III Pars (Drioux 1852) 1062

ARTICLE ii. — a-t-il été convenable que le christ ressuscitât le troisième jour?

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1 Il semble qu'il n'ait pas été convenable que le Christ ressuscitât le troisième jour. Car les membres doivent être en harmonie avec la tête. Or, nous qui sommes les membres du Christ, nous ne ressuscitons pas de la mort le troisième jour; mais notre résurrection est différée jusqu'à la fin du monde. II semble donc que le Christ, qui est notre chef, n'ait pas dû ressusciter le troisième jour, mais que sa résurrection ait dû être différée jusqu'à la fin du monde

2
Saint Pierre dit (Ac 2,21) qu'il était impossible que le Christ fût détenu par l'enfer et la mort. Or, tant qu'on est mort, on est détenu par la mort. Il semble donc que la résurrection du Christ n'ait pas dû être différée jusqu'au troisième jour, mais qu'il ait dû ressusciter immédiatement le même jour, surtout puisque la glose dit (cit. art. préc.) que le sang répandu par le Christ serait sans utilité, s'il ne ressuscitait immédiatement.

3 Le jour parait commencer au lever du soleil dont la présence produit la lumière. Or, le Christ est ressuscité avant le lever du soleil, puisqu'il est dit (Jn 20,1) que le premier jour de la semaine Marie Magdeleine alla dès le matin au sépulcre, lorsqu'il faisait encore nuit. Cependant le Christ était déjà ressuscité, puisque l'évangéliste ajoute : Elle vit que la pierre avait été enlevée de Ventrée du sépulcre. Le Christ n'est donc pas ressuscité le troisième jour.

20 Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Mt 20,19) : Ils le livreront aux Dissertations de M. de la Luzerne ; Frayssinous, Défense du Christianisme; Du voisin, Démonstration évangélique.

gentils, afin qu'ils le traitent avec moquerie, qu'ils le fouettent et le crucifient et il ressuscitera le troisième jour (1).

(!) Il est à remarquer que les preuves que saint Thomas donne ici étant toutes tirées de l'Ecriture, s'adressent plutôt aux hérétiques qui admettent l'inspiration des livres saints, qu'aux incrédules qui ne l'admettent pas. Voyez à ce sujet les


CONCLUSION. — Puisque la résurrection du Christ a été nécessaire pour confirmer notre foi aussi bien au sujet de sa divinité que de son humanité, il a été convenable qu'il ressuscitât d'entre les morts le troisième jour.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), la résurrection du Christ a été nécessaire pour l'instruction de notre foi. En effet notre foi a pour objet la divinité et l'humanité du Christ; car il ne suffit pas de croire l'une sans l'autre, comme 0 1I le voit d'après ce que nous avons dit (2* 2ae, quest. ii, art. 7 et 8). C'est pourquoi pour confirmer la foi dans la vérité de sa divinité, il a fallu qu'il ressuscitât promptement et que sa résurrection ne fût pas différée jusqu'à la fin du monde. D'un autre côté, pour établir la foi dans la vérité de son humanité et de sa mort, il a été nécessaire qu'il y eût un intervalle entre sa mort et sa résurrection. Car s'il eût ressuscité immédiatement après sa mort, on pourrait croire que sa mort n'a pas été véritable et que par conséquent sa résurrection ne l'a pas été non plus. Or, pour manifester la vérité de la mort du Christ, il suffisait que sa résurrection fût différée jusqu'au troisième jour : parce qu'il n'arrive pas qu'un homme qui parait mort tandis qu'il est vivant, ne donne pendant ce temps quelques signes de vie. En ressuscitant le troisième jour, il nous a aussi montré par là la perfection du nombre ternaire qui est le nombre de toutes choses, selon qu'il renferme le principe, le milieu et la fin, comme on le voit (De caelo, lib. i, text. 2). Il y a là aussi un autre mystère qui consiste en ce que le Christ par une seule mort corporelle (qui a été pour nous une lumière à cause de sa justice) a détruit nos deux morts; c'est-à-dire celle du corps et celle de l'âme qui sont ténèbres à cause du péché. C'est pour cela qu'il est resté mort un jour entier et deux nuits, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. iv, cap. G). On indique aussi par là que la résurrection du Christ commençait un troisième âge ; car le premier a existé avant la loi, le second sous la loi, le troisième tous la grâce. La résurrection du Christ a aussi commencé pour les saints un troisième état : le premier a existé sous les figures de la loi, le second sous la vérité de la foi, et le troisième existera dans l'éternité de la gloire que le Christ a commencée en ressuscitant.

