III Pars (Drioux 1852) 1043

ARTICLE iii. — le christ a-t-il été tout entier dans l'enfer ?

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1 Il semble que le Christ n'ait pas existé tout entier dans l'enfer. Car le corps du Christ est une de ses parties. Or, le corps du Christ n'a pas été dans l'enfer. Le Christ n'y a donc pas été tout entier.

2
On ne peut pas donner le nom de tout à une chose dont les parties sont séparées les unes des autres. Or, le corps et l'âme qui sont les parties de la nature humaine ont été séparées l'une de .l'autre après sa mort, comme nous l'avons dit (quest. l, art. 4). Comme il est descendu aux enfers après sa mort, il n'a donc pas pu y être tout entier.

3
On dit qu'un tout existe dans un lieu, quand il n'y a aucune de ses parties qui soit en dehors. Or, il y avait quelque chose du Christ qui était hors de l'enfer, parce que son corps était dans le tombeau et la divinité partout. Le Christ n'a donc pas été tout entier dans l'enfer.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (De symbol. lib. iii, cap. 7) : Le Fils est tout entier dans le Père, il est tout entier au ciel, tout entier sur la terre, tout entier dans le sein de la Vierge, tout entier sur la croix, tout entier dans l'enfer, tout entier dans le paradis où il a introduit le bon larron.


CONCLUSION. — Puisque la chair ou l'âme n'a jamais été séparée de la personne du Fils de Dieu, le Christ a été tout entier dans le tombeau, dans l'enfer et partout.

21
Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (part. I, quest. xxxi, art. 2 ad 4), le genre masculin se rapporte à l'hypostase ou à la personne; tandis que le neutre appartient à la nature. Or, dans la mort du Christ, quoique l'âme ait été séparée du corps, cependant ni l'âme ni le corps n'ont été séparés de la personne du Fils de Dieu, comme nous l'avons dit (quest. l, art. 2). C'est pourquoi pendant les trois jours qu'a duré sa mort, on doit dire que le Christ a été tout entier dans le tombeau, parce que la personne, tout entière y a été par le corps qui lui était uni; de même il a été tout entier dans l'enfer, parce que la personne du Christ y a été tout entière en raison de l'âme qui lui était unie ; et le Christ était aussi tout entier partout en raison de sa nature divine.

31
Il faut répondre au premier argument, que le corps qui était alors dans le tombeau n'est pas une partie de la personne incarnée, mais de la nature qu'elle a prise. C'est pourquoi de ce que le corps du Christ n'a pas été dans l'enfer, il ne s'ensuit pas que le Christ n'y ait pas été tout entier ; mais cela prouve seulement que tout ce qui appartient à la nature humaine n'y a pas été tout entier.

(I) Toutes ces expressions n'ont qu'un sens relatif et métaphorique. On distingue ainsi dans l'enfer trois régions : la plus basse est l'enfer des damnés, la moyenne le purgatoire, et la plus élevée les limbes.

32
Il faut répondre au second, que l'âme et le corps unis constituent la totalité de la nature humaine, mais non celle de la personne divine. C'est pourquoi l'union de lame et du corps ayant été détruite par la mort, le Christ

est resté tout entier, mais la nature humaine n'est pas restée dans sa totalité..

33
Il faut répondre au troisième, que la personne du Christ est tout entière dans tous les lieux, mais non totalement, parce qu'elle n'est circonscrite par aucun lieu : tous les lieux pris simultanément ne peuvent comprendre son immensité, mais le Christ les comprend tous par elle. Quand on dit : Si un tout est quelque part, il n'y a aucune de ses parties qui soit en dehors, ce principe n'est applicable qu'aux choses qui sont corporellement dans un lieu et qui y sont circonscrites, mais il n'est pas applicable à Dieu. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De symbolo, lib. iii, cap. 7) : Ce n'est pas en divers temps et en divers lieux que nous disons que le Christ est tout entier partout, de manière qu'il soit maintenant tout entier dans un endroit et tout entier ailleurs dans un autre temps, mais nous disons qu'il est toujours et partout tout entier.



ARTICLE iv. — le christ est-il resté quelque temps dans l'enfer?

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1 Il semble que le Christ ne soit point du tout resté dans l'enfer. Car le Christ est descendu dans l'enfer pour en délivrer les hommes. Or, cela s'est fait immédiatement aussitôt qu'il y est descendu. Car il est aisé à Dieu d'enrichir tout d'un coup celui qid est pauvre, comme le dit l'Ecriture (
Si 11,23). Il semble donc qu'il ne soit point resté de temps dans l'enfer.

