III Pars (Drioux 1852) 624

ARTICLE IV. —- a-t-il été convenable que le christ naquit d'une femme (1)?

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1 Il semble que la matière du corps du Christ n'ait pas dû être prise d'une femme. Car le sexe masculin est plus noble que le sexe féminin. Or, il eût été surtout convenable que le Christ prît ce qu'il y a de parfait dans la nature humaine. Il semble donc qu'il n'ait pas dû prendre sa chair d'une femme, mais plutôt d'un homme, comme Eve a été formée de la côte d'Adam.

opposé à tous les hérétiques qui ont attaqué la vérité de la nature humaine du Christ.

(b Coi article est une réfutation d'Appels, qui prétendait que le Christ n'avait pas pris de sa mère la chair, mais des éléments. Il est aussi

2
Quiconque est conçu de la femme est renfermé dans son sein. Or, il ne convient pas que Dieu qui remplit le ciel et la terre, d'après le prophète (Hier, xxiii) , soit renfermé dans le sein étroit d'une femme. Il semble donc qu’il n'ait pas dû être conçu d'une femme.

3
Ceux qui sont conçus d'une femme contractent une certaine impureté. D'où il est dit (Job,25, 4) : Est-ce que l'homme comparé à Dieu peut être iusti fié ou celui qui est né de la femme paraître pur devant lui? Or, dans le Christ il n'a pas dû y avoir d'impureté; car il est la sagesse de Dieu, dont il est dit (Sg 7,25) : Qu'elle ne peut être atteinte par la moindre souillure. Il semble donc qu'il n'ait pas dû prendre sa chair d'une femme.

20 Mais c'est le contraire. L’Apôtre dit ( Gal. Ga 4,4) : Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme.


CONCLUSION. — Quoique le Fils de Dieu ait pu prendre la chair humaine de toute autre matière qu'il aurait voulu, cependant il a été convenable qu'il la prit do la femme, pour ennoblir de cette manière la nature humaine tout entière, et établir plus fermement la vérité de l'incarnation.

21 Il faut répondre que, quoique le Fils de Dieu eût pu prendre la chair humaine de toute matière qu'il aurait voulu ; cependant il a été très-convenable qu'il la prit de la femme : 1° Parce que par là toute la nature humaine a été ennoblie. D'où saint Augustin dit (Quaest. lib. lxxxiii , quaest. Il ) : La délivrance de l'homme a dû se manifester dans l'un et l'autre sexe. Ainsi, parce qu'il fallait que le Christ prit le sexe de l'homme comme étant le plus honorable, il convenait que la délivrance du sexe féminin se manifestât par là même qu'il était né d'une femme. 2° Parce que par-là la vérité de l'incarnation est établie. C'est ce qui fait dire à saint Ambroise (Lib. de ineam. cap. 6) : Vous trouverez dans le Christ beaucoup de choses conformes à la nature et supérieures à elle. Ainsi selon la condition de la nature il a été dans le sein d'une femme, mais ce qu'il y a au-dessus de la condition de la nature, c'est qu'il a été conçu et engendré par une Vierge, pour que l'on crût Dieu celui qui opérait des merveilles inouïes et que l'on crût homme celui qui naissait de l'homme conformément à notre nature. Et saint Augustin dit ( Volusian. cxxxvu) : Si le Tout-Puissant au lieu de faire naître d'une mère cet homme auquel son Verbe est uni, l'avait exposé tout à coup aux regards des hommes, n'aurait-il pas confirmé l'erreur de ceux qui prétendent qu'il ne s'est pas uni véritablement à la nature humaine? Et cette conduite toute miraculeuse n'aurait-elle pas rendu inutiles les desseins de sa miséricorde. Il fallait donc que ce médiateur placé entre Dieu et les hommes, réunissant les deux natures dans l'unité d'une même personne, relevât par des choses extraordinaires ce qu'il y avait en lui d'ordinaire, et qu'il tempérât par tics choses communes ce qu'il y avait en lui de miraculeux. 3° Parce que par là se trouvent épuisés les divers modes possibles de la génération humaine. Car le premier homme a été produit du limon de la terre sans l'homme et la femme, Eve a été produite de l'homme seul, les autres humains naissent de l'homme et de la femme. Il ne restait plus qu'un quatrième mode qui a été propre au Christ, c'était de naître de la femme sans le concours de l'homme.

31
Il faut répondre au premier argument, que le sexe masculin étant plus noble que le sexe féminin, le Christ a pris pour ce motif la nature humaine dans le sexe masculin. Mais pour montrer qu'il ne méprisait pas pour cela l'autre sexe, il a été convenable qu'il prît sa chair de la femme. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de agon. christ, cap. Il): Hommes, ne vous méprisez pas, puisque le Fils de Dieu s'est lait homme;

femmes, ne vous méprisez pas non plus; car le Fils de Dieu est né d'une femme comme vous.