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Il faut répondre au premier argument, que le chef et les membres se ressemblent pour la nature, mais non pour la puissance; car la vertu de la tête est plus excellente que celle des membres. C'est pourquoi, pour démontrer l'excellence de la vertu du Christ, il a été convenable qu'il ressuscitât le troisième jour, et que la résurrection des autres fût différée jusqu'à la fin du monde.

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Il faut répondre au second, que la détention implique une certaine contrainte. Mais le Christ n'était nullement enchaîné par la nécessité de la mort, puisqu'il était libre parmi les morts. C'est pourquoi il est resté mort quelque temps, non comme y ayant été forcé, mais par sa volonté propre, et il y est resté aussi longtemps qu'il l'a jugé nécessaire pour l'instruction de notre foi. D'ailleurs on dit qu'une chose s'est faite immédiatement quand elle a lieu après un court espace de temps.

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Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. li, art. 4 ad 2), le Christ est ressuscité dès le matin, lorsque le jour commençait à poindre, pour signifier que par sa résurrection il nous donnait entrée dans la lumière de la gloire ; comme il est mort au déclin du jour, lorsqu'on s'en va vers la nuit, pour nous faire voir que par sa mort il détruisait les ténèbres du péché et de la peine qui s'en est suivie. Cependant on dit qu'il est ressuscité le troisième jour, en prenant le mot jour pour un jour naturel, qui renferme un espace de 24 heures. Et, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. iv, cap. 6), la nuit, jusqu'au matin où la résurrection du Seigneur a été annoncée, appartient au troisième jour. En effet Dieu, qui a dit à la lumière de sortir avec éclat des ténèbres, de manière à nous appliquer, au sujet de la grâce du Nouveau Testament et de la participation de la résurrection du Christ, ces paroles : vous avez été autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur, nous indique d'une certaine manière que le jour commence par la nuit. Car, comme on compte les premiers jours en allant de la lumière à la nuit, à cause de la chute future de l'homme, de même on compte ceux-ci en allant des ténèbres à la lumière, à cause de sa réparation. Ainsi il est évident que quand même il aurait ressuscité au milieu de la nuit, on pourrait dire qu'il a ressuscité le troisième jour, en l'entendant du jour naturel. Mais, puisqu'il est ressuscité dès l'aurore, on peut dire qu'il est ressuscité le troisième jour, en entendant par là le jour artificiel qui est produit par la présence du soleil, parce qu'alors le soleil commençait à briller. Ainsi saint Mare dit (Mc 16 Mc 1) que les femmes vinrent au tombeau au lever du soleil; ce qui n'est pas contraire à ces paroles de saint Jean : Quand il faisait encore nuit, parce que, comme l'observe saint Augustin (Lib. m de consens. Evang. cap. 24), au lever du jour, les ténèbres qui restent sont d'autant plus faibles que le jour est plus élevé. Quand saint Mare dit : Au lever du soleil, on ne doit pas entendre ces paroles comme si l'on avait déjà vu le soleil sur la terre, mais elles signifient qu'il était sur le point de paraître à l'horizon.

(1) Saint Jean (Jn 20) et saint Paul disent (1Co 15) : Christus resurrexit  tertii die, secundum Scripturas, et dans tous les symboles on trouve également qu'il est ressuscité le troisième jour : Tertia die resurrexit à mortuis.



ARTICLE iii. — le christ est-il le premier d'entre les hommes qui soit ressuscité?

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1 Il semble que le Christ ne soit pas le premier qui soit ressuscité. Car dans l'Ancien Testament on voit qu'Elie et Elisée ont ressuscité des morts, d'après ces paroles de saint Paul (
He 11,35) : Ils ont rendu des enfants à leurs mères, après les avoir ressuscités. De même le Christ a ressuscité trois morts avant sa passion. Il n'a donc pas été le premier de ceux qui sont ressuscités.