2 Saint Augustin dit (Serm. de Resurrect.) qu'immédiatement d'après les ordres du Seigneur et du Sauveur toutes les portes de fer ont été détruites. C'est pourquoi on fait dire aux anges qui accompagnaient le Christ : Princes, enlevez vos portes (Ps 23,7). Or, le Christ est descendu aux enfers pour en rompre toutes les barrières. Il n'y est donc pas resté.

3 L'Evangile rapporte (Lc 23) que le Seigneur sur la croix a dit au larron : Aujourd'hui vous serez avec moi dans le paradis. D'où il est évident que le Christ a été dans le paradis le même jour. Or, il n'y était pas avec son corps qui fut mis dans le sépulcre. Il y était donc avec son âme qui était descendue dans l'enfer, et par conséquent il semble qu'elle n'y soit pas restée.

20 Mais c'est 1 q contraire. Saint Pierre dit (Ac 1,24) : Dieu a ressuscité le Christ, en le faisant sortir libre des enfers, comme en effet il n'était pas possible qu'il y fût retenu. Il semble donc qu'il soit resté dans l'enfer jusqu'à > l'heure de la résurrection.



CONCLUSION, — On doit croire que l'âme du Christ a été dans l'enfer aussi longtemps que son corps a été dans le tombeau.

21 Il faut répondre que comme le Christ a voulu que son corps fût mis dans le tombeau pour prendre sur lui nos peines ; de même il a voulu que son âme descendît dans l'enfer. Or, son corps est resté dans le tombeau pendant un jour entier et deux nuits, pour prouver la vérité de sa mort. Par conséquent on doit croire que son âme a été dans l'enfer autant de temps, de manière qu'elle est sortie de l'enfer lorsque son corps est sorti du tombeau.

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ en descendant dans l'enfer a délivré immédiatement les saints qui s'y trouvaient, sans les en faire sortir aussitôt, mais en les éclairant dans ce séjour de la lumière de la gloire. Néanmoins il a été convenable que son âme restât dans l'enfer aussi longtemps que son corps est resté dans le tombeau.

32
Il faut répondre au second, qu'on appelle portes de l'enfer les obstacles qui empêchaient les saints patriarches d'en sortir par suite de la faute de nos premiers parents. En descendant aux enfers, le Christ a brisé immédiatement ces obstacles par la vertu de sa passion et de sa mort. Malgré cela il a voulu rester quelque temps dans l'enfer, pour les raisons que nous avons données (in corp. art.).

33
Il faut répondre au troisième, que cette parole du Seigneur doit s'entendre non du paradis corporel et terrestre, mais du paradis spirituel, où se trouvent tous ceux qui jouissent de la gloire divine. Par conséquent le larron est descendu dans l'enfer avec le Christ de manière à s'y trouver avec lui, d'après ce qui lui avait été dit : Fous serez avec moi dans le paradis. Mais il a été récompensé dans le paradis, parce que là il a joui de la divinité du Christ, comme les autres saints.



ARTICLE v. — le christ en descendant dans les enfers en a-t-il délivré les justes?

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1 Il semble que le Christ en descendant dans les enfers n'en ait pas délivré les justes. Car saint Augustin dit (Ep. clxiv) : Je n'ai pas encore trouvé quel fruit ont retiré de sa descente aux enfers les justes qui étaient dans le sein d'Abraham ; car je ne vois pas qu'il se soit jamais retiré d'eux quant à la présence béatifique de sa divinité. Or, il leur aurait été très-utile, s'il les eût délivrés de l'enfer. Il ne semble donc pas qu'il les en ait délivrés.

2
Personne n'est retenu dans l'enfer qu'à cause du péché. Or, les saints patriarches, pendant qu'ils vivaient encore, avaient été justifiés de leur péché. Ils n'avaient donc pas besoin d'être délivrés de l'enfer, quand le Christ y est descendu.

3
En éloignant la cause, on éloigne l'effet. Or, la cause pour laquelle on descend dans les enfers, c'est le péché qui a été écarté par la passion du Christ, comme nous l'avons dit (quest. l, art. 6). Les saints patriarches n'ont donc pas été délivrés de l'enfer, parce que le Christ y est descendu.

