III Pars (Drioux 1852) 603

ARTICLE III. — l'ange qui annonça le mystère de l'incarnation a la sainte vierge a-t-1l du lui apparaitre sous une forme corporelle ?

603
1 Il semble que l'ange qui a annoncé le mystère de l'Incarnation n'ait pas dû se montrer à la bienheureuse Vierge sous une forme corporelle. En effet la vision de l'esprit est plus noble que celle du corps, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. litt. lib. xii, cap. 24), et surtout elle est plus convenable pour l'ange lui-même. Car l'ange est vu dans sa substance par la vision intellectuelle, au lieu que par la vision corporelle il est vu sous la figure du corps qu'il a pris. Or, comme il était convenable que pour annoncer les desseins de Dieu on envoyât un messager d'un ordre supérieur, de même il convenait aussi qu'il fût vu de la manière la plus élevée. Il semble donc que l'ange de l'annonciation ait dû apparaître à la sainte Vierge sous une forme intellectuelle.

2
La vision imaginative paraît être plus noble que la vision corporelle, comme l'imagination est une puissance plus élevée que les sens. Or, l'ange apparut à saint Joseph dans le sommeil selon la vision imaginative, comme on le voit (Matth,1 et 2). Il semble donc qu’il ait dû se montrer à la bienheureuse Vierge de cette manière et non selon la vision corporelle.

3
La vision corporelle d'une substance spirituelle stupéfait ceux qui la voient; c'est pourquoi l'Eglise dit de la Vierge : qu'elle fut saisie à la vue de sa lumière. Or, il aurait été mieux que son âme fût préservée de ce trouble. Par conséquent il n'a pas été convenable que cette annonciation se fit par une vision corporelle.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin fait dire à la Vierge (alius auctor in quod, sermone xxv) : L'archange Gabriel est venu à moi avec un visage brillant, un habit éclatant et une démarche admirable. Or, ces choses ne peuvent appartenir qu'à la vision corporelle. Par conséquent l'ange qui a annoncé ce mystère à la bienheureuse Vierge lui a donc apparu sous cette forme.



CONCLUSION. — L'ange annonçant l'incarnation du Dieu invisible, a dû se manifester sous une vision corporelle.

21
Il faut répondre que l'ange qui a annoncé le mystère de l'Incarnation a apparu à la mère de Dieu sous une forme corporelle, et il était convenable qu'il en fût ainsi : 4° quant à ce qui était annoncé. Car l'ange était venu annoncer l'incarnation du Dieu invisible qui devait le rendre visible. Par conséquent il a été convenable que, pour annoncer ce mystère, la créature invisible prit une l'orme, sous laquelle elle devait se manifester visiblement; puisque toutes les apparitions de l'Ancien Testament se rapportent •'i l'apparition par laquelle le Fils de Dieu s'est manifesté dans sa chair. 2" Cet acte a été convenable pour la dignité de la mère de Dieu, qui ne devait pas recevoir seulement le Fils de Dieu dans son à mc, mais encore dans son sein. C'est pourquoi non-seulement son âme, mais encore ses sens ont dû être frappés par la vision de l'ange. 3° L'annonciation a été convenable à l'égard de la certitude de ce qui en était l'objet. Car nous saisissons les choses que nous avons sous les yeux d'une manière plus certaine que celles qui sont dans notre imagination. D'où saint Chrysostome dit(5wp. Matth, hom. iv) que l'ange ne s'est pas montré à la Vierge en sommeil, mais d'une manière visible ; car du moment qu'elle recevait de l'ange une révélation aussi grande, elle avait besoin avant l'accomplissement de cet événement de voir solennellement celui qui l'annonçait.

31
Il faut répondre au premier argument, que la vision intellectuelle est plus noble que la vision imaginative ou corporelle, si elle est seule. Mais saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt. lib. xii, cap. 9) que la prophétie qui a simultanément la vision intellectuelle et imaginaire est plus noble que celle qui n'a que l'une des deux (1). La bienheureuse Vierge n'ayant pas seulement eu la vision corporelle, mais ayant encore reçu l'illumination intellectuelle, il s'ensuit que cette apparition a été plus noble. Elle l'aurait cependant encore été davantage, si elle avait vu l'ange lui-même d'une vision intellectuelle dans sa substance. Mais son état qui était celui de l'homme voyageur ne lui permettait pas de voir l'ange dans son essence (2).

32
Il faut répondre au second, que l'imagination est à la vérité une faculté plus noble que les sens extérieurs ; mais parce que le principe de la connaissance humaine est le sens (3) dans lequel consiste la certitude la plus grande; et parce qu'il faut toujours que les principes de la connaissance soient plus certains; il s'ensuit que saint Joseph, à qui l'ange a apparu dans son sommeil, n'a pas eu une apparition aussi élevée que celle de la bienheureuse Vierge.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Ambroise (Sup. Luc. cap. 1, sup. illud : Apparuit illi angelus), nous sommes troublés et jetés hors de nous-mêmes, quand nous sommes saisis par la rencontre d'une puissance supérieure quelconque. Et c'est ce qui arrive non-seulement dans la vision corporelle, mais encore dans la vision imaginaire. Ainsi il est dit (Gn 15,12) : Que vers le couchant du soleil, Abraham fut surpris d'un pro fond sommeil et saisi d'effroi, se trouvant comme tout enveloppé de ténèbres épaisses. Mais ce trouble de l'homme ne lui nuit pas au point que l'apparition n'ait pas dû pour cela avoir lieu : 1° Parce que par là même que l'homme est élevé au- dessus de lui-même, ce qui appartient à sa dignité, sa partie inférieure s'affaiblit, et c'est de là que vient le trouble dont il est question ; comme quand la chaleur naturelle est concentrée à l'intérieur, les extrémités se troublent. 2° Parce que, comme le dit Origène (Sup. Lwc.hom. iv), l'ange qui a apparu, sachant que telle était la nature humaine, a d'abord remédié à ce trouble; c'est pourquoi il a dit à Zacharie et à Marie après leur émotion : Ne craignez