2 Parmi les autres miracles qui sont arrivés dans la passion du Christ, l'Evangile raconte (Mt 27,52) que les sépulcres s'ouvrirent et que plusieurs corps des saints qui étaient dans le sommeil ressuscitèrent. Le Christ n'a donc pas été le premier de ceux qui sont ressuscités.

3 Comme le Christ, par sa résurrection, est cause de la nôtre, de même par sa grâce il est cause de notre grâce, d'après ces paroles (Jn 1,6) : Nous avons tous reçu de sa plénitude. Or, il y en a qui ont eu la grâce avant l'arrivée du Christ; car tels ont été tous les justes de l'Ancien Testament. Il y en a donc qui sont arrivés à la résurrection corporelle avant que le Christ n'y arrive.

20 Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (1Co 15,20) : Le Christ est ressuscité d'entre les morts, il est devenu les prémices de ceux qui dorment du sommeil de la mort (1), parce que, comme le dit la glose (interi.), il est ressuscité le premier sous le rapport du temps et de la dignité.

(4) Et ailleurs (Colost. 1) : Ipse est caput corporis Ecdesiae, qui est principium, primogenitus ex mortuis, ut sit in omnibus ipse primatum tenens.


CONCLUSION. — Le Christ est ressuscité le premier de tous d'entre les morts d'une résurrection parfaite, puisqu'il n'est pas ressuscité, comme les autres, pour mourir encore.

21 Il faut répondre que la résurrection est une réparation qui va de la mort à la vie. Or, on délivre quelqu'un de la mort de deux manières : 1° on le délivre seulement de la mort en acte, c'est-à-dire de sorte qu'on recommence à vivre d'une certaine façon, après avoir été mort -, 2° il peut se faire qu'on soit délivré, non-seulement de la mort, mais encore de la nécessité, et, ce qui est plus considérable encore, de la possibilité de mourir. Celle-ci est la résurrection véritable et parfaite, parce que tant qu'on vit, en restant soumis à la nécessité de mourir, on est, d'une certaine manière, dominé par la mort, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 8,10) : Le corps est mort à cause du péché. Ce qui peut être, on dit qu'il existe sous un rapport, c'est-à- dire en puissance. Par conséquent, il est évident que cette résurrection, par laquelle on est seulement délivré de la mort actuelle, est une résurrection imparfaite. Si nous parlons de la résurrection parfaite, le Christ est le premier qui soit ressuscité ainsi, parce qu'en ressuscitant il est le premier qui soit parvenu à une vie absolument immortelle, d'après ces paroles de l'Apôtre (Rm 6,9):Le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus. Mais il y en a d'autres qui sont ressuscités avant le Christ d'une résurrection imparfaite, pour être à l'avance le signe ou la figure de sa résurrection.

31 La réponse au premier argument est par là même évidente, parce que ceux qui ont été ressuscités dans l'Ancien Testament, et ceux que le Christ a ressuscités, sont revenus à la vie, de manière à mourir de nouveau.