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Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin à Fauste qui lui faisait cette objection (Lib. cont. Faust, lib. xxiii, cap. 10) : La foi catholique qui croit que le Fils de Dieu est né d'une vierge selon la chair, ne l'enferme d'aucune manière dans le sein de sa mère, comme s'il n'existait pas hors de là, et comme s'il eût abandonné le gouvernement du ciel et de la terre, et qu'il se fût éloigné de son Père. Mais pour vous, manichéens, vous ne comprenez nullement ces choses par suite de ces dispositions d'esprit et de coeur qui ne vous permettent de penser qu'à des fantômes corporels. Car, comme le dit ailleurs le même docteur (Epist, ad Volusian. cxxxvn) : Toutes ces idées ne viennent que de ce que les hommes ne sont capables que de concevoir des corps, qui ne peuvent être tout entiers partout et qui répondent aux diverses parties de l'espace par autant de parties de leur substance. Mais la nature de l'âme est bien différente de celle des corps et à plus forte raison celle de Dieu qui est le créateur de l'âme et du corps. Il est partout tout entier sans qu'aucun lieu le contienne; il vient sans s'éloigner d'où il était ; il s'en va sans abandonner le lieu d'où il vient.

33
Il faut répondre au troisième, que dans la conception de l'homme qui naît de la femme il n'y a rien d'impur, selon qu'il est l'œuvre de Dieu. D'où il est dit (Ac 10,15) : N'appelez, pas impur ce que Dieu a créé (i). Cependant il y a là une impureté qui provient du péché, selon que l'homme est conçu avec concupiscence dans l'union charnelle des deux sexes, ce qui n'a pas eu lieu dans le Christ, comme nous l'avons montré (quest. xxix, art. 2). — Et quand même il y aurait là une souillure, le Verbe de Dieu n'en serait pas atteint, puisqu'il n'est changeant ou altérable d'aucune manière. C'est pour cela que saint Augustin s'écrie (De haeres. lib. v, cap. 5) : Dieu le créateur et le Fils de l'homme dit: Qu'y a-t-il dans ma naissance qui vous touche? Je n'ai pas été conçu par la concupiscence et la passion : j'ai créé la mère de laquelle je suis né. Si le rayon du soleil sait dessécher la boue des marais sans en être souillé, à plus forte raison la splendeur de la lumière éternelle, de quelque manière qu'elle rayonne, peut-elle purifier sans être souillée elle-même?



ARTICLE V. — le corps du christ a-t-il été formé du sang le plus pur de la vierge (2)?

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1 Il semble que la chair du Christ n'ait pas été conçue du sang le plus pur de la Vierge. Car on lit dans une Oraison que Dieu a voulu que son Verbe prît sa chair d'une vierge. Or, la chair diffère du sang de la Vierge. Le corps du Christ n'a donc pas été formé du sang de la Vierge.

2
Comme la femme a été miraculeusement formée de l'homme, de même le corps du Christ a été miraculeusement formé de la Vierge. Or, on ne dit pas que la femme a été formée du sang de l'homme, mais plutôt de sa chair et de ses os, d'après ces paroles de la Genèse (Gn 2,23) : C'est là l'os de mes os et la chair de ma chair. Il semble donc que le corps du Christ n'ait pas dû être formé du sang de la Vierge, mais de sa chair et de ses os.

(1) la Vulgate porte purifié. (2) Les conciles ont insinué que le Christ avait été formé du sang le plus pur de la Vierge, en décidant que sa chair avait été formée delà sienne. Ainsi il est dit au concile l'Ephèse(l, cap. lô) : Is qui natus ant'' omnia saecula est ex Patre, etiam ex muliere carnaliter est procreatio in tempore. Et le concile de Lalran dit (i, can. 'i) : Si quis non confitetur, proprie et vere Christi duos nativitates existere, etc... alteram autem de Virgine Mariâ carnaliter in ultimis saeculorum, anathema sit.

3 Le corps du Christ a été de la même espèce que les corps des autres hommes. Or, les corps des autres hommes ne sont pas formés du sang le plus pur, serf ex semine et sanguine menstruo. II semble donc que le corps du Christ n'ait pas été non plus conçu du sang le plus pur de la Vierge.

20
Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fui. lib. iii, cap. 2) que le Fils de Dieu s'est formé du sang le plus pur et le plus chaste delà Vierge une chair animée par une âme raisonnable.


CONCLUSION. — Selon le mode naturel de la génération, le corps du Christ a été conçu du sang le plus pur et le plus chaste de la Vierge.

21
II faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), dans la conception du Christ ce qu'il y a de conforme à la condition de la nature, c'est qu'il est né d'une femme; ce qu'il y a eu de supérieur, c'est qu'il est né d'une vierge. Or, d'après la condition naturelle, dans la génération d'un être animé, la femelle fournit la matière et le mâle est le principe actif de la génération, comme le prouve Aristote (De gen. animal, lib. i, cap. 19).Mais la femme qui conçoit de l'homme n'est pas vierge. C'est pourquoi il appartient au mode surnaturel de la génération du Christ que le principe actif dans sa génération ait été une vertu surnaturelle divine ; mais il appartient à son mode naturel que la matière dont son corps a été formé soit conforme à la matière que les autres femmes fournissent pour la conception de leur enfant. Celte matière, d'après le philosophe (loc. cit.), est le sang de la femme, non quicumque, sed perductus ad quamdam ampliorem digestionem per virtutem generativam matris, ut sit materia apta ad conceptum. C'est pourquoi le corps du Christ a été conçu de cette matière.

