III Pars (Drioux 1852) 1083

ARTICLE III. — le corps du christ est-il ressuscité glorieux (2)?

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1 Il semble que le corps du Christ ne soit pas ressuscité glorieux. Car les corps glorieux sont brillants, d'après ces paroles de l'Evangile (
Mt 13,43) : Les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Or, les corps paraissent brillants en raison de la lumière, mais non en raison de la couleur. Par conséquent, puisque le corps du Christ a été vu sous l'apparence de la couleur, comme on le voyait auparavant, il semble qu'il n'ait pas été glorieux.

2 Un corps glorieux est incorruptible. Or, le corps du Christ ne parait pas avoir été incorruptible ; car il a été palpable, comme il le dit lui-même (Lc 24 Lc 39) : Palpez et voyez. Saint Grégoire dit aussi (Rm 26 in ) : Qu'il est nécessaire que ce qu'on palpe se corrompe, et qu'on ne peut palper ce qui ne se corrompt pas. Le corps du Christ n'a donc pas été glorieux.

3 Un corps glorieux n'est pas un corps animal, mais spirituel, comme on le voit (1Co 15). Or, le corps du Christ paraît avoir été un corps animal après sa résurrection, puisqu'il a mangé et bu avec ses disciples, comme on le voit (Lc 24 Jn 21). Il  semble donc qu'il n'ait pas été glorieux.

20 Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Ph 3, 21j : Il transformera notre corps vii et abject, afin de le rendre conforme à son corps glorieux.


CONCLUSION. — Puisque le Christ a mérité sa résurrection par les humiliations de sa passion, et que la résurrection a été la cause et le type de la nôtre, son corps a dû ressusciter glorieux.

21 Il faut répondre que le corps du Christ a été glorieux dans sa résurrection. Ce qui est évident pour trois raisons : 1° Parce que la résurrection du Christ a été le type et la cause de la nôtre, comme on le voit (1Co 15,43). Or, les saints auront leurs corps glorieux dans la résurrection, d'après ce passage de saint Paul : Ce qui est vii et abject quand on le met en terre, ressuscitera glorieux. Par conséquent, puisque la cause l'emporte sur l'effet et le modèle sur la copie, à plus forte raison le corps du Christ ressuscité a-t-il été glorieux. 2° Parce que par l'humiliation de sa passion il a mérité la gloire de la résurrection. C'est pourquoi, après avoir dit (Jn 3,27) : Maintenant mon âme est troublée, ce qui appartient à la passion, le Christ ajoute ensuite : Mon Père, glorifiez votre nom, demandant par là la gloire de la résurrection. 3" Parce que, comme nous l'avons vu (quest. xxxiv, art. 4), l'âme du Christ a été glorieuse dès le commencement de sa conception, parce qu'elle jouissait parfaitement de la divinité. Mais il est arrivé selon l'ordre de la Providence, comme nous l'avons dit (quest. xiv, art. 1 ad 2), que cette gloire ne rejaillissait pas de l'âme sur le corps, afin qu'il accomplît par sa passion le mystère de notre rédemption. C'est pourquoi, après que le mystère de la passion et de la mort du Christ eut été accompli, son âme iit rejaillir immédiatement sa gloire sur son corps qu'il avait repris dans sa résurrection, et ce corps devint ainsi glorieux.

(Ii Comme le rapporte saint Atlianase ou plutôt un autre auteur (Orat, de passione imaginis Christi ; ce l'ait est rapporté dans les actes du vue concile, Ac 8). l'2l Cet ARTICLE est une réfutation de l'erreur

des orisénistes, qui prétendaient que le Christ devait être encore crucifié dans les sièges futurs, et de celle des agaréniens, qui disaient qu'il mourrait à la lin du monde, après avoir fait périr l'antéchrist.

31 Il faut répondre au premier argument, que tout ce qui est reçu dans un sujet y est reçu selon la manière d'être de ce sujet. Par conséquent comme la gloire du corps vient de l'âme, selon la remarque de saint Augustin (Epist, ad Diosc. cxvui), l'éclat ou la clarté du corps glorieux est selon la couleur naturelle au corps humain -, comme des verres diversement colorés brillent à la lumière du soleil, selon le mode de la couleur qui leur est propre. Or, comme il est au pouvoir de l'homme glorifié que son corps soit visible ou qu'il ne le soit pas, ainsi que nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 2), de même il est en son pouvoir que sa clarté paraisse ou ne paraisse pas. Par conséquent, il peut se faire qu'on le voie avec sa couleur naturelle sans clarté. Et c'est de la sorte que le Christ a apparu à ses disciples après sa résurrection.