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Il faut répondre au second, qu'à l'égard de ceux qui sont ressuscités avec le Christ il y a deux sortes d'opinion. Car il y en a qui croient qu'ils sont revenus à la vie pour ne plus mourir (1), parce que s'ils avaient dû mourir de nouveau, ils auraient eu plus de tourment que s'ils n'étaient pas ressuscités. Alors on doit comprendre, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth.cap. 27 : Et multa corpora), qu'ils ne sont pas ainsi ressuscités, avant que le Seigneur ressuscitât lui-même. D'où l'évangéliste dit : que ceux qui sortirent des tombeaux vinrent après sa résurrection dans la cité sainte et apparurent à plusieurs. Mais saint Augustin rappelant cette opinion dit (Epist.ad Evod. clxiv) : Je sais qu'il y en a qui croient qu'à la mort de Jésus-Christ plusieurs justes ressuscitèrent de la même manière que nous espérons ressusciter à la lin du monde ; niais à moins qu'ils n'aient quitté de nouveau ces mêmes corps qu'ils venaient de reprendre, comment comprendre que le Christ est le premier-né d'entre les morts, puisque tant d'autres sont ressuscités avant lui. Que si l'on répond que dans cet endroit de l'Evangile il y a une narration anticipée, et qu'il faut entendre qu'à la vérité les sépulcres s'ouvrirent au tremblement de terre qui arriva lorsque Jésus-Christ était encore attaché à la croix, et que les corps de ces justes ne ressuscitèrent pas alors, mais seulement après qu'il fut ressuscité lui-même; il reste encore une difficulté. Car si cela est, comment saint Pierre a-t-il prouvé aux Juifs que ce n'était pas de David, mais du Christ qu'il a été dit, que sa chair ne verrait point la corruption, en leur rappelant que le tombeau de David se voyait encore parmi eux. Il ne les aurait pas convaincus par-là, si le corps de David n'y avait plus été. Car quand David serait ressuscité peu de jours après sa mort, et que sa chair n'eut point éprouvé la corruption, son tombeau n'en serait pas moins resté parmi les Juifs. D'ailleurs il paraît dur que

David n'ait point été du nombre de ces justes qui ont reçu une vie qui ne doit pas finir, puisque c'est de sa race que le Christ devait naître. De plus, comment se tirer d'un endroit de l'Epître aux Hébreux où saint Paul dit des justes de l'Ancien Testament : que le Seigneur a voulu qu'ils ne reçussent qu'avec nous l'accomplissement de leur bonheur, s'il est vrai que par le bienfait de la résurrection, ils jouissent dès à présent de l'incorruptibilité que nous attendons comme le perfectionnement du nôtre. Par conséquent saint Augustin paraît croire qu'ils sont ressuscités pour mourir de nouveau. Il semble aussi que ce soit la pensée de saint Jérôme, qui dit (Sup. Matth, loc. sup. cit.) que comme Lazare est ressuscité, de même beaucoup de saints sont ressuscités pour montrer que le Seigneur l'était aussi. Quoique dans un sermon sur l'assomption la chose soit laissée dans le doute, cependant les raisons de saint Augustin paraissent bien meilleures.

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Il faut répondre au troisième, que comme les choses qui ont précédé l'arrivée du Christ ont été une préparation à son avènement, de même la grâce est une disposition à la gloire. C'est pourquoi les choses qui appartiennent à la gloire, soit par rapport à l'âme (comme la jouissance parfaite de Dieu), soit par rapport au corps (comme la résurrection glorieuse), ont dû d'abord exister dans le Christ comme dans l'auteur de la gloire, au lieu qu'il convenait que la grâce existât antérieurement dans ceux qui se rapportaient au Christ (1).

(1) Cajétan croit qu'ils sont ainsi ressuscites, pour que le Christ eût des compagnons qui jouissent avec lui Je la béatitude corporelle.



ARTICLE IV. — le christ a-t-il été la cause de sa résurrection (2)?

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1 Il semble que le Christ n'ait pas été la cause de sa résurrection. Car celui qui est ressuscité par un autre n'est pas cause de sa résurrection. Or, le Christ a été ressuscité par un autre, d'après ces paroles (
Ac 2,24) : Dieu l'a ressuscité en le faisant sortir libre de l'enfer où l'avaient conduit les douleurs de la mort -, (Rm 8,2)Il a ressuscité Jésus-Christ d'entre les morts, et il a aussi donné la vie à nos corps mortels. Le Christ n'est donc pas la cause de sa résurrection.

2 Celui qui demande d'une autre une chose, on ne dit pas qu'il la mérite s'il en est la cause. Or, le Christ a mérité sa résurrection dans sa passion, car saint Augustin dit (Sup. Jean, tract, civ) que l'humilité de la passion est le mérite delà gloire de la résurrection ; et il demande aussi de son Père qu'il le ressuscite, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 40,11) : Pour vous, Seigneur, ayez pitié de moi et ressuscitez-moi. Il n'a donc pas été la cause de sa résurrection.

