III Pars (Drioux 1852) 1146

ARTICLE VI. — l'ascension du christ est-elle cause de notre salut (2)?

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1 Il semble que l'ascension ne soit pas la cause de notre salut. Car le Christ a été cause de notre salut selon qu'il l'a mérité. Or, par son ascension il n'a rien mérité pour nous, parce que l'ascension appartient à la récompense de son exaltation et que le mérite et la récompense ne sont pas la même chose, pas plus que la voie et le terme. Il semble donc que l'ascension du Christ ne soit pas la cause de notre salut.

2
Si l'ascension du Christ est la cause de notre salut, il semble que ce soit surtout parce qu'elle est cause de la nôtre. Or, cet avantage nous a été conféré par sa passion ; parce que, comme le dit saint Paul (He 10,19) : Nous avons par le sang du Christ la liberté d'entrer avec confiance dans le sanctuaire. Il  semble donc que l'ascension du Christ n'ait pas été cause de notre salut.

(I) Et ailleurs (Ph. u) : Propter quod Deus exaltavit illum, et donavit illi nomen, quod est super omne nomen. (Heb. ii : Sedet ad dexteram majestatis in excelsis, tanto metiar angelis effectus, quanto differentius prae illis nomen haereditavit.
(2) Le concile «le Nicée est formel sur ce point : Qui propter nos homines et propter nostram salutem ascendit in caelum.

3 Le Christ nous a conféré le salut éternel, d'après ces paroles du prophète (Is 51,6) : Mon salut existera éternellement. Or, le Christ n'est pas monté au ciel pour y être éternellement, puisqu'il est dit (Ac 1,11) : Comme vous l'avez vu monter au ciel, de même il viendra. On lit aussi qu'il s'est montré à beaucoup de saints sur la terre depuis son ascension, comme on le rapporte de saint Paul (Ac 9). Il semble donc que son ascension ne soit pas cause de notre salut.

20 Mais c'est le contraire. Le Seigneur dit lui-même (Jn 16,7) : Il vous est avantageux que je m'en aille, c'est-à-dire que je m'éloigne de vous par l'ascension.


CONCLUSION. — L'ascension du Christ a été cause de notre salut, soit de noire part, selon que par son ascension notre âme est élevée vers lui, soit de sa part, selon qu'il nous a préparé le chemin qui mène au ciel.

21 Il faut répondre que l'ascension du Christ est cause de notre salut de deux manières : de notre part et de la sienne. De notre part en ce sens que par l'ascension du Christ notre âme est élevée vers lui; parce que par son ascension, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest. ad 3), il excite : 1° notre foi, 2° notre espérance, 3° notre charité; 4° il nous inspire un plus grand respect pour lui; car nous ne le considérons plus comme un homme terrestre, mais comme un Dieu céleste. C'est ce qui fait dire à l'Apôtre (2Co 5,16) : Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, c'est-à-dire si nous l'avons connu comme étant mortel et que par là nous l'ayons considéré simplement comme un homme, selon l'explication de la glose (ord. et interi. Petri Lomb.), maintenant nous ne le connaissons plus de la sorte. — De sa part, quant aux choses qu'il a faites il est monté au ciel pour notre salut. En effet, 1° il nous a préparé le chemin qui y mène, selon ses propres paroles (Jn 14,2) : Je vais vous préparer une place, et d'après le prophète qui dit (Mi 2,13) : qu'il est monté ai ciel leur ouvrant devant eux la voie. Car, puisqu'il est notre chef, il faut que nous qui sommes ses membres nous allions là où la tête nous a précédés. C'est pourquoi il dit (Jn 14,3) : Il faut que vous soyez où je suis. Et en preuve de cela il a emmené au ciel les âmes des sain ts qu'il avait fait sortir de l'enfer, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 67,17) citées par saint Paul (Ep 4,8) : Etant monté en haut il a emmené captive une multitude de captifs, c'est-à-dire que ceux qui avaient été retenus captifs par le démon ont été emmenés par lui dans le ciel, comme dans un lieu étranger à la nature humaine, les ayant conquis de la manière la plus glorieuse par la victoire qu'il a remportée sur leur ennemi. 2° Parce que comme le pontife entrait dans le sanctuaire sous l'Ancien Testament pour prier Dieu pour le peuple ; de même le Christ est entré dans le ciel pour intercéder pour nous, selon l'expression de l'Apôtre (He 7). Car sa nature humaine qu'il a emportée dans le ciel est par sa présence même une sorte d'intercession constante pour nous, puisque par là même que Dieu a ainsi exalté la nature humaine dans le Christ, il doit avoir aussi pitié de ceux pour lesquels son Fils a pris cette nature. 3° Afin qu'étant établi comme Dieu et comme Seigneur sur son trône céleste, il répande de là sur les hommes les dons divins, d'après cette pensée de saint Paul (Ep 4,10) : Il est monté au-dessus de tous les cieux pour tout remplir, c'est-à-dire, d'après la glose (interi.), pour tout remplir de ses dons.

