III Pars (Drioux 1852) 1122

ARTICLE II. — la résurrection du christ est-elle cause de la résurrection des Ames (3)?

1122
1 Il semble que la résurrection du Christ ne soit pas cause de la résurrection des âmes. Car saint Augustin dit (Tract, xxiii sup. Jean. ) que les corps ressuscitent par la dispensation humaine, au lieu que les âmes ressuscitent par la substance de Dieu. Or, la résurrection du Christ n'appartient pas à la substance de Dieu, mais à la dispensation humaine. Par conséquent, quoique la résurrection du Christ soit la cause de la résurrection des corps, cependant elle ne paraît pas être la cause de la résurrection des âmes.

2
Le corps n'agit pas sur l'esprit. Or, la résurrection du Christ appartient à son corps qui est tombé sous les coups de la mort. Elle n'est donc pas cause de la résurrection des âmes.

3
La résurrection du Christ étant cause de la résurrection des corps, les, corps de tous les hommes ressusciteront, d'après ces paroles de saint Paul (1Co 15,51) : Nous ressusciterons tous. Or, les âmes de tous les hommes ne ressusciteront pas, parce qu'il y en a qui iront au supplice éternel, comme le dit l'Evangile (Mt 25,46). La résurrection du Christ n'est donc pas cause de la résurrection des âmes.

4 La résurrection des âmes est produite par la rémission des péchés. Or, les péchés ont été remis par la passion du Christ, d'après ces paroles (Ap 1,5) : Il nous a lavés de nos péchés dans son sang. La passion du Christ est donc plutôt cause de la résurrection des âmes que sa résurrection.

20 Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Rm 4,25) : Il est ressuscité pour notre justification, qui n'est rien autre chose que la résurrection des âmes. Et sur ces paroles (Ps 29, Ad vesperum demorabitur fletus), la glose dit que la résurrection du Christ est cause de la nôtre ; qu'elle est cause de la résurrection de notre âme dans le présent et de celle de notre corps dans l'avenir.


CONCLUSION. — Puisque la résurrection du Christ agit en vertu de la divinité, non-seulement elle est la cause efficiente et exemplaire de la résurrection des corps, mais encore de celle des âmes.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 3), la résurrection du Christ agit en vertu de la divinité; et elle s'étend non-seulement à la résurrection des corps, mais encore à celle des âmes; car il dépend de Dieu que l'âme vive par la grâce et que le corps vive par l'âme. C'est pourquoi la résurrection du Christ a instrumentalement une vertu efficiente, non- seulement par rapport à la résurrection des corps, mais encore par rapport à la résurrection des âmes. Elle est aussi la cause exemplaire de la résurrection des âmes, parce que nous devons également ressembler par l'âme au Christ ressuscité. Car, selon la pensée de l'Apôtre (Rm 6,4) : Comme Jésus-Christ est ressuscité (Ventre les morts par la gloire de son Père, de même nous devons marcher dans une voie nouvelle, et, comme le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, de même il faut que nous nous considérions comme morts au péché pour revivre en lui.

(1)Omnes quidem resurgemus, sed non omnes immutabimur.
(2) Il est le Fils naturel de Dieu, et nous en sommes les fils adoptifs.
(5) Saint Paul dit (Rm 14) : In hoc mortuus est Christus et resurrexit, ut et virorum et mortuorum dominetur. (2Co 5): Pro omnibus mortuus est Christus, ut et qui vivunt jam non sibi vivant, sed ei qui pro ipsis mortuus est et resurrexit.

31 Il faut répondre au premier argument, que saint Augustin dit que la résurrection des âmes est produite par la substance de Dieu, quant à la participation, parce que c'est en participant à la bonté divine que les âmes deviennent bonnes et justes, et non en participant à une créature queleonque. C'est pourquoi, après avoir dit : Les âmes ressuscitent par la substance de Dieu, il ajoute : car l'âme devient heureuse par la participation de Dieu et non par la participation d'une âme sainte. Au contraire, c'est en participant à la gloire du corps du Christ que nos corps deviennent glorieux.

32
Il faut répondre au second, que l'efficacité de la résurrection du Christ arrive jusqu'à l'âme non par la vertu propre de son corps ressuscité, mais par la vertu de la divinité à laquelle il est personnellement uni.

33
Il faut répondre au troisième, que la résurrection des âmes appartient au mérite qui est l'effet de la justification ; au lieu que la résurrection des corps se rapporte aux peines ou aux récompenses qui sont des effets du jugement. Or, il n'appartient pas au Christ de justifier tous les hommes, mais de les juger tous ; c'est pour cela qu'il les ressuscitera tous selon le corps, mais qu'il ne les ressuscite pas tous selon l'âme.