3 Comme le prouve saint Jean Damascène (Orth. fid. lib. iv, cap. ult.), ce n'est pas l'âme qui ressuscite, mais le corps, puisque c'est le corps qui meurt. Or le corps ne peut pas s'unir l'âme qui est plus noble que lui. Ce qui est ressuscité dans le Christ n'a donc pas pu être cause de sa résurrection.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 10,18) : Personne ne me ravit mon âme, c'est de moi-même que je la quitte et que je la reprends (3). Or, ressusciter n'est rien autre chose que de prendre son âme de nouveau. Il semble donc que le Christ soit ressuscité par sa propre vertu.


CONCLUSION. — Le Christ a été cause de sa résurrection selon la vertu de sa divinité, niais selon son humanité il a été ressuscité par Dieu et non par sa vertu propre.

(1) Puisqu'ils ne pouvaient arriver à lui que par sa grâce et la vertu de sa passion, c'est-à-dire par la foi qu'ils avaient en lui.

(2) II y a eu quelques hérétiques qui ont nié que le Christ fut ressuscité par sa propre vertu. Cet ARTICLE est une réfutation de leur erreur.

(5) Resurrexi et adhuc tecum ium (Ps 138) : Solvite templum hoc, et in tribut diebus excitabo illud. Hoc autem dixit de templo corporis sui. Ciim ergo resurrexisset à mortuis, recordati sunt discipuli (Jn 2).

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. l, art. 2 et 3), la mort n'a séparé la divinité ni de l'âme du Christ, ni de son corps. On peut donc considérer l'âme du Christ, après sa mort, aussi bien que son corps, de deux manières : 1° en raison de la divinité-, 2° en raison de la nature créée. Selon la vertu de la divinité qui lui était unie, le corps a repris l'âme qu'il avait quittée et l'âme a repris le corps qu'elle avait abandonné; et par conséquent le Christ est ressuscité par sa vertu propre. C'est pour cela qu'il est dit du Christ (2Co 13 2Co 4) que bien qu'il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la vertu de Dieu. Mais si nous considérons le corps et l'âme du Christ après sa mort, selon la vertu de la nature créée, de cette manière ils n'ont pas pu se réunir l'un à l'autre ; mais il a fallu que le Christ fût ressuscité par Dieu.

31 Il faut répondre au premier argument, que la vertu et l'opération divine du Père et du Fils est la même (1); par conséquent il s'ensuit que le Christ a été ressuscité par la vertu divine du Père et par la sienne.

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Il faut répondre au second, que le Christ en priant a demandé et a mérité sa résurrection comme homme, mais non comme Dieu.

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Il faut répondre au troisième, que le corps selon sa nature créée n'est pas plus puissant que l'âme du Christ; cependant il est plus puissant qu'elle selon la vertu divine; et l'âme est aussi, selon la divinité qui lui est unie, plus puissante que le corps ne l'est selon sa nature créée. C'est pourquoi, selon la vertu divine, le corps et l'âme se sont repris réciproquement ; mais ils ne l'ont pas fait selon la vertu de leur nature créée.




QUESTION 54. DES QUALITÉS DU CHRIST RESSUSCITÉ.

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Nous devons ensuite nous occuper des qualités du Christ après sa résurrection. A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Après sa résurrection le Christ a-t-il eu un corps véritable? — 2" Est-il ressuscité avec l'intégrité de son corps? — 3" Son corps a-t-il été glorieux ? — 4° Des cicatrices que l'on voyait dans son corps.


ARTICLE i. — le christ a-t-il eu un corps véritable après sa résurrection (2)?

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1 Il semble que le Christ n'ait pas eu un corps véritable après sa résurrection. Car un vrai corps ne peut pas exister simultanément avec un autre corps dans le même lieu. Or, le corps du Christ a existé simultanément après sa résurrection avec un autre corps dans le même lieu, puisqu'il est entré près de ses disciples les portes fermées, d'après l'Evangile (
Jn 20). Il semble donc que le Christ n'ait pas eu un corps véritable après sa résurrection.

2 Un vrai corps ne s'évanouit pas à l'aspect de ceux qui le voient, à moins qu'il ne soit corrompu. Or, le corps du Christ s'est évanoui aux yeux des disciples qui le voyaient, comme le dit saint Luc (24.). Il semble donc que le Christ n'ait pas eu un corps véritable après sa résurrection.