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Il faut répondre au premier argument, que la bienheureuse Vierge ayant été de la même nature que les autres femmes, il en résulte que sa chair et ses os ont été aussi de la même nature. Or, les chairs et les os sont dans les autres femmes les parties actuelles du corps qui constituent son intégrité. C'est pourquoi on ne peut pas les soustraire sans corrompre le corps ou sans le diminuer. Or, le Christ qui était venu réparer ce qui est corrompu n'avait dû altérer, ni diminuer l'intégrité de sa mère, comme nous l'avons dit (quest. xxviii, art. -1 et2). C'est pourquoi son corps n'a pas dû être formé de la chair ou des os de la Vierge, mais du sang qui n'est pas encore partie en acte, mais qui est tout entier en puissance, selon l'expression d'Aristote (Lib. i de gen. animal, cap. 18 et 19). C'est pour cette raison qu'on dit qu'il a pris la chair de la Vierge (i), non que la matière de son corps ait été sa chair en acte, mais parce qu'il a eu pour matière le sang qui est la chair en puissance.

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Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (part. I, quest. xcu, art. 3 ad 2), Adam ayant été établi comme le principe de la nature humaine avait dans son corps une portion de chair et d'os qui n'appartenait pas à son intégrité personnelle, mais qui était seulement en lui selon qu'il était le principe du genre humain. La femme a été formée de cette chair sans détriment pour l'homme. Mais il n'y a rien eu dans le corps de la Vierge dont le corps du Christ pût être formé, sans corrompre le corps de sa mère.

Ad tertium dicendum quod semen i'oeminae non est generationi aptum, sed est quiddam imperfectum in genere seminis, quod non potuit perduci ad perfectum seminis complementum propter imperfectionem virtutis foe- mineae. Et ideo tale semen non est materia, quae de necessitate requiratur ad conceptum, sicut Philosophus dicit in lib. 1 de Generat, animalium,

(I) Cette oraison est celle île la fêle «le l'Annonciation où nous «lisons : Deus qui de beata Maria virginis utero... carnem suscipere voluisti.

(cap. 19, à med.). Et ided in conceptione corporis Christi non fuit : praesertim quia, licèt sit imperfectum in genere seminis, tamen cum quadam concupiscentia resolvitur, sicut et semen maris. In illo autem conceptu virginali concupiscentia locum habere non potuit. Et ideo Damascenus dicit (lib. 3 Orth. fid. cap. 2, circa med. et lib. 4, cap. Io, à med.), quod corpus Christi non seminaliter conceptum est. Sanguis autem menstruus, quem foeminae per singulos menses emittunt, impuritatem quamdam naturalem habet corruptionis, sicut et caeterae superfluitates, quibus natura non indiget; sed eas expellit. Ex tali autem menstruo corruptionem habente, quod natura répudiât, non formatur conceptus ; sed hoc est purgamentum quoddam illius puri sanguinis, qui digestione quadam est praeparatus ad conceptum, quasi purior et perfectior alio sanguine. Habet tamen impuritatem libidinis in conceptione aliorum hominum, in quantum ex ipsa commixtione maris et foeminae talis sanguis ad locum generationi congruum attrahitur. Sed hoc in conceptione Christi non fuit, quia operatione Spiritus sancti talis sanguis in utero Virginis adunatus est et formatus in prolem. Et ideo dicitur corpus Christi ex castissimis et purissimis sanguinibus Virginis formatum.



ARTICLE VI. — le corps du christ a-t-il été dans les anciens patriarches

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QUELQUE CHOSE DE DÉTERMINÉ (1)?

1 Il semble que le corps du Christ ait été dans Adam et dans les autres patriarches selon quelque chose de déterminé. Car saint Augustin dit (Sup. Gen. litt. lib. x, cap. 19) que la chair du Christ a été dans Adam et dans Abraham selon sa substance corporelle. Or, la substance corporelle est quelque chose de déterminé. La chair du Christ a donc été dans Adam, dans Abraham et dans ses autres ancêtres selon quelque chose de déterminé.

2 L’Apôtre dit (Hom. i, 3) : Le Christ a été fait selon la chair du sang de David. Or, le sang de David a été quelque chose de déterminé en lui. Il a donc. été clans David d'après quelque chose de déterminé, et pour la même raison il a été ainsi dans les autres pères.