31 Il faut répondre au premier argument, que l'ascension du Christ est la cause de notre salut, non comme cause méritoire, mais comme cause efïciente, ainsi que nous l'avons dit de la résurrection (quest. préc. art. 1).

32
Il faut répondre au second, que la passion du Christ a été la cause de notre ascension au ciel, à proprement parler, en écartant le péché qui nous empêchait d'y aller et à titre de cause méritoire ; mais son ascension est directement la cause de la nôtre, parce qu'elle l'a commencée dans notre chef auquel il faut que les membres soient unis.

33
Il faut répondre au troisième, que le Christ en montant une fois au ciel a acquis pour lui et pour nous le droit éternel et la grâce inappréciable d'y rester toujours. Mais il ne déroge pas à ce droit, si par une dispense queleonque il descend quelquefois corporellement sur la terre, soit pour se montrer à tous les hommes comme dans le jugement, soit pour se montrer spécialement à quelqu'un, comme à saint Paul, ainsi qu'on le rapporte (Ac 9). Et dans la crainte qu'on ne croie que ce fait s'est passé sans que le Christ fût corporellement présent, et qu'il a seulement apparu d'une manière queleonque, saint Paul assure positivement le contraire quand il dit que ce fut pour confirmer la foi en sa résurrection, qu'il s'est montré à lui qui est venu après tous les autres et qui n'est qu'un avorton (1Co 15,8). Cette vision ne prouverait pas la vérité de la résurrection, si ce n'était pas le corps véritable du Christ que l'Apôtre eût vu.




QUESTION 58. DU CHRIST SELON QU'IL EST ASSIS A LA DROITE DE SON PÈRE (1).

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(I) Cette question a pour objet d'expliquer ces paroles du symbole : Sedet ad dexteram Dei Patrii, qui sont empruntées d'ailleurs à l'Evangile (
Mc 16,19).

Après avoir parlé de l'ascension, nous devons nous occuper du Christ selon qu'il est assis à la droite de son Père. — A cet égard il y a quatre questions qui se présentent : 1° Le Christ est-il assis à la droite de Dieu son Père? — 2° Cette chose lui convient-elle selon la nature divine ? — 3° Lui convient-elle selon la nature humaine? — 4° Est-elle propre au Christ ?


ARTICLE I. — Convient-il au christ d'être assis a la droite de Dieu son père?

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1 Il semble qu'il ne convi&me pas au Christ de s'asseoir à la droite de Dieu son Pére. Car la droite et la gauche sont des différences qui résultent de la position des corps. Or, rien de corporel ne convient à Dieu, parce que Dieu est esprit, comme on le voit (
Jn 4,24). il semble donc que le Christ ne soit pas assis à la droite de son Père.

2 Si quelqu'un est assis à la droite d'un autre, celui-ci est assis à la gauche du premier. Si donc le Christ est assis à la droite de son Père, il s'ensuit que le Père est assis à la gauche du Fils, ce qui n'est pas convenable.

3
S'asseoir et se tenir debout paraissent des positions contraires. Or, saint Etienne dit (Ac 7,55) : Voila que je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme se tenant debout à la droite de la vertu de Dieu. Il semble donc que le Christ ne soit pas assis à la droite de son Père.

20 Mais c'est le contraire. Saint Marc dit (Mc 16,19) : Le Seigneur Jésus après qu'il leur eut parlé monta au ciel où il est assis à la droite de Dieu.


CONCLUSION. — Il convient au Christ d'être assis à la droite de Dieu son Père, selon qu'il reste d'une manière éternelle et immuable dans la gloire du Père, et que régnant avec lui, il en reçoit le pouvoir de juger tous les hommes.

