III Pars (Drioux 1852) 1466

ARTICLE VI. — l'agneau pascal a-t-il été la principale figure de l'eucharistie ?

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1 II semble que l'agneau pascal n'ait pas été la principale figure de l'eucharistie. Car il est dit que le Christ est prêtre selon V ordre de Melchisédech (
Ps 109,4), parce que Melchisédech a été la figure du sacrifice du Christ, en offrant le pain et le vin. Or, l'expression de la ressemblance fait que l'un tire son nom d'un autre. Il semble donc que l'oblation de Melchisédech ait été la principale figure de ce sacrement.

2 Le passage de la mer Rouge a été la figure du baptême, d'après ces paroles (1Co 10,2) : Ils ont tous été baptisés dans la nuée et dans la mer. Or, l'immolation de l'agneau pascal a précédé le passage de la mer Rouge que la manne a suivi, comme l'eucharistie suit le baptême. La manne est donc une figure plus expresse de ce sacrement que l'agneau pascal.

3 La vertu principale de ce sacrement, c'est qu'il nous introduit dans le royaume des cieux, comme un viatique. Or, ceci a été surtout figuré à l'avance dans le sacrement d'expiation, quand le pontife entrait une fois l'an avec le sang dans le saint des saints, comme le prouve l'Apôtre (He 9). Il semble donc que ce sacrifice ait été une figure plus expressive de ce sacrement que l'agneau pascal.

20 Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Co 5,7): Le Christ notre pâque a été immolé; c'est pourquoi nous célébrons cette fête avec les azymes de la sincérité et de la vérité.



CONCLUSION. — Quoique le sacrement de l'eucharistie ait été figuré à l'avance par beaucoup de figures, cependant sa figure principale a été l'agneau pascal, puisqu'il l'a représenté sous tous les rapports.

21 Il faut répondre que dans l'eucharistie nous pouvons considérer trois choses : ce qui n'est que le sacrement, c'est-à-dire le pain et le vin; ce qui est la chose et le sacrement, c'est-à-dire le corps véritable du Christ; et ce qui n'est que la chose, c'est-à-dire l'effet de ce sacrement. Par rapport à ce qui n'est que le sacrement, la principale figure de l'eucharistie a été l'offrande de Melchisédech qui offrit le pain et le vin. Par rapport au Christ lui-même qui a souffert et qui est renfermé dans ce sacrement, il a été figuré par tous les sacrifices de l'ancienne loi et surtout par le sacrifice -d'expiation qui était le plus solennel (1). Enfin, par rapport à l'effet, il a été 'principalement figuré par la manne, qui avait en elle tous les goûts les plus agréables (,Sap. 16), comme la grâce de l'eucharistie renouvelle l'âme sous tous les rapports. — Mais l'agneau pascal figurait l'eucharistie de ces trois manières : d'abord quant au sacrement, parce qu'on le mangeait avec des pains azymes, d'après ces paroles de la loi (Ex 12,8) : Ils mangeront de la mande et des pains azymes; ensuite par rapport au Christ, car toute la multitude des enfants d'Israël l'immolait le quatorzième jour de la lune, et qu'il figurait ainsi la passion du Christ que son innocence a fait appeler un agneau ; enfin par rapport à l'effet, parce que le sang de l'agneau pascal protégea les enfants d'Israël contre l'ange dévastateur et les tira de la servitude de l'Egypte. Ainsi l'agneau pascal fut donc la principale figure de l'eucharistie parce qu'il la représente sous tous les aspects (2).

La réponse aux objections est par là même évidente.




QUESTION 74: DE LA MATIÈRE DE L'EUCHARISTIE QUANT A L'ESPÈCE.

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Nous devons nous occuper ensuite de la matière de l'eucharistie. Nous parlerons : lu de l'espèce de la matière; 2° de la conversion du pain et du vin au corps du Christ ; 3" de la manière dont le corps du Christ existe dans ce sacrement ; 4° des accidents du pain et du vin qui subsistent dans ce sacrement. — Sur l'espèce de fa matière if y a huit questions à examiner : 1° Le pain et le vin sont-ifs la matière de ce sacrement ?— 2° Faut-il pour la matière de ce sacrement une quantité déterminée ?—3° La matière de ce sacrement doit-elle être du pain de froment ?— 4° Est-ce du pain azyme ou du pain fermenté ? — 5° Faut-il du vin fait avec du raisin P—6° Doit-on y mêler de l'eau ? — 7° L'eau est-elle nécessaire pour la validité de ce sacrement ? — 8° De la quantité de l'eau qu'on ajoute.