20
Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Serm. de Resurrect.) : que le Christ, quand il est descendu dans les enfers, en a brisé les portes et les verroux de fer, et qu'il a délivré tous les justes que le péché originel y tenait renfermés.



CONCLUSION. — Puisque le Christ par sa passion a délivré le genre humain de toute la peine due au péché originel aussi bien qu'au péché actuel, on doit croire qu'en descendant aux enfers il en a délivré tous les anciens justes.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 2), le Christ en descendant aux enfers a opéré en vertu de sa passion. Car par sa passion il a délivré le genre humain non-seulement du péché, mais encore de la peine due au péché, comme nous l'avons dit (quest. xlix, art. 3, et quest. L, art. 6). Or, les hommes étaient enchaînés par la peine due à leurs péchés de deux manières : d'abord pour le péché actuel que chacun avait commis personnellement; ensuite pour le péché de toute la nature humaine, qui est passé originellement du premier homme dans tous les autres, comme on le voit (Rm 5). La peine de ce péché est la mort corporelle et l'exclusion de la vie de la gloire, d'après ce qu'on lit (Gn 2 et3). Car Dieu a chassé l'homme du paradis après son péché, et auparavant il l'avait menacé de la mort pour le cas où il pécherait. C'est pourquoi le Christ, en descendant aux enfers, a délivré les saints par la vertu de sa passion de cette dette qui les excluait de la vie de la gloire, afin qu'ils pussent voir Dieu dans son essence ; ce qui constitue la béatitude parfaite de l'homme, comme nous l'avons dit (1* 2*, quest. iii, art. 8). Et comme les justes étaient retenus dans l'enfer, parce que le péché de notre premier père leur fermait l'entrée de la vie de la gloire, il s'ensuit que le Christ en descendant aux enfers les en a délivrés. C'est ce qui fait dire au prophète (Za 9,41) : Par le sang de votre alliance vous avez tiré les captifs d'un lac où il n'y avait pas d'eau. Et saint Paul ajoute (Col 2,15) : qu'il a dépouillé les principautés et les puissances, c'est-à-dire les puissances infernales, en leur enlevant Abraham, Isaac et Jacob et les autres justes ; il les a traduits, c'est-à-dire, d'après la glose (ord.), qu'il les a conduits au ciel loin de ce royaume de ténèbres.

31 Il faut répondre au premier argument, que saint Augustin parle en cet endroit contre ceux qui pensaient que les anciens justes, avant l'arrivée du Christ, avaient été soumis dans l'enfer à la peine du sens. C'est pourquoi avant le passage cité il ajoute : Il y en a qui prétendent que ce bienfait a été accordé aux justes, parce que quand le Seigneur est venu dans l'enfer, il les a délivrés de leurs douleurs. Mais comment Abraham, dans le sein duquel Lazare a été reçu, a-t-il pu souffrir ces douleurs; je ne le vois pas. C'est pour ce motif qu'il dit plus loin : qu'il ne voit pas encore le profit que les anciens justes ont dû retirer de la descente du Christ dans l'enfer ; ce qui doit s'entendre par rapport à la délivrance de leurs douleurs sensibles. Mais elle leur a servi pour les faire arriver à la gloire, et par conséquent elle les a affranchis des douleurs que leur faisait souffrir l'attente de la vision divine, dont l'espérance leur causait néanmoins une grande joie, d'après ces paroles du Seigneur (Jn 8,56) : Abraham votre père a tressailli dans l'espérance de voir mon jour. C'est pourquoi saint Augustin ajoute : Je ne vois pas que le Christ ne se soit jamais éloigné d'eux selon la présence béatifique de sa divinité, en ce sens qu'avant l'arrivée du Christ ils étaient bienheureux en espérance, quoiqu'ils ne le fussent pas encore parfaitement en réalité.

32 II faut répondre au second, que les justes, pendant qu'ils vivaient encore, ont été délivrés par la foi du Christ de tout péché originel et actuel, et de la peine due aux péchés actuels, mais non de la peine due au péché originel qui les excluait de la gloire, alors que le prix de la rédemption humaine n'était pas encore acquitté. C'est ainsi que maintenant encore les fidèles du Christ sont délivrés par Je baptême de la peine due aux péchés actuels et de la peine due au péché originel quant à l'exclusion de la gloire. Néanmoins ils restent encore sous l'obligation de mourir corporellement, qui est une peine due à ce dernier péché, parce qu'ils sont régénérés selon l'esprit, tandis qu'ils ne le sont pas encore selon la chair, d'après ces paroles (Rm 8,10) : Le corps meurt à cause du péché, mais l'esprit vit à cause de la justification.

