III Pars (Drioux 1852) 1520

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Nous devons maintenant nous occuper de la manière dont le Christ existe dans l'eucharistie. —A cet égard huit questions se présentent : 1° Le Christ est-il tout entier dans l'eucharistie P — 2° Est-il tout entier sous chaque espèce ? —3° Est-il tout entier dans toutes les parties des espèces P — 4° Les dimensions du corps du Christ sont-elles tout entières dans ce sacrement? — 5° Le corps du Christ y est-il localement?— 6° Le corps du Christ est-il mû au mouvement de l'hostie ou du calice après la consécration?— 7° Le corps du Christ selon qu'il est dans l'eucharistie peut-il être vu du moins par un oeil glorifié? — 8°Le corps véritable du Christ subsiste-t-il dans l’eucharistie, quand il apparait miraculeusement sous l'apparence d'un enfant ou de la chair ?



ARTICLE I. — le christ est-il contenu tout entier dans l'eucharistie (i)?

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1 Il semble que le Christ ne soit pas contenu tout entier dans l'eucharistie. Carie Christ commence à être dans ce sacrement par la conversion du pain et du vin, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 4). Or, il est évident que le pain et le vin ne peuvent être convertis, ni en la divinité du Christ, ni en son âme. Par conséquent, puisque le Christ est formé de trois substances, c'est-à-dire de la divinité, de l'âme et du corps, comme nous l'avons vu (quest. n), il semble que le Christ tout entier n'existe pas dans l'eucharistie.

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Le Christ est dans l'eucharistie de la manière qu'il convient pour nourrir les fidèles, ce qui consiste dans le boire et le manger, comme nous l'avons dit (quest. lxxiv, art. 4). Or, le Seigneur dit (Jn 6,56) : Ma chair est véritablement une nourriture et mon sang est véritablement un breuvage. Il  n'y a donc que la chair et le sang du Christ qui soient contenus dans ce sacrement, cependant il y a dans le corps du Christ beaucoup d'autres parties, telles que les nerfs, les os, etc. Le Christ n'est donc pas contenu tout entier sous ce sacrement.

3 Un corps d'une étendue plus grande ne peut être contenu tout entier sous une étendue moindre. Or, l'étendue du pain et du vin consacré est beaucoup moindre que l'étendue propre du corps du Christ. Il ne peut donc pas se faire que le Christ entier soit contenu sous ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. Saint Ambroise dit (Lib. de initiand. cap. 9) : Le Christ est dans l'eucharistie.


CONCLUSION. — Puisque la divinité et l'âme du Christ sont réellement unies à son corps, quoique la conversion du pain et du vin ne les ait pas pour termes, on doit croire d'après la foi catholique que le Christ tout entier est dans ce sacrement.

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Il faut répondre qu'il est absolument nécessaire de confesser d'après la foi catholique que le Christ est tout entier dans l'eucharistie. Cependant il faut savoir qu'il y a dans ce sacrement quelque chose du Christ de deux manières. 1° D'après la force du sacrement. 2° D'après la concomitance naturelle. D'après la force du sacrement, il y a sous les espèces sacramentelles ce en quoi la substance préexistante du pain et du vin est directement convertie ; selon le sens que présentent les paroles de la forme, qui sont efficientes dans l'eucharistie, comme dans les autres sacrements ; par exemple quand on dit : Ceci est mon corps, ou, ceci est mon sang. D'après la concomitance naturelle il y a dans ce sacrement ce qui est réellement uni à la chose que la conversion dont nous avons parlé a pour terme. Car si deux choses sont réellement unies, partout où l'une existe réellement, il faut que l'autre existe aussi (i), puisque les choses, qui sont unies dans la réalité, ne se distinguent que par l'opération de l'âme.

(O II foi que le Christ est contenu tout entier dans l'eucharistie. C'est ce qu'exprime ainsi le concile de Florence : Totus Christus continetur sub specie panis, et totus sub specie vini, et le concile de Trente anathemate en ces termes ceux qui le nient : Si quis negaverit, in venerabili sacramento eucharistiae sub unaquaque specie, et sub singulis cujusque speciei partibus, separatione factd, totum Christum contineri; anathema sit.

