III Pars (Drioux 1852) 1242

ARTICLE II. — la grâce sacramentelle ajoute - t-elle quelque chose à la grâce des vertus et des d0ns(1)?

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1 Il semble que la grâce sacramentelle n'ajoute pas quelque chose à la grâce des vertus et des dons. Car par la grâce des vertus et des dons l'âme est suffisamment perfectionnée en elle-même et quant à ses puissances, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (la 2", quest. ex, art. 3 et 4). Or, la grâce se rapporte à la perfection de l'âme. La grâce sacramentelle ne peut donc pas ajouter quelque chose à la grâce des vertus et des dons.

2
Les défauts de l'âme ont les péchés pour cause. Or, tous les péchés

(I) Luther n'ayant pas reconnu la grâce sacramentelle, a prétendu que tous les chrétiens étaient prêtres, et qu'ils avaient la même puissance, sans distinction d'état. Cette erreur, qui fut celle des pauvres de Lyon et de plusieurs autres hérétiques ennemis de toute hiérarchie, a été ainsi condamnée par le concile de Trente (sess, vu, can. IO) : Si quit dixerit christianos omnes in verbo et omnibus sacramentis administrandis habere potestatem ; anathema tit.

sont suffisamment exclus par la grâce des vertus et des dons ; parce qu'il n'y a aucun péché qui ne soit contraire à une vertu. La grâce sacramentelle ayant pour but d'effacer les défauts de l'âme, ne peut donc pas ajouter quelque chose à la grâce des vertus et des dons.

3
Toute addition ou toute soustraction dans les formes change l'espèce, comme le dit Aristote (Met. lib. viii, text. 40). Si donc la grâce sacramentelle ajoute quelque chose à la grâce des vertus et des dons, il s'ensuit qu'on lui donne équivoquement le nom de grâce, et par conséquent on n'exprime rien de positif par là même qu'on dit que les sacrements produisent la grâce.

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Mais c'est le contraire. Si la grâce sacramentelle n'ajoute rien à la grâce des dons et des vertus, c'est en vain qu'on la conférerait à ceux qui ont déjà les uns et les autres. Or, dans les oeuvres de Dieu il n'y a rien d'inutile. Il semble donc que la grâce sacramentelle ajoute quelque chose à la grâce des vertus et des dons.


CONCLUSION. — La grâce sacramentelle ajoute à la grâce des vertus et des dons un secours divin qui nous aide à arriver à la fin pour laquelle les sacrements sont institués, comme les dons et les vertus paraissent ajouter à la grâce une perfection déterminée, pour accomplir parfaitement les actes propres à chaque puissance de l'âme.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (la 2*, quest. ex, art. 3 et 4), la grâce considérée en elle-même perfectionne l'essence de l'âme, selon qu'elle participe à la ressemblance de l'être divin ; et comme les puissances de l'âme découlent de son essence, de même il y a des perfections qui découlent de la grâce sur les puissances de l'âme. On les appelle des vertus et des dons, et ils perfectionnent les puissances de l'âme par rapport à leurs actes. Or, les sacrements ont pour but certains effets spéciaux nécessaires dans la vie chrétienne. Ainsi le baptême a pour but la régénération spirituelle, parce que l'homme meurt aux vices et devient membre du Christ. Y cet effet est quelque chose de spécial en dehors des actes des puissances de l'âme, et il en est de même des autres sacrements. Par conséquent comme les vertus et les dons ajoutant à la grâce pure et simple une perfection déterminée qui se rapporte aux actes propres des puissances de l'âme ; de même la grâce sacramentelle ajoute à la grâce pure et simple, ainsi qu'aux vertus et aux dons un secours divin qui nous aide à arriver à la fin pour laquelle chaque sacrement est établi (i). Et c'est ainsi que la grâce sacramentelle ajoute à la grâce des vertus et des dons.

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Il faut répondre au premier argument, que la grâce des vertus et des dons perfectionne suffisamment l'essence de l'âme et ses puissances pour ce qui se rapporte en général aux actes de l'âme, mais la grâce sacramentelle est requise relativement à certains effets spéciaux qui sont nécessaires pour la vie chrétienne.

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Il faut répondre au second, que par les vertus et les dons les vices et les péchés sont suffisamment exclus relativement au présent et à l'avenir, dans le sens que l'homme est empêché de pécher par les vertus et les dons; mais par rapport aux péchés passés qui n'existent plus en acte, mais qui subsistent par la peine qu'ils méritent, les sacrements offrent à l'homme un remède spécial.