ARTICLE I. — le pain et le vin sont-ils la matière du sacrement de l'eucharistie (3)?

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1 Il semble que le pain et le vin ne soient pas la matière de ce sacrement. Car il doit représenter la passion du Christ plus parfaitement que les sacrements de l'ancienne loi. Or, la chair des animaux qui était la matière des sacrements de l'ancienne loi représente la passion du Christ plus expressément que le pain et le vin. La chair des animaux doit donc être la matière de ce sacrement plutôt que le pain et le vin.

2
Ce sacrement doit être célébré partout. Or, dans beaucoup de contrées on ne trouve pas de pain de froment et dans quelques-unes il n'y a pas de vin. Le pain et le vin ne sont donc pas la matière convenable de ce sacrement.

3
Ce sacrement convient à ceux qui se portent bien et à ceux qui sont malades. Or, il y a des malades auxquels le vin est nuisible. Il  semble donc que le vin ne doive pas ôtre la matière de ce sacrement.

20
Mais c'est le contraire. Le pape Alexandre Ier dit (epist, i, cap. 4): que dans l'oblation des sacrements on n'offre en sacrifice que du pain et du vin mélangé d'eau.

(1) Dans ce sacrifice on immolait en holocauste deux béliers, un veau pour les péchés du prêtre et un bouc pour les péchés du peuple (Levit. cap. xvi).
(2) C’est sans doute pour ce motif qu'immédiatement avant la communion l'Eglise nous fait dire : Agnus Dei qui tollis peccata mundi, et que le prêtre en se tournant vers les fidèles pour les communier dit : Ecce agnus Dei, etc.
(3) Il est de foi que le pain et le vin sont la matière du sacrement de l'eucharistie. Tertium est eucharistiae sacramentum, cujus materia est panis triticeus et vinum de vite, dit Eugène IV au concile de Florence. La même chose avait déjà été décidée par le concile de Latran (cap. Firmiter), et le concile de Trente la répète presque dans tous les chapitres qu'il a écrits sur cette matière (sess. xiii).


CONCLUSION. — La matière convenable du sacrement de l'eucharistie instituée par le Christ n'est pas du pain et du fromage, ni du sang d'enfant mêlé à de la farine, ni de l'eau, mais le pain et le vin, c'est-à-dire les choses qui sont les plus aptes à l'usage du sacrement et qui conviennent le mieux pour signifier la passion du Christ et désigner l'effet de l'eucharistie.

21
Il faut répondre qu'à l'égard de la matière de l'eucharistie il y a eu beaucoup d'erreurs. Car les uns, qu'on appelle artotyrites (Aug. Lib. de haeres. haer. 28), offraient dans ce sacrement du pain et du fromage, sous prétexte que les premiers hommes ont offert solennellement des fruits de la terre et de leurs troupeaux. Les cataphrygiens et les pépuziens prenaient du sang d'un enfant qu'ils avaient fait sortir de son corps en le piquant dans toutes ses parties avec des pointes d'aiguilles, et on dit qu'ils confectionnaient l'eucharistie en mêlant ce sang avec de la farine pour en faire un pain (1). D'autres, qu'on appelle les aquaires, n'offraient dans ce sacrement que de l'eau, sous prétexte de sobriété (2). Mais toutes ces erreurs et toutes les au très semblables sont rejetées par là même que le Christ a institué l'eucharistie sous l'espèce du pain et du vin, comme le rapporte l'Evangile (Mt 26). Par conséquent le pain et le vin sont la matière convenable de ce sacrement. Ce qui d'ailleurs est conforme à la raison : 4° Quant à l'usage de ce sacrement qui est la manducation. Car comme on prend de l'eau dans le sacrement de baptême pour servir à l'ablution spirituelle, parce que l'ablution corporelle se fait communément avec de l'eau; de même le pain et le vin, qui sont les aliments les plus communs que l'homme emploie pour refaire ses forces, sont employés dans l'eucharistie pour servir à la manducation spirituelle. 2° Par rapport à la passion du Christ dans laquelle le sang a été séparé du corps. C'est pourquoi dans ce sacrement, qui est le mémorial de la passion du Seigneur, on prend à part le pain comme le sacrement du corps, et on prend le vin comme le sacrement du sang. 3° Par rapport à l'effet considéré dans chacun de ceux qui le reçoivent. Car, comme le dit saint Ambroise (alius auctor sup. Ep. i ad Cor. xi), ce sacrement sert à défendre l'âme et le corps. C'est pourquoi le corps du Christ est offert sous l'espèce du pain pour le salut du corps, et le sang sous l'espèce du vin pour le salut de l'âme, d'après ces paroles de la loi (Lev. xvii): L'âme de la chair est dans le sang. 4° Quant à l'effet relativement à toute l'Eglise qui est composée de divers fidèles, comme le pain est formé de divers grains et le vin découle de différentes grappes de raisin, selon la remarque de la glose (ord. Aug. tract, xxvi in ) sur ces paroles de saint Paul (1Co 10): Multi unum corpus sumus.