33 Il faut répondre au troisième, qu'aussitôt que le Christ est mort, son âme est descendue dans l'enfer, et il a appliqué le fruit de sa passion aux saints qui y sont détenus; quoiqu'ils ne soient pas sortis de ce lieu, tant que le Christ y est resté; parce que la présence même du Christ est le comble de la gloire des saints.



ARTICLE vi. — le christ a-t-il délivré de l'enfer des damnés (1)?

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1 Il semble que le Christ ait délivré de l'enfer des damnés. Car le prophète dit (
Is 24,22) : Ils seront rassemblés comme des prisonniers dans un cachot profond ; ils seront renfermés dans une prison et visités après plusieurs jours. Or, il s'agit là des damnés qui ont adoré la milice du ciel, comme l'interprète saint Jérôme. Il semble donc que les damnés aient été visités par le Christ, lorsqu'il est descendu aux enfers ; ce qui semble appartenir à leur délivrance.

(1) Saint Augustin cite des hérétiques qui ont prétendu que le Christ, en descendant dans les enfers, en avait fait sortir toutes les âmes qui s'y trouvaient renfermées. Cette opinion est tout à fait contraire à la foi.

2 Sur ces paroles du prophète (Za 9,11) : Par le sang de votre al- liane e vous avez tiré les captifs du lac où il n'y avait pas d'eau, la glose dit (interi. Hier. ) : Vous avez délivré ceux qui étaient tenus enchaînés clans cette prison, où ils ne recevaient aucun soulagement de cette miséricorde que le mauvais riche invoquait. Or, il n'y a que les damnés qui soient enfermés dans une prison sans miséricorde. Il y a donc des damnés que le Christ a délivrés de l'enfer.

3 La puissance du Christ n'a pas été moindre dans l'enfer qu'en ce monde; car il a opéré dans l'un et l'autre cas par la puissance de sa divinité. Or, il y en a en ce monde qu'il a délivré de cet état. Il y en a donc aussi qu'il a délivrés dans l'enfer de l'état des damnés.

20
Mais c'est le contraire. Le prophète fait dire au Christ () : Je serai votre mort, ó mort; je serai votre ruine, enfer. D'après la glose : il l'a fait en tirant de là les élus et en y laissant les réprouvés. Or, il n'y a que les réprouvés qui soient dans l'enfer des damnés. Par conséquent, il n'y a personne qui ait été délivré de là par la descente du Christ aux enfers.



CONCLUSION. — Puisque les damnés n'ont point eu dans le Christ la foi formée par la charité, on doit croire qu'ils n'ont été délivrés d'aucune manière de l'enfer par la descente que le Christ y a opérée.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le Christ, en descendant dans les enfers, y a opéré en vertu de sa passion. C'est pourquoi sa descente aux enfers n'a été profitable qu'à ceux qui ont été unis à sa passion par la foi jointe à la charité, laquelle efface les péchés. Or, ceux qui étaient dans l'enfer des damnés n'avaient point eu du tout la foi dans la passion du Christ, comme les infidèles; ou bien s'ils avaient eu la foi, ils ne s'étaient point conformés à la charité du Christ souffrant : par conséquent ils n'avaient pas été purifiés de leurs fautes. C'est pour cela que la descente du Christ aux enfers ne leur a pas valu la délivrance des peines de l'enfer qu'ils avaient méritées.

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Il faut répondre au premier argument, que, quand le Christ est descendu aux enfers, tous ceux qui étaient dans une partie quelconque de l'enfer ont été visités de quelque manière; mais les uns l'ont été pour leur consolation et leur affranchissement, les autres pour leur honte et leur confusion, comme les damnés. Aussi le prophète ajoute : Et la lune rougira et le soleil sera confondu, etc. — On peut aussi rapporter ces paroles à la visite qu'il leur fera au jour du jugement, non pour les délivrer, mais pour les condamner davantage, d'après ces paroles de Sophonie (1, 12): Je visiterai dans ma colère ces hommes qui se reposent sur leur lie.

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Il faut répondre au second, que quand la glose dit : qu'aucune miséricorde ne les soulageait; ces paroles doivent s'entendre du soulagement qui a pour effet la délivrance parfaite; parce que les justes ne pouvaient pas être délivrés de cette prison avant l'arrivée du Christ.