21 Il faut répondre que le mot s'asseoir, peut signifier deux choses : 1° le repos, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 26,49) : Asseyez-vous là dans la ville; 2° la puissance royale ou judiciaire, d'après ces paroles du Sage (Pr 20,8) : Le roi qui est assis sur son trône pour rendre la justice dissipe tout le mal par son seul regard. Il a convenu au Christ de s'asseoir à la droite de son Père de ces deux manières. 4° Selon qu'il demeure d'une manière éternelle et immuable dans la béatitude de son Pcre qu'on appelle sa droite, selon cette expression du Psalmistce (Ps 15,40) : Mes jouissances sont dans votre droite jusqu'à la fin. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (De symb. lib. r, cap. 4), que dans ce passage : Il est assis à la droite, le mot il est assis a le même sens que le verbe habiter, comme quand on dit de quelqu'un : il est resté (sedit) dans ce pays pendant trois ans. Par conséquent, ajoute-t-il, croyez donc que le Christ habite à la droite de Dieu le Père : car il est bienheureux, et c'est la béatitude elle-même qu'on désigne par la droite du Père. 2° On dit que le Christ est assis à la droite de Dieu le Père, selon qu'il règne avec lui et qu'il en reçoit la puissance judiciaire ; comme celui qui est assis près du roi à sa droite est l'assesseur qui règne et qui juge avec lui. D'où saint Augustin dit (Serm. de symbol. lib. ii, cap. 7) : Par la droite entendez la puissance qu'a reçue de Dieu le Christ comme homme, de manière que celui qui était venu d'abord pour ôtre jugé vienne ensuite pour juger les autres.

31 Il faut répondre au premier argument, que, comme l'observe saint Jean Damaseène (Orth. fid. lib. iv, cap. 2), la droite du Dère ne marque pas une différence locale, car comment celui qui ne peut être circonscrit dans un lieu pourrait-il avoir une droite localement? En effet la droite et la gauche se rapportent aux choses qui sont circonscrites. Mais quand nous parlons de la droite du Père nous désignons la gloire et l'honneur de la divinité.

32
Il faut répondre au second, que ce raisonnement suppose que le mot s'asseoir à la droite s'entend corporellement. D'où saint Augustin dit (in quod. serm. de Symb. lib. i, cap. 4) : Si nous entendions dans un sens charnel que le Christ est assis à la droite de son Père, il faudrait que celui-ci fût à sa gauche. Mais là, c'est-à-dire dans l'éternelle béatitude, tout est à droite, parce qu'il n'y a point de misère.

33
Il faut répondre au troisième, que, selon ta remarque de saint Grégoire (Hom. Ascens. xxix in ), il appartient à celui qui juge d'être assis, et à celui qui combat ou qui aide d'être debout. Par conséquent saint Etienne dans le fort du combat vit debout celui qui l'aidait. Mais saint Mare nous représente le Christ assis après son ascension, parce qu'après la gloire de ce dernier mystère, on doit le voir apparaître à la fin comme juge.



ARTICLE II. — convient-il au christ, comme Dieu, d'être assis à la droite de son père (1)?

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(I) Le Christ nous dit lui-même qu'il est assis comme Dieu à la gloire de son Père (
Mt 23, Quid vobis videtur de Christo? Cujus filius est? Dicunt ci David : ait illis : Quomodo ergo David in spiritu vocat cum'Dominum, dicens : Dixit Dominus Domino meo : Sede à dextris meis ? Si ergo David vocat eum Dominum, quomodo filius ejus est ?

1 Il semble qu'il ne convienne pas au Christ, comme Dieu, d'être assis à la droite de son Père. Car le Christ, comme Dieu, est la droite du Père. Or, il ne semble pas que la droite de quelqu'un et celui qui est assis à sa droite soit une même chose. Le Christ, comme Dieu, n'est donc pas assis à la droite de son Père.

2 L'Evangile dit (Mc 16 Mc 49) : que le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et qu'il s'assit à la droite de Dieu. Or, le Christ n'a pas été enlevé au ciel comme Dieu. Ce n'est donc pas non plus comme Dieu qu'il est assis à la droite de son Père.

Le Christ, comme Dieu, est égal au Père et à l'Esprit-Saint. Si donc le Christ, comme Dieu, est assis à la droite du Père, pour la même raison l'Esprit-Saint sera assis à la droite du Père et du Fils, et le Père sera assis à la droite du Fils et de l'Esprit-Saint; ce qui ne se trouve nulle part.


