III Pars (Drioux 1852) 1104

ARTICLE iv. — le christ a-t-il du apparaitre a ses disciples sous une autre forme que la sienne?

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1 Il semble que le Christ n'ait pas dû apparaître à ses disciples sous une autre forme que la sienne. Car il ne peut paraître d'une manière vraie que ce qu'il est. Or, dans le Christ il n'y a eu qu'une seule forme, ou qu'une seule physionomie. S'il a apparu sous une autre, son apparition n'a donc pas été véritable, mais feinte, ce qui répugne; parce que, comme ledit saint Augustin (Quaest. lib. lxxxui, quaest. 13), si le Christ trompe, il n'est pas la vérité. Cependant il est la vérité, et par conséquent il semble qu'il n'ait pas dû apparaître à ses disciples sous une autre forme.

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Rien ne peut apparaître sous une autre forme que celle qu'il a, sans que les yeux de ceux qui le voient soient sous l'influence de quelques prestiges. Or, ces prestiges étant l'effet des arts magiques, ne conviennent pas au Christ, d'après ces paroles de saint Paul (2Co 4,45) : Qu'y a-t-il de commun entre le Christ et Bélial? II semble donc qu'il n'ait pas dû apparaître sous une autre l'orme.

3 Comme l'Ecriture sainte rend notre foi certaine; de même les disciples ont été rendus certains de la foi clans la résurrection du Christ par ses apparitions. Or, comme ledit saint Augustin (Epist, ad Hier, epist, viii, cap. 3, et ep. ix, cap. 3), si l'on rencontrait dans les Ecritures un seul mensonge, leur autorité serait entièrement détruite. Si donc le Christ était apparu à ses disciples une seule fois autrement qu'il n'est, tout ce que ses disciples ont vu en lui depuis sa résurrection se trouverait par là infirmé; cc qui répugne. Il  n'a donc pas dû se montrer sous une autre forme.

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Mais c'est le contraire. Saint Marc  dit (16. 12) : Après cela il apparut sous une autre forme à deux d'entre eux qui s'en allaient à la campagne.


CONCLUSION. — Le Christ après sa résurrection a dû apparaître sous sa propre forme à ceux qui étaient disposés à croire, mais pour ceux qui étaient moins bien disposés il a dû changer sa forme selon leur disposition diverse.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 et 2 huj. quaest.), la résurrection du Christ a dû être manifestée aux hommes de la même manière que les choses divines leur sont révélées. Or, les choses divines sont manifestées aux hommes de différentes manières, selon leurs différentes dispositions. En effet, ceux qui ont l'esprit bien disposé les perçoivent véritablement telles qu'elles sont; au lieu que ceux qui n'ont pas l'esprit bien disposé les perçoivent avec un mélange de doute ou d'erreur : Car l'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu, comme le dit saint Paul (1Co 2,14). C'est pourquoi le Christ après sa résurrection a apparu sous sa propre forme à ceux qui étaient bien disposés à croire, tandis qu'il a apparu sous une autre à ceux qui semblaient être tièdes dans la foi. C'est ce qui leur faisait dire (Lc 24 Lc 21) : Nous espérions qu'il rachèterait Israël. D'où saint Grégoire observe (Ilom. xxiii in Evang) qu'il s'est montré à eux corporellement, tel qu'il était dans leur esprit, et parce que leur coeur était encore éloigné de la foi, il feignit qu'il allait plus loin, comme s'il eût été un étranger.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme le dit saint Augustin (De quaest. Evang. lib. n, quaest. ult.), toutes les fictions ne sont pas des mensonges, mais il va mensonge quand nous feignons quelque chose qui ne signifie rien. Lorsque nos fictions ont une signification, elles ne sont pas des mensonges, mais une figure de la vérité; autrement tout ce que les sages et les saints ont dit en figure, ou tout ce que le Seigneur a dit lui-même, serait considéré comme autant de mensonges; puisque la vérité ne consiste pas dans ces expressions, d'après notre manière ordinaire de penser. Mais comme il y a des paroles figurées, de même il y a des faits que l'on peut feindre sans mentir pour signifier une chose. Et c'est ce qui s'est passé à l'égard de la résurrection, comme nous l'avons dit.