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Il faut répondre au troisième, que la grâce sacramentelle est à la grâce pure et simple ce que l'espèce est au genre. Par conséquent, comme on ne dit pas équivoquement le mot animal en l'employant dans le sens commun et en le prenant pour l'homme, de même on ne prend pas non plus équivoquement le mot grâce quand on l'applique à la grâce pure et simple et à la grâce sacramentelle.

(I) Si chaque sacrement ne conférait pas une grâce sacramentelle spéciale, il ne serait pas nécessaire que le Christ en eût établi plusieurs.



ARTICLE iii. — les sacrements de la loi nouvelle contiennent-ils la grâce (4)?

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1 Il semble que les sacrements de la loi nouvelle ne contiennent pas la grâce. Car le contenu paraît être dans le contenant. Or, la grâce n'existe pas dans le sacrement comme dans son sujet (parce que le sujet de la grâce n'est pas le corps, mais l'esprit), ni comme dans un vase, parce que, comme le dit Aristote (Phys. lib. iv, text. 41 ), un vase est un lieu mobile, et qu'il ne convient pas à un accident d'être dans un lieu. U semble donc que les sacrements de la loi nouvelle ne contiennent pas la grâce.

2
Les sacrements sont établis pour que les hommes obtiennent la grâce par leur moyen. Or, la grâce, puisqu'elle est un accident, ne peut passer d'un sujet dans un autre. Il serait donc inutile que la grâce fût dans les sacrements.

3
Ce qui est spirituel n'est pas contenu par ce qui est corporel, quand même il existerait en lui. Car l'âme n'est pas contenue par le corps, mais elle le contient plutôt. Il semble donc que la grâce, par là même qu'elle est quelque chose de spirituel, ne soit pas contenue dans un sacrement corporel.

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Mais c'est le contraire. Hugues de Saint-Victor dit (De sacr. lib. i, part, ix, cap. 2) : que le sacrement contient la grâce invisible d'après la sanctification.



CONCLUSION. — Les sacrements de la loi nouvelle contiennent la grâce, comme on dit que la cause instrumentale contient son effet.

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Il faut répondre qu'on dit qu'une chose est dans une autre de beaucoup de manières. On peut en distinguer deux, d'après lesquelles la grâce est dans les sacrements; car elle y est comme dans son signe, puisque le sacrement est le signe de la grâce; et elle y est comme dans sa cause, puisque, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), les sacrements de la loi nouvelle sont des causes instrumentales de la grâce. Ainsi la grâce est dans les sacrements de la loi nouvelle, non pts selon la ressemblance de l'espèce, comme l'effet est dans sa cause univoque (2) ; ni selon quelque forme propre, permanente et proportionnée à un pareil effet, comme le sont les effets dans leurs causes qui ne sont pas univoques, telles que les choses engendrées le sont dans le soleil, mais selon une certaine vertu instrumentale qui n'a qu'un être passager et incomplet dans sa nature, comme nous le dirons (art. scq.).

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Il faut répondre au premier argument, qu'on ne dit pas que la grâce est dans un sacrement comme dans un sujet, ni comme dans un vase, selon que le vase est un lieu, mais selon qu'on donne le nom de vase à l'instrument dont on se sert pour faire quelque chose, suivant ces paroles du prophète ( Ezech. Ez 9 Ezech. Ez 1) : Unusquisqtte vas interfectionis habet in manu sud.

32 Il faut répondre au second, que quoique un accident ne passe pas d'un sujet dans un autre, il passe cependant de sa cause dans un sujet d'une certaine manière au moyen d'un instrument; non pour être en eux de la même manière, mais pour exister dans chacun d'eux selon leur nature propre.

33
Il faut répondre au troisième, que le spirituel qui existe parfaitement dans un sujet le contient (3) et n'est pas contenu par lui. Mais la grâce existe dans les sacrements selon une manière d'être passagère et incomplète. C'est pourquoi on dit avec raison que le sacrement contient la grâce

(I) Luther a nié que les sacrements contiennent la grâce et qu'ils effacent les péchés ; ce que le concile de Trente a condamné en ccs termes : quis dixerit sacramenta novae legis non continere gratiam quam significant; aut

gratiam ipsam non ponentibus obicem non

conferre... anathema sit.

2,1 On appelle ainsi les causes qui sont de même nature que leur effet.