31 Il faut répondre au premier argument, que quoique la chair des animaux tués représente plus expressément la passion du Christ, cependant elle est moins convenable pour l'usage général de ce sacrement et pour signifier l'unité de l'Eglise.

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Il faut répondre au second, que quoiqu'on ne récolte pas de froment, ni de vin dans toutes les contrées, cependant on peut facilement en transporter partout autant qu'il en faut pour l'usage de ce sacrement. Si l'on manque de l'un, on ne doit cependant pas consacrer l'autre seul, parce que dans ce cas le sacrement ne serait pas parfait.

(2) Les manichéens, les eucratites et les ébionitcs ne faisaient pas non plus usage du vin, parce qu'ils croyaient que le vin venait du mauvais principe.
(1) Sanctus Thomas pro pudore gnosticos tacet qui corpus Christi in pane semine humano cons- perso conficiebant.

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Il faut répondre au troisième, que le vin pris en petite quantité ne peut pas nuire beaucoup à un malade. Toutefois, si on craint que cela ne lui nuise, il n'est pas nécessaire que tous ceux qui reçoivent le corps du Christ prennent aussi le sang(l), comme nous le dirons (quest. lxxx, art. 12).



ARTICLE II. — faut-il une quantité de pain et de vin déterminée pour la matière du sacrement de l'autel (2)?

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1 Il semble qu'il faille une quantité de pain et devin déterminée pour la matière de ce sacrement. Car les effets de la grâce ne sont pas moins bien ordonnés que ceux de la nature. Or, comme le dit Aristote (De anima,, lib. ii, text. 41), dans tous les corps formés par la nature, il y a une limite et un rapport de grandeur et d'accroissement. Donc, à plus forte raison, dans ce sacrement qu'on appelle l'eucharistie (su, bonne; yá.pt?, grâce) faut-il une quantité déterminée de pain et de vin.

2
Le Christ n'a pas donné aux ministres de l'Eglise le pouvoir de faire des choses qui compromettraient la foi et les sacrements, suivant cette parole de l'Apôtre (2Co 10,8): Conformément à la puissance que Dieu nous a donnée pour édifier et non pour détruire. Or, ce serait un acte qui tournerait à la dérision du sacrement, si un prêtre voulait consacrer tout le pain qui se vend sur un marché et tout le vin qui est dans un cellier. Il ne peut donc le faire.

3 Si on baptise quelqu'un dans la mer, toute l'eau de la mer n'est pas sanctifiée par la forme du baptême. Il n'y a que l'eau qui a touché le corps de celui qui a été baptisé. Dans l'eucharistie on ne peut donc pas non plus consacrer une quantité de vin et de pain superflue.

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Mais c'est le contraire. Beaucoup est opposé à peu et le grand au petit. Or, il n'y a pas de quantité de pain ou de vin si petit qu'on ne puisse la consacrer. Il n'y a donc pas non plus de quantité si grande qu'on ne puisse la consacrer aussi.


CONCLUSION. — La matière de ce sacrement étant déterminée comparativement à l'usage qu'en font les fidèles dont le nombre est absolument indéterminé, on ne peut pas dire que cette matière soit une quantité déterminée.

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Il faut répondre qu'il y a des auteurs qui ont dit qu'un prêtre ne pourrait pas consacrer une immense quantité de pain ou de vin, par exemple tout le pain qu'on vend sur un marché, ou tout le vin qui est dans un tonneau. Mais il ne semble pas que cette opinion soit vraie. Car dans tout ce qui a matière, la raison de la détermination de la matière se prend de son rapport avec la fin. Ainsi la matière d'une scie est de fer pour qu'elle puisse couper. Or, la fin de l'eucharistie est l'usage des fidèles. Par conséquent il faut que la quantité de la matière de ce sacrement soit déterminée comparativement à cet usage. Mais il ne peut pas se faire qu'on la détermine comparativement à l'usage des fidèles qui se présentent maintenant ; autrement un prêtre qui a peu de paroissiens ne pourrait pas consacrer beaucoup d'hosties. Il faut donc que la matière de ce sacrement soit déterminée comparativement à l'usage des fidèles pris absolument. Et parce que le nombre des fidèles est indéterminé, on ne peut donc pas dire que la quantité de la matière de ce sacrement le soit (3).