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Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (Lib. in de consens. Evang. cap. 25), le Seigneur pouvait transformer sa chair de manière que sa figure fût véritablement autre que ses disciples n'avaient l'habitude de la voir. Ainsi avant sa passion il s'est transformé sur la montagne, de telle sorte que son visage est devenu éclatant comme le soleil. Mais il n'en fut pas ainsi alors. Nous croyons avec raison que cet obstade qui pesait sur leurs yeux fut l'oeuvre de Satan qui les empêcha de reconnaître Jésus. C'est pourquoi l'Evangile dit (Lc 24 Lc 16) : que leurs yeux étaient tenus comme fermés, afin qu'ils ne pussent le reconnaître.

33 Il faut répondre au troisième, que cette raison serait concluante, si sous l'aspect d'une figure étrangère, ils n'avaient pas été amenés à voir véritablement la face du Christ. Car, comme le dit saint Augustin (ibid.), le Christ a permis que leurs yeux restassent fermés, comme nous l'avons dit, jusqu'au sacrement du pain, afin que l'on comprit que c'est par la participation à l'unité de son corps qu'on écarte ce qui empêche de pouvoir le reconnaître. C'est pourquoi, ajoute le même docteur, leurs yeux s'ouvrirent et ils le connurent; non Qu'ils aient marché auparavant les yeux fermés, mais parce qu'il y avait en eux quelque chose qui ne leur permettait pas de reconnaître ce qu'ils voyaient; comme aurait pu le faire, par exemple, un nuage ou une humeur qui se trouverait dans l'organe de la vue.



ARTICLE v. — le christ a-t-il du établir la vérité de sa résurrection par des preuves (1)?

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1 Il semble que le Christ n'ait pas dû montrer la vérité de sa résurrection par des preuves. Car saint Ambroise dit (De fid. lib. i, cap. 5) : Mettez de côté les arguments dès que vous cherchez la foi. Or, c'est la foi qu'on demande au sujet de la résurrection du Christ. Il n'y a donc pas lieu d'argumenter.

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Saint Grégoire dit (Hom. xxvi in Evang.): La foi n'a pas de mérite dès que la raison humaine vient à son aide. Or, il n'appartenait pas au Christ de rendre inutile le mérite de la loi. Il  ne lui appartenait donc pas non plus de prouver sa résurrection par des arguments.

Le Christ est venu en ce monde pour que les hommes arrivent par lui à la béatitude, d'après ces paroles de saint Jean (
Jn 10,10) : Je suis venu pour qu'ils aient la vie et pour qu'ils l'aient plus abondamment. Or, en donnant ces preuves il semble avoir mis un obstade à la béatitude des hommes; car il est dit (Jn 20,29) : Bienheureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru. Il semble donc que le Christ n'ait pas dû manifester sa résurrection par des preuves.

(l) Il faut distinguer ici deux sortes de preuves : les preuves purement rationnelles, ((iii font, voir l'essence des choses eu faisant uuitre l'évidence intrinsèque, et les preuves de fait, qui sont purement extrinsèques. Saint Thomas n'admet que ces dcrnicics quand il s'agit de la foi.

20 Mais c'est le contraire. Il est dit (Ac 1,3) que le Christ apparut à ses disciples pendant quarante jours, leur démontrant par beaucoup de preuves qu'il était vivant et leur parlant du royaume de Dieu.


CONCLUSION. — Le Christ n'a pas prouvé sa résurrection à ses disciples par des arguments évidents, mais il s'est contenté du témoignage de l'Ecriture ; seulement il a démontré par des signes manifestes qu'il était véritablement ressuscité d'entre les morts.