20 Mais c'est le contraire. Saint Jean Damascène dit (Orth. fid. lib. iv, cap. 2) : que nous appelons la droite du Père la gloire et l'honneur de la divinité, dans laquelle le Fils de Dieu a existé avant les sièdes, comme Dieu et comme étant consubstantiel à son Père.


CONCLUSION. — Il est convenable de dire que le Christ, comme Dieu, est assis à la droite de Dieu son Père, dans le sens qu'il a avec le Pere la gloire de la divinité, la béatitude et ta puissance judiciaire.

21
Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc.), sous le nom de droite on peut comprendre trois choses : 1° d'après saint Jean Damascène, la gloire de la divinité; 2° selon saint Augustin (Lib. cont. serm. Arian. cap. 12, et Lib. i de stpnb. cap. 4), la béatitude du Père; 3° d'après le même docteur (ibid, et sup. Ps. 109), la puissance judiciaire. Le mot assis désigne, suivant ce que nous avons vu ( art. préc.), l'habitation dans un lieu, ou la dignité royale ou judiciaire. Par conséquent être assis à la droite du Père n'est rien autre chose que d'avoir simultanément avec le Père la gloire de la divinité et la béatitude et la puissance judiciaire, et de posséder toutes ces choses d'une manière immuable et royale. Or, c'est ce qui convient au Fils de Dieu comme Dieu. D'où il est manifeste que le Christ, comme Dieu, est assis à la droite du Père, de telle (sorte cependant que la préposition à, qui est transitive (1), implique seulement une distinction personnelle et un ordre d'origine, mais non un degré de nature ou de dignité; ce qui n'existe pas dans les personnes divines, comme nous l'avons vu (part. i, quest. lxii).

31
Il faut répondre au premier argument, qu'on dit que le Fils de Dieu est la droite du Père par appropriation, de la même manière qu'on dit qu'il est la vertu du Père; mais la droite du Père, selon les trois significations que nous y avons attachées, est quelque chose de commun aux trois personnes.

32
Il faut répondre au second, que le Christ, comme homme, a été élevé à l'honneur divin que l'on désigne en disant qu'il est assis à la droite de son Père; mais cependant cet honneur divin lui convient, comme Dieu, non parce qu'il y a été élevé, mais par son origine éternelle.

33
Il faut répondre au troisième, qu'on ne peut dire d'aucune manière que le Père est assis à la droite du Fils ou de l'Esprit-Saint; parce que le Fils et l'Esprit-Saint tirent leur origine du Père et non réciproquement. Mais on peut dire d'une manière propre que l'Esprit-Saint est assis à la droite du Père ou du Fils dans le sens que nous avons déterminé; quoique, d'après une certaine appropriation, on l'attribue au Fils auquel on approprie l'égalité, suivant cette pensée de saint Augustin, qui dit (De doct. christ, lib. i, cap. 5) que l'unité est dansle Père, l'égalité dans le Fils, et la connexion de l'unité et de l'égalité dans l'Esprit-Saint.



ARTICLE III — convient-il au christ d'être assis, comme homme, a la droite du père (2)?

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1 Il semble qu'il ne convienne pas au Christ, comme homme, d'être assis à la droite du Père. Car, comme le dit saint Jean Damascène (Orth. fid. lib. iv cap. 2), nous appelons la droite dn Père la gloire et l'honneur de la divinité. Or, l'honneur et la gloire de la divinité ne conviennent pas an Christ comme homme. Il semble donc que le Christ, comme homme, ne soit pas assis à la droite du Père.

(t) On appelle ainsi une préposition qui marque le passage d'une chose a une autre. C'est ce qui fait dire aux grammairiens : Constructio transitiez exigit diversitatem construcli, saltem secundum rationem., (2) Saint Jean dit (Apoc. \) : Dignus est

Agnus, qui occisus est, accipere virtutem, et divinitatem, et sapientiam, et fortitudinem, et honorem, et gloriam, et benedictionem. Omnes audivi dicentes sedenti in trono et agnu : Benedictio, et honor, et gloria, et potestas in saecula saeculorum.