(1) Actuellement il n'y a que le prêtre qui communie sous l'espèce du vin, puisque les fidèles ne communient que sous une espèce.
(2) La quantité de la matière n'ayant point été déterminée d'après l'institution du Christ, le prêtre peut consacrer une matière plus ou moins considérable; seulement si la matière est peu considérable, il faut qu'elle soit sensible, et si elle est très-considérable, il faut qu'elle soit présente au prêtre qui la consacre, et qu'elle soit déterminée un individu par son intention. Pour remplir cette dernière condition, il faut que le pain et le. vin soient sur l'autel, que le prêtre le sache et qu'il veuille les comprendre dans la consécration.
(3) L'hostie dont le prêtre se sert pour la célébration de la messe doit être très-mince, de forme ronde, plus grande que celle qu'on donne aux fidèles. Cependant dans le cas de nécessité

21
Il faut répondre au premier argument, que la matière de toutes les choses naturelles reçoit une quantité déterminée suivant qu'elle se rapporte à une forme qui est déterminée elle-même. Or, le nombre des fidèles à l'usage desquels l'eucharistie se rapporte, n'est pas déterminé. Il n'y a donc pas de parité.

32
Il faut répondre au second, que la puissance des ministres de l'Eglise se rapporte à deux choses : à son effet propre et à la fin de cet effet. La seconde chose ne détruit pas la première. Par conséquent si un prêtre se propose de consacrer le corps du Christ pour une fin mauvaise, par exemple, pour se moquer ou pour faire des maléfices, il pèche à cause de la fin mauvaise qu'il se propose ; mais néanmoins le sacrement est valide à cause de la puissance qui lui a été donnée.

33
Il faut répondre au troisième, que le sacrement de baptême se perfectionne dans l'usage qu'on fait de la matière, et c'est pour cela que la forme du baptême ne sanctifie pas plus d'eau qu'on en emploie pour l'ablution; au lieu que l'eucharistie est produite par la consécration même de la matière. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.



ARTICLE III. — est-il requis pour la matière de l'eucharistie que le pain soit de froment (1) ?

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1 Il semble que pour la matière de l'eucharistie il ne soit pas nécessaire que le pain soit de froment. Car ce sacrement rappelle la passion du Seigneur. Or, le pain d'orge qui est plus âpre, et dont le Christ a nourri la foule sur la montagne (
Jn 6), paraît mieux en rapport avec la passion du Seigneur que le pain de froment. Le pain de froment n'est donc pas la matière propre de ce sacrement.

2 La figure est le signe de l'espèce dans les choses naturelles. Or, il y a des grains qui ont la même forme que le froment, comme le seigle et le blé sauvage dont on fait du pain dans certains endroits pour être employé à ce sacrement. Le pain de froment n'en est donc pas la matière propre.

3
Le mélange détruit l'espèce. Or, on trouve difficilement de la farine de froment qui ne soit pas mélangée de quelques autres grains, à moins qu'elle n'ait été faite avec des grains choisis avec soin. Il ne semble donc pas que le pain de froment soit la matière propre de ce sacrement.

4
Ce qui a été corrompu paraît être d'une autre espèce. Or, il y en a qui consacrent avec du pain corrompu qui ne paraît puis être du pain de froment. Il semble donc que ce pain ne soit pas la matière propre de ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. L'eucharistie contient le Christ qui se compare à un pain de froment, en disant (Jn 12,24) : Si le grain de froment qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul. Le pain de froment est donc la matière de ce sacrement.


CONCLUSION. — Le pain de froment est la matière propre et le plus convenable du sacrement de l'eucharistie, puisque les hommes s'en servent communément pour leur aliment et qu'il signifie mieux l'effet de ce sacrement, parce qu'if a plus de puissance pour fortifier celui qui le prend.

(t) On ne peut faire usage licitement et valide- ment pour l'eucharistie que du pain naturel, du pain de froment, panis triticeus. On ne peut consacrer du pain d'orge, d'avoine ou d« blé de sarrasin.

on pourrait faire usage d'une petite hostie. Cette coutume de 1 Eglise est très-ancienne, comme on le voit d'après saint Epiphane (Anachoret. num. Nb 57), saint Grégoire le Grand (Vial. lib. iv, cap. 55), saint Iklefense de Tolède et les témoignages cités par D. Mabillon et D. Martène (De antiqu Eccies. rit. lib. i, cap. 3 ad 7).