(J) C'est-à-dire qu'il vaut mieux que les vérités surnaturelles nous soient révélées sous des espèces corporelles, comme on l'a démontré tome V, p. ÍK)2.
(2) Mlle ne "aurait pu que dans le cas ou son âme aurait été alslraite des sens, comme il arriva à saint Paul et à Moïse d'après saint Thomas lui-même.
(5) Ainsi la vue est le principe delà connaissance et un moyen direct de certitude, de manière qu'on est jilus sur des choses que l'on voit réellement que de celles qui ne sont que dans l'imagination.

pas. C'est pour ce motif que, comme 0Il le voit dans la vie de saint Antoine (/ it.PatAW). i, cap. 18), il n'est pas difficile de discerner les esprits bienheureux des esprits méchants. Car si à la crainte succède la joie, nous savons que c'est un secours qui nous vient de Dieu, parce que la sécurité de l'âme est l'indice de la présence de sa majesté. Mais si la crainte persévère, c'est une preuve qu'on est en face de l'ennemi. D'ailleurs le trouble de la sainte Vierge convenait à sa pureté virginale; parce que, comme le dit saint Ambroise (Sup. Luc. cap. 1, super illud : Et ingressus angelus), il appartient aux vierges d'être timides, de trembler toutes les fois qu'elles se trouvent en présence d'un homme et d'être émues par toutes ses paroles. — Il y en a qui disent que la bienheureuse Vierge était accoutumée aux visions des anges, qu'elle ne fut pas troublée par la vue de l'ange, mais par l'admiration où elle était des choses qu'il lui disait, parce qu'elle n'avait pas d'elle des pensées si élevées. C'est pour cela que l'évangéliste ne dit pas qu'elle fut troublée à la vue de l'ange, mais en entendant ses paroles (4).

ARTICLE IV. — l'annonciation s'est-elle faite dans un ordre convenable (2)?

604
1 Il semble que l'annonciation ne se soit pas faite dans l'ordre convenable. Caria dignité de mère de Dieu dépend de l'enfant qu'elle a conçu. Or la cause doit se manifester avant l'effet. L'ange eût donc dû annoncera la Vierge la conception de l'enfant avant de lui faire connaître sa dignité en la saluant.

2
Ou doit omettre la preuve des choses qui ne sont pas douteuses ou la donner à l'avance pour celles qui peuvent l'être. Or, l'ange paraît avoir annoncé d'abord ce dont la Vierge doutait, et ce qui lui faisait dire en hésitant : Comment cela se fera-t-il? Et il en a ensuite donné la preuve d'après l'exemple de sainte Elisabeth, et la toute-puissance de Dieu. L'annonciation a donc été faite par l'ange dans un ordre qui ne convient pas.

3
Le plus ne peut être suffisamment démontré par le moins. Or, c'est une plus grande chose qu'une vierge enfante que de rendre féconde une femme âgée. La preuve de l'ange qui démontre la conception de la Vierge d'après celle d'une femme déjà vieille n'est donc pas suffisante.

20
Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Rm 13,1): Ce qui vient de Dieu a été bien ordonné. Or, l'ange a été envoyé de Dieu pour annoncer ce mystère à la Vierge, comme on le voit (Lc 1). L'annonciation a donc été faite par l'ange de la manière la plus convenable.


CONCLUSION. — L'annonciation a été faite par l'ange de la manière la plus convenable; il a d'abord rendu la bienheureuse Vierge attentive, il l'a ensuite instruite du mystère et il l'a enfin engagée à y consentir.

21 Il faut répondre que l'annonciation a été faite par l'ange dans un ordre convenable. Car l'ange se proposait trois choses à l'égard de la Vierge : 4° Il voulut rendre son âme attentive à la considération d'une aussi grande chose; ce qu'il a fait en la saluant d'une manière nouvelle et insolite. C'est ce qui fait dire à Origène (Sup. Luc. hom. vi) que si elle avait su qu'une pareille parole eût jamais été adressée à une autre, comme elle avait la science de la loi, jamais ce salut ne l'aurait effrayée comme une chose inouïe. Dans ce salut il lui a dit à l'avance qu'elle était capable de concevoir en l'appelant: pleine de grâce; il a exprimé ensuite qu'elle concevrait, en ajoutant : le Seigneur est avec vous; enfin il a prédit l'honneur qui lui en reviendrait quand il a dit : vous êtes bénie entre toutes les femmes. 2" Il se proposait de l'instruire du mystère de l'Incarnation qui devait s'accomplir en elle. Ce qu'il a fait en lui annonçant sa conception et son enfantement par ces paroles : Voilà que vous concevrez-, etc., et en lui montrant la dignité de l'enfant qu'elle devait mettre au monde, Il sera grand, etc.; et en démontrant le mode de sa conception par ces autres paroles : L'Esprit- Saint viendra eratis. 3° Enfin il avait l'intention de L’amener à y consentir; ce qu'il a fait par l'exemple d'Elisabeth et par la raison tirée de la toute- puissance de Dieu.