2
L'honneur d'être assis à la droite de celui qui règne semble exclure la soumission ; parce que celui qui est assis à la droite du roi, règne d'une certaine manière avec lui. Or, le Christ, comme homme, a été soumis à son Père, ainsi qu'on le voit (1Co 15). Il semble donc que, comme homme, il ne soit pas à la droite du Père.

3 Sur ces paroles (Rm 8) : qui est à la droite de Dieu, la glose dit (interi, et ord. Ambros.) : qui est égal au Père relativement à l'honneur par lequel le Père est Dieu ; ou bien à la droite du Père, c'est-à-dire qui est égal au Père pour lesbiensde Dieu les plus excellents. Et sur ces paroles (He 1) : Il est assis à la droite de la"majesté au plus haut des cieux, la glose (interi.) ajoute, c'est-à-dire qu'il est égal au Père au-dessus de tout, par le lieu et la dignité. Or, il ne convient pas au Christ, comme homme, d'être égal à Dieu; car, sous ce rapport, il dit lui-même (Jn 14,28) : Mon Père est plus grand que moi. Il semble donc qu'il ne convienne pas au Christ, comme homme, d'être assis à la droite du Père.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. ii 'de symb. cap. 7) : Entendez par la droite la puissance qu'a reçue cet homme que Dieu a pris, de manière que celui qui était venu d'abord pour être jugé vienne ensuite pour juger les autres.


CONCLUSION. — On dit que le Christ, comme Dieu, est assis à la droite de son Père, selon qu'il n'a qu'une même nature avec lui, mais comme homme il est aussi assis à sa droite, selon que l'homme marque le suppôt divin, digne du même honneur dans la nature qu'il a prise, et établi dans la jouissance la plus élevée des biens éternels.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. préc.), sous le nom de la droite du Père on comprend ou la gloire elle-même de la divinité, ou sa béatitude éternelle, ou la puissance judieiaiffe et royale. La préposition à désigne qu'on approche vers la droite; et cet accès indique dans le même sujet une convenance et une certaine distinction tout à la fois, comme nous l'avons vu (art. préc.). Ce qui peut avoir lieu de trois manières: 1° Il peut se faire que la convenance existe dans la nature et la distinction dans la personne. C'est ainsi que le Christ, selon qu'il est le Fils de Dieu, est assis à la droite du Père, parce qu'il a la même nature que lui. Par conséquent toutes les choses dont nous venons de parler conviennent essentiellement au Fils comme au Père, et c'est ce qui fait qu'on dit qu'il est égal au Père. 2° Il peut se faire que cet accès se rapporte à la grâce d'union qui implique au contraire la distinction de nature et l'unité de personne. Sous ce rapport le Christ, comme homme, est le Fils de Dieu, et par conséquent il est à droite du Père ; de telle sorte cependant que le mot comme ne désigne pas la condition de la nature, mais l'unité du suppôt, ainsi que nous l'avons dit (quest. xvi, art. IO). 3° Cet accès peut s'entendre de la grâce habituelle qui est plus abondante dans le Christ que dans toutes les autres créatures, en ce sens que la nature humaine, dans le Christ, est plus heureuse que les autres créatures, et qu'elle a la puissance royale et judiciaire sur toutes les autres. — Par conséquent si le mot comme désigne la condition de la nature, le Christ, comme Dieu, est assis à la droite du Père, c'est-à-dire qu'il lui est égal; mais, comme homme, il est assis à la droite du Père, c'est-à-dire qu'il jouit des biens du Père mieux que toutes les autres créatures, en tant qu'il a une béatitude plus grande et qu'il a la puissance judiciaire. Mais si le mot comme désigne l'unité du suppôt, alors, comme homme, il est également assis à la droite du Père, selon l'égalité d'honneur, en ce sens que nous rendons le même honneur au Fils de Dieu avec la nature qu'il a prise, ainsi que nous l'avons dit (quest. xxv, art. 1).

31
Il faut répondre au premier argument, que l'humanité du Christ considérée dans sa nature n'a pas la gloire ou l'honneur de la divinité, qu'elle possède cependant en raison de la personne à laquelle elle est unie. C'est pourquoi saint Jean Damascène ajoute : le Fils de Dieu, qui existe avant tous les sièdes comme Dieu et consubstantiel à son Père, est assis dans cette gloire, c'est-à-dire dans la gloire de la divinité, avec sa chair qui est glorifiée avec lui ; car toute créature l'adore d'une seule et même adoration avec son corps.