34
Il faut répondre au quatrième, que dans la justification des âmes il y a deux choses, la rémission de la faute et le renouvellement de la vie par la grâce. Quant à l'efficacité qui est l'effet de la vertu divine, la passion du Christ aussi bien que sa résurrection est cause de notre justification sous ces deux rapports. Mais si nous considérons la cause exemplaire, la passion et la mort du Christ sont cause à ce titre de la rémission de la faute par laquelle nous mourons au péché: au lieu que la résurrection du Christ est cause de la vie nouvelle qui est produite par la grâce ou la justice. C'est pourquoi l'Apôtre dit (Rm 4,25) qu'il a été livré ou mis à mort pour nos péchés, c'est-à-dire pour les effacer; et qu'il est ressuscité pour notre justification. Mais la passion du Christ en est la cause méritoire, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 4).




QUESTION 57. DE L'ASCENSION DU CHRIST.

1140
Nous avons ensuite à parler de l'ascension du Christ. — A cet égard six questions se présentent : 1° A-t-il été convenable que le Christ montât au ciel? — 2° D'après quelle nature l'ascension lui convient-elle ? — 3U Est-il monté par sa vertu propre ? — 4"Est-il monté au-dessus de tous les cieux corporels ?—5° Est-il monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles? — 6U De l'effet de l'ascension.



ARTICLE I. — a-t-il été convenable que le christ montât au ciel (i)?

1141
1 Il semble qu'il n'ait pas été convenable que le Christ montât au ciel. Car Aristote (lit (De caelo, lib. ii, text. 63 et 66) que les choses qui existent de la meilleure manière possèdent leur bien sans mouvement. Or, le Christ a existé de la manière la plus excellente : car d'après sa nature divine il est le souverain bien, et d'après sa nature humaine il a été souverainement glorifié. Il a donc son bien sans mouvement, et parce que l'ascension est un mouvement, il n'eût pas été convenable que le Christ l'opérât.

2
Tout ce qui se meut le fait pour arriver à quelque chose de mieux. Or, il n'a pas mieux valu pour le Christ d'être dans le ciel que sur la terre; car il n'a rien gagné en entrant clans le ciel, ni quant à l'âme, ni quant au corps. Il semble donc qu'il n'ait pas dû monter au ciel.

3
Le Fils de Dieu a pris la nature humaine pour notre salut. Or, il aurait été plus avantageux pour les hommes qu'il restât toujours avec nous sur la terre. C'est pourquoi il a dit lui-même à ses disciples (Lc 17,22) : Il viendra un temps où vous désirerez voir un des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez point. Il semble donc qu'il n'ait pas été convenable que le Christ montât au ciel.

4 Comme le dit saint Grégoire (Mor. lib. xiv, cap. 29) : Le corps du Christ n'a point été changé après sa résurrection. Or, il n'est pas monté au ciel immédiatement après sa résurrection; car il dit lui-même, après qu'il a été ressuscité (Jn 20,17) : Je ne suis pas encore monté vers mon Père. Il semble donc qu'il n'ait pas dû non plus y monter après quarante jours.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit (Jn 20,17) : Je monte vers mon Père et votre Père.



CONCLUSION. — Puisque le Christ a commencé après sa résurrection une vie immortelle, il n'a pas été convenable qu'il restât sui' terre, mais il a dû monter au-dessus de tous les cieux.

21 Il faut répondre que le lieu doit être proportionné à celui qui l'occupe. Or, le Christ a commencé une vie immortelle et incorruptible par sa résurrection. Le lieu dans lequel nous habitons est le lieu de la génération et de la corruption, tandis que le lieu céleste est le lieu de l'incorruptibilité. C'est pourquoi il n'a pas été convenable que le Christ restât sur la terre après sa résurrection, mais il devait monter au ciel.

31
Il faut répondre au premier argument, que l'être le meilleur qui possède son bien sans mouvement est Dieu lui-même, parce qu'il est absolument immuable, d'après ces paroles du prophète (Ml 3,6) : Je suis le Seigneur et je ne change point. Mais toute créature change d'une certaine manière, comme on le voit dans saint Augustin (Sup. Gen. litt. lib. viii, cap. 14). Et parce que la nature que le Fils de Dieu a prise est restée une créature, comme il est évident d'après ce que nous avons dit (quest. ii, art. 1, et art. 7 ad 1 ), il ne répugne pas qu'on lui attribue un mouvement.