3
Le Christ a de l'affinité avec le genre humain, selon qu'il a pris de lui sa chair. Or, si cette chair n'a pas été dans Adam selon quelque chose de déterminé, il paraît n'avoir aucune affinité avec le genre humain qui vient d'Adam, mais il en a plutôt avec les autres choses d'où la matière de sa chair a été prise. Il semble donc que la chair du Christ ait été dans Adam et dans les autres pères d'après quelque chose de déterminé.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Sup. Gen. litt. lib. x, cap. 19 et 20) : De quelque manière que le Christ ait été dans Adam et dans Abraham et les autres pères, les autres hommes y ont été aussi, mais non réciproquement. Or, les autres hommes n'ont pas été dans Adam et Abraham d'après une matière déterminée, mais seulement selon l'origine, comme nous l'avons vu (part. I, quest. et art. ult. ad 4). Le Christ n'a donc pas été non plus de la sorte dans Adam et dans Abraham, ni dans les autres pères.

d'individus en individus, depuis Adam jusqu'à la bienheureuse Vierge, soit qu'ils aient pensé que cette partie était commune à tous les hommes, soit qu'elle ait été propre au Christ.

(1) Ce qui a donné lieu à cette question, c'est l'erreur de ceux qui croient que le corps du Christ a été formé avec une partie déterminée du corps, comme Eve a été formée de la côte d'Adam, et que cette partie s'est transmise successivement


CONCLUSION. — Le corps du Christ ayant été mis en rapport avec Adam et les autres patriarches, par l'intermédiaire du corps de sa mère, il n'a pas existé en eux d'après quelque chose de particulier et de déterminé, mais selon l'origine, comme les corps des autres hommes.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la matière du corps du Christ n'a pas été la chair et les os de la bienheureuse Vierge, ni quelque chose qui ait été en acte une partie de son corps, mais le sang qui est la chair en puissance. Or, tout ce que la bienheureuse Vierge a reçu de ses parents a été en acte une partie de son corps. Par conséquent ce qu'elle a reçu d'eux, n'a point été la matière du corps du Christ. C'est pourquoi on doit dire que le corps du Christ n'a point été dans Adam et les autres patriarches d'après quelque chose de déterminé, de manière qu'on puisse désigner positivement une partie du corps d'Adam ou d'un autre patriarche, et dire que c'est de cette partie que le corps du Christ a dû être formé. Mais il a été en eux selon l'origine, comme le corps des autres hommes. Car le corps du Christ a été mis en rapport avec Adam et les autres patriarches, par l'intermédiaire du corps de sa mère. Il n'a donc pas été dans les patriarches d'une autre manière que le corps de sa mère, qui n'y a pas existé d'une manière déterminée, pas plus que les corps des autres hommes, ainsi que nous l'avons dit (part. 1, quest. et art. ult. ad 4 ).

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Il faut répondre au premier argument, que quand saint Augustin dit que le Christ a été dans Adam selon sa substance corporelle, on ne doit pas entendre par là que le corps du Christ a été dans Adam une substance corporelle, mais que la substance matérielle du corps du Christ, c'est-à-dire la matière qu'il a prise de la Vierge, a été dans Adam comme dans son principe actif, mais non comme dans un principe matériel. Ce qui signifie que par la vertu génératrice d'Adam et de tous ceux qui en descendent jusqu'à la bienheureuse Vierge, il est arrivé que cette matière a été préparée pour la conception du corps du Christ. Mais celte matière n'a pas été transformée au corps du Christ parla vertu séminale qui dérive d'Adam. C'est pour cela qu'on dit que le Christ a été originellement dans Adam selon sa substance corporelle, mais non selon la raison séminale.

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Il faut répondre au second, que quoique le corps du Christ n'ait pas été dans Adam et les autres patriarches selon sa raison séminale; néanmoins le corps de la bienheureuse Vierge qui a été conçu ex semine maris a été dans Adam et dans les autres patriarches de cette manière. C'est pourquoi, par l'intermédiaire de la bienheureuse Vierge, on dit que le Christ est originellement du sang de David selon la chair.

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Il faut répondre au troisième, que le Christ a de l'affinité avec le genre humain selon la ressemblance d'espèce. Or, la ressemblance d'espèce se considère non selon la matière éloignée, mais selon la matière la plus prochaine et selon le principe actif qui engendre son semblable dans l'espèce. Par conséquent l'affinité du Christ avec le genre humain est suffisamment sauvegardée, par là même que le corps du Christ a été formé du sang de la Vierge, qui vient originellement d'Adam et des autres patriarches. Il importe peu d'ailleurs à cette affinité d'où vienne la matière de ce sang, comme cela est indifférent aussi pour la génération des autres hommes, ainsi que nous l'avons dit (part. I, quest. cxvni, art. 1).



ARTICLE VII. — la CHAm du christ a-t-elle été soumise au péché dans les anciens patriarches (1)?

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1 Il semble que la chair du Christ n'ait pas été souillée par le péché dans les anciens patriarches. Car l'Ecriture dit (
Sg 7) que dans la divine sagesse il n'y a rien de souillé. Or, le Christ est la sagesse de Dieu, comme on le voit (1Co 1). Sa chair n'a donc jamais été souillée par le péché.

M) Cet article <>st intimement lié an précédent.