32
Il faut répondre au second, que le Christ, comme homme, est soumis à son Père, selon que le mot comme désigne la condition de la nature. Sous ce rapport il ne lui convient pas d'être assis, comme homme, à la droite de son Père, à titre d'égal. Mais il lui convient d'être ainsi assis à la droite de son Père, selon que par là on désigne l'excellence de sa béatitude, et la puissance judiciaire qu'il a sur toutes les créatures.

33
Il faut répondre au troisième, qu'il n'appartient pas à la nature humaine du Christ d'être égale au Père, mais seulement à la personne qui la prend ; au lieu qu'il convient à la nature qu'elle a prise de jouir des biens de Dieu les plus excellents selon qu'elle est au-dessus de toutes les créatures.



ARTICLE iv. — est-il propre au christ d'être assis a la droite du père?

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1 Il semble qu'il ne soit pas propre au Christ d'être assis à la droite du Père. Car l'Apôtre dit (
Ep 2,6) : que Dieu nous a ressuscités avec Jésus- Christ et qu'il nous a fait asseoir avec lui dans le ciel. Or, ce n'est pas le propre du Christ d'être ressuscité. Pour la même raison il ne lui est donc pas propre non plus d'être assis à la droite de Dieu au plus haut des cieux.

2 D'après saint Augustin (De Symb. lib. i, cap. 4) : quand on dit que le Christ est assis à la droite dit Père, cela signifie qu'il habite dans sa béatitude. Or, ceci convient à beaucoup d'autres. Il semble donc que ce ne soit pas le propre du Christ d'être assis à la droite de son Père.

3
Le Christ a dit lui-meme (Ap 3,21) : Quiconque sera victorieux je le ferai asseoir avec moi sur mon trône, comme j'ai été moi-même victorieux et je me suis assis avec mon Père sur son trône. Or, le Christ est assis à la droite, de son Pôrê par là même qu'il est assis sur son trône. Ceux qui sont victorieux sont donc aussi assis à la droite du Père.

4 Le Seigneur dit (Mt 20,23) : Ce n'est pas àmoi à vous donner d'être assis à ma droite ou à ma gauche, mais cela est réservé à ceux pour qiá mon Père l'a préparé. Or, ces paroles seraient vaines, si cet avantage n'avait pas été préparé à quelques-uns. Il n'a donç pas convenu au Christ seul de s'asseoir à la droite de son Père.

20 Mais c'est le contraire. Saint Paul demande (He 1,13) : Auquel des anges a-t-il jamais dit: Asseyez-vous à ma droite; c'est-à-direjouissezdemes biens les plus excellents, ou soyez mon égal sous le rapport de la divinité. Et il se fait cette question pour dire que cette parole n'a été adressée à aucun. Or, les anges sont supérieurs aux autres créatures. A plus forte raison n'a- t-il convenu à aucun autre qu'au Christ de s'asseoir à la droite du Père.


CONCLUSION. — Il n'a convenu ni à l'ange, ni à l'homme, mais au Christ seul de s'asseoira la droite de Dieu son Père, puisqu'il est seul égal en nature au Père selon la divinité, et que, comme homme, il a été mis au-dessus de toutes les créatures eu possession des biens de son Pere de la manière la plus excellente.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons vu (art. 2 et 3 préc.), on dit que le Christ est assis à la droite de son Père, en ce sens que d'après sa nature divine il lui est égal, et que d'après sa nature humaine il est en possession des biens divins d'une manière plus excellente que toutes les autres créatures. Ces deux choses ne conviennent l'une et l'autre qu'au Christ. Par conséquent il ne convient ni aux anges, ni aux hommes, ni à aucun autre qu'au Christ d'être assis à la droite du Père.

31
Il faut répondre au premier argument, que le Christ étant notre chef, ce qui lui a été conféré nous a été aussi conféré en lui. C'est pourquoi parce qu'il est maintenant ressuscité, saint Paul dit que Dieu nous a ressuscités d'une certaine manière avec lui, quoique nous ne soyons pas encore ressuscités en nous-mêmes, et que nous devions seulement ressusciter, d'après ces paroles (Rm 8,11) : Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à nos corps mortels. C'est d'après la même manière de parler que le même apôtre ajoute, qu'il nous a fait asseoir avec lui dans le ciel, c'est-à-dire que nous y sommes assis par là même que le Christ notre chef y est.

