III Pars (Drioux 1852) 1269

ARTICLE ix. — la foi un ministre est-elle nécessaire pour le sacrement (1)?

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1 Il semble que la foi du ministre soit nécessaire pour le sacrement. Car, comme nous l'avons dit (art. préc.), l'intention du ministre est nécessaire pour la perfection du sacrement. Or, la foi dirige l'intention, comme le dit saint Augustin (implic. Cont. Jul. lib. iv, cap. 3 ad fin., et expres. in prx- fat. ad Psalm. xxxi). Par conséquent si la vraie foi manque dans le ministre, le sacrement n'est pas conféré.

2
Si le ministre de l'Eglise n'a pas la vraie foi, il paraît être hérétique. Or, les hérétiques, comme il le semble, ne peuvent pas conférer les sacrements. Car saint Cyprien dit (Epist, xii, lib. i) : Toutes les choses que les hérétiques font sont" des choses charnelles, vaines et fausses, et par conséquent nous ne devons rien approuver de ce qu'ils ont fait. Iae pape saint Léon dit (Epist, clxv, cap. 5) : Il est évident que par la démence cruelle et folle qui a souillé le siège d'Alexandrie, toutes les lumières des sacrements célestes ont été éteintes, l'oblation du sacrifice a été interrompue; la sanctification du chrême n'a plus existé, et tous les mystères ont échappé aux mains parricides de ces impies. La vraie foi du ministre est donc nécessaire pour le sacrement.

3
Ceux qui n'ont pas la vraie foi paraissent avoir été séparés de l'Eglise par l'excommunication. Car il est dit (2Jn 10) : Si quelqu'un vient vers vous et ne fait pas profession de cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne le saluez pas. (Tit. m, 10) Evitez celui qui est hérétique après l'avoir averti une première et une seconde fois. Or, un excommunié ne parait pas pouvoir conférer les sacrements de l'Eglise, puisqu'il en a été séparé et que c'est au ministère de l'Eglise que la dispensation des sacrements appartient. Il semble donc que la vraie foi du ministre soit nécessaire pour le sacrement.

20 Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit (Cont. Petilianum, lib. ii, cap. 47) : Souvenez-vous que les moeurs des méchants ne nuisent point aux sacrements de Dieu, et qu'elles ne peuvent l'aire qu'ils ne soient pas ou qu'ils soient moins saints.


CONCLUSION. — Comme les mauvais ministres qui ne sont pas en état de grâce peuvent administrer les sacrements, de même aussi ceux qui n'ont pas la foi, pourvu qu'ils n'omettent pas ce qui est nécessaire au sacrement.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 5 huj. quaest. et quest. lxii, art. 1 et 4), le ministre opérant dans les sacrements d'une manière instrumentale, n'agit pas par sa vertu propre, mais par la vertu du Christ. Or, comme la charité appartient à la vertu propre de l'homme, de même aussi la foi. Par conséquent comme il n'est pas nécessaire pour la perfection des sacrements que le ministre ait la charité, et que les pécheurs peuvent aussi les conférer, ainsi que nous l'avons vu (art. 5), de même il n'est pas nécessaire qu'il ait la foi pour que le sacrement soit valide, mais un infidèle peut conférer véritablement un sacrement, pourvu qu'il n'omette rien de ce qui est nécessaire pour ce sacrement.

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Il faut répondre au premier argument, qu'il peut arriver que l'on manque de foi sur un point, mais qu'on n'en manque pas à l'égard du sacrement que l'on confère, comme si par exemple on croyait que le serment est illicite dans tous les cas et qu'on crût néanmoins que le baptême est efficace pour le salut. Un défaut de foi semblable n'empêche pas qu'on ait l'intention de conférer le sacrement. Mais si on manque de foi à l'égard du sacrement lui-même qu'on administre, quoiqu'on croie que l'acte extérieur que l'on fait ne doive avoir aucun effet intérieur, cependant on n'ignore pas que l'Eglise catholique se propose par ce que l'on fait extérieurement de donner un sacrement. Par conséquent, malgré ce manque de foi, on peut se proposer de faire ce que l'Eglise fait, quoiqu'on pense qu'il n'en résulte rien. Cette intention suffit pour le sacrement : parce que, comme nous l'avons dit (art. préc. ad 2), le ministre du sacrement agit au nom de toute l'Eglise, dont la foi supplée à ce qui manque à la foi du ministre.