33
Il faut répondre au troisième, que ce n'est pas par impuissance si le Christ n'a pas délivré quelqu'un de tous les états dans l'enfer, comme il a délivré quelqu'un de tous les états ici-bas, mais cela tient à la diversité de leur condition. Car les hommes, tant qu'ils vivent, peuvent se convertir à la foi et à la charité; parce que ici-bas ils ne sont pas confirmés dans le bien ou dans le mal, comme après qu'ils sont sortis de ce monde (1).



ARTICLE vii. — les enfants qui étaient morts avec le péché originel ont-ils été délivrés par le christ?

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1 Il semble que les enfants qui étaient morts avec le péché originel furent délivrés par la descente du Christ dans l'enfer; car ils n'y étaient retenus que par le péché originel, comme les justes. Or, les justes ont été délivrés de l'enfer par le Christ, comme nous l'avons dit (art. 5 huj.quaest.). De même les enfants en ont donc été aussi délivrés par lui.

(1) It n'y a plus pour l'homme ni mérite, ni démérite, une fois qu'il est arrivé au terme.

2
L'Apôtre dit (Rm 5,15) : Si par le péché d'un seul plusieurs sont morts, à plus forte raison le don tout gratuit de Dieu s'est-il répandu abondamment sur plusieurs par la grâce d'un seul homme, qui est Jésus-Christ. Or, les enfants qui sont morts uniquement avec le péché originel sont retenus dans l'enfer à cause du péché du premier homme. A plus forte raison en ont-ils été délivrés par la grâce du Christ.

3 Comme le baptême opère en vertu de la passion du Christ, de même sa descente aux enfers, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc.). Or, les enfants sont délivrés par le baptême du péché originel et de l'enfer. Ils ont donc été délivrés de même par la descente du Christ aux enfers.

20
Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Rm 3,25) : Que Dieu a destiné le Christ pour être la victime de propitiation, par la foi qu'on aurait dans son sang. Or, les enfants qui étaient morts avec le seul péché originel n'avaient d'aucune  manière  participé à la foi du Christ. Ils n'ont donc pas profité de sa propitiation pour être délivrés par lui de l'enfer.


CONCLUSION. —Le Christ en descendant aux enfers n'en a pas délivré les enfants qui étaient morts avec le péché originel, puisqu'ils n'ont pas eu dans le Christ la foi jointe à l'amour.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la descente du Christ aux enfers n'a produit l'affranchissement que de ceux qui sont unis à la passion du Christ par la foi et la charité, et c'est en vertu de sa passion que sa descente aux enfers a été une cause de délivrance. Or, les enfants qui étaient morts avec le péché originel n'avaient été unis d'aucune manière à la passion du Christ par la foi et l'amour. En effet, ils n'avaient pu avoir une foi qui leur fût propre, parce qu'ils n'avaient pas eu l'usage du libre arbitre, et ils n'avaient pas été non plus purifiés du péché originel par la foi de leurs parents ou par le sacrement delà foi (1). C'est pourquoi la descente du Christ aux enfers ne les a pis délivrés de ce triste séjour. De plus, les justes en ont été délivrés par là même qu'ils ont été admis à la gloire de la vision divine, à laquelle on ne peut parvenir que par la grâce, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 6,23) : La grâce de Dieu est la vie éternelle. Les enfants qui étaient morts avec le péché originel n'ayant pas eu la grâce, ils n'ont donc pas été délivrés de l'enfer.

31 Il faut répondre au premier argument, que les justes, quoiqu'ils aient encore été retenus par la peine due au péché originel, selon qu'il se rapporte à la nature humaine, avaient été néanmoins délivrés par la foi du Christ de toute la tache de ce péché. C'est pourquoi ils étaient aptes à recevoir la délivrance que le Christ leur a apportée en descendant aux enfers. Mais on ne peut dire la même chose des enfants, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (in corp. art.).

32
Il faut répondre au second, que quand l'Apôtre dit que la grâce de Dieu a une plus grande abondance (abundavit in plures), le mot plures ne doit pas se prendre par comparaison, comme s'il y avait eu plus d'hommes sauvés par la grâce du Christ qu'il y en a de damnés par le péché d'Adam. Mais on l'entend dans un sens absolu, comme si l'on disait que la grâce du Christ seul a été abondante pour un grand nombre, comme le péché d’Adam est aussi parvenu à une multitude d'individus. Or, comme le péché d'Adam n'est parvenu qu'à ceux qui sont descendus de lui charnellement par la génération, de même la grâce du Christ n'est parvenue qu'à ceux qui sont devenus ses membres par la régénération spirituelle : ce qui n'appartient pas aux enfants morts avec le péché originel.