21 Il faut répondre que le mot d'argument s'entend de deux manières. Quelquefois on entend par argument une raison qui nous rend certains d'une chose qui était auparavant douteuse; d'autres fois on entend par argument un signe sensible que l'on emploie pour faire connaître une vérité. C'est ainsi qu'Aristote se sert quelquefois du mot d'argument dans ses ouvrages (Lib. de Rhet. ad Alex. cap. 14 et 15). Si l'on prend le mot d'argument dans le premier sens, le Christ n'a pas prouvé sa résurrection à ses disciples par des arguments. Car ce genre de preuve serait parti de principes qui n'auraient rien appris aux disciples, s'ils n'avaient été préalablement connus d'eux, parce que l'inconnu ne peut mener au connu; ou bien s'ils avaient été connus d'eux, ils n'auraient pas été supérieurs à la raison humaine, et par conséquent ils auraient été impuissants pour établir la foi de la résurrection qui surpasse notre raison; car il faut que les prémisses et la conclusion soient du même genre (1), comme ledit Aristote (Post. lib. i, text. 20).Mais il leur a prouvé sa résurrection par l'autorité de l'Ecriture (2) qui est le fondement de la foi, puisqu'il a dit : Il faut que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Psaumes et les prophètes, s'accomplisse (Lc 24 Lc 44). — Si on entend le mot argument de la seconde manière, on dit que le Christ a manifesté sa résurrection par des arguments, dans les ens qu'il a montré par des signes évidents qu'il était véritablement ressuscité (3). C'est pourquoi dans le grec au lieu des mots in multis argumentis, on lit le mot rexam'pi9> qui signifie signe évident pour prouver. Le Christ a donné à ses disciples des signes évidents de sa résurrection pour deux motifs : 1° Parce que leurs coeurs n'étaient pas disposés à croire facilement à sa résurrection. C'est pourquoi il leur dit (Lc 24 Lc 25) : O insensés dont le coeur est tardif à croire, et que d'après saint Marc (16. 14) : Il leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur coeur. 2° Pour rendre par les preuves qu'il leur a données leur témoignage plus efficace. Comme le disait saint Jean (1. Epist,1, 1) : Ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nos mains ont touché... voilà ce que nous attestons.

31 Il faut répondre au premier argument, que saint Ambroise parle en cet endroit des arguments qui procèdent de la raison humaine et qui sont à la vérité impuissants pour montrer ce qui est de foi, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

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Il faut répondre au second, que le mérite de la foi provient de ce que l'homme croit ce qu'il ne voit pas, d'après l'ordre de Dieu. Par conséquent le mérite n'est exclu que par la raison qui fait voir au moyen de la science ce que l'on propose à croire, et cette raison est la raison démonstrative. Mais le Christ n'a pas employé cette espèce de raison pour faire connaître sa résurrection.--

(1) Autrement on tomberait «tans le sophisme appelé íran»itus à genere ad genui.
(2) Ce genre d'arguments repose sur des faits, sur le fait de la révélation en général et de l'inspiration des livres saints en particulier.
(3) La résurrection étant un fait, elle ne peut être démontrée que par des faits.

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Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (in solut. prxc.), le mérite de la béatitude que la foi produit n'est totalement exclu qu'autant que l'homme ne voudrait croire que ce qu'il voit. Mais quand quelqu'un croit ce qu'il ne voit pas d'après des signes qu'il a vus (1), cette circonstance ne détruit pas totalement la foi, ni son mérite. C'est ainsi que le Seigneur dit à Thomas (Jn 20,29): Parce que vous m'avez vu vous avez cru; il a vu une chose et il en a cru une autre ; il a vu ses blessures et il a cru qu'il était Dieu. Mais celui qui ne demande pas ces secours pour croire, a une foi plus parfaite. Aussi le Seigneur dit. à quelqu'un en lui reprochant son défaut de foi (Jn 4,48): Si vous ne voyez des signes et des prodiges, vous ne croyez pas. D'après cela on peut comprendre que ceux qui ont l'esprit disposé à croire à Dieu, même sans voir de prodiges, sont bienheureux comparativement à ceux qui ne croient qu'autant qu'ils envoient.


ARTICLE VI. — les preuves dont Jésus-Christ s'est servi ont-elles suffisamment manifesté sa résurrection (2) ?

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1 Il semble que les preuves dont Jésus-Christ s'est servi n'aient pas suffisamment manifesté la vérité de sa résurrection. Car le Christ n'a rien montré à ses disciples après sa résurrection, que les anges qui ou t apparu aux hommes ne leur aient montré ou n'aient pu leur montrer. En effet les anges se sont montrés souvent aux hommes sous une figure humaine v ils parlaient avec eux, conversaient et mangeaient comme s'ils eussent été des hommes véritables; comme on le voit (
Gn 18) à l'égard des anges auxquels Abraham donna l'hospitalité, et de l'ange qui conduisit et qui ramena Tobie (Lib. Tob. ). Cependant les anges n'ont pas de corps véritables qui leur soient naturellement unis, ce qui est exigé pour la résurrection. Les preuves que le Christ a données à ses disciples n'ont donc pas été suffisantes pour manifester sa résurrection.