(I) Cet. ARTICLE est une réfutation de l'erreur des donatistcs, des vaudois, des pauvres de Linn et des »ideffistes, qui exigeaient la fui dans le ministre pour la validité du sacrement. Cette erreur a été expressément condamnée par le concilii de Florence et par celui de Trente.

21
Il faut répondre au second, qu'il y a des hérétiques qui en conférant les sacrements n'observent pas la forme de l'Eglise; ceux-là ne confèrent pas le sacrement, ni la chose du sacrement. D'autres observent la forme de l'Eglise, et ceux-là confèrent le sacrement, mais non la chose du sacrement (1). Et je parle ainsi s'ils sont manifestement séparés de l'Eglise, parce que par là même qu'on reçoit d'eux les sacrements, on pèche ; et c'est là ce qui empêche de recevoir l'effet du sacrement. D'où saint Augustin dit(Fulgentius, Lib. de fid. ad Pet. cap. 36) : Croyez très-fermement et ne doutez nullement que pour ceux qui ont été baptisés hors de l'Eglise, s'ils ne rentrent pas dans son sein, leur baptême a ajouté à leur perte. Le pape saint Léon dit dans ce sens que sur le siège d'Alexandrie la lumière des sacrements a été éteinte, c'est-à-dire par rapport à l'effet du sacrement, mais non quant au sacrement lui-même. Saint Cyprien croyait que les hérétiques ne pouvaient conférer les sacrements d'aucune manière (2), mais son sentiment n'est pas suivi sur ce point. C'est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de unico bapt. cont. Petit, cap. 13) : Saint Cyprien n'a pas voulu reconnaître le baptême conféré par les hérétiques ou les schismatiques, mais les mérites qu'il a acquis jusqu'au triomphe du martyre sont si grands qu'il a effacé cette ombre par la lumière de la charité qui excellait en lui, et s'il était resté en lui quelque chose à purifier, le glaive de la mort i aurait effacé.

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Il faut répondre au troisième, que la puissance d'administrer les sacrements appartient au caractère spirituel qui est indélébile, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. préc. art. 5). C'est pourquoi de ce qu'on est suspendu par l'Eglise, ou excommunié, ou même dégradé, on ne perd pas la puissance de conférer les sacrements, mais on perd la faculté d'user de cette puissance. C'est pour cela que celui qui en est là confère les sacrements, mais il pèche en les conférant ; et il en est de même de celui qui reçoit de lui un sacrement; par conséquent il ne perçoit pas l'effet du sacrement, à moins que son ignorance ne l'excuse.



ARTICLE x. — est-il nécessaire pour la perfection du sacrement que le ministre ait une intention droite ?

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1 Il semble que l'intention du ministre doive être droite pour la perfection du sacrement. Car l'intention du ministre doit être conforme à l'intention de l'Eglise, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. 8huj. quaest. ad 2). Or, l'intention de l'Eglise est toujours droite. L'intention droite du ministre est donc nécessairement requise pour la perfection du sacrement.

2
L'intention perverse paraît être pire que l'intention moqueuse. Or, l'intention moqueuse rend nul le sacrement, par exemple, si on ne baptisait pas quelqu'un sérieusement, mais par plaisanterie; à plus forte raison l'intention perverse rend-elle nul le sacrement, par exemple, si on baptisait quelqu'un pour le tuer ensuite.

(ll C'est-à-dire la grâce sanctifiante et la rémission des péchés.

(2) Ce qui excuse saint Cyprien, c'est que ce point n'était pas alors défini. Il l'a été en ces termes par le concile de Trente (sess. VII, can. A) :

Si quis dixerit : Baptismum qui datur ab hoeretieis in nomine Patris, et Filii, et Spi- ritûs sancti, cum intentione faciendi quod facit Ecdesia, non esse verum baptismum; anathema sit.

3
L'intention perverse rend toute oeuvre vicieuse, d'après ces paroles de l'Evangile (Lc 11,34) : Si votre oeil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres. Or, les sacrements du Christ ne peuvent pas être souillés par les méchants, comme le dit saint Augustin (Cont. Petit, lib. ii, cap. 47, ad fin. et lib. iii Cont. Cresc. cap. 5 et 6). Il semble donc que si l'intention du ministre est perverse, le sacrement ne soit pas véritable.