2 Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. m, cap. 2 et cap. H) que le Christ a pris les prémices de notre nature. Or, dans l'état primitif la chair humaine n'avait pas été souillée par le péché. La chair du Christ n'a donc été souillée ni dans Adam, ni dans les autres pères.

3
Saint Augustin dit (Sup. Gen. lib. x. cap. 20; que la nature humaine a toujours possédé le remède à côté de la plaie. Or, ce qui est souillé ne peut pas être le remède de la blessure, mais ii a plutôt besoin de remède lui-même. II y a donc toujours eu dans la nature humaine quelque chose qui n'a pas été souillé, et c'est avec cela que le corps du Christ a été ensuite formé.

20
Mais c'est le contraire. Le corps du Christ ne se rapporte à Adam et aux autres patriarches que par l'intermédiaire du corps de la bienheureuse Vierge, dont il a pris la chair. Or, le corps de la bienheureuse Vierge a été conçu tout entier dans le péché originel (1), comme nous l'avons dit (quest. xiv, art. 3 ad 1, et quest. xxvii, art. 2), et par conséquent, selon qu'il a existé dans les patriarches, il a été soumis au péché. La chair du Christ, selon qu'elle a existé dans les patriarches, a donc été soumise aussi au péché.


CONCLUSION. — Quoique toute la chair des patriarches ait été soumise au péché, cependant celle du Christ en a été exempte, parce qu'elle a été produite par l'œuvre de l'Esprit-Saint.

21
Il faut répondre que, quand nous disons que le Christ ou sa chair a existé dans Adam et dans les autres patriarches, nous le comparons ou nous comparons sa chair avec Adam et les autres patriarches. Mais il est évident que la condition des patriarches a été autre que celle du Christ : car les patriarches ont été soumis au péché, tandis que le Christ en a été absolument exempt. On peut donc se tromper de deux manières dans cette comparaison : 1° En attribuant au Christ ou à sa chair la condition des patriarches, comme si nous disions que le Christ a péché dans Adam, parce qu'il a existé en lui d'une certaine manière ; ce qui est faux. Car il n'a pas été en lui de manière que le péché d'Adam l'ait atteint, puisqu'il n'en vient pas selon la loi de la concupiscence ou selon la raison séminale, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 1, et quest. xv ad 2). — 2° On se trompe sur ce point, en attribuant la condition du Christ ou de sa chair à ce qui a été en acte dans les patriarches, comme si, par exemple, sous prétexte que la chair du Christ, selon qu'elle a été en lui, n'a été nullement soumise au péché, on pensait que dans Adam et dans les autres patriarches il y a eu une partie de leur corps que le péché n'a pas souillée, et que c'est de celte partie que le corps du Christ a été formé, comme quelques-uns l'ont supposé. Ce qui ne peut exister : 1° Parce que la chair du Christ n'a pas existé, dans Adam et dans les autres patriarches, selon quelque chose de particulier qu'on puisse distinguer du reste du corps; comme on distingue ce qui est pur douce qui est impur, ainsi que nous l'avons dit (loc. sup. cit.). 2° Parce que la chair humaine étant souillée par le péché par là même qu'elle a été conçue par la concupiscence, et toute la chair de l'homme étant conçue de cette manière, il en résulte qu'elle est tout entière souillée par le péché (2). — C'est pourquoi on doit dire que la chair des anciens patriarches a été tout entière soumise au péché, et qu'il n'y a rien eu en eux qui en ait été exempt et qui ait ensuite servi à former le corps du Christ (3).

(1) Voyez notre note, pag. 255.
(2) Il est vrai <le dire que la chair du Christ, telle qu'elle était dans les patriarches, a été soumise au péché, mais elle ne devait pas on sortir souillée, puisqu'elle devait être formée par l'Esprit-Saint, dont l'opération l'a purifiée.
(3) La nature humaine était en ou* susceptible d'être séparée, mais il n'y avait rien en elle qui

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ n'a pas pris la chair du genre humain soumise au péché, mais il a pris une chair exemple de toute souillure, et c'est pour ce motif que la sagesse de Dieu n'a nullement été atteinte dans sa pureté.

32
II faut répondre au second, qu'on dit que le Christ a pris les prémices de notre nature quant à la ressemblance de condition, c'est-à-dire parce qu'il a pris une chair exempte de tout péché, comme l'avait été celle de l'homme avant sa chute ; mais ces paroles ne s'entendent pas d'une pureté ininterrompue, comme si la chair du premier homme avait été conservée exempte de souillure jusqu'à la formation du corps du Christ.

33
Il faut répondre au troisième, qu'avant le Christ il y avait dans la nature humaine une blessure, c'est-à-dire qu'elle était souillée en acte par le péché originel ; le remède n'était pas là en acte, mais il n'existait que selon la vertu d'origine, selon que les patriarches devaient propager la chair du Christ.



ARTICLE VIII. — le christ a-t-il été décimé dans les reins d’Abraham (1)?

