception
(5) Cajétau fait observer à cette occasion avec quelle modestie et quel respect saint Thomas interprète les sentiments des Pères, même quand




III Pars (Drioux 1852) 522