20 Mais c'est le contraire. L'intention perverse appartient à la malice du ministre. Or, la malice du ministre ne détruit pas le sacrement. Son intention perverse ne le détruit donc pas non plus.


CONCLUSION. — L'intention perverse et mauvaise du ministre par rapport au sacrement en détruit la vérité; mais si elle est mauvaise par rapport à ce qui suit le sacrement, il n'en est pas de même.

21
II faut répondre que l'intention du ministre peut être pervertie de deux manières : 1° Par rapport au sacrement lui-même, comme quand on n'a pas l'intention de conférer un sacrement, mais d'agir par dérision (1). Cette perversité détruit la vérité du sacrement, surtout quand on manifeste extérieurement son intention. 2° L'intention du ministre peut être perverse, quant à ce qui suit le sacrement; comme si un prêtre avait l'intention de baptiser une femme pour en abuser; ou si on se proposait de consacrer Je corps du Christ pour s'en servir pour des maléfices. Et, comme ce qui est avant ne dépend pas de ce qui vient après, il s'ensuit que cette perversité d'intention ne détruit pas la vérité du sacrement; mais le ministre pèche grièvement par suite de cette intention.

31
Il faut répondre au premier argument, que l'intention de l'Eglise est droite et quant à la perfection du sacrement et quant à son usage ; mais la première droiture rend le sacrement valide et la seconde produit le mérite. C'est pourquoi le ministre dont l'intention est conforme à l'Eglise quant à la première droiture et non quant à la seconde, confère validement le sacrement, mais il ne le fait pas d'une manière méritoire pour lui.

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Il faut répondre au second, que l'intention bouffonne ou moqueuse exclut la première espèce de droiture qui rend le sacrement valide. C'est pour cela qu'il n'y a pas de parité.

33
Il faut répondre au troisième, que l'intention perverse corrompt l'oeuvre de celui qui a cette intention, mais non l'oeuvre d'un autre. C'est pourquoi l'intention perverse du ministre corrompt ce qu'il fait dans les sacrements, comme son oeuvre, mais non ce qu'il fait comme l'oeuvre du Christ, dont il est le ministre. Il en serait de même si le ministre d'un homme portait aux pauvres avec une intention perverse l'aumône que son maître lui aurait commandée avec une intention droite.




QUESTION 65. DU NOMBRE DES SACREMENTS.

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tamen credat sc esse absolutum, verissimi! absolutus est.

(I) Parmi les propositions de Luther condamnées par Léon X, on trouve celle-ci : Si sacerdos non scriù, sedjoco absolvent, si

Il nous reste enfin à considérer le nombre des sacrements, et à cet égard il y a quatre questions à examiner : 1- Y a-t-il sept sacrements? — r De leur ordre respectif. — 3» De leur comparaison. — 4° Sont-ils tous nécessaires au salut?


596 SOMME THÉOLOGIQUE I)E SAINT THOMAS.



ARTICLE I. — doit-il y avoir sept sacrements dans l'église(I)?

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1 II semble qu'il ne doive pas y avoir sept sacrements. Car les sacrements tirent leur efficacité de la vertu divine, et de la vertu de la passion du Christ. Or, la vertu divine est une et la passion du Christ aussi; puisque par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés, selon l'expression de saint Paul (
He 10,14). Il n'a donc dû y avoir qu'un seul sacrement.

2 Le sacrement a pour but de remédier au défaut du péché. Or, il y a dans le péché deux défauts : la peine et la faute. Il suffirait donc qu'il y eût deux sacrements.

3
Les sacrements appartiennent aux actions de la hiérarchie ecclésiastique, comme le prouve saint Denis (De ecdes. hier. cap. 2 et 5). Or, d'après ce même Père, il y a trois actions qui sont propres à la hiérarchie : la purgation, l'illumination et la perfection. Il ne doit donc y avoir que trois sacrements.

4
Saint Augustin dit (Cont. Faust, lib. xix, cap. 13) que les sacrements de la loi nouvelle sont moins nombreux que ceux de la loi ancienne. Or, sous la loi ancienne, il n'y avait pas de sacrement qui répondit à la confirmation et à l'extrême-onction. On ne doit donc pas non plus compter ces sacrements parmi ceux de la loi nouvelle.

5
La luxure n'est pas le plus grave de tous les péchés, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (2* 2", quest. cliv, art. 3). Or, on n'établit pas de sacrement contre les autres péchés. On n'eût donc pas dû établir le sacrement de mariage contre la luxure.