!\)Yirginem quam leviter Angelus visus snl- licitaverat,nimirum turbavit auditus,et quam missiproesentiaparùmmoverat,concussit toto pondere mittentis auctoritas, dit saint Pierre Chrysologue, in serm. 140. Cette explication est celle que donnent la plupart des Pères. c'est son humilité, dit Bossuet, qui laîjeta dans le trouble.

(2) Voyez sur la manière dont l'annonciation se fit les Elévations do Bossuet sur les mystères, xne semaine (t. viii, p.274 etsniv. édit. de Vers.).

31
Il faut répondre au premier argument, que pour un esprit humble il n'y a rien de plus étonnant que d'entendre parler de son excellence : mais l'étonnement excite l'attention de la manière la plus vive. C'est pourquoi l'ange, voulant rendre l'intelligence de la Vierge attentive à l'annonce d'un aussi grand mystère, a commencé par sa louange.

32
Il faut répondre au second, que saint Ambroise dit expressément (Sup. Luc. cap. 1, super illud : Quomodo fiet istud?) que la bienheureuse Vierge n'a pas douté des paroles de l'ange. Car il dit : La réponse de Marie est plus modérée que les paroles du grand prêtre. Marie dit : Comment cela se fera- t-il Et Zacharie répond : D’où le saurai-je? Celui qui nie qu'il sait, nie qu'il croit; mais Marie avoue qu'elle croit, car on ne doute pas qu'une chose doive se faire quand on demande comment elle peut être faite. Cependant saint Augustin (vel alius auctor) parait dire qu'elle a douté. Car il prétend (Lib. quaestion. Veteris et Novi Testam, quest. li, art. préc.) que Marie doutant de sa conception, l'ange lui en démontre la possibilité (1). Mais ce doute est plutôt l'effet de l'étonnement que de l'incrédulité. C'est pourquoi l'ange lui en donne la preuve non pour détruire son défaut de foi, mais plutôt pour faire cesser son étonnement.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Ambroise dans son Hexameron (implic. lib. v, cap. 10. et sup. illud Luc. i : Exurgens Maria, et cap. 8, sup. illud : Adhuc eo loquente), beaucoup de femmes stériles sont devenues fécondes, pour qu'on croie à l'enfantement de la Vierge. C'est pourquoi la conception de sainte Elisabeth qui était stérile est citée, non comme un argument suffisant (2*, mais comme un exemple figuratif. C'est pour ce motif qu'à l'appui de cet exemple il ajoute un argument concluant tiré de la toute-puissance divine.




QUESTION 31: DE LA CONCEPTION DU SAUVEUR QUANT A LA MATIÈRE DONT SON CORPS A ÉTÉ FORMÉ.

620
Nous devons considérer ensuite la conception elle-même du Sauveur : 1° quant à la matière dont son corps a été formé; 2" quant à l'auteur de sa conception; 3° quant au mode et à l'ordre de sa conception. — Sur la première de ces considérations huit questions se présentent : I" La chair du Christ a-t-elle été prise d'Adam? — 2» A-t- elle été prise de David ? — 3U De la généalogie du Christ qui se trouve dans l'Evangile. — 4U A-t-il été convenable que le Christ naquît d'une femme? — 5° Son corps a-t-il

été formé du sangle plus pur de la Vierge? — o° la chair du Christ a-t-elle été dans les anciens patriarches selon quelque chose de déterminé ? — 7° A-t-elle été en eux soumise au péché ? — 8° A-t-elle été décimée dans les reins d'Abraham?

(I) Cet ouvrage n'est d'ailleurs pas de saint Augustin. Ce grand docteur dit précisément le contraire (Hom. xliv de Quinquaçjcsimd, cap. 4), et il on est de même de saint Irénée (lib. III, cap. 33, lib. V, cap. I!)), de saint Justin (Dial- cum Tryph), do saint Pierre Clirysolo- guc (Serm. cxul) et d'une foule d'autres.
(2) Marie vit que par te miracle souvent répété de rendre fécondes les stériles, il avait voulu préparer le monde au miracle unique et nouveau de l'enfantement d'une vierge (1élévation sur les mystères, xii» semaine, élévation.


ARTICLE I. — la chair du christ a-t-elle été prise d’Adam (1)?

621
1 Il semble que le Christ n'ait pas pris sa chair d'Adam. Car l’Apôtre dit (
1Co 15,47) : Le premier homme est le terrestre formé de la terre, et le second homme est le céleste qui est venu du ciel. Or, le premier homme est Adam et le second est le Christ. Le Christ ne vient donc pas d'Adam, mais il a une origine distincte de lui.

2 La conception du Christ a dû être la plus miraculeuse. Or, c'est un plus grand miracle de former le corps de l'homme du limon de la terre que de la matière humaine qui vient d'Adam. Il semble donc qu'il n'eût pas été convenable que le Christ eût pris sa chair d'Adam. Par conséquent il semble que son corps n'ait pas dû être formé de la masse du genre humain qui découlait d'Adam, mais d'une autre matière.