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Il faut répondre au premier argument, que la conversion du pain et du vin n'ayant pour terme ni la divinité, ni l'âme du Christ, il s'ensuit que la divinité ou l'âme du Christ n'existe pas dans ce sacrement par la force du sacrement, mais d'après la concomitance réelle. Caria divinité n'ayant jamais quitté le corps qu'elle a pris, partout où le corps du Christ existe, il est nécessaire que sa divinité existe aussi (2). C'est pourquoi il est nécessaire que la divinité du Christ existe dans l'eucharistie concomitamment avec son corps. C'est ce qui fait dire dans le concile d'Ephèse (in conc. gen. Gn 3, part. 1, cap. 26, in epist. Cyril, cap. 7) : Nous devenons participants du corps et du sang du Christ que nous ne recevons pas comme une chair commune, ni comme la chair d'un homme sanctifié et uni au Verbe selon l'unité de la dignité, mais comme une chair véritablement vivifiante et qui est devenue la propre chair du Verbe lui-même. Quant à l'âme elle a été réellement séparée du corps, comme nous l'avons dit (quest. l, art. 3 et 4). C'est pourquoi, si, dans les trois jours où il a é té mort, on eût consacré, l'âme du Christ n'aurait été là ni par la force du sacrement, ni par la concomitance réelle. Mais parce que le Christ qui est ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, d'après saint Paul (Rm 4,9), son âme est toujours réellement unie à son corps. C'est pour cela que dans ce sacrement le corps du Christ y est par la force sacramentelle, tandis que son âme y est par la concomitance réelle.

32 Il faut répondre au second, que, par la force sacramentelle, l'eucharistie contient, sous l'espèce du pain, non-seulement la chair, mais encore le corps tout entier du Christ, c'est-à-dire les os, les nerfs et les autres parties. Ce qui est évident d'après la l'orme de ce sacrement, dans laquelle on ne dit pas: Ceci est ma chair, mais : Ceci est mon corps. C'est pourquoi, quand le Seigneur a dit (Jn 6,56) : Ma chair est véritablement une nourriture, la chair désigne en cet endroit le corps tout entier, parce que suivant la coutume des hommes la chair paraît être plus apte à être mangée, selon qu'ils se nourrissent ordinairement de la chair des animaux, et non de leurs os et des autres parties de leur corps.

(2) Cette doctrine de saint Thomas se trouve admirablement confirmée par les expressions mêmes du concile de Trente (Conf. sess, xiii, cap. 3j.
(1) Ces paroles doivent s'entendre des choses qui sont unies adéquatement et dans une mutuelle dépendance de l'autre, car autrement il faudrait admettre que le Christ est partout, parce que la divinité à laquelle il est uni est partout; ce qui est l'hérésie des ubiquistcs.

33 Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (quest. lxxv, art. 5), la conversion du pain étant faite au corps du Christ ou celle du vin au sang, les accidents de l'un et de l'autre subsistent. D'où il est évident que les dimensions du pain et du vin ne se convertissent pas aux dimensions du corps du Christ, mais la substance dans sa substance. Et par conséquent la substance du corps du Christ ou de son sang est dans l'eucharistie par la force sacramentelle, mais les dimensions du corps ou du sang du Christ n'y sont pas. D'où il est évident que le corps du Christ est dans ce sacrement par le mode de la substance et non sous le mode de l'étendue. D'ailleurs la totalité propre de la substance est contenue indifféremment sous une petite ou sous une grande étendue, comme toute la nature de l'air est dans un air grand ou petit, et toute la nature de l'homme dans un homme grand ou petit. Par conséquent toute la substance du corps et du sang du Christ est contenue dans l'eucharistie après la consécration, comme il y avait auparavant toute la substance du pain et du vin.



ARTICLE II. — le christ est-il contenu tout entier sous l'une et l'autre espèce du sacrement (1)?