(2) Cet ARTICLE est une réfutation des apellitcs et îles passionistes, qui prétendaient que le Christ n'est pas ressuscité dans sa chair.
(1) Quacumque Pater facit, haec et Filius similiter facit (
Jn 5).

3 Tout corps véritable a une figure déterminée. Or, le corps du Christ a apparu à ses disciples sous une autre forme, comme on le voit (Mt 28). Il semble donc que le Christ après sa résurrection n'ait pas eu un corps humain véritable.

20 Mais c'est le contraire. Saint Luc dit (24. 37) que quand le Christ apparut à ses disciples, ils furent tout troublés et saisis de crainte, s'imaginant voir un esprit, comme s'il n'avait pas eu un corps véritable, mais fantastique. Pour dissiper lui-même celte illusion il ajouta : Touchez-moi et considérez qu'un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai. Il n'a donc pas eu un corps fantastique, mais véritable.


CONCLUSION. — Puisque la résurrection du Christ a été véritable, son corps après sa résurrection a été un vrai corps, de même nature qu'il était auparavant.

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Il faut répondre que, comme le dit saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. iv, cap. ult.), il n'y a que ce qui est tombé qui se relève ou qui ressuscite. Or, le corps du Christ est tombé par la mort, dans le sens que l'âme qui était sa perfection formelle en a été séparée. Il a donc fallu pour que la résurrection du Christ fût véritable, que son même corps fût de nouveau uni à la même âme. Et parce que la vérité de la nature du corps provient de la l'orme, il s'ensuit que le corps du Christ a été un corps véritable après sa résurrection et qu'il a été de même nature qu'il était auparavant. Si son corps eût été fantastique, sa résurrection n'aurait pas été véritable, mais apparente.

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Il faut répondre au premier argument, que le corps du Christ après sa résurrection est entré près de ses disciples, les portes fermées, non par miracle, mais d'après sa condition glorieuse, comme quelques-uns le pensent, existant simultanément avec un autre corps dans le même lieu. Plus loin (Supplent. quest. lxxxiii, art.3), lorsque nous traiterons de la résurrection en général, nous verrons si un corps glorieux peut avoir, d'après une propriété qui lui est innée, la vertu d'exister simultanément avec un autre corps dans le même lieu. Mais maintenant, pour les besoins de la thèse que nous défendons, nous devons dire que ce n'est pas par sa nature, mais que c'est plutôt parla vertu de la divinité qui lui est unie, que ce corps, tout véritable qu'il était, est entré près des disciples, lorsque les portes étaient fermées. D'$ù saint Augustin dit (Serm. eux) qu'il y en a qui font cette objection : S'il avait un corps et si celui qui est ressuscité du tombeau était le même que celui qui a été attaché à la croix, comment a-t-il pu entrer, les portes fermées? Et il leur répond : Si vous compreniez comment cela s'est fait, il n'y aurait pas de miracle; là où la raison fait défaut, la foi doit édifier. Et dans ses traités sur saint Jean (Tract, cxxi) le même docteur observe : que les portes fermées ne furent pas un obstacle pour l'étendue du corps du Christ qui était uni à la divinité; parce qu'il a bien pu entrer sans que les portes fussent ouvertes, lui qui est né tout en laissant intacte la virginité de sa mère. Et saint Grégoire dit la même chose (Hom. xxvi in Evang. ).