3
Le péché est entré en ce monde par un seul homme, c'est-à-dire par Adam ; parce que tous les autres hommes existant en lui originellement ont péché, comme on le voit (Rm 5). Or, si le corps du Christ avait été pris d'Adam, il aurait existé originellement en lui quand il a péché. Il aurait donc contracté le péché originel ; ce qui ne convenait pas à la pureté du Christ ;'par conséquent le corps du Christ n'a pas été formé de la matière prise d'Adam.

20 Mais c'est le contraire. L’Apôtre dit (He 2,16) : Le Fils de Dieu ne s'est •jamais uni aux anges, mais il s'est uni à la race d'Abraham. Or, la race d'Abraham a été prise d'Adam. Le corps du Christ a donc été formé de la matière prise d'Adam.


CONCLUSION. — Puisque le Christ a pris la nature humaine pour la délivrer de sa corruption, il a été convenable qu'il prit un corps sorti d'Adam.

21 Il faut répondre que le Christ a pris la nature humaine pour la purifier de sa corruption. Or, la nature humaine n'avait besoin d'être purifiée que parce qu'elle était souillée par le vice de son origine qui la faisait descendre d'Adam. C'est pourquoi il a été convenable qu'il prît une chair issue d'Adam pour guérir par là notre nature.

31
Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que le second homme, c'est-à-dire le Christ, est descendu du ciel, non quant à la matière de son corps, mais quant à sa vertu formative ou quant à sa divinité elle-même. Mais son corps a été terrestre quant à la matière, comme le corps d'Adam.

32
Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (quest. xxix, art. 1 ad 2), le mystère de l'Incarnation du Christ est un miracle qui n'a pas pour but de confirmer la foi, mais qui est lui-même un article de foi. C'est pourquoi, dans ce mystère, on ne demande pas ce qu'il y a de plus miraculeux, comme dans les prodiges qui se font pour prouver la foi, mais on demande ce qu'il y a de plus conforme à la sagesse divine, et de plus avantageux pour le salut de l'homme, comme on l'exige pour tout ce qui est de foi. Ou bien on peut dire que dans le mystère de l'Incarnation on ne considère pas seulement le miracle de la conception d'après la matière, mais plutôt d'après le mode de la conception et de l'enfantement, parce que la Vierge a conçu et enfanté un Dieu.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (in corp. art. et quest. iv, art. 6), le corps du Christ a été dans Adam selon sa substance corporelle, parce que la matière de son corps en est issue; mais elle n'y a pas été selon sa raison génératrice, parce qu'il n'a pas été conçu de l'homme. C'est pourquoi il n'a pas contracté le péché originel, comme tous ceux qui sont nés d'Adam par la voie de la génération ordinaire.

(1) Cet article est une réfutation de l'erreur de Simon le Magicien, de Cédron, de Marcion, de Basilide, dc Manès, des Priscillien, en un mot, de tous les donatistes et de tous les gnostiques, qui prétendaient que le corps du Christ n'était que fantastique. Il est aussi contraire à Valentin», qui on faisait un corps céleste ; à Apollinaire, qui voulait qu'il fût consubstantiel avec le Verbe, etc,



ARTICLE II. — la chair du christ a-t-elle été prise de David (1)?

622
1 Il semble que le Christ n'ait pas pris sa chair du sang de David. Car saint Matthieu dressant la généalogie du Christ la conduit à saint Joseph. Or, saint Joseph n'a pas été le père du Christ, comme nous l'avons dit (quest. xxviii, art. 1 ad 2, et quest. xxix, art. 2). Il ne semble donc pas que le Christ soit descendu de la race de David.

2
Aaron a été de la tribu de Lévi, comme on le voit (Ex 6). Or, on dit que Marie la mère du Christ est la parente d'Elisabeth qui est fille d'Aaron, comme ledit saint Luc (Lc 1). Par conséquent, puisque David a été de la tribu de Juda, d'après saint Matthieu (Mt 1), il semble que le Christ ne soit pas descendu de la race de David.

3 Le prophète dit de Jéchonias (Ilier. xxii, 30) : Ecrivez que cet homme sera stérile et qu'il n'y aura personne de sa race qui s'assoiera sur le trône de David. Or, il est dit du Christ (Is 9,7) : Il s'assoiera sur le trône de David. Le Christ n'a donc pas été de la race de Jéchonias, et par conséquent il n'était pas non plus de la famille de David ; puisque saint Matthieu fait venir les générations de David par Jéchonias.

20 Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Rm 1,3) que le Christ est né selon la chair de la race de David.


CONCLUSION. — Le Christ a été le fils d'Abraham et de David selon la chair, puisqu'il est venu pour sauver et ceux qui sont circoncis et les élus des gentils.