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Il faut répondre au second, qu'on dit qu'un corps est palpable non-seulement en raison de sa résistance, mais encore en raison de son épaisseur. La ténuité et la densité ont pour conséquence la gravité et la légèreté, le chaud et le froid, et tous les autres contraires qui sont les principes de la corruption des corps élémentaires. Par conséquent, un corps qui est palpable au toucher de l'homme est naturellement corruptible. Mais si un corps résiste au tact sans être disposé selon les qualités dont nous venons de parler, et qui sont les objets propres du tact de l'homme, tel que le corps céleste, on ne peut pas dire que ce corps soit palpable. Or, le corps du Christ, après sa résurrection, a été véritablement composé d'éléments, et il avait en lui-même les qualités tangibles, selon que la nature du corps humain l'exige, et c'est pour ce motif qu'il était naturellement palpable, et il aurait été corruptible, s'il n'y avait rien eu en lui qui fût supérieur à la nature du corps humain. Mais il a eu quelque chose qui l'a rendu incorruptible. Toutefois ce n'est pas la nature du corps céleste, selon le sentiment de quelques-uns dont nous parlerons plus loin (Sup- plém. quest. lxxxii, art. 1), mais c'est la gloire qui rejaillit de l'âme bienheureuse; parce que, selon te pensée de saint Augustin (Epist, ad Diosc.), Dieu a doué l'âme d'une nature si puissante, que de la plénitude de sa béatitude il reflue sur le corps une plénitude de santé et une vigueur qui le rendent incorruptible (I). C'est pour ce motif que, comme le dit saint Grégoire (ibid, j, il est évident que le corps du Christ, après sa résurrection, a été de la même nature qu'auparavant, mais qu'il a différé sous le rapport delà gloire.

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Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. xiii, cap. 22), notre Sauveur, après sa résurrection, ayant un corps spirituel, mais cependant véritable, a bu et mangé avec ses disciples, non parce qu'il avait besoin d'aliments, mais pour montrer qu'il pouvait en l'aire usage. Car, selon la remarque de Rède (Sup. Luc. cap. 97), la terre sèche et les rayons ardents du soleil absorbent l'un et l'autre l'eau, mais de différente manière ; l'une le fait par besoin et l'autre par sa puissance. Le Christ a donc mangé après sa résurrection, non comme s'il eût eu besoin de nourriture, mais pour montrer par là la vérité de son corps ressuscité. C'est pour cela qu'il ne résulte pas de là que son corps ait été un corps animal qui a besoin de manger pour exister.



ARTICLE IV. — le corps du christ a-t-il du ressusciter avec des cicatrices (2)?

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1 Il semble que le corps du Christ n'ait pas dû ressusciter avec des cicatrices. Car saint Paul dit (
1Co 15,52) : que les morts ressusciteront incorruptibles. Or, les cicatrices et les blessures appartiennent à une sorte de corruption et de défaut. Il  n'a donc pas été convenable que le Christ qui est l'auteur de la résurrection ressuscitât avec des cicatrices.

(1) Saint Paul dit (Rom. \i) : Christus resurgens ex mortuis jam non moritur, mors illi ultra non dominabitur.

(2) Ces cicatrices, qui sont les insignes do son triomphe, ont été quelquefois imprimées ici-bas dans la chair mortelle de quelques-uns de

2 Le corps du Christ est ressuscité tout entier, comme nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.). Or, les ouvertures des plaies sont contraires à l'intégrité du corps, parce que le corps devient par là discontinu. Il ne parait donc pas avoir été convenable qu'il y eût dans le corps du Christ des plaies qui restassent ouvertes ; car c'était bien assez qu'il en restât des marques que l'on pût voir; ce qui a convaincu Thomas à qui le Seigneur a dit : Parce que vous avez vu, Thomas, vous avez cru (Jn 20,29).

3 Saint Jean Damascène dit (De orth. fid. lib. iv, cap. 49) qu'après la résurrection du Christ, on dit de lui véritablement des choses qu'il n'eut pas selon sa nature, mais qu'il eut d'après l'ordre de la providence divine, pour certifier que son corps ressuscité était le même que celui qui avait souffert. Telles furent, ajoute-t-il, ses cicatrices. Or, quand la cause cesse, l'effet cesse aussi. Il semble donc qu'une fois que ses disciples ont été certains de sa résurrection, il n'a pas dû conserver davantage ses cicatrices. Mais comme d'ailleurs il ne convenait pas à l'immutabilité de la gloire qu'il prît quelque chose qui ne devait pas rester en lui perpétuellement, il semble que dans sa résurrection il n'ait pas dû reprendre son corps avec des cicatrices.