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1 Il semble que le Christ ait été décimé dans les reins d'Abraham. Car L’Apôtre dit (
He 7) : que Lévi, le petit-neveu d'Abraham, a été décimé dans Abraham, parce qu'il était encore dans ce patriarche quand celui-ci offrit la dîme de ce qu'il avait à Melchisédech. Or, de même le Christ était dans les reins d'Abraham quand il a offert la dîme de ses biens. Il a donc été également décimé dans ce patriarche.

1 Le Christ est de la race d'Abraham selon la chair qu'il a reçue de sa mère. Or, sa mère a été décimée dans Abraham. Donc pour la même raison le Christ aussi.

2 Ce qui avait besoin de guérison était décimé dans Abraham, d'après saint Augustin (Sup. Gen. litt. lib. x, cap. 20). Or, toute chair soumise au péché a besoin de guérison. Par conséquent puisque la chair du Christ a été soumise au péché, ainsi que nous l'avons dit (art. préc.), il semble que sa chair ait été décimée. dans Abraham.

3
Ceci ne paraît déroger d'aucune manière à la dignité du Christ; car rien n'empêche que le père d'un pontife ayant donné la dîme à un prêtre, n'ait un fils qui soit un pontife plus grand que ce simple prêtre. Ainsi quoiqu'on dise que le Christ a été décimé dans Abraham, qui a payé la dîme à Melchisédech, cependant il ne s'ensuit pas pour cela que le Christ ne soit pas plus grand que Melchisédech.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Sup. Gen. litt. lib. x, cap. 20) que le Christ n'a pas été décimé dans Abraham, puisqu'il a tiré de lui une chair qui n'a pas reçu la blessure du péché, mais qui a fourni au contraire la matière qui l'a guérie.


CONCLUSION. — Celui qui donne la dime, attribuant la perfection à un autre et avouant qu'il a besoin de guérison, le Christ qui est plus parfait que Melchisédech et qui n'a pas besoin de guérison, n'a été décimé d'aucune manière dans les reins d'Abraham.

21
Il faut répondre que, d'après la pensée de l’Apôtre, il faut dire que le Christ n'a pas été décimé dans les reins d'Abraham. Car l’Apôtre prouve que le sacerdoce qui est selon l'ordre de Melchisédech est plus grand que celui de Lévi, parce qu'Abraham a donné la dîme à Melchisédech, lorsqu'il portait encore en lui Lévi, à qui le sacerdoce légal appartient. Mais si le Christ avait été aussi décimé dans Abraham, sou sacerdoce ne serait pas selon l'ordre de Melchisédech; il lui serait inférieur. C'est pourquoi on doit dire que le Christ n'a pas été décimé dans Abraham, comme Lévi. En effet, celui qui donne la dîme garde neuf parties pour lui et il accorde à un autre la dixième, qui est le signe de la perfection, dans le sens que le nombre dix est d'une certaine façon le terme de tous les nombres qui vont jusqu'à dix. D'où il suit que celui qui donne la dime avoue qu'il est imparfait et reconnaît dans un autre la perfection. Or, l'imperfection du genre humain existe à cause du péché, qui a besoin de la perfection de celui qui guérit ce mal. Mais il n'appartient qu'au Christ de le guérir; car il est l'agneau qui e/J'ace le péché du monde, selon l'expression de saint Jean (Jn 1). Melchisédech en était la figure, comme le prouve L’Apôtre(He 7). Ainsi par là même qu'Abraham a donné la dime à Melchisédech, il a montré à l'avance qu'il avait été conçu dans le péché, et que tous ses descendants, par là même qu'ils devaient contracter la tache originelle, avaient besoin de la guérison qui est produite par le Christ. Isaac, Jacob, et Lévi et tous les autres ont été dans Abraham, de telle sorte qu'ils en sont sortis, non-seulement selon la substance corporelle, mais encore selon la raison séminale par laquelle on contracte le péché originel. C'est pourquoi ils ont tous été décimés dans Abraham, c'est-à-dire qu'ils ont été représentés à l'avance comme ayant besoin de la guérison qui est produite par le Christ. Il n'y a que le Christ qui ait été dans Abraham de manière à venir de lui, non selon la raison séminale, mais selon la substance corporelle. C'est pour cette raison qu'il n'a pas été dans Abraham comme ayant besoin d'être guéri, mais plutôt comme le remède à la blessure faite au genre humain. C'est pour cela qu'il n'a pas été décimé en lui.

le fût complètement, et dont la vertu put la régénérer, comme on voit dans le corps la vertu active des parties qui sont saines rendre la santé et la vigueur à celles qui sont malades.

(I) Cc qui a donné lieu h cet article, c'est le chapitre vu de l'Epitre de saint Paul aux Hébreux dont saint Thomas donne ici l'interprétation.

31 La réponse au premier argument est par là même évidente.

32
Il faut répondre au second, que la bienheureuse Vierge ayant été conçue dans le péché originel (1), elle a été dans Abraham comme ayant besoin de guérison. C'est pourquoi elle y a été décimée, puisqu'elle en descend selon la raison séminale. Mais il n'en est pas de même du corps du Christ, comme nous l'avons dit (art. préc.).