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Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 3), le Christ est ressuscité pour la vie immortelle de la gloire. Or, telle est la disposition d'un corps glorieux qu'il est spirituel, c'est-à-dire soumis à l'esprit, comme 1(? dit l'Apôtre (1Co 15). Et pour que le corps soit absolument soumis à l'esprit, il faut que toutes ses actions soient soumises à sa volonté. D'un autre côté, ce qui fait voir une chose, c'est l'action de l'objet visible sur la vue, comme le dit Aristote (An. lib. n, text. 73 et 7í ). C'est pourquoi celui qui a un corps glorifié, peut se faire voir quand il le veut, et se rendre invisible quand il ne le veut pas. Toutefois le Christ a eu ce privilège non-seulement d'après la condition de son corps glorieux, mais encore d'après la vertu de la divinité, qui peut faire que les corps qui ne sont pas glorieux deviennent invisibles par miracle. C'est ainsi qu'il a été accordé par miracle à saint Barthélémy de se rendre visible ou invisible selon sa volonté (1). Par conséquent on dit que le Christ s'est évanoui aux yeux de ses disciples, non parce qu'il s'est corrompu, ou changé en quelque chose d'invisible; mais parce que par sa volonté il a cessé d'être vu par eux, soit qu'il ait été présent, soit qu'il se soit éloigné rapidement en vertu de son agilité.

33 Il faut répondre au troisième, que, comme le dit Sévérien (id hab. Pet. Chrysol. in Serm. lxxxii), on ne doit pas croire que le Christ a changé les traits de son visage dans sa résurrection. Ce qui doit s'entendre de la disposition des membres ; parce qu'il n'y avait rien de déréglé et de difforme dans le corps du Christ conçu par l'Esprit-Saint, qui dût être corrigé dans sa résurrection. Cependant il a reçu dans la résurrection la gloire de la clarté. C'est pourquoi le même auteur ajoute : Son visage a été changé, puisque de mortel il est devenu immortel, de manière qu'il a acquis la gloire, sans avoir perdu sa substance. Il ne s'est cependant pas montré à ses disciples sous une forme glorieuse ; mais comme il était en son pouvoir que son corps fût visible ou qu'il ne le fût pas; de même il était aussi en son pouvoir qu'à son aspect il se formât dans les regards de ceux qui le considéraient une forme glorieuse ou non glorieuse, ou une forme mixte, ou toute autre. D'ailleurs il ne faut qu'une légère différence pour qu'il semble qu'on apparaît sous une physionomie étrangère.



ARTICLE II. — le corps i)u christ est-il ressuscité tout entier?

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1 Il semble que le corps du Christ ne soit pas ressuscité tout entier. Car le corps humain comprend dans son intégralité la chair et le sang ; ce qui ne paraît pas avoir existé dans le Christ ; parce qu'il est dit (
1Co 15,50) : La chair et le sang ne posséderont pas te royaume de Dieu. Or. le Christ est ressuscité dans la gloire du royaume de Dieu. Il semble donc qu'il n'ait eu ni chair, ni sang.

2 Le sang est une des quatre humeurs. Si donc le Christ a eu le sang, pour le même motif il a eu les autres humeurs, d'où résulte la corruption des animaux. Il s'ensuivrait par conséquent que le corps du Christ a été corruptible : ce qui répugne. Il n'a donc eu ni chair, ni sang.

3
Le corps du Christ qui est ressuscité est monté au ciel. Or, dans certaines églises on conserve de son sang comme relique. Le corps du Christ n'est donc pas ressuscité avec toutes ses parties.

20
Mais c'est le contraire. Après sa résurrection, le Seigneur s'adressant à ses disciples leur dit (Lc 24 Lc 39) : Un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai.