20
Mais c'est le contraire. Il semble qu'il y ait plus de sept sacrements. Car on appelle sacrements des signes sacrés. Or, il se fait dans l'Eglise beaucoup d'autres sanctifications par des signes sensibles, comme l'eau bénite, la consécration d'un autel et d'autres choses semblables. Il y a donc plus de sept sacrements.

Hugues de Saint-Victor dit (lib. i De sacram, part, xii, cap. 10) que les sacrements de l'ancienne loi ont été des oblations, des dîmes et des sacrifices. Or, le sacrifice de l'Eglise est un sacrement qui est appelé Eucharistie. On doit donc dire aussi que les oblations et les dîmes sont des sacrements.

Il y a trois genres de péchés : le péché originel, le péché mortel, le péché véniel. Or, le baptême a pour but d'effacer le péché originel et la pénitence le péché mortel. Indépendamment des sept sacrements, il devrait donc y en avoir un autre qui eût pour but d'effacer le péché véniel.


CONCLUSION. — C'est avec raison qu'il y a dans l'Eglise sept sacrements : le baptême, la confirmation, l'eucharistie, la pénitence, l'ordre, le mariage et l'extrême- onction, par lesquels l'homme est suffisamment perfectionné en ce qui appartient au culte divin et en ce qui regarde communément le défaut du péché.

(I) Il est de foi qu'il y a sept sacrements, contre les luthériens et les calvinistes, qui n'en reconnaissent que deux ou trois. C'est ce que le conciti de Trente a ainsi délini (sess. Xli, can. I; : Si quis dixerit sacramenta novae levis... aut esse filura tel pauciora quam scptem, videlicet : Baptismum, Confirmationem, Eucharistiam, Poenitentiam, Extremam-Unctionem, Ordinem et Matrimonium, aut etiam aliquod horum scptem non esse vere et proprie sacramentum, anathema sit.

21
Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (quest. lxii , art. 3, et quest. Lxni, art. 3 ), les sacrements de l'Eglise sont établis pour deux choses, c'est-à-dire pour perfectionner l'homme en ce qui appartient au culte de Dieu selon la religion de la vie chrétienne, et pour remédier au défaut du péché. C'est avec raison qu'à ce double point de vue on reconnaît sept sacrements. Car la vie spirituelle a une certaine ressemblance avec la vie corporelle, comme toutes les choses corporelles ont de l'analogie avec les choses spirituelles. Or, à l'égard de la vie corporelle, un individu est rendu parfait de deux manières : 1° quant à sa propre personne; 2° par rapport à la société entière dans laquelle il vit; parce que l'homme est naturellement un animal social. Relativement à lui-même, l'individu jouit parfaitement de la vie corporelle de deux manières : 1° absolument, en acquérant la perfection de la vie elle-même; 2° par accident, en écartant ce qui fait obstade à la vie, comme les maladies ou toute autre chose semblable. Absolument la vie corporelle est perfectionnée de trois manières