32 Il faut répondre au second, que parce que la droite est la béatitude divine, s'asseoir à la droite ne signifie pas simplement être dans la béatitude, mais avoir la béatitude avec une certaine puissance de domination, et l'avoir pour ainsi dire comme une chose propre et naturelle; ce qui ne convient qu'au Christ et ce qui ne peut convenir à aucune autre créature. Cependant on peut dire que tout saint qui est dans la béatitude, est placé à la droite de Dieu. C'est pourquoi il est dit (Mt 25,33) que le Seigneur mettra les brebis à droite.

33 Il faut répondre au troisième, que le trône signifie la puissance judiciaire que le Christ tien t de son Père, et c'est dans ce sens qu'on dit qu'il est assis sur le trône de son Père. Mais les autres saints tiennent cette puissance du Christ, et sous ce rapport on dit qu'ils sont assis sur le trône du Christ, d'après ces paroles de l'Evangile (Mt 19, ÎS) : Fous serez assis sur douze sièges pour juger les douze tribus d'Israël.                                                                                                                                      
34 Il faut répondre au quatrième, que, comme le dit saint Chrysostome (Hom. lxvi sup. Matth. ), ce lieu, c'est-à-dire l'endroit où le Christ est assis à la droite de son Père, est inaccessible non-seulement à tous les hommes, mais encore aux anges ; car saint Paul fait voir que c'est la prérogative principale du Fils unique de Dieu quand il dit : Auquel des anges a-t-il été jamais dit : Asseyez-vous à ma droite ? Le Seigneur ne s'adresse donc pas à des hommes existant qui devaient s'asseoir dans le ciel, mais il répond en condescendant aux demandes de ceux qui l'interrogeaient : car ils ne demandaient qu'une seule faveur plus que les autres, c'était d'être debout près de lui. Toutefois on peut dire aussi que les enfants de Zébédée demandaient à avoir une certaine prééminence sur les autres en participant à sa puissance judiciaire; par conséquent ils ne demandaient pas à être assis à la droite ou à la gauche du Père, mais à la droite ou à la gauche du Christ.




QUESTION 59. DE LA PUISSANCE JUDICIAIRE DU CHRIST.

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Nous devons enfin nous occuper de la puissance judiciaire du Christ. — A cet égard six questions se présentent : 1" Doit-on attribuer au Christ la puissance judiciaire? —

Lui convient-elle comme homme ? — 3° L'a-t-il obtenue par ses mérites ? — 4- Sa puissance judiciaire est-elle universelle par rapport à tous les hommes ? — r.0 Indépendamment du jugement qu'il rend dans ce temps-ci, doit-on en attendre un autre qui soit universel? — g" Sa puissance judiciaire s'étend-elle aussi aux anges? — 1 our ce qui se rapporte à l'exécution du jugement dernier, nous en parlerons plus convenablement lorsque nous traiterons de ce qui appartient à la fin du monde (in Suppl. quest. lxxxviii et seq.); mais maintenant il suffit de traiter uniquement les choses qui appartiennent à la dignité du Christ.



ARTICLE I. — la puissance judiciaire doit-elle être attribuée spécialement au christ (4)?

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1 Il semble que la puissance judiciaire ne doive pas être spécialement attribuée au Christ. Car il semble que le jugement des autres appartienne à leur Seigneur, d'où saint Paul dit (
Rm 14,4) : Qui ètes-vous pour juger le serviteur d'autrui? Et, comme il est commun à la Trinité entière d'avoir un souverain domaine sur les créatures, on ne doit donc pas attribuer spécialement au Christ la puissance judiciaire.

2 Le prophète dit (Da 7,9) : L'ancien des juges s'assit, puis il ajoute: Le juge s'assit et les livres furent ouverts. Or, par l'ancien des jours on entend le Père; parce que, comme le dit saint llilaire (De Trin. lib. n) : L'éternité est dans le Père. On doit donc attribuer la puissance judiciaire plutôt au Père qu'au Christ.

3 Il semble que ce soit au même qu'il appartienne de juger et de convaincre. Or, il appartient à l'Esprit-Saint de convaincre ; car le Seigneur dit (Jn 16,8) : Quand l'Esprit-Saint sera venu il convaincra le monde, du péché, de Injustice et du jugement. La puissance judiciaire doit donc être attribuée plutôt à l'Esprit-Saint qu'au Christ.