5; C'est ainsi que l'âme est dans le corps.

DE I/EFFET PRINCIPAL DES SACREMENTS QUI EST LA GRACE. (1).




ARTICLE iv. — y a-t-il dans les sacrements une vertu qui soit cause de la grâce (2)?

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1 Il semble qu'il n'y ait pas dans les sacrements une vertu qui soit cause de la grâce. Car la vertu qui est cause de la grâce est une vertu spirituelle. Or, il ne peut pas y avoir dans un corps une vertu spirituelle qui lui soit propre, parce que la vertu découle de l'essence de la chose et par conséquent elle ne peut la surpasser; il ne peut pas non plus y en avoir une qu'il reçoive d'un autre être, parce que ce qui est reçu par un sujet existe selon le mode du sujet qui le reçoit (3). Il ne peut donc pas y avoir dans les sacrements une vertu qui soit cause de la grâce.

2
Tout ce qui existe revient à un certain genre d'être et à un certain degré de bonté. Or, il n'y a pas lieu de dire à quel genre d'être appartient cette vertu, comme on le voit en les parcourant tous successivement. On ne peut non plus la ramener à aucun degré de bonté; car on ne doit pas la placer parmi les biens les moins importants, parce que les sacrements sont nécessaires au salut; on ne peut non plus la ranger parmi les biens intermédiaires dont font partie les puissances de l'âme, qui sont des puissances naturelles; enfin on ne peut pas la mettre parmi les biens les plus élevés, parce qu'elle n'est pas la grâce, ni une vertu de l'âme. Il semble donc que dans les sacrements il n'y ait aucune vertu qui soit productive de la grâce.

3
Si une pareille vertu existe dans les sacrements, elle n'est produite en eux que par Dieu au moyen de la création. Or, il ne paraît pas convenable qu'une créature aussi noble cesse d'exister immédiatement, aussitôt que le sacrement est produit. Il semble donc qu'il n'y ait dans les sacrements aucune vertu pour produire la grâce.

4
La même chose ne peut pas exister dans des éléments divers. Or, il y a différents éléments qui concourent à la formation des sacrements; ce sont les paroles et les choses ; et cependant il ne peut y avoir pour un même sacrement qu'une seule vertu. Il semble donc qu'ils n'en aient aucune.

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Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Tract, lxxx sup. Jean. ) : D'où vient à l'eau une si grande puissance qu'elle touche le corps et purifie le coeur? Et Bède dit (cap. 40 in Luc. sup. illud Luc. m : Factum est autern) : Que le Seigneur, par le contact de sa chair la plus pure, a conféré aux eaux la vertu régénératrice.


CONCLUSION. — il y a dans les sacrements une vertu instrumentale pour produire la grâce qui est l'effet du sacrement ; celle vertu est proportionnée à l'instrument, elle n'est pas permanente, mais transitoire, comme l'instrument qui n'opère qu'autant qu'il est mù par l'agent principal.

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Il faut répondre que ceux qui prétendent que les sacrements ne produisent la grâce que par concomitance (4), supposent qu'il n'y a pas en eux une vertu qui contribue à l'effet du sacrement; mais qu'il y a une vertu divine qui assiste au sacrement et qui produit l'effet sacramentel. —

(1) Selon qu'il en est le signe et la cause instrumentale.

(2) Il est de foi, contre Luther et les autres novateurs modernes, que les sacrements confèrent la grâce ex opère operato, d'après ce canon du concile de Trente ( sess. VII, can. 8) ; Si quis dixerit per novae legis sacramenta ex opere operato non conferri gratiam, anathema sit.

io) Ainsi les choses matérielles sont dans l'esprit h l'état d'idées ou de choses spirituelles.          , (4) C'est une des difficultés les plus graves que

20
Mais en supposant que le sacrement est la cause instrumentale de la grâce, il est nécessaire d'admettre en même temps qu'il y a en lui une vertu instrumentale pour produire l'effet sacramentel ; et cette vertu est en effet proportionnée à l'instrument. Par conséquent elle est à la vertu absolue et parfaite d'une chose, ce que l'instrument est à l'agent principal. Car l'instrument, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), n'opère qu'autant qu'il est mû par l'agent principal, qui opère par lui-même. C'est pourquoi la vertu de l'agent principal a un être permanent et complet dans sa nature, tandis que la vertu instrumentale a un être qui passe d'un sujet à un autre et qui est incomplet; comme le mouvement est un acte imparfait qui va de l'agent au patient.