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1 Il semble que le Christ tout entier soit contenu sous l'une et l'autre espèce de ce sacrement. Car l'eucharistie a pour but de produire le salut des fidèles, non par la vertu des espèces, mais par la vertu de ce qui est contenu sous elles; parce que les espèces existaient aussi avant la consécration, d'où provient la vertu de ce sacrement. Si donc il n'y a rien de contenu sous une espèce qui ne soit contenu sous l'autre, il semble que l'une des deux soit superflue.

2
Non s avons dit (art. préc.) que sous le nom de la chair on comprend toutes les autres parties du corps, comme les os, les nerfs et le reste. Or, le sang est une des parties du corps humain, comme on le voit (De genere anim. lib. hi, cap. 2, et Départ, animal., lib. ii, cap. 11). Si donc le sang du Christ est contenu sous l'espèce du pain, comme les autres parties du corps y sont contenues, le sang ne devrait pas être consacré à part, comme on ne consacre pas à part une autre partie du corps.

3
Ce qui a déjà été fait ne peut être fait de nouveau. Or, le corps du Christ a déjà commencé à exister dans l'eucharistie par la consécration du pain. Il ne peut donc se faire qu'il commence de nouveau à exister par la consécration du vin, et par conséquent sous l'espèce du vin le corps du Christ ne sera pas contenu et ni le Christ tout entier. Le Christ tout entier n'est donc pas contenu sous l'une et l'autre espèce.

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Mais c'est le contraire. Sur ces paroles de saint Paul (1Co 11): Accipite et manducate, la glose dit (glos. ord.), que sous l'une et l'autre espèce, c'est-à-dire sous l'espèce du pain et du vin, on reçoit la même chose. Par conséquent il semble que le Christ soit tout entier sous l'une et l'autre espèce.


CONCLUSION. — Quoiqu'il n'y ait que le corps du Christ qui soit contenu sous l'espèce du pain et qu'il n'y ait que le sang sous l'espèce du vin, d'après la force du sacrement, cependant nous devons croire de la foi la plus certaine que te Christ est contenu tout entier sous l'une et l'autre espèce d'après la concomitance réelle.

21 Il faut répondre qu'on doit croire très-certainement que le Christ est tout entier sous l'une et l'autre espèce du sacrement, mais cependant de différentes manières. Car sous les espèces du pain il y a le corps du Christ, d'après la force du sacrement, et le sang d'après la concomitance réelle, comme nous l'avons dit (art. préc.) au sujet de l'âme et de la divinité du Christ. Sous les espèces du vin il y a le sang du Christ, d'après la force du sacrement, et son corps d'après la concomitance réelle, aussi bien que son âme et sa divinité (2); parce que maintenant le sang du Christ n'est pas séparé de son corps, comme il l'a été au temps de sa passion et de sa mort. Par conséquent, si on eût alors célébré ce sacrement sous les espèces du pain, le corps du Christ aurait été sans le sang, et si on l'eût célébré sous les espèces du vin, le sang aurait été sans le corps, tel qu'il était réellement et véritablement (1).

(1) Il est de foi que le Christ est tout entier sous l'espèce du pain et tout entier sous l'espèce du vin, comme on le voit d'après les conciles ci- lés à l'occasion de l'ARTICLE précédent.
(2) Le concile de Trente s'exprime ainsi sess. XIII, cap. 5): Corpus Christi est sub specie panis, et sanguis sub specie vini, ex vi verborum; ipsum autem corpus sub specie vini, et sanguis sub specie panis, animaque sub utraque, vi naturali illius communionis et concomitantiae, quâ parles Christi Domini qui jam ex mortuis resurrexit non ampliiis moriturus, inter se copulantur, divinitas vero propter admirabilem illam ejus cum corpore et animd hypostaticam unionem.

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Il faut répondre au premier argument, que quoique le corps du Christ soit tout entier sous l'une et l'autre espèce, ce n'est cependant pas en vain. Car l° ceci est utile pour représenter la passion du Christ, dans laquelle le sang a été séparé du corps, et c'est pour cela que dans la forme de la consécration du sang, il est dit qu'il a été versé. 2° Il  est convenable pour l'usage de ce sacrement que le corps du Christ soit donné à part aux fidèles pour nourriture et son sang pour boisson. 3° Il est convenable quant à l'effet, d'après ce que nous avons dit (quest. lxxiv, art. 1), que le corps soit donné pour le salut du corps et le sang pour le salut de l'âme. 