20 Mais c'est le contraire. Il est dit du Christ (Ac 10,42) : Il a été établi par Dieu pour être le juge des vivants et des morts.


CONCLUSION. — Puisque le Christ est la sagesse engendrée et la vérité qui procède du Père et qui le représente parfaitement, la puissance judiciaire ne convient qu'à lui.

21 Il faut répondre que pour Juger il faut trois choses : 1° La puissance de contraindre ceux qu'on a au-dessus de soi ; c'est ce qui fait dire au Sage (Qo 7,6) : Ne cherchez pas à devenir juge, si vous n'avez pas assez de force pour rompre les iniquités. 2° Il faut le zèle de la justice pour qu'on juge non par haine ou par envie, mais d'après l'amour de la justice, suivant ces paroles de l'Ecriture ( Prov. Pr 3,12) : Le Seigneur châtie celui qu'il aime et il agit comme un père qui chérit son fils. 3° Il faut la sagesse d'après laquelle le jugement est formé. C'est pourquoi il est dit (Qo 11,1) : Un juge sage jugera son peuple. Les deux premières conditions sont des choses que l'on exige préalablement avant le jugement; mais il consiste à proprement parler dans la troisième qui constitue sa forme. Car la raison même du jugement est la loi de la sagesse ou de la vérité d'après laquelle on juge. Et, comme le Fils est la sagesse engendrée et la vérité qui procède du Père et qui le représente parfaitement, c'est pour ce motif que la puissance judiciaire lui est attribuée en propre. D'où saint Augustin dit (De ver. relig. cap. 31) : C'est cette vérité immuable qui est appelée avec raison la loi de tous les arts et l'art de l'artisan souverain et tout-puissant. Or, do même que nous jugeons bien des choses inférieures et selon les règles de la vérité, comme étant le propre de toutes les âmes raisonnables; ainsi lorsque nous sommes unis à la vérité souveraine, il n'y a qu'elle seule qui puisse

(\) Cet ARTICLE a pour but d'expliquer ces paroles du symbolo : Iterum venturus est iudicare vivo s et mortuos juger de nous : et il n'y a personne qui juge d'elle, pas meme le Père, puisqu'elle n'est pas moindre que lui. El c'est pour cela que ce que le Père juge il le juge par elle. D'où il conclut : Le Père ne juge donc personne, mais il a donné toute la puissance de juger à son Fils (Jn 5,22).

31 Il faut répondre au premier argument, que cette raison prouve que la puissance judiciaire est commune à toute la Trinité, ce qui est vrai; mais cependant par appropriation on attribue la puissance judiciaire au Fils, ainsi que nous l'avons dit (in corp. art.).

32
Il faut répondre au second, que, comme le dit saint Augustin (De Trin. lib. vi, cap. IO), on attribue au Père l'éternité à cause de l'idée de principe qui se trouve impliquée dans celle d'éternité. Saint Augustin dit de même que le Fils est l'art du Père. Par conséquent l'autorité du jugement est attribuée au Père selon qu'il est le principe du Fils, et la raison du jugement est attribuée au Fils qui est l'art et la sagesse du Père. Ainsi, comme le Père fait tout par le Fils, selon qu'il est son art, de même il juge tout par le Fils selon qu'il est sa sagesse et sa vérité. C'est ce que signifie le passage de Daniel où il dit : que l'ancien des jours s'assit ; car il ajoute que le Fils de l'homme parvint jusqu'à l'ancien des jours, et que celui-ci há donna la puissance, l'honneur et le royaume ; ce qui nous fait comprendre que l'autorité du jugement est dans le Père et que le Fils a reçu de lui le pouvoir de juger.

33
Il faut répondre au troisième, que, comme le dit saint Augustin (Sup. Jean. tract, xcv), le Cbrist a dit que l'Esprit-Saint convaincra le monde du péché, comme s'il disait : Il  répandra dans vos coeurs la charité; car la crainte en étant bannie, vous aurez la liberté de convaincre le monde de ses crimes. Par conséquent le jugement est attribué à l'Esprit-Saint non par rapport à son essence, mais par rapport à l'énergie dont les hommes ont besoin pour le promulguer.




III Pars (Drioux 1852) 1146