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Il faut répondre au premier argument, que la vertu spirituelle ne peut exister dans une chose corporelle à la manière d'une vertu permanente et complète, comme la raison le prouve. Mais rien n'empêche qu'une vertu spirituelle existe instrumentalement dans un corps, dans le sens qu'un corps peut être mù par une substance spirituelle pour produire un effet spirituel. C'est ainsi que dans la parole qui frappe les sens il y a une force spirituelle pour exciter l'intellect de l'homme, et cette force lui vient selon qu'elle procède de la pensée de l'esprit. C'est de la sorte qu'il y a dans les sacrements une puissance spirituelle, en tant que Dieu les a établis pour un effet spirituel.

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Il faut répondre au second, que, comme le mouvement, par là même qu'il est un acte imparfait, n'existe pas proprement dans un genre, mais revient au genre du parfait, comme l'altération à la qualité; de même la vertu instrumentale n'existe pas, à proprement parler, dans un genre quelconque, mais elle se ramène au genre et à l'espèce de la vertu parfaite (1).

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Il faut répondre au troisième, que, comme l'instrument acquiert sa vertu instrumentale de ce qu'il est mû par l'agent principal, de même le sacrement tire sa vertu spirituelle de la bénédiction du Christ et de l'application que le ministre en fait à celui qui le reçoit. C'est ce qui fait dire à saint Augustin dans un sermon sur l'Epiphanie : II n'est pas étonnant que nous disions que l'eau, c'est-à-dire une substance corporelle, parvient à purifier l'âme. Elle y parvient certainement et elle pénètre tous les replis de la conscience. Car, quoiqu'elle soit subtile et ténue, la bénédiction du Christ l'a rendue plus subtile encore; elle pénètre dans les causes cachées de la vie et dans les secrets de l'âme qui sont plus subtils encore.

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Il faut répondre au quatrième, que, comme c'est la même force d'un agent principal qui se trouve instrumentalement dans tous les instruments qui contribuent à son effet, selon qu'ils sont un d'après un certain ordre (2), ainsi c'est aussi la même puissance sacramentelle qui se trouve dans les mots et les choses, selon que les mots et les choses ne constituent qu'un seul sacrement.



ARTICLE v. — les sacrements de la loi nouvelle tirent-ils leur vertu de la passion du christ?

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1 Il semble que les sacrements de la loi nouvelle ne tirent pas leur vertu de la passion du Christ. Car la vertu des sacrements existe pour produire dans l'âme la grâce par laquelle elle vit spirituellement. Or, comme le dit saint Augustin (Sup. Jean, tract, xix), le Verbe, selon qu'il était au commencent en Dieu, vivifie les âmes ; mais, selon qu'il s'est fait chair, il vivifie les corps. Par conséquent, puisque la passion du Christ appartient au Verbe, selon qu'il s'est fait chair, il semble qu'elle ne puisse pas être la cause de la vertu des sacrements.

présente le sentiment de ceux qui veulent que les sacrements ne produisent la grâce que moralement, et non physiquement.

(1) Qui réside dans l'agent principal. (2l C'est-à-dire selon qu'ils lui sont subordonnés les uns aux autres en vue de la  même tin.

2
La vertu des sacrements paraît dépendre de la foi ; parce que, comme le dit saint Augustin (Tract, lxxx sup. Jean. ), le Verbe de Dieu rend le sacrement parfait, non parce qu'on le prononce, mais parce qu'on y croit. Or, notre foi se rapporte non-seulement à la passion du Christ, mais encore aux autres mystères de son humanité et plus principalement encore à sa divinité. Il semble donc que les sacrements ne tirent pas spécialement leur vertu de la passion du Christ.

3
Les sacrements ont pour but la justification des hommes; d'après ces paroles de saint Paul (1Co 6,11) : Fous avez été purifiés et justifiés. Or, on attribue à la résurrection notre justification, puisque le même apôtre dit (Rm 4,25) : Il est ressuscité à cause de notre justification. Il semble donc que les sacrements tirent leur vertu de la résurrection du Christ plus que de sa passion.

20 Mais c'est le contraire. Sur ces paroles (Rm 5) : In similitudinem praevaricationis Adae, la glose dit : Les sacrements par lesquels l'Eglise a été sauvée, sont sortis du côté du Christ mort sur la croix. Par conséquent il semble qu'ils tirent leur vertu de sa passion.