(1) On appelle ainsi le baptême.

33
Il faut répondre au troisième, que le baptême est conféré aux hommes dans cette vie où l'homme peut passer du péché à la grâce; mais la descente du Christ aux enfers a dû agir sur les âmes après cette vie, lorsqu'elles ne sont plus capables de cette transformation. C'est pourquoi les enfants sont délivrés par le baptême du péché originel et de l'enfer, tandis qu'ils ne l'ont pas été par la descente du Christ aux enfers (1).



ARTICLE VIII — par sa descente aux enfers le christ a-t-il délivré les âmes du purgatoire?

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1 Il semble que par sa descente aux enfers le Christ ait délivré les âmes du purgatoire. Car saint Augustin dit (Ep. clxiv) : Comme il y a des témoignages évidents qui parlent de l'enfer et de ses douleurs, on ne voit pas pourquoi le Sauveur y serait descendu, si ce n'était pour en retirer quelques- uns de ces douleurs et de ces liens. Mais en a-t-il fait sortir tous ceux qu'il y a trouvés, ou seulement quelques-uns qu'il a jugés dignes de ce bienfait, c'est ce que je me demande encore. Cependant je ne doute point qu'il ne soit allé aux enfers et qu'il n'ait accordé ce bienfait à quelques âmes qui y souffraient. Or, il n'a pas accordé le bienfait de l'affranchissement aux damnés, comme nous l'avons dit (art. 6 huj. quaest.). Et puisqu'après eux il n'y avait que les âmes du purgatoire qui souffrissent des douleurs sensibles, il s'ensuit que le Christ a délivré ces âmes.

2
La présence même du Christ n'a pas produit un effet moindre que ses sacrements. Or, les âmes sont délivrées du purgatoire par ses sacrements, et surtout par le sacrement de l'Eucharistie, comme on le verra (Suppl. quest. lxxi, art. 9). A plus forte raison ont-elles été délivrées du purgatoire par la présence du Christ descendant aux enfers.

3
Tous ceux que le Christ a guéris en celte Ape, il les a guéris complètement, comme le dit saint Augustin (alius auct. de vera et fais, poenitentiâ, cap. 9), et le Seigneur dit lui-même (Jn 7,23) : J'ai guéri un homme dans tout son corps le jour du sabbat. Or, le Christ a délivré ceux qui étaient dans le purgatoire de la peine du dam qui les excluait de la gloire. Il les a donc aussi délivrés de la peine du purgatoire qu'ils avaient méritée.

20 Mais c'est le contraire. Saint Grégoire dit (Mor. lib. xiii, cap. 15) : Notre créateur et notre rédempteur, qui a pénétré dans l'enfer et qui en a tiré les âmes des élus, ne nous permet plus d'aller dans le lieu d'où il a délivré les autres en y descendant. Or, il nous laisse aller dans le purgatoire. Il n'est donc pas descendu dans l'enfer pour délivrer les âmes du purgatoire.


CONCLUSION. — Les âmes qui étaient alors au purgatoire, telles que sont celles qui y sont maintenant, n'ont pas été délivrées par la descente du Christ, mais il a délivré celles qui étaient alors telles que sont celles qui en sortent maintenant.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit souvent (art. préc. et 4 huj. quaest. ad 2, et art. 5 et 6), la descente du Christ aux enfers n'a été une cause d'affranchissement qu'en vertu de sa passion. Or, sa passion n'a pas une vertu temporelle et transitoire, mais une vertu éternelle, d'après ces paroles de saint Paul (He 10,14) : Par une seide oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés. Par conséquent il est évident que la passion du Christ n'a pas eu alors une efficacité plus grande qu'elle n'en a maintenant. C'est pourquoi ceux qui ont été tels que sont ceux qui sont aujourd'hui retenus dans le purgatoire, n'en ont point été délivrés par la descente du Christ aux enfers. Mais s'il s'en est rencontré qui aient été tels que sont maintenant ceux qui sont délivrés du purgatoire par la vertu de la passion du Christ, rien n'empêche qu'ils n'en aient été délivrés par la descente du Christ aux enfers.