32 Il faut répondre au second , que par son ascension au ciel, le Christ n'a rien gagné pour ce qui est de l'essence de la gloire, soit par rapport au corps, soit par rapport à l'âme, mais il y a cependant gagné quelque chose relativement à la convenance du lieu, ce qui appartient au bien-être de la gloire, non que son corps ait été plus parfait ou qu'il se soit mieux conservé par suite de l'action du corps céleste, mais seulement parce qu'il était convenable qu'il fut là. Cette faveur appartenait d'une certaine manière à sa gloire, et cette convenance lui a causé une certaine joie, non comme s'il eût commencé à jouir d'une chose nouvelle quand il est monté au ciel, mais il s'en est réjoui d'une nouvelle manière, comme d'une chose accomplie. C'est pourquoi, à l'occasion de ces paroles (Ps 15) : Delectationes in dextera tua usque ad finem, la glose dit (ord. implic.) : J'éprouverai de la délectation et de la joie, quand je serai assis près de vous et soustrait aux regards îles hommes.

(f) Il  y a ou des hérétiques qui ont nié que le Christ fût monté au ciel, mais les symboles sont formels sur ce point : Ascendit ad caelos, et l'Ecriture rapporte le fait en plusieurs endroits (Mare, xvi) : Dominus Jésus, postquam locutus est eis,assumptus est in caelum. (Act. i): Videntibus illis, elevatus est; elnubessuscepit eum ab oculis eorum.

33 Il faut répondre au troisième, que quoique la présence corporelle du Christ ait été dérobée aux fidèles par l'ascension, néanmoins la présence de sa divinité est toujours restée parmi eux, d'après ces paroles (Mt 28 Mt 20) : Voilà que je suis avec vous tous les jours jusqu'à fa consommation des sièdes. Car, en montant au ciel, il n'a pas abandonné ceux qu'il a adoptés, comme le dit le pape saint Léon (Serm. ii De resurrect. cap. 3). Au contraire, sou ascension au ciel qui nous a privés de sa présence corporelle nous a été plus utile que s'il était resté corporellement parmi nous : 1° A cause de l'accroissement, de la foi qui a pour objet ce qu'on ne voit pas. C'est pourquoi le Seigneur dit lui-même à ses disciples (Jn 16) que le Saint-Esprit, lorsqu'il sera venu, convaincra: le monde touchant la justice, c'est-à-dire à l'égard de ceux qui croient, comme le dit saint Augustin (Tract, xcx sup. Jean. ). Car la comparaison même des fidèles est le blâme des incrédules. Aussi il ajoute : Parce que je m'en vais à mon Père et que vous ne me verrez plus. Çar bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient. Votre justice dont le monde sera convaincu consistera donc en ce que vous aurez cru en moi sans me voir. 2° Pour exciter notre espérance. C'est pour cela qu'il dit lui-même (Jn 14,3) : Quand je m'en serai allé et que je vous aurai préparé le Heu, je reviendrai et je vous prendrai avec moi afin que là où je serai vous y soyez aussi. Car par là même que le Christ a placé dans le ciel la nature humaine qu'il a prise, il nous a donné l'espérance d'y parvenir. parce que où sera le corps, les aigles s'assembleront, comme le dit l'Evangile (Mt 24,28). C'est ce qui fait dire au prophète (Mi 2,13) : Il montera , ouvrant le chemin devant eux. 3° Pour exciter en nous l'amour des choses du ciel. D'où l'Apôtre dit (Col 3,1): Recherchez ce qui est dans le ciel où Jésus est assis à la droite de Dieu; n'ayez de goût que pour les choses du ciel et non pour celles de la terre. Car, comme le dit le Christ lui-même (Mt 6,             votre trésor, là est votre coeur. Et parce que l'Esprit-Saint est l'amour qui nous porte vers les choses célestes, c'est pour ce motif que le Seigneur dit à ses disciples (Jn 16,7) : Il vous est utile que je m'en aille; car si je ne m'en vais pas, le Paradet ne viendra point à vous, au lieu que si je m'en vais, je vous l'enverrai; ce que saint Augustin explique en disant ( Tract, xciv) : Vous ne pouvez recevoir l'Esprit-Saint (1), tant que vous ne connaissez le Christ que selon la chair. Mais le Christ s'éloignant corporellement, non-seulement l'Esprit- Saint, mais le Père et le Fils ont été présents en eux spirituellement.