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Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit à Thomas (Jn 20,27) : Portez ici votre doigt et considérez mes mains, approchez aussi votre main et mettez-la dans mon côté, et ne soyez plus incrédule, mais fidèle.


CONCLUSION. — Il a été convenable que l'âme du Christ reprit son corps avec se? cicatrices dans sa résurrection, afin d'avoir avec elle les marques de sa victoire et de son triomphe et d'atïermir dans la foi ceux qui étaient chancelants.

21 Il faut répondre qu'il a été convenable que l'âme du Christ reprît son corps avec ses cicatrices dans sa résurrection: 1° à cause de la gloire du Christ lui-même. En effet Bède observe (Sup. Luc. cap. 97) qu'il n'a pas conservé ses cicatrices parce qu'il était dans l'impuissance de les guérir, mais qu'il l'a fait pour porter toujours avec lui les marques de son triomphe et de sa victoire. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, lib. xxii, cap. 20) que dans le ciel nous verrons dans les corps des martyrs les cicatrices des blessures qu'ils ont reçues pour la gloire du Christ; parce qu'elles ne seront pas en eux une difformité, mais une gloire, et la beauté de leur vertu brillera par là en quelque sorte dans leur corps. 2° Pour affermir les coeurs de ses disciples à l'égard delà foi dans sa résurrection. 3° Afin qu'en suppliant son Père pour nous, il lui montre toujours quel genre de mort il a souffert. 4° Pour faire voir à ceux qu'il a rachetés par sa mort, en leur mettant sous les yeux les marques de son supplice, avec quelle miséricorde il est venu à leur secours. 5°sPour faire voir, au jugement, la justice de l'arrêt qu'il portera au sujet des damnés. Par conséquent, selon la pensée de saint Augustin (De symb. lib. n, cap. 8), le Christ savait pourquoi il conservait des cicatrices dans son corps. Car, comme il les a montrées à Thomas qui ne voulait croire qu'à la condition de les toucher et de les voir, de même il les montrera aussi à ses ennemis, afin qu'après les avoir convaincus il leur dise : Voilà l'homme que vous avez crucifié; vous voyez les blessures que vous lui avez faites; vous voyez le côté que vous avez percé; il a été ouvert par vous et à cause de vous, et cependant vous n'avez pas voulu v entrer.

ses disciples les plus ardents du Christ. Saint transis d’Assise a spécialement reçu cette laveur. L'Eglise en célèbre là l'été au 17 septembre.

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Il faut répondre au premier argument, que ces cicatrices qui sont restées dans le corps du Christ ne sont ni une corruption, ni un défaut, mais elles mettent le comble à sa gloire, selon qu'elles sont les insignes de sa vertu, et à l'endroit même des plaies on verra briller une splendeur toute spéciale.

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II faut répondre au second, que, quoique cette ouverture des plaies suppose une certaine discontinuité, le corps y trouve une compensation parle surcroît de gloire dont il brille, de sorte que sans être moins intègre, il est plus parfait. Quant à saint Thomas, non-seulement il a vu, mais il a encore touché les plaies, parce que, comme le dit le pape saint Léon (August. Serm. lvi de diversis), il lui eût suffi pour sa propre foi de voir ce qu'il avait vu, mais c'est pour nous qu'il a agi en touchant ce qu'il voyait.

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Il faut répondre au troisième, que le Christ a voulu que les cicatrices de ses plaies restassent dans son corps, non-seulement pour rendre certaine la foi de ses disciples, mais encore pour d'autres raisons, d'après lesquelles il est évident que ces cicatrices y subsisteront toujours. Car, comme le dit saint Augustin (Epist, ccv), je crois que le corps du Seigneur est au ciel tel qu'il était quand il y est monté. Et saint Grégoire ajoute (Mor. lib. xiv, cap. 29) : Si quelque chose a pu être changé dans le corps du Christ après sa résurrection, c'est que le Seigneur, contrairement au sentiment de saint Paul, serait mort de nouveau, et il n'y a personne d'assez insensé pour le dire ou pour le penser, à moins qu'on ne nie qu'il soit véritablement ressuscité. D'où il est évident que les cicatrices que le Christ a montrées dans son corps après sa résurrection n'ont pas ensuite disparu.