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Il faut répondre au second, que dans la passion du Christ, dont ce sacrement est le mémorial, il n'y a pas eu d'autres parties du corps que le sang qui aient été séparées les unes des autres. Le corps est resté dans toute son intégrité, d'après ces paroles () : Vous ne briserez pas ses os. C'est pourquoi dans l'eucharistie le sang est consacré séparément du corps; tandis que les autres parties ne sont pas séparées les unes des autres.

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Il faut répondre au troisième, que, comme nous l'avons dit (in corp. art.),le corps du Christ n'existe pas sous l'espèce du vin d'après la force du sacrement, mais d'après la concomitance réelle. C'est pourquoi la consécration du vin ne fait pas par elle-même que le corps du Christ y soit, mais il y est par concomitance.



ARTICLE III. — le christ est-il tout entier sous toutes les parties des espèces du pain ou du vin (2)?

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1 Il semble que le Christ ne soit pas tout entier sous toutes les parties des espèces du pain et du vin. Car ces espèces peuvent se diviser à l'infini. Si donc le Christ était tout entier sous toutes les parties de ces espèces, il s'en suivrait qu'il serait une infinité de fois dans l'eucharistie, ce qui n'est pas admissible : car l'infini répugne non-seulement à la nature, mais encore à la grâce.

2
Le corps du Christ, puisqu'il est organique, a des parties qui sont distantes l'une de l'autre d'une manière déterminée. Car il est de l'essence d'un corps organique que chacune des parties soient séparées les unes des autres par une distance déterminée, comme l'oeil l'est de l'autre oeil et comme les yeux le sont des oreilles. Or, il ne pourrait en être ainsi, si le Christ était tout entier sous toutes les parties des espèces; car il faudrait que sous chaque partie il y eût toutes les parties, et que, par conséquent, où il y aurait une partie, l'autre y fût aussi. Il ne peut donc pas se faire que le Christ soit tout entier sous chacune des parties de l'hostie ou du vin contenu dans le calice.

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Le corps du Christ conserve toujours sa véritable nature corporelle et n'est jamais changé en esprit. Or, il est de l'essence du corps qu'il soit une quantité ayant une position, comme on le voit (in Praedic. cap. De quantitaté). Or, il appartient à l'essence de cette quantité que ses différentes parties existent dans différentes parties du lieu. Il semble donc qu'il ne puisse pas se faire que le Christ soit tout entier sous toutes les parties des espèces.

(1) Et après la résurrection ils auraient été réunis, parce que le corps du Christ est dans le sacrement substantiellement tel qu'il est dans la nature des choses.

(2) Il est de fui que le Christ est tout entier tous chacune des espèces consacrées après leur séparation. C'est ce qu'exprime ainsi le concile de Florence : Sub qualibet quoque parte hos- tioe consecrata; et vini consecrati, separatione factâ, totus est Christus. C'est aussi ce qu'on lit dans le canon du concile de Treute que nous avons cité (pag. 5G).

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Mais c'est le contraire. Saint Augustin dit dans un sermon (id. hab. Greg. in Sacrament. Dom. v post Epiph.) : Chaque fidèle reçoit le corps du Christ Notre-Seigneur, et il est tout entier dans chaque partie-, il n'est pas diminué par chacune d'elles, mais il se donne tout entier en chacune.


CONCLUSION. — Puisque le corps du Christ est dans l'eucharistie de la manière que la substance est sous les dimensions, il est évident que le Christ est contenu tout entier sous toutes les parties des espèces du pain et du vin, soit que l'hostie soit rompue, soit qu'elle reste entière.