CONCLUSION. — Puisque la résurrection du Christ a été parfaite, son corps ressuscité a été glorieux et entier dans toutes ses parties.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), le corps du Christ dans sa résurrection a été de même nature, mais qu'il a été différent sous le rapport de la gloire. Par conséquent tout ce qui appartient à la nature du corps humain a existé tout entier dans le corps du Christ après sa résurrection. Or, il est évident que les chairs, les os, le sang et tout le reste appartiennent à la nature du corps humain. C'est pourquoi toutes ces choses ont existé dans le corps du Christ après sa résurrection et elles y ont été intégralement sans aucune diminution ; autrement sa résurrection n'aurait pas été parfaite, s'il n'avait repris tout ce qui était tombé sous les coups de la mort. C'est aussi ce que le Seigneur promet à ses disciples en leur disant (Mt 10,30) : Tous les cheveux de votre tête ont été comptés. (Lc 21,18) : Aucun cheveu de votre tête ne se perdra. Si l'on disait que le corps du Christ n'a eu ni chair, ni os, ni les autres parties naturelles au corps humain, on tomberait dans l'erreur d'Eutychius, évêque de Constantinople, qui disait (ut hab. Greg.XIV, Mor. cap. 29) que notre corps sera impalpable après sa résurrection glorieuse, qu'il sera plus subtil que le vent et l'air, et que le Seigneur, après avoir rassuré les coeurs des disciples qui le palpèrent, rendit ensuite subtil tout ce qu'on avait pu palper en lui. Saint Grégoire attaque ce sentiment (Rm 26 in Evang.) en disant que le corps du Christ après sa résurrection est resté le même, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 6,9) : Le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus. Aussi Eutychius sur son lit de mort rétracta ce qu'il avait avancé (1). Car s'il n'est pas convenable que le Christ dans sa conception ait reçu un corps d'une autre nature que le nôtre, par exemple un corps céleste, comme l'a prétendu Valentin, à plus forte raison n'est-il pas convenable que le Christ dans sa résurrection ait repris un corps d'une autre nature : parce que dans sa résurrection il a repris pour la vie immortelle le corps que dans sa conception il avait pris pour sa vie mortelle.

Ii Xicotaï observe que ce fait se trouve dans un ancien rituel des frères prêcheurs, qui parut en oí, a l'époque <nj vivait saint Thomas.

31 Il faut répondre au premier argument, que la chair et le sang ne se prennent pas en cet endroit de l'Ecriture pour la nature de la chair et du sang, mais pour la faute de la chair et du sang, comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. xiv, loc. sup. cil.), et pour la corruption de la chair et du sang ; parce que, selon la pensée de saint Augustin (Epist, ccv), la corruption et la mortalité de la chair et du sang n'existeront plus dans le ciel. La chair, prise selon sa substance, possède donc le royaume de Dieu, selon ces paroles du Seigneur (Lc 24) : Un esprit n'a ni chair, ni os, comme vous voyez que j'en ai. Mais la chair, considérée par rapport à sa corruption, ne le possédera pas. Aussi l'Apôtre ajoute-t-il : Que la corruption ne possédera point ce qui est incorruptible.

32 Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), peut-être qu'à l'occasion du sang quelque esprit curieux et inquiet nous pressera en disant : S'il y a eu du sang dans le corps de Jésus-Christ ressuscité, pourquoi n'y aurait-il pas de la pituite ou du flegme; pourquoi n'y aurait-il pas du fiel jaune ou de la bile, et du fiel noir ou de la mélancolie, puisque, d'après la science de la médecine, c'est l'assemblage de ces quatre humeurs qui compose le tempérament du corps humain? Mais que ceux qui voudraient aller jusque-là aient soin de ne pas ajouter qu'il était aussi altérable et corruptible, s'ils veulent ne point compromettre la droiture et la pureté de leur foi. Car Dieu peut, par sa toute-puissance, ôter à ces corps visibles et sensibles quelques-unes de leurs qualités sans toucher aux autres; et par conséquent les affranchir de la corruption et leur donner une forme inaltérable, les rendre capables de se mouvoir sans qu'ils soient capables de se lasser, leur donner le pouvoir de manger sans les soumettre à la nécessité de la faim.

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Il faut répondre au troisième, que tout le sang qui a coulé du corps du Christ, puisqu'il appartient à la vérité de la nature humaine, est ressuscité dans son corps, et il en est de même de toutes les parties qui appartiennent à la vérité et à l'intégrité de la nature humaine. Quant au sang que l'on conserve dans certaines églises comme relique, il n'est pas sorti du côté du Christ, mais on dit qu'il a coulé par miracle d'une image du Christ qui a été frappée (1).

(1) Cette erreur d'Eutycliius n'eut pas de partisans, et saint Grégoire, qui rapporte ce fait Mor. lib. Xiv, cap. 21), super illud .Iob : Et rursum circumdabor pelle mcd>,- nous dit lui- même que ce patriarche montrait sur son lit de mort, h tous ceux qui venaient le voir, ses mains, cl qu'il leur disait : Confiteor quia omnes in hác carne resui gemus.




III Pars (Drioux 1852) 1062