QUESTION 55. DE LA MANIFESTATION DE LA RÉSURRECTION.

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Après avoir parlé des qualités du corps du Christ ressuscité, nous devons nous occuper de la manifestation de sa résurrection. — A cet égard il y a six questions à traiter : t" La résurrection du Christ a-t-elle dû être manifestée à tout le monde ou seulement à quelques personnes en particulier? — 2° Aurait-il été convenable qu'il ressuscitât sous leurs yeux? — 3° Après sa résurrection a-t-il dû converser avec ses disciples? — 4" A-t-il été convenable qu'il leur apparut sous une forme étrangère? — 5" A-t-il dû manifester sa résurrection par des preuves? — 6° Ces preuves sont- elles suffisantes?



ARTICLE i. — la résurrection du christ a-t-elle dû être manifestée a tout le monde (1)?

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1 Il semble que la résurrection du Christ ait dû être manifestée à tout le monde. Car comme un péché public mérite une peine publique, d'après ces paroles de l'Apôtre (
1Tm 5,20) : Reprenez devant tout le monde ceux qui pèchent publiquement; de même on doit une récompense publique à celui qui l'a méritée publiquement. Or, la gloire de la résurrection est la récompense des humiliations de la passion, comme le dit saint Augustin (Sup. Jean, tract, civ). Par conséquent puisque la passion du Christ a été manifestée à tout, le monde, et qu'il l'a soufferte publiquement, il semble que la gloire de sa résurrection ait dû être aussi manifestée à chacun.

(1) La loi providentielle que saint Thomas constate dans cet article, relativement au gouvernement moral du monde, établit fondamentalement le principe d'autorité, comme base de l'enseignement religieux. Car, puisqu'il n'y a eu qu'un certain nombre de témoins de la résurrection, il faut que les autres aient cru à la parole de ces témoins, et que dès le commencement il y ait eu l'Eglise enseignante et l'Eglise enseignée.

2 Comme la passion du Christ se rapporte à notre salut, de même aussi sa résurrection, d'après ces paroles de saint Paul (Rm 4,25) : II est ressuscité à cause de notre justification. Or, ce qui appartient à l'utilité commune doit être manifesté à tout le monde. Il semble donc que la résurrection du Christ ait dû être manifestée à chacun et qu'elle n'ait pas dû l'être spécialement à quelques personnes en particulier.

3 Ceux auxquels la résurrection du Christ a été manifestée en ont été les témoins. C'est pourquoi les apôtres disaient (Ac 3,15) : Dieu Va ressuscité d'entre les morts, nous en sommes les témoins. Or, ils rendaient ce témoignage en prêchant publiquement, ce qui ne convient pas aux femmes, d'après saint Paul qui dit (1Co 14,34) : Que les femmes gardent le silence dans les églises; (1Tm 2,12) : Je ne permets pas à la femme d'enseigner. Il semble donc que ce soit à tort que la résurrection du Christ ait été manifestée aux femmes plutôt qu'à tout le monde en général.

20 Mais c'est le contraire. Saint Pierre dit (Ac 10,40) : Dieu l'a ressuscité le troisième jour et a voulu qu'il se fit voir non à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis avant tous les temps.


CONCLUSION. — Puisque les choses qui surpassent la connaissance commune des hommes arrivent aux inférieurs par l'intermédiaire de quelques supérieurs, la résurrection glorieuse du Christ n'a pas dû être manifestée à tout le peuple, mais seulement à quelques témoins choisis par Dieu pour la faire connaitre et la faire croire aux autres.

21 Il faut répondre que parmi nos connaissances les unes nous arrivent d'après la loi commune de la nature, les autres d'après un don spécial de la grâce, comme celles que Dieu nous révèle. Quand il s'agit de ces dernières, la loi établie de Dieu, comme le dit saint Denis (De coelest. hier. cap. 4), veut que les êtres supérieurs soient immédiatement éclairés par la révélation et que les lumières qu'ils reçoivent soient ensuite communiquées aux êtres inférieurs par leur intermédiaire. C'est ce qui est évident dans la hiérarchie des esprits célestes. Or, les choses qui appartiennent à la gloire future surpassent la connaissance commune des hommes, d'après ces paroles du prophète (Is 64,4) : Sans vous, 6 mon Dieu, l'oeil n'a pas vu ce que vous avez préparé à ceux qui vous attendent. C'est pourquoi elles ne sont connues de l'homme qu'autant que Dieu les lui révèle, selon l'expression de l'Apôtre (1Co 2,10) : Dieu nous les a révélées par son Esprit. Le Christ étant ressuscité de la résurrection glorieuse, pour ce motif sa résurrection n'a pas été manifestée à tout le peuple, mais à quelques-uns, pour que par leur témoignage ils la portassent à la connaissance des autres.