. 1° Par la génération, par laquelle l'homme commence à exister et à vivre. Elle est remplacée pour la vie spirituelle par le baptême, qui est la régénération de l'âme, d'après saint Paul, qui l'appelle (
Tt 3,5) l'eau de la régénération. 2° Par l'accroissement, qui fait qu'on arrive au développement et à la vertu de l'homme fait. Ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c'est la confirmation, qui nous confère l'Esprit-Saint pour nous fortifier. C'est pourquoi il est dit aux disciples qui ont reçu le baptême (Lc 24 Lc 49) : Demeurez dans la ville jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'en haut. 3° Par la nutrition, qui conserve dans l'homme la vie et la force; elle est remplacée dans la vie spirituelle par l'eucharistie. D'où il est dit (Jn 6,54) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez pas la vie en vous. Ces choses suffiraient à l'homme, s'il avait corporellement et spirituellement une vie impassible. Mais parce qu'il est soumis quelquefois à des infirmités corporelles et spirituelles, c'est-à-dire au péché, il s'ensuit qu'il est nécessaire qu'il soit guéri de ses infirmités. Or, ces guérisons sont de deux sortes : l'une a pour objet de rétablir la santé; ce qui la remplace dans la vie spirituelle, c'est la pénitence, d'après ces paroles du Psalmiste (Ps 40,5) : Guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous. L'autre a pour objet de rendre la santé qu'on avait auparavant par une diète convenable et l'exercice. Ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c'est l'extrême-onction, qui écarte ce qui reste du péché et rend l'homme prêt à la gloire finale. C'est ce qui fait dire à saint Jacques (Jc 5, la) : S'il est dans le péché, il lui sera pardonné.— L'homme est perfectionné, relativement à la société tout entière, de deux manières : 1° Par ce qui lui donne le pouvoir de régir la multitude et d'exercer des actes publics; ce qui a lieu dans la vie spirituelle par le sacrement de l'ordre, d'après saint Paul, qui dit (He 7) que les prêtres offrent des victimes, non-seulement pour eux, mais encore pour le peuple. 2" Relativement à la propagation naturelle; ce qui se fait par le mariage, dans la vie corporelle aussi bien que dans la vie spirituelle, parce que le mariage n'est pas seulement un sacrement, mais encore un devoir de la nature. — On reconnaît encore évidemment la nécessité du même nombre de sacrements, selon qu'ils ont pour but de remédier au péché. Car le baptême est établi contre la privation de la vie spirituelle; la confirmation contre la faiblesse de l'âme qui se trouve dans ceux qui viennent de naître; l'eucharistie contre la facilité qu'ils ont à pécher; la pénitence contre le péché actuel commis après le baptême; l'extrême-onction contre les restes du péché qui n'auraient pas été suffisamment effacés par la pénitence, soit par négligence, soit par ignorance; l'ordre contre la dissolution de la société; le mariage pour remédier à la concupiscence personnelle et empêcher la société de s'éteindre par la mort. — D'autres expliquent le nombre des sacrements selon qu'ils correspondent aux vertus et aux défauts qui résultent du péché et de la peine, en disant : que le baptême répond à la foi, et qu'il est établi contre le péché originel ; l'extrême-onction à l'espérance, et elle est établie contre le péché véniel ; l'eucharistie à la charité, et elle est instituée contre la pénalité de la malice ; l'ordre à la prudence, et il a pour but de combattre l'ignorance; la pénitence à la justice, et elle est le remède contre le péché mortel ; le mariage à la tempérance, et il est opposé à la concupiscence ; la confirmation à la force, et elle remédie à la faiblesse.

31 Il faut répondre au premier argument, que le même agent principal se sert d'instruments différents pour des effets divers, selon la convenance des oeuvres. C'est ainsi que la vertu divine et la passion du Christ opèrent en nous par des sacrements différents, comme par des instruments divers.

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Il faut répondre au second, que la faute et la peine différent entre elles, selon l'espèce, en ce sens qu'il y a différentes espèces de fautes et de peines, et selon les divers états des hommes et leurs différentes habitudes. C'est pour cela qu'il a fallu qu'il y eût plusieurs sacrements, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (in corp. art.).

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Il faut répondre au troisième, que dans les actions hiérarchiques on considère ceux qui agissent, ceux qui reçoivent et les actions. Ceux qui agissent sont les ministres de l'Eglise, auxquels le sacrement de l'ordre appartient; ceux qui reçoivent sont ceux qui s'approchent des sacrements et que le mariage produit; les actions sont la purgation, l'illumination et la perfection. La purgation seule ne peut pas être un sacrement de la loi nouvelle qui confère la grâce, mais elle appartient à certains sacramentaux, tels que le catéchisme et l'exorcisme. La purgation et l'illumination, prises ensemble, d'après saint Denis (De ecdes. hier. cap. 3), appartiennent au baptême, et à cause de la rechute elles appartiennent secondairement à la pénitence et à l'extrême-onction. La perfection, quant à la vertu qui est en quelque sorte la perfection formelle, appartient à la confirmation; mais quant à l'obtention de la fin, elle appartient à l'eucharistie.

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Il faut répondre au quatrième, que dans le sacrement de confirmation la plénitude de l'Esprit-Saint est donnée pour fortifier; et dans l'extrême- onction, l'homme est préparé à recevoir immédiatement la gloire. Aucune de ces deux choses ne convient à l'Ancien Testament. C'est pourquoi il n'y a rien eu sous la loi qui pût répondre à ces sacrements. Cependant les sacrements, sous l'ancienne loi, furent plus nombreux à cause de la diversité des sacrifices et des cérémonies.