2 Le Christ est ressuscité d'une résurrection glorieuse, c'est-à-dire qu'il avait tout à la fois la nature humaine avec la gloire. Or, il y a des choses que le Christ a montrées à ses disciples et qui paraissent être contraires à la nature humaine ; comme quand il s'est évanoui à leurs yeux et qu'il est entré près d'eux les portes fermées ; et il y en a d'autres qui paraissent être contraires à la gloire, comme l'action de boire et de manger, les cicatrices de ses plaies qu'il a conservées. Il semble donc que ces preuves n'aient pas été suffisantes, ni convenables pour faire croire à sa résurrection.

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Le corps du «Christ n'était pas tel après sa résurrection qu'il dût être touché par un mortel. C'est pourquoi il dit à Magdeleine (Jn 20,17) : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Il n'a donc pas été convenable que pour manifester la vérité de sa résurrection il se soit donné à palper à ses disciples.

1 Parmi les qualités d'un corps glorifié, la clarté paraît être la principale; et cependant il n'en a donné aucune preuve dans sa résurrection. II semble donc que ces arguments aient été insuffisants pour manifester la qualité de la résurrection du Christ.

5 Les anges qui ont été témoins de la résurrection paraissent insuffisants par suite de la différence qu'il y a dans le récit des évangélistes. Car saint Matthieu nous montre l'ange assis sur la pierre, saint Mare décrit l'ange que les femmes virent après qu'elles furent entrées dans le tombeau; et d'après ces deux évangélistes il n'y avait qu'un ange, tandis que saint Jean dit qu'ils étaient deux assis (cap. xx) et que saint Luc les représente tous les deux debout (cap. xxiv). Ces témoignages de la résurrection ne paraissent donc pas convenables.

(1) Les preuves sont alors purement extrinsèques, et c'est pour ce motif que le mérite de la foi n'en est pas affaibli.
(2) Cet ARTICLE établit parfaitement que les apôtres n'ont pu être trompés au sujet de la résurrection du Christ. Les apologistes ont ajouté qu'ils n'avaient pas non plus trompé, et que, quand même ils l'auraient voulu, ils ne l'auraient pas pu. Voy. de la Luzerne, Dissertation sur la rcrité de la religion ; Abbadie et lîcrgier, Traité de la religion -, Ditiori, La religion chrétienne prouvée -par le seul fait de la mort de Jésus-Christ; Sherlock, Les témoins de la résurrection de Jésus-Christ examines suivant les règles du barreau.

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Mais c'est le contraire. Le Christ qui est la sagesse de Dieu dispose tout avec douceur et convenance, comme le dit le Sage(S«/>. viii).


CONCLUSION. — Le Christ a montré sa résurrection par des témoignages et des signes qui suffisent dans leur genre.