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. et quest.

lxvi, art. 3), on se sert pour l'usage des sacrements de la matière que les hommes emploient le plus communément pour ce même usage. Or, parmi les autres pains, les hommes se servent plus communément de pain de froment. Car les autres pains paraissent avoir été introduits à défaut de celui-là. C'est pourquoi on croit que le Christ a institué ce sacrement sous l'espèce de ce pain, qui fortifie l'homme davantage et qui signifie par conséquent d'une manière plus convenable l'effet de ce sacrement. C'est pourquoi le pain de froment est la matière propre de ce sacrement.

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IL faut répondre au premier argument, que le pain d'orge était convenable pour signifier la dureté de la loi ancienne par sa propre dureté, et aussi parce que, comme le dit saint Augustin (Quaest. lib. iaxxiii, quaest. 61), l'amande de l'orge, qui est recouverte d'une paille très-tenace, signifie la loi elle-même, qui avait été donnée de telle sorte que l'aliment vital de l'âme était voilé en elle par des sacrements corporels, ou bien elle signifie le peuple qui n'était pas encore dépouillé du désir charnel qui restait attaché à son coeur comme une paille. Mais le sacrement de l'eucharistie appartient au joug du Christ qui est doux, et à la vérité manifestée et à un peuple spirituel. Par conséquent le pain d'orge ne serait pas la matière convenable de ce sacrement.

32
Il faut répondre au second, que celui qui engendre produit son semblable dans l'espèce-, cependant il y a une différence entre celui qui engendre et celui qui est engendré quant aux accidents, soit à cause de la matière, soit à cause de la faiblesse de la vertu génératrice. C'est pourquoi s'il y a des grains qui peuvent être engendrés par le froment f comme le seigle (1) naît dans de mauvaises terres d'un grain de froment qu'on y a semé), le pain fait avec ce grain peut être la matière de l'eucharistie ; ce qui cependant ne parait avoir lieu ni pour l'orge, ni pour le blé sauvage (2), qui est en tout très-semblable au grain de froment. Dans ce cas, la ressemblance de la figure paraît plutôt signifier la proximité que l'identité de l'espèce. C'est ainsi que la ressemblance de la figure montre que le chien et le loup sont d'une espèce prochaine, mais non de la même espèce. Par conséquent, avec ces grains qui ne peuvent ôtre produits d'aucune manière par le froment, on ne peut faire un pain qui soit la matière légitime de ce sacrement.

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Il faut répondre au troisième, qu'un léger mélange ne détruit pas l'espèce, parce que ce qui est en petite quantité est en quelque sorte absorbé parce qui est plus considérable. C'est pourquoi, si on mêle un peu d'autre grain à une quantité beaucoup plus grande de froment, on peut néanmoins en faire un pain qui soit la matière de l'eucharistie. Mais si on fait un mélange plus considérable, par moitié, par exemple, ou à peu près, ce mélange change l'espèce. Alors le pain qu'on en fait n'est pas la matière légitime de ce sacrement.

34
Il faut répondre au quatrième, que quelquefois le pain est tellement altéré, que l'espèce du pain est détruite, comme quand la continuité n'existe plus, que la saveur, la couleur et les autres accidents sont changés. On ne peut pas consacrer le corps du Christ avec une pareille matière. D'autres fois l'altération n'est pas tellement profonde qu'elle détruise l'espèce. Mais il y a une disposition à la corruption qui est manifestée par un changement de saveur. On peut consacrer le corps du Christ avec ce pain, mais celui qui le fait pèche par irrévérence pour le sacrement (1) ; et parce que l'amidon est fait avec du froment corrompu, il ne semble pas que le pain qu'on en fait puisse être consacré (2), quoique quelques-uns disent le contraire.

ii) Le mot siligo, d'après Pline (lib. xviii, cap. 8) et saint Isidore (Etym. lib. xvii, cap. 5), désigne la plus pure espèce de froment. Si c'est le sens qu'y attache saint Thomas, il n'y a pas de doute sur la validité de cette matière. Billuart pense qu'il a voulu désigner le seigle, mais Sylvius est de l'avis contraire. En tout cas le seigle est au moins une matière douteuse.