34 Il faut répondre au quatrième, que le ciel fut le lieu qui convenait au Christ ressuscité pour sa vie immortelle; cependant il a différé son ascension pour prouver la vérité de sa résurrection. D'où il est dit (Ac 1,3) : Qu'après sa passion il montra à ses disciples par beaucoup de preuves qu’il était vivant pendant quarante jours. A cette occasion la glose observe (ord.) que parce qu'il avait été mort pendant quarante heures, il veut montrer qu'il est vivant pendant quarante jours, ou bien on peut considérer ces quarante jours comme le type du siède présent pendant lequel le Christ vit dans son Eglise, ou bien parce que l'homme est composé de quatre éléments et qu'il est fait pour observer les dix préceptes de la loi.

(1) Les disciples ne pouvaient recevoir le paradet, parce que l'ascension a été la marque sensible de l'acceptation du sacrifice du Christ son Père.



ARTICLE II. — convenait-il au christ de monter au ciel selon sa nature divine (1)?

1142
1 Il  semble qu'il convenait au Christ de monter au ciel selon sa nature divine. Car il est dit (
Ps 46,6) : Dieu est monté clans la joie, et ailleurs (Dt 33,26) : Votre protecteur est celui qui est monté au ciel. Or, ces choses sont dites de Dieu avant l'incarnation du Christ. Il a donc convenu au Christ de monter au ciel, comme Dieu.

2 C'est au même qu'il appartient de monter au ciel et d'en descendre, d'après ces paroles de saint Jean (3, 13) : Personne ri est monté au ciel, sinon celui qui en est descendu. Et saint Paul dit (Ep 4,40) : Celui qui descend, c'est le même que celui qui monte. Or, le Christ est descendu du ciel non-seulement comme homme, mais encore comme Dieu. Car ce n'était pas sa nature humaine qui était au ciel auparavant, mais sa nature divine. Il semble donc que le Christ soit monté au ciel, comme Dieu.

3 Le Christ est monté vers son Père par son ascension. Or, il n'est pas parvenu à égaler son Père, comme homme, puisqu'il dit : Mon Père est plus grand que moi ( Jean, Jn 14,28). Il semble donc que le Christ soit monté au ciel comme Dieu.

20 Mais c'est le contraire. Sur ces paroles ( Ephes. Ep 4,9) : Pourquoi est-il dit qu'il est monté, sinon parce qu'il est descendu auparavant ? la glose dit (orcl. Pet. Lombard.) qu'il est constant que le Christ est descendu et monté selon l'humanité.


CONCLUSION. — Le Christ est monté au ciel, non selon la nature divine qui ne l'a jamais abandonné, mais comme homme il est entré dans le ciel parla vertu de sa divinité.

21 Il faut répondre que le mot selon peut signifier deux choses, la condition de celui qui monte et la cause de son ascension. S'il désigne la condition de celui qui monte, alors l'action de monter ne peut convenir au Christ selon la condition de la nature divine, soit parce qu'il n'y a rien de plus élevé que la divinité, où il puisse monter; soit parce que l'ascension est un mouvement local qui ne convient pas à la nature divine qui est immuable et qui n'occupe pas de lieu. Mais de cette ftianière, l'ascension convient au Christ, selon la nature humaine qui est contenue dans un lieu et qui peut être soumise au mouvement. Par conséquent, nous pouvons dire en ce sens, que le Christ est monté au ciel selon qu'il est homme et non selon qu'il est Dieu. — Si le mot selon désigne la cause de l'ascension, puisque le Christ est monté au ciel par la vertu de sa divinité et non par la vertu de sa nature humaine, on doit dire qu'il y est monté non selon qu'il est homme, mais selon qu'il est Dieu. D'où saint Augustin dit (Serm. de ascens. m) : C'est par ce qui est de nous que le Fils de Dieu a été attaché à la croix, mais c'est par ce qui est de lui qu'il est monté au ciel.

(i) Cet ARTICLE est une réfutation des disciples d'Apelle, qui prétendaient que te Christ est ressuscité et monté au ciel sans son corps; des carpocratiens, qui disaient qu'après le cru- citiement du corps du Christ, son âme avait été reçue au ciel, et sa chair était restée en terre sans avoir été glorifiée ; des passionistes, qui voulaient que le Christ eut quitté sa chair dans la passion, et qu'il fût ainsi monté au ciel, de manière que la divinité n'ait plus été unie à la chair. Le concile de Latran a condamné en ces termes toutes ces erreurs: Descendit ad inferos, resurrexit à mortuis, ascendit in caelum, sed descendit in anima, resurrexit in carne, ascenditque pariter in utroque

31
Il faut répondre au premier argument, que ces passages s'entendent prophétiquement de Dieu selon qu'il devait s'incarner. Cependant on peut dire que quoique le mot monter ne convienne pas à la nature divine dans son sens propre, cependant il peut lui convenir métaphoriquement. C'est ainsi qu'on dit qu'il monte dans le coeur de l'homme, quand il se le soumet et qu'il l'humilie, et on dit aussi métaphoriquement qu'il monte par rapport à toute créature, par là même qu'il la soumet à lui.