21 Il faut répondre qu'on dit le Christ spécialement le fils de deux anciens patriarches, d'Abraham et de David, comme on le voit (Mt 1). On peut en donner plusieurs raisons. La première, c'est que la promesse du Christ leur a été faite spécialement. Car il a été dit à Abraham (Gn 22,18) : Toutes les nations de la terre seront bénies dans votre race. Ce que l’Apôtre entend du Christ en disant (Ga 3,16) : Les promesses ont été faites à Abraham et au Fils qui devait naître de lui. Il ne dit pas, ajoute-t-il, a ceux qui naîtront de vous, comme s'il eût parlé de plusieurs; mais, comme parlant d'un seul : à celui qui naîtra de vous qui est Jésus-Christ. Il a été dit aussi à David (Ps 131,2) : J'établirai sur votre trône le fruit de votre s an q. C'est pourquoi les Juifs en le recevant avec des honneurs royaux disaient (Mt 21,9) : Hosanna au fils de David. — La seconde raison c'est que le Christ devait être roi, prophète et prêtre. Or, Abraham a été prêtre, comme on le voit d'après ces paroles que le Seigneur lui dit (Gn 15,9) : Prenez une génisse de trois ans, etc. Il a été prophète d'après ces paroles de la Genèse (20, 7) : Il est prophète et il priera pour vous. David a été roi et prophète. — La troisième raison c'est que la circoncision a d'abord commencé par Abraham, et que l'élection de Dieu s'est ensuite manifestée surtout dans David, d'après ces paroles de l'Ecriture (1S 13,14) : Le Seigneur s'est choisi un homme selon son cœur. C'est pourquoi le Christ est appelé tout spécialement le fils de l'un et de l'autre, pour montrer qu'il est le salut des Juifs et des gentils que Dieu a choisis.

31 Il faut répondre au premier argument, que cette objection a été celle du manichéen Fauste qui voulait prouver que le Christ n'est pas le fils de David, puisqu'il n'a pas été conçu de saint Joseph à qui saint Matthieu s'arrête dans sa généalogie. Mais saint Augustin lui répond (Lib. cont. Faust, lib. xxiii, cap. 8 et 9) que le même évangéliste disant que Joseph est l'époux de Marie et que le Christ est de la race de David, ne doit-on pas croire que Marie n'a pas été hors de la famille de David, et qu'elle n'a pas été en vain appelée l'époux de Joseph à cause de l'union de leurs cœurs, quoiqu'il ne lui ait pas été uni corporellement ; et que c'est plutôt par honneur pour la dignité de l'homme que l'ordre des générations a été ainsi suivi jusqu'à saint Joseph.

(I) Le manichéen Fausto a nié que le Christ fût de la race de David selon la chair. Cet article est la réfutation de celte erreur.

Ainsi nous croyons donc, ajoute le même docteur, que Marie a été de la race de David, parce que nous croyons aux Ecritures qui disent ces deux choses; que le Christ est né de la famille de David selon sa chair et que Marie est sa mère, sans avoir eu de relation charnelle avec son mari, mais tout en restant vierge. Car, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth, cap. 1, super iilud: Christi generatio sic erat): Joseph et Marie étaient de la même tribu, et, d'après la loi, saint Joseph était obligé de l'épouser comme sa parente ; c'est pour cela que dans le recensement ils se font inscrire ensemble à Bethléem, comme étant de la même famille.

32
Il faut répondre au second, que saint Grégoire de Nazianze répond à cette objection, en disant (implic. in cann, xxxviii de geneal. Christi et Au- gust. lib. i de consensu Evang. cap. 2, et lib. ii, cap. 3) que par un décret suprême il est arrivé que la race royale a été unie à la race sacerdotale, afin que le Christ qui est roi et prêtre naquît de l'un et l'autre selon la chair. Ainsi, Aaron, qui fut le premier prêtre selon la loi, épousa de la tribu de Juda Elisabeth, la fille d'Aminadab. Il a donc pu se faire que le père d'Elisabeth eût une épouse de la race de David, et que par suite la bienheureuse Vierge, qui était de cette dernière famille, fût parente d'Elisabeth ; ou bien encore il a pu se faire au contraire que le père de la bienheureuse Vierge qui était de la race de David eût une épouse de la famille d'Aaron ; ou, comme le dit saint Augustin (Cont. Faust, lib. xxiii, cap. 9) : SI .Ioachim, le père de Marie, a été de la race d'Aaron (ce que Fauste affirmait d'après des écritures apocryphes), on doit croire que la mère de Joachim a été de la race de David, ou son épouse, de telle sorte que dans toutes ces hypothèses Marie est de quelque manière de la race de David.

33
Il faut répondre au troisième, que ce passage du prophète, comme le dit saint Ambroise (Sup. Luc. cap. 3, super illud : Qui fuit Salathiel), ne nie pas que Jéchonias doive avoir des descendants; c'est pourquoi le Christ est de sa race. Si le Christ a régné, la prophétie n'est pas par-là démentie; car il n'a pas régné avec les honneurs du siège, puisqu'il a dit : Mon royaume n’est pas de ce monde.


ARTICLE III. — la généalogie du ciiiust est-elle convenablement dressée par les évangélistes (1)?

623
1 Il semble que la généalogie du Christ ne soit pas convenablement dressée par les évangélistes. Car le prophète dit du Christ (
Is 53,8) : Qui racontera sa, génération ? On n'a donc pas dû raconter la génération du Christ.

2 Il est impossible qu'un homme ait deux pères. Or, saint Matthieu dit (cap. i, 46) : que Jacob a engendré Joseph, V époux de Marie, au lieu que saint Luc dit (cap. m) que Joseph a été le fils d'Héli. Ils se contredisent donc.