CONCLUSION. — Puisque Dieu par l'humanité du Christ et sa passion a opéré non- seulement d'une manière méritoire, mais encore d'une manière satisfactoire notre affranchissement du péché et notre sanctification, il faut que les sacrements delà loi nouvelle tirent toute leur efficacité de sa passion.

21 Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), le sacrement opère pour produire la grâce d'une manière instrumentale. Or, il y a deux sortes d'instrument : l'un séparé, comme un bâton, et l'autre uni, comme la main. L'instrument séparé est mû par l'instrument uni, comme le bâton par la main. Dieu est la cause efficiente principale de la grâce, et l'humanité du Christ est par rapport à Dieu comme un instrument uni, et le sacrement comme un instrument séparé. C'est pourquoi il faut que la vertu salutaire découle de la divinité du Christ dans les sacrements par son humanité. Or, la grâce sacramentelle paraît principalement se rapporter à deux choses; elle a pour objet d'effacer les défauts des péchés passés, selon qu'ils n'existent plus en acte et qu'ils subsistent quant à la peine qu'ils méritent, et elle a aussi pour but de perfectionner l'âme en ce qui appartient au culte de Dieu selon la religion de la vie chrétienne. Il est évident, d'après ce que nous avons dit (quest. xlviii et quest. xlix), que le Christ nous a délivrés de nos péchés surtout par sa passion, non-seulement d'une manière efficiente et méritoire, mais encore satisfactoire. De même c'est aussi par sa passion qu'il a commencé le culte de la religion chrétienne, s'offrant lui-même à Dieu comme oblation et victime, selon l'expression de saint Paul (Ep 5). D'où il est évident que les sacrements de l'Eglise tirent spécialement leur vertu de la passion du Christ, dont la vertu nous est unie d'une certaine manière par la réception des sacrements. C'est en signe de cela que du côté du Christ attaché sur la croix sont sortis l'eau et le sang (1); dont l'un appartient au baptême et l'autre à l'eucharistie, qui sont les principaux sacrements.

(1) Le concile de Vienne, sous Clément V, s'eiprime ainsi : In nalurd atiumptd Dei verbum, emitto jam spiritu, perforari lan- ced sustinuit latus suum, ut exinde pro-

31 Il faut répondre an premier argument, que le Verbe, selon qu'il était au commencement en Dieu, vivifie les âmes, comme agent principal ; mais sa chair et les mystères accomplis en elle opèrent instrumentalement par rapport à la vie de l'âme. Quant à la vie du corps ils n'opèrent pas seulement d'une manière instrumentale (1), mais ils le font encore à titre de cause exemplaire, ainsi que nous l'avons dit (quest. lvi, art. 1 ad 3).

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Il faut répondre au second, que le Christ habite en nous par la foi, comme le dit saint Paul (Ep 3). C'est pourquoi la vertu du Christ nous est unie par la foi. Or, la vertu qui remet les péchés appartient d'une manière spéciale à la passion du Christ. C'est pour cette raison que les hommes sont délivrés de leurs péchés spécialement par la foi dans sa passion, d'après ces paroles de l'Apôtre (Rm 3,25) : Dieu l'a destiné pour être la victime depropitiation par la foi qu'on aurait en son sang. C'est aussi pour cela que la vertu des sacrements qui a pour but d'effacer les péchés, provient surtout de la foi dans la passion du Christ.

33 II faut répondre au troisième, que la justification est attribuée à la résurrection en raison du terme ad quem, qui est le renouvellement de la vie par la grâce, mais on l'attribue néanmoins à la passion en raison du terme à quo, c'est-à-dire quant à la rémission de la faute.



ARTICLE vi. — les sacrements de l'ancienne loi produisaient-ils la grâce (2)?

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1 Il  semble que les sacrements de l'ancienne loi produisaient aussi la grâce. Car, comme nous l'avons dit (art. préc.), les sacrements de la loi nouvelle tirent leur efficacité de la foi en la passion du Christ. Or, la foi en la passion du Christ a existé sous l'ancienne loi, comme sous la nouvelle; car nous avons le même esprit de foi, selon l'expression de saint Paul (
2Co 4,13). Par conséquent, comme les sacrements de la loi nouvelle confèrent la grâce, de même les sacrements de l'ancienne loi la conféraient aussi.