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Il faut répondre que le Christ a manifesté sa résurrection de deux manières : par des témoignages et par des preuves ou des signes; et ces deux manifestations ont été l'une et l'autre suffisantes dans leur genre. En effet, il a fait usage de deux sortes de témoignage pour manifester sa résurrection à ses disciples, et ni l'un ni l'autre ne peut être rejeté. Le premier de ces témoignages est celui des anges qui ont annoncé aux saintes femmes la résurrection, comme le rapportent tous les évangélistes; l'autre est celui des Ecritures dont il s'est lui-même servi pour montrer sa résurrection, comme le dit saint Luc (24). — Quant aux preuves, elles ont été également suffisantes pour montrer que sa résurrection a été véritable et glorieuse. En effet il a montré la vérité de sa résurrection, d'abord du côté du corps, et il l'a fait de trois manières. 4° Il a prouvé que son corps était véritable et solide, que ce n'était pas un corps fantastique ou rare comme l'air, et il l'a fait en montrant qu'il était palpable. C'est pour cela qu'il dit (Lc 24 Lc 39) : Palpez et voyez; car un esprit ri a ni chair, ni os, comme vous voyez que f en ai. 2° Il a montré que son corps était un corps humain, en se faisant voir à leurs yeux avec son propre visage. 3° Il leur a démontré que c'était numériquement le même corps qu'il avait eu auparavant, en leur découvrant les cicatrice» de ses plaies. D'où il leur dit (Lc 24 Lc 39) : Regardez mes mains et mes pieds, et reconnaissez que c'est moi-même. — Il a montré aussi la vérité de sa résurrection par rapport à son âme, qui s'est unie de nouveau à son corps. C'est ce qu'il a fait par les oeuvres des trois vies qui existent dans l'homme : 1° par les oeuvres de la vie nutritive, en ce qu'il a mangé et bu avec ses disciples, comme on le voit (Lc 24); 2° par les oeuvres de la vie sensitive, en ce qu'il répondait aux questions de ses disciples et qu'il saluait ceux qui étaient présents, montrant par là qu'il les voyait et les entendait; 3° par les oeuvres de la vie intellectuelle, en ce qu'il leur parlait et qu'il discutait avec eux sur les saintes Ecritures. Et pour qu'il ne manquât rien à la perfection de sa manifestation, il a montré aussi qu'il avait la nature divine par le mirade qu'il a fait en prenant des poissons, et ensuite parce qu'il s'est élevé au ciel sous leurs yeux. Car, comme il le dit lui-même (Jn 3,13) : Personne n'est monté au ciel, sinon celxd qui est descendu du ciel, le Fils de l'homme, lequel est dans le ciel. — Il a montré la gloire de sa résurrection à ses disciples, par là même qu'il est entré près d'eux les portes fermées. Car, d'après ce que dit saint Grégoire (Hom. xxvi in Evang.), le Seigneur leur a donné à palper le corps qui est entré dans le cénade les portes fermées, pour montrer qu'après sa résurrection son corps était de même nature, mais qu'il différait sous le rapport de la gloire. De même il appartenait aussi à la propriété de la gloire qu'il disparût subitement de devant leurs yeux, comme le dit l'Evangile (Lc 24), parce que par là il montrait qu'il était en son pouvoir d'être visible et invisible, ce qui appartient à la condition du corps glorieux, comme nous l'avons dit (quest. liv, art. 1 ad 2, et art. 3 ad I).

31 Il faut répondre au premier argument, que quoique chacun des arguments ne suffise pas pour manifester parfaitement la résurrection du Christ, cependant tous pris dans leur ensemble la manifestent parfaitement, surtout à cause du témoignage de l'Ecriture et des paroles des anges, et de l'assertion du Christ lui-même confirmée par des mirades. Mais les anges que l'on a vus n'assuraient pas qu'ils étaient des hommes, comme le Christ a assuré qu'il était homme véritablement. D'ailleurs le Christ et les anges n'ont pas mangé de la même manière; car les corps pris par les anges n'étant pas des corps vivants ou animés, ils ne mangeaient pas véritablement, quoiqu'ils eussent véritablement reçu les aliments et qu'ils les eussent fait passer dans la partie intérieure du corps qu'ils avaient pris. C'est pourquoi l'ange dit à Tobie (Tb 12,18) : Quand fêtais avec vous................................ je paraissais manger et boire avec vous, mais je fais usage d'une nourriture invisible. Au contraire le corps du Christ ayant été véritablement animé, il a véritablement mangé. Car, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, lib. xiii , cap. 22), les corps de ceux qui sont ressuscités ne perdront pas le pouvoir de manger, mais ils n'en éprouveront pas le besoin. C'est ce qui fait dire à Bède (cap. xcvii in ) que le Christ a mangé pour montrer qu'il le pouvait, mais non par besoin.

32 Il faut répondre au second, que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), parmi les arguments employés par le Christ, les uns avaient pour but de prouver la vérité de sa nature humaine, les autres de prouver la gloire de son corps ressuscité. Or, la condition de la nature humaine, selon qu'elle est considérée en elle-même, c'est-à-dire quant à l'état présent, est contraire à la condition de la gloire, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 15,43) : Ce qui est sans force quand on le met en terre ressuscitera plein de vigueur. C'est pourquoi les preuves qu'il apporte pour montrer la condition de la gloire paraissent être contraires à la nature, non d'une manière absolue, mais selon l'état présent et réciproquement. C'est ce qui fait dire à saint Grégoire (Hom. xxvi in ) : que le Seigneur a montré deux choses étonnantes et absolument contraires l'une à l'autre d'après la raison humaine, lorsqu'après sa résurrection il a montré que son corps était incorruptible et cependant palpable.