32
Il faut répondre au second, que c'est le même qui monte et qui descend. Car saint Augustin dit (De symbol. lib. iv, cap. 4) : Quel est celui qui descend? C'est le Dieu-homme. Et quel est celui qui monte? C'est encore le Dieu-homme? Cependant on attribue au Christ l'action de descendre de deux manières. Par l'une on dit qu'il est descendu du ciel; ce qui s'attribue au Dieu-homme selon qu'il est Dieu. En effet on ne doit pas entendre cette descente selon le mouvement local, mais par rapport à l'anéantissement qui lui a fait prendre la forme de l'esclave, lorsqu'il avait la forme de Dieu. Car, comme on dit qu'il a été anéanti, non parce qu'il a perdu sa plénitude, mais parce qu'il s'est uni à notre petitesse ; de même on dit qu'il est descendu du ciel non parce qu'il l'a abandonné, mais parce qu'il a pris notre nature terrestre dans l'unité de sa personne. — L'autre descente est celle par laquelle il est descendit, dans les parties inférieures de la terre, selon l'expression de l'Apôtre (Ep 4). Celle-là est locale, et par conséquent elle convient au Christ selon la condition de la nature humaine.

33 Il faut répondre au troisième, qu'on dit que le Christ est monté vers son Père, selon qu'il y est monté pour s'asseoir à sa droite; ce qui convient au Christ dans un sens selon la nature divine, et dans l'autre selon la nature humaine, comme nous le dirons (quest. seq. art. 3).



ARTICLE III. — le christ est-il monté au ciel par sa vertu propre?

1143
1 Il semble que le Christ ne soit pas monté au ciel par sa vertu propre. Car il est dit (
Mc 16) que le Seigneur Jésus, après avoir parlé à ses disciples, fut élevé dans le cml. Et ailleurs ( Act. Ac 1,9), qu'ils le virent s'élever en haut, et qu'une nuée le déroba à leurs regards. Or, ce qui est élevé (assumitur, levátur) paraît ôtre-mû par un autre. Le Christ n'a donc pas été élevé au ciel par sa vertu propre, mais par une vertu étrangère.

2 Le corps du Christ a été terrestre, comme nos corps le sont aussi. Or, il est contraire à la nature des corps terrestres de s'élever ; et comme un mouvement qui est contraire à la nature d'un corps ne peut résulter de sa vertu propre, il s'ensuit que ce n'est pas par sa vertu propre que le Christ est monté au ciel.

3
La vertu propre du Christ est la vertu divine. Or, ce mouvement ne paraît pas avoir été produit par la vertu divine, parce que la vertu divine étant infinie, ce mouvement aurait été instantané, et par conséquent il n'aurait pas pu monter au ciel sous les yeux de ses disciples, comme le dit saint Luc (Ac 1). Il semble donc que le Christ ne soit pas monté au ciel par sa vertu propre.

20 Mais c'est le contraire. Le prophète dit (Is 63,1) : Il s'avance, se faisant remarquer par la beauté de ses vêtements et par l'étendue de sa force. Et saint Grégoire ajoute (Hom. xxix in Evang.) : Il faut remarquer que l'Ecriture dit qu'Elie est monté sur un char, pour nous faire comprendre d'une manière sensible qu'un simple mortel avait besoin d'un secours étranger. Mais on ne voit pas que notre Rédempteur ait été soutenu ni par un char, ni par les anges, parce que celui qui avait fait toutes choses, était porté au- dessus de tout par sa vertu.


CONCLUSION. — Le Christ est monté au ciel par sa propre vertu, par sa vertu divine premièrement et secondairement par la vertu de l'âme glorifiée, qui faisait mouvoir le corps à son gré.