3
Les évangélistes paraissent être en désaccord sur divers points. Car saint Matthieu commence son livre par Abraham en descendant jusqu'à Joseph, et il compte quarante-deux générations. Au lieu que saint Luc met après le baptême du Christ sa génération, en commençant par le Christ et en donnant la série des générations jusqu'à Dieu; il s'en trouve soixante- dix-sept, les deux extrêmes compris. Il semble donc qu'ils décrivent mal la génération du Christ.

(J) Los contradictions apparentes qui se trouvent entre la généalogie de saint Matthieu et celle de saint Luc ont été pour les incrédules une occasion d'objections qu'ils se sont plu k présenter sous toutes les formes depuis Julien l'Apostat jusqu'aux impies du dernier siège. On peut voir dans tous les traitât de la religion les réponses victorieuses que leur ont faites les apologistes de la religion.

4
L'histoire nous apprend (IV. Reg. 8) que Joram engendra Ochosias, qui eut pour successeur Joas son fils, qui fut remplacé lui-même par son fils Amasias, après lequel a régné Azarias son íils, qui est appelé Ozias, et qui eut pour successeur son íils Joatham. Or, saint Matthieu dit que Joram engendra Ozias. Par conséquent il semble mal exposer la généalogie du Christ, en omettant au milieu trois rois.

5
Tous ceux dont il est parlé dans la génération du Christ ont eu des pères et des mères, et plusieurs d'entre eux ont eu des frères. Or, saint Matthieu, dans la génération du Christ, rappelle seulement les noms de trois femmes, Thamar, Ruth et l'épouse d'Urie, et il désigne les frères de Juda et de Jéchonias ainsi quePharèset Zaram, dont saint Luc ne parle pas. Il semble donc que les évangélistes n'aient pas convenablement dressé la généalogie du Christ.

20
Mais l'autorité de l'Ecriture est contraire.


CONCLUSION. —Les évangélistes ont décrit la généalogie du Christ dans l'ordre qui convient.

21
Il faut répondre que, comme le dit l’Apôtre (2Tm 3,46): Toute V Ecriture sainte a été divinement inspirée. Or, les choses qui viennent de Dieu se l'ont dans l'ordre le plus convenable, d'après ces autres paroles de saint Paul (Rm 13,4) : Les choses qui viennent de Dieu ont été ordonnées. La généalogie du Christ a donc été écrite par les évangélistes dans l'ordre qui convient.

31 II faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth, cap. 1) : Isaïe parle de la génération de la divinité du Christ; au lieu que saint Matthieu raconte la génération du Christ par rapport à son humanité, sans expliquer le mode de l'incarnation, parce qu'il est une chose ineffable, mais en énumérant les patriarches dont le Christ est sorti selon la chair.

32
Il faut répondre au second, que l'on répond de différentes manières à cette objection que Julien l'Apostat a soulevée. — En effet, les uns prétendent, avec saint Grégoire de Nazianze, que ce sont les mêmes hommes que les deux évangélistes énumèrent, mais sous des noms différents, parce qu'ils portaient deux sortes do noms. Mais celte supposition est insoutenable. Car saint Matthieu désigne un des fils de David, Salomon, au lieu que saint Luc nomme Nathan, et l'histoire (Lib. leg.) nous apprend d'une manière certaine que ce sont les deux frères. — D'autres ont dit que saint Matthieu a donné la véritable généalogie du Christ et que saint Luc a donné sa généalogie putative; et que c'est pour ce motif qu'il commence par ces mots : Ut putabatur filius Joseph. Car il y avait des Juifs qui pensaient qu'à cause des péchés des rois de Juda le Christ ne naîtrait pas de David par les rois, mais par une autre branche de simples citoyens. — D'autres ont prétendu que saint Matthieu avait donné les ancêtres du Christ selon la chair, et saint Luc ses pères spirituels, c'est-à-dire les justes qu'on appelle pères par analogie. Mais saint Augustin répond (Lib. de quaest. f et. et Nov. Testam, part, i,- quest. 56, et part, ii, in Quaest. Novi Test, quaest. 6) qu'on ne doit pas entendre d'après saint Luc que Joseph est le fils d'Héli, mais qu'Héli et Joseph ont été les pères du Christ, descendant de différentes manières de David. D'où il est dit du Christ qu'on le pensait fils de Joseph et qu'il a été aussi le fils d'IIéli : comme si l'on disait que le Christ, pour la raison qui le fait appeler fils de Joseph, peut être appelé fils d'IIéli et de tous ceux qui descendaient de la race de David. C'est ainsi que l’Apôtre dit (Rm 9,5) que le Christ descend des Juifs selon la chair. — Saint Augustin donne à cette difficulté une triple solution (De quaest. Evang. lib. n, quest. 5) : On peut, dit-il assigner à cela trois causes ; l'évangéliste a suivi l'une d'elles. En effet ou un évangéliste a nommé le père de Joseph par lequel il a été engendré, tandis que l'autre a désigné son grand-père maternel ou quelque autre de ses aïeux ; ou l'un était le père naturel de Joseph, tandis que l'autre était son père adoptif; ou bien d'après la coutume des Juifs l'un étant mort sans enfant, l'autre aurait pris son épouse à titre de parent, et l'on aurait attribué au dernier qui serait mort le fils qu'il aurait eu ; ce qui est une sorte d'adoption légale, d'après le mémo docteur (De co?is. Evang. lib. n, cap. 3). — La cause la plus vraie est cette dernière qu'admettent saint Jérôme (Sup. Matth, cap. 4, sup. illud: Jacob autem genuit Joseph), Eusèbe de Césarée, dans son histoire ecclésiastique (lib. i, cap. 7), d'après l'historiographe africain (4). Car ils disent que Mathan et Melehi ont eu chacun des enfants, dans divers temps, d'une même femme appelée Est ha. Ainsi Mathan qui était un descendant de Salomon l'avait le premier prise pour épouse et il mourut ne laissant qu'un seul fils appelé Jacob. Après sa mort, la loi ne défendant pas à un autre homme d'épouser une veuve, Melehi, qui est un descendant de Mathan, et qui était de la même tribu, mais non de la même famille, prit pour épouse la veuve que Mathan avait laissée et il en eut un fils nommé Iléli. C'est ainsi qu'issus de pères différents, Jacob et Héli sont frères utérins; dont l'un, c'est-à-dire Jacob, ayant épousé d'après l'ordre de la loi la veuve d'IIéli, son frère, mort sans enfants, engendra Joseph qui fut son fils par nature, et qui se trouva le fils d'IIéli selon le précepte de la loi. C'est pourquoi saint Matthieu dit : Jacob engendra Joseph; au lieu que saint Luc, décrivant la généalogie légale, ne se sert point du tout du mot engendrer. Et quoique saint Jean Damascène dise (De fid. orth. lib. iv, cap. 15) que la bienheureuse Vierge Marie tenait à saint Joseph d'après l'origine par laquelle on le dit fils d'IIéli, parce qu'il prétend qu'elle descendait de Melehi; néanmoins il faut croire qu'elle a encore tiré son origine de Salomon, d'une autre manière, par les ancêtres énumérés par