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Il faut répondre que, comme on le voit d'après ce que nous avons dit (art. préc. et art. 1 huj. quaest.), la substance du corps du Christ étant dans l'eucharistie par la force du sacrement, et sa quantité commensurable y étant par la force de la concomitance réelle, il s'ensuit que le corps du Christ est dans ce sacrement à la manière de la substance, c'est-à-dire à la manière dont la substance est sous les dimensions, mais non à la manière des dimensions, c'est-à-dire à la manière dont la quantité commensurable d'un corps est sous la quantité commensurable d'un lieu. Or, il est évident que la nature de la substance est tout entière sous chaque partie des dimensions sous lesquelles elle est contenue. Ainsi, toute la nature de l'air est sous chaque partie de l'air et toute la nature du pain est sous chaque partie du pain. Et cela n'en est pas moins vrai, soit que les dimensions soient divisées en acte (comme quand on divise l'air ou qu'on coupe le pain), soit qu'elles soient indivises en acte, mais divisibles en puissance. C'est pourquoi il est évident que le Christ est tout entier sous toutes les parties des espèces du pain, quand l'hostie est entière et qu'il n'y est pas seulement quand l'hostie est rompue (1), comme quelques-uns le disent, en prenant pour exemple l'image qu'on voit dans un miroir. Il n'y en a qu'une quand le miroir reste entier, mais il y en a autant qu'il y a de parties quand le miroir est brisé. Cette comparaison n'est pas parfaite, parce que la multiplication de ces images résulte dans un miroir qui est brisé des diverses réflexions de l'objet par rapport aux différentes parties du miroir ; tandis qu'ici il n'y a qu'une seule consécration qui fait que le corps du Christ est dans ce sacrement.

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Il faut répondre au premier argument, que le nombre suit la division. C'est pourquoi, tant que la quantité reste indivise en acte, la substance d'une chose n'existe pas plusieurs fois sous ses propres dimensions, et le corps du Christ n'existe pas non plus plusieurs fois sous les dimensions du pain. Par conséquent on ne le divise pas en une infinité de fois, mais en autant de fois qu'il y a de parties.

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Il faut répondre au second, que cette distance déterminée des parties dans un corps organique est fondée sur sa quantité commensurable, mais la nature même de la substance précède cette quantité. C'est pourquoi, parce que la conversion de la substance du pain a directement pour terme la substance du corps du Christ, et que le corps du Christ est directement et proprement au sacrement de l'autel selon le mode de sa substance, cette distance des parties existe en effet dans le véritable corps du Christ (2), mais ce n'est pas selon cette distance qu'il est dans l'eucharistie, c'est seulement selon le mode de sa substance, comme nous l'avons dit (in corp. art. et art. 1 huj. quaest.).

(I) Il est certain que le Christ est aussi tout entier sous toutes les parties de l'hostie avant qu'elles ne soient séparées. Car le concile de Trente dit (sess. Xlii, cap. 5) qu'il est tout entier sous toutes les parties de l'espèce, sans parler de la séparation; mais comme il a introduit ces mots separatione facta dans son canon, cette partie de l'ARTICLE n'est pas de foi.
(2) Ce rapport symétrique des parties organiques existe dans le corps du Christ sous le sacrement de l'autel, mais il n'existe pas dans une quantité commensurable à la façon des corps qui ont le lieu pour mesure, il y existe d'une manière indivisible proportionnée au corps même du Christ qui est là selon le mode de la substance.

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II faut répondre au troisième, que ce raisonnement s'appuie sur la nature que le corps a d'après sa quantité commensurable. Or, nous avons dit (in corp. art.) que le corps du Christ est clans l'eucharistie, non en raison de sa quantité commensurable, mais en raison de sa substance, ainsi que nous l'avons vu (ibid.).



ARTICLE IV. — toute la quantité commensurable du corps du christ reste —elle dans l'eucharistie(i) ?

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1 Il semble que toute la quantité commensurable du corps du Christ ne soit pas dans l'eucharistie. Car nous avons dit (art. préc.) que le corps entier du Christ est contenu sous chacune des parties de l'hostie consacrée. Or, aucune quantité commensurable n'est contenue tout entière dans un tout et dans chacune de ses parties. Il est donc impossible que toute la quantité commensurable du corps du Christ soit contenue dans ce sacrement.