21 Il faut répondre que dans le Christ il y a deux sortes de nature, la nature divine et la nature humaine. Sa vertu propre peut donc se rapporter à l'une et à l'autre. Selon la nature humaine on peut considérer clans le Christ deux sortes de vertu : l'une naturelle qui procède des principes de cette nature ; il est évident qu'il n'est pas monté au ciel par cette vertu : l'autre qui réside dans sa nature humaine est la vertu de la gloire d'après laquelle il est monté au ciel. — II v en a qui attribuent cette vertu à la nature de la quintessence (4), qui est la lumière, qu'ils supposent appartenir à la composition du corps humain et qui, disent-ils, réconcilie tous les éléments contraires et les réunit en un seul : en sorte que dans l'état de cette vie mortelle la nature élémentaire domine dans les corps humains, et c'est pour ce motif que selon la nature de l'élément prédominant le corps de l'homme tend vers le centre de la terre par sa vertu naturelle, au lieu que dans l'état de gloire la nature céleste sera prédominante, et c'est par sa tendance et sa vertu que le corps du Christ et ceux des saints montent vers le ciel. Nous avons déjà dit ce que nous pensons de cette opinion (part. 1, quest. lxxvi, art. 7), et nous en parlerons plus longuement à l'occasion de la résurrection générale (Supplevi. quest. lxxxiv, art. 4). — Mais cette opinion étant mise de côté, d'autres rendent compte de cette vertu d'après la nature de l'âme glorifiée, dont l'éclat doit rejaillir sur le corps pour le rendre glorieux, comme le dit saint Augustin (Epist, cxvui ad Diosc.). Car le corps clans la gloire sera tellement soumis à l'âme bienheureuse que, comme le dit saint Augustin (De eiv. Dei, lib. xxii, cap. ult.), le corps sera immédiatement où l'esprit voudra, et l'esprit ne voudra rien qui ne puisse convenir à lui-même et au corps. Or, comme il convient qu'un corps glorieux et immortel soit dans un lieu céleste, ainsi que nous l'avons dit (art. 4 huj. quaest.), il s'ensuit que le corps du Christ est monté au ciel d'après la vertu de son âme qui le voulait. Et comme le corps*devient glorieux par la participation de l'âme, de même, selon l'expression de saint Augustin (Tract, xxiii sup. Jean ), l'âme devient bienheureuse par la participation de Dieu. Par conséquent la cause primitive de l'ascension du Christ au ciel, c'est la vertu divine. Ainsi donc il y est monté par sa vertu propre; par sa vertu divine premièrement, et secondairement, par la vertu de l'âme glorifiée qui meut le corps comme elle veut.

31
Il faut répondre au premier argument, que quoiqu'on dise que le Christ est ressuscité par sa vertu propre, néanmoins il a été ressuscité par son Père, parce que la vertu du Père et du Fils est la même; le Christ est aussi monté au ciel par sa vertu propre, mais cela n'empêche pas qu'il y ait été élevé par son Père.

laient expliquer l'union de l’âme et du corps. Saint Thomas a exposé et réfuté ce sentiment dans son Traité de l'âme. Voy. tome ii, page 31.

(I) Cette quintessence ou cette cinquième essence est ta lumière qu'on supposait émaner ou du ciel sidéral, ou du ciel cristallin , ou de l'empyrée, et par laquelle certains philosophes vou

32
Il faut répondre au second, que cette raison prouve que le Christ n'est pas monté au ciel par sa vertu propre qui est naturelle à la nature humaine; néanmoins il y est monté par sa vertu propre qui est la vertu divine, et par sa vertu propre qui appartient à l'âme bienheureuse. Et quoique l'ascension soit contraire à la nature du corps humain dans l'état présent, où le corps n'est pas absolument soumis à l'esprit ; cependant elle ne sera pas contraire au corps glorieux dont la nature entière est totalement soumise à l'esprit.

33
II faut répondre au troisième, que quoique la vertu divine soit infinie et opère infiniment pour ce qui est du sujet qui opère, cependant l'effet de sa ' vertu n'est produit dans les choses que selon leur capacité et selon les desseins de Dieu. Or, le corps n'est pas capable de recevoir localement un mouvement instantané ; parce qu'il faut qu'il soit mesuré par l'espace, et c'est d'après les divisions de l'espace que se mesure le temps, comme ledit Aristote (Phys. lib. vi, text. 36 et seq.). C'est pourquoi il ne faut pas qu'un corps mù par Dieu le soit instantanément; mais il faut qu'il le soit selon la rapidité que Dieu lui-même détermine.



ARTICLE iv. — le christ est-il monté au-dessus de tous les cieux ?

1144
1 Il semble que le Christ ne soit pas monté au-dessus de tous les cieux. Car il est dit (
Ps 10,5) : Le Seigneur est dans son saint temple, le Seigneur a son trône dans le ciel. Or, ce qui est dans le ciel n'est pas au-dessus du ciel. Le Christ n'est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.