saint Matthieu, que l'on regarde comme l'auteur de la génération charnelle du Christ (2) ; surtout puisque saint Ambroise dit (Sup. illud Lc 3, Qui fuit Salathiel) que le Christ est descendu de la race de Jéchonias.

33 Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (De consens. Evang. lib. ii, cap. 4), saint Matthieu avait établi la souche royale du Christ, au lieu que saint Luc a décrit sa lige sacerdotale. C'est pourquoi dans la généalogie de saint Matthieu il est dit que le Christ a pris nos péchés, c'est-à-dire que par son origine charnelle il a pris la ressemblance de la chair du péché; tandis que saint Luc fait remarquer que nos péchés ont été effacés, ce qui est produit par le sacrifice du Christ. C'est encore pour ce motif que saint Matthieu, dans rémunération des générations, suit l'ordre descendant, au lieu que saint Luc suit l'ordre ascendant. D'où il suit que saint Matthieu descend de David par Salomon, avec la mère duquel le roi-prophète a péché ; et saint Luc y remonte par Nathan, dont le nom rappelle le prophète par lequel Dieu lui a fait expier sa faute. Il résulte encore de là que saint Matthieu, voulant nous représenter le Christ descendant vers notre nature mortelle, a rappelé dès le commencement de son Evangile les générations depuis Abraham jusqu'à Joseph, et jusqu'à la naissance du Christ lui-même en descendant. Au contraire, saint Luc n'expose pas sa généalogie dès le commencement, mais depuis le baptême du Christ; il ne va pas en descendant, mais en montant; Je représentant surtout comme prêtre venu pour l'expiation des péchés, à l'endroit où il rapporte le témoignage de Jean en disant : Voilà celui qui efface les péchés du monde, et selon l'ordre ascendant il va jusqu'à Abraham, puis il arrive à Dieu avec lequel nous sommes réconciliés par la purification et l'expiation de nos fautes. Il a pris avec raison la tige adoptive, parce que nous devenons les enfants de Dieu par l'adoption ; au lieu que le Fils de Dieu est devenu le fils de l'homme par la génération charnelle. D'ailleurs il a démontré suffisamment qu'il n'avait pas appelé Joseph fils d'Héli, parce qu'il a été engendré de lui, mais parce qu'il a été adopté, puisqu'il dit qu'Adam est fils de Dieu, quoiqu'il ait été créé par lui. Le nombre quarante appartient au temps de la vie présente, à cause des quatre parties du monde dans lequel nous passons notre vie mortelle, sous le règne du Christ. Le nombre quarante contient quatre fois le nombre dix, et le nombre dix est produit par la somme des nombres jusqu'à quatre (1). On pourrait rapporter le nombre dix au Décalogue et le nombre quatre à la vie présente, ou aux quatre Evangiles d'après lesquels le Christ règne en nous. C'est pourquoi saint Matthieu, faisant connaître la personne royale du Christ, a énuméré quarante personnes, sans le compter lui-même. — Du moins c'est l'explication qu'il faut admettre, si le Jéchonias qui se trouve à la fin du second quaternaire et au commencement du troisième, est le même, comme le veut saint Augustin (loc. sup. cit.), qui dit que l'on a fait cette répétition pour signifier que sous Jéchonias on s'est détourné vers les nations étrangères, quand la transmigration à Babylone a eu lieu, ce qui annonçait à l'avance que le Christ irait des Juifs aux gentils. Mais saint Jérôme dit (Sup. illud Mt 1, Et post transmigrationem) qu'il y a eu deux Joachim ou deux Jéchonias, le père et le fils. L'un et l'autre sont compris dans la généalogie du Christ, pour que les générations que l'évangéliste désigne soient distinguées en trois catégories de quatorze chacune, ce qui s'élève à quarante-deux personnes. Ce nombre convient aussi à la sainte Eglise ; car ce nombre est produit par le nombre six qui signifie le travail de la vie présente, et le nombre sept qui indique le repos de la vie future ; car six fois sept font quarante-deux. D'ailleurs le nombre quatorze étant formé du nombre dix et du nombre quatre par addition, peut avoir la même signification que celle qu'on attribue au nombre quarante, qui résulte des mêmes nombres par la multiplication. Mais le nombre dont saint Luc fait usage dans sa généalogie du Christ signifie l'universalité des péchés. Car le nombre dix, qui est en quelque sorte le nombre de la justice, se trouve dans les dix préceptes de la loi. Le
péché étant la transgression de la loi, le nombre onze est la transgression du nombre dix. Le septénaire signifie l'universalité des choses; parce que tout le temps roule dans un nombre septénaire de jours. Sept fois onze font soixante-dix-sept, et par conséquent ce nombre signifie l'universalité des péchés qui sont détruits par le Christ.