(U) C'est encore l'application générale du principe théologique qui établit que le mérite et le démérite ne sont possibles que tant qu'on est in viâ, mais qu'ils ne le sont plus in termino.

31 Il faut répondre au premier argument, que de ce passage de saint Augustin On ne peut pas conclure que tous ceux qui étaient dans le purgatoire en aient été délivrés, mais seulement que ce bienfait a été accordé à quelques-uns, c'est-à-dire à ceux qui avaient été suffisamment purifiés, ou bien à ceux qui pendant leur vie avaient mérité, par leur foi et leur dévotion dans le Christ, d'être délivrés de la peine temporelle du purgatoire lorsqu'il descendrait vers eux (4).

32
Il faut répondre au second, que la vertu du Christ opère dans les sacrements par manière de sanctification et d'expiation. Par conséquent le sacrement de l'Eucharistie délivre l'homme du purgatoire, selon qu'il est un sacrifice satisfactoire pour le péché. Or, la descente du Christ aux enfers n'a pas été satisfactoire, mais elle opérait en vertu de la passion qui l'a été, comme nous l'avons vu ( quest. xlix, art. 1, 2 et 3). Toutefois la passion était satisfactoire en général, et il fallait que sa vertu fût appliquée à chaque individu par quelque chose qui lui appartînt spécialement. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire que par la descente du Christ aux enfers toutes les âmes aient été délivrées du purgatoire.

33
Il faut répondre au troisième, que les défauts dont le Christ délivrait les hommes en ce monde étaient personnels, appartenant en propre à chaque individu; au lieu que l'exclusion de la gloire de Dieu était un défaut général qui appartient à toute la nature humaine. C'est pourquoi rien n'empêche que ceux qui étaient dans le purgatoire n'aient été délivrés par le Christ de l'exclusion de la gloire, sans l'être de la peine sensible qu'ils devaient endurer et qui appartient à leur défaut propre; tandis qu'au contraire avant l'avènement du Christ les justes ont été délivrés de leurs propres défauts, mais ils ne l'ont pas été du défaut commun à toute l'espèce humaine, comme nous l'avons dit (quest. xlix, art. 5 ad 1).






QUESTION 53. DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST.

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Nous avons maintenant à considérer ce qui appartient à l'exaltation du Christ. — Nous traiterons : 1° de sa résurrection; 2° de son ascension ; 3° de sa position à la droite de son Père ; 4° de sa puissance judiciaire. — Sur sa résurrection il y a quatre considérations à faire : la première a pour objet la résurrection même du Christ ; la seconde la qualité de celui qui ressuscite ; la troisième la manifestation de sa résurrection, et fa quatrième sa causalité. — A l’égard de ta première de ces considérations ii y a quatre questions qui se présentent. — Nous devons nous occuper : 1° de la nécessité; — 2° du temps; — 3° de l'ordre ; — 4° de ta cause de la résurrection du Christ.


ARTICLE I. — a-t-il été nécessaire que le christ ressuscitât?

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1 Il semble qu'il n'était pas nécessaire que le Christ ressuscitât. Car saint Jean Damascène (Orth. fid. lib. iv, cap. ult.) dit que la résurrection consiste en ce que l'animal qui était dissous et tombé se relève. Or, le Christ n'est pas tombé par le péché et son corps n'a pas été dissous, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. li, art. 3). Il ne lui a donc pas convenu proprement de ressusciter.

bergers et les mages tout prêts à recevoir les consolations de sa naissance".

(2) Cet article est une réfutation de Cérintbe,

2
Celui qui ressuscite est élevé à un plus haut degré ; parce que se lever c'est se mouvoir de bas en haut. Or, le corps du Christ est resté, après sa mort, uni à la divinité ; et par conséquent il n'a pas pu se porter vers quelque chose de plus élevé. Il ne lui convenait donc pas de ressusciter.

3
Les choses qui ont été faites à l'égard de l'humanité du Christ ont pour but notre salut. Or, la passion du Christ qui nous a délivrés de la peine et de la faute, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. xlix, art. 1 et 3), suffisait à notre salut. Il n'a donc pas été nécessaire que le Christ ressuscitât d'entre les morts.

20
Mais c'est le contraire. Il est dit (Lc 24 Lc 26) : Il fallait que le Christ souffrit et qu'il ressuscitât d'entre les morts.