2 Il n'y a pas de lieu au-dessus de tous les cieux, comme le prouve Aristote (De caelo, lib. i, text. 69). Or, il faut que tout corps existe dans un lieu. Le corps du Christ n'est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.

3
Deux corps ne peuvent exister dans le même lieu. Par conséquent, puisqu'on ne peut passer d'un extrême à un autre que par un milieu, il semble que le Christ n'aurait pu monter au-dessus de tous les cieux, à moins que le ciel ne fût divisé, ce qui est impossible.

4
Il est dit (Ac 1,9) : qu'une nuée le déroba à leurs regards. Or, les nuées ne peuvent pas être élevées au-dessus du ciel. Le Christ n'est donc pas monté au-dessus de tous les cieux.

5 Nous croyons que le Christ restera éternellement où il est monté. Or, ce qui est contre nature ne peut exister éternellement : parce que ce qui est selon la nature se rencontre dans le plus grand nombre d'individus et le plus souvent. Par conséquent, puisqu'il est contraire à la nature du corps terrestre d'être au-dessus du ciel, il semble que le corps du Christ n'y soit pas monté.

20
Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (Ep 4,10) : Il est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout accomplir.


CONCLUSION.—Puis que le corps glorieux du Christ a participé à la bonté divine de la manière la plus parfaite, il a été convenable qu'il fût élevé au-dessus de tous les cieux.

21 Il faut répondre que plus les corps participent parfaitement à la bonté divine et puis ils sont élevés dans l'ordre des choses corporelles qui est un ordre local. Ainsi nous remarquons que les corps qui sont les plus formels sont naturellement supérieurs aux autres, comme on le voit (Phys. lib. iv, impl. text. 43 et seq. De caelo, lib. ii, text. 30); car c'est par la forme que chaque corps participe à l'être divin, comme le dit encore Aristote (Phys. lib. i, text. 81). Or, un corps participe plus à la bonté divine par la gloire que tout corps naturel par la forme de sa nature; et parmi tous les corps glorieux il est évident que le corps du Christ est celui qui brille de la plus grande gloire. Par conséquent, il est très-convenable qu'il soit élevé au- dessus de tous les autres corps, et c'est pour cela que sur ces paroles de saint Paul (Eph. iv) : Ascendens in altum, la glose dit (interi.) : Il a été élevé sous le rapport du lieu et de la dignité.

31
Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que le siège de Dieu est dans le ciel, non comme en un lieu qui contient Dieu, mais plutôt comme en un lieu qui est contenu par lui. Par conséquent il n'est pas nécessaire qu'une partie du ciel soit supérieure à lui, mais il faut qu'il soit au-dessus de tous les cieux. Ainsi il est dit (Ps 8,3) : fotre magnificence, ó mon Dieu, est élevée au-dessus de tous les cieux.

32 Il faut répondre au second, que le lieu a la nature du contenant; par conséquent le premier contenant a la nature du premier lieu, qui est le premier ciel. Ainsi selon que les corps ont besoin par eux-mêmes d'être dans un lieu, ils ont besoin au même titre d'être contenus par le corps céleste. Mais les corps glorieux et surtout le corps du Christ n'ont pas besoin d'être contenus delà sorte, parce qu'il ne reçoit rien des corps célestes, et qu'il reçoit tout de Dieu par l'intermédiaire de l'âme. Par conséquent rien n'empêche que le corps du Christ ne soit en dehors de la sphère des corps célestes et qu'il ne soit pas dans un lieu qui le contienne. Néanmoins il n'est pas nécessaire pour cela que hors du ciel il y ait du vide, parce que là il n'y a plus de lieu, et qu'il n'est pas possible de recevoir un corps. Cependant le Christ a eu le pouvoir d'y parvenir. Et quand Aristote prouve (De caelo, lib. i) que hors du ciel il n'y a pas de corps, on ne doit entendre sa proposition que des corps à l'état naturel, comme on le voit par les preuves qu'il donne.

33
Il faut répondre au troisième, que quoique la nature des corps ne permette pas qu'ils existent plusieurs dans un même lieu, cependant Dieu peut faire, par mirade, qu'un corps existe simultanément avec un autre dans le même lieu, comme il l'a fait, quand le corps du Christ est sorti du sein de la bienheureuse Vierge et qu'il est entré près de ses disciples les portes fermées, selon l'observation de saint Grégoire (Hom. xxvi in Evang.). Le corps du Christ peut donc exister simultanément avec un autre corps dans le même lieu, non d'après sa propriété, mais par la vertu divine qui l'assiste et qui opère cette merveille.