(2) Il n'est pas facile de déterminer quelle espèce de grain saint Thomas a voulu désigner par les mots spelta et farre, que nous avons désignés sous le nom de blé sauvage. Serait-ce le blé de Turquie et le blé sarrasin?



ARTICLE IV. — doit-on se servir tour l'eucharistie de tain azyme (3)?

1484
1 Il semble qu'on ne doive pas se servir de pain azyme. Car nous devons dans l'eucharistie imiter l'institution du Christ. Or, le Christ parait avoir institué ce sacrement avec du pain fermenté, parce que, comme on le voit (
Ex 12), les Juifs, d'après la loi, commençaient à se servir de pains azymes le jour de la Pâque qu'on célèbre le quatorzième de la lune. Et le Christ a institué l'eucharistie dans la cène qu'il a célébrée avant le jour de la fête de Pâques, comme le dit l'Evangile (Jn 13). Nous devons donc aussi célébrer ce sacrement avec du pain fermenté.

2 Les prescriptions légales ne doivent pas être observées sous la loi de grâce. Or, l'usage des azymes a été une cérémonie légale, comme on le voit (Ex 12). Nous ne devons donc pas faire usage de pains azymes dans ce sacrement de grâce.

3 Comme nous l'avons dit (quest. lxxiii, art. 3 ad 3), l'eucharistie est le sacrement de la charité de même que le baptême est celui de la foi, ainsi que nous l'avons dit (quest. lxv, art. 1). Or, la ferveur de la charité est signifiée par le levain, comme on le voit dans la glose (interi.) sur ces paroles de l'Evangile (Mt 13,33) : Simile est regnum caelorum fermento, etc. On doit donc consacrer avec du pain fermenté.

4 L'azyme et le levain sont des accidents du pain qui n'en changent pas l'espèce. Or, pour la matière du baptême on ne l'ait pas de différence relativement aux accidents de l'eau; par exemple, on n'examine pas si elle est salée ou douce, chaude ou froide. A l'égard de l'eucharistie, on ne doit donc pas faire de distinction entre le pain azyme ou le pain fermenté.

20
Mais c'est le contraire (in Decr. lib. m, Tt 41, cap. Litteras). On punit un prêtre qui a eu la présomption de célébrer une messe solennelle avec du pain fermenté et un calice de bois.


CONCLUSION. — Quoiqu'on puisse consacrer l'eucharistie avec du pain fermenté, selon la coutume de certaines Eglises, cependant il est plus convenable qu'on consacre avec du pain azyme, soit à cause de l'institution du Christ, soit pour signifier la sincérité des fidèles.

21 Il faut répondre qu'à l'égard delà matière de ce sacrement on peut considérer deux choses, ce qui est nécessaire et ce qui convient. Il est nécessaire que le pain soit de froment, comme nous l'avons dit (art. préc.) ; sans cela le sacrement n'existe pas. Mais il n'est pas nécessaire au sacrement que le pain soit azyme, ni fermenté, parce qu'on peut consacrer l'un et l'autre. Il est convenable que chacun suive le rite de son Eglise dans la célébration du sacrement. A cet égard les coutumes des Eglises sont différentes. Car saint Grégoire dit (in Regist. impl. id hab. Innoc. III, lib. iv, De sacri f. miss. cap. 4): L'Eglise romaine offre des pains azymes, parce que le Seigneur a pris la chair sans mélange. Les Eglises grecques offrent au contraire du pain fermenté, parce que le Verbe du Père a été revêtu de la chair, comme le levain est mêlé à la farine. Ainsi, comme un prêtre pèche s'il célèbre dans une Eglise latine avec du pain fermenté, de même un prêtre grec pécherait si dans l'Eglise grecque il célébrait avec du pain azyme, parce qu'il ne suivrait pas le rite de son Eglise (1). Cependant la coutume de célébrer avec du pain azyme est plus raisonnable. 1° A cause de l'institution du Christ, qui a établi ce sacrement le premier jour des azymes, comme on le voit (Mt 26, Marc, xiv et Lc 22). Ce jour-là il ne devait pas y avoir de pain fermenté dans les maisons des Juifs, ainsi que le commande la loi (Ex 12). 2° Parce que le pain est proprement le sacrement du corps du Christ qui a été conçu sans corruption plutôt que le sacrement de la Divinité elle-même, comme on le verra (quest. lxxvi, art. 1). 3° Parce que cette coutume convient mieux à la sincérité des fidèles, qui est requise pour l'usage de ce sacrement, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 5,7) : Le Christ, notre pâque, a été immolé; c'est pourquoi célébrons cette fête avec les azymes de la sincérité et de la vérité (2). La coutume des grecs a cependant aussi une certaine raison, soit à cause de sa signification qu'indique saint Grégoire (loc. cit.), soit pour détester l'hérésie des Nazaréens, qui mêlaient les prescriptions légales à l'Evangile.