2
Il est impossible que deux quantités commensurables existent simultanément, quand même l'une serait séparée et que l'autre existerait dans un corps naturel, comme le prouve Aristote (Mei. lib. m, text. 9). Or, dans l'eucharistie il reste la quantité commensurable du pain, comme les sens le prouvent. La quantité commensurable du corps du Christ n'y est donc pas.

3
Si l'on rapproche l'une de l'autre deux quantités commensurables inégales, la plus grande s'étend au delà de celle qui est moindre. Or, la quantité commensurable du corps du Christ est beaucoup plus grande que la quantité commensurable de l'hostie consacrée, selon toutes ses dimensions. Si donc la quantité commensurable du corps du Christ existe dans ce sacrement avec la quantité commensurable de l'hostie; la quantité commensurable du corps du Christ s'étendra au delà de la quantité de l'hostie qui n'existe cependant pas sans la substance du corps du Christ. Par conséquent la substance du corps du Christ sera dans l'eucharistie, même en dehors de l'espèce du pain ; ce qui répugne, puisque la substance du corps du Christ n'existe dans ce sacrement que par la consécration du pain, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.). Il  paraît donc impossible que la quantité commensurable du corps du Christ soit tout entière dans ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. La quantité commensurable d'un corps n'est pas séparée de sa substance selon l'être. Or, la substance du corps du Christ existe tout entière dans ce sacrement, comme nous l'avons vu (art. préc.). La quantité commensurable du corps du Christ y est donc aussi tout entière.


CONCLUSION. — Toute la quantité commensurable du corps du Christ est dans, l'eucharistie, non par la force du sacrement, mais par la concomitance réelle.

dans sa nature ; car il suit de là qu'il a la quantité étalés autres accidents internes et absolus qu'il a dans le ciel.

(1) La réponse à cette question est une conséquence de ce qui a été dit (art. 1) quand nous avons observé que le corps du Christ était substantiellement le même dans le sacrement que

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 1 huj. quaest.), ce qui appartient au Christ est dans l'eucharistie de deux manières : 1° par la force du sacrement; 2° par la concomitance réelle. Par la force du sacrement la quantité commensurable du corps du Christ n'est pas dans l'eucharistie ; car par la force du sacrement il y a dans l'eucharistie ce que la conversion a directement pour terme. Or, la conversion qui a lieu dans ce sacrement a directement pour terme la substance du corps du Christ, mais non ses dimensions-, ce qui est évident, parce qu'après la consécration, la quantité commensurable du pain reste et il n'y a que la substance seule du pain qui passe. —Cependant, comme, dans la réalité, la substance du corps du Christ n'est pas séparée de sa quantité commensurable et de ses autres accidents, il s'ensuit que par la force de la concomitance réelle il y a dans l'eucharistie toute la quantité commensurable du corps du Christ et tous ses accidents (1).

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Il faut répondre au premier argument, que le mode d'être de chaque chose est déterminé selon ce qui lui appartient absolument, mais non d'après ce qui lui appartient par accident. Ainsi un corps est dans la vue selon qu'il est blanc, mais non selon qu'il est doux ; quoique le même corps soit blanc et doux. Par conséquent, la douceur est dans la vue selon le mode de la blancheur, mais non selon le mode de la douceur. Ainsi donc, la substance du corps du Christ étant sur l'autel par la force du sacrement, sa quantité commensurable y est concomitamment et comme par accident. C'est pourquoi la quantité commensurable du corps du Christ y est non selon son propre mode (c'est-à-dire de manière qu'elle soit tout entière dans le tout et que chacune de ses parties soit dans chaque partie). mais elle y est selon le mode de la substance (2), dont la nature est d'être tout entière dans le tout et tout entière dans toutes les parties.

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Il  faut répondre au second, que deux quantités commensurables ne peuvent pas naturellement exister ensemble dans un même lieu, de manière que l'une et l'autre y soient selon le mode propre de cette quantité. Mais dans l'eucharistie la quantité commensurable du pain y est selon son mode propre, c'est-à-dire selon ses dimensions -, au lieu que la quantité commensurable du corps du Christ n'y est pas ainsi, mais elle y est selon le mode de la substance, comme nous l'avons dit (in corp. art. et art. préc. ad 2).