34
Il faut répondre au quatrième, que cette nuée n'a pas été un aide qui ait soutenu le Christ dans son ascension à la manière d'un véhicule, mais elle a apparu comme une marque de sa divinité, ainsi que la gloire du Dieu d'Israël apparaissait au-dessus du tabernade tiaris une nuée.

35
Il faut répondre au cinquième, que le corps glorieux ne doit pas aux principes de sa nature de pouvoir être dans le ciel ou au-dessus du ciel ; mais il tient cette prérogative de l'âme bienheureuse qui lui communique la gloire ; et comme le mouvement d'ascension n'est pas violent pour un corps glorieux, de même le repos ne l'est pas non plus. Par conséquent rien n'empêche que son repos ne soit éternel.



ARTICLE v. — le corps du christ est-il monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles?

1145
1 Il semble que le corps du Christ ne soit pas monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles. Car on ne peut pas convenablement comparer des choses qui ne s'envisagent pas sous le même rapport. Or, Je lieu n'est pas attribué de la même manière aux créatures corporelles et spirituelles, comme on les voit d'après ce que nous avons dit (part. I, quest. liii). IÍ semble donc qu'on ne puisse pas dire que le corps du Christ est monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles.

2
Saint Augustin dit (Lib. de ver. relig. cap. 55) que l'esprit l'emporte sur tous les corps. Or, le lieu le plus élevé est dû à ce qu'il y a de plus noble. Il semble donc que le Christ ne soit pas monté au-dessus de toutes les créatures spirituelles.

3
Dans tout lieu il y a un corps, puisqu'il n'y a rien de vide dans la nature. Si donc aucun corps n'obtient un lieu plus élevé que l'esprit dans l'ordre des corps naturels, il n'y a pas de lieu au-dessus de toutes les créatures spirituelles. Le corps du Christ n'a donc pas pu monter au-dessus de toutes les créatures spirituelles.

20
Mais c'est le contraire. L'Apôtre dit (Ep 1,24) : It Va placé au-dessus de toutes les principautés et de toutes les puissances et de tout ce qui peut avoir un nom dans le siède présent et dans le siède futur (4).


CONCLUSION. — Quoique le corps du Christ ait été, selon la condition de sa nature, inférieur aux substances spirituelles, cependant, selon qu'il est uni à Dieu en personne, il l'emporte sur toutes les substances spirituelles; et c'est pour cela qu'il a été convenable qu'il fût élevé au-dessus de toutes les créatures.

21 Il faut répondre qu'on doit à une chose un lieu d'autant plus élevé qu'elle est plus noble; soit qu'on le lui doive à la manière du contact corporel, comme on le doit aux corps, soit qu'on le doive à la manière du contact spirituel, comme on le doit aux substances spirituelles. Ainsi le lieu céleste qui est le lieu le plus élevé est dû aux substances spirituelles d'après une certaine convenance, parce que ces substances sont les premières dans l'ordre des substances. Or, quoique le corps du Christ soit inférieur aux substances spirituelles, si l'on ne considère que la condition de la nature corporelle, cependant il l'emporte sur toutes ces substances, si l'on considère la dignité de l'union d'après laquelle il a été uni personnellement à Dieu. C'est pourquoi, d'après cette raison, il est convenable qu'il soit dans un lieu plus élevé au-dessus de toutes les créatures spirituelles. D'où saint Grégoire dit (Hom. xxix in Evang. Jscens.) : que celui qui avait fait toutes choses était élevé par sa vertu au-dessus de tout ce qui existe.

31
Il faut répondre au premier argument, que quoique le lieu s'attribue à la substance corporelle et à la substance spirituelle sous un rapport différent, cependant il y a de part et d'autre ce principe qui leur est commun, c'est que le lieu le plus élevé est attribué à la chose la plus noble.

32
Il faut répondre au second, que ce raisonnement repose sur le corps du Christ considéré selon la condition de sa nature corporelle, mais non en raison de l'union.                                                  #

33
Il faut répondre au troisième, que cette comparaison peut se considérer ou selon le rapport des lieux, et dans ce sens il n'y a pas de lieu assez élevé pour surpasser la dignité de la substance spirituelle, comme le suppose l'objection; ou selon la dignité des choses auxquelles le lieu est attribué. C'est dans ce sens qu'il est dû au corps du Christ qu'il soit au-dessus des créatures spirituelles.




III Pars (Drioux 1852) 1122