31 Il faut répondre au premier argument, que la passion du Christ s'est accomplie dans son corps, lorsqu'il avait encore sa nature passible qui est connue de tout le monde d'après la loi commune. C'est pourquoi elle a pu être manifestée à tout le peuple immédiatement. Mais la résurrection du Christ a été produite par la gloire du l'ère, selon l'expression de saint Paul (Rm 6). Pour cette raison elle n'a pas été manifestée immédiatement à tout le monde, mais seulement à quelques-uns. D'ailleurs si l'on impose une peine publique à ceux qui pèchent publiquement, on doit entendre ce principe des peines de la vie présente. De même il faut que les mérites publics soient publiquement récompensés pour exciter les autres au bien. Quant aux peines et aux récompenses delà vie future, elles ne sont pas publiquement manifestées à tout le monde, mais elles le sont spécialement à ceux que Dieu a choisis à l'avance pour cela.

32 Il faut répondre au second, que comme la résurrection du Christ a eu pour Dut le salut commun de tous les hommes, de même elle est parvenue à la connaissance de tout le genre humain; mais il n'en résulte pas qu'elle ait été manifestée à tout le monde immédiatement; elle ne l'a été qu'à quelques-uns, pour que par leur témoignage elle arrivât à la connaissance de tous les autres.

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Il faut répondre au troisième, qu'il n'est pas permis à une femme d'enseigner publiquement dans une église; mais il lui est permis d'instruire quelqu'un en particulier en lui parlant dans l'intérieur de la maison. C'est pourquoi, comme le dit saint Ambroise (Sup. Luc. cap. 24 : Mulieres), la femme est envoyée vers ceux qui sont au dedans de la maison; mais elle n'est pas envoyée pour rendre témoignage de la résurrection devant le peuple. Le Christ a apparu d'abord aux femmes, afin que la femme qui a la première apporté à l'homme la nouvelle de la mort, fût aussi la première qui annonçât la vie du Christ ressuscité dans la gloire. C'est ce qui fait dire à saint Cyrille (Lib. xii in Jean. sup. illud : cap. 20 Facie ad fratres) : La femme ayant servi de ministre à la mort connaît et annonce la première le mystère sacré de la résurrection. Par conséquent la femme a obtenu le pardon de sa faute et elle a été délivrée de la malédiction. Par là on montre aussi que pour ce qui appartient à l'état de la gloire la femme ne subira aucun détriment. Si elle est animée d'une charité plus grande, elle jouira aussi d'une plus grande gloire d'après la vision divine. Et parce que ce sont les femmes qui ont aimé le Seigneur plus étroitement, puisqu'elles ne se sont pas éloignées de son tombeau, lorsque ses disciples s'en sont éloignés ; elles ont vu les premières le Seigneur ressuscité dans sa gloire.



ARTICLE II — aurait-il été convenable que les disciples vissent le christ ressusciter (4)?

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1 Il semble qu'il aurait été convenable que les disciples vissent le Christ ressusciter. Car il appartenait à ses disciples d'attester sa résurrection, d'après ces paroles (
Ac 4,33) : Les apôtres rendaient témoignage avec une grande force à la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or, le témoignage de visu est le plus certain. Il aurait donc été convenable qu'ils vissent la résurrection même du Christ.

2 Pour avoir la certitude de la foi les disciples ont vu l'ascension du Christ, puisqu'il est dit (Ac 1,9) : Qu'ils le virent s'élever. Or, il faut de même avoir une foi certaine dans la résurrection du Christ. il semble donc que le Christ ait dû ressusciter sous les yeux de ses disciples.

3 La résurrection de Lazare a été une marque de la résurrection future du Christ. Or, le Seigneur a ressuscité Lazare sous les yeux de ses disciples. Il semble donc qu'il ait dû lui-même ressusciter aussi sous leurs yeux.

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Mais c'est le contraire. D'après saint Marc (16. 9) : Le Seigneur étant ressuscité le matin le premier jour de la semaine, apparut d'abord à Marie Magdeleine. Or, Marie Magdeleine ne l'a pas vu ressusciter; mais quand elle le cherchait dans le sépulcre, elle entendit l'ange lui dire : Il est ressuscité, il n'est point ici. Personne ne l'a donc vu ressusciter.