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Il faut répondre au troisième, que la quantité commensurable du corps du Christ n'est pas dans l'eucharistie selon le mode de la mesure et des dimensions qui est le mode propre à la quantité (3) et auquel il appartient qu'une quantité plus grande s'étende au delà d'une moindre, mais elle y est selon le mode que nous avons désigné (in corp. art.).



ARTICLE V. — le corps du christ est-il dans l'eucharistie comme dans un lieu (4)?

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1 Il semble que le corps du Christ soit dans l'eucharistie comme dans un lieu. Car, être dans une chose d'une manière définie ou circonscrite, c'est être dans un lieu. Or, le corps du Christ paraît être d'une manière définie dans l'eucharistie, puisqu'il est où sont les espèces du pain ou du vin, de telle sorte qu'il n'est pas dans un autre endroit de l'autel. Il paraît aussi y être d'une manière circonscrite -, parce qu'il est contenu sous la superficie de l'hostie consacrée, de manière qu'il ne va ni au-delà, ni en deçà. Le corps du Christ est donc dans l'eucharistie comme dans un lieu.

(I) Ainsi la figure organique du corps du Christ est dans le sacrement, et les parties sont ordonnées entre elles de manière que la tète soit immédiatement unie au cou et médiatement à la poitrine, aux mains et aux autres membres comme dans l'ordre naturel. Corpus Christi, dit saint Thomas lui-même, non est confusum, quia ordinem habent partes inter se, licet secundum ordinem illum non comparentur ad dimensiones exteriores (Sent. lib. iv, dist. IO in fin. art. 2).
(2) la quantité commensurable du corps du Christ n'étant dans l'eucharistie qu'en raison de la substance qu'elle accompagne, saint Thomas en conclut qu'elle doit suivre l'état du corps qui y est et s’y trouve connue lui à la manière de la substance et d'une façon indivisible.
(o) Ainsi saint Thomas considère la quantité comme une chose différente de la substance, qui existe sans elle par mirade. Il regarde le rapport de la quantité avec le lieu comme un effet de la quantité, mais non comme une chose qui lui est essentielle. Cet effet peut ne pas exister et il n'existe pas dans l'eucharistie; c'est cc qui répond aux difficultés qu'on peut faire à ce sujet.
(4) Il est de foi que le Christ est réellement présent dans l'eucharistie sous les espèces du pain et du vin, mais y est-il comme dans un lieu ? Si on prenait cette expression dans un sens large, on pourrait répondre affirmativement, car il est réellement présent à un certain espace, et le concile de Trente dit qu'il est dans le ciel selon sa manière d'être naturelle, et qu'il est néanmoins présent d'une manière sacramentelle dans beaucoup d'autres lieux ísess. xiii, cap. I). Mais saint Thomas prend ici le mot lieu dans un sens strict et restreint, et c'est pour cela qu'il répond négativement.

Le lieu des espèces du pain n'est pas vide, car la nature ne souffre pas le vide. Il n'y a pas là non plus la substance du pain, comme nous l'avons vu (quest. préc. art. 2), mais il n'y a que le corps du Christ. Par conséquent, le corps du Christ remplit ce lieu, et comme tout ce qui remplit un lieu y est localement, il s'ensuit que le corps du Christ est localement dans le sacrement.

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Comme nous l'avons dit (art. préc. et art. 3 huj. quaest.), le corps du Christ est dans l'eucharistie avec sa quantité commensurable et avec tous ses accidents. Or, être dans un lieu, c'est l'accident d'un corps : et celui-là est compté parmi les neuf genres d'accident. Le corps du Christ est donc localement dans ce sacrement.

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Mais c'est le contraire. Il faut que le lieu et l'objet qui l'occupe soient égaux, comme on le voit (Pliys. lib. iv, text. 30). Or, le lieu où est l'eucharistie est beaucoup moindre que le corps du Christ. Le corps du Christ n'existe donc pas dans ce sacrement, comme dans un lieu.