35
Il faut répondre au cinquième, qu'il a fallu spécialement remédier, par un sacrement, à la concupiscence charnelle; d'abord parce que cette concupiscence corrompt non-seulement la personne, mais encore la nature; ensuite à cause de sa violence qui absorbe la raison.

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Il faut répondre au sixième, que l'eau bénite et les autres consécrations ne sont pas appelées des sacrements, parce qu'elles ne conduisent pas à l'effet du sacrement, qui est l'obtention de la grâce; mais elles disposent aux sacrements, soit en écartant ce qui empêche de les recevoir, comme l'eau bénite, qui est un préservatif contre les embûches des démons et contre les péchés véniels; soit en produisant une certaine aptitude pour que le sacrement existe et qu'on le reçoive, comme on consacre un autel et des vases par respect pour l'eucharistie.

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il faut répondre au septième, que les oblations et les dîmes avaient été établies sous la loi de nature aussi bien que sous la loi de Moïse, non-seulement pour venir en aide aux ministres et aux pauvres, mais encore d'une manière figurative. C'est pour cela qu'elles étaient des sacrements. Mais maintenant qu'elles ne subsistent plus comme choses figuratives, elles ne sont plus des sacrements.

38
Il faut répondre au huitième, que l'infusion de la grâce n'est pas nécessaire pour effacer le péché véniel. Par conséquent puisque dans tout sacrement de la loi nouvelle la grâce nous est infuse, il n'y a pas de sacrement qui soit directement institué contre le péché véniel qui est effacé par les sacramentaux ; comme l'eau bénite et les autres sacramentaux semblables. Cependant il y en a qui disent que l'extrême-onction a été établie contre le péché véniel. Mais nous en parlerons en son lieu (Svppl. quest. xxx, art. -1).



ARTICLE ii. — LES SACREMENTS SONT-ILS CONVENABLEMENT ORDONNÉS SELON LE MODE PRESCRIT ANTÉRIEUREMENT?

1302
1 Il semble que les sacrements ne soient pas convenablement ordonnés selon le mode prescrit antérieurement (art. préc.). Car, comme le dit l'Apôtre (
1Co 15,46) : Ce qui est animal existe (Caboul, ensuite ce qui est spirituel. Or, l'homme est engendré par le mariage de la première génération qui est la génération animale, et il est régénéré par le baptême de la seconde génération qui est la génération spirituelle. Le mariage doit donc précéder le baptême.

2 Par le sacrement de l'ordre on reçoit la puissance de l'aire les actions sacramentelles. Or, l'agent est avant son action. L'ordre doit donc précéder le baptême et les autres sacrements.

3
L'eucharistie est une nourriture spirituelle; tandis que la confirmation correspond à l'accroissement. Or, la nourriture est la cause de l'accroissement et par conséquent elle est avant lui. L'eucharistie est donc avant la confirmation.

4
La pénitence prépare l'homme à l'eucharistie. Or, la disposition précède la perfection. La pénitence doit donc précéder l'eucharistie.

5
Ce qui est plus près de la fin dernière vient en dernier lieu. Or. l'extrême-onction est de tous les sacrements celui qui est le plus rapproché de la fin dernière de la béatitude. Elle doit donc tenir le dernier rang parmi les sacrements.

20
Mais c'est le contraire. Car les sacrements sont communément ordonnés par tout le monde, comme nous l'avons dit auparavant (art. préc.).


CONCLUSION. — Parmi les sacrements son met en dernier lieu l'ordre et le mariage; la pénitence et l'extrême onction sont après le baptême, la confirmation et l'eucharistie; mais l'extrême-onction est après la pénitence; par rapport aux trois autres, le baptême précède la confirmation et l'eucharistie.

21
Il faut répondre (pie l'on voit la raison de l'ordre des sacrements d'après ce que nous avons dit (art. préc.). Car comme l'unité est avant la multiplicité, de même les sacrements qui sont établis pour la perfection de l'individu seul précèdent naturellement ceux qui sont établis pour la perfection de la société. C'est pourquoi parmi les sacrements on met en dernier lieu l'ordre et le mariage qui sont établis pour la perfection de la société. Cependant on met le mariage après l'ordre, parce qu'il participe moins à la nature de la vie spirituelle qui est le but des sacrements. Mais parmi ceux qui regardent la perfection de l'individu, ceux qui ont pour but par eux- mêmes la perfection de la vie spirituelle sont naturellement antérieurs à ceux qui ne s'y rapportent que par accident; comme ceux qui ont pour fin d'écarter l'accident nuisible qui survient, tels que la pénitence et l'extrême onction. Mais l'extrême-onction qui consomme la guérison est naturellement postérieure à la pénitence qui la commence. Quant aux trois autres, il est évident que le baptême qui est la régénération spirituelle est le premier; vient ensuite la confirmation qui a pour but la perfection formelle de la vertu; et enfin l'eucharistie qui se rapporte à la perfection finale.