33
Il faut répondre au troisième, qu'on dit que la chair du Christ a été soumise au péché dans les anciens patriarches, selon la qualité qu'elle a eue dans leurs pères qui ont été décimés, mais non d'après la qualité qu'elle a, selon qu'elle est en acte dans le Christ qui ne l'a pas été.

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Il faut répondre au quatrième, que le sacerdoce de Lévi était établi selon l'origine de la chair; par conséquent il n'a pas été moins clans Abraham que dans Lévi. Et par là même qu'Abraham a donné la dime à Melchisédech, comme étant plus grand que lui, il montre que le sacerdoce de Melchisédech, selon qu'il est la figure du Christ, est plus grand que le sacerdoce de Lévi. Mais le sacerdoce du Christ ne suit pas l'origine charnelle, il est établi selon la grâce spirituelle. C'est pour cela qu'il peut se faire qu'un père donne la dîme à un prêtre, comme l'inférieur au supérieur, et que néanmoins son fils, s'il est pontife, soit plus grand que ce prêtre, non à cause de l'origine de la chair, mais à cause de la grâce spirituelle qu'il tient du Christ.

(t) On compte jusqu'à quinze passages dans lesquels saint Thomas revient sur cette même pensée. Il y a cependant eu des auteurs qui ont osé avancer que tous ces passages avaient été a té- us, niais de Kubfcis a montré que ce système est insoutenable. Pour montrer que saint Tlmmat n'a pas été aussi directement opposé à la croyance de l'immaculée conception, il vaut bien mieux s'en rapporter aux explications de Cichovius et de Jean de Sain'.-Thomas, que nous avons cités (p3g. 233j.





QUESTION 32. DE LA CONCEPTION DU CHRIST QUANT AU PRINCIPE ACTIF.

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Après avoir parlé de la conception du Christ quant à la matière, nous devons la considérer quant au principe actif. — A cet égard il y a quatre questions à examiner : 1" L'Esprit-Saint a-t-il été le principe actif de la conception du Christ? — 2° Peut-on dire que le Christ a été conçu de l'Esprit-Saint? — 3" Peut-on dire que l'Esprit-Saint est le Père du Christ selon la chair? — 4" La bienheureuse Vierge a-t-elle fait quelque chose activement dans la conception du Christ ?



ARTICLE I. — l'esprit-saint a-t-il été le principe actif de la conception du ciirist (1)?

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1 Il semble qu'on ne doive pas attribuer à l'Esprit-Saint d'être l'auteur de la conception du Christ. Car, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. i, cap. A et 5), les œuvres de la Trinité sont indivises, comme l'essence de la Trinité elle-même. Or, produire la conception du Christ est une œuvre divine. Il semble donc qu'on ne doive pas plus l'attribuer à l'Esprit- Saint qu'au Père et au Fils.

2
L’Apôtre dit (Ga 4, A) : Lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils formé d'une femme; ce que saint Augustin explique en disant (De Trin. lib. iv, cap. 20) que celui qui l'a envoyé, c'est celui qui l'a fait de la femme. Or, la mission du Fils est principalement attribuée au Père, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xliii, art. 8). On doit donc aussi attribuer principalement au Père la conception d'après laquelle il a été formé de la femme.

3 L'Ecriture dit (Pr 9,1) : La sagesse s'est bâti une maison. Or, la sagesse de Dieu c'est le Christ, d'après saint Paul qui l'appelle (1Co 1,21) la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu. La demeure de cette sagesse est le corps du Christ qui est aussi appelé son temple. Car l'Evangile dit (Jn 2,21) : Il parlait ainsi du temple de son corps. Il semble donc que la conception du corps du Christ doive principalement être attribuée au Fils et non au Saint-Esprit.

20 Mais c'est le contraire. Il est dit (Lc 1,35) : L'Esprit-Saint viendra en vous, etc.


CONCLUSION. — Puisque l'incarnation du Fils de Dieu est l'œuvre par excellence de l'amour divin, c'est avec raison qu'on attribue à l'Esprit-Saint, qui est l'amour du Père et du Fils, la formation du corps du Christ, quoiqu'elle soit l'œuvre de la Trinité entière.