(1) Saint Thomas désigne ainsi Jules Africain, qu'il surnomme l'historien, parce qu'il avait composé un grand ouvrage de chronologie. II nous reste de lui une lettre à un nommé Aristide où il discute les deux généalogies.

(2) La meilleure réponse que l'on puisse faire, c'est de distinguer ainsi deux sortes de généalogie, l'une charnelle, qui est celle de saint Matthieu, qui emploie pour ce motif le mot genuit, et l'autre légale, qui est celle de saint Joseph, qui emploie le mot fecit. D'ailleurs cette objection est sans portée, car saint Luc connaissait la généalogie de saint Matthieu quand il a donné la sienne, et si les deux généalogies avaient été. contradictoires, les Juifs contemporains l'auraient mieux remarqué que personne ; ce qu'ils n'ont pas fait.

34 Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Jérôme (Sup.

(1) C'est-à-dire eu additionnant ensemble les nombres 1, 2, 3 et 4.

Matth, cap. 4, super illud : Joram autem genuit, etc.), le roi Joram s'étant uni à la race de l'impie Jézabel, sa mémoire est effacée pour ce motif jusqu'à la troisième génération, de manière qu'il ne figure pas dans l'ordre des générations saintes. Et ainsi, comme le dit saint Chrvsostome (aliusauctor, liom. i in Matth, in oper. imper f.), autant a été abondante la bénédiction répandue sur Jéhu qui avait tiré vengeance de la maison d'Achab et de Jézabel, autant la malédiction s'est appesantie sur la maison de Joram à cause de la fille de l'impie Achab et de Jézabel, de manière que ses enfants ont été retranchés du nombre des rois jusqu'à la quatrième génération, selon ces paroles (
Ex 20) : Je punirai V iniquité des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et la quatrième génération. Il faut observer aussi que si les autres rois qui figurent dans la généalogie du Christ ont été des pécheurs, leur impiété n'a pas été continue. Car, comme on le voit (Lib. quaest. Vet. et Nov. Testam, quaest. 8), Salomon est resté sur le trône par le mérite de son père, et Roboam par le mérite d'Asa, son fils, tandis que l'impiété de ces trois autres princes a été constante.

35 Il faut répondre au cinquième, que, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth, cap. 4, super illud : Judas genuit, etc.), dans la généalogie du Sauveur il ne se trouve aucune des saintes femmes, mais l'Ecriture rappelle celles-là, pour que celui qui était venu à cause des pécheurs, effaçât les péchés de tous, en naissant des pécheurs eux-mêmes. Ainsi il est fait mention de Thamar qui est blâmée pour son inceste, de Raab qui fut une femme publique, de Ruth qui fut une étrangère, et de Betsabée, l'épouse d'Urie, qui fut adultère. Elle n'est pas désignée par son nom propre, mais d'après le nom de son époux; soit à cause de son péché qui la rendit tout à la fois complice d'adultère et d'homicide; soit pour qu'en nommant son mari, le péché de David revînt à la mémoire. Et parce que saint Luc se propose de désigner le Christ comme l'auteur de l'expiation des péchés, il ne parle nullement de ces femmes. Mais il rappelle les frères de Juda pour montrer qu'ils appartiennent au peuple de Dieu , au lieu qu'Ismaël, frère d'Isaac, et Isaïe, frère de Jacob, ayant été séparés du peuple (le Dieu, il n'est point question d'eux dans la généalogie du Christ ; et il le fait aussi pour détruire l'orgueil de la naissance. Car beaucoup des frères de Juda eurent pour mères des servantes; et cependant tous étaient simultanément patriarches et chefs de tribus.Quant à Pharès et à Zaram ils sont nommés ensemble, comme ledit saint Ambroise (Sup. Luc. cap. 3, super illud: Qui fuit Phares), parce qu'ils représentent la double vie des peuples ; celle qui est selon la loi est figurée par Zaram et celle qui est selon la foi est représentée par Pharès. II est parlé des frères de Jéchonias, parce qu'ils ont tous régné en des temps divers, ce qui n'était pas arrivé aux autres rois; ou bien parce que leur iniquité et leur misère a été la même.



III Pars (Drioux 1852) 603