31
II faut répondre au premier argument, que le mariage selon qu'il a pour but la vie animale est un devoir de la nature; mais selon qu'il se rapporte à la vie spirituelle, c'est un sacrement. Et parce que c'est de tous les sacrements celui qui est le moins spirituel, on le place en dernier lieu.

32
Il faut répondre au second, que pour qu'une chose soit un agent, on présuppose qu'elle est parfaite en elle-même. C'est pourquoi les sacrements qui perfectionnent l'individu en lui-même sont antérieurs au sacrement de l'ordre qui rend une personne apte à perfectionner les autres.

33
Il faut répondre au troisième, que la nourriture précède l'accroissement, comme sa cause, et elle le suit selon qu'elle conserve l'homme dans une corpulence et une force parfaite. C'est pour cela que l'eucharistie peut être mise avant la confirmation, comme le fait saint Denis (Lib. de ecdes. hier. cap. 3 et 4), et elle peut être mise après, comme le fait le Maître des sentences (1) (IV. Sent. dist. vu et viii).

34
Il faut répondre au quatrième, que cette raison serait concluante si la pénitence était nécessairement requise comme une préparation à l'eucharistie. Mais il n'en est pas ainsi. Car si quelqu'un était sans péché mortel, il n'aurait pas besoin de la pénitence pour recevoir l'eucharistie. Et par conséquent il est évident que la pénitence prépare par accident à l'eucharistie, c'est-à-dire dans la supposition que le péché existe. D'où il est dit (H. Par. ult.) : Pour vous, Seigneur, vous n'avez pas imposé de pénitence aux justes.

35
Il faut répondre au cinquième, que l'extrême-onction pour la raison que nous avons donnée est le dernier des sacrements qui se rapportent à la perfection de l'individu.



ARTICLE iii. — I.E SACREMENT RE I.'EUCHARISTIE EST-IL LE PLUS EXCELLENT DES: SACREMENTS (2)?

1303
1 Il semble que le sacrement de l'eucharistie ne soit pas le plus excellent des sacrements; car le bien commun l'emporte sur le bien de l'individu, comme nous l'avons dit (Eth. lib. i, cap. 2). Or, le mariage est établi pour produire le bien commun de l'espèce humaine par voie de génération ; tandis que le sacrement de l'eucharistie a pour but le bien propre de celui qui le reçoit. Il n'est donc pas le plus excellent des sacrements.

2
Les sacrements les plus grands paraissent être ceux qui sont conférés par un ministre d'un ordre plus élevé. Or, le sacrement de confirmation et le sacrement de l'ordre ne sont conférés que par un évoque, qui est un ministre supérieur au simple prêtre qui confère le sacrement de l'eucharistie. Ces sacrements sont donc les plus excellents.

3
Les sacrements sont d'autant plus élevés qu'ils ont une plus grande vertu. Or, il y ades sacrements qui impriment caractère, comme le baptême la confirmation et l'ordre, ce que ne fait pas l'eucharistie. Ces sacrements l'emportent donc sur elle.

(t) Cet ordre, qui a été suivi par saint Thomas et tous les scolastiques, a été adopté par le concile Je Florence et par le concile de Trente. , (2) Cet ARTICLE est une réfutation de l'erreur de ceux qui considèrent tous les sacrements comme égaux ; ce que le concile de Trente a condamné en ces termes (sess, vii, can. 5) : Si quis dixerit haec septem sacramenta ita esse inter se paria, vi nullâ ratione aliud sit alio dignius, anathema sit.

4
La chose la plus importante paraît être celle dont les autres dépendent, et non réciproquement. Or, l'eucharistie dépend du baptême : car on ne peut la recevoir, si l'on n'a pas été baptisé. Le baptême l'emporte donc sur elle.