21 Il faut répondre que toute la Trinité a opéré la conception du corps du Christ. Cependant on l'attribue à l'Esprit-Saint (2) pour trois raisons : 1° Parce que cela convient à la cause de l'incarnation considérée par rapport à Dieu. Car l'Esprit-Saint est l'amour du Père et du Fils, ainsi que nous l'avons vu (part.I, quest. xxxviii, art. 1), et c'est l'amour immense de Dieu qui est cause que le Fils de Dieu s'est incarné dans le sein d'une vierge; d'où l'Evangile dit (Jn 3,16) : Dieu a tellement aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique. 2° Parce que cela convient à la cause de l'incarnation considérée par rapport à la nature qui a été prise. Car par là on fait comprendre que la nature humaine a été prise par le Fils de Dieu dans l'unité de sa personne, non d'après quelques mérites antérieurs, mais par la grâce seule qui est attribuée à l'Esprit-Saint, d'après ces paroles de saint Paul (1. Cor12, 4) : Les grâces sont partagées, mais c'est le même Esprit. D'où saint Augustin dit (Endi. cap. 40) : La manière dont le Christ est né de l'Esprit-Saint nous manifeste la grâce de Dieu par laquelle l'homme, sans mérites antérieurs, dès le début de son existence, a été uni au Verbe de Dieu, ne formant avec lui qu'une personne, de manière que le Fils de Dieu fût le même que le Fils de l'homme, et le Fils de l'homme le même que le Fils de Dieu. 3U Parce que cela convient au terme de l'incarnation. Car l'incarnation a eu pour terme que cet homme qui était conçu lut saint et fils de Dieu. Or, ces deux choses sont attribuées l'une et l'autre à l'Esprit-Saint. Car c'est par lui que les hommes deviennent enfants de Dieu, selon ces paroles de saint Paul (Ga 4, G) : Parce que vous êtes ses enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, qui crie : Mon Père! mon Père ! il est aussi l'esprit de sanctification, d'après le même Apôtre (Rm 1) : Ainsi comme les autres sont spirituellement sanctifiés par l'Esprit-Saint pour être les fils adoptifs de Dieu ; de même le Christ a été conçu par lui dans la sainteté, pour être le Fils naturel de Dieu. C'est pourquoi, d'après la glose (interi.), après avoir dit du Christ qu'il a été prédestiné pour être le Fils de Dieu dans sa vertu, l’apôtre le prouve parce qui suit immédiatement, quand il ajoute (Rm 1), selon l'esprit de sanctification, c'est-à-dire par là même qu'il a été conçu de l'Esprit-Saint. Et l'ange qui annonça ce mystère ayant dit d'abord : L'Esprit-Saint viendra en vous, conclut : C'est pourquoi le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu.

(1) Cet article a pour objet d'expliquer ces paroles qui sont dans le symbole : Qui conceptus est de Spiritu sancto, et qui expriment un des points de notre foi.
(2) II est à remarquer que l'acte de la conception ne se rapporte à l'Esprit-Saint que par appropriation, et que dans la réalité il est commun aux trois personnes divines comme toutes les œuvres ad extra, tandis que l'incarnation est un acte qui est propre à la personne du Fils.

31 Il faut répondre au premier argument, que l'œuvre de la conception est à la vérité commune à toute la Trinité; cependant on l'attribue d'une certaine manière à chaque personne. Car on attribue au Père l'autorité (1) par rapport à la personne du Fils qui par cette conception s'est uni à la nature humaine; on attribue au Fils de s'être uni la chair, et on attribue à l'Esprit-Saint la formation du corps que le Fils a pris. Car l'Esprit-Saint est l'esprit du Fils, d'après ces paroles de saint Paul (Gai.4, 6) : Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils. Mais comme la vertu de l'âme quae est in semine, per spiritum qui in semine includitur, format corpus in generatione aliorum hominum; de même la vertu de Dieu qui est le Fils de Dieu lui-même, d'après L’Apôtre(1Co 1,24) qui appelle le Christ la vertu de Dieu, a formé par l'Esprit-Saint le corps qu'il a pris. C'est aussi ce que démontrent les paroles de l'ange qui dit : L'Esprit-Saint viendra en vous, comme pour préparer et pour former la matière du corps du Christ, et la vertu du Très-Haut, c'est-à-dire le Christ, vous couvrira de son ombre, ce qui signifie : La lumière incorporelle de la divinité recevra en vous un corps d'homme. Car l'ombre est formée par la lumière et par un corps, selon l'observation de saint Grégoire (Mor. lib. xviii, cap. 12). Par le Très-Haut on entend ici le Père dont le Fils est la vertu.

32 Il faut répondre au second, que la mission se rapporte à la personne qui prend la nature humaine et qui est envoyée par le Père; au lieu que la conception se rapporte au corps qui est pris et qui est formé par l'opération du Saint-Esprit. C'est pour cela que quoique la mission et la conception soient une même chose subjectivement, cependant, comme elles diffèrent rationnellement, la mission est attribuée au Père, l'acte de la conception à l'Esprit-Saint, et on dit que c'est le Fils qui prend la chair.

(I) Il a voulu que le Fils s'incarnât, et le Fils lui a obéi.

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Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin [alius auctor, Lib. de quaest. Fet. et Nov. Testam, quaest. 52), on peut entendre ce passage de deux manières. D'abord la maison du Christ est l'Eglise qu'il s’est bâtie de son sang. Ensuite on peut dire aussi que son corps est sa demeure, comme on dit qu'il est son temple. L'œuvre de l'Esprit-Saint est l'œuvre du Fils de Dieu à cause de l'unité de leur nature et de leur volonté.




III Pars (Drioux 1852) 624