CONCLUSION. — Puisque le Christ en ressuscitant n'est point revenu à une vie généralement connue des hommes, ils n'ont pas dû voir immédiatement sa résurrection, mais il fallait qu'elle leur fût annoncée par des anges.

(t) Cet article n'est que le développement du précédent.

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Il faut répondre que, comme le dit l'Apôtre (Rm 13,4) : Tout ce qui

vient de Dieu eat ordonné. Or, l'ordre établi par Dieu consiste en ce que les choses qui sont au-dessus des hommes leur soient révélées par l'intermédiaire des anges, comme le dit saint Denis (Décoel. hier. cap. 4). Le Christ en ressuscitant n'est pas revenu à la vie qui est généralement connue de tous les hommes, mais il est revenu à une vie immortelle et conforme à Dieu, d'après l'Apôtre qui dit (Rm 6,10) : que quant à la vie qu'il a maintenant, il vit pour Dieu. C'est pourquoi sa résurrection n'a pas dû être vue immédiatement par les hommes, mais les anges ont dû la leur annoncer. C'est ce qui fait dire à saint Hilaire (Sup. Matth, can. ult.) que c'est un ange qui a dû tout d'abord faire connaître la résurrection, afin que ce mystère fût annoncé par ceux qui sont les serviteurs de la volonté du Père céleste.

31 II faut répondre au premier argument, que les apôtres ont pu attester la résurrection du Christ pour l'avoir vue, parce qu'ils ont vu de leurs propres yeux le Christ, qu'ils savaient mort, vivre après sa résurrection (1). Mais comme on arrive à la vision bienheureuse par l'audition de ce que l'on doit croire ; de même ils sont parvenus à voir le Christ ressuscité par ce qu'ils ont d'abord appris des anges.

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Il faut répondre au second, que l'ascension du Christ quant au terme à quo ne surpassait pas la connaissance commune des hommes, mais elle la surpassait seulement quant au terme ad quem (2). C'est pourquoi les disciples ont pu voir l'ascension du Christ quant au terme à quo, c'est-à-dire selon qu'il s'élevait de terre; mais ils ne la virent pas quant au terme ac? quem; parce qu'ils ne virent pas comment il fut reçu dans le ciel. Mais la résurrection du Christ surpassait la connaissance commune et quant au terme à quo, selon que son âme est revenue de l'enfer et que son corps est sorti du tombeau pendant qu'il était fermé, et quant au terme ad quem, selon qu'il a acquis la vie glorieuse. C'est pourquoi elle n'a pas dû se faire sous les yeux des hommes.

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Il faut répondre au troisième, que Lazare a été ressuscité pour revenir à la vie qu'il avait eue auparavant et qui ne surpasse pas la connaissance commune des hommes. C'est pourquoi il n'y a pas de parité.



ARTICLE III. — le christ a-t-il du converser continuellement avec ses disciples après sa résurrection (3)?

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1 Il semble que le Christ ait dû converser continuellement avec ses disciples après sa résurrection. Car il a apparu à ses disciples après qu'il a été ressuscité pour les rendre certains de la foi qu'ils devaient avoir en sa résurrection, et pour les consoler dans leur trouble, d'après ces paroles de l'Evangile (
Jn 20,20) : Les disciples se réjouirent après avoir vu le Seigneur. Or, ils auraient été plus certains et plus consolés, s'il eût été continuellement présent parmi eux. Il  semble donc qu'il aurait dû constamment converser avec eux.

2 Le Christ ressuscité n'est pas monté immédiatement au ciel, mais après quarante jours, comme on le voit (Ac 1). Or, pendant ce temps il n'a pu être plus convenablement dans aucun autre lieu que là où ses disciples étaient réunis. Il semble donc qu'il ait dû continuellement converser avec eux.

Il n'était pas nécessaire qu'ils le vissent ressusciter pour être sûrs <le sa résurrection. Il  ne faut pour constater la résurrection que deux choses : être sur do la mort, et ensuite être sûr que le même corps est redevenu vivant.

Le terme à quo est le point de départ, qui était ici la terre, et le terme ad quem est le

butjers lequel on tend ; ce qui était ici le ciel.

(5) Cet article est contraire à l'erreur de ceux qui ont prétendu que le Christ était resté dans 1 arche d'alliance pendant les quarante jours qui se sont écoulés depuis sa résurrection jusqu'à l'ascension.