33 Il faut répondre au troisième, que, d'après saint Augustin ( Sup. Jean. tract, cxxi), ces paroles du Seigneur : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père, doivent s'entendre de manière que la femme représente l'Eglise des gentils, qui n'a cru au Christ qu'après son ascension vers son Père. Ou bien Jésus a voulu qu'elle crût en lui, c'est-à-dire qu'elle sût dans son esprit qu'il est un avec son Père, parce qu'il s'élève en quelque sorte vers son Père par l'intimité de la pensée, celui qui avance assez en lui pour le reconnaître égal à son Père. Au lieu que cette femme qui le pleurait comme un homme croyait encore en lui charnellement. Quant à ce qu'il est rapporté ailleurs que Marie a louché le Christ, quand elle s'en est approchée avec d'autres femmes et qu'elle a tenu ses pieds embrassés, il n'y a pas en cela de difficulté, comme le dit Séverien (id hab. Chrysol. Serm. lxxvi), puisque l'un s'entend figurativement et l'autre se rapporte au sexe; l'un se dit de la grâce divine et l'autre de la nature humaine. Ou bien, d'après saint Chrysostomo (Hom. lxxxv in ), cette femme voulait encore converser avec le Christ, comme avant sa passion, et elle ne pensait rien de grand dans sa joie, quoique le corps du Christ soit devenu beaucoup plus excellent depuis sa résurrection. C'est pourquoi il lui a dit : Je ne suis pas encore monté vers mon Père, comme s'il eût dit : ne pensez pas que je mène encore une vie terrestre-, car si vous me voyez encore sur la terre, c'est que je ne suis pas encore monté vers mon Père, mais je suis sur le point d'y monter. D'où il ajoute : Je monte vers mon Père et votre Père.

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Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Augustin (Dial. ad Oros. quest. xiv), le Seigneur est ressuscité avec un corps glorifié-, mais il n'a pas voulu se montrer à ses disciples dans cette gloire, parce que leurs yeux n'auraient pu en supporter la clarté. Car si, avant de mourir pour nous et de ressusciter, ses disciples n'ont pu le voir quand il s'est transfiguré sur la montagne, à plus forte raison n'auraient-ils pas pu le voir avec sa chair glorifiée. Il  faut aussi considérer qu'après la résurrection le Seigneur voulait surtout montrer qu'il était le même que celui qui était mort; ce qui l'en aurait empêché, s'il leur avait montré la clarté de son corps. Car le changement qui frappe la vue est celui qui montre le mieux la diversité de l'objet que l'on voit ; parce que c'est surtout à la vue à juger des choses sensibles communes, parmi lesquelles se trouvent l'un et le multiple, le même et le divers. Mais avant sa passion, de peur que ses disciples ne méprisassent sa faiblesse à l'instant de sa mort, le Christ se proposait, au contraire, de leur faire voir la gloire de sa résurrection, que la clarté du corps démontre tout principalement. C'est pourquoi, avant sa passion, il a démontré sa gloire à ses disciples par la clarté, et après sa résurrection il l'a fait par d'autres preuves.

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Il faut répondre au cinquième, que, comme le dit saint Augustin (Lib. m de co?isensu Evang. cap. 24), nous pouvons concevoir que les saintes femmes n'ont vu qu'un ange, d'après saint Mare et saint Matthieu, de manière que nous supposions qu'elles sont entrées dans le tombeau, c'est-à-dire dans l'espace qui se trouvait environné de pierres, et que là elles ont vu un ange assis sur la pierre roulée de devant le sépulere, comme le dit saint Matthieu, de telle sorte qu'il se trouvait assis à droite, d'après saint Marc; ensuite, quand elles regardèrent le lieu où avait été déposé le corps du Seigneur, elles virent deux autres anges, d'abord assis, comme le dit saint Jean, et qui se levèrent après de manière à paraître debout, comme le dit saint Luc.





QUESTION 56: DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST CONSIDÉRÉE COMME CAUSE.

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Nous devons maintenant nous occuper de la résurrection du Christ, considérée comme cause. — A cet égard deux questions se présentent : 1° La résurrection du Christ est-elle cause de la nôtre? — 2° La résurrection du Christ est-elle cause de notre justification ?



ARTICLE I. — la résurrection du christ est-elle cause de la résurrection des corps?

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1 Il semble que la résurrection du Christ ne soit pas cause de la résurrection des corps. Car quand on pose une cause suffisante, il est nécessaire qu'on pose aussi l'effet. Si donc la résurrection du Christ est une cause suffisante de celle des corps, aussitôt qu'il a été ressuscité tous les morts ont dû ressusciter aussi.