2 La sanctification n'est produite que par la grâce. Or, les hommes étaient sanctifiés par les sacrements de l'ancienne loi. Car il est dit (Lv 8,32) : Lorsque Moïse eut sanctifié Aaron et ses enfants, avec leurs vêtements. Il semble donc que les sacrements de l'ancienne loi conféraient la grâce.

3 Comme le dit Bcde dans une homélie de la circoncision (inter hom. hiem. de SS.) : Sous la loi, la circoncision offrait le même secours salutaire pour guérir la plaie du péché originel, que celui que nous présente le baptême, maintenant que nous sommes sous la loi de grâce. Or, le baptême confère actuellement la grâce. Par conséquent, la circoncision la conférait, et, pour la même raison, les autres sacrements de la loi la conféraient aussi, parce que, comme le baptême est la porte des sacrements de la loi nouvelle, de même aussi la circoncision était la porte des sacrements de l'ancienne loi. C'est pour cela que l'Apôtre dit (Ga 5,3) : Je déclare à tout homme qui se fait circoncire qu'il s'oblige à garder toute la loi.

20 Mais c'est le contraire. Sur ces paroles (Ga 4,3) : Fous tournerez-vous de nouveau vers des éléments infirmes et vides ? la glose observe (ord.), c'est-à-dire vers la loi, qui est appelée infirme parce qu'elle ne justifie pas

fluentibus undis aquae et sanguinis forma- retur unica et immaculata, ac virgo, sancta mater Ecdesia, conjux Christi.

(1)Ainsi la résurrection du Christ n'est pas seulement la cause instrumentale de la nôtre, mais elle en est encore la cause efíiciente et exemplaire.

(2)Le concile de Florence détermine ainsi la différence qu'il y a entre les sacrements de l'ancienne loi et ceux de la nouvelle : Illa non causabant gratiam, sed eam solam per passionem Christi dandam figurabant : haec autem continent gratiam et ipsam digne suscipientibus conferunt

DE L'EFFET PRINCIPAL DES SACREMENTS QUI EST LA GRACE. 571 parfaitement. Comme la grâce justifie parfaitement, il s'ensuit que les sacrements de l'ancienne loi ne la conféraient pas.


CONCLUSION. — Puisque la cause efficiente ne peut pas être postérieure à son effet; les sacrements de la Joie ancienne ayant précédé la passion du Christ (qui est la cause de notre justification), il est évident qu'ils n'ont eu en eux aucune vertu pour conférer la grâce sanctifiante, mais qu'ils ont montré seulement la foi qui justifiait les patriarches.

21 Il faut répondre qu'on ne peut pas dire que les sacrements de l'ancienne loi conféraient la grâce sanctifiante par eux-mêmes, c'est-à-dire par leur vertu propre, parce qu'alors la passion du Christ n'aurait pas été nécessaire, selon cette pensée de saint Paul (Ga 2,21) : Si la justice s'acquiert par la loi, c'est en vain que le Christ est mort. On ne peut pas dire non plus qu'ils tiraient delà passion du Christ la vertu qu'ils avaient de conférer la grâce sanctifiante. Car, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc.), la vertu de la passion du Christ nous est unie par la foi et les sacrements, mais de différente manière. En effet, la continuité qui est produite par la foi résulte d'un acte de l'âme, au lieu que la continuité qui résulte des sacrements dépend de l'usage des choses extérieures. Or, rien n'empêche qu'une chose qui est postérieure selon l'ordre du temps ne meuve avant d'exister, selon qu'elle existe antérieurement dans l'acte de l'âme ; ainsi la fin qui est la dernière selon le temps meut l'agent selon qu'il la perçoit et la désire. Mais ce qui n'existe pas encore dans la nature des choses ne meut pas selon l'usage des choses extérieures. Par conséquent la cause efficiente ne peut pas ôtre postérieure selon l'ordre du temps, comme la cause finale. Ainsi il est donc évident qu'il est convenable que la vertu sanctifiante découle de la passion du Christ, qui est la cause de notre justification, dans les sacrements de la loi nouvelle, et non dans ceux de la loi ancienne. Cependant, par la foi dans la passion du Christ, les anciens patriarches étaient justifiés comme nous le sommes. Mais les sacrements de la loi ancienne étaient des professions de foi, selon qu'ils signifiaient la passion du Christ et ses effets. Il est donc évident que les sacrements de la loi ancienne n'avaient pas en eux la vertu d'opérer pour conférer la grâce sanctifiante ; mais qu'ils signifiaient seulement la foi par laquelle on était justifié.