3 Le jour même de la résurrection, l'Evangile nous apprend que le Christ a apparu cinq fois, comme le dit saint Augustin (Lib. iii de consens. Evang. cap. ult.): 1° il apparut aux saintes femmes près du tombeau ; 2° à ces mêmes femmes lorsqu'elles revenaient du tombeau; 3° à saint Pierre; 4° à deux de ses disciples qui allaient dans un château; 5° à plusieurs des apôtres qui étaient à Jérusalem, parmi lesquels ne se trouva pas Thomas. Il semble donc que les autres jours avant son ascension, il ait dû aussi apparaître au moins plusieurs fois.

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Le Seigneur avant sa passion avait dit à ses disciples (Mt 26,32) : Après que je serai ressuscité je vous précéderai en Galilée] c'est aussi ce que dit l'ange et le Seigneur lui-même aux saintes femmes après sa résurrection. Et cependant on le vit auparavant à Jérusalem, le jour même de sa résurrection, comme nous l'avons dit (art. préc.), et huit jours après, comme on le voit (Jn 20). Il ne semble donc pas qu'il ait vécu avec ses disciples de la manière qui convenait après sa résurrection.

20 Mais c'est le contraire. L'Evangile dit (Jn 20,29) : que après huit jours le Christ apparut à ses disciples. Il ne conversait donc pas continuellement avec eux.


CONCLUSION. — Après sa résurrection le Christ n'a pas dû converser longtemps avec ses disciples, dans la crainte qu'on ne crût qu'il était revenu à la vie mortelle, mais il a dû seulement leur apparaître pendant un temps, pour montrer qu'il était véritablement ressuscité.

21 Il faut répondre qu'à l'égard de la résurrection du Christ il y avait deux choses à faire connaître à ses disciples : la vérité de la résurrection et la gloire du Christ ressuscité. Pour manifester la vérité de sa résurrection, il suffit que le Christ leur ait apparu plusieurs ibis, qu'il ait parlé familièrement avec eux, qu'il ait bu et mangé et qu'il leur ait donné à palper son corps. Mais pour manifester sa gloire, il n'a pas voulu converser continuellement avec eux, comme il l'avait fait auparavant, dans la crainte qu'il ne parût être ressuscité avec la même vie due celle qu'il avait eue précédemment. C'est pourquoi il dit lui-même (Lc 24 Lc 44) : Ce que vous voyez est l’accomplissement de ce que je vous ai dit, lorsque j'étais encore avec vous. Il était alors présent corporellement au milieu d'eux, mais auparavant il l'avait été .non- seulement corporellement, mais encore avec un corps mortel comme les leurs. Aussi Rôde expliquant ces paroles : Cum adhuc essem vobiscum, dit (in Luc. cap. 97) : Quand j'étais encore avec vous, c'est-à-dire quand j'étais encore dans une chair mortelle telle que celle que vous avez. A la vérité il était ressuscité dans la même chair, mais elle n'était plus mortelle comme la nôtre.

31 Il faut répondre au premier argument, que des apparitions fréquentes du Christ suffisaient pour rendre les disciples certains de la vérité de la résurrection. Mais une conversation continue aurait pu les induire en erreur et leur faire croire qu'il était ressuscité avec une vie semblable à celle qu'il avait eue auparavant. Quant aux consolations qu'ils auraient pu tirer de sa présence continue, il les leur promit dans l'autre vie en leur disant (Jn 26,22) : Je vous reverrai, et alors votre coeur se réjouira et personne ne vous ravira votre joie.

32 Il faut répondre au second, que si le Christ ne conversai t pas continuellement avec ses disciples, ce n'est pas parce qu'il pensait qu'il était convenable qu'il fût ailleurs, mais parce qu'il jugeait plus avantageux pour leur instruction qu'il ne fût pas constamment avec eux, et cela pour la raison que nous avons donnée (in corp.). D'ailleurs on ne sait pas en quels lieux il était corporellement dans les intervalles (I), puisque l'Ecriture n'en dit rien et que sa domination s'étend partout.