(1) C'est ce qu'observent les rubriques du missel romain De defectibus.
(2) La farine de froment pétrie avec du lait, du beurre, du miel, du sucre, n'offre qu'une matière douteuse ou nulle ; et il en est de même de tout mélange qui fait perdre au pain sa dénomination.
(3) Les grecs et les arméniens prétendaient qu'on ne pouvait consacrer validement avec du pain azyme, mais qu'il fallait se servir de pain fermenté. Le concile de Florence a décidé que ces deux matières étaient l'une et l'autre valides, et que chaque prêtre devait suivre à cet égard l'usage de son Eg'ise : Definimus in azymo, sive fermentato pane triticeo corpus Christi veraciter confici, sacerdotesque in attero ipsorum Domini corpus conficere debere, unumquemque scilicet juxtà suce Ecdesiae, sive occidentalis, sive orientalis, consuetudinem.

21 Il faut répondre au premier argument, que, comme on le voit (Ex 12), la solennité pascale commençait le soir du quatorzième jour de la lune, et c'est alors que le Christ a institué l'eucharistie après l'immolation de l'agneau pascal. C'est pourquoi saint Jean dit que ce jour a précédé le jour de Pâques, et les trois autres évangélistes l'appellent le premier jour des azymes, quand il n'y avait plus de levain dans les maisons des Juifs, comme nous l'avons dit (in corp. art.). Nous avons d'ailleurs parlé de cela plus longuement à propos de la passion du Christ (quest. xlvi, art. 9 ad 1).

32 Il faut répondre au second, que ceux qui consacrent avec du pain sans levain n'ont pas l'intention d'observer les cérémonies de la loi, mais de se conformer à l'institution du Christ. C'est pourquoi ils ne judaïsent pas; autrement ceux qui consacrent avec du pain fermenté judaïseraient aussi, parce que les Juifs offraient des pains fermentés pour prémices.

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Il faut répondre au troisième, que le levain signifie la charité, à cause de son effet, parce qu'il donne au pain plus de saveur et plus d'apparence. Mais il signifie la corruption par la nature même de son espèce.

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Il faut répondre au quatrième, que le levain ayant une certaine corruption, comme on ne peut consacrer avec du pain qui est corrompu, ainsi que nous l'avons dit (art. préc. ad 4), on considère plus à l'égard du pain la différence qu'il y a entre celui qui est fermenté et celui qui ne l'est pas, qu'on ne considère à l'égard de l'eau du baptême la différence qu'il y a entre celle qui est chaude et celle qui est froide. Car il pourrait se faire que le levain fût tellement corrompu qu'on ne pût s'en servir pour consacrer.

(I) La faute serait très-grave, et la plupart des théologiens disent qu'un prêtre latin ne pourrait se servir de pain fermenté, ni pour administrer le viatique à un moribond, ni pour faire entendre la messe au peuple un jour d'obligation. Ils ne font d'exception que pour le cas où il faudrait avoir recours à du pain fermenté pour achever la messe et consommer le sacrilice.
(2) Les auteurs sont partagés sur l'époque à laquelle cette coutume s'est introduite parmi les latins. Sirmond et le cardinal Bona pensent qu'elle n'est devenue générale en Occident que du ix' au x' siède. Mabillon soutient que l'usage des pains azymes remonte dans l'Eglise latine jusqu'au temps des apôtres. Juanin et d'autres veulent qu'on se soit servi indistinctement de l'une et de l'autre espèce de pain pendant les six premiers sièdes et que l'usage du pain sans levain ait prévalu vers le viii'.



ARTICLE V. — le vin de le vigne est-il la matière propre du sacrement de l'autel (v?

1485
1 Il semble que le vin de la vigne ne soit pas la matière propre de ce sacrement. Car comme l'eau est la matière du baptême, de même le vin est la matière de l'eucharistie. Or, on peut baptiser avec toute eau. On peut donc aussi consacrer avec toute espèce de vin, comme le jus de grenades, de mûres ou d'autres fruits semblables, surtout puisque la vigne ne vient pas dans tous les pays.