31 Il faut répondre au premier argument, que les anciens patriarches avaient la foi à l'égard de la passion future du Christ, et elle pouvait les justifier selon qu'elle était dans leur âme; mais nous avons foi dans la passion du Christ, qui a eu lieu antérieurement; et cette foi peut nous justifier, selon l'usage que nous faisons réellement des sacrements, ainsi que nous l'avons dit (in corp. art.).

32
Il faut répondre au second, que cette sanctification était figurative ; car on disait sanctifiées toutes les choses destinées au culte divin selon le rite de l'ancienne loi, qui avait été établi complètement pour figurer la passion du Christ.

33
Il faut répondre au troisième, qu'au sujet de la circoncision il y a eu différentes opinions. Car les uns ont dit que la grâce n'était pas conférée par la circoncision, mais qu'elle effaçait seulement le péché. Il ne peut en être ainsi, parce que l'homme n'est délivré du péché que par la grâce, d'après ces paroles (Rm 3,24) : Nous avons été justifiés gratuitement par sa grâce. — C'est pourquoi d'autres ont dit que la circoncision conférait la grâce quant aux effets qui écartent le péché, mais non quant à ses effets positifs. Mais il semble que ce soit faux également : parce que la circoncision donnait aux enfants la faculté de parvenir à la gloire, qui est le dernier effet positif de la grâce. C'est pour cela que, selon l'ordre de la cause formelle, les effets positifs sont naturellement antérieurs aux effets privatifs, quoique, selon l'ordre de la cause matérielle, ce soit le contraire. Car la forme n'exclut la privation qu'en se communiquant au sujet.— C'est pourquoi d'autres pensent que la circoncision conférait la grâce quant à son effet positif, qui consiste à nous rendre dignes de la vie éternelle, mais non quant à la répression de la concupiscence, qui nous pousse au péché. Ce fut autrefois mon sentiment (IV. dist. 1, quest. ii, art. 4, quest. iii). Mais en considérant la chose avec plus de soin, on voit que ce sentiment n'est pas fondé ; parce que la moindre grâce peut résister à toute concupiscence, quelle qu'elle soit, et mériter la vie éternelle. C'est pourquoi il vaut mieux dire que la circoncision, comme les autres sacrements de l'ancienne loi, n'était que le signe de la foi qui justifie (1). C'est ce qui fait dire à l'Apôtre (Rm 4,11) qu'Abraham reçut la marque de la circoncision, comme le sceau de la justice qui venait de la foi. C'est pour ce motif que la circoncision conférait la grâce, selon qu'elle était le signe de la passion future du Christ, comme on le verra plus loin ( quest. lxx, art. 4).






QUESTION 63: DU CARACTÈRE QUI EST UN AUTRE EFFET DES SACREMENTS.

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Apres avoir parlé de la grâce qui est l'effet principal des sacrements, nous devons nous occuper du caractère. — A cet égard six questions se présentent : 1° Les sacrements produisent-ils dans l'âme un caractère? — 2°Qu'est-ce que ce caractère? — 3" A qui appartient-il? — 4" En quoi existait-il comme dans son sujet? — 5°Exis- te-t-il dans l'âme d'une manière indélébile? — 6° Tous les sacrements impriment-ils caractère ?



ARTICLE i. — un sacrement imprime-t-il un caractère dans l'âme (2)?

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1 Il semble qu'un sacrement n'imprime pas un caractère dans l'âme. Car le caractère paraît désigner un signe distinctif. Or, ce qui distingue les membres du Christ des autres est produit par la prédestination éternelle, qui ne pose rien dans celui qui est prédestiné, mais seulement en Dieu, qui le prédestine, comme nous l'avons vu (part. I, quest. xxiii, art. 2). Car saint Paul dit (
2Tm 2,19) : Le solide fondement que Dieu a posé demeure ferme, ayant pour sceau cette parole : Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui. Les sacrements n'impriment donc pas un caractère dans l'âme.

2 Un caractère est un signe distinctif. Or, le signe, d'après saint Augustin (De doct. christ, lib. ii), est ce qui, indépendamment de l'image qu'il présente aux sens, fait arriver une autre chose à notre connaissance. Or, il n'y a rien dans l'âme qui présente aux sens une espèce quelconque. Il semble donc que les sacrements n'impriment en elle aucun caractère.