2
La cause de la résurrection des morts est la justice divine, c'est-à- dire c'est elle qui veut que les corps soient récompensés ou punis avec leurs âmes, comme ils ont participé à ses mérites ou à ses fautes, selon la pensée de saint Denis (De coelest. hier. cap. ult.) et de saint Jean Damascène (De orth. fid. lib. iv, cap. 28). Or, il serait nécessaire que la justice de Dieu s'accomplit, quand même le Christ ne serait pas ressuscité. Par conséquent la résurrection du Christ n'est pas cause de la résurrection des corps.

3
Si la résurrection du Christ était la cause de la résurrection des corps, elle en serait ou la cause exemplaire, ou la cause efficiente, ou la cause méritoire. Or, elle n'en est pas la cause exemplaire; parce que c'est Dieu qui opérera la résurrection des corps, d'après ces paroles du Christ (Jean,5, 21) : Comme le Père ressuscite les morts, et Dieu n'a pas besoin de considérer un modèle hors de soi. Elle n'en est pas non plus la cause efficiente ; parce que la cause efficiente n'agit que par le contact spirituel ou corporel, et il est évident que la résurrection du Christ n'a pas de contact corporel avec les morts qui ressusciteront, en raison de la distance des temps et des lieux ; et elle n'a pas non plus le contact spirituel qui s'exerce par la foi et la charité, puisque les infidèles et les pécheurs ressusciteront aussi. Enfin elle n'en est pas la cause méritoire, parce que le Christ ressuscité n'était plus à l'état de voyageur et que par conséquent il ne pouvait plus mériter. D'où il résulte que la résurrection du Christ ne parait être d'aucune manière la cause de la nôtre.

4
Puisque la mort est la privation de la vie, il semble que détruire la mort ne soit rien autre chose que de ramener à la vie, ce qui appartient à la résurrection. Or, le Christ en mourant a détruit notre mort. La mort du Christ est donc la cause de notre résurrection, et par conséquent nous ne devons pas l'attribuer à sa résurrection.

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Mais c'est le contraire. Sur ces paroles de saint Paul (1Co 15,12) : Si Von prêche que Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, etc., la glose dit (interi.) : qu'il est la cause efficiente de notre résurrection.


CONCLUSION. — Puisque le Christ est ressuscité comme étant les prémices de tous ceux qui dorment du sommeil de la mort, sa résurrection est cause de la nôtre.

21 Il faut répondre que ce qui est le premier dans un genre est cause de tout ce qui vient ensuite, comme le dit Aristote (Met. lib. ii, text. 4). Or, la résurrection du Christ a été la première résurrection véritable, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. liii, art. 3). Par conséquent il faut que la résurrection du Christ soit cause de la nôtre, et c'est ce qui fait dire à saint Paul (1Co 15,20) : Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts comme étant les prémices de ceux qui sont dans le sommeil de la mort; car c'est par un homme que la mort est venue, et c'est aussi par un homme que la résurrection des morts doit venir aussi. Et c'est avec raison ; car le principe de la vie de l'homme est le Verbe de Dieu, dont il est dit (Ps 35,10) : C'est en vous qu'est la source de vie. C'est pourquoi il dit lui-même (Jn 5,21) : Comme le Père ressuscite les morts et les vivifie, de même le Fils vivifie ceux qu'il veut. Or, l'ordre naturel des choses que Dieu a établies demande que toute cause opère d'abord sur ce qui lui est le plus proche et que par là elle opère sur les autres choses qui sont plus éloignées. C'est ainsi que le feu échauffe d'abord l'air qui est près de lui, et que par l'air il échauffe les corps qui sont à une certaine distance. Et Dieu lui-même éclaire d'abord les substances qui sont les plus près de lui, et par elles il éclaire celles qui en sont plus éloignées, comme le dit saint Denis (De coelest. hier. cap. 13). C'est pourquoi le Verbe de Dieu accorde d'abord la vie immortelle au corps qui lui est naturellement uni, et par ce corps il opère la résurrection dans tous les autres.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme nous l'avons dit (in corp. art.), la résurrection du Christ est la cause de la nôtre par la vertu du Verbe qui lui est uni ; mais il l'opère selon sa volonté. C'est pour ce motif qu'il n'est pas nécessaire que l'effet s'ensuive immédiatement, mais seulement selon la disposition du Verbe de Dieu ; de telle sorte qu'il faut d'abord que dans cette vie passible et mortelle nous soyons semblables au Christ souffrant et mourant et qu'ensuite nous parvenions à participer à la ressemblance de sa résurrection elle-même.