2
Le vinaigre est une espèce de vin qui vient de la vigne, comme ledit saint Isidore (Etym. lib. xv, cap. 3). Or, on ne peut pas consacrer avec du vinaigre. Il semble donc que le vin de la vigne ne soit pas la matière propre de ce sacrement.

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Comme on fait avec le fruit de la vigne du vin pur, de même on fait aussi du verjus et du vin doux. Or, il ne semble pas qu'on puisse consacrer avec ces deux dernières espèces de vins, d'après ces paroles qu'on lit dans le sixième concile oecuménique (hab. in conc, quini sexto cap. 28, part. conc. Const. iii) : Nous avons appris que dans certaines églises il y a des prêtres qui joignent les grappes de raisin au sacrifice de l'autel et qui distribuent ainsi l'un et l'autre au peuple. Nous ordonnons donc qu'aucun prêtre ne se permette à l'avenir d'agir ainsi. Et le pape Jules Ier (Decret. vu) blâme ceux qui offrent dans le sacrement du calice du Seigneur un vin que l'on vient d'exprimer. Il semble donc que le vin de la vigne ne soit pas la matière propre de ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. Comme le Seigneur s'est comparé au grain de froment, de même il s'est aussi comparé à la vigne, en disant (Jn 15,1): Je suis la vigne véritable. Or, il n'y a que le pain de froment qui soit la matière de l'eucharistie, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.). Il n'y a donc aussi que le vin qui vient delà vigne qui soit la matière propre de ce sacrement.


CONCLUSION. — Il n'y a que le via de la vigne qui soit la matière propre de l'eucharistie instituée par le Christ.

21 Il faut répondre qu'il n'y a que le vin de la vigne qui puisse être consacré. A cause de l'institution du Christ qui a établi ce sacrement avec le vin de la vigne, comme on le voit par ces paroles qu'il dit lui-même à l'occasion de son institution (Mt 26,29) : Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne. 2° Parce que, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.), on emploie pour la matière des sacrements ce qui a proprement et communément une telle espèce. Or, on donne proprement le nom de vin à ce qui vient de la vigne; on n'appelle ainsi les autres liqueurs qu'en raison de la ressemblance qu'elles ont avec le vin qui est le produit de la vigne. 3° Parce que le vin de la vigne a plus d'analogie avec l'effet de ce sacrement qui est la joie spirituelle. Car il est écrit(Ps 103, IB) que le vin réjouit le coeur de l'homme.

Il n'importe en rien que le vin soit blanc ou rouge, qu'il soit de France ou d'Espagne, pourvu qu'il soit véritable.

(1) Le vin de la vigne est la matière propre de la consécration, d'après la tradition constante de l'Eglise et le concile de Florence, qui dit : Cujus materia est panis triticeus et vinum de vite.

31 Il faut répondre au premier argument, qu'on ne donne pas proprement le nom de vin à ces liqueurs, mais on le fait seulement par analogie. D'ailleurs on peut transporter dans les pays où il n'y a pas de vignes du vin véritable autant qu'il en faut pour consacrer.

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Il faut répondre au second, que le vin se change en vinaigre par corruption: aussi le vinaigre ne redevient pas du vin, comme le dit Aristote (Met. lib. viii, text. 44). C'est pourquoi comme on ne peut pas consacrer avec du pain qui est totalement corrompu, de même on ne le peut pas non plus avec du vinaigre. Cependant on peut consacrer avec du vin qui se pique comme avec du pain qui commence à se corrompre, quoiqu'on pèche en le faisant (1), ainsi que nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest. ad 4).

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Il faut répondre au troisième, que le verjus est en voie de production et il n'est pas encore du vin ; c'est pour ce motif qu'on rit peut s'en servir pour consacrer. Le vin doux a déjà l'espèce du vin, car sa douceur montre qu'il est formé, puisque la formation des choses reçoit son complément de leur chaleur naturelle, selon la remarque d'Aristote (Meteor. lib. iv, cap. 3). C'est pourquoi on peut consacrer avec du vin doux (2), mais on ne doit pas y mêler des raisins qui seraient entiers, parce qu'alors il y aurait autre chose que du vin. Il est aussi défendu d'offrir dans le calice le jus du raisin immédiatement après qu'il a été exprimé ; parce qu'il y a là quelque chose d'inconvenant, à cause que le jus ne peut être pur. Cependant on peut le faire dans le cas de nécessité. Car le pape Jules dit (loc. cit.) : Si cela est nécessaire, qu'on exprime la grappe dans le calice.




III Pars (Drioux 1852) 1466