3
Comme les sacrements de la loi nouvelle servent à distinguer le fidèle de l'infidèle, de même aussi les sacrements de l'ancienne loi. Or, les conséquent, puisque la passion du Christ appartient au Verbe, selon qu'il s'est fait chair, il semble qu'elle ne puisse pas être la cause de la vertu des sacrements.

(1) Billuart, Soto, Estius , pensent, d'après Hugues de Saint-Victor et saint Bonaventure, que la circoncision n'opérait pas seulement ex opere operantis, mais qu'elle produisait encore quelque chose comme (sacrement, c'est-à-dire que Dieu, eu vue de ce sacrement, conférait un degré de grâce, ou une augmentation de piété, de foi et de dévotion dans celui qui recevait ce sacrement de l'ancienne loi. C'est ce qu'ils appellent opérer ex opere operato passivè.

12) Il est de foi qu'il y a des sacrements qui impriment un caractère. Le concile de Trente s'exprime ainsi à ce sujet (sess, vu, can. 9) : Si quis dixerit in sacramentis quibusdam non imprimi caracterem in animd, hoc est, signum quoddam spirituale et indelebile, anathema sit.

conséquent, puisque la passion du Christ appartient au Verbe, selon qu'il s'est fait chair, il semble qu'elle ne puisse pas être la cause de la vertu des sacrements.


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Mais c'est le contraire. Saint Paul dit (2Co 1,20) : C'est Dieu qui nous a oints, qui nous a marqués de son sceau, et qui pour gage notis a donné V Esprit-Saint dans nos coeurs. Or, le caractère n'implique rien autre chose qu'une marque. Il  semble donc que Dieu par ses sacrements nous imprime son caractère.


CONCLUSION. — Puisque les fidèles du Christ sont consacrés par les sacrements à quelque chose de divin qui se rapporte au culte de Dieu, il faut qu'ils soient ornés par eux d'un caractère spirituel.

21 Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. préc. art. 1 et 5), les sacrements de la loi nouvelle sont établis pour deux choses : pour remédier aux péchés et pour perfectionner l'âme en ce qui appartient ad culte de Dieu, selon le rite de la vie chrétienne. Or, tout ce qui est destiné à une fonction positive est ordinairement revêtu d'un insigne à cet égard. Ainsi les soldats qui étaient autrefois enrôlés dans la milice, avaient coutume d'ôtre revêtus de certains caractères corporels, parce qu'on les destinait à quelque chose de corporel. C'est pourquoi les hommes étant destinés par les sacrements à quelque chose de spirituel qui appartient au culte de Dieu, il s'ensuit qu'ils doivent revêtir les fidèles d'un caractère spirituel. D'où saint Augustin dit (Cont. Parm. lib. ii, cap. 43) : Si un soldat, refusant de combattre par crainte, vient à déshonorer le caractère de la milice qu'il portait sur son corps, et qu'ensuite il implore la clémence de l'empereur, qu'il obtienne par ses prières sa grâce et qu'il se mette à combattre, est-il nécessaire, quand cet homme est libéré de sa peine et qu'il est corrigé, de renouveler ce caractère; et ne doit-on pas plutôt l'approuver après l'avoir reconnu ? Les sacrements du Christ seraient- ils donc moins permanents que cette marque corporelle?

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Il faut répondre au premier argument, que les fidèles du Christ sont destinés à la récompense de la gloire future par le sceau de la prédestination divine; mais ils sont destinés aux actes qui conviennent à l'Eglise actuelle par un sceau spirituel dont ils sont marqués et qu'on nomme caractère.

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Il faut répondre au second, que le caractère imprimé à l'âme a la nature du signe, en tant qu'il est imprimé par un sacrement sensible. Car on sait que quelqu'un est revêtu du caractère du baptême par là même qu'il a été lavé dans l'eau d'une manière sensible. Néanmoins on peut donner par analogie le nom de caractère ou de sceau à tout ce qui imprime une ressemblance ou à tout ce qui distingue d'un autre; quand même cette chose ne serait pas sensible. C'est ainsi que le Christ est appelé la figure ou le caractère de la substance du Père, d'après l'Apôtre (He 1).

33 Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. préc. ad 6), les sacrements de l'ancienne loi n'avaient pas en eux la vertu spirituelle d'opérer un effet spirituel quelconque. C'est pour ce motif que dans ces sacrements il n'était pas nécessaire qu'il y eût un caractère spirituel, mais il suffisait d'une circoncision corporelle, que l'Apôtre appelle un sceau (Rm 4).




III Pars (Drioux 1852) 1242