20
Mais c'est le contraire. Saint Denis dit (J)e coelest. hier. cap. 3) qu'il n'arrive pas que quelqu'un soit perfectionné de la perfection hiérarchique, sinon par la divine eucharistie. Ce sacrement l'emporte donc sur tous les autres.


CONCLUSION. — Puisque le Christ est véritablement contenu selon sa substance dans le sacrement de l'eucharistie et que tous les autres sacrements se rapportent à celui-là comme à leur fin, il est évident qu'il est le plus excellent de tous les sacrements

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Il faut répondre qu'absolument parlant le sacrement de l'eucharistie est le plus excellent de tous les sacrements. Ce qu'on peut rendre évident de trois manières : 1° Par ce qu'il renferme, car le Christ est substantiellement contenu dans le sacrement de l'eucharistie, tandis que les autres sacrements renferment une vertu instrumentale qui est une participation du Christ, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (quest. lxii, art. \ ad 3). Or. ce qui existe par essence l'emporte toujours sur ce qui existe par participation. 2° Par le rapport que les sacrements ont entre eux. Car tons les autres sacrements paraissent se rapporter à celui-là comme à leur fin. En effet, il est évident que le sacrement de l'ordre se rapporte à la consécration de l'eucharistie, et le sacrement du baptême à sa réception. On est fortifié par la confirmation pour qu'on ne soit pas excité par la crainte à s'éloigner de ce sacrement; la pénitence et l'extrême-onction préparent l'homme à recevoir dignement le corps du Christ ; enfin le mariage se rapporte du moins par sa signification à ce sacrement, en ce sens qu'il signifie l'union du Christ et de l'Eglise, dont l'unité est figurée par le sacrement de l'eucharistie. D'où l'Apôtre (ftt (Ephes. v, 31) : Cc sacrement est grand, je dis en Jésus-Christ et dans V Eglise (1). 3° Parle rit des sacrements. Car presque tous les sacrements sont consommés dans l'eucharistie, comme le dit saint Denis (De ecdes. hier. cap. 3). Ainsi ceux qui ont reçu les ordres communient, aussi bien que ceux qui ont reçu le baptême, s'ils sont adultes. — La comparaison des autres sacrements entre eux peut être faite à divers points de vue. Sous le rapport de la nécessité le baptême est le plus important des sacrements; sous le rapport de la perfection c'est l'ordre; le sacrement de confirmation lient le milieu; le sacrement de pénitence et celui d'extrême-onction sont d'un rang inférieur aux autres. Car, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), ils se rapportent à la vie chrétienne non par eux-mêmes, mais comme par accident, c'est-à-dire pour remédier à un défaut qui survient. L'extrême-onction est à la pénitence ce que la confirmation est au baptême; de telle sorte que la pénitence est plus nécessaire, mais l'extrême-onction plus parfaite (2).

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Il faut répondre au premier argument, que le mariage a pour but le bien commun corporellement, tandis que le bien commun spirituel de l'Eglise entière est substantiellement contenu dans le sacrement même de l'eucharistie.

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Il faut répondre au second, que par l'ordre et la confirmation les fidèles du Christ sont consacrés à des offices spéciaux qui appartiennent à la charge du prince; c'est pourquoi il n'appartient qu'à l'évêque qui est comme un prince dans l'Eglise de conférer ces sacrements. Mais par le sacrement de l'eucharistie on n'est pas voué à un office, ce sacrement est plutôt la fin de tous les offices quels qu'ils soient, comme nous l'avons dit (in corp. art.).

(I) C'est ainsi que tout ilans le culte se rapporte au sacrifice.
(2) Le concile de Trente a sanctionné, de autorité, ce sentiment sess. XIII, cap. 3).

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Il faut répondre au troisième, que le caractère sacramentel, comme nous l'avons dit (quest. lxiii, art. 3), est une participation du sacerdoce du Christ. Par conséquent le sacrement qui unit le Christ lui-même à l'homme est plus noble que le sacrement qui en imprime le caractère.

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Il faut répondre au quatrième, que cette raison s'appuie sur la nécessité; car, comme le baptême est le plus excellent des sacrements, dans le sens qu'il est le plus nécessaire, de même l'ordre et la confirmation ont une certaine excellence en raison de leur ministère, et le mariage en raison de sa signification. D'ailleurs rien n'empêche qu'une chose soit plus noble sous un rapport, sans l'être davantage absolument.




III Pars (Drioux 1852) 1269