CONCLUSION. — Il a été nécessaire que le Christ souffrit d'entre les morts, non- seulement pour nous faire connaître la justice divine, pour confirmer notre foi et exciter notre espérance, mais encore pour le renouvellement de notre vie et la consommation de notre salut.             

21 Il faut répondre qu'il a été nécessaire que le Christ ressuscitât pour cinq raisons : 1° pour manifester la justice divine à laquelle il appartient d'exalter ceux qui s'humilient à cause de Dieu, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 1,52) : Il a renversé les puissants de leur trône et a exalté les humbles. Par conséquent le Christ s'étant humilié jusqu'à la mort de la croix par amour et par obéissance pour Dieu, il fallait que Dieu l'exaltât jusqu'à la gloire de la résurrection. C'est pourquoi le Psalmiste lui fait dire (Ps 138,1): vous avez connu, c'est-à-dire vous avez approuvé,mon abaissement, c'est- à-dire mon humiliation et ma passion : et ma résurrection ou ma glorification dans la résurrection, selon l'interprétation de la glose (interi.). 2° Pour établir notre foi, parce que par la résurrection du Christ notre foi dans sa divinité a été confirmée. Car, comme le dit saint Paul (2Co 13 2Co 4) : Quoiqu'il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la vertu de Dieu. C'est pourquoi le même apôtre disait (1Co 15,14) : Si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vaine et votre foi est vaine aussi. Et le Psalmiste fait dire au Christ (Ps 29,10) : De quelle utilité sera mon sang, c'est-à-dire le sang que j'ai répandu, si je descends, pour ainsi dire par degrés, dans la corruption? C'est comme s'il disait, il ne servira de rien; car si je ne ressuscite pas immédiatement, et que mon corps se corrompe, je ne prêcherai à personne, et je ne gagnerai aucune âme. 3° Pour exciter notre espérance ; parce qu'en voyant ressusciter le Christ qui est notre chef nous espérons que nous ressusciterons. D'où saint Paul dit (1Co 15,12) : Si l'on prêche que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui disent qu'il n'y a point de résurrection pour les morts 1 Et Job dit (Jb 19,25) : Je sais, c'est-à-dire j'ai la certitude de la foi, que mon Rédempteur, c'est-à-dire le Christ, vit, étant ressuscité d'entre les morts. C'est pour cela que je dois moi-même ressusciter au dernier jour; c'est l'espérance que je conserve au fond de mon coeur. 4° Pour la réformation de la vie des fidèles, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 6,4) : Comme Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts pour la gloire de son Père, ainsi nous devons marcher dans une vie nouvelle. Et plus loin : Parce que le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus : de même pensez aussi que vous êtes morts au péché et que vous ne vivez que pour Dieu. 5° Pour la consommation de notre salut : parce que, comme il s'est humilié par sa mort et qu'il a enduré tant de maux pour nous en délivrer; de même il a été glorifié dans sa résurrection pour nous porter au bien, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 4,25) : Il a été livré à cause de nos péchés et il est ressuscité pour notre justification (1).

Il est probable qu'il a trouvé des âmes qui étaient en cet état, comme il a trouvé à sa naissance Siméon et Anne qui étaient parfaits, les qui disait quo le Christ n'était pas ressuscité, mais qu'il ressusciterait ; des albigeois, qui ont nié sa résurrection d'une manière absolue, et de tous les incrédules.

31 Il faut répondre au premier argument, que quoique le Christ ne soit pas tombé par le péché, cependant il est tombé par la mort, parce que, comme le péché est une déchéance delà justice, de même la mort est une déchéance de la vie. Ainsi on peut mettre dans la bouche du Christ ces paroles (Mi 7,8) : O mon ennemie, ne vous réjouissez point de ce que je suis tombé, je me relèverai. De même, quoique le corps du Christ ne soit pas tombé en dissolution, cependant par là même que l'âme s'est séparée du corps, il y a eu une sorte de dissolution.

32 Il faut répondre au second, qu'après la mort la divinité était unie à la chair du Christ d'une union personnelle, mais non d'une union de nature, comme l'âme est unie au corps à titre de forme pour constituer la nature humaine. C'est pourquoi par là même que son corps a été uni à son âme, il a été promu à un état de nature plus élevé, mais non à un état de personne.

33
Il faut répondre au troisième, que la passion du Christ a opéré notre salut, à proprement parler, quant à l'éloignement des maux; au lieu que sa résurrection l'a opéré quant au commencement des biens éternels et à leur modèle.




III Pars (Drioux 1852) 1043