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Il faut répondre au troisième, que le premier jour il a apparu plus souvent, parce que ses disciples devaient être avertis par plusieurs preuves de sa résurrection, afin qu'ils y crussent dès le commencement. Mais après qu'ils eurent reçu la foi sur ce point, il n'était pas nécessaire, quand leur conviction a été formée, qu'ils fussent instruits par des apparitions aussi fréquentes. Ainsi on ne voit pas dans l'Evangile qu'après le premier jour il leur ait apparu plus de cinq fois. Car, comme le dit saint Augustin (Lib. iii de cons. Evang. cap. ult.), après les cinq premières apparitions il leur apparut une sixième fois quand Thomas le vit; une septième sur la mer de Tibériade, à la pêche des poissons; une huitième sur la montagne de Galilée, d'après saint Matthieu; une neuvième, d'après saint Mare, dans le dernier repas, parce que, depuis ce moment, ses disciples ne devaient plus manger avec lui sur la terre; une dixième, le jour même de l'ascension, n'étant déjà plus sur la terre, mais s'élevant dans les nues, lorsqu'il montai t. au ciel. A la vérité toutes ses actions n'ont pas été écrites, comme l'avoue saint Jean. Car il conversait souvent avec eux*, avant son ascension, et il le faisait pour les consoler. Ainsi, saint Paul rapporte (1Co 15,6) : Qu'il fut vu. en taxe seule fois par plus de cinq cents frères et qu'ensuite il se montra à Jacques et aux apôtres, et l'Evangile ne fait pas mention de ces apparitions.

34 Il faut répondre au quatrième, que saint Chrysostome expliquant ce passage (Hom. xxvi) : Après que je serai ressuscité je vous précéderai en Galilée, dit (Hom. lxxxiii in Math.) : II ne va pas dans une contrée éloignée pour leur apparaître, mais il s'est montré à eux dans la nation et dans le pays même où ils avaient le plus conversé avec lui, afin qu'ils fussent convaincus par là que celui qui est ressuscité était bien le même que celui qui a été crucifié. C'est pourquoi il dit qu'il va en Galilée pour les délivrer de la crainte des Juifs. Par conséquent, comme l'observe saint Ambroise (Sup. Luc. in fin. eom.), le Seigneur avait promis à ses disciple» qu'ils le verraient en Galilée, mais il leur a apparu d'abord dans le conclave où la crainte les tenait renfermés (et il n'a pas en cela manqué à sa promesse, il s'est au contraire empressé par bonté à la remplir), mais ensuite après qu'ils eurent repris courage, ils allèrent en Galilée.—D'ailleurs, rien n'empêche de dire qu'il y en eut quelques-uns dans le conclave et un plus grand nombre sur la montagne. Car, comme le remarque Eusèbe (hab. in Cat. div. Thom. sup. illud. Luc. ult. Stetit in medio), les deux évangélistes, c'est-à-dire saint Luc et saint Jean, rapportent qu'il n'apparut qu'aux onze apôtres dans Jérusalem tandis que les deux autres disent que l'ange et le Sauveur n'ordonnèrent pas seulement aux onze d'aller dans la Galilée, mais ils l'ordonnèrent encore à tous les disciples et à tous les frères, et c'est d'eux que parle saint Paul quand il dit : qu'il apparut en une fois à plus de cinq cents frères. — La réponse la plus vraie c'est que d'abord il s'est montré une fois ou deux à ceux qui étaient cachés à Jérusalem pour les consoler; au lieu que dans la Galilée on ne l'a pas vu en secret, ni une fois ou deux, mais il y a apparu avec une grande puissance, prouvant par une foule de prodiges qu'il était vivant, malgré sa passion, comme l'atteste saint Luc (Ac 1). Ou bien, comme le dit saint Augustin (Lib. iii de consens. Evang. cap. ult. ad fin.) : Ce que l'ange et le Seigneur ont dit, en annonçant qu'il les précéderait en Galilée, doit s'entendre prophétiquement. Car le mot Galilée signifie transmigration, ce qui

di On ne pourrait pas, sans témérité, soutenir qu'il a été pendant ce temps dans un endroit plutôt quo dans un autre.

indique que la grâce du Christ devait passer du peuple d'Israël dans les gentils, qui n'auraient pas cru aux prédications des apôtres, si le Seigneur ne leur eut préparé la voie dans les coeurs des hommes, et c'est ce qu'on entend par ces paroles : Il vous précédera en Galilée. Ou bien si on prend le mot Galilée selon qu'il signifie révélation, on ne doit plus considérer le Christ sous la forme de l'esclave, mais sous la forme par laquelle il est égal à son Père et qu'il a promise à ceux qui l'aiment. Il nous a précédés dans ce lieu d'où il n'est pas sorti en venant à nous et où il est arrivé avant nous sans nous abandonner.


ARTICLE iv. — le christ a-t-il du apparaitre a ses disciples sous une autre forme que la sienne?


III Pars (Drioux 1852) 1083