CONCLUSION. — Puisque le Christ est dans l'eucharistie, non à la manière de la quantité commensurable, mais à la manière de la substance, il n'y est pas comme dans un lieu, mais il y est de la manière dont la substance est contenue par les dimensions.

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Il faut répondre que, comme nous l'avons dit (art. 3 huj. quaest.), le corps du Christ n'est pas dans l'eucharistie selon le mode propre à la quantité commensurable, mais plutôt selon le mode de la substance. Or, tout corps qui occupe un lieu est dans ce lieu selon le mode de sa quantité commensurable (1), c'est-à-dire en tant qu'il est mesuré par ce lieu, selon cette espèce de quantité. D'où il résulte que le corps du Christ n'est pas dans ce sacrement comme dans un lieu, mais qu'il y est à la manière de la substance, c'est-à-dire de la manière que la substance est contenue par les dimensions. Car la substance du corps du Christ succède dans ce sacrement à la substance du pain. Par conséquent, comme la substance du pain n'existait pas localement sous ses dimensions, mais à la manière de la substance; de même la substance du corps du Christ n'y est pas non plus. Cependant, la substance du corps du Christ n'est pas le sujet de ces dimensions (2), comme l'était la substance du pain. C'est pourquoi la substance du pain était là localement en raison de ses dimensions, parce qu'elle se rapportait à ce lieu par l'intermédiaire de ses dimensions propres, tandis que la substance du corps du Christ se rapporte à ce lieu par l'intermédiaire de dimensions étrangères, et que les dimensions propres du corps du Christ 'se rapportent à ce lieu par l'intermédiaire de la substance, ce qui est contraire à la nature des corps localisés. Par conséquent, le corps du Christ n'existe d'aucune manière localement dans ce sacrement.

(I) C'est-à-dire de telle sorte que ses parties correspondent aux parties du lieu. Mais il n'en est pas ainsi du corps du Christ, puisqu'il est tout entier dans le tout et tout entier dans chaque partie à la manière de la substance.
(2) Les cartésiens, qui croient que l'étendue est de l'essence des corps, croient que le corps du Christ tient lieu de sujet à ces accidents ; ce que saint Thomas combat plus particulièrement (quest. LXXVll).

31
Il faut répondre au premier argument, que le corps du Christ n'est pas dans l'eucharistie d'une manière définie, parce qu'alors il ne serait pas ailleurs que sur l'autel où on consacre ce sacrement; tandis qu'il est dans le ciel sous sa propre espèce, et dans beaucoup d'autres autels, sous l'espèce sacramentelle. Il est également évident qu'il n'y est pas non plus d'une manière circonscrite, parce qu'il n'y est pas selon la mesure de sa quantité propre, comme nous l'avons dit (in corp.). S'il n'est pas hors de la superficie de l'hostie, ni dans une autre partie de l'autel, ceci ne provient pas de ce qu'il y est d'une manière définie ou circonscrite; mais cela provient de ce qu'il a commencé à être là par la consécration et la conversion du pain et du vin, comme nous l'avons dit (quest. préc. art. 3 et 4).

32
Il faut répondre au second, que ce lieu dans lequel est le corps du Christ n'est pas vide ; il n'est cependant pas rempli proprement de la substance du corps du Christ qui n'y est pas localement, comme nous l'avons dit ( in corp. art.). Mais il est rempli par les espèces sacramentelles qui ont la vertu de remplir un lieu, soit à cause de la nature de leurs dimensions, soit au moins par mirade, comme elles subsistent aussi miraculeusement à la manière de la substance.

33
Il faut répondre au troisième, que les accidents du corps du Christ sont dans l'eucharistie, comme nous l'avons dit (art. préc.), d'après la concomitance réelle. C'est pourquoi les accidents du corps du Christ qui lui sont intrinsèques sont dans ce sacrement. Mais comme être dans un lieu est un accident par rapport au contenant extrinsèque (1), il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire que le Christ soit dans l'eucharistie, comme dans un lieu.




III Pars (Drioux 1852) 1520