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Il faut répondre au second, que la justice de Dieu est la cause première de notre résurrection; mais que la résurrection du Christ en est la cause secondaire et pour ainsi dire instrumentale. Or, quoique la vertu d'un agent principal ne doive pas précisément être contrainte à employer tel ou tel instrument, cependant du moment qu'elle opère par un instrument, celui-ci devient cause efficiente. Ainsi la justice divine considérée en elle-même n'a pas été obligée à produire notre résurrection par la résurrection du Christ; car Dieu eût pu nous délivrer d'une autre manière que par la passion du Christ et sa résurrection, ainsi que nous l'avons dit (quest. xlvi, art. 2 et 3). Mais par là même qu'il a résolu de nous délivrer de cette manière, il est évident que la résurrection du Christ est la cause de la nôtre.

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Il faut répondre au troisième, que la résurrection du Christ n'est pas, à proprement parler, la cause méritoire de la nôtre, mais elle en est la cause efficiente et exemplaire. Elle en est la cause efficiente en tant que l'humanité du Christ, selon qu'elle est ressuscitée (1), est en quelque sorte l'instrument de sa divinité et opère par sa vertu, tel que nous l'avons dit (quest. xiii, art. 2 et 3). C'est pourquoi comme les autres choses que le Christ a faites ou souffertes dans son humanité, nous sont salutaires d'après la vertu de sa divinité, ainsi que nous l'avons dit (quest. xlviii, art. 6) : de même sa résurrection est la cause efficiente de la nôtre par la vertu divine, dont le propre est d® vivifier les morts. Cette vertu atteint par sa présence tous les lieux et tous les temps, et ce contact virtuel suffit pour rendre compte de son efficacité. C'est pour cela que, comme nous l'avons dit (in solut. praec.), la cause primordiale de la résurrection humaine est la justice divine qui donne au Christ le pouvoir de juger selon qu'il est le Fils de l'homme, et la vertu efficiente de sa résurrection s'étend non-seulement aux bons, mais encore aux méchants qui sont soumis à son jugement. D'ailleurs comme la résurrection du corps du Christ, par là même que ce corps est personnellement uni au Verbe, est la première dans le temps; de même elle est aussi la première en dignité et en perfection, comme le dit la glose (1Co 4, sup. illud : Primitiae Christus). Et parce que ce qui est le plus parfait est toujours le modèle de ce qui l'est moins selon son mode, il s'ensuit que la résurrection du Christ est la cause exemplaire de la nôtre. Cette cause est nécessaire non par rapport à celui qui ressuscite les morts, puisqu'il n'a pas besoin de type ou de modèle pour agir, mais par rapport à ceux qui sont ressuscités, parce qu'ils doivent être conformes à la résurrection du Christ, d'après ces paroles de saint Paul (Plût, 3, 21) : Il transformera notre corps vii et abject pour le rendre conforme à son corps glorieux. Cependant, quoique l'efficacité de la résurrection du Christ s'étende à la résurrection des bons aussi bien que des méchants ; sa vertu exemplaire ne s'étend proprement qu'aux bons (1), qui sont devenus conformes à sa filiation (2), selon l'expression de saint Paul (Rm 8).

(I) La vertu de ressusciter les morts lui a été communiquée dans sa résurrection par appropriation, comme elle a reçu celle de remettre le» péchés, par suite de sa passion.

34 Il faut répondre au quatrième, qu'en raison de son efficacité qui dépend de la vertu divine, la mort du Christ aussi bien que sa résurrection est communément la cause de la destruction de la mort aussi bien que de la réparation de la vie. Mais, à titre de cause exemplaire, la mort du Christ par laquelle il est sorti de cette vie mortelle est cause de la destruction de notre mort; au lieu que sa résurrection par laquelle il a commencé sa vie immortelle est cause de la réparation de notre vie. Mais sa passion en est en outre la cause méritoire, comme nous l'avons dit (quest. xlviii, art. 1).


ARTICLE II. — la résurrection du christ est-elle cause de la résurrection des Ames (3)?


III Pars